Mémoires (Saint-Simon)/Tome 18/9


CHAPITRE IX.


Dubois enfin cardinal. — Sa conduite en cette occasion. — Conduite réciproque entre lui et moi. — Il sort à merveille de ses audiences. — Croix pectorale. — Embarras de M. de Fréjus. — Imprudence de Mme de Torcy. — Dubois, informé de mon ambassade, me rapproche par Belle-Ile pour me tromper et me nuire. — Je le sens et ne puis l’éviter. — Liaison plus qu’intime de Belle-Ile avec Le Blanc. — Leur servitude sous Dubois. — Maladie du roi. — Audace pestilentielle de la duchesse de La Ferté. — Conduite étrange du maréchal de Villeroy. — Affectation de Te Deum sans fin. — Instruction abominable et publique du maréchal de Villeroy au roi. — Excellente conduite de M. le duc d’Orléans et des siens dans la maladie du roi. — Mort de Trudaine ; du duc de Bouillon ; son caractère. — Mort de Thury ; son caractère. — Mort du P. Lelong, de l’Oratoire. — Armenonville obtient la survivance de sa charge de secrétaire d’État pour son fils ; la duchesse celle de gouvernante des enfants de France pour Mme de Soubise, sa petite fille ; Saumery, de la sienne de sous-gouverneur du roi pour son fils aîné, chose sans exemple. — Leur caractère. — Mort et caractère, vie et conduite de Mme la grande-duchesse [de Toscane]. — La conduite avec moi du cardinal Dubois m’affranchit des conditions de notre raccommodement. — Familiarité, liberté, confiance conservée entre M le Duc et moi, depuis le lit de justice des Tuileries. — Conversation importante et très curieuse entre M. le Duc et moi.


À mesure que le temps s’écouloit depuis l’exaltation du pape, et qu’il étoit vivement pressé de tenir à l’abbé Dubois la parole qu’il lui avoit donnée par écrit au cas qu’il fût élu pape, l’impatience de Dubois croissoit avec ses espérances, et ne lui laissoit plus de repos. Il se trouva bien étourdi quand il apprit que le pape avoit fait cardinal tout seul, le 16 juin, son frère, évêque de Terracine depuis dix ans, moine bénédictin du mont Cassin. Dubois s’attendoit qu’il ne se feroit point de promotion sans qu’il en fût, et jeta feu et flammes. Son attente ne fut pas longue : un mois après, le 16 juillet, le pape le fit cardinal avec don Alexandre Albane, neveu du feu pape et frère du cardinal camerlingue. Il en reçut la nouvelle et les compliments avec une joie extrême, mais qu’il sut contenir dans quelque décence, et en donner tout l’honneur à la protection de M. le duc d’Orléans, qui, comme on l’a vu, y eut peu ou point de part. Mais il ne se put empêcher de débiter à tout le monde que ce qui l’honoroit plus que la pourpre romaine étoit le vœu unanime, et l’empressement de toutes les puissances à la lui procurer, à en presser le pape, et à désirer que sa promotion fût avancée sans attendre leur nomination ni la promotion des couronnes. Il s’éventoit là-dessus, et ne pouvoit finir sur ce chapitre qu’il recommençoit à tout moment, et dont personne ne fut la dupe.

Quoique nous fussions au point où on l’a vu ici, je crus devoir mettre M. le duc d’Orléans à son aise entre Dubois et moi, avec lequel j’allois avoir un commerce nécessaire et forcé dans mon ambassade. J’allai donc chez lui où il me combla de respects, de compliments, de protestations de reconnoissance de l’honneur que je lui faisois, sans parler du passé. Quoiqu’à la façon dont nous étions ensemble, et à l’occasion qui m’amenoit chez lui, la visite fût de cérémonie, et qu’il y eût un monde infini, il en usa avec sa calotte rouge qu’il venoit de recevoir des mains du roi, comme si elle eût été encore noire, me fit litière de la main, de termes de respect, de conduite jusque tout bout de son appartement, et à la petite cour où il aboutissoit. M. le duc d’Orléans me témoigna beaucoup de gré de cette démarche de ma part, et je ne rencontrai plus le nouveau cardinal chez ce prince qu’il ne vint à moi, se reculât aux portes et ne me fît merveilles, auxquelles je n’avois garde de me fier. En recevant sa calotte des mains du roi, il détacha de son cou sa croix épiscopale, la présenta à l’évêque de Fréjus, lui dit qu’elle portoit bonheur, et que c’étoit pour cela qu’il le prioit de la porter pour l’amour de lui. Fréjus rougit et la reçut avec beaucoup d’embarras. Cette croix, quoique faite comme toutes les autres avoit pourtant une façon très remarquable, et qui la faisoit parfaitement distinguer. Fréjus, exposé à rencontrer très fréquemment le cardinal nouveau chez le roi, n’osa ne pas porter cette croix assez souvent.

Dînant dans ces premiers jours, ayant cette croix à son cou chez la duchesse du Lude, avec M. et Mme de Torcy et bonne compagnie, Mme de Torcy qui n’aimoit pas Dubois, et qui fort Arnauld étoit fort mécontente de l’ardente conduite de Fréjus sur la constitution, et contre ce qu’on taxoit de jansénisme, et accoutumée à l’avoir vu si longtemps poirier [1], commensal et complaisant de sa maison, l’entreprit sur cette croix à table avec beaucoup d’esprit, de licence et d’aigreur, tombant sur tous les deux avec une finesse aiguë, et mit Fréjus dans un tel désordre qu’il ne savoit plus où il en étoit, sans que la compagnie qui s’en aperçut et qui souffroit de cette scène en pleine table, pût rompre les chiens de cette chasse qui dura fort longtemps, et que Fréjus n’a jamais pardonnée à Mme de Torcy, ni même à son mari, quoiqu’il n’y eût rien mis du sien. Il étoit trop sage et trop mesuré pour n’en avoir pas été très embarrassé lui-même, et à la vérité ce fut une grande imprudence à Mme de Torcy.

L’abbé Passarini, camérier d’honneur du pape, étant arrivé avec le bonnet, le nouveau cardinal le reçut des mains du roi, et fit ses visites au sang royal avec les cérémonies accoutumées. Il avoit eu près de deux mois à s’y préparer, et il faut avouer qu’il en profita bien. Il avoit un compliment à faire à Madame et à M. [le duc] et à Mme la duchesse d’Orléans, dans l’audience de cérémonie qu’il en eut ; car pour les visites aux princes et princesses du sang, ce ne sont que visites et compliments en cérémonie, mais ce ne sont pas des audiences avec un compliment en forme qui est une petite harangue. Il devoit bien s’attendre à ce que Madame souffriroit de le recevoir en cérémonie, de le saluer et de lui donner un tabouret, et Mme la duchesse d’Orléans, de lui donner un siège à dos ; après l’avoir vu si longuement si petit compagnon, et Madame qui ne lui avoit jamais pardonné le mariage de son fils, qui l’avoit traité toujours avec le plus grand mépris, parlé de lui sans mesure, et demandé comme on l’a vu pour toute grâce à M. le duc d’Orléans, le jour de sa régence de n’employer à rien ce petit fripon-là qui le vendroit et le déshonoreroit. Le cardinal Dubois se composa, parut devant Madame pénétré de respect et d’embarras. Il se prosterna comme elle s’avança pour le saluer, s’assit au milieu du cercle, se couvrit un instant de son bonnet rouge qu’il ôta aussitôt, et fit son compliment. Il commença par sa propre surprise de se trouver en cet état devant Madame, parla de la bassesse de sa naissance et de ses premiers emplois, les employa avec beaucoup d’esprit et en termes fort choisis à relever d’autant plus la bonté, le cœur et la puissance de M. le duc d’Orléans, qui de si bas l’avoit élevé où il se voyoit, se fit une leçon de n’oublier jamais ce qu’il avoit été, pour sentir toujours plus vivement ce qu’il devoit à ce prince, et employer tout ce qui pouvoit être en lui, sans se louer ni s’applaudir le moins du monde, pour le servir, car la modestie surnagea toujours dans ses discours d’audiences, donna un encens délicat à Madame, enfin se confondit en respects les plus profonds et en reconnoissance. Il parla si judicieusement et si bien que quelque indignation qu’on eût contre sa personne et sa fortune, tous ceux qui l’entendirent en furent charmés, et Madame elle-même ne put s’empêcher, après qu’il fut sorti, de louer son discours et sa contenance, tout en ajoutant qu’elle enrageoit de le voir où il était.

Ses audiences de M. le duc d’Orléans et de Mme la duchesse d’Orléans se passèrent avec le même succès ; ce fut le même fond en d’autres termes. Je me suis étendu sur celle de Madame comme la plus difficile et la plus curieuse, et j’ai voulu rapporter tout de suite ce qui regarde cette réception du cardinalat.

Il ne fut pas longtemps sans que M. le duc d’Orléans lui apprit qu’il m’avoit promis l’ambassade d’Espagne et de me protéger pour une grandesse pour mon second fils. À chose faite point de remède. Le cardinal Dubois le comprit bien, il en fut outré et résolut bien de me faire du pis qu’il pourroit en tous genres. Pour cela il fallut couvrir son jeu, ne point montrer de mécontentement à M. le duc d’Orléans et me combler de gentillesses pour me mieux tromper. Il n’étoit pas encore cardinal lorsque cela arriva, mais il le fut tôt après. Il avoit fait de Le Blanc comme son secrétaire, pour ne pas dire comme son valet, l’avoit rendu assidu auprès de lui jusqu’à l’esclavage, tout secrétaire d’État de la guerre qu’il étoit, et s’en servoit à toutes mains, surtout depuis l’affaire de M. et de Mme du Maine, dont il eut seul tout le secret parce qu’il fut l’instrument dont il se servit uniquement.

Belle-Ile étoit ami de Le Blanc. Le commerce des femmes et leur attachement commun au char de Mme de Plénoeuf les avoit liés. Le Blanc étoit un esprit doux, fort inférieur à celui de Belle-Ile, qui s’attacha de plus en plus à lui pour le gouverner et en tirer, dès qu’il le vit en place, et qui en serra les liens à mesure qu’il le vit dans tout ce qu’il étoit en Dubois de donner de confiance. Par Le Blanc, il s’approcha de Dubois, et si bien que Dubois ne les regarda plus que comme ne faisant qu’un et qu’il eut part à la même confiance, jusque-là que tous les soirs ils entroient tous deux seuls chez Dubois, et que, entre eux trois, il se disoit et se passoit bien des choses. Dubois, qui n’ignoroit rien en matière de commerce et de liaisons, connoissoit les miennes avec Mme de Lévi et le duc de Charost, conséquemment avec Belle-Ile, tellement que ce fut de lui qu’il se servit pour me rapprocher.

Je ne savois point encore que M. le duc d’Orléans eût parlé de mon ambassade à Dubois, et je n’en avois moi-même ouvert la bouche à qui que ce soit, lorsque je vis entrer Belle-Ile chez moi, qui, après un court préambule, me parla de mon ambassade en homme qui n’en ignoroit rien. Ma surprise fut grande, elle ne m’empêcha pas de demeurer ignorant et boutonné. Alors Belle-Ile me dit que je pouvois lui en parler franchement, parce qu’il savoit tout par l’abbé Dubois, à qui M. le duc d’Orléans l’avoit dit, et tout de suite me demanda comment j’entendois me conduire là-dessus avec l’abbé Dubois, qui avoit seul les affaires étrangères, qui n’attendoit que le moment de sa promotion, dont je ne pouvois me dissimuler le crédit et l’ascendant entier sur M. le duc d’Orléans, qui, après mon départ, demeureroit sans contre-poids le maître de son maître, et qui me pouvoit servir ou nuire infiniment ; qu’au demeurant il ne me dissimuleroit pas qu’il m’apportoit le choix de la paix ou de la guerre ; que Dubois étoit infiniment ulcéré de tout ce que j’avois dit tant de fois à M. le duc d’Orléans contre lui ; que, malgré cela, il ne s’éloigneroit pas de revenir à moi, et de se raccommoder, d’y vivre sur l’ancien pied, mais à de certaines conditions, et de me servir utilement et franchement dans le cours de mon ambassade, et pour l’objet qui me l’avoit fait désirer. L’exhortation amicale suivit, et cependant je faisois mes réflexions.

Je connoissois trop le terrain pour ne pas sentir que Belle-Ile disoit vrai en tout, excepté sur la sincérité d’une âme si double et offensée ; mais que ne me pas prêter à un raccommodement offert donneroit beau jeu à Dubois auprès de M. le duc d’Orléans, qui seroit également embarrassé et importuné de ce contraste, et qui surtout en mon absence, je veux dire Dubois, [en] sauroit bien profiter ; de plus, comment éviter le commerce réglé de lettres avec l’homme chargé seul des affaires étrangères, et comment le soutenir avec un homme avec qui on est brouillé et avec qui on n’a pas voulu se raccommoder ? Ces considérations si évidentes ployèrent ma raideur ; mais je voulus savoir ce que c’étoit que les conditions dont il m’avoit parlé. Belle-Ile me dit qu’elles n’étoient pas difficiles : d’oublier de part et d’autre tout ce qui s’étoit passé, ne nous en jamais parler, promesse de ne plus rien dire en public contre lui ni en particulier à M. le duc d’Orléans, nous revoir et traiter ensemble à l’avenir avec ouverture et liberté, et que je verrois que Dubois, ravi de n’avoir plus à me compter au nombre de ses ennemis, irait au-devant de tout ce qui me pourroit plaire. Belle-Ile, tout de suite, sans me laisser le temps de parler, me fit l’analyse de ces conditions telle que je la sentois moi-même : la nécessité du raccommodement avec un homme qui me l’offroit, avec qui il falloit concerter tout ce qui pouvoit regarder mon ambassade, et avoir avec lui un commerce de lettres réglé toutes les semaines, tant qu’elle dureroit, sans possibilité de le faire passer par un autre ; le raccommodement fait, l’indécence de parler mal en public d’un homme avec qui on s’est raccommodé, enfin d’en parler mal à M. le duc d’Orléans en particulier ; l’expérience de l’inutilité, même du danger, me devoit convaincre là-dessus et la raison me démontrer qu’il étoit déjà le maître des affaires, des grâces de tout l’intérieur ; combien plus l’alloit-il devenir quand il seroit élevé à la pourpre, qui peut-être étoit déjà en chemin par un courrier ! À l’égard de la bonne foi, quelque difficulté que je pusse avoir d’y prendre confiance, je lui liais les bras par ce raccommodement, quitte à marcher avec les précautions raisonnables, et à voir de jour à autre comment il se conduiroit avec moi, parti sage en tous ses points, dont je ne pourrois jamais me faire de reproche dans ma position présente, et bien différent d’une brouillerie ouverte dans la situation où je me trouvois.

Ces mêmes raisons m’avoient déjà sauté aux yeux, de sorte que je renvoyai Belle-Ile content de sa négociation, qui, deux jours après, me vint dire merveilles de la part de Dubois. Là-dessus sa calotte arriva. Je fus le voir comme je l’ai dit, et le surlendemain il vint chez moi. Sa barrette arrivée, il ne tarda pas à y revenir encore en habit long et rouge. On peut juger quelle put être notre confiance réciproque : aussi n’eûmes-nous pas sitôt entamé les propos de l’ambassade, et ils le furent dès lors, que je vis clairement son venin et sa duplicité. Aussi me crus je dispensé à son égard de tout ce que la prudence me pouvoit permettre. Pour ne point interrompre ce qui se passa sur mon ambassade, avant mon départ, je le remettrai tout de suite au temps de mon départ même, quoique les propos et la tyrannie en aient commencé dès ce temps-ci, presque aussitôt que nous nous fûmes vus. Passons à un événement qui fut court, mais qui effraya beaucoup.

Le dernier juillet, le roi, jusqu’alors dans une santé parfaite, se réveilla avec mal à la tête et à la gorge ; un frisson survint, et sur l’après-midi, le mal de tête et de gorge ayant augmenté, il se mit au lit. J’allai le lendemain, sur le midi, savoir de ses nouvelles. Je trouvai que la nuit avoit été mauvaise et qu’il y avoit depuis deux heures un redoublement assez fort. Je vis partout une grande consternation. J’avois les grandes entrées, ainsi j’entrai dans sa chambre. Je la trouvai fort vide, M. le duc d’Orléans, assis au coin de la cheminée, fort esseulé et fort triste. Je m’approchai de lui un moment, puis j’allai au lit du roi. Dans ce moment Boulduc, un de ses apothicaires, lui présentoit quelque chose à prendre. La duchesse de La Ferté, qui, par la duchesse de Ventadour sa sœur, avoit toutes les entrées comme marraine du roi, étoit sur les épaules de Boulduc, et s’étant tournée pour voir qui approchoit, elle me vit, et tout aussitôt me dit entre haut et bas : « Il est empoisonné, il est empoisonné. — Taisez-vous donc, madame, lui répondis-je, cela est horrible ! » Elle redoubla et si bien et si haut, que j’eus peur que le roi ne l’entendit. Boulduc et moi nous nous regardâmes, et je me retirai aussitôt d’auprès du lit et de cette enragée avec qui je n’avois nul commerce. Pendant cette maladie, qui ne dura que cinq jours, mais dont les trois premiers furent violents, j’étois fort fâché et fort en peine ; mais en même temps si aise d’avoir opiniâtrement refusé d’être gouverneur du roi, et si agité en me représentant l’être, et en quel état je serois, que je m’en réveillois la nuit en sursaut, et ces réveils étoient pour moi de la joie la plus sensible de ne l’être pas. La maladie ne fut pas longue et la convalescence fut prompte, qui rendit la tranquillité et la joie, et causa un débordement de Te Deum et de réjouissances. Helvétius en eut tout l’honneur, les médecins avoient perdu la tête ; il conserva seul la sienne, il opiniâtra une saignée au pied dans une consultation où M. le duc d’Orléans fut présent ; il l’emporta : le mieux très marqué suivit incontinent et la guérison bientôt après.

Le maréchal de Villeroy ne manqua pas cette occasion de signaler tout son venin et sa bassesse ; il n’oublia rien pour afficher des soupçons, des soins, des inquiétudes extrêmes, et pour faire sa cour à la robe. Il ne vint point si petit magistrat aux Tuileries qu’il ne se fit avertir pour lui aller dire lui-même des nouvelles du roi et le caresser, tandis qu’il étoit inaccessible aux premiers seigneurs. Les magistrats plus considérables, j’entends toujours du parlement, ou les chefs des autres compagnies, ou leurs gens du parquet, il les faisoit entrer à toute heure dans la chambre du roi et tout auprès de son lit pour qu’ils le vissent, tandis qu’à peine ceux qui avoient les grandes entrées jouissoient de la même privance. Il en usa de même dans la première convalescence, qu’il prolongea le plus qu’il put pour donner la même distinction aux magistrats à quelque heure qu’il en vint, et privativement aux plus grands de la cour et aux ambassadeurs ; il se croyoit tribun du peuple et aspiroit à leur faveur et à leur dangereuse puissance. De là il se tourna à une autre affectation, qui avoit le même but contre M. le duc d’Orléans. Il multiplia les Te Deum, qu’il incita les divers états des petits officiers du roi de faire chanter en différents jours et en différentes églises, assista à tous, y mena tout ce qu’il put, et courut encore plus de six semaines les Te Deum qui se chantèrent dans toutes les églises de Paris. Il ne parloit d’autre chose, et sur sa joie véritable de la guérison, il en entoit une fausse qui puait le parti et le dessein à ne s’y pouvoir méprendre. Il fit faire force fêtes à Lyon et à son fils l’archevêque, dont il eut soin de faire répandre les relations.

Le roi alla en cérémonie remercier Dieu à Notre-Dame et à Sainte-Geneviève. Ces momeries, ainsi allongées, gagnèrent la fin du mois d’août et la Saint-Louis. Il y a tous les ans ce jour-là un concert le soir dans le jardin. Le maréchal de Villeroy prit soin que ce concert devint une manière de fête, à laquelle il fit ajouter un feu d’artifice. Il n’en faut pas tant pour attirer la foule ; elle fut telle, qu’une épingle ne seroit pas tombée à terre dans tout le parterre. Lés fenêtres des Tuileries étoient parées et remplies, et tous les toits du Carrousel pleins de tout ce qui put y tenir, ainsi que la place. Le maréchal de Villeroy se baignoit dans cette affluence, qui importunoit le roi qui se cachoit dans des coins à tout moment ; le maréchal l’en tiroit par le bras et le menoit tantôt aux fenêtres d’où il voyoit la cour et la place du Carrousel toute pleine, et tous les toits jonchés de monde ; tantôt à celles qui donnoient sur le jardin, et sur cette innombrable foule qui y attendoit la fête. Tout cela crioit vive le roi ! à mesure qu’il en étoit aperçu, et le maréchal retenant le roi qui se vouloit toujours aller cacher : « Voyez donc, mon maître, tout ce monde et tout ce peuple, tout cela est à vous, tout cela vous appartient, vous en êtes le maître ; regardez-les donc un peu pour les contenter, car ils sont tous à vous ; vous êtes maître de tout cela. » Belle leçon pour un gouverneur, qu’il ne se lassoit point de lui inculquer à chaque fois qu’il le menoit aux fenêtres, tant il avoit peur qu’il l’oubliât ! Aussi l’a-t-il très pleinement retenue. Je ne sais s’il en a reçu d’autres de ceux qui ont eu la charge de son éducation. Enfin le maréchal le mena sur sa terrasse, où dessous un dais il entendit la fin du concert et vit après le feu d’artifice. La leçon du maréchal de Villeroy si souvent et si publiquement répétée, fit grand bruit et à lui peu d’honneur. Lui-même a éprouvé le premier effet de ses belles instructions.

M. le duc d’Orléans se conduisit d’une manière si simple et si sage qu’il y gagna beaucoup. Des soins et une inquiétude raisonnable mais mesurée, une grande réserve dans ses discours, une attention exacte et soutenue en propos et en contenance, qui [ne] laissa rien échapper qui sentît le moins du monde qu’il étoit le successeur, surtout à ne jamais montrer croire le roi trop bien ni trop mal, et laisser aucun lieu qu’il le craignit trop bien et qu’il le souhaitât mal. Il ne pouvoit douter qu’une conjoncture si critique pour lui ne fixât sur lui les regards les plus perçants et l’attention de tout le monde, et comme dans la vérité il ne souhaita jamais la couronne, quelque peu vraisemblable que cela paroisse, il n’eut besoin que de s’observer et point du tout de se contraindre ; aussi n’eut-il besoin d’aucun conseil là-dessus, et son intérieur le plus libre et le plus familier, moi par exemple, le vit toujours là-dessus tel que le publie le vit. Cela fut aussi fort remarqué, et la cabale opposée fut entièrement réduite au silence, qui se préparoit bien à faire valoir jusqu’aux riens qu’elle auroit aperçus. Il fut heureux que ceux qui lui étoient particulièrement attachés et qui auroient pu se flatter le plus d’un événement sinistre aient tous gardé toute la même conduite que lui, sans qu’aucun d’eux, jusqu’aux valets, et c’est une merveille, aient laissé échapper de quoi faire naître le plus léger soupçon.

Trudaine, conseiller d’État, à qui M. le duc d’Orléans avoit fort mal à propos ôté la prévôté des marchands, dont il a été parlé ici en son lieu, mourut à soixante-deux ans. Ce n’étoit pas un aigle, mais un très honnête homme, intègre, désintéressé, vertueux.

Le duc de Bouillon mourut en même temps, à quatre-vingt-deux ans, s’étant démis, depuis la régence, de sa charge de grand chambellan et de son gouvernement d’Auvergne en faveur du duc d’Albret, son fils aîné, qui prit le nom de duc de Bouillon, à qui le feu roi ne les auroit jamais laissé passer, et qui, comme on l’a vu ici en son temps, avoit eu de grands procès contre son père et avoit été fort mal avec lui. Le père étoit fort bon homme, prince tant qu’il pouvoit, du reste fort valet, mais du roi seulement, et d’une assiduité qui, jointe avec un esprit extrêmement court, lui avoit entièrement gagné le roi, quoique des aventures de sa femme et du cardinal son frère l’eussent fait éloigner plus d’une fois de la cour. On a vu ici en son lieu que beaucoup d’art, quelque chose de pis de la part du procureur général d’Aguesseau, depuis chancelier, l’habitude et l’affection du roi, sauvèrent sa prétendue principauté, à l’évasion du cardinal de Bouillon du royaume.

Thury mourut aussi à soixante-deux ans, sans avoir été marié, ayant donné ou plutôt trafiqué tout ce qu’il avoit avec le maréchal d’Harcourt. Ils étoient fils des deux frères, mais totalement différents. Thury étoit noir, méchant, cynique, atrabilaire, avec beaucoup d’esprit insolent et dangereux ; et quoique avec méchante réputation à la guerre et dans le monde, reçu en de bonnes compagnies. Il est pourtant vrai qu’un soufflet que le duc d’Elboeuf lui appliqua à table, avec une épaule de mouton, dont il ne fut autre chose, étoit resté imprimé sur sa mauvaise physionomie.

Ils furent suivis du P. Lelong, prêtre de l’Oratoire, bibliothécaire de leur maison de Saint-Honoré, à Paris, où il mourut, à cinquante-six ans, regretté de tous les gens de bien, des savants et des hommes de lettres. Il avoit donné, sous le nom de Bibliothèque historique, [un ouvrage] contenant avec une grande exactitude, une liste, en différentes classes, de tous les ouvrages qui ont rapport à l’histoire de France, sacrée ou profane [2], et un autre sous le titre latin de Bibliotheca sacra, où il a donné le catalogue des manuscrits et des éditions des textes originaux de la Bible et des versions, en toutes sortes de langues, et des auteurs qui ont écrit sur la Bible.

Armenonville obtint pour son fils Morville la survivance de sa charge de secrétaire d’État, et Mme de Ventadour celle de sa charge de gouvernante des enfants de France, pour Mme de Soubise, femme de son petit-fils, quoique très jeune, mais très sage et très convenable à cette place.

Saumery, l’un des sous-gouverneurs du roi, dont il a été parlé ici en plus d’un endroit, comblé déjà de grâces, avec tout ce qu’il falloit pour n’en obtenir aucune en aucun temps, et qui en celui-ci étoit lié avec toute la cabale opposée à M. le duc d’Orléans, en obtint de lui une sans exemple ce fut la survivance de sa place de sous-gouverneur du roi pour son fils acné, qui valoit en tout mieux que lui, car il étoit fort honnête homme, avec du sens, avoit bien servi et étoit envoyé du roi quelque temps à Munich. C’étoit grossièrement lui faire passer les entrées et les appointements de sous-gouverneur, parce que le père étoit de santé à n’y avoir pas besoin d’aide, et à achever, et bien au delà, comme il fit, le temps que le roi avoit à être sous des gouverneurs.

Mme la grande-duchesse [de Toscane] mourut à soixante-dix-sept ans, après plusieurs apoplexies, et fut enterrée, comme elle l’avoit ordonné, parmi les religieuses de Picpus, dans leur cloître. Elle étoit fille aînée du second mariage de Gaston, frère de Louis XIII, avec la sœur de Charles IV, duc de Lorraine. Mme la grande-duchesse avoit été fort belle, et très bien faite et grande : on le voyoit bien encore ; bonne et peu d’esprit, mais arrêtée en son sens sans pouvoir être persuadée. Elle épousa, en 1661, Cosme de Médicis, grand-duc de Toscane, avec un esprit de retour que rien ne put amortir. Elle vécut fort mal avec le grand-duc, dont la patience et les soins pour la ramener furent continuels, plus mal encore avec la grande-duchesse sa belle-mère, qui étoit La Rovère-Urbin, morte en 1694, à soixante-douze ans.

Elle vouloit vivre en liberté à la française, et se moquoit de toutes les manières italiennes. Elle eut assez promptement trois enfants : l’aîné qui mourut longtemps avant son père, sans enfants de la sœur de Mme la dauphine de Bavière ; J. Gaston, marié à une fille du dernier duc de Saxe-Lauenbourg, et dernière elle-même de cette grande et si ancienne maison, avec qui il se brouilla, n’en eut point d’enfants, succéda au grand-duc son père, mort à quatre-vingt-deux ans, en 1723, et mourut sans postérité en [1737] et finit les Médicis, grands-ducs de Toscane, après avoir vu souvent et diversement disposer, pour après lui, de ses États, de son vivant ; enfin l’électrice Palatine, veuve sans enfants, et depuis son veuvage retirée à Florence.

Après avoir eu ces enfants, la grande-duchesse redoubla d’humeur exprès, et de conduite étrange en Italie, avec tant d’éclat que le roi y mit la main, par ses envoyés, diverses fois, et par les cardinaux d’Estrées et Bonzi, allant et revenant de Rome, sans pouvoir lui rien persuader. Elle en fit tant que le grand-duc consentit enfin à son retour en France, mais sous des conditions qui lui donnèrent plus de contrainte qu’elle n’en auroit eue à Florence en vivant bien avec son mari et sa belle-mère, et que le roi lui fit scrupuleusement observer toujours, parce qu’il étoit informé de sa conduite et très content de toute celle que le grand-duc avoit eue avec elle. Il lui assigna une pension telle qu’il plut au roi, voulut qu’elle fût dans un couvent hors de Paris, qu’elle ne couchât jamais à Paris et qu’elle y vint rarement, qu’elle n’allât jamais à la cour que mandée ou pour quelque devoir très nécessaire de famille, dont à chaque fois le roi décideroit, et sans y coucher, à moins que cela ne fût indispensable, au jugement du roi, et encore pour une seule nuit. Elle revint donc de la sorte, vers 1669, fort peu accueillie, confinée au couvent de Picpus, où elle vit très peu de monde. Après bien des années, elle se mit à venir souvent à Paris, chez qui elle pouvoit passer quelques heures, ou à quelques dévotions, sans crédit et avec peu ou point de considération.

Sur la fin de la vie de Monsieur, qui en avoit pitié, elle obtint la liberté de passer à Saint-Cloud le temps qu’il y était. Madame, M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans lui firent toujours fort bien. Mademoiselle, sa sœur de père, la méprisa toujours parfaitement, et Mme de Guise, sa sœur de père et de mère, n’en fit jamais grand cas ; elle jouit de son rang de petite-fille de France et de tous les honneurs qui y sont attachés. Sur les fins, elle quitta Picpus pour le couvent de Saint-Mandé, et après la mort du roi, le grand-duc son mari accorda à M. le duc d’Orléans qu’elle pût loger à Paris. Elle y loua en très -simple particulière une maison à la place Royale, où elle mourut dans une grande dévotion à sa manière depuis longtemps, et, quoique avare, fort appliquée aux bonnes œuvres ; elle étoit fort polie et bonne avec tout le monde.

J’étois alors aux prises avec le cardinal Dubois sur ce qui regardoit mon ambassade, et je voyois en plein ses bonnes intentions qui n’alloient à rien moins qu’à me ruiner et me perdre, en me suscitant des embarras en Espagne les plus ridicules, les plus fous et les plus difficiles à. m’en tirer. Je ne dis que ce mot à cause de ce qui va suivre, pour en raconter le détail de suite lors de mon départ, et ne plus interrompre la matière de l’ambassade. Le cardinal, depuis fort peu après que nous nous fûmes revus, comme je l’ai dit plus haut, me montra à découvert ce que j’en devois attendre, et me délivra ainsi des conditions de notre raccommodement, sur quoi néanmoins il fallut me conduire avec la prudence que demandoit la nécessité de passer sans cesse par lui, jusqu’à mon départ, et dans tout le cours de mon ambassade, et l’incroyable ascendant dont il étoit en pleine possession sur M. le duc d’Orléans. Depuis le commerce étroit et plein de confiance que l’affaire du lit de justice des Tuileries m’avoit procuré avec M. le Duc, il avoit toujours duré le même. M. le duc d’Orléans et M. le Duc l’avoient tous deux désiré, et j’étois souvent entre eux deux pour conserver leur union nécessaire.

Un jour que je causois fort librement avec M. le Duc, il me parla fort librement aussi de beaucoup de choses de sa famille. Nous avions souvent traité ensemble le fameux chapitre de l’enfant de treize mois, dans les temps que la duchesse du Maine ne se faisoit faute d’en parler dans ses grands éclats du procès de la succession de M. le Prince et des disputes sur la qualité de prince du sang que la maison de Condé fit rayer au duc du Maine, et lorsque les bâtards perdirent leur prétendue habilité de succéder à la couronne, que le duc du Maine et Mine de Maintenon avoient arrachée à la mourante faiblesse du feu roi. M. le Duc, à la mort de Mme sa femme, arrivée dans les premiers mois de l’année précédente, avoit retenu des actions et force pierreries de sa succession, malgré les plaintes de Mlle de La Roche-sur-Yon, sa belle-soeur, qui avoient fait et faisoient encore grand bruit dans le monde, et qu’il lui rendit longtemps après quand il commença à songer à sa manière sérieusement à son salut. Ce chapitre avoit été effleuré entre lui et moi, et j’étois peiné qu’il se fit ce tort dans le monde. Je lui proposai donc la nécessité de se remarier pour avoir des enfants, puisque MM. ses frères n’y vouloient point entendre, et pour couper court à toute cette affaire de la succession de Mme sa femme, d’épouser Mlle de La Roche-sur-Yon. Il se mit à sourire, et me répondit que, pour des Conti, il en avoit sa suffisance, et me parla de la conduite de feu Mme la Duchesse, qui en effet ne s’étoit pas contrainte sur les mesures, et qu’il avoit soufferte avec une patience qu’on n’auroit pas attendue de lui, et qu’il n’étendit pas depuis à celle de sa seconde femme. De propos en propos, il me fit des plaintes du peu de confiance de M. le duc d’Orléans, qui d’ordinaire ne lui disoit les choses que lorsqu’elles ne se pouvoient plus cacher. J’excusai cela comme je pus, tant qu’enfin acculé par les faits qu’il m’allégua, je me mis à sourire, et lui dis que, s’il me promettoit de ne le point trouver mauvais, je lui en dirois bien la raison, et le moyen d’établir la plus entière confiance. Après quelques propos généraux et réciproques là-dessus, et qu’il m’eut fort pressé de lui parler en ami, et avec une franchise dont il n’auroit garde de se déplaire je lui dis que, s’il vouloit en user comme faisoit M. le duc d’Orléans, ils seroient bientôt contents l’un de l’autre. Après l’avoir un peu tenu là-dessus, je lui dis qu’il avoit une maîtresse la plus parfaitement choisie pour les charmes du corps et de l’esprit ; qu’à cela je n’avois rien à lui dire ; que c’étoit l’affaire de son confesseur ; mais que M. le duc d’Orléans étoit persuadé qu’il n’avoit point de secrets pour elle ; que cela faisoit qu’il en avoit pour lui ; que, s’il pouvoit être comme M. le duc d’Orléans, qui s’amusoit avec ses maîtresses, avec qui il ne lui échappoit jamais rien de sérieux, je lui répondois qu’il seroit content de la confiance de ce prince. Il se défendit de ce soupçon du régent assez mal, et avec un air peiné dit que c’étoit excuse et prétexte, en sorte que je lui dis que, si je m’étois expliqué si ouvertement avec lui, ce n’étoit que par le désir que j’avois de voir leur union parfaite, si utile au bien de l’État, mais qui au fond lui étoit bien plus nécessaire qu’à M. le duc d’Orléans. On verra dans la suite qu’il rapporta ce point jaloux de notre conversation à Mme de Prie, sa maîtresse, qui ne me le pardonna pas. Revenu bien à lui de ce petit nuage, il jeta tout ce défaut de confiance sur le cardinal Dubois, qui, tant qu’il pouvoit, n’en permettoit que pour soi â son maître, et se mit à pleurer l’aveuglement et la faiblesse de M. le duc d’Orléans pour ce valet indigne, qui en abusoit sans cesse si énormément. Ces propos me firent naître la pensée de revenir par un autre biais à ce que Torcy avoit pensé, et que la sottise du maréchal de Villeroy avoit fait manquer, comme je l’ai expliqué il n’y a pas longtemps.

Il paraissoit dans ce temps-là que le roi aimoit M. le Duc. Je lui en parlai comme en étant fort aise, et tout de suite je lui dis qu’il devroit bien profiter de cette affection du roi pour le bonheur de l’État et de M. le duc d’Orléans lui-même, en faisant bien connoître au roi le danger de cette autorité que le cardinal Dubois avoit usurpée ; la facilité que Sa : Majesté avoit de montrer de l’aversion pour lui, et d’engager M. le duc d’Orléans, qui avoit si grandement fait pour lui, de l’envoyer à Cambrai avec sa calotte rouge, et gorgé d’abbayes pour ne plus revenir à la cour et n’avoir plus aucune part aux affaires. M. le Duc se mit à rire à cette proposition. « Je suis bien aise, me dit-il, qu’on croie que le roi a de l’amitié pour moi et de la confiance, et en effet il m’en témoigne autant qu’il en est capable. Mais tout cela roule sur des riens, et je le connois bien, sans se soucier de moi que par l’habitude de me voir et de me parler, et je puis vous répondre que, si je venois à mourir aujourd’hui, il ne s’en soucieroit non plus que de Mme la grande-duchesse, dont nous portons le deuil, et ne parleroit que des causes de mort qu’on m’auroit trouvées avec la même indifférence qu’il s’entretient de l’ouverture de cette princesse qu’à peine avoitil vue. » Tout de suite il me parla de ce qu’il remarquoit du roi que son assiduité lui faisoit sentir, quelque peu d’esprit qu’il eût, ce qui n’est pas matière de ces Mémoires. Mais le résultat de la conversation fut la parfaite et très certaine inutilité, peut-être même le danger de cette tentative à laquelle le roi étoit radicalement incapable de prendre, quoiqu’on vit bien qu’il avoit une sorte d’éloignement du cardinal Dubois.




  1. Expression proverbiale qui s’appliquait à un homme élevé en fortune, mais pour lequel on n’avait pas une grande considération, parce qu’on l’avait vu autrefois dans une position misérable. On prétend que cette expression vient de ce qu’un paysan ne voulait pas saluer la figure d’un saint de son village, parce qu’elle avait été faite avec un poirier de son jardin.
  2. La Bibliothèque historique du P. Lelong parut en 1719 en un vol. in-fol. Fevret de Fontette en a donné une édition beaucoup plus complète, en 5 vol. in-fol. 7 1768.