Mémoires artistiques de Mlle Péan de La Roche-Jagu, écrits par elle-même/Chapitre I

mémoires artistiques



première partie




CHAPITRE PREMIER


Enfance dorée.

Je suis née à Brest. Ma famille, l’une des plus anciennes de la Bretagne, appartient aux Chateaubriand, de Duras, de Montmorency, de Malestroit etc… Mes ancêtres avaient émigré, et perdu en partie, à la Révolution, leur fortune.

Mon père et ma mère jouissaient d’une certaine aisance. Fille unique, j’étais adorée et gâtée par eux ; aussi mon enfance a-t-elle été on ne peut plus heureuse. Je n’avais qu’à souhaiter une chose, je l’obtenais aussitôt. J’avais des jeux de toutes espèces ; des poupées plus grandes que moi : je jouais rarement avec ces dernières ; mais j’en avais une vingtaine de petites, c’étaient celles-là qui faisaient mon bonheur. Je les transformais en acteurs et actrices, et le jeudi et le dimanche, où régulièrement on réunissait mes petits amis, ayant un joli théâtre qui était mes délices, je leur donnais des représentations nouvelles, des pièces que ma verve enfantine avait créées.

Je passais toujours les heures de ma récréation enfermée dans mon cabinet, qui était absolument un petit magasin de jouets. Celui qui me flattait le plus (après mon théâtre) était une boîte de peinture ; là, je broyais toutes sortes de couleurs, et toutes les images qui pouvaient me tomber sous la main, je m’empressais de les colorier ; je peignais aussi d’idée des fleurs ; enfin, je me sentais un goût tout à fait prononcé pour tout ce qui était art. Passionnée pour la musique dès mon plus jeune âge, j’égratignais souvent une petite guitare que j’avais, et je tapais sur toutes les tables à jeu pour me faire un piano. Je voulus avoir un maître, on fit venir alors un instrument, je l’eus quinze jours avant de prendre ma première leçon, je ne le quittais plus de toute la journée ; et sans connaître même mes notes, que je marquais à cet effet avec de la craie, j’avais déjà composé plusieurs petits airs. Je fis de rapides progrès, – Je n’avais que quinze mois de leçons lorsque le malheur commença à me frapper. Mon père perdit une fort belle place qu’il occupait : il était directeur en chef de l’hôpital de la Marine ; à cette époque l’on supprima, dans tous les ports de mer, cette place.

Ensuite, par de fausses spéculations, ma famille se trouva tout à coup dans la gêne et doublement désolée au moment de donner à leur fille chérie une éducation qu’ils désiraient rendre aussi brillante que possible.