Mémoires (Saint-Simon)/Tome 18/16


CHAPITRE XVI.


Grands d’Espagne constamment de la première origine. — Liste alphabétique de tous les grands d’Espagne existant pendant que j’y étais, en 1722, où les maisons et les personnages sont courtement expliqués. — Duc d’Alencastro. — Duc d’Albe. — Duc d’Albuquerque. — Duc del Arco. — Duc d’Arcos. — Duc d’Aremberg. — Duc d’Arion. — Duc d’Atri. — Duc d’Atrisco. — Duc de Baños. — Duc de Bejar. — Duc de Berwick. — Duc de Bournonville. — Duc Doria. — Duc d’Estrées, maréchal de France. — Duc de Frias, connétable héréditaire de Castille. — Titres de connétable et d’amirante de Castille supprimés par Philippe V. — Duc de Gandie. — Duc de Giovenazzo. — Duc de Gravina. — Duc d’Havré. — Duc d’Hijar. — Duc del Infantado. — Duc de Licera. — Duc de Liñarez. — Duc de Liria. — Ducs de Medina-Coeli. — La Cerda, seigneurs de Medina-Coeli. — Dernier direct comte de Foix, etc. — Succession de ses États après lui. — Ses deux bâtards. — Fin malheureuse du cadet. — Fortune énorme de l’aîné. — Bâtards de Foix, comtes, puis ducs de Medina-Coeli. — Figuerroa, ducs de Medina-Coeli. — Amirante de Castille. — Duc de Medina-Sidonia. — Duc de Saint-Michel. — Duc de La Mirandole. — Duc et duchesse de Monteillano. — Duc de Monteléon. — Duc de Mortemart. — Duc de Najera. — Duc de Nevers. — Duc de Noailles. — Duc d’Ossone. — Duc et duchesse de Saint-PierreDuc de Popoli ; son caractère ; son fils et sa belle-fille ; leur caractère. — Duc de Sessa ; duc de Saint-Simon et son second fils conjointement. — Duc de Solferino ; sa fortune. — Duc de Turcis. — Duc de Veragua. — Maréchal-duc de Villars. — Duc d’Uzeda ; sa défection. — Prince de Bisignano. — Prince de Santo-Buono. — Remède sûr et sans inconvénient pour la goutte, au Pérou. — Prince de Butera. — Prince de Cariati. — Prince de Chalois ; sa fortune. — Prince de Chimay. — Prince de Castiglione. — Connétable Colonne. — Prince Doria. — Prince de Ligne. — Prince de Masseran ; son caractère ; sa fortune. — Prince de Melphe. — Prince de Palagonia. — Prince de Robecque. — Prince de Sermonetta. — Prince de Sulmone. — Prince de Surmia. — Prince d’Ottaïano. — Marquis d’Arizza. — Marquis d’Ayétone. — Marquis de Los Balbazès. — Marquis de Bedmar. — Marquis de Camaraça. — Marquis de Castel dos Rios. — Marquis de Castel-Rodrigo. — Prince Pio. — Marquis de Castromonte. — Marquis de Clarafuente. — Marquis de Santa-Cruz ; sa fortune. — Marquis de Laconi. — Marquis de Lede. — Marquis de Mancera. — Marquis de Mondejar. — Marquis de Montalègre. — Marquis de Pescaire. — Marquis de Richebourg. — Marquis de Ruffec. — Marquis de Torrecusa ; caractère de son épouse. — Marquis de Villena, duc d’Escalona ; sa naissance, ses actions, son éloge, sa famille. — Marquis Visconti. — Comte d’Aguilar ; ses faits. — Grandeur de la maison d’Avellano. — Grandeur de la maison de Manrique de Lara. — Comte d’Altamire ; sa famille, son caractère. — Comte d’Aranda. — Comte de Los Arcos. — Comte d’Atarès. — Comte de Baños. — Comte de Benavente ; grandeur de la maison de Pimentel ; jésuites. — Comte de Castrillo. — Comte d’Egmont. — Comte de San-Estevan de Gormaz. — Comte de San-Estevan del Puerto. — Comte de Fuensalida. — Comte de Lamonclava. — Comte de Lemos ; son caractère et celui de la comtesse sa femme. — Comte de Maceda ; son fils et sa belle-fille. — Comte de Miranda. — Comte de Montijo. — Comte d’Oñate. — Comte d’Oropesa. — Comte de Palma. — Comte de Parcen. — Comte de Parédes. — Comte de Peñeranda. — Comte de Peralada. — Comte de Priego ; son adresse à obtenir la grandesse ; son caractère. — Comte de Salvatierra. — Comte de Tessé. — Comte Visconti. — Grands d’Espagne par charge ou état, mais imperceptibles. — Oubli. — Marquis de Tavara. — Marquis de Villafranca. — Mystère des classes et des dates des grandesses. — Impossibilité sur les classes. — Difficultés sur les dates. — Comment reconnues pour la plupart. — État des grands, suivant l’ancienneté entre eux qu’on a pu reconnoître, et par règnes de leurs érections, et les maisons pour qui elles ont été faites, et les maisons où elles se trouvent en 1722. — Medina-Coeli. — Benavente. — Amirante de Castille. — Lemos. — Medina-Sidonia. — Miranda. — Albuquerque. — Villena et Escalona. — Origine de dire les rois jusqu’à aujourd’hui, lorsqu’on a à dire le roi et la reine. — Albe. — Oñate. — Infantado. — Oropesa. — Najera. — Gandie. — Sessa. — Bejar. — Frias. — Villafranca. — Egmont. — Veragua. — Pescaire. — Ayétone. — Ossone. — Terranova et Monteléon. — Santa-Cruz ; cause horrible de cette érection. — Aranda. — Uzeda. — Peñeranda. — Mondejar. — Hijar. — Havré. — Sulmone. — Los Balbazès. — Altamire. — Abrantès et Liñares. — Bisignano. — Castel-Rodrigo. — Torrecusa. — Colonne. — Camaraça. — Aguilar. — Aremberg. — Ligne. — Fuensalida. — Saint-Pierre. — Palma. — Nevers. — Santo-Buono. — Surmia. — Liñares. — Baños C. Parédes. — Lamonclava. — San-Estevan del Puerto. — Montalègre. — Los Arcos. — Montijo. — Baños D. Castromonte. — Castiglione. — Ottaïano. — Castel dos Rios. — Mortemart, éteint. — Estrées, éteint. — Liria. — Gravina. — Bedmar. — Tessé. — La Mirandole. — Atri. — Chimay. — Monteillano. — Priego. — Noailles. — Popoli. — Masseran. — Richebourg. — Chalois. — Robecque. — Maceda. — Solfarino. — San-Estevan de Gormaz. — Bournonville. — Villars. — Lede. — Saint-Michel. — Del Arco. — Ruffec. — Arion. — Oubli sur Mancera avec quelque éclaircissement.


Le chiffre à côté des grands marquera le nombre de grandesses sur la même tête, accumulées par héritages en ceux qui en ont plusieurs, qui toutes ne se peuvent partager, mais tombent au même et seul héritier, et ne donnent jamais en rien aucune distinction ni préférence au-dessus de ceux qui n’en ont qu’une seule. Comme le secret qu’ils affectent de leurs diverses classes et de leur ancienneté les oblige de marcher et de se placer entre eux comme ils se rencontrent, et que les titres de duc, prince, marquis et comte leur sont indifférents, jusque-là que le marquis de Villena porte toujours ce titre de préférence à celui de duc d’Escalona qu’il a aussi, parce qu’il se prétend le premier marquis de Castille, quoique cette qualité ne lui donne quoi que ce soit, je n’ai pu que choisir l’ordre alphabétique pour donner ici la liste des grands d’Espagne, par laquelle on verra qu’il y en a bien plus que de ducs en France, même sans y comprendre ceux qui ont été faits depuis mon retour d’Espagne, ni ceux qui vivent et sont établis hors de l’Espagne. À l’égard de leurs différentes nations, elles se reconnoîtront aisément par les noms de leurs maisons ; on remarquera seulement qu’aucun grand espagnol n’a porté le titre de prince jusqu’à présent. Ajoutons seulement ici que l’opinion commune en Espagne, et qui usurpe l’autorité de la notoriété publique, admet un premier ordre de grands devenus insensiblement tels de ricos-hombres qu’ils étoient lors de l’établissement des grands par Charles-Quint, au lieu des ricos-hombres qu’il abolit. Mais il faut remarquer en même temps que ce premier ordre de grands d’Espagne, dont la liste va suivre, ne leur donne aucune sorte de préférence ni de distinction sur pas un des autres grands les plus modernement faits, ce qui me les fera insérer de nouveau dans la liste générale qui suivra immédiatement celle-ci. Comme il y en a de cette première liste plusieurs qui ont passé depuis en d’autres maisons, je me contenterai, dans la liste générale, de marquer d’une croix à côté du nom de maison des grands, celles qui dans cette liste-ci ont passé de l’état de ricos-hombres à celui de grands d’Espagne.

Ducs de

Marquis de

Ducs de

Marquis de

Medina-Coeli.

Villena.

Ségorbe.

D’Ayétone.

Escalone.

Astorga.

Montalte.

L’Infantade.

Albuquerque.

Comtes de.

Albe.

Benevente.

Bejar.

Lemos.

Arcos.

PLUSIEURS Y AJOUTENT :

Ducs de

Marquis

Medina-Sidonia.

D’Aguilar.

Ces cinq-ci à côté sont, à la vérité, si fort en tout des plus grands et des plus distingués seigneurs, qu’on auroit peine à leur disputer la même origine des précédents.

Najara.

Frias, connétable,

Medina di Rioseco, amirante, héréditaires.

GRANDS D’ESPAGNE EN ORDRE ALPHABÉTIQUE EXISTANT EN TOUS PAYS PENDANT QUE J’ÉTAIS EN ESPAGNE, 1722.

Ducs de :

Abrantès est Alencastro. Voy. p. 392.

9 ALBE [1]est Tolède. Jean II, roi de Castille, fit don, en 1430, de la ville d’Albe en titre de comté, dans le pays de Salamanque, à Guttiere Gomez de Tolède, évêque de Palencia, puis archevêque de Séville, enfin de Tolède, qui le légua à son neveu Ferd. Alvarez de Tolède, dont le fils, Garcia Alvarez de Tolède, qui lui succéda, fut fait duc d’Albe, en 1469, par les rois catholiques. On avertit, une fois pour toutes, que les rois catholiques, dont il sera souvent parlé, sont les célèbres Ferdinand, roi d’Aragon, et Isabelle, reine de Castille, dont le mariage réunit ces deux couronnes et les conquêtes sur les Mores qu’ils repoussèrent en Afrique, leur acquit toutes les Espagnes, excepté le Portugal. Ce premier duc d’Albe fut de mâle en mâle bisaïeul du duc d’Albe, trop fameux par ses cruautés aux Pays-Bas et par la facile conquête du Portugal, dont, peu avant de mourir, il s’empara pour Philippe II, après la mort du cardinal Henri, roi de Portugal. Son fils aîné, premier duc d’Huesca, mourut sans enfants. Il avoit un frère dont le fils lui succéda ; il s’appeloit Antoine de Tolède-Beaumont, parce que sa mère, Briande de Beaumont, étoit héritière du comté de Lerins et des offices de connétable et de chancelier héréditaires de Navarre, où cette maison avoit si longtemps et si grandement figuré. De ce cinquième duc d’Albe est venu, de mâle en mâle, le duc d’Albe mort à Paris ambassadeur d’Espagne, y ayant perdu son fils unique ; l’oncle paternel de ce neuvième duc d’Albe, lui succéda. Il avoit suivi l’archiduc et s’étoit retiré à Vienne, où le comte de Galve, frère du duc de l’Infantade, épousa sa fille. Son beau-père fit enfin sa paix, revint à Madrid, et s’y couvrit comme duc d’Albe. Le duc del Arco, parrain de mon second fils pour sa couverture, prit ce duc d’Albe pour lui aider à en faire les honneurs. Je l’ai fort peu vu à Madrid où il menoit une vie fort retirée. Il y passoit pour un bon et honnête homme. Il me parut fort poli et savoir l’être en grand seigneur. Ces Tolède se distinguent d’autres Tolède par le prénom d’Alvarez.

Albuquerque, Bertrand La Cueva. Henri IV, roi de Castille, fit don, en 1464, d’Albuquerque, dans l’Estremadure castillane, à Bertrand de La Cueva et l’érigea en même temps en duché pour lui, alors comte de Ledesma, dont la postérité masculine finit vers le XVe siècle. M. de La Cueva, héritière, porta le duché d’Albuquerque en mariage à un François nommé Hugues Bertrand, qui prit le nom seul et les armes de La Cueva, duquel toute cette maison descend aujourd’hui. Ce duché y a toujours été conservé par le soin qu’on a pris d’y marier toujours les filles héritières. Cet heureux François ne pouvoit pas être un homme du commun pour trouver un tel établissement en Espagne. On ne peut néanmoins dire qui il étoit ; mais on connoît des Bertrand qui, dès avant 1040, étoffent barons de Briquebec en Normandie, qui ont grandement figuré de père en fils, et immédiatement alliés aux maisons des comtes d’Aumale, de Trie, de Tancarville, de Craon, de Nesle, d’Estouteville, de Coucy, de Sully, cadets des comtes de Champagne, Paynel et Chabot. Robert Bertrand, baron de Briquebec, vicomte de Roncheville, connétable de Normandie, fit, comme seigneur de Honfleur, des dons à l’abbaye du Bec, en 1240. Il fut grand-père de Robert VII Bertrand, lieutenant du roi en Guyenne, Saintonge, Normandie et Flandre, maréchal de France en 1325. Il fut présent à l’hommage qu’Édouard III, roi d’Angleterre, rendit, en 1329, à Amiens, à Philippe de Valois, eut divers autres grands emplois, mourut en 1348 et ne laissa que des filles. Il eut un frère évêque, comte de Beauvois, pair de France, et un autre frère, vicomte de Roncheville, dont pourroit bien être sorti ce Hugues Bertrand si bien établi en Espagne. Mais quelque favorable que puisse en être la conjecture, elle est sans aucune sorte de preuves.

Le douzième duc d’Albuquerque, que j’ai vu en Espagne, étoit petit-fils d’une duchesse d’Albuquerque, laquelle étoit aussi La Cueva, qui avoit beaucoup d’esprit et de lecture, et qui tenoit presque tous les jours chez elle une assemblée de savants et de personnes distinguées et de bonne compagnie. Elle fut camarera-mayor de la reine Louise, fille de Monsieur, lorsqu’elle obtint que la duchesse de Terranova, qui l’étoit, fût renvoyée, ce qui étoit sans exemple en Espagne. Cette duchesse d’Albuquerque la fut aussi de la palatine de Neubourg, seconde femme de Charles II, dont elle obtint la vice-royauté du Mexique, vers la fin de son règne, pour ce duc d’Albuquerque son petit-fils, où il étoit lors de l’avènement de Philippe V à la couronne. Il se mit fort bien avec lui en lui envoyant, aussitôt après qu’il en fut informé, un grand secours d’argent, hors les temps accoutumés, qui arriva fort heureusement et fort à propos. Il y perdit sa femme, et à ce qu’il me dit, son estomac, tellement qu’il ne mangeoit plus que des potages. Ce fut son excuse de se trouver aux repas de cérémonie que je donnai. À la fin il me dit, sur le dernier, dont par règle je le conviai pour la Toison de mon fils aîné, qu’il ne pouvoit plus me refuser toujours. Il y vint donc et me parut surpris du service où il y avoit quantité de potages ; il mangea de tous, mais il se contenta, pour tout le reste, de quelques petites mies de pain qu’il trempa dans toutes les sauces, une seule fois par plat, et témoignoit les trouver fort bonnes.

La première fois que je le vis, ce fut dans une porte de l’appartement de la reine, à mon audience de cérémonie. J’aperçus devant moi, tout contre, un petit homme trapu, mal bâti, avec un habit grossier sang de boeuf, les boutons du même drap, des cheveux verts et gras qui lui battoient les épaules, de gros pieds plats et des bas gris de porteur de chaise. Je ne le voyois que par derrière, et je ne doutai pas un moment que ce ne fût le porteur de bois de cet appartement. Il vint à tourner la tête et me montra un gros visage rouge, bourgeonné, à grosses lèvres et à nez épaté ; mais ses cheveux se dérangèrent par ce mouvement et me laissèrent apercevoir un collier de la Toison. Cette vue me surprit à tel point que je m’écriai tout haut : « Ah ! mon Dieu, qu’est-ce que cela ? » Le duc de Liria, qui étoit derrière moi, jeta les mains à l’instant sur mes épaules et me dit : « Taisez-vous, c’est mon oncle. » Le duc de Veragua et lui me le nommèrent et me le présentèrent aussitôt. Je l’ai fort vu depuis : c’étoit un homme d’esprit, très instruit, fin et adroit courtisan, qui avoit su tirer de la cour et s’y maintenir bien et en considération dans le monde. Sa conversation étoit agréable, polie, instructive. Il avoit, vis-à-vis l’Incarnation, un des plus beaux palais de Madrid et des plus vastes, magnifiquement meublé, avec force argenterie, et jusqu’à beaucoup de bois de meubles qui, au lieu d’être de bois, étoient d’argent. Il étoit fort riche et parloit assez bien françois. Il avoit plusieurs fils : l’aîné, déjà âgé, dont on disoit beaucoup de bien et qui, avant mon départ, fut un des gentilshommes de la chambre du prince des Asturies.

DelArco, Manrique de Lara. Quoique grandement et prochainement allié, il n’étoit pas reconnu unanimement pour être d’une si grande origine, quoique ses pères en eussent toujours porté le nom. La fortune du sien étoit médiocre, et lui crut en avoir fait une que d’être parvenu à une des quatre places de majordome de Philippe V, tôt après son arrivée en Espagne. C’est ce qui me fait différer à parler de cette maison sous un autre titre. C’étoit un grand homme parfaitement bien fait, blond, chose très rare dans un Espagnol, d’un visage agréable, l’air noble et naturel, l’abord gracieux, poli et attentif pour tout le monde, doux et néanmoins ferme et nullement ployant. Il fut tel toute sa vie sans que la faveur y ait jamais rien altéré. Il étoit adroit en toutes sortes d’exercices, grand toréador et fort brave. Il s’étoit fort distingué à la suite du roi dans ses armées en Italie et en Espagne ; le roi prit du goût pour lui fort peu après qu’il fut majordome, et lui d’un grand attachement pour le roi ; cette amitié réciproque parut bientôt en tout et n’a jamais souffert la moindre éclipse, tellement que tout in minoribus qu’il étoit encore, jamais le cardinal Albéroni n’a pu ni le gagner ni l’entamer. Le roi le fit son premier écuyer, et il étoit dans cette charge lors de deux actions qu’il fit qui redoublèrent extrêmement l’estime et l’amitié du roi pour lui. La première fut à une chasse où le roi blessa un sanglier qui vint sur lui et qui l’eût tué, si dans l’instant don Alonzo Manrique ne se fût jeté entre-deux et dessus, et ne l’eût tué. La seconde fut encore à une chasse où le roi et la reine sa première femme étoient à cheval. Ils se mirent à galoper ; la reine tomba le pied pris dans son étrier qui l’entraînoit. Don Alonzo eut l’adresse et la légèreté de se jeter à bas de son cheval et de courir assez vite pour dégager le pied de la reine. Aussitôt après il remonta à cheval et s’enfuit à toutes jambes jusqu’au premier couvent qu’il put trouver. C’est qu’en Espagne toucher au pied de la reine est un crime digne de mort. On peut juger que là rémission lui fut bientôt accordée, avec de grands applaudissements.

Sa faveur croissant toujours, le roi fit en sorte que le duc de La Mirandole voulut bien se démettre de la charge de grand écuyer qu’il avoit, dont les honneurs et les appointements lui furent conservés, et la donna à don Alonzo Manrique, qu’il lit en même temps duc del Arco et grand d’Espagne. Il étoit noble en toutes ses manières, et magnifique et libéral en tout, avec cela extrêmement simple et modeste, et d’un esprit sage, mais médiocre, et beaucoup d’équité et de ménagement. Il avoit l’air si parfaitement et si naturellement François, qu’il auroit passé dans Paris pour l’être, et que j’en fus surpris extrêmement. Avec sa faveur, il ne se voulut jamais mêler de rien, ne demanda jamais rien pour lui, et passa même toute circonspection dans son extrême retenue à demander pour les autres. Par sa charge, il avoit celle de toutes les chasses, où il suivoit toujours le roi, et étoit très charitable et très judicieux à l’égard de ces milliers de paysans employés sans cesse aux battues, dont je parlerai en leur lieu, et c’étoit encore lui qui, comme grand écuyer, ouvroit et fermoit la portière du carrosse du roi. De tous les gentilshommes de la chambre, lui et le marquis de Santa Cruz étoient seuls toute l’année en exercice ; ainsi il falloit habiller et déshabiller le roi tous les jours, et l’hiver porter une bougie dans un flambeau devant lui, depuis son carrosse jusqu’à son cabinet. Tant de fonctions et de détails de charges l’obligeoient à une incroyable assiduité, qui m’empêcha de pouvoir être en commerce avec lui autant que lui et moi l’aurions souhaité. Il portoit derrière sa médaille de chevalier de Saint-Jacques, un petit portrait du roi en miniature, qui étoit très ressemblant. Il se retira avec lui à Saint-Ildefonse à son abdication, et revint avec lui à la mort du roi Louis. Il eut la Toison et le Saint-Esprit, et mourut longues années après, presque aveugle, sans enfants ; son frère, assez obscur, hérita de sa grandesse.

6 Arcos, Ponce de Léon. Jacques II, roi de Castille, avoit donné le comté de Medellin à Pierre Ponce de Léon en récompense de ses services contre les Mores. Il étoit lors cinquième seigneur de Marchea, et le lui retira en 1440 en lui donnant en titre de comté Arcos en Andalousie. Cette maison prétend sortir des anciens comtes de Toulouse. Rodrigue, troisième comte d’Arcos, petit-fils du premier par mâles, fut fait en 1484 marquis d’Arcos et duc de Cadix par les rois catholiques. Faute de mâles, sa fille porta Arcos, etc., en mariage au petit-fils par mâles de son grand-oncle paternel. Les rois catholiques lui retirèrent Cadix, et en échange le firent en 1498 duc d’Arcos et lui donnèrent d’autres terres. Celui que j’ai vu fort familièrement à Madrid étoit le septième duc d’Arcos de mâle en mâle, fils de l’héritière d’Aveiro si comptée en Espagne, dont il est parlé t. III, p. 95-196, et le même dont il est parlé t. III, p. 224, à propos du voyage forcé qu’il fit en France et en Flandre avec le comte de Baños, son frère. Ce duc d’Arcos étoit un homme d’une belle et noble représentation, sa femme aussi, très riches et très magnifiques, ayant un très beau et grand palais, des meubles admirables, et fort aumôniers et gens de bien, fort considérés à Madrid, fréquentant peu la cour et se plaisant en leurs haras et à la plus superbe écurie d’Espagne, en nombre et en beauté de chevaux : tous deux très polis, beaucoup d’esprit et de grandeur ; et le duc d’Arcos fort instruit et du goût pour les livres ; tous deux parlant bien françois et de fort agréable conversation et même libre avec moi.

Aremberg, Ligne. Était en Flandre attaché à la cour de Vienne.

Arion, Sotomayor y Zuniga. Je parlerai de cette maison sous le titre de Bejar. Ce duc d’Arion étoit oncle paternel du duc de Bejar, quoique de peu plus âgé que lui. Il portoit le nom de marquis de Valero, et il étoit un des quatre majordomes du roi quand Philippe V arriva en Espagne, qui prit pour lui un goût et une estime qui a toujours duré ; il étoit vice-roi du Mexique lorsque j’étois en Espagne, où il étoit en vénération ; c’est lui que le roi d’Espagne, bien qu’absent, fit majordome-major de la princesse des Asturies, puis duc d’Arion et grand en arrivant en Espagne peu après que j’en fus parti.

Atri, Acquaviva. Napolitain, frère du cardinal Acquaviva et neveu d’un autre cardinal Acquaviva ; il étoit capitaine des gardes du corps de la compagnie italienne, et en Italie lorsque j’étois en Espagne.

Atrisco, Sarmiento.

Baños, Ponce de Léon, frère du duc d’Arcos. Il s’étoit retiré et établi en Portugal dans les biens d’Aveiro, de sa mère, lorsque j’étois en Espagne.

Béjar, Sotomayor y Zuniga. Les rois catholiques érigèrent cette terre, qui est en Estramadure, en 1488, pour Alvar de Zuniga, second comte de Placencia, et dès 1460 fait duc d’Arevalo par les rois catholiques qui peu après mirent ce titre sur Placencia et enfin sur Bejar, et réunirent à leur couronne Arevalo et Placencia. La nièce du second duc de Bejar en hérita et porta Bejar en mariage en 1533 à Fr. de Sotomayor, cinquième comte de Belalcazar, dont le fils, qui joignit à son nom celui de Zuniga, fut quatrième duc de Bejar. Cette maison de Sotomayor, dans laquelle cette grandesse s’est depuis continuée de mâle en mâle, descend masculinement de Gutiere de Sotomayor, grand maître de l’ordre d’Alcantara, mort en 1456, dont le fils aîné Alphonse fut créé comte de Belalcazar par Henri IV roi de Castille. Le douzième duc de Bejar est celui que j’ai connu familièrement en Espagne. C’étoit un homme d’esprit, sage, timide, qui désiroit fort quelque utile réformation dans le gouvernement, et qui m’en entretint particulièrement plusieurs fois avec le comte de Priego en tiers, son ami intime, par qui il m’avoit fait demander ses conversations, et qui, me voyant si bien avec Leurs Majestés catholiques et avec le marquis de Grimaldo, désiroient ardemment que je m’y employasse, ce que je ne jugeai point du tout à propos, quoique au fond je pensasse comme eux, ce que je ne leur désavouai pas, ainsi que l’impossibilité radicale du remède. Ce duc de Bejar étoit fort honnête homme, instruit et fort pieux ; il avoit eu dès l’âge de six ans, chose unique, la Toison de son père, tué, en 1686, volontaire au siège de Bude. L’empereur s’intéressa fort pour cette grâce si singulière. Longtemps depuis mon retour il maria son fils aîné à une fille de prince de Pons-Lorraine, qui fut dame du palais de la reine, et quelques années après il fut majordome-major du prince des Asturies, gendre du roi de Portugal.

Berwick, Fitzjames. Bâtard de Jacques II, roi d’Angleterre, étant duc d’York et de la sœur du fameux duc de Marlborough, duc et pair de France et d’Angleterre, maréchal de France, général des armées de France et d’Espagne, chevalier des ordres de la Jarretière, de la Toison d’or et du Saint-Esprit, gouverneur de Limousin, tué devant Philippsbourg dont il faisoit le siège en [1734]. Je remets au titre de Liria à parler de cette grandesse.

Bournonville, idem. Cette maison est originaire du Boulonnois où est la terre de Bournonville dont elle tire son nom, et connue dès 1070 ; longtemps François, puis transplantés en Flandre. Il s’agit ici de Michel-Joseph de Bournonville, qui a longtemps porté le nom de baron de Capres. Son père, frère cadet du père de la première maréchale de Noailles, mourut en 1718 gouverneur d’Oudenarde et lieutenant général des armées de Philippe V, et sa mère étoit Noircarmes-Sainte-Aldegonde, seconde femme de son mari. Le baron de Capres monta par les degrés en Flandre au service d’Espagne ; il fit si bien sa cour aux maîtresses de l’électeur de Bavière qu’avec fort peu de réputation dans le monde et de pas plus à la guerre, il devint lieutenant général et chevalier de la Toison d’or, qu’il reçut en 1710 des mains de l’électeur à Compiègne. N’ayant plus rien à gagner avec lui, il passa en Espagne, où il s’attacha servilement à la princesse des Ursins ; qui, comme on l’a vu ailleurs, l’envoya de sa part à elle à Utrecht pour cette souveraineté qu’elle vouloit qu’on lui établît, et qui accrocha si étrangement la paix d’Espagne. Bournonville ne put être admis à Utrecht, y fut méprisé comme il le fut aussi en France et en Espagne de s’être chargé d’une si vile commission. Mais avec un esprit médiocre, il l’avoit très souple, à qui les bassesses, quelles qu’elles fussent, ne coûtoient rien, et qui l’avoit tout tourné aux intrigues et à la fortune avec force langages et beaucoup de désinvolte et de grand monde. Ce bel emploi lui dévoua entièrement la princesse des Ursins, qui le mit si bien auprès du roi d’Espagne que, même après sa chute à elle, il fut fait, en 1715, grand d’Espagne et bientôt après capitaine des gardes du corps de la compagnie wallonne ; il prit le nom de duc de Bournonville et eut encore la clef de gentilhomme de la chambre, mais pas un d’eux n’en avoit aucune sorte de fonction que le duc del Arco et le marquis de Santa Cruz.

J’en reçus à Madrid toutes les avances et toutes les caresses imaginables. Il vouloit aller ambassadeur en France, où résolument on n’en vouloit point, dont il se doutoit bien. C’étoit donc pour lever cet obstacle qu’il me courtisoit. J’avois ordres de l’y barrer sous main, même à découvert de la part du roi s’il étoit nécessaire. C’étoit un éclat que je voulus éviter, qui me coûta un vrai tourment les derniers mois que je passai en Espagne, parce qu’ils se passèrent en importunités journalières là-dessus de sa part, et en efforts de la mienne, pour lui en faire perdre la pensée, jusqu’à la veille de mon départ qu’il m’obséda deux heures le soir dans la cour du Retiro, pour me persuader de l’intérêt qu’on avoit en France de l’y avoir ambassadeur, et me conjurer de le persuader à M. le duc d’Orléans et au cardinal Dubois. S’il ne réussit pas dans ce dessein, il obtint en 1726 l’ambassade de Vienne, dont il n’eut pas lieu d’être content ; mais, accoutumé à savoir se reployer, il ne laissa pas d’être nommé, l’année suivante, premier plénipotentiaire au congrès de Soissons, où il ne se fit que des révérences et des repas, d’où il retourna en Espagne, peu content de Paris et de notre cour, malgré la protection des Noailles auxquels il étoit fort homogène, excepté à sa cousine la maréchale, à qui il ne ressembloit point, car il étoit faux au dernier point, et le sentoit fort loin, et d’une avarice extrême.

Il avoit un frère aîné sans fortune dont il prit le fils auprès de lui. Il n’étoit point marié, et son dessein étoit de lui faire tomber sa grandesse et sa charge. Il étoit fort parmi le monde pendant que j’étois à Madrid, et en même temps peu désiré, peu estimé et peu compté.

Doria, idem, à Gênes, dont il est d’une des quatre premières maisons.

Estrées, idem, François, à Paris. On a vu en son lieu comment il fut fait grand [2].

Frias, Velasco, en Castille, près de Burgos. Les rois catholiques l’érigèrent en duché pour Bernardin Fernandez de Velasco, troisième comte de Haro, et connétable de Castille, après son père, office personnel jusqu’à ce second connétable, qui le rendit héréditaire, tellement qu’ils ont été bien plus connus sous le seul nom de connétables de Castille, que sous celui de ducs de Frias, grandesse qui, pour être toute masculine, n’est jamais sortie de la maison de Velasco. Cette illustre maison, qui a fait plusieurs branches, vient toute de J. de Velasco, rico-hombre et seigneur de Bibriesca et de Pomar avant 1400. Les offices de connétable et d’amirante avoient anciennement des rangs, des droits et des fonctions dans les divers royaumes dont ils l’étoient, qui composent celui d’Espagne ; mais devenus depuis longtemps héréditaires, par conséquent abusifs, tout ce qui y étoit attaché s’étoit tellement perdu qu’il n’en Restoit plus que le titre, qui n’étoit que pour les oreilles, et ne donnoit plus quoi que ce soit. Cette inutilité, l’insolence et la perfidie de l’amirauté, et l’enfance du connétable engagèrent Philippe V, il y a quelques années, à en supprimer même les titres pour toujours par un diplôme exprès et sans dédommagement, parce que ce n’étoit qu’un titre vain et vide de tout. Je n’ai point vu le dernier de ces connétables, parce que son jeune âge l’empêchoit de paroître dans le monde. Il étoit fort riche et fort grand seigneur, le dixième duc de Frias.

Gandie, Llançol dit Borgia, au royaume de Valence, près de la mer. Alphonse Borgia, fait cardinal, 1445, par Eugène IV, succéda, 1455, à Nicolas V, prit le nom de Calixte III, et mourut 1458. Sa sœur avoit épousé Geoffroy Llançol, d’une ancienne maison du royaume de Valence, aux enfants duquel le pape Calixte III fit prendre le nom et les armes de Borgia, dont il ne restoit plus de mâles. Geoffroy Llançol eut de la sœur du pape deux fils et trois filles P. L. Borgia, préfet de Rome, et Rodriguez Borgia, qui fut pape sous le nom d’Alexandre VI, lequel, étant cardinal, avoit eu de Venosa, femme de Dominique Arimano, Romain, quatre fils et une fille, qui épousa successivement Jean Sforze, seigneur de Pesaro, Alphonse d’Aragon, duc de Bisceglia, et Alphonse d’Este, duc de Ferrare. Les fils furent Pierre-Louis Borgia, fait par Ferdinand le Catholique duc de Gandie en 1485, qui mourut accordé avec M. Enriquez, fille de l’amiral de Sicile ; César Borgia, d’abord cardinal qu’il ne demeura pas, et qui devint célèbre par ses crimes, sous le nom de duc de Valentinois ; Jean Borgia, qui succéda au duché de Gandie de son frère aîné, et qui épousa M. Enriquez, qui lui avoit été destinée ; enfin Godefroy Borgia, prince d’Esquillace [3], marié à une bâtarde d’Alphonse, roi d’Aragon, et dont la branche qui a duré longtemps s’est éteinte. César Borgia fit tuer Jean Borgia dans Rome, et jeter son corps dans le Tibre ; mais il laissa un fils et une fille. Ce fils fut Jean II Borgia, duc de Gandie, qui de J., fille d’Alphonse, bâtard de Ferdinand, roi d’Aragon, laissa François Borgia, duc de Gandie, qui, après avoir perdu sa femme, F. de Castro, se fit jésuite, dont il fut bientôt après général : c’est le célèbre saint François de Borgia, mort 1572, et canonisé cent ans après. Il laissa une grande postérité qui se divisa en plusieurs branches, desquelles l’aînée a toujours masculinement conservé le duché et le titre de duc de Candie. C’est le treizième duc de Gandie, que j’ai vu en Espagne, jeune, sans monde ni esprit, obscur et embarrassé de tout, que toutefois la considération de son nom, du duc d’Hijar son beau-père, du cardinal Borgia son oncle, fit l’un des deux gentilshommes de la chambre du prince des Asturies à son mariage.

Giovenazzo del Giudice, Génois transplanté à Naples. C’étoit le prince de Cellamare, ambassadeur en France, qui ourdit avec le duc et la duchesse du Maine la conspiration dont il a été parlé, et tant de lui à cette occasion qu’il n’en reste rien à ajouter ici, non plus que sur le cardinal del Giudice, son oncle paternel, dont il a été beaucoup parlé ici, tant à l’occasion de son voyage à Paris qu’à celle de son expulsion d’Espagne par le cardinal Albéroni. Son frère, le vieux duc de Giovenazzo, qui avoit encore plus d’esprit et d’intrigue que lui, et bien plus de sens, alla s’établir en Espagne, où il parvint à une grande considération. Charles II le fit grand, mais seulement pour trois races, et enfin conseiller d’État. Son fils Cellamare, qui, étant encore ambassadeur à Paris, prit à sa mort le nom de duc de Giovenazzo, avoit épousé à Rome une Borghèse, veuve du duc de La Mirandole, et mère du duc de La Mirandole que je trouvai établi en Espagne. Cellamare en avoit une fille unique, demeurée à Rome dans un couvent, qui avoit cette troisième race de grandesse et de grands biens à porter au mari qui l’épouseroit. On la disoit étrangement laide. Je ne sais ce qu’elle est devenue.

Longues années après mon retour, la cour d’Espagne lit un long voyage à Cadix, Séville, Grenade, etc., et don Joseph Patino étoit lors premier ministre et chef des finances en particulier. Cellamare, je l’appelle toujours ainsi, y étoit comme grand écuyer de la reine, charge qu’il avoit dès le temps qu’il étoit à Paris. Patiño avoit le défaut d’être également infatigable en promesses réitérées et en inexécutions, même de choses à faire sur-le-champ, surtout quand il s’agissoit d’argent. Il y avoit longtemps qu’il menoit Cellamare de la sorte sur le payement de l’écurie de la reine, livrée, fourrages et réparations de voitures, dont Cellamare étoit outré, n’osant trop pousser un premier ministre dans le plus haut crédit et la puissance la plus vaste et la plus absolue. La chose traîna ainsi jusqu’au départ de la cour pour revenir à Madrid, toujours en promesses, et la plupart d’être payé sur-le-champ, sans jamais d’exécution la plus légère. Le matin du départ, Cellamare fut chez Patino lui représenter l’état de l’écurie de la reine, etc. ; il en eut peu de satisfaction, il se fâcha, en vint aux grosses paroles, et entra dans une telle colère qu’il eut peine à regagner son logis, où il se trouva si mal qu’il en mourut le jour même à près de quatre-vingts ans.

Gravinades Ursins, à Naples et à Rome. C’est à présent l’aîné de cette grande maison, si tant est qu’il en reste d’autres branches. Mme des Ursins fit donner la grandesse au duc de Gravina, neveu du pape Benoît XIII.

Havré, Croï, en Flandre. Philippe III l’érigea en duché pour Charles-Alexandre de Croï, de la branche d’Arschot, qui, de gentilhomme de la chambre de l’archiduc Albert, et conseiller au conseil de guerre à Bruxelles, prit le nom de duc de Croï après la mort de Charles duc de Croï, son cousin et son beau-frère. Philippe III le fit conseiller d’État, surintendant des finances des Pays-Bas, chevalier de la Toison d’or et grand d’Espagne. Il fut tué dans sa maison à Bruxelles, à cinquante ans, en 1624, d’un coup de mousquet qui lui fut tiré par une fenêtre. Il avoit épousé, en 1599, Yolande, fille de Lamoral, prince de Ligne, dont il n’eut qu’une fille unique, qui porta sa grandesse et tous ses biens en mariage à Pierre-François, second fils de Philippe de Croï, comte de Solre, qui prit par elle le nom de duc d’Havré. Il fut chevalier de la Toison d’or, gouverneur de Luxembourg et du comté de Chiny, et chef des finances des Pays-Bas, mort à Bruxelles en 1650. Son fils unique, Ferdinand François-Joseph de Croï, duc d’Havré, fut chevalier de la Toison d’or, et mourut à Bruxelles en 1694. Il avoit épousé, en 1668, l’héritière d’Halluyn dans le château de Wailly près d’Amiens, dont il eut Charles-Joseph, duc d’Havré ; tué sans alliance à la bataille de Saragosse, 10 septembre 1710, lieutenant général et colonel du régiment des gardes wallonnes, et Jean-Baptiste-Joseph, duc d’Havré et colonel du régiment des gardes wallonnes après son frère. La princesse des Ursins lui fit épouser la fille de sa sœur et d’Antoine Lanti, dit della Rovere, seigneur romain, à qui sa belle-soeur procura l’ordre du Saint-Esprit en 1669. La chute de la princesse des Ursins attira des dégoûts au duc et à la duchesse d’Havré qui étoit dame du palais de la reine. Le duc d’Havré quitta l’Espagne et se retira en France avec sa femme, et mourut à Paris en 1627. Il laissa deux fils, dont l’aîné, duc d’Havré, grand d’Espagne, s’est fixé au service de France où il est lieutenant général, et a épousé une fille du maréchal de Montmorency, dernier fils du maréchal duc de Luxembourg. Le cadet s’est marié en Espagne à la fille héritière du frère de sa mère qui, comme on le verra ci-après, le fera grand d’Espagne.

Hijar, Silva, ancienne baronnie en Aragon, puis duché, a passé d’héritière en héritière en différentes maisons, et enfin en celle de Silva, où elle ne fut que sur une seule tête par son mariage, dont une seule fille héritière, qui porta ses biens et cette grandesse à Rodrigue de Silva y Sarmiento et Villandrado, comte de Salinas et Ribadaneo, second marquis d’Alenquer, mort au château de Léon, prisonnier d’État, ayant trempé dans la conjuration de Charles Padille contre Philippe IV. Son fils aîné, duc d’Hijar, eut des fils qui n’eurent point d’enfants, et laissèrent leur sœur héritière, qui porta ses biens et cette grandesse en mariage, décembre 1688, à son cousin paternel Frédéric de Silva y Portugal, marquis d’Orani, dont le petit-fils, par mâles, est le huitième duc d’Hijar, que j’ai vu en Espagne, qui fréquentoit peu la cour et le monde, mais qui avoit de la considération. Je l’ai fort peu vu et point du tout fréquenté.

L’Infantado [4], Silva. Cette maison, cette grandesse et le duc del Infantado, du temps de mon ambassade en Espagne, sont traités ci-devant, en sorte qu’il n’en reste rien à expliquer ici, sinon que l’érection en est des rois catholiques en 1475, sous le nom de l’Infantado, et d’héritage en héritage tomba enfin vers 1657 dans la maison de Silva, au cinquième duc de Pastrane.

Pastrane, terre en Castille, vendue avec d’autres, en 1572, par Gaspard Gaston de La Cerda et Mendoza, à Ruy Gomez de Silva, prince d’Eboli, qu’il fit peu après ériger en duché et grandesse pour lui par Philippe II, qui l’avoit fait grand d’Espagne et duc d’Estremera dès 1568 ; et le nouveau duc de Pastrane en préféra le titre à celui de duc d’Estremera qu’il quitta. Il eut plusieurs enfants d’Anne Mendoza y La Cerda son épouse, favorite si déclarée de Philippe II, dont descendent, outre les ducs de Pastrane, les comtes de Salinas, les ducs d’Hijar et les marquis d’Orani d’Elisede et d’Aguilar. L’aîné, Roderic de Silva y Mendoza, fut second duc de Pastrane et troisième prince d’Eboli, et grand-père d’autre Roderic de Silva, cinquième duc de Pastrane, qui devint duc de l’Infantado et de Lerma par sa femme, sœur et héritière de Roderic Diaz de Vivar Hurtado de Mendoza et Sandoval, septième duc del Infantado, mort sans enfants en janvier 1657, et de Diego Gomez de Sandoval, mort aussi sans enfants, juillet 1668. Le duc del Infantado, du temps que j’étois en Espagne, est petit-fils du duc de Pastrane, devenu, comme il vient d’être expliqué, duc de l’Infantado, dont les Silva, depuis cette époque, ont préféré le titre à celui de duc de Pastrane.

Il résulte de ce détail que la date de la grandesse del Infantado doit être prise de la première qu’il ait eue, qui est celle de 1568 de duc d’Estremera qui, sous Charles-Quint, a passé de l’état de rico-hombre à celui de grand d’Espagne.

Licera y Aragon.

Linarès, Alencastro. (Voir t. III, p. 97.) À quoi rien ici à ajouter, sinon que, la grandesse étant tombée à l’évêque de Cuença, qui en prit le titre et cessa de porter le nom d’évêque de Cuença, je le laissai en partant d’Espagne sans avoir fait sa couverture, parce qu’il vouloit la faire avec son bonnet, et que les grands s’y opposoient et vouloient qu’il se couvrit avec son chapeau. Cette contestation, qui duroit, depuis longtemps, retenoit ce prélat à la cour, qui n’en étoit pas fâché, et qui n’étoit pas sans ambition ni sans esprit. Il étoit, comme on l’a vu au renvoi, de la maison d’Alencastro.

Liñarès, en Portugal, érigé en comté par le roi Emmanuel de Portugal pour Antoine de Noroña, fils puîné de Pierre de Noroña y Menesez, issu de la maison royale de Castille. Une fille héritière épousa un autre Noroña, dont le fils fut fait duc de Liñarès par Jean IV, roi de Portugal. Son fils fut fait grand d’Espagne par Charles II, et grand écuyer de la reine sa seconde femme, et mourut à sa suite à Tolède en 1703. Ses deux fils moururent sans postérité, et sa fille aînée portale duché et grandesse de Liñarès en mariage au second duc d’Abrantès.

Liria, fils unique du premier lit du duc de Berwick ci-dessus, qui, après avoir fait tout jeune ses premières armes en Hongrie, retourna en Angleterre sur le point de la révolution, et passa en France avec Jacques II, dont il étoit fils naturel. Il y servit d’abord volontaire, et tôt après lieutenant général tout d’un coup ; il eut bientôt des commandements en chef. Il a tant été parlé de lui dans ces Mémoires, et de l’occasion glorieuse qui lui acquit la grandesse et la Toison à lui et à son fils, qu’il n’est besoin de s’arrêter que sur la singularité de sa grandesse, sur quoi il faut reprendre les choses de plus haut. Il avoit été marié deux fois, et n’avoit de son premier lit qu’un fils unique et plusieurs du second. Il s’étoit si parfaitement flatté d’obtenir son rétablissement en Angleterre que, lorsqu’il fut fait duc et pair de France, il obtint une chose inouïe dans ses lettres, qui fut l’exclusion de son fils aîné, parce qu’il le destinoit à succéder en Angleterre à ses dignités et à ses biens ; mais lorsqu’il fut fait grand d’Espagne, il s’étoit enfin désabusé de cette trop longue espérance, et voulut établir tout à fait en Espagne ce fils aîné. Philippe V, en le faisant grand d’Espagne, lui avoit donné en même temps les duchés de Liria et de Quirica, dans le royaume de Valence, qui avoient été des apanages des infants d’Aragon. Le duc de Berwick obtint de les pouvoir donner actuellement à son fils aîné, et qu’il jouit en même temps de la grandesse conjointement avec lui, ce qui étoit jusqu’alors sans exemple. Son fils aîné prit donc alors le nom de duc de Liria, fit sa couverture, reçut l’ordre de la Toison d’or, et bientôt après épousa la sœur unique du duc de Veragua qui, par l’événement, devint héritière de très grands biens. C’étoit une femme très bien faite, l’air fort noble et les manières, avec de l’esprit, du sens et de la piété, et fort estimée et considérée. On a vu qu’elle fut dame du palais de la princesse des Asturies à son mariage.

Le duc de Liria étoit lieutenant général, et fut gentilhomme de la chambre du roi d’Espagne très peu avant que j’y arrivasse. On a vu toute l’amitié et les services que j’en reçus. Il avoit par deux fois couru grand risque en Écosse et en Angleterre. Il avoit de l’esprit, beaucoup d’honneur et de valeur, et une grande mais sage ambition, étoit aimé, estimé et compté en Espagne, et le fut partout où il alla. Sa conversation étoit très agréable et gaie, instructive quand on le mettoit sur ce qu’il avoit vu et très bien vu en pays divers et en affaires, très bien avec tout ce qu’il y avoit de meilleur en Espagne, ami le plus intime de Grimaldo qu’il n’avoit point abandonné dans sa disgrâce du temps d’Albéroni, et Grimaldo ne l’avoit jamais oublié ; quoiqu’il eût beaucoup de dignité, il ne laissoit pas d’être souple avec mesure et justesse, et fort propre à la cour qu’il connoissoit extrêmement bien. Il avoit un talent si particulier pour les langues, qu’il parloit latin, françois, espagnol, italien, anglois, écossois, irlandois, allemand et russien comme un naturel du pays, sans jamais la moindre confusion de langues. Avec cela il aimoit passionnément le plaisir ; et la vie compassée, uniforme, languissante, triste de l’Espagne lui étoit insupportable. Il étoit fait pour la société libre, variée, agréable, et c’étoit ce qu’on n’y trouvoit pas.

Quelque temps après mon départ, il obtint l’ambassade de Russie, avec une commission à exécuter à Vienne. Il réussit en l’une et en l’autre, tellement que la tzarine, sans l’en avertir, lui jeta un jour le collier de son ordre au cou. Il repassa à Paris, où il se dédommagea tant qu’il put de l’ennui de l’Espagne, et où nous nous revîmes avec grand plaisir. Il me voulut même bien donner quelques morceaux fort curieux qu’il avoit faits sur l’état de la cour et du gouvernement de Russie. Il demeura à Paris tant qu’il put, et bien moins qu’il n’eût voulu, et pour éloigner son retour en Espagne, il obtint permission d’aller voir le roi d’Angleterre à Rome ; de là il alla à Naples, où il fit si bien, qu’il demeura si longtemps que, s’y abandonnant aux plaisirs de la société, et peu à peu à l’amour d’une grande dame, il en mourut de phtisie, laissant plusieurs enfants. C’est un homme que je regretterai toujours. Son fils aîné a recueilli sa grandesse, est grandement établi, mais ne lui ressemble pas.

Medina-Coeli, Figuerroa y La Cerda. La grandeur de l’origine de cette grandesse, et la singularité de sa première continuation, m’engagent à m’y étendre. Alphonse X, roi de Castille, dit l’Astrologue, de son goût pour l’étude, et en particulier pour les mathématiques et l’astronomie, et des fameuses tables dites Alphonsines de son nom qu’il fit dresser sous ses yeux, eut deux fils d’Yolande, infante d’Aragon, son épouse : Ferdinand l’aîné fut gendre de saint Louis ; et Sanche dit le Brave. Ferdinand donna des preuves de son courage contre les Mores, et mourut à vingt et un ans, en 1275, neuf ans avant son père, et laissa deux fils, Alphonse et Ferdinand, qui, je n’ai pu savoir pourquoi, prirent dans la suite le nom de La Corda. Sanche, fils cadet de l’Astrologue, voyant les deux fils de son acné si fort en bas âge, et le roi son père si enterré dans ses études qu’il ne put jamais se résoudre d’aller en Allemagne où il avoit ôté élu unanimement empereur, le méprisa, et conçut le dessein de régner. Les instances persévérantes des princes d’Allemagne, ni les exhortations du pape, n’ayant pu l’ébranler pendant plusieurs années, quoiqu’il eût accepté l’empire, pris le nom d’empereur, souvent promis de passer en Allemagne, les princes de l’Empire, rebutés de tant de remises, se tournèrent du côté du roi d’Angleterre, qui eut plus de volonté, mais non plus de succès, ce qui engagea les Allemands à renoncer à l’un et à l’autre, et à élire Rodolphe, comte d’Hapsbourg, chef fameux de la maison d’Autriche.

Sanche, ravi du mépris, où l’attachement à l’étude et la privation de l’Empire qui en fut l’effet avoit précipité son père, profita de cette passion d’étude pour lui persuader de se décharger sur lui de tous les soins du gouvernement, qui le détournoient de ses occupations les plus chères. Parvenu à régner sous son nom et [à] s’être acquis toute la Castille par sa valeur et sa manière de gouverner’, il songea à faire déshériter ses neveux, et à se faire associer par son père, et couronner roi de son vivant, car jusqu’à la réunion des divers royaumes qui composent l’Espagne, c’est-à-dire jusqu’aux rois catholiques inclusivement, tous ces différents rois se faisoient couronner. Le père y consentit, et presque tout le royaume ; au moins on n’osa y branler. Ce ne fut pas tout, Sanche trouva que son père demeuroit trop longtemps avec lui sur le trône ; il résolut de l’en précipiter, il en vint à bout. Le malheureux père, réduit à ses livres, ne put s’en consoler avec eux. Il implora l’assistance de toute l’Europe contre un fils si dénaturé, qui ne lui en procura aucune. Alors réduit au désespoir, il donna sa malédiction à son fils, le déshérita et sa race autant qu’il fut en lui, rappela ses petits-fils aînés à leurs droits, et à défaut de leur race, appela à sa couronne celle de saint Louis. Il mourut dans ce désespoir, et Sanche sut bien empêcher l’effet des dernières volontés de son père. Ce prince et Jacques Ier, roi d’Angleterre, montrent ce que sont des cuistres couronnés. Des deux malheureux neveux, Alphonse de La Cerda fit la branche dite de Lunel, et Ferdinand fit celle dite de Lara, de la femme que chacun des deux épousa. Cette branche s’éteignit dans le petit-fils de Ferdinand, qui n’eut qu’un fils mort au berceau, et des filles mariées, qui furent emprisonnées et empoisonnées par l’ordre de Pierre le Cruel, roi de Castille, en 1361. Ainsi je ne parlerai point de cette branche.

Alphonse de La Cerda n’oublia rien pour recouvrer le royaume qui lui appartenoit, et dont il prit le nom de roi de Castille, que Sanche, son oncle, avoit usurpé. Ses efforts furent inutiles ; il fut réduit à se retirer en France, où Charles le Bel le fit son lieutenant général en Languedoc. Il épousa Mahaud, dame de Lunel, dont il eut un seul fils connu sous le nom de prince des Îles Fortunées, d’où sont sortis les Medina-Coeli. Il se remaria à Isabeau, dame d’Antoing et d’Espinoy, veuve d’Henri de Louvain, seigneur de Gaësbeck, qui épousa en troisièmes noces J. Ier de Melun, vicomte de Gand. De son second mariage Alphonse de La Cerda eut Charles, dit de Castille ou d’Espagne, connétable de France, qui figura dignement et grandement, et qui fut empoisonné à Laigle en Normandie, où il mourut, par ordre de Charles le Mauvois, roi de Navarre. Ce connétable ne laissa point d’enfants de Marguerite de Châtillon-Blois. Il eut deux frères sans établissements ni alliances, dont un fut archidiacre de Paris, et une sœur mariée en Espagne, à Ruys de Villalobos. Ainsi finit promptement cette branche du connétable. Revenons maintenant à son frère aîné, Louis d’Espagne, prince des îles Fortunées, duquel sont sortis les Medina-Coeli.

Ce Louis de La Cerda eut le don du pape des îles Fortunées, dont il fut couronné roi dans Avignon, par le même pape Clément VI, vers 1344. Ces îles sont les Canaries, qu’il se résolut d’aller chercher sur l’exemple de ceux de Gênes et de Venise sur le bruit de leur découverte ; mais ce fut un dessein qu’il ne put exécuter. Il fut amiral de France, comte de Clermont et de Talmont ; il épousa vers 1370 Léonor de Guzman, dame du port Sainte-Marie, près Cadix, dont il ne laissa qu’une seule fille héritière, appelée Isabelle de La Cerda, dame de Medina-Coeli et du port Sainte-Marie, qui fut veuve sans enfants de Roderic Alvarez d’Asturie. Voyons maintenant à qui elle se remaria.

Gaston Phoebus, comte de Foix, vicomte de Béarn et de Bigorre, dit Phoebus pour sa beauté, dont la magnificence et la cour, la puissance et l’autorité chez tous les princes de son temps sont si vantés dans Froissart, fut toujours brouillé avec Agnès, fille puînée de Philippe III, roi de Navarre, à la cour duquel elle passa presque toute sa vie, et que ce comte de Foix avoit épousée en 1348. Il n’en avoit qu’un fils unique qu’il avoit marié avec Béatrix, fille de Jean comte d’Armagnac, lequel passoit toute sa vie tant qu’il pouvoit auprès de sa mère et du roi de Navarre son oncle. Étant venu voir son père à Orthez, qui haïssait sa femme, et ne l’aimoit guère lui-même, et ne pouvoit souffrir le roi de Navarre, son beau-frère, il en fut assez bien reçu. Au bout de quelques jours le comte de Foix, au retour de la chasse, se mit à table pour souper ; son fils lui présenta la serviette pour laver. Dans cet instant le soupçon et la colère surprirent si à coup le comte de Foix que, croyant que son fils lui alloit porter le coup de la mort en lui donnant la serviette, il tira un poignard de son sein, dont il l’abattit mort à ses pieds, en 1380 ; et c’étoit un jeune homme de très grande espérance, très bien né et bien éloigné d’avoir jamais eu une si horrible pensée. Le père, revenu à lui-même, fut au désespoir, et ne put s’en consoler, et en mourut enfin de douleur, qui lui causa l’apoplexie qui l’étouffa dans l’instant qu’il se lavoit les mains en se mettant à table à Orthez pour souper, en 1391, à quatre-vingts ans, de même façon qu’il avoit tué son fils. Ce fils n’avoir point eu d’enfants, tellement que Matthieu de Foix, vicomte de Castelbon, succéda à Gaston Phoebus au comté de Foix. Plusieurs années auparavant, sa sœur unique, Isabelle, avoit épousé Archambaud de Grailly qui, par elle, succéda au comté de Foix, etc., par la mort sans enfants de Matthieu comte de Foix, etc., frère de sa femme. Le duc de Foix fut fait duc par Louis XIV en 1663, avec Mme de Senecey sa grand’mère, et la comtesse de Fleix sa mère [5], toutes deux dames d’honneur de la reine-mère, et mort il n’y a pas fort longtemps sans enfants, a été le dernier de cette maison de Grailly qui, par ce même héritage de Foix, eut celui de Navarre ensuite aussi par héritage, en porta peu la couronne, qui tomba par une héritière dans la maison d’Albret, et d’elle par la même voie dans la maison de Bourbon, avec les comtés de Foix, Bigorre, Béarn, etc. Reprenons présentement notre sujet.

César Phoebus, comte de Foix, n’avoit d’enfants que le fils qu’il poignarda ; mais il laissa quatre bâtards dont les deux derniers n’ont point paru dans le monde. Bernard, l’aîné des quatre, eut un bonheur extrême, comme on le va voir. Yvain, le second des quatre, le favori du père, brilla à la cour de Charles VI, fut de ce funeste bal où ce roi et sa suite se masquèrent en sauvages, où le feu prit à leurs habits, dont plusieurs moururent brûlés, dont Yvain fut un, sans avoir été marié. Ce fut le 30 janvier 1392.

Bernard, bâtard de Gaston Phoebus, comte de Foix, et l’aîné des trois autres bâtards, alla chercher fortune en Espagne dès 1367, y établit sa demeure, s’y distingua par sa valeur au service du comte de Transtamare contre Pierre le Cruel, roi de Castille, dont il étoit frère bâtard, mais qu’il vainquit et tua, et fut roi de Castille en sa place sous le nom d’Henri II. Bernard eut le bonheur de plaire, à Isabelle de La Cerda, dame de Medina-Cœli et du port Sainte-Marie, fille et seule héritière de Louis de La Cerda ou d’Espagne, prince des îles Fortunées, etc., petit-fils de Ferdinand, fils aîné de Castille et de Blanche, troisième fille de saint Louis, sur lesquels Sanche le Brave, après la mort du même Ferdinand son frère aîné, avant le roi Alphonse l’Astrologue, leur père, avoit usurpé la couronne de Castille. Cet heureux bâtard de Foix fit donc ce grand mariage si disproportionné de lui, et fut fait comte de Medina-Coeli. Il prit en plein et en seul le nom de La Cerda, et les armes au premier et quatrième partis [6], de Castille et de Léon, au second et troisième de France, et tous ces quartiers sans brisure, ainsi qu’il appartenoit à ces malheureux princes déshérités, pères de cette royale héritière. Les trois générations suivantes comtes de Medina-Coeli figurèrent fort à la guerre et dans l’État et par leurs alliances. La quatrième fut Louis II de La Cerda, servit si bien les rois catholiques contre les Mores, qu’en 1491 ils le créèrent duc de Medina-Coeli ; le troisième duc fut fait marquis de Cogolludo ; le sixième épousa l’héritière du duché d’Alcala. Son fils, le septième, épousa l’héritière des duchés de Ségorbe et de Cardonne, des marquisats de Comarès et de Denia et du comté de Sainte-Gadea. Je ne marque sur chacun que les grandesses qu’ils accumulèrent et point les autres terres. Le huitième fils du septième finit la race de ces heureux bâtards de Foix. Ce fut Louis-François, huitième duc de Medina-Coeli, général des côtes d’Andalousie, puis des galères de Naples, ambassadeur à Rome, vice-roi de Naples appelé à Madrid, fait gouverneur du prince des Asturies, et premier ministre d’État 1709. La jalousie et les menées de la princesse des Ursins le rendirent suspect. Il fut accusé d’une conspiration contre l’État, et arrêté comme il alloit au conseil, conduit à Pampelune, puis à Fontarabie, où il mourut fort tôt après sans aucuns enfants de la fille du duc d’Ossone qu’il avoit épousée en 1678. Ses sœurs avoient épousé, l’aînée le marquis de Priego ; la seconde le marquis d’Astorga ; la troisième le dernier amirante de Castille ; la quatrième le duc d’Albuquerque ; la cinquième le marquis de Solera ; la sixième le connétable Colonne ; la septième le duc del Sesto ; la dernière le comte d’Oñate, tous grands d’Espagne. Ainsi la sœur aînée du huitième duc de Medina-Coeli des bâtards de Foix hérita de toutes ses grandesses qu’elle porta après son mariage à son mari le marquis de Priego. Voyons maintenant qui étoit ce marquis de Priego, qui étoit aussi duc de Feria, et doublement grand d’Espagne.

Laurent II, Suarez de Figuerroa, fut fait comte de Feria en Estramadure par Henri IV, roi de Castille, en 1467. Il étoit petit-fils de Laurent Ier Suarez de Figuerroa, maître de l’ordre de Saint-Jacques, qui acquit cette terre, et il fut grand-père d’autre Laurent III Suarez de Figuerroa ; tout cela de mâle en mâle, qui épousa, en 1518, Catherine, fille aînée et héritière de Pierre Fernandez de Cordoue, marquis de Priego, par laquelle il unit les deux grandesses de Feria et de Priego, et le nom de Fernandez de Cordoue, de sa femme, au sien de Suarez de Figuerroa dans sa postérité. Pierre leur fils, mort après son père, mais avant sa mère, fut quatrième comte de Feria, et ne laissa qu’une fille unique laquelle fut bien marquise de Priego, mais non comtesse de Feria, qui ne pouvoit passer aux filles. Ainsi son oncle paternel devint cinquième comte de Feria, et ce fut en sa faveur qu’en 1567 Philippe II le fit duc de Feria, dont le fils, second duc de Feria, venu à Paris de la part de Philippe II, servit si ardemment la Ligue. Sa race s’éteignit dans le quatrième duc de Feria.

Alphonse Suarez Figuerroa étoit troisième fils de Laurent III, troisième comte de Feria, et de Catherine, héritière de Pierre Fernandez de Cordoue, marquis de Priego, et frère cadet du premier duc de Feria, dont il épousa la fille, et fut par elle marquis de Priego. Sa postérité masculine réunit Feria et Priego, par la succession du cinquième marquis de Priego au quatrième duc de Feria. Le fils de celui-ci fut ainsi sixième duc de Feria, et aussi sixième marquis de Priego, et c’est lui à qui Philippe IV accorda les honneurs de grand de la première classe.

Il maria son fils à la sœur aînée du dernier duc de Medina-Coeli des bâtards de Foix, laquelle en recueillit la succession depuis qu’elle fut veuve et qu’elle transmit à son fils Emmanuel Figuerroa de Cordoue et La Cerda, marquis de Priego, duc de Feria et Medina-Coeli, etc., père de celui que j’ai vu en Espagne, et qui y étoit fort considéré. Il avoit un fils déjà grand, qui portoit le nom de marquis de Cogolludo et qui, depuis mon retour, acquit de nouvelles grandesses par son mariage avec la fille unique héritière du marquis d’Ayétone. Le père, et le fils étoient autant du grand monde et de la cour que des seigneurs espagnols naturels en pouvoient être, fort polis : je les voyois fort familièrement. Ce sont ceux de cette cour qui se sont souvenus le plus longtemps de moi, par leurs lettres, bien des années depuis mon retour. Le palais de Medina-Coeli, presque au bout de Madrid, vers Notre-Dame d’Atocha, est peut-être le plus spacieux qu’il y ait dans la ville et très somptueusement meublé. Le roi d’Espagne s’y retira à la mort de la reine sa première femme, et y a demeuré jusque fort près de son second mariage. J’y ai vu une comédie extrêmement magnifique, dans une salle faite pour ce spectacle, où le duc de Medina-Coeli avoit convié toute la cour et le plus distingué de la ville, hommes et femmes, après le retour de Lerma, où je vis le duc de Linarez, tout évêque qu’il étoit, et le cardinal Borgia ; tout y étoit plein, mais avec un grand ordre et décence, et rien de plus magnifique que l’abondance des rafraîchissements et de tout ce qui accompagna la fête.

Medina de Rioseco, Enriquez y Cabrera, amirante héréditaire de Castille. Cette maison depuis son origine, ses grandesses, le personnel de l’amirante de Castille, lors de l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne, ont été traités avec un si grand détail, (t. III, p. 122), sa conduite depuis sa fuite en Portugal, le triste personnage qu’il y fit jusqu’à sa mort, (t. III, p, 435), qu’il ne s’en pourroit faire ici que d’ennuyeuses redites.

2 Medina-Sidonia, Guzman. C’est le premier duché des Castilles. Les antérieurs à celui-là sont éteints. Il est en Andalousie, vers le détroit de Gibraltar. Jean II, roi de Castille l’avoit donné, sans érection, à J. Guzman, maître de l’ordre de Calatrava. Cette terre tomba à Henri Guzman, second comte de Niebla, dont le fils aîné, Jean-Alphonse de Guzman, fut créé, en février 1445, par le même roi Jean II, duc de Medina-Sidonia, mais seulement pour sa personne. Le roi Henri IV l’étendit, en février 1460, non seulement à sa postérité légitime, mais encore à son défaut à l’illégitime. Cela sent bien le mauresque et l’Afrique. La maison de Guzman est une des plus anciennes, des plus grandes et des plus illustres d’Espagne, et y figuroit fort dès le Xe siècle. Le duché de Medina-Sidonia est demeuré dans la postérité masculine et légitime du premier duc. On a suffisamment parlé du duc de Medina-Sidonia à l’occasion du testament de Charles II et de l’arrivée de Philippe V en Espagne [7], dont il fut grand écuyer, puis chevalier du Saint-Esprit, et de son fils qui aima mieux conserver sa golille et vivre obscur que de faire sa couverture après la mort de son père. C’est ce fils qui étoit duc de Medina-Sidonia lorsque j’étois en Espagne, et que je n’ai vu ni rencontré nulle part.

Saint-Michel, Gravina, d’une des plus grandes maisons de Sicile, où il avoit très bien servi et s’étoit fort endetté à soutenir le parti de Philippe V tant qu’il avoit pu ; en considération de quoi il avoit obtenu la grandesse. Il étoit venu à Madrid pour y faire sa couverture ; mais, comme je l’ai dit ailleurs, je l’y laissai encore sans s’être couvert faute d’avoir pu payer la médiannate et les frais, qui vont loin, sans avoir pu obtenir ni remise ni diminution, ce que tout le monde trouvoit fort injuste. Il étoit vieux, estimé et accueilli ; mais la tristesse de sa situation le rendoit obscur. Comme toute sa famille étoit en Sicile où il comptoit retourner, je ne m’y étendrai pas davantage.

LaMirandole, Pico. Je ne m’arrête sur ce seigneur italien, fait grand d’Espagne par Philippe V, qui le fit aussi son grand écuyer, que parce qu’il s’est établi en Espagne après avoir perdu toute espérance de rétablissement dans ses petits États d’Italie, où ses pères étoient comme souverains, et dont l’empereur Léopold les a dépouillés sans retour, parce qu’ils se sont trouvés à sa bienséance. Les Pic sont connus dès 1300, par Fr. Pico, seigneur de La Mirandole et vicaire de l’Empire. J. Pic et Fr. son frère, quatrième génération de ce premier François, furent faits comtes de Concordia, 1414, par l’empereur Sigismond. Le fameux Pic de La Mirandole, le phénix de son siècle par son immense savoir, mort sans alliance en 1494, n’ayant pas encore trente-deux ans, étoit frère cadet de Galeot Pic, seigneur de La Mirandole, comte de Concordia, qui étoit la quatrième génération du premier comte. Galeot Pic, second du nom, comte de Concordia et premier comte de La Mirandole, mort 1551, étoit petit-fils du frère du savant Pic de La Mirandole, et père de Silvie et de Fulvie, qui épousèrent le comte de La Rochefoucauld et un autre La Rochefoucauld, comte de Randan, du premier desquels viennent les ducs de La Rochefoucauld. Ce même père de ces deux dames de La Rochefoucauld le fut aussi d’un comte de La Mirandole et de Concordia, duquel le fils, nommé Alexandre, fut fait duc de La Mirandole, en en 1619, par l’empereur Ferdinand II, duquel le duc de La Mirandole, que j’ai vu en Espagne, est la quatrième génération. Son frère a depuis été cardinal par Clément XI, dont il étoit maître de chambre. Ce duc de La Mirandole s’étoit vu sur le point d’être rétabli dans ses États et d’épouser la princesse de Parme, qui eut depuis l’honneur d’être la seconde femme de Philippe V, et qui conserva toujours de l’amitié et une grande distinction pour lui et pour la femme qu’il épousa depuis, sœur du marquis de los Balbazès, que j’ai vue aussi en Espagne et qui fut noyée dans sa maison de Madrid, réfugiée dans son oratoire, par une subite inondation dont j’ai parlé ailleurs, quoique arrivée depuis mon retour. Ce duc de La Mirandole étoit un fort bon et honnête homme, fort pieux et considéré ; sa mère étoit Borghèse, fille du prince de Sulmone, remariée à Cellamare qui en étoit veuf, et qui vivoit avec lui dans une étroite amitié.

Monteillano, Solis. Cette maison peut être comparée à quelques françaises qui se sont élevées à une grande fortune. Celui-ci étoit proprement de ce que nous appelons de robe. Il s’éleva par ses talents jusqu’à être gouverneur du conseil de Castille, et il eut assez de faveur pour être fait grand d’Espagne et duc de Monteillano par Charles II, depuis quoi il n’a presque plus paru. Il avoit épousé une sœur du prince d’Isenghien, gendre du maréchal d’Humières, qui avoit de l’esprit, du monde, encore plus de sens. Ce fut elle que la princesse des Ursins choisit pour lui garder la place de camarera-mayor de la reine, lorsqu’elle frit chassée la première fois et qu’elle reprit à son retour triomphant en Espagne. Cette grande place l’avoit fait connoître, aimer et considérer dans le peu de temps qu’elle l’occupa, et c’est ce qui la fit choisir dans la suite pour remplir la même place auprès de la princesse des Asturies, où on en fut fort content : dans l’entre-deux elle avoit perdu son mari. Elle avoit un fils qui étoit jeune, dont on disoit du bien. Je l’ai vu, mais sans aucun commerce. Il avoit, dit-on, du goût pour la lecture et la retraite, et il paraissoit peu à la cour et dans le monde. Je ne répondrois pas que cette grandesse n’eût été achetée dans les grands besoins où Charles II s’est trouvé plus d’une fois ; car il manqua toujours d’argent.

2 Monteléon, Pignatelli. On connoît Jacques Pignatelli, gouverneur de la Pouille dès 1326, et cette maison, qui est fort étendue, pour une des grandes, des plus illustrées de titres et des plus hautement alliées du royaume de Naples. Hector [8] Pigriatelli, quatrième duc de Monteléon, vice-roi de Catalogne, fut fait grand d’Espagne en 1613, par Philippe III. Nicolas Pignatelli, vice-roi de Sardaigne et chevalier de la Toison d’or, fils dernier cadet de cet Hector, épousa la fille héritière du septième duc de Monteléon, petit-fils de son frère, et devint par elle huitième duc de Monteléon et de Terranova, dont la mère de son père étoit héritière, et fut ainsi grand d’Espagne. Ce fut lui qui, comme le plus ancien chevalier de l’ordre de la Toison d’or qui fût lors en Espagne, y donna en cérémonie le collier à Philippe V à son arrivée. On a parlé de lui, t. III, p. 128, en son lieu, à propos de la saccade du vicaire. Il se retira bientôt après à Naples où étoient ses duchés et tous ses biens, y fut très -partial de la maison d’Autriche, et n’est pas revenu depuis en Espagne, ni aucun de sa famille.

Mortemart, Rochechouart, François, duc et pair, à Paris. C’est la grandesse du duc de Beauvilliers que Philippe V lui donna en arrivant en Espagne, dont il avoit été le gouverneur. Elle passa au duc de Mortemart, qui avoit épousé sa fille unique héritière, et par la mort d’eux et de leurs enfants cette grandesse est éteinte depuis mon retour.

Nagera, Osorio y Moscoso, frère cadet du comte d’Altamire, à l’article duquel je remets à parler de leur maison. Najera ou Nagera, car il s’écrit et se lit des deux façons. Cette terre, qui est en Castille, fut érigée en duché par les rois catholiques, 1482, pour Pierre Manrique de Lara, dit le Vaillant, second comte de Trevigno, et dixième seigneur d’Amusco. Cette grandesse est tombée cinq fois en différentes maisons par des filles héritières. Pendant que j’étois en Espagne, don Joseph Osorio y Moscoso, frère cadet du comte d’Altamire, eut cette grandesse par son mariage avec Anne de Guevara y Manrique, qui en étoit l’héritière et file du défunt frère du dixième comte d’Oñate.

Nevers, Mancini, son père, fils d’une sœur du cardinal Mazarin, fut duc à brevet. Il ne put ou négligea d’obtenir l’enregistrement de ses lettres, quoique la toute-puissante faveur de son oncle se soit trouvée dans la suite presque la même pour lui par celle de Mme de Montespan, dont il avoit épousé la nièce, fille de Mme de Thianges sa sœur, dont la faveur étoit grande aussi auprès du roi, et a duré autant que sa vie qui a dépassé de plusieurs années le renvoi de Mme de Montespan. M. de Nevers, qui personnellement n’avoit jamais rien mérité du roi, et son fils beaucoup moins encore, fort fâché de ne pouvoir espérer que son fils fût duc, chercha partout une grandesse à lui faire épouser. Il trouva enfin M. A. Spinola, fille aînée et héritière de J. B. Spinola, qui pour de l’argent s’étoit fait faire prince de l’Empire, en 1677, par l’empereur Léopold, et depuis, par la même voie, grand d’Espagne par Charles II, dans leurs pressants besoins de finances. Ce mariage ne se fit pourtant célébrer qu’en 1709, deux ans après la mort du duc de Nevers, et son fils qui jusqu’alors avoit porté le nom de comte de Donzy, prit celui de prince de Vergagne, mais sans rang ni honneurs qu’à la mort de son beau-père en Flandre, où il étoit lieutenant général et gouverneur d’Ath. La duchesse Sforza, sœur de sa mère, et dans la plus grande et plus longue intimité de Mme la duchesse d’Orléans, profita de la régence de M. le duc d’Orléans, et le fit faire duc et pair sans avoir jamais vu ni cour ni guerre.

Noailles, idem. Il y a eu tant et tant d’occasions ici de parler et de s’étendre sur le duc de Noailles, qu’il suffit de dire qu’avec la faveur de sa famille et celle de Mme de Maintenon, dont il avoit épousé l’unique nièce et héritière, fille de son frère, il ne lui fut pas difficile d’obtenir en Espagne tout ce qu’il voulut.

Ossuna, Acuña y Tellez Giron. La maison d’Acuña, fort nombreuse en branches tant espagnoles que portugaises, et la maison de Silva, prétendent sortir de la même origine aussi illustre qu’ancienne, et y sont autorisées par les meilleurs auteurs, qui les font masculinement descendre de Fruela, roi de Léon, des Asturies et de Galice, par le ricohombre Pélage Pelaez, duquel sont masculinement sortis Gomez Paez de Silva, dont toute la maison de Silva est descendue, et Ferdinand Paez qui le premier prit le nom d’Acuña, du lieu d’Acuña-Alta, qu’Alphonse Ier, roi de Portugal, lui avoit donné, et duquel toute sa postérité conserva le nom. La septième génération masculine de ce Ferdinand Paez, seigneur d Acuña, fut Martin Vasquez de Acuña, qui fut comte de Valence, épousa 1° Thérèse, fille et héritière d’Alphonse Tellez-Giron, dont il eut un fils qui porta le nom de Tellez-Giron ; [2°] il épousa l’héritière de la maison de Pacheco, et en eut deux fils. Jean, l’aîné, porta le nom de Pacheco de sa mère, et Pierre, le cadet, prit le nom de Giron, de la mère de son père. L’aîné de ces deux frères est le chef de la branche aînée de toute la maison d’Acuña-Pacheco, ducs d’Escalope. Le cadet, mort, 1466, maître de l’ordre de Calatrava, est le chef de la seconde branche d’Acuña-Tellez-Giron, ducs d’Ossone.

Son arrière-petit-fils de mâle en mâle fut Pierre d’Acuña-Giron, cinquième comte d’Urenna, vice-roi de Naples, créé, 1562, duc d’Ossone en Andalousie, entre Séville et Malaga, par Philippe II. C’est de mâles en mâles aînés la cinquième génération que nous avons vue ; savoir : le sixième duc d’Ossone qu’on a vu en son lieu être venu à Paris lors de l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne pour y saluer son nouveau roi, voir la cour de France et joindre le roi d’Espagne avant son arrivée à Madrid ; le même duc d’Ossone, premier plénipotentiaire d’Espagne à Utrecht, et mort en Flandre peu après la signature de cette paix ; et son frère le comte de Pinto, duc d’Ossone, après la mort de son frère, ambassadeur d’Espagne en France pour le mariage du prince des Asturies avec la fille de M. le duc d’Orléans. On a suffisamment parlé de l’aîné en son temps, et le cadet n’a rien eu qui mérite d’en rien dire.

Saint-Pierre, Spinola, Génois, de l’une des quatre grandes maisons de Gênes, trop connue et trop nombreuse pour m’y étendre. Quoique accoutumée aux honneurs, aux grandeurs, aux plus grands emplois et fertile en grands hommes, il est pourtant constant en Espagne que François-Marie Spinola, duc de Saint-Pierre et gendre de Philippe-Antoine Spinola, quatrième marquis de Los Balbazès, grand d’Espagne et général des armes du Milanois, acheta la grandesse de Charles II en 1675 ; il acheta aussi la principauté de Piombino que l’empereur s’appropria sans le rembourser. Il chercha protection dans ce malheur pour y intéresser les cours de France et d’Espagne, et comme il étoit veuf il épousa, 1704, à Paris, la seconde sœur du marquis de Torcy, ministre d’État et secrétaire d’État des affaires étrangères, qui étoit veuve avec des enfants du marquis de Resnel, Clermont-d’Amboise. Lui aussi en avoit de sa première femme qui ont figuré en Espagne avec beaucoup de réputation à la guerre où l’aîné a commandé des armées et est devenu capitaine général et grand d’Espagne après son père. Le duc de Saint-Pierre, lassé à Paris de ne voir point avancer ses affaires sur Piombino, emmena sa femme errer en Italie, quelque peu en Allemagne, la ramena à Paris, puis en Espagne. Il fut peu de temps à Bayonne majordome-major de la reine douairière d’Espagne, sœur de la mère de l’empereur et de l’électeur palatin ; mais voyant que son crédit à Vienne ne lui servoit de rien, il la quitta et s’en alla à Madrid où sa femme fut dame du palais de la reine et fort bien avec elle. Je les trouvai ainsi à Madrid où je les vis fort et en reçus toutes sortes de prévenances et de civilités. Elle avoit enfin apprivoisé la jalousie et l’avarice de son mari, qui d’ailleurs étoit un homme d’esprit, fort instruit et de bonne compagnie, avec des manières naturellement fort nobles et fort polies. Les étrangers s’assembloient chez eux, et des Espagnols quelquefois aussi ; on y jouoit quand on vouloit, et ils ne laissoient pas de donner assez souvent à manger. Depuis mon départ, le duc de Saint-Pierre fut gouverneur de don Carlos, et enfin chevalier du Saint-Esprit. Il avoit de la valeur, avoit peu de temps commandé une armée, et étoit capitaine général de Charles II. Il mourut à Madrid, fort vieux, en 1727. C’étoit un grand homme blond, maigre, bien fait, de bonne mine, et qui sentoit fort son grand seigneur. Sa veuve demeura longtemps à Madrid, où, ennuyée enfin de la vie peu gaie et peu libre qu’on y mène, elle obtint permission de venir faire un tour en France. Elle y a conservé tant qu’elle a pu sa place et ses appointements de dame du palais de la reine d’Espagne qu’elle amusoit de ses lettres, et le cardinal Fleury des réponses qu’elle en recevoit. Ce manége ne lui valut pas la moindre chose en France, et lassa la reine d’Espagne, qui la rappeloit inutilement, et qui lui ôta enfin sa place et ses appointements, tellement qu’elle est demeurée pour toujours à Paris avec beaucoup de goutte, très peu de bien, et moins encore de considération, quoique bien dans sa famille. Elle n’a point eu d’enfants du duc de Saint-Pierre.

Popoli, Cantelmi. Une des meilleures maisons du royaume de Naples. Lors de l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne, le cardinal Cantelmi étoit archevêque de Naples, et son frère le duc de Popoli grand maître de l’artillerie de Naples, de la conduite desquels le roi, et le roi son petit-fils, furent extrêmement contents. Ce duc de Popoli avoit succédé à ce duché de son frère aîné et à presque tous ses biens fort considérables dans le royaume de Naples, par son mariage avec la fille de son frère aîné, qui n’en avoit que deux, et point de garçons. Ce dernier duc de Popoli étoit un grand homme brun, bien fourni, avec un beau visage mâle, qui sentoit son grand seigneur, et un général d’armée avec toutes les manières, grandes, avantageuses, polies. Il ne se pouvoit rien ajouter à son extérieur. Il avoit beaucoup d’esprit et de conduite, encore plus de manége et d’intrigue, beau parleur, et disant ou taisant ou accommodant tout ce qu’il vouloit à ses vues, avec beaucoup d’insinuation et de grâces, haut par nature, bas à l’excès quand il croyoit en avoir besoin, ambitieux, avare à l’excès, encore plus poltron, faux, double, extrêmement dangereux, et ne se souciant que de son argent et de sa fortune à laquelle il sacrifia toutes choses.

Il passa à Paris allant en Espagne. Le roi, qui cherchoit à attacher au roi son petit-fils les grandes maisons et les grands seigneurs de ses nouveaux royaumes, et fort content de tout ce que ces deux frères avoient fait à Naples, le reçut avec distinction ; lui en habile homme tira sur le temps, fit valoir ce que pouvoit à Naples le cardinal son frère qui en étoit archevêque, leur grande parenté, leurs amis, et demanda l’ordre que le roi lui promit, et dont il lui envoya les marques longtemps même avant qu’il y eût reçu le collier du roi d’Espagne, qui lui donna aussi celui de la Toison. Les révolutions qu’on a vues en leur lieu ayant mis toute l’Espagne en armes, le duc de Popoli servit et eut des commandements, qui avec la considération de sa personne, et à l’aide de ses intrigues et de ses propos avantageux, le portèrent promptement au dernier grade militaire d’Espagne, qui est capitaine général, dont il s’acquitta fort mal à la tête de l’armée de Catalogne, qu’il remit au duc de Berwick, et s’en retourna à Madrid comme on alloit commencer le siège de Barcelone. Lorsque Philippe V se donna des compagnies des gardes du corps sur le modèle inconnu jusqu’alors en Espagne de celles du roi son grand-père, le duc de Popoli, déjà grand maître de l’artillerie, obtint la compagnie des gardes du corps italienne, et la querelle du banquillo [9] étant survenue, qu’on a vue en son lieu, le roi d’Espagne fit grands d’Espagne ceux des capitaines de ses gardes du corps qui ne l’étoffent pas, entre autres le duc de Popoli. Enfin il devint gouverneur du prince des Asturies, puis son majordome-major à son mariage.

Je le trouvai dans cet éclat en Espagne, et toutefois le seigneur de la cour le plus parfaitement décrié. Sa femme, à qui il devoit tous ses grands biens, et qu’on disoit fort aimable de figure et de manières, avoit été faite dame du palais de la reine qui l’aimoit fort, et sa réputation sur la vertu étoit entière. Elle mourut un peu étrangement, et il passoit publiquement pour l’avoir empoisonnée par jalousie, jusque-là que la reine le lui a souvent reproché. Il en avoit un fils unique qui portoit le nom de prince de Peltorano, bon garçon, point du tout méchant, et ayant même de la valeur ; mais étourdi, fou, débauché à l’excès. Son père, en ne lui donnant rien ou fort peu par avarice, l’avoit rendu escroc, et il le fut et grand dissipateur toute sa vie. Le duc de Popoli voyant ses instructions, exhortations, répréhensions, punitions inutiles, imagina un moyen de le contenir. Il étoit compatriote et ami intime du vieux duc de Giovenazzo, père de Cellamare ; il lui demanda en grâce de tenir son fils à son côté, de le mener avec lui faire ses visites, et de le veiller et tenir de près comme il auroit pu faire lui-même. Il crut que, quel que fût son fils, le respect et la présence de ce vieillard le retiendroit, lequel pour son esprit, ses talents, les places qu’il avoit remplies étoit dans une grande considération et respecté de tout le monde. Ce bonhomme eut assez d’amitié pour le duc de Popoli, pour lui accorder sa demande, en sorte que le jeune Peltorano étoit chez lui et avec lui du matin au soir, et l’accompagnoit partout où il alloit, et qu’il n’avoit pas un instant de libre. Voici de quoi il s’avisa :

Il sut par hasard qu’un seigneur, dont j’ai oublié le nom, ne seroit pas sûrement chez lui, et il proposa au duc de Giovenazzo de l’aller voir, parce qu’il le visitoit quelquefois, et qu’il y avoit du temps qu’il n’y avoit été. Le bonhomme le loua de cette attention et de son désir d’aller voir un homme auprès duquel il y avoit toujours à apprendre, et il lui dit qu’il l’y mèneroit l’après-dînée. Peltorano, sûr de son fait, prit ses précautions. Les maisons de Madrid, même les plus belles, n’ont point de cours, au moins y sont-elles fort rares. Les carrosses arrêtent dans la rue où on met pied à terre ; on entre par la porte qui est comme nos portes cochères dans un lieu large et long, qui ne reçoit de jour que par la porte, et qui a des recoins très obscurs, et l’escalier est au fond par lequel on monte dans les appartements. Arrêtés à la porte de ce seigneur, on leur vint dire qu’il n’y étoit pas ; tout aussitôt Peltorano pria le vieux duc de lui permettre de descendre un moment pour un besoin dont il étoit fort pressé, saute à bas et entre dans ce porche couvert ; le temps qu’il y fut parut un peu long au bonhomme, et il étoit prêt d’envoyer voir s’il ne se trouvoit point mal, lorsque Peltorano revint et monta en carrosse tranquillement avec beaucoup d’excuses. Comme le carrosse partoit et se mettoit au pas, comme on va dans Madrid, une courtisane sort du porche, se jette au carrosse, se prend par les mains à la portière, crie et injurie Peltorano qu’il l’escroque, qu’il lui a donné ce rendez-vous, qu’il lui a promis quatre pistoles, et qu’il s’en va sans la payer. Le vieux duc tout effaré la veut chasser ; elle crie plus fort, qu’elle sera payée, qu’elle ne quittera point prise qu’elle ne le soit, et qu’elle criera à tout le peuple qu’ils la veulent affronter ; elle fit tant de bruit, et avec une telle résolution, que le bonhomme, comblé de honte, de colère et d’indignation, tira quatre pistoles de sa poche qu’il lui donna pour se délivrer d’elle, tandis que le Peltorano, qui n’avoit pas un sou sur lui, s’étoit tapis dans le coin du carrosse, et riait sous cape du désarroi du bon vieillard, par qui il s’étoit fait mener à son rendez-vous, et à qui encore il le faisoit payer. Le duc de Giovenazzo, délivré pour son argent de cette effrontée, s’en alla droit chez le duc de Popoli, à qui il conta son aventure, lui remit son fils pour ne plus s’en jamais mêler, et lui déclara qu’il ne s’exposeroit pas à un second affront. Le Peltorano fut bien pouillé et chapitré, ne fit qu’en secouer les oreilles, et n’en devint pas plus sage ; il ne fit qu’en rire et conter son joli exploit.

C’est ce garnement-là qui épousa la fille du maréchal de Boufflers, comme on l’a vu en son lieu, et que je trouvai à Madrid dame du palais de la reine, et fort bien avec elle, et avec tout le monde sur un pied d’estime et de considération. Son beau-père en avoit beaucoup pour elle, et son mari aussi, qui la laissoit vivre à la française, voir qui elle vouloit, et donner presque tous les jours à souper, où mes enfants et ceux qui étoient venus avec moi soupoient souvent, et passoient leurs soirées jusque fort tard, avec fort bonne compagnie d’étrangers dont le mari profitoit aussi, et ils y jouoient quelquefois. Le duc de Popoli, qui ne logeoit pas avec eux, mais au palais, le savoit bien, et le trouvoit bon, la reine aussi, quoique là-dessus assez difficile ; mais ils connoissoient le mari qui avoit fait plus d’une fois d’étranges présents à sa femme, et ils lui vouloient adoucir les malheurs d’avoir un tel mari. À la fin depuis mon départ ses maux mal guéris et repris augmentèrent ; elle se tourna entièrement à la dévotion jusque-là qu’elle voulut quitter sa place et se retirer dans un couvent. La reine qui l’aimoit et la plaignoit la retint tant qu’elle put ; mais enfin, vaincue par ses prières, elle y consentit, mais à condition qu’elle irait dans les descalceales reales [10], dans un appartement qu’elle lui feroit accommoder, qu’elle viendroit voir la reine, et que la reine l’irait voir par la communication du palais à ce couvent, qu’elle garderoit toujours sa place sans en faire de fonctions pour les reprendre quand il lui plairoit, et ajouta une pension aux appointements de sa place. Elle fut généralement regrettée de tout le monde. Sa retraite ne fut que de deux ou trois ans qu’elle y passa dans la plus grande piété et beaucoup de souffrances, au bout desquels elle y mourut, tandis que son mari, devenu très riche par la mort de son père, dissipoit les trésors qu’il avoit amassés. Il eut dans la suite des aventures fâcheuses qui le firent enfermer, et longtemps, plus d’une fois en Espagne et en Italie.

À l’égard du père, dès qu’on l’avoit vu deux ou trois fois, on s’apercevoit aisément de presque tout ce qu’il étoit avec ses compliments outrés. Malgré sa figure imposante, on sentoit le faux de loin, et l’affronteur en tous ses propos, à tel point que je n’ai jamais compris comment il a pu parvenir à une si grande fortune. Ses grands emplois de capitaine des gardes du corps, et de gouverneur du prince des Asturies, et son talent d’intrigue et de cabale le faisoient compter, mais au fond tout le monde s’en défioit et le méprisoit.

J’ai déjà dit qu’il fut le seul seigneur dont je ne reçus aucune civilité, si on excepte les compliments à perte de vue dont il m’accabloit quand je le rencontrois, ce qui n’arrivoit qu’au palais, et encore rarement ; aussi ne m’en contraignis-je pas en propos, et en ne lui rendant aucune sorte de devoir. Il se fit écrire une seule fois et fort tard à ma porte ; j’avois été chez lui en allant la seconde fois chez le prince des Asturies. En partant pour mon retour, je ne manquai à aucune visite moi-même, quelque nombreuses qu’elles fussent, excepté la sienne, et je pris mon temps de m’envoyer faire écrire chez lui que j’étois au Mail à faire ma cour à Leurs Majestés Catholiques, et qu’il ne pouvoit l’ignorer. Pendant cette promenade où la reine, toujours à côté du roi, faisoit toujours la conversation avec le peu de gens considérables qui l’accompagnoient, et une conversation fort agréable et familière, je pris la liberté de lui demander où elle me croyoit alors ; elle se mit à rire et me dit : « Mais ici où je vous vois. — Point du tout, madame, repris je, je suis actuellement chez le duc de Popoli, où je prends congé de lui ; » et de là en plaisanteries, car elle ne l’aimoit point tout Italien qu’il fût.

Il ne la fit pas longue après mon départ. Il mourut dans le mois de janvier suivant, regretté de personne. On lui trouva un argent immense que son avarice avoit accumulé. Le duc de Bejar fut majordome-major du prince des Asturies en sa place.

3 Sesse, c’est Sessa, Folch-Cardonne. Ce duché dans le royaume de Naples fut donné par Ferdinand le Catholique au grand capitaine Gonzalve de Cordoue, qui n’eut point de mâles, et dont la fille héritière porta ce duché en mariage à Fernandez de Cordoue, comte de Cobra, de sa même maison. Elle en eut un fils que Philippe H fit en 1566 duc de Baëna, qui est un lieu à huit lieues de Cordoue, et qui par sa mère fut aussi duc de Sesse. Il ne laissa que deux filles Françoise, l’aînée, veuve sans enfants d’Alphonse de Zuniga, marquis de Gibraleon, fit cession de ses duchés à Antoine Folch de Cardonne, descendu du premier comte de Cardonne, second duc de Somme au royaume de Naples, fils du premier duc de Somme, et de Béatrix, sœur cadette de Françoise. C’étoit un seigneur dont Philippe II estimoit fort l’esprit et le sens. C’est de lui que descend de mâle en mâle le duc de Sesse, que j’ai fort vu en Espagne, qui ne ressembloit guère à celui dont on vient de parler. Celui-ci étoit un grand garçon, fort bien fait, ayant la tête plus que verte, aimant fort le vin, chose fort rare dans un Espagnol, et d’ailleurs étourdi et débauché à merveilles, par conséquent méprisé, quoique assez dans le monde, mais fort rarement au palais. Il n’étoit point marié.

Saint-Simon, idem, et mon second fils conjointement avec moi pour en jouir tous les deux ensemble et en même temps.

Solferino, Gonzague, cadet d’une branche de Castiglione. Son père, fort pauvre déjà, l’étoit devenu tout à fait par les guerres d’Italie, de sorte qu’il envoya ce fils en France avec un petit collet, dans l’espérance qu’il y attraperoit quelque bénéfice pour vivre. Il étoit noir, vilain, crasseux, et paraissoit un pauvre boursier de collège. Personne ne le recueillit, personne même ne lui parloit dans les appartements de Versailles ; il n’entroit que dans les maisons ouvertes, où on ne lui disoit mot, et encore n’alloit-il que dans fort peu. Il importuna tellement le roi de sa présence qu’il revint une fois de Trianon, où tout le monde pouvoit aller lui faire sa cour, quelques jours plus tôt que ce qu’il avoit fixé, et ne put s’empêcher de dire, tout mesuré qu’il étoit toujours, qu’il n’avoit pu tenir davantage à voir à tous les coins dallées, et à toutes les portes de son passage, ce petit abbé de Castillon et Fornare, dont on a parlé ailleurs. À Paris, cet abbé n’étoit pas mieux venu. Sa ressource étoit chez le duc d’Albe, ambassadeur d’Espagne. Il y fit si bien sa cour à la duchesse d’Albe qu’après la mort de son mari, elle le remena avec elle en Espagne, où tant fut procédé qu’elle l’épousa, et pour ne pas déchoir, le roi d’Espagne eut pour elle la considération de le faire grand d’Espagne, et peu après lui accorda une clef de gentilhomme de sa chambre ; mais sans exercice, comme ils étoient tous. Il perdit sa femme comme j’arrivois à Madrid. La douleur lui persuada de se faire capucin, et quand je l’allai voir, je trouvai sa chambre sans tapisserie ni meubles, avec un châlit sans ciel ni rideaux, et trois ou quatre méchants sièges de paille, avec un capucin avec lui. Cette grande douleur ne fut pas longue. Il épousa avant mon départ une Caraccioli, fille du prince de Santo-Buono, qui étoit peut-être la seule belle personne qui fût dans Madrid. L’esprit lui étoit venu avec le pain assuré, et il étoit fort dans le grand monde, estimé et bien reçu partout, et bien mieux peigné qu’il ne l’étoit à Paris.

Tursis, Doria, Génois, et à Gênes, de l’une des quatre grandes maisons de Gênes, où ces ducs de Tursis se sont fait compter depuis longtemps par une escadre de galères qu’ils ont depuis longtemps à eux, et dont ils ont souvent fort bien servi les rois d’Espagne.

Veragua, Portugal y Colomb. On a parlé et tâché d’expliquer (t. III, p. 88 et suiv.), les branches royales de Portugal [11], Oropesa, Lemos, Veragua, Cadaval, etc. ; ainsi je n’en ferai point de redites ; j’ai assez touché le personnel de ce duc de Veragua, depuis, pour n’avoir que peu à ajouter. On se souviendra seulement que c’est de lui que j’ai reçu le plus de bonnes instructions sur les grandesses, les maisons, et les personnages d’Espagne ; qu’il étoit frère de la duchesse de Liria, et qu’elle a hérité de ses grands biens, parce qu’il étoit veuf sans enfants d’une sœur du duc de Sesse, et qu’il ne se remaria point.

Ce duché et grandesse fut institué et donné en 1537, par Charles-Quint, à Diego Colomb, second grand amiral des mers, et vice-roi des Indes ou des terres découvertes par son père, le fameux Christophe Colomb, qui étoit de Ligurie, et qui avoit été le premier vice-roi et grand amiral des Indes. Philippe II, en 1556, échangea Veragua contre la Vega, dans l’île de la Jamaïque, avec Louis Colomb, fils aîné de Diego, et revêtit La Vega des mêmes titres et honneurs accordés à Veragua par l’empereur son père, nonobstant quoi Louis Colomb, ainsi que ses successeurs, ont toujours pris les titres de ducs de Veragua et La Vega, et de seigneurs de la Jamaïque, ce dernier on ne sait sur quoi fondé. Louis Colomb ne laissa que deux filles. L’aînée se fit religieuse, l’autre porta tous ses biens et ses titres en mariage à son cousin germain, fils du frère cadet de son père, et n’eut point d’enfants. Les deux sœurs de Louis Colomb, disputèrent ce grand héritage, Marie et Isabelle, qui fut enfin adjugé au petit-fils d’Isabelle Nuñez de Portugal y Colomb, qui fut ainsi quatrième duc de Veragua et père d’Alvare, cinquième duc de Veragua, et celui-ci père de Pierre-Emmanuel, sixième duc de Veragua, qui eut la Toison, et fut vice-roi de Galice, de Valence et de Sicile, et enfin conseiller d’État, tout cela avec beaucoup d’esprit et de talents, grande avarice, foi très douteuse entre la maison d’Autriche et le nouveau roi d’Espagne, Philippe V, en tout un homme habile, adroit, dangereux, et de fort mauvaise réputation.

C’est le père du duc de Veragua que j’ai vu en Espagne, et qui, avant la mort de son père, portoit le nom de marquis de la Jamaïque, et étoit venu en France sous ce nom, avec la chimère de rattraper sur les Anglois l’île de la Jamaïque ; dont il se prétendoit dépouillé par eux. Longtemps après mon retour, il revint en France pour la même chimère, qu’il poursuivit près de deux ans fort inutilement, quoi que le duc de Berwick et moi lui pussions dire, et dépensa cependant fort gros avec une fameuse chanteuse de l’Opéra. À la fin il tomba malade assez considérablement ; la peur du diable le prit, il eut peine néanmoins à se séparer de cette fille, à qui il donna fort gros. Les vapeurs et les scrupules l’enfermèrent à ne vouloir voir personne. Il fit de grandes aumônes, et s’écrioit souvent qu’il se repentoit bien d’avoir fâché Dieu : c’étoit son expression. Enfin il s’en retourna dans cet état en Espagne à fort petites journées ; il y vécut deux ans toujours enfermé dans les mêmes vapeurs, ne voyant presque que sa sœur la duchesse de Liria, qu’il laissa enfin par sa mort une des plus puissantes héritières qu’il y eût en Espagne. Il avoit été à la tête des finances et du conseil des Indes avec capacité et probité. La jalousie d’Albéroni l’avoit tenu deux ans prisonnier dans le château de Malaga, où il s’étoit si bien accoutumé qu’il n’en vouloit point sortir. C’étoit un homme de beaucoup d’esprit et de connoissances, d’une paresse de corps incroyable qui diminuoit son ambition, un peu avare, fort doux et bon, sale et malpropre à l’excès, ce qu’on lui reprochoit sans nul ménagement, de fort bonne, agréable et instructive compagnie, et charmant dans la société, quand il faisoit tant que de s’y prêter. Il étoit aimé et fort mêlé avec le meilleur monde, souvent malgré lui et sa paresse, jusqu’à ce que ses vapeurs en eurent fait un reclus. En lui finit cette branche de Portugal.

Villars, idem. Le maréchal de Villars, sans avoir jamais servi le roi d’Espagne, ni eu aucun rapport avez lui, fut fait grand d’Espagne au commencement de la régence, au grand étonnement de tout le monde, et sans qu’on ait jamais su pourquoi. Il le dut, je crois, à ses vanteries et à ses rodomontades dont la cour d’Espagne fut la dupe, et crut faire par là une acquisition importante qui ne lui servit jamais à rien. On a vu ailleurs ses étranges frayeurs à la découverte de la conspiration de Cellamare et du duc du Maine, dont il fut très réellement sur le point de mourir. Il ne tint pas à lui d’être fait par l’empereur prince de l’Empire. Richesses et grandeurs tout lui fut bon.

UZEDA, Acuña Pacheco Tellez-Giron. Cette terre qui est en Castille, fut érigée en duché par Philippe III pour Christophe de Sandoval y Roxas, fils aîné du duc de Lerme, son premier ministre, depuis cardinal. Christophe fut marié, mourut avant son père en 1624, laissa un fils de la fille du huitième amirante de Castille, et ce fils, qui fut second duc d’Uzeda, mourut en Flandre en 1635, et ne laissa que deux filles. L’aînée porta le duché de Lerme et beaucoup d’autres biens en mariage à Louis Ramon Folch, sixième duc de Cardonne et de Segorbe ; et la cadette, j’ignore par quelle exception, porta le duché d’Uzeda en mariage, en 1645, à Gaspard d’Acuña Tellez-Giron, cinquième duc d’Ossone, dont elle n’eut que des filles, desquelles l’aînée porta le duché d’Uzeda en mariage, en 1677, à J. Fr. d’Acuña Pacheco, Tellez-Giron, troisième comte de Montalvan, qui descendoit de mâle en mâle du fils aîné du premier duc d’Escalope, marquis de Villena, et de l’héritière de Tellez-Giron, par son troisième fils Alphonse, dont ce troisième comte de Montalvan fut la septième génération masculine, et par son mariage troisième duc d’Uzeda. C’est lui qui se trouva ambassadeur d’Espagne à Rome, à la mort de Charles II et à l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne. On a vu en son lieu qu’il s’y conduisit si bien d’abord qu’il fut compris dans les cinq premiers chevaliers du Saint-Esprit espagnols que le roi fit à la prière du roi son petit-fils, mais que, voyant les affaires mal bâter en Italie, il quitta à Rome le caractère d’ambassadeur de Philippe V, renvoya le collier du Saint-Esprit au feu roi, chose jamais arrivée jusqu’alors, prit la Toison que l’archiduc lui envoya, erra longtemps en Italie sans nulle considération dans le parti qu’il avoit embrassé, se retira enfin à Vienne où il vécut longtemps fort pauvre et fort méprisé, y mourut dans cet état, et y laissa ses enfants.

Princes de

Bisignano, Saint-Séverin à Naples, dont à tous égards c’est une des premières et plus grandes maisons, qui y a dans tous les temps puissamment figuré, et qui prétend avec fondement tenir le fief de Saint-Séverin de Robert Guiscard, en récompense des services rendus à ce conquérant. Louis de Saint-Séverin, septième comte de Saponara, et sixième prince de Bisignano, né en 1588, fut fait grand d’Espagne, dont sa postérité masculine jouit encore aujourd’hui.

Santo-Buono, Carraccioli. On peut à peu près dire de cette maison napolitaine ce qui a été dit de la précédente. Celle-ci prétend tirer son origine de Grèce, et avoir grandement figuré sous les empereurs de Constantinople grecs. Elle est divisée en deux par les armes : les Carraccioli rouges qui portent d’or à trois bandes de gueules au chef d’azur, et les Carraccioli au lion qui portent d’or au lion d’azur. Si ces deux divisions ont la même origine, laquelle en ce cas est sortie de l’autre, c’est ce que je laisserai à expliquer. Ces différents points ont tous leurs conjectures. L’opinion la plus reçue est que c’est la même maison, puisque de toute ancienneté ces deux divisions ont porté jusqu’à présent le même nom de Carraccioli, et qu’il n’est pas rare que les branches anciennes de la même maison, en conservant le même nom, aient pris des armes différentes. Celle de Joyeuse en France, c’est-à-dire Châteaurandon, qui est son vrai nom, en fournit un exemple qui est encore sous nos yeux. Quoi qu’il en soit, le prince de Santo-Buono que j’ai vu en Espagne, homme d’esprit, et qui savoit beaucoup, avouoit, après s’être fort appliqué aux recherches de sa maison, que les Carraccioli au lion, dont il étoit, étoient cadets des Carraccioli rouges, mais masculinement et de la même maison. Ces deux divisions se sont étendues en une infinité de branches presque toutes illustres par les emplois, les titres, les alliances et les grandes possessions.

Matthieu Carraccioli, quatrième prince de Santo-Buono, et second duc de Castelsangro, mort en 1694, et marquis de Buchiniaco, et comte de Nicastro, fut fait grand d’Espagne. Il étoit père de celui que j’ai vu en Espagne, qui avoit été ambassadeur à Venise, et vice-roi du Pérou. C’étoit un fort honnête homme, très considéré, d’une conversation charmante et instructive, et que j’ai beaucoup vu. Il étoit allé fort goutteux au Pérou. Il y trouva une herbe qui, prise comme du thé, guérissoit de la goutte, sans aucun des inconvénients des remèdes de l’Europe qui, en guérissant la goutte en apparence, ne font que déranger le cours ordinaire de cette humeur qui se porte sur les parties intérieures, et tue, peu de temps après l’apparente guérison des membres. Le prince de Santo-Buono eut la curiosité de faire un voyage de plus de cinquante lieues du côté des montagnes pour voir cette herbe en son pays natal. Il la vit, il en usa, il se diminua beaucoup la goutte ; mais comme il y étoit sujet dès sa jeunesse, et qu’il en étoit déjà estropié, il ne put que diminuer et rendre rares ses attaques de goutte, et demeura estropié à peu près comme il l’étoit avant que d’en avoir pris. Je lui reprochai de n’en, avoir point apporté avec lui pour en faire des épreuves, et voir quel soulagement en tireroient les goutteux ainsi séchée et après un si long voyage. La difficulté qu’avoit le prince de Santo-Buono à marcher et à se tenir debout, jointe à la considération de sa personne, lui avoit procuré la distinction d’aller en chaise à porteur, quoiqu’il n’eût pas la qualité de conseiller d’État, et qu’au palais on lui apportoit un tabouret en attendant que le roi parût. Il avoit des enfants fort honnêtes gens, d’une Ruffo, fille du quatrième duc de Bagnara au royaume de Naples, où je les crois retournés depuis la mort de leur père, arrivée peu après mon retour. Les étrangers s’accoutument difficilement à l’Espagne. Il faut de grands liens pour les y fixer.

Butera, Branciforte, à Naples.

Gariati, Spinelli, à Naples.

Chalois, Talleyrand, à Paris, François. La princesse des Ursins avoit épousé en premières noces l’oncle paternel aîné de ce nouveau prince de Chalois, qui fut de ce fameux duel des La Frette, dont il a été parlé ailleurs, et qui fut obligé de sortir promptement du royaume. Il mourut à Venise, allant trouver sa femme à Rome, qui y resta et qui y épousa le duc de Bracciano, aîné de la maison des Ursins, dont l’histoire a été racontée ici. Devenue arbitre de tout en Espagne et ayant fort aimé son premier mari, et par conséquent voulant élever ce qui lui étoit proche, elle fit venir en Espagne ce neveu de son premier mari, dont on a vu en son lieu les voyages et les manœuvres, et enfin le fit faire grand d’Espagne sans la permission du roi, qui déclara qu’il pouvoit demeurer en Espagne et qu’il ne lui permettroit jamais de jouir en France du rang ni des honneurs de grand d’Espagne. La chute de Mme des Ursins lui fit perdre le peu de considération qu’il s’étoit acquise.

Je le vis beaucoup en Espagne, et le désir qu’il avoit de venir jouir de sa grandesse dans sa patrie, et la part qu’il savoit que j’avois dans l’amitié et la confiance de M. le duc d’Orléans, et qui avoit tant de puissantes raisons de ne lui être pas favorable, l’engagea à ce que je n’oserois dire, me faire beaucoup sa cour. Il n’en avoit pas besoin. L’inconcevable et toujours infructueuse débonnaireté de M. le duc d’Orléans fit, sans ma participation, tout ce qu’il put désirer dès qu’il sut ce qu’il désiroit. Il fit, après mon retour, plusieurs voyages en France où il vouloit se stabilier [12].

Il étoit pauvre et seulement exempt des gardes du corps en Espagne, dont il tiroit peu, et ne le vouloit pas perdre, et n’avoit jamais servi en France et fort peu en Espagne. À la fin, lassé de passer si souvent et si peu utilement les Pyrénées, il prit congé de l’Espagne pour toujours, et il épousa la sœur du duc de Mortemart, veuve de Cani, fils unique de Chamillart, et dont elle étoit ennuyée de porter le nom, quoiqu’elle en eût des enfants, qu’elle et lui traitèrent toujours avec tendresse. Ayant ce tabouret, elle devint dame du palais de la reine. Chalois pourchassa longtemps l’ordre du Saint-Esprit sans avoir pu l’attraper. À l’ivresse de la cour, dans tous les deux, succéda le dégoût ; elle donna sa place à sa fille qu’ils avoient mariée à son cousin germain, neveu de Chalois, et [ils] se sont presque tout à fait retirés de la cour et du grand monde.

Chimay, Hennin Liétard, de Flandre. Lui et son troisième frère se distinguèrent fort à la guerre et devinrent de bonne heure lieutenants généraux au service de Philippe V. L’électeur de Bavière, étant gouverneur général des Pays-Bas sous Charles II, l’avoit pris en amitié tout jeune, et tout jeune lui procura de ce roi l’ordre de la Toison d’or, dont il reçut le collier des mains de l’électeur. Après l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne, et tandis que la princesse des Ursins la gouvernoit, il passa avec son troisième frère en Espagne, où ils continuèrent à servir, tandis que le second frère, archevêque de Malines, suivit la révolution des Pays-Bas soumis par l’empereur, malgré lequel ensuite, comme on l’a vu en son lieu, il se fit tout dévotement cardinal. Le prince de Chimay fit si bien sa cour à la princesse des Ursins qu’elle [le] fit faire grand d’Espagne. Il devint mon gendre : j’en parlerai ailleurs. Castiglione, Aquino, à Naples, que nous prononçons Aquin, maison qui tire son origine de ces seigneurs lombards qui, à la chute de leur royaume, se répandirent dans ce qui a fait depuis le royaume de Naples et s’y emparèrent de plusieurs villes, en sorte que, dès l’an 1073, Artenulphe étoit comte d’Aquin et duc de Gaëte, dont la postérité masculine a possédé Aquin jusqu’à aujourd’hui, et par ses grandes possessions, ses grands emplois, ses grandes alliances, passe avec raison pour une des premières maisons d’Italie, et a donné saint Thomas d’Aquin à l’Église. Thomas, prince de Castiglione, de Fercoletto et de San Mango, duc de Néocastre, comte de Martorano, dernier cadet de la maison d’Aquin, et gendre, en 1686, d’Alexandre Pie, duc de La Mirandole et de Concordia, fut fait grand d’Espagne par Charles II, et a eu postérité masculine. Charles II fit grand d’Espagne, 1699, Thomas d’Aquin, sixième prince de Castiglione.

Colonne, idem, à Rome, où cette grande et puissante maison figure si hautement depuis près de sept cents ans, et dans toute l’Italie, par ses diverses branches, ses grandes possessions, ses grands emplois, ses illustres alliances sans nombre, plusieurs papes, une foule de cardinaux et beaucoup de grands hommes et qui ont eu le plus de part aux guerres et aux grands mouvements de l’Italie. Fabrice Colonne, duc de Paliano et de Taliacolto, mort en 1520, fut le premier de sa maison connétable du royaume de Naples, charge qui, jusqu’à aujourd’hui, est demeurée héréditaire à sa postérité masculine. Laurent Onuphre fut le septième, eut la Toison d’or et fut fait grand d’Espagne. Il mourut en 1641.

Doria, idem, à Gènes, de l’une des quatre premières maisons de cette république.

Ligne, idem, en Flandre, dont la mère étoit Lorraine Chaligny, nièce de la reine Louise, épouse du roi Henri III, et petit-fils du premier prince de Ligne, créé 1601 par l’empereur Rodolphe III [13]. Il eut la Toison d’or, ainsi que son père, son grand-père, son bisaïeul, et son frère aîné, mort, en 1641, sans enfants. Il fut général de la cavalerie aux Pays-Bas, ambassadeur d’Espagne en Angleterre, vice-roi de Sicile, gouverneur général du Milanois, grand d’Espagne 1650, conseiller d’État, mort à Madrid en décembre 1679 ; il épousa une Nassau-Dilembourg-Siégen, veuve de son frère aîné, avec dispense. Cette grandesse est demeurée en sa postérité masculine, qui a servi Philippe V, et qui est retournée au service de l’empereur, lorsque les Pays-Bas espagnols sont retournés sous sa domination.

Masserano, Ferrero, originaires du diocèse de Verceil, avec la chimère de descendre de la grande et illustre maison Acciaïoli ; mais la vérité est qu’on ne les connoît guère avant l’an 1500 qu’ils eurent un cardinal, un évêque de Verceil en 1506, et un autre cardinal en 1517 ; ils en ont eu depuis trois autres et plusieurs évêques et abbés dans les États des ducs de Savoie. Le neveu du premier de ces cardinaux fut marquis de Masseran, situé dans le Piémont. Sa mère étoit Fiesque ; dont ils ont depuis mis les armes sur le tout des leurs qui sont d’Acciaïoli, sans aucune preuve d’en être, au premier et quatrième ; au second et au troisième de l’Empire, par quelque concession ; ainsi, à proprement parler, ils n’ont point d’armes à eux. Dans la suite, ils se sont trouvés si honorés de l’alliance de Fiesque qu’ils en ont ajouté le nom au leur. Ce premier marquis de Passeran épousa une Sforze Santa-Fiore, puis une Raconis, des bâtards de Savoie. Son fils épousa une bâtarde du duc Charles-Emmanuel de Savoie, de laquelle vinrent ses enfants, puis une Grillec-Saint-Trivier du même nom qu’étoit Brissac si longtemps major des gardes du corps de Louis XIV. Ce second marquis de Masseran fut fait prince de l’Empire et de Masseran par la protection du même duc de Savoie dont il avoit épousé la bâtarde. Son fils épousa une Simiane Pianezze, dont il eut un fils unique qui épousa, en 1686, une bâtarde du duc Charles-Emmanuel de Savoie ; car il y en a eu trois de ce nom.

Le mariage du roi d’Espagne Philippe V avec une fille de Savoie fit espérer à ce troisième prince de Masseran quelque fortune pour son fils en Espagne. Il l’y envoya jeune et fort bien fait. On l’appeloit le marquis de Crèvecoeur. Il avoit de l’esprit, de la galanterie, savoit mêler la réserve avec la hardiesse, avoit grande envie de faire fortune et tous les talents de courtisan qui y conduisent. Il s’attacha à faire sa cour à la princesse des Ursins et à la reine ; sa faveur pointa et s’augmenta tellement auprès de l’une et de l’autre que le monde en parla. Il n’en fut que mieux avec elles, et il en profita pour ménager habilement les ministres et les plus grands seigneurs. Son père mourut ; il prit le nom de prince de Masseran, et la même faveur le fit, tôt après, grand d’Espagne. Il fut un des six seigneurs affidés à la princesse des Ursins, qu’elle laissa seuls approcher du roi d’Espagne après la mort de la reine, et il eut l’adresse et le bonheur que la chute de Mme des Ursins ne lui nuisit point auprès du roi ni même de la nouvelle reine, avec qui je l’ai vu fort familier. Il étoit gendre du prince de Santo-Buono, et il perdit sa femme comme j’arrivois à Madrid, qui étoit belle et dame du palais de la reine, dont il avoit des enfants tout petits. Il en fut fort affligé, et demeura toujours extrêmement uni avec son beau-père. C’étoit un homme extrêmement aimable et un de ceux avec qui j’ai le plus vécu et le plus familièrement. Il étoit fort ami des ducs de Veragua et de Liria, lié avec Grimaldo et avec tout ce qu’il y avoit de grand ou de plus choisi. On disoit pourtant qu’il ne falloit pas trop s’y fier ; mais je n’ai ni vu ni rien ouï dire qui pût autoriser ce bruit. En un mot, il étoit aimé, considéré, désiré, reçu avec plaisir partout, même des plus gourmés et des plus vieux seigneurs espagnols. Il avoit de la grâce et de la prudence en tous ses discours et en toutes ses manières, quoique gai et libre et de la meilleure compagnie du monde. Depuis mon retour, il alla faire un voyage en Italie et vint faire un tour en France, où nous fumes ravis de nous retrouver. Il y fut peu, et dans ce peu, hommes et femmes de la cour le couroient, et tout le monde fut affligé de son départ. À son retour en Espagne il eut les hallebardiers de la garde, qui sont comme nos Cent-Suisses, par la mort du marquis de Montalègre, et longtemps après la compagnie des gardes du corps italienne, qui étoit sa grande ambition, lorsque le duc d’Atri la quitta pour être majordome-major de la reine à la mort du marquis de Santa Cruz, et mourut assez jeune quelques années après dans cette charge. En arrivant en Espagne je le trouvai ayant déjà la Toison d’or et la clef de gentilhomme de la chambre.

Le vieux marquis Ferrero qui avoit l’Annonciade, et qui a été ambassadeur de Savoie auprès de Louis XIV, il y a fort longtemps, étoit d’une branche cadette de cette maison. C’étoit un homme de beaucoup d’esprit, de capacité et de mérite. Sa bisaïeule étoit aussi Fiesque. Ces Ferrero ont eu quelques grandes alliances.

Melphe, Doria, Génois, d’une des quatre grandes et premières maisons de la république, transplanté à Naples.

Palagonia, Gravina, en Sicile, d’une des plus grandes maisons du pays.

Robecque, Montmorency, branche sortie de celle de Fosseux. Le second prince de Robecque quitta le service d’Espagne en 1678 et se mit en celui de France, où il eut un régiment. Il mourut de maladie à Briançon en Dauphiné, en 1691. Il avoit épousé la sœur du comte de Solre, chevalier du Saint-Esprit en 1688 et lieutenant général dont la mère étoit sœur du père du prince d’Isenghien, gendre du maréchal d’Humières. Il laissa deux fils. L’aîné, prince de Robecque, servit avec réputation jusqu’à être maréchal de camp, puis passa au service de Philippe V, qui le fit lieutenant général, lui donna la Toison d’or et le fit, en 1713, grand d’Espagne. Il étoit extrêmement bien avec la princesse des Ursins, qui cherchoit à s’attacher les seigneurs étrangers. Il épousa à Madrid, en 1714, la fille du comte de Solre, sa cousine germaine, qui fut aussitôt dame du palais de la reine. Il continua à servir et eut le régiment des gardes wallonnes, lorsque Albéroni força le duc d’Havré à le quitter et à se retirer en France ; mais le prince de Robecque mourut un mois après, en octobre 1716, sans enfants.

Son frère cadet, qui portoit le nom de comte d’Estaires, servit avec réputation longtemps en France. Il prit le nom de prince de Robecque à la mort de son frère. Il eut la Toison d’or et succéda à sa grandesse, dans le diplôme de laquelle il étoit compris. Il fut lieutenant général, et au retour en France de la fille ce feu M. le duc d’Orléans, veuve du roi Louis, il en fut nommé majordome-major par Philippe V. Il épousa tout à la fin de 1722 Catherine du Bellay, morte en 1727, et lui, quelques années après, tout à fait établi en France, et y a Bissé un fils marié à une fille du duc de Luxembourg.

Sermonetta, Gaetano, que nous prononçons Cajetan. Cette maison, féconde en titres et en emplois, et toujours en grandes alliances, n’est connue qu’après l’an 1200, par Mathias Cajetan, général des troupes du bâtard Mainfroy, en Sicile, qui prit son nom c e la ville de Gaëte, au royaume de Naples, dont on ne voit aucune raison. Son petit-fils fut l’étrange Boniface VIII, qui n’oublia pas l’établissement de sa maison. Ces grands d’Espagne n’y sont jamais venus et sont toujours demeurés à Naples.

Sulmone, Borghèse, de Sienne, famille d’avocats et de jurisconsultes. Antoine Borghèse, fatigué des troubles domestiques de sa patrie, se retira à Rome, y fut avocat consistorial [14], et s’y enrichit assez pour acheter à son fils aîné une charge d’auditeur de la chambre fort chèrement, qu’il perdit fort peu après avec ce fils. Clément VIII en eut pitié et donna sa charge à Camille son frère, qui devint cardinal en 1594, à quarante-quatre ans, et pape Paul V, en 1605, à cinquante-trois ans, et mourut, en janvier 1621, à soixante-huit ans. Ce fut un terrible pape, qui éleva sa famille tout d’un coup en terres, en titres, en grandes alliances, en richesses. Il fit le fils de son frère prince de Sulmone, obtint pour lui la grandesse d’Espagne, et lui fit épouser la fille du duc de Bracciano, chef de la maison des Ursins. Celui d’aujourd’hui est le quatrième grand d’Espagne, dont les alliances et les possessions se sont toujours accrues. Ces Borghèse, depuis Paul V, ont toujours demeuré à Rome.

Surmia, Orleschalchi. Innocent XI étoit fils d’in riche banquier de Côme, dans le Milanois, et servit jeune dans les troupes impériales. Il embrassa depuis l’état ecclésiastique, et l’argent de sa famille l’avança dans les prélatures. Il fit sa cour, comme les autres, à la fameuse dona Olympia, belle-soeur d’innocent X, qui pouvoit tout sur le pape et qui le fit cardinal en 1645, et il fut pape en 1676. Avec un génie austère, borné, opiniâtre et un cœur tout autrichien, il s’y abandonna avec une partialité qui le rendit odieux à tout ce qui n’étoit pas vendu à la maison d’Autriche et la dupe de l’usurpation de l’Angleterre par le prince d’Orange, qu’il favorisa d’argent et de tout ce qu’il put, croyant ne favoriser [que] la maison d’Autriche contre la France. S’il ne se servit pas de ses parents dans les affaires, il fit pis de les abandonner au cardinal Cibo. Son neveu Odeschalchi en étoit incapable, dont il fit un des plus puissants champignons de l’Italie en possessions et en dignités, qu’il étoit bien raisonnable que la maison d’Autriche lui prodiguât ; l’empereur le fit prince de l’Empire et traiter d’Altesse par tous ses dépendants à Rome et en Italie, et Charles II le fit grand d’Espagne. Cette grandesse subsiste encore dans je ne sais qui de sa famille, dont pas un n’a été en Espagne.

J’ai oublié Ottaïano, Médicis, d’une branche cadette et fort séparée de celle des grands ducs de Toscane, et cinq générations avant que celle-ci parvint à la souveraineté, et c’est la seule qui reste de toute la maison de Médicis. Elle est depuis très -longtemps établie dans le royaume de Naples et a toujours été méprisée par les souverains de Toscane et par tout ce qui est sorti d’eux, les reconnoissant pourtant toujours pour être Médicis comme eux.

Bernard de Médicis, baron d’Ottaïano, dans le royaume de Naples, épousa une bâtarde d’Alexandre, duc de Florence, veuve de Fr. Cantelmi. Il étoit frère d’Alexandre de Médicis, archevêque de Florence, 1574, cardinal, décembre 1583, à quarante-huit ans, pape, Léon XI, en avril 1605, mort le 27 des mêmes mois et année à soixante et dix ans. Ce même frère de ce pape eut un fils, aussi baron d’Ottaïano qui, d’une Saint-Séverin, eut deux fils qui, l’un après l’autre, furent princes d’Ottaïano, qui épousèrent chacune un Carraccioli. L’aîné n’eut point d’enfants ; le cadet eut Joseph de Médicis, troisième prince d’Ottoïano, fait grand d’Espagne en 1700, par Charles II, dont la postérité masculine subsiste à Naples, d’où elle n’est point sortie ; princes d’Ottaïano, ducs de Sarno et grands d’Espagne.

Marquis de

Arizza, Patafox.

Ayetona, Moncade, colonel du régiment des gardes espagnoles. Cette maison est une des plus grandes et des plus illustres d’Espagne, indépendamment de ce qui peut être chimérique. Moncade est la première baronnie de Catalogne, et est depuis plus de quatre cents ans dans cette maison de mâle en male. Elle prétend venir d’un Dapifer [15], général de l’armée française au secours du pays de Barcelone contre les Sarrasins, vers 733, dont le fils, Arnaud, fut investi par l’empereur Louis le Débonnaire de la terre de Moncade, ce qui a été cause que les successeurs de cet Arnaud, c’est-à-dire sa postérité, ont pris indifféremment le nom de Dapifer ou celui de Moncade. Cette maison a aussi possédé le Béarn et le Bigorre. Guillaume Ramon de Moncade épousa Constance, fille de Pierre II, roi d’Aragon. Il étoit sénéchal de Catalogne et fut le premier seigneur d’Ayétone, qui est, comme on l’a dit, la première baronnie de la Catalogne. Il eut deux fils : Pierre de Moncade, seigneur d’Ayétone et sénéchal de Catalogne, dont est descendue la branche de Moncade et celles qui en sont sorties, demeurées en Espagne, et Ramon de Moncade qui a fait la branche sicilienne des ducs de Montalte, princes de Paterno, etc., dont les ancêtres y ont suivi les Aragonnois et se sont établis à Naples et en Sicile. Ayétone est toujours demeuré dans la branche restée en Espagne masculinement.

Je n’ai pu trouver la date ni le règne en Espagne de l’érection de la grandesse d’Ayétone. Les différentes et les plus apparentes conjectures et leurs combinaisons laissent peu de lieu de douter qu’elle ne soit la première de l’érection de Philippe Il, vers 1560, et c’est par cette raison que je l’y ai rangée. Ce qui ne peut être douteux est que les Moncade, premiers seigneurs d’Ayétone et sénéchaux d’Aragon, en étoient ricos-hombres ; qu’ils ne passèrent point en grandesse sous Charles-Quint, qui par là les abrogea tacitement, et furent rétablis en grandesse par Philippe II. Celui que j’ai fort vu et pratiqué en Espagne, et qui, avec son frère, le comte de Baños, qui en savoit encore plus que lui, m’a instruit de bien des choses, étoit le sixième marquis d’Ayétone, qui avoit une grande réputation de probité, de désintéressement et de valeur la plus distinguée et la plus brillante, et en même temps la plus simple, à laquelle néanmoins on prétendoit que les talents ne répondoient pas assez. Il étoit de tout temps fort attaché à Philippe V, qui l’avoit fait capitaine général de ses armées. C’étoit un homme fort aimable dans la société, avec les manières du monde, simples, nobles et polies, et l’air d’un grand seigneur. Lui et son frère, que nous verrons, parmi les comtes, être grand par sa femme, et veufs tous deux, n’avoient point de garçons, et des biens assez médiocres. Le marquis d’Ayétone, depuis mon départ, maria sa fille unique au marquis de Cogolludo, fils aîné du duc de Medina-Coeli, lequel m’écrivit pour m’en donner part avec beaucoup d’amitié, quoique je ne lui en eusse point donné du mariage de mon fils fait auparavant. Quoique le marquis d’Ayétone portât le nom de Moncade, et non celui de Dapifer, il ne portoit point les armes de Moncade, qui sont de gueule à huit besans d’argent en pal [16], quatre de chaque côté, mais il porte les armes de Bavière seules et en plein. Cette chimère vient du nom de Dapifer, qui signifie le grand sénéchal, et depuis, le grand maître, qui lui a succédé dans l’autorité intérieure du palais, et non dans celle que le grand sénéchal avoit dans le royaume ; ces charges héréditaires sont éteintes partout, excepté dans l’Empire, où l’électeur de Bavière la possède, et par elle est électeur. Cette similitude, tout étrangère qu’elle est, aura donné lieu à cette singularité du marquis d’Ayétone ; au moins n’en ai-je pu découvrir d’autre raison ; et pour la date de sa grandesse, c’est ce que je me gardai bien de lui demander.

LosBalbazès, Spinola, Génois, de l’une des quatre grandes maisons de Gènes. Philippe III érigea cette terre, en 1621, en marquisat et grandesse pour le fameux capitaine Ambroise Spinola fils de Philippe Spinola, marquis de Venafro, et d’une Grimaldi, fille du prince de Salerne. Il avoit épousé une Bassadonna, et mourut en septembre 1630. Il laissa le cardinal Spinola, mort en février 1639, une fille mariée au premier marquis de Leganez, et Philippe Spinola, second marquis de Los Balbazès, qui eut la Toison d’or, et qui épousa une fille de Paul Doria, duc del Sesto, grand d’Espagne, qui lui apporta cette nouvelle grandesse, et lui fit joindre le nom de Doria à celui de Spinola. Il mourut en 1659. Son fils, né en février 1632, Paul Spinola-Doria, troisième marquis de Los Balbazès et duc del Sesto, est celui qui se trouva au mariage de Louis XIV, qui accompagna la cour depuis la frontière d’Espagne jusqu’à Paris en qualité d’ambassadeur d’Espagne, qui parut avec tant de magnificence et de galanterie à l’entrée du roi et de la reine à Paris, et qui y fit admirer l’une et l’autre pendant tout le cours de son ambassade. Il fut après du conseil d’État et de celui de guerre, et majordome-major de la seconde femme de Charles II. Il étoit gendre du connétable Colone, et mourut à Madrid, en décembre 1699, n’ayant pas encore soixante ans. Son fils, quatrième marquis de Los Balbazès, fut gentilhomme de la chambre de Charles II, et général de ses armées en Milanois. Il étoit gendre du huitième et dernier duc de Medina-Cœli, des bâtards de Foix, qui mourut prisonnier à Fontarabie. Je ne sais s’il eut peur de la disgrâce de son beau-père et d’être impliqué dans ce dont on l’accusoit ; mais tout à coup il se fit prêtre avec dispense de recevoir tous les ordres à la fois, dont on fut fort surpris à la cour d’Espagne. Quelques-uns ont prétendu qu’outre cette raison, car les prêtres sont fort difficiles à arrêter et à juger en Espagne pour causes laïques, il avoit des vues de se faire cardinal. Quoi qu’il en soit, il vécut, depuis, peu d’années, et laissa le cinquième marquis de Los Balbazès, que j’ai fort vu en Espagne, et qui étoit gendre du duc d’Albuquerque et frère des duchesses de Medina-Coeli, d’Arcos, de La Mirandole et de la princesse Pio.

Il avoit de l’esprit, du monde, de l’application et des lettres, qui n’empêchoient point beaucoup d’ambition, les talents de courtisan et d’être plus mêlé avec le grand monde, où il étoit aimé et estimé par ses manières nobles et polies, que ne le sont d’ordinaire les seigneurs espagnols, et passoit pour un fort honnête homme. Je l’ai beaucoup fréquenté. Il fut gentilhomme de la chambre du prince des Asturies, à son mariage, et l’étoit déjà du roi, et à la mort du prince Pio noyé dans l’inondation de l’hôtel de La Mirandole, il fut grand écuyer de la princesse des Asturies.

Bedmar, Bertrand La Cueva. Cette maison a été expliquée au titre d’Albuquerque ; le marquis de Bedmar est cadet de cette maison. Il servit presque toute sa vie au dehors de l’Espagne, en Italie et aux Pays-Bas. Il y étoit capitaine général et gouverneur des armes à l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne, où on fut extrêmement content de sa conduite, tant alors que depuis. Il y fut commandant général pendant l’absence de l’électeur de Bavière, gouverneur général, qui alla dans ses États, et le marquis de Bedmar rouloit d’égal avec nos maréchaux de France, commandoit des armées séparées et aux troupes françaises, comme aux espagnoles et wallonnes, comme à celles-ci réciproquement nos généraux françois. Il se conduisoit si bien et d’ailleurs avec tant de correspondance avec nos généraux et nos troupes qu’il gagna entièrement leur amitié et leur estime par sa valeur et son désintéressement, et par la magnificence avec laquelle il vivoit. Louis XIV lui en sut tant de gré qu’il lui donna l’ordre du Saint-Esprit en 1704, et le collier en 1705, en passant pour aller de Flandre vice-roi de Sicile. Il fut le seul Espagnol pour qui le roi demanda et obtint la grandesse. Je le trouvai en Espagne conseiller d’État et président du conseil de guerre et de celui des ordres, et dans une grande considération. On a vu qu’il fut premier commissaire d’Espagne pour la signature des articles du contrat de mariage de l’infante avec le roi, et, par très grande distinction, on lui apportoit un siège chez le roi d’Espagne, en attendant que Sa Majesté Catholique parût.

C’étoit un homme fort poli, dont toutes les qualités et les manières étoffent aimables, nobles, et d’un grand seigneur, en même temps polies et familières. Il étoit goutteux, ne sortoit guère de chez lui que pour des fonctions, ou pour aller au palais, et avoit presque toujours compagnie chez lui ; il avoit de l’esprit, du sens, et tant vu au dehors que sa conversation étoit également agréable, gaie, et instructive. Je l’ai extrêmement vu et pratiqué à Madrid, où Leurs Majestés Catholiques, les ministres, et tout le monde en faisoient beaucoup de cas. Il se piquoit fort d’aimer et de caresser les François, et d’une grande reconnoissance pour la mémoire de Louis XIV. Il avoit très bonne mine, et l’air fort françois. J’admirai avec quelle facilité il s’étoit remis à vivre à l’espagnol, à son puchero [17], à manger seul un morceau, après avoir été un si grand nombre d’années hors d’Espagne, à vivre avec tout le monde comme nous vivons ici, et avec une grande et bonne table bien remplie de mets et de convives.

Il n’avoit qu’une fille unique mariée au marquis de Moya, second fils du marquis de Villena, auquel elle porta cette grandesse. Elle étoit dame du palais de la reine, et cruellement laide. Longtemps depuis mon retour, le marquis de Moya, qui, avec peu d’esprit, mais une valeur distinguée et beaucoup d’honneur, étoit fort dans le monde, devint par la mort de son beau-père marquis de Bedmar, dont il prit le nom, et par la mort de son père, capitaine des gardes du corps de la compagnie espagnole, que son frère aîné quitta pour monter à la charge de majordome-major du roi, qu’avoit le marquis de Villena, leur père, qui étoit une faveur sans exemple.

Camaraça, Los Cobos. Il ne laisse pas d’y avoir en Espagne, comme en France, des grandesses de faveur, et dont les races ne remontent pas haut. Fr. de Los Cobos étoit secrétaire d’État, favori de Charles-Quint qui le fit conseiller d’État, grand commandeur de Léon de l’ordre de Saint-Jacques, grand trésorier de Castille, et lui fit épouser M. Mendoza y Sarmiento. Leur fils épousa Fr.-L., fille de Fr. de Luna, rico-hombre de Sangro en Aragon, et seigneur de Camaraça, laquelle en fut faite marquise. C’est d’eux que sortent masculinement les Los Cobos, marquis de Camaraça. Diego de Los Cobos, troisième marquis de Camaraça mort tout à la fin de 1645, fut fait grand d’Espagne, et ne laissa qu’une fille religieuse. Emmanuel de Los Cobos, appelé à sa grandesse, lui succéda. Il sortoit de mâle en mâle du frère cadet de Los Cobos, premier marquis de Camaraça, il fut bisaïeul de Balthasar de Los Cobos, cinquième marquis de Camaraça, chevalier de la Toison d’or, gentilhomme de la chambre de Charles Il, général des galères de Naples, puis de celles d’Espagne, enfin vice-roi d’Aragon. Sa mère, Acuña Portocarrero, fille du troisième comte de Montijo, mourut, en 1694, camarera-mayor de la reine-mère de Charles II.

Castel dosRios, Semmenat, Catalan. C’est celui qui étoit ambassadeur d’Espagne en France à la mort de Charles II, duquel il a suffisamment été parlé à cette occasion, qui lui valut la grandesse et la vice-royauté du Pérou, comme on l’a vu au même endroit. Il y mourut après quelques années. Son fils aîné, connu ici avec lui sous le nom de marquis de Semmenat, qui l’avoit accompagné au Pérou, y resta fort longtemps après sa mort, et, n’en est revenu en Espagne que depuis mon retour où il fit aussitôt après sa couverture.

Castel-Rodrigo, Homodeï. C’est une cité en Portugal. L. de Moura, d’une maison noble et ancienne de ce royaume-là, alcade ou gouverneur de cette cité, eut un fils Christophe de Moura, que Philippe II en fit comte pour les services qu’il en avoit reçus lorsqu’il s’empara du Portugal, à la mort du cardinal-roi Henri. Le même Christophe de Moura fut fait par Philippe III marquis de Castel-Rodrigo et grand d’Espagne. Il avoit été le premier vice-roi de Portugal pour l’Espagne. Son fils et le fils de son fils ont été gouverneurs généraux des Pays-Bas ; le dernier mourut à la fin de 1675, gendre du sixième duc de Montalte, et ne laissa que deux filles. L’aînée, veuve sans enfants d’un Guzman, fils puîné du duc de Medina de Las Torres, se remaria à Ch. Homodeï, et la cadette à Gilbert Pio, prince de Saint-Grégoire en Lombardie, dont elle eut des enfants. Après sa mort elle se remaria à L. Contarini, alors ambassadeur de Venise à Rome.

Les Homodeï sont des jurisconsultes, des citadins et des gens de robe de Milan, connus dès 1340, et sont demeurés tels sans illustration ni alliances jusque vers 1600, que Ch. Homodeï, extrêmement riche, se fit marquis de Piopera, et poussa si bien un de ses fils dans les charges de la prélature de Rome qu’il fut cardinal en 1652, et mourut en 1685. C’est l’aîné de ce cardinal qui fut père de Ch. Homodeï, connu sous le nom de marquis d’Almonacid, qui épousa la fille aînée de Moura, marquise, héritière de Castel-Rodrigo ; et qui, après avoir essuyé de longues chicanes avec peu de fondement pour le droit, mais causées par la légèreté de sa naissance, se couvrit enfin en 1679, par la grandesse que sa femme lui avoit apportée. Il se trouva homme d’esprit, d’honneur et de mérite, et parvint sous Charles II à être conseiller d’État ; il se conduisit si bien à l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne, qu’il fut choisi pour l’ambassade de Turin, y négocier le mariage du roi d’Espagne, et faire la demande pour lui de la fille de Savoie, sœur cadette de Mme la duchesse de Bourgogne, et l’amener au roi d’Espagne en Catalogne où il étoit pour lors prêt à passer à Naples, et commander les armées en Lombardie. Castel-Rodrigo fût déclaré grand écuyer de la reine en arrivant avec elle, et fut toujours fort compté et considéré. À la mort de cette princesse, il renonça à la cour, et se retira dans sa maison de Madrid. Il perdit bientôt après sa femme. Ce changement domestique et de fortune lui affaiblit la tête, tellement que lorsque j’arrivai à Madrid, il n’étoit plus en état de paroître ni de voir personne chez lui. Je ne laissai pas d’y aller à mon retour de Lerma, à cause de ma grandesse, et d’y retourner avec mon second fils, quelques jours avant sa couverture, comme c’est l’usage établi à l’égard de tous les grands. Je ne le vis point, comme je m’y étois bien attendu, et comme il n’étoit plus en état de rien, je ne reçus même contre la coutume aucune civilité ni compliment de sa part.

Par la mort de sa femme, sans enfants, la grandesse de Castel-Rodrigo passa à l’autre sœur, mère du prince Pio, quoique le mari veuf en conserve le rang et les honneurs toute sa vie. Ainsi, après sa mère, la grandesse vint au prince Pio qui fit sa couverture. C’est ce même prince Pio, capitaine général et gouverneur de Catalogne, quoique jeune, dont on a vu qu’Albéroni se joua si longtemps et si cruellement sur le commandement de l’armée qu’il faisoit assembler en Catalogne pour passer en Sardaigne, etc., et le même que j’ai vu à Madrid, et qui fut fait grand écuyer de la princesse des Asturies. C’étoit un grand homme fort bien fait, poli, glorieux, ambitieux au possible, qui avoit très bonne opinion de soi, plus de valeur que de talents et d’esprit, quoiqu’il ne manquât pas de l’un ni des autres. Il fut entraîné par le torrent qui, depuis mon départ, inonda tout à coup l’hôtel de La Mirandole, et son corps fut trouvé à une lieue de Madrid, dans une espèce de cloaque. Il laissa des enfants fort petits. Il ne laissoit pas d’être assez compté, et fort parmi le monde. Il dansa et fort bien aux bals, car en Espagne, comme je l’ai déjà dit, hommes et femmes dansent à tout âge.

Castromonte, Baeza. C’est une famille de robe, et sans alliances d’autour de Valladolid, inconnue et dans l’obscurité jusqu’à J. Baeza, second marquis de Castromonte, dont la mère étoit Lara, et le frère aîné mort sans enfants premier marquis de Castromonte. Ce second marquis fut fait grand d’Espagne par Charles II, en janvier 1698, sans service, sans charge, sans faveur précédente, et l’acheta fort cher à ce qu’ils prétendent tous en Espagne. Il n’a point eu d’enfants de deux femmes. Le fils de son frère lui a succédé et a des enfants. C’est un homme qui paraissoit fort peu, et que je n’ai fait qu’apercevoir en Espagne.

Clarafuente, Grillo, à Gènes, de la première noblesse de la république :

Santa-Cruz, Benavidez y Bazan, majordome-major de la reine seconde femme de Philippe V. La maison de Benavidez est masculinement issue d’Alphonse IX, roi de Léon et d’Adonce Martinez, son épouse, par don Alonzo, seigneur de Aliquer, leur fils cadet, dont le fils, Pierre Alonzo de Léon, épousa l’héritière de Benavidez, issue d’Alphonse VIII, empereur des Espagnes ; d’autres donnent une autre origine à cette maison, et la font descendre d’Inniguez, seigneur de Biedma, dans le royaume de Tolède. Ils donnent une origine illustre à ce nom d’Inniguez, de la délivrance d’une reine d’Aragon des mains des Mores. Cet Inniguez épousa une Castro ; les alliances directes de Ponce de Léon, et de Sotomayor, furent celles du second et du troisième degré. Le quatrième degré fut Mendus Rodriguez de Biedma et Benavidez.

C’est à celui-ci qu’il faut s’arrêter un moment. Il épousa 1° une Tolède ; 2° une Martinez ; 3° une Cordoue ; 4° apparemment par amour la bâtarde d’une Manrique de Lara, archevêque de Tolède. Ce Mendus Rodriguez de Biedma fit son premier mariage en 1344. Jusqu’à lui nulle terre, nulle fille dans sa maison qui portât le nom de Benavidez, lequel depuis lui qui le prit sans qu’on en puisse deviner la raison, passa à toute sa postérité, sans qu’il y ait été jamais plus de mémoire de leur ancien nom de Biedma : or, toute la maison de Benavidez descend de ce Mendus Rodriguez, qui le prit le premier, parce que ses frères n’eurent point d’enfants mâles, et que les mâles sortis de ses oncles et grands-oncles s’éteignirent de son temps. Mais revenant à l’autre origine des rois de Léon, la raison de ce changement de nom se découvre : on a vu ci-devant que Pierre Alonzo de Léon, fils de Roderic Alonzo, seigneur de Aliquer, fils cadet d’Alphonse IX, roi de Léon, avoit épousé l’héritière de Benavidez, issue d’Alphonse VII, empereur des Espagnes. Leur fils, leur petit-fils, et leurs deux arrière-petit-fils de mâle en mâle, ne prirent plus que le nom seul de Benavidez. L’aîné des arrière-petit-fils mourut sans enfants, son seul frère cadet fit un majorasque [18] de plusieurs terres avec celle de Benavidez, auquel il donna ce nom, et, se voyant sans enfants, il le substitua à son cousin Mendus Rodriguez, seigneur de Biedma, à condition que ledit Mendus Rodriguez et toute sa postérité ne porteroient plus que le nom seul de Benavidez. Or, comment ce Mendus Rodriguez, seigneur de, Biedma, substitué au majorasque et au nom de Benavidez était-[il] le cousin de J. Alonzo de Benavidez issu de mâle en mâle des rois de Léon, fondateurs du majorasque qu’il lui substitua ? Était-ce parenté proche ou éloignée, masculine ou féminine ? Quoi qu’il en soit, il entra en possession de ce majorasque en 1364. Deux ans après Henri IV, roi de Castille, en démembra trois terres qu’il donna à Gonzalve Bazan, son favori et son sommelier de corps, et donna en échange à Mendus Rodriguez de Benavidez, la terre d’Iznotarafe, qui, pour avoir été conquise sur les Mores le jour de Saint-Étienne, premier martyr, fut changée de nom, et toujours depuis appelée San-Estevan del Puerto, ce dernier nom pour la distinguer des autres de même nom parce que celle-ci est à une ouverture ou passage de montagnes, et ces passages s’appellent puerto en espagnol, d’où vient par exemple le nom de Saint-Jean-pied-de-Port, et non de porc comme dit le vulgaire, parce que cette place est au pied et à l’entrée des Pyrénées du côté de France, à qui elle appartient. Cette terre de San-Estevan, que Mendus Rodriguez eut en échange de ce qu’Henri IV, roi de Castille, lui avoit pris, étoit beaucoup plus considérable que ce qu’il avoit laissé prendre à ce roi.

Son arrière-petit-fils fut fait, en 1473, comte de San-Estevan del Puerto, et fut père d’autre Mendus Rodriguez de Benavidez, comte de San-Estevan del Puerto, duquel de mâle en mâle sont sortis les comtes de San-Estevan del Puerto, grands d’Espagne, qu’on verra ci-après, et les marquis de Santa-Cruz, leurs cadets. Le cinquième comte de San-Estevan del Puerto, épousa, en 1548, une Cueva, qui lui apporta la terre depuis marquisat de Solera, ce qui lui fit ajouter le nom de La Cueva au sien et à ses descendants, comtes de San-Estevan. Son arrière-petit-fils, huitième comte de San-Estevan et premier marquis de Solera, eut un frère cadet Henri de Benavidez, marquis de Bajona et comte de Chinchon, capitaine général des galères d’Espagne, et conseiller d’État qui épousa Mencia Pimentel, dont le frère unique mourut sans enfants, et qui devint héritière des marquisats de Santa-Cruz, Bajona et Viso par sa mère, héritière de la maison de Bazan, ce qui fit ajouter le nom de Bazan à celui de Benavidez à leur postérité, quelquefois même le prendre seul à cause de la grandesse attachée au marquisat de Santa-Cruz pour le grand-père paternel de l’héritière de Bazan, épouse d’un Pimentel qui n’avoit eu que cette fille héritière, qui épousa cet H. de Benavidez, lequel en fut grand d’Espagne et grand-père du marquis de Santa-Cruz que j’ai vu en Espagne, auquel je reviendrai après cette courte parenthèse.

Le grand-père de l’héritière de Bazan qui épousa le Pimentel, dont la fille héritière porta la grandesse de sa mère à Henri de Benavidez, frère cadet du huitième comte de San-Estevan, ce grand-père, dis-je, étoit Alvar de Bazan, marquis de Santa-Cruz, ou Sainte-Croix, comme nos François l’appeloient, capitaine général de la mer, sous Philippe II. Ce fut lui qui se rendit maître de l’escadre qu’après la mort du cardinal roi de Portugal, Catherine de Médicis fit équiper pour porter un grand secours en Portugal à Antoine, prieur de Crato, bâtard du duc de Beja, second fils du roi Emmanuel de Portugal et d’une juive, qui voulut prouver le mariage de sa mère, et après la mort du cardinal roi, se fit proclamer roi à Santarem et Lisbonne, et eut un grand parti. Ses aventures ne sont pas de mon sujet. Catherine de Médicis, qui, pour relever sa naissance, se mit aussi sur les rangs sans nulle apparence de fondement de prétendre à la couronne de Portugal, avoit intérêt d’afficher cette prétention, et d’empêcher la ruine du prieur de Crato, comptant avoir meilleur marché de ce bâtard que de Philippe II. Comme cette vanité de la reine la touchoit sensiblement, et qu’elle étoit toute puissante en France, ce fut à qui s’embarqueroit sur cette escadre de toute la noblesse de la cour, et Strozzi même, parent proche de la reine, et fort avant dans ses bonnes grâces. Le marquis de Sainte-Croix, ayant battu cette escadre, 26 juillet 1582, fit mettre pied à terre à tout ce qui la montoit, fit égorger de sang-froid dans l’une des Terceires Ph. Strozzi qui la commandoit, toute cette jeune noblesse et tous les officiers, et emmena les vaisseaux et les équipages en Espagne. Une si monstrueuse inhumanité fut détestée dans toute l’Europe, mais elle plut si fort à Philippe II, qu’il fit aussitôt le marquis de Santa-Cruz grand d’Espagne. Revenons maintenant au Benavidez qui jouit [de cette grandesse], après avoir passé par une autre maison.

Le marquis de Santa-Cruz que j’ai vu en Espagne étoit pauvre et retiré chez lui dans la Manche, sous Charles II, et à l’avènement de Philippe V à la couronne. Il avoit essuyé un étrange contraste. Sa femme l’avoit accusé d’impuissance. Il y eut sur cela un grand procès ; il le perdit, et peut-être qu’il n’en fut pas fâché. Son humeur peu accorte ne convenoit guère au mariage. Il fut même permis à sa femme de se remarier. Assez peu après, il fut attaqué par une fille bourgeoise pour qu’il eut à se charger d’un enfant qu’elle prétendit qu’il lui avoit fait. Nouveau procès, et il le perdit encore. On voit qu’il n’étoit pas heureux en procès.

Il vivoit donc solitairement chez lui pendant les premières années du règne de Philippe V, sans aucun accès à la cour ni à Madrid, malgré sa naissance et sa dignité, lorsque le duc de Berwick vint la première fois en Espagne où le feu de la guerre étoit de tous côtés. Il sut que le marquis de Santa-Cruz, avec ce qu’il avoit pu rassembler de ses vassaux, avoit si fermement combattu une partie de l’armée ennemie, à un passage important de ce pays si montueux, qu’il l’avoit arrêtée, et qu’après une défense opiniâtre, il l’avoit obligée à se retirer et à chercher où passer ailleurs, ce qui, dans les circonstances où on se trouvoit alors, fut un service très utile. Le duc de Berwick en parla au roi d’Espagne, lui fit donner du commandement, le fit venir à la cour, et lui procura tous les agréments qu’il put. Santa-Cruz, d’abord sauvage, s’y apprivoisa peu à peu, continua à servir avec distinction, mais sans grade, il étoit trop vieux pour en vouloir, et s’attacha enfin à la cour où il devint avec le temps, je n’ai point su par quelle intrigue, majordome-major de la reine seconde femme de Philippe V, et parfaitement bien avec le roi et avec elle. Il fut gentilhomme de la chambre seul toute l’année en exercice avec le duc del Arco, et tous deux amis intimes, qui, par leurs charges, passoient leur vie ensemble ou dans l’intérieur du roi et de la reine ou à leur suite, à leurs chasses et à leurs voyages. Il étoit fort des amis de Grimaldo, et témoigna toujours au duc de Liria qu’il n’oublioit point ce qu’il devoit à son père, avec tendresse, intérêt et grande familiarité.

C’étoit un fort grand homme et bien fourni, un visage brun et rouge, de gros sourcils noirs et des yeux qui regardoient volontiers de côté, l’air et le jeu sournois et moqueur, beaucoup de fierté ; tout montroit en lui de la hauteur et de la noblesse jusque dans ses fonctions auprès de la reine. Il n’étoit pas ignorant, avoit beaucoup d’esprit et de finesse dans l’esprit et dans les manières, et quoique mesuré, se contraignoit peu par grandeur sur les gens et sur les choses. Il se communiquoit fort peu, se retranchoit sur l’assiduité de ses fonctions ; mais au fond c’étoit son goût et le fruit de la longue solitude où il avoit passé tant d’années. On le craignoit pour ses dits, pour sa morgue dédaigneuse, pour la difficulté de son accès même aux lieux publics, au palais, encore plus son silence et ses yeux qui parloient de compagnie. Il ne laissoit pas de parler un peu et de rire même assez volontiers ; mais toujours son rire étoit malin et expressif. Il n’aimoit point du tout les François ni les Italiens, sans que sa faveur et sa familiarité avec le roi et la reine en souffrissent la moindre atteinte. Il se mêloit difficilement de quelque chose par paresse et par dédain. Avec cela il avoit des amis et de l’estime, et il ne manquoit ni aux devoirs ni à la politesse ; mais il ne la prodiguoit pas, et en savoit mesurer les degrés. Tout François et ambassadeur de France que j’étois, j’étois parvenu à l’apprivoiser avec moi par le duc de Liria, et par toutes sortes d’attentions et de prévenances au palais, et j’avoue qu’il me plaisoit fort, et me divertissoit assez souvent, quoique avare de discours et même de paroles, et il me paraissoit qu’il ne se déplaisoit point avec moi. J’aurai lieu de parler de lui à l’occasion de l’échange des princesses dont il fut chargé. Sur ses dernières années, il fut fait chevalier du Saint-Esprit et de la Toison d’or.

Laconi, idem. Il étoit depuis longtemps aux Indes espagnoles lorsque j’étois en Espagne.

Lede, Bette. J’ai fort parlé de lui à l’occasion de l’expédition de la Sardaigne et de la Sicile, dont le cardinal Albéroni le chargea en chef, et dont il s’acquitta en capitaine, au retour de laquelle, quoique malheureuse par la supériorité extrême de l’armée navale des Anglois et de leurs troupes de débarquement, il fut fait grand d’Espagne, puis envoyé en Afrique faire la guerre aux Mores, dont il s’acquitta avec beaucoup de capacité et de bonheur. Je le trouvai en Espagne avec la Toison d’or, dans la première considération et dans une grande estime. Il vivoit même avec assez de splendeur, avoit une bonne table, et y rassembloit les Flamands, d’autres étrangers, les Espagnols qu’il pouvoit, peu ou point de François, qu’il haïssait.

Mancera [19].

Mondejar, Ivannez. Cette terre, qui est en Castille, fut érigée en marquisat et en grandesse d’Espagne, vers 1612, pour Innigo Lopez de Mendoza, et tomba depuis en plusieurs maisons par des filles héritières. Enfin celle de Cordoue et Mendoza l’apporta en mariage à Gaspard Ivannez, comte de Tendilla, d’une naissance pourtant fort commune et peu connue, qui prit le nom de marquis de Mondejar, et fit sa couverture en 1678 ; son fils épousa pourtant une sœur du connétable de Castille, dont le fils étoit le marquis de Mondejar, du temps que j’étois en Espagne, mais fort obscur et retiré.

Montalègre, Guzman. C’est celui que j’ai vu en Espagne. Il portoit autrefois, du vivant de son père, le nom de marquis de Quintana, et étoit majordome de semaine de Charles II, qui le prit en amitié et le fit fort tôt gentilhomme de sa chambre. Sa faveur augmenta, en sorte qu’il fut regardé comme un favori, et fut capitaine des hallebardiers de la garde, enfin grand d’Espagne à la fin de 1697. Il conserva ces deux charges à l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne, où je le trouvai sommelier du corps, mais sans nul exercice comme je l’expliquerai en son lieu, et comme étoient presque toutes les charges du palais. Il se trouvoit, quand elle vaqua, le plus ancien de tous les gentilshommes de la chambre. Cette raison, sa naissance, sa dignité, un reste de teinte de ce qu’il avoit été auprès de Charles II, l’élevèrent à cette grande charge. C’étoit un bon et très honnête homme, fort paresseux, fort retiré, par dégoût de n’avoir que le titre vain d’une si belle charge, un esprit médiocre, peu à son aise, incapable de se mêler de rien, doux et modeste, toutefois compté et considéré par estime, et aussi par l’habitude de respecter fort les sommeliers, quoique celui-ci n’en eût que la plus légère écorce. Il m’avoit pris assez en amitié. J’aurai lieu de parler de lui encore sur la fin de mon séjour en Espagne. Son fils étoit gentilhomme de la chambre du roi.

Pescaire, Avalos. Maison espagnole qui se prétend originaire de Navarre, puis transplantée en Andalousie, où Loup Ferdinand d’Avalos fit des prodiges de valeur contre les Mores grenadins, sous les rois de Castille Ferdinand IV et Alphonse XI, qui l’en récompensèrent en biens et en dignités qu’il transmit à ses descendants. Cette descente masculine leur est contestée par des auteurs qui prétendent que cette descendance finit en une fille héritière, appelée Mencia d’Avalos, qui porta ses biens en mariage à Ruïs de Baeza y Haro, dont le fils s’appela Roderic Lopez d’Avalos, et laissa le nom de son père pour prendre seul celui de sa mère, comme lit après lui toute sa postérité.

Ce Roderic Lopez d’Avalos fut un homme illustre qu’Henri III, roi de Castille, en fit connétable, en 1396, qui, entre autres enfants qui firent des branches demeurées en Espagne, eut un fils cadet qui chercha fortune auprès des rois d’Aragon, qui fut grand trésorier du royaume de Naples, et qui épousa Ant. d’Aquino, sœur et héritière du marquis de Pescaire. Ses enfants firent comme lui d’illustres alliances, qui se soutinrent ou devinrent encore plus grandes dans sa longue postérité. Alphonse d’Avalos, marquis de Pescaire et del Vasto après son frère aîné, mort sans enfants, grand trésorier de Naples et général des armées de Charles-Quint, Alphonse, dis-je, fut vice-roi de Naples et grand d’Espagne ; il mourut en 1546. Il laissa son fils aîné grand trésorier de Naples, et vice-roi de Sicile, sixième aïeul du marquis de Pescaire à Naples, du temps que j’étois en Espagne, d’où cette branche n’est point sortie depuis son premier établissement dans ce royaume-là, et des cadets dont l’un fut chancelier de Naples, cardinal en 1561, et mourut en 1600, et l’autre fit la branche des princes de Montesarchio et de Troja.

Richebourg, Melun. Fr.-Ph. de Melun, fils puîné du second prince d’Espinoy, et frère du troisième grand-père du dernier, mort sans enfants, fait duc et pair de Joyeuse, et gendre du duc de Bouillon ; ce marquis de Richebourg, dis-je, eut la Toison d’or et le gouvernement et grand-bailliage de Mons et de Hainaut, et mourut en 1690. Son fils porta après lui le nom de marquis de Richebourg, passa en Espagne, y reçut la Toison d’or, et fut fait grand d’Espagne par Philippe V, capitaine général de ses armées, puis de Galice, après de Catalogne, enfin colonel du régiment des gardes wallonnes. Il étoit dans ses gouvernements lorsque j’étois en Espagne. Il n’a laissé que deux filles demeurées en Flandre, qui ne se sont point mariées, et la grandesse s’éteint nécessairement.

Ruffec, Saint-Simon. Mon second fils, conjointement avec moi, et pour en jouir ensemble l’un et l’autre, dont c’est le premier exemple en Espagne.

Torrecusa, Carraccioli. Voir p. 411-413, ce qui a été dit de cette maison sur l’article des princes de Santo-Buono.

Philippe Carraccioli, des Carraccioli rouges, étoit troisième fils de l’amiral Jean Carraccioli, frère de la mère du pape Boniface IX Tomacelli. Ce même Philippe étoit frère d’H. comte de Gierace, grand trésorier de Naples en 1348, de Gualterius, gouverneur de la Pouille, de Louis, maréchal de l’Église romaine, et de Nicolas, général de l’ordre de Saint-Dominique, cardinal 1376, mort 1389. Ce même Philippe épousa Marcella Brancaccia, c’est-à-dire Marcelle de Brancas. D’eux est sortie la branche des marquis de Vico et de Torrecusa, des comtes de Biecavi et des ducs de Airola et de S.-Vito.

La septième génération de ce Philippe Carraccioli fut Lelius Carraccioli, marquis de Torrecusa, dont le fils Charles-André, second marquis de Torrecusa, mort en 1646, fut fait grand d’Espagne, bisaïeul de celui que j’ai vu fort peu à Madrid, obscur, et qui passoit pour un fort pauvre homme, mais qui avoit une femme d’esprit et de mérite, damé du palais, aimée de la reine et fort considérée.

Villena, ducs d’Escalone, Acuña y Pacheco. On peut voir plus haut, au titre d’Ossone, ce qui est dit de cette grande, illustre et nombreuse maison d’Acuña, et que les marquis de Villena, ducs d’Escalone, en sont les aînés. Les titres de marquis de Villena et, de duc d’Escalona ont toujours été dans cette maison sur la même tête. On a fait remarquer plus d’une fois que les titres de duc, de prince, de marquis et de comte sont entièrement indifférents en Espagne, et que celui seul de grand y est tout. C’est ce qui a fait que ces aînés de la maison d’Acuña, marquis de Villena et ducs aussi d’Escalope, grands d’Espagne par l’un et par l’autre, ont préféré porter le nom de marquis de Villena, parce que, étant le premier marquisat de Castille, cette primauté, quoique sans rang et sans effet comme primauté, les a flattés, et comme on l’a remarqué ailleurs, leur a donné occasion d’usurper la singularité de signer El Marquez tout court, sans y rien ajouter. Ne pouvant donc traiter séparément deux titres qui ont toujours été assemblés sur les mêmes têtes de ces aînés de la maison d’Acuña, j’ai préféré de le faire sous celui qu’ils portent préférablement, quoiqu’ils soient souvent désignés aussi par l’autre.

On a vu article d’Ossuna quels étoient les deux frères Jean et Pierre d’Acuña, et d’où sortis ; que Jean, aîné de la maison entière, fit la branche de Villena, et Pierre celle d’Ossone, et les raisons qui engagèrent ces deux frères et leur postérité à joindre au nom d’Acuña, l’aîné celui de Pacheco, le cadet celui de Giron. Ce J. d’Acuña y Pacheco, maître de l’ordre de Saint-Jacques, fut favori d’Henri IV, roi de Castille, qui lui donna la terre de Villena qu’il érigea pour lui en marquisat, et peu après, en 1469, érigea en sa faveur Escalone en duché, à huit lieues de Tolède. En 1480 les rois catholiques, mécontents de ce que son fils, second marquis de Villena, et second duc d’Escalone, avoit penché pour le roi de Portugal et Jeanne de Castille, pour la succession à cette couronne, lui ôtèrent Villena, le réunirent à leur couronne où il est toujours depuis demeuré réuni. Néanmoins les ducs d’Escalope, ses descendants, n’y ont jamais renoncé, et pour marque de leur prétention affectent, et on le souffre, de porter un titre dont ils n’ont plus la terre [joint] à celui dont ils l’ont.

Le marquis de Villena, duc d’Escalone, que j’ai vu en Espagne, étoit majordome-major du roi, et le seigneur d’Espagne le plus considéré, le plus respecté et le plus digne de l’être. Il avoit alors soixante-quatorze ans, et une fort bonne santé. Il avoir été vice-roi et capitaine général de Catalogne, de Navarre, d’Aragon, de Sicile, enfin de Naples, où il reçut Philippe V, [étant] le huitième marquis de Villena, duc d’Escalone, et le cinquième ayant la Toison d’or. J’ai parlé de lui sur la bataille du Ter, où il fut battu, et sur la belle défense qu’il fit dans le royaume de Naples, où à bout de moyens, il soutint le siège de Gaëte si longtemps, et y fut pris enfin barricadé dans les rues, les armes à la main, indignement traité et mis aux fers par les Impériaux, irrités des obstacles et des retardements qu’il avoit mis à leur conquête, parmi la révolte et le manquement de troupes et de toutes choses, et longtemps enfermé par eux à Pizzighitone, en sorte qu’il avoit les jambes tout arquées de ses fers, et marchoit assez mal. J’ai parlé de sa délivrance par la belle action de son fils aîné, qui la procura devant Brighuela, à l’occasion de la prise de cette place, et de la bataille de même nom, que les Espagnols gagnèrent ; ainsi je n’en répéterai rien. Enfin j’en ai parlé à l’occasion des coups de bâton qu’il donna en présence de la reine et du roi, fort malade dans son lit, au cardinal Albéroni, en sorte qu’il n’y a rien à en répéter ici. Je me suis fait conter le dernier par lui, tel que je l’ai écrit, et il m’en instruisit fort en détail avec modestie, mais avec complaisance. Avec beaucoup de dignité, de gravité, les manières hautes, nobles, civiles, mais avec poids, mesure et discernement ; l’air simple, mais toutefois très imposant ; la taille médiocre, maigre, un visage majestueux : tout sentoit et montroit en lui un très grand seigneur, malgré sa modestie et sa simplicité, et un seigneur devant lequel on voyoit tous les plus grands se ranger, lui faire place, lui céder sans qu’on en fût surpris, même sans le connoître ; tout cela avec un médiocre esprit, aucun crédit et beaucoup des fonctions de sa charge retranchées. Il n’étoit pas riche, avoit une médiocre maison, mais une belle bibliothèque. Il savoit beaucoup, et il étoit de toute sa vie en commerce avec la plupart de tous les savants des divers pays de l’Europe. Il avoit établi une académie pour la langue espagnole sur le modèle de notre Académie française, dont il étoit le chef, qui s’assembloit toutes les semaines, et qui dans les occasions complimentoit le roi comme les autres corps, comme fait la nôtre. C’étoit un homme bon, doux, honnête, sensé, je le répète encore, simple et modeste en tout, pieux solidement et sans superstition en homme bien instruit, enfin l’honneur, la probité, la valeur, la vertu même. Son père avoit été vice-roi des Indes et de Navarre, et son grand-père vice-roi de Sicile.

Ces marquis de Villena, ducs d’Escalona, avoient toujours fait les plus grandes alliances. Celui-ci avoit épousé la sœur du comte de San-Estevan del Puerto, dont on parlera bientôt. Il avoit marié son fils aîné, comte de San-Estevan de Gormaz, à la sœur du comte d’Altamire, dont la mère héritière de la marquise Folch, des ducs de Cardonne, étoit camarera-mayor de la reine, et le marquis de Moya, son fils, à la fille héritière du marquis de Bedmar. Le marquis de Villena étoit non seulement le maître absolu dans sa famille, mais le patriarche de celles où ses enfants s’étoient mariés. L’union entre toutes les trois étoit intime, et il en étoit l’oracle et le dictateur. Le comte de San-Estevan de Gormaz étoit un peu épais, peu d’esprit, courtisan, timide, capitaine de la compagnie des gardes du corps espagnoles, et, à ce titre, fait grand d’Espagne, du vivant de son père, lors de l’affaire du banquillo, et majordome-major du roi, à la mort de son père, chose sans exemple en Espagne. Il eut aussi sa Toison d’or et sa présidence académique. C’étoit un honnête homme, et fort courageux, capitaine général, mais sans talents pour les sciences et pour l’académie. Le marquis de Moya, avec peu d’esprit, et force babil, étoit fort dans le monde. Il avoit défendu le palais de Madrid longuement, et avec un grand courage contre les troupes de l’archiduc. Ces deux frères, quoique aimés tendrement de leur père, chez qui ils demeuroient, étoient devant lui comme de petits garçons, à qui il tailloit les morceaux à mesure qu’ils en avoient besoin.

Je m’étois attaché à mériter l’amitié du marquis de Villena, et j’y étois parvenu. Je le voyois souvent, et j’y apprenois toujours quelque chose de bon. Il fut presque le seul qui osât me venir voir à mon quartier d’Almanzo [20], après ma petite vérole, avant que j’eusse été à Lerma, tant le roi la craignoit. Il envoyoit plus que le reste de la cour savoir de mes nouvelles. Tant que j’ai été en Espagne, j’en ai reçu toutes sortes d’amitiés, ainsi que de ses deux fils.

Visconti, idem, à Milan. La grandesse est de 1679, pour César Visconti, chevalier de la Toison d’or.

COMTES DE

Aguilar, Manrique de Lara. Terre en Castille, donnée par le roi Jean Ier de Castille, en 1385, à J. Ramirez d’Arellano, dit le Noble, seigneur de Los Cameros, rico-hombre de Castille. Alphonse, de mâle en mâle, arrière-petit-fils de J. Ramirez d’Arellano, en fut fait comte et grand d’Espagne en 1475 par les rois catholiques. On a vu dans ce qui a été expliqué sur la dignité de grands d’Espagne, qu’elle n’est connue que depuis Charles-Quint, qui la substitua adroitement aux anciens ricos-hombres, qui en avoient le rang et les honneurs, quels ils étoient, et comment ils s’étoient multipliés à l’excès, enfin ce qu’ils perdirent pour faire leur cour à Philippe le Beau, père de Charles-Quint. Il faut donc entendre les grandesses avant Charles-Quint des ricos-hombres, qui en avoient le rang et plus que les avantages, et qu’on n’appelle ici grands et grandesses érigés avant Charles-Quint que pour se conformer au langage d’aujourd’hui. On a vu encore dans cette espèce de court traité de la grandesse, fait ici à l’occasion de l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne, que Charles-Quint, en substituant la dignité de grand d’Espagne qu’il inventa à l’ancienne dignité de ricohombre qu’il abolit, comprit les plus puissants des ricos-hombres dans ces nouveaux grands d’Espagne, et n’y comprit point ceux qu’il crut pouvoir ne pas ménager, qui de fait demeurèrent dégradés. Apparemment que les comtes d’Aguilar furent de ce nombre, puis dès le fils de celui qui avoit été fait comte d’Aguilar, et grand d’Espagne, pour continuer à s’exprimer dans le langage connu, ce fils et sa postérité cessèrent de jouir du rang et des honneurs de grand d’Espagne jusqu’au 6 janvier 1640, que Philippe IV les rendit à J. Ramirez d’Arellano, huitième comte d’Aguilar. Cette maison d’Arellano étoit pourtant bien grande et bien illustre, puisqu’elle descendoit masculinement de Sanche Ramirez, seigneur de Peña Cerrada, frère de Garcias, dit le Restaurateur, roi de Navarre, mort en 1151. C’étoit peut-être pour cela même que Charles-Quint, la voulut abaisser et confondre. Leurs armes mêmes étoient très singulières, et ne pouvoient avoir été prises sans quelque cause curieuse que je n’ai pu découvrir. Elle n’écarteloit point, et portoit l’écu parti de gueules d’or à trois fleurs de lis de l’un en l’autre, deux et une, et celle-ci mi-partie de l’un en l’autre, ces fleurs de lis faites comme celles que nos rois portent aujourd’hui.

Ce J. Ramirez d’Arellano, huitième comte d’Aguilar, rétabli grand d’Espagne par Philippe IV en janvier 1640, épousa la fille unique, héritière de J. de Mendoza, premier marquis de Saint-Germain et de Hinoyosa, dont il eut le neuvième comte d’Aguilar, qui mourut en 1668, et d’une fille du huitième comte d’Oñate, qui étoit Guévara, ne laissa qu’une fille qui porta sa grandesse avec Aguilar Hinoyosa Los Cameros, etc., en mariage, en 1670, à Roderic Emmanuel Manrique de Lara, comte de Frigilliane, duquel j’ai amplement parlé en traitant des conseillers d’État et seigneurs distingués d’Espagne, à l’occasion du testament de Charles II et de l’avènement de Philippe à la couronne d’Espagne. J’ai aussi parlé à la même occasion du comte d’Aguilar, son fils, en celle du premier siège de Barcelone, qu’il vint proposer au feu roi, et qui eut de si fâcheuses suites, à l’occasion de Flotte, et de Renaud qu’il fit arrêter dans l’armée que commandoit le maréchal de Besons en Espagne, à qui il ne le vint dire qu’après l’exécution faite à son insu ; enfin à l’occasion de la disgrâce commune du duc de Noailles et de lui, lorsqu’ils voulurent donner une maîtresse au roi d’Espagne pour faire tomber le crédit de la reine et celui de la princesse des Ursins, qui gouvernoit, et par la maîtresse régner eux-mêmes. Son caractère exposé en ces différentes occasions me dispensera de le retoucher ici. Je me contenterai de dire seulement que c’étoit l’homme de toutes les Espagnes qui avoit le plus d’inquiétude d’esprit, et d’ambition, à qui les moyens coûtoient le moins, et qui étoit le plus dangereux ; aussi le duc de Noailles et lui se sentirent d’abord l’un l’autre dès qu’ils se virent, et lièrent une amitié la plus intime qui a duré autant que leur vie. Il ne me reste donc plus qu’à dire ce qui est arrivé à ce comte d’Aguilar depuis cette disgrâce commune avec le duc de Noailles en 1710. Ce comte d’Aguilar avoit été successivement et rapidement à la tête des finances, des affaires de la guerre, commandé en chef, et capitaine général des armées, colonel du régiment des gardes espagnoles, enfin capitaine de la compagnie espagnole des gardes du corps qu’il perdit par cette disgrâce, et qui fut donnée au comte de San-Estevan de Gormaz, fils aîné du marquis de Villena. Exilé dans une riche commanderie de l’ordre de Saint-Jacques, dont il étoit grand chancelier, et avoit pour cela quitté la Toison d’or par une avarice qui lui fit grand tort dans le monde, il intrigua tant qu’il obtint de servir la campagne suivante, à condition de n’approcher point de Madrid ni de la cour. L’Altesse donnée à la princesse des Ursins et au duc de Vendôme qui indigna toute l’Espagne, et qui en outra tous les grands, fut plus sensible au comte d’Aguilar qu’à pas un, parce que, servant dans son armée, il ne pouvoit éviter de lui donner cet étrange traitement qui jamais n’a appartenu qu’aux infants et au bâtard don Juan d’Autriche, qui l’usurpa dans les troubles qu’il excita pendant la minorité de Charles II et le parti qui l’éleva jusqu’à arracher le gouvernement d’entre les mains de la reine-mère régente. Pendant cette campagne de 1711, le duc de Vendôme mourut fort brusquement et fort solitairement à Vignaroz, au bord de la mer, comme on l’a vu en son lieu, et cru empoisonné sans aucun doute. Aguilar eut le malheur d’en être fort publiquement accusé, et fut renvoyé dans sa commanderie pour n’en plus sortir. Quoique la mort du duc de Vendôme eût été reçue avec une joie marquée par tout ce qui étoit distingué en Espagne en dignité ou en naissance, par l’extrême dépit de ce traitement d’Altesse, Aguilar, craint et haï de grands et de petits, ne trouva point de protecteurs, de sorte qu’il passa bien des années sans sortir de sa commanderie. Vers 1720, il obtint permission de venir faire un tour court à Madrid, sous prétexte d’affaires et de santé, à condition de ne se présenter pas devant Leurs Majestés Catholiques. Dans le peu qu’il y séjourna il se jeta à la tête du parti italien, dont je parlerai bientôt, et il lui fut permis après de venir à Madrid, pendant l’absence de la cour, qui étoit à Lerma, puis d’y faire quelque petit séjour, mais en s’y montrant sobrement, et à la fin de se présenter une fois devant Leurs Majestés Catholiques au palais.

C’étoit un très méchant homme sur qui personne ne pouvoit compter, mais si plein d’esprit, de nerf, d’ambition et de ressources qu’il n’étoit pas à mépriser. Ainsi par ces raisons, je fus conseillé d’envoyer lui faire compliment par un gentilhomme comme à un seigneur que j’avois vu à notre cour autrefois. Dès le lendemain, il m’en envoya un me remercier et s’excuser sur son indisposition de n’être pas encore venu me rendre ses devoirs, dont il s’acquitteroit incessamment. En effet, il me vint voir deux jours après, et me trouva. Je la lui rendis promptement, et le trouvai seul. Tout se passa en compliments et en discours de philosophe de sa part, de retraite, etc. Je n’en voulois pas davantage ; il s’en retourna tôt après à sa commanderie sans avoir réitéré nos visites. Je découvris sans peine un homme piqué, frétillant, désolé de son exil, abattu de santé, et cachant ce qui s’en montroit, malgré lui, sous des propos de la satisfaction qui se trouve dans le repos et dans la jouissance de soi-même. Son exil s’est adouci depuis, mais la disgrâce a duré jusqu’à sa mort, qui n’est arrivée que plusieurs années depuis mon retour.

Le duc de Noailles et lui ont toujours été en commerce de lettres, et le roi et la reine d’Espagne le savoient et le trouvoient très mauvais, et toutefois les laissoient faire avec une sorte de mépris pour tous les deux. Le comte d’Aguilar étoit gendre du septième duc de Monteléon Pignatelli, qui, peu après l’arrivée de Philippe V en Espagne, s’étoit retiré à Naples, où il avoit pris le parti de la maison d’Autriche, à laquelle il étoit demeuré attaché le reste de sa vie.

La maison de Manrique de Lara ne cède à aucune autre en Espagne en ancienneté et en grandeur d’origine, en alliances, possessions, en dignités et en emplois ; elle descend de mâle en mâle des comtes souverains de Castille, qui sortoient de même des rois des Asturies et de Galice. Ils ont donné des reines à la Navarre, à Léon et à la Castille, et ils en ont épousé des filles. Ils ont été vicomtes de Narbonne, de la branche desquels est sortie celle de ces derniers comtes d’Aguilar ; enfin ils sont immédiatement alliés de tout temps aux plus grands et aux plus puissants de tous les ricos-hombres du Portugal et de tous les royaumes particuliers qui composent aujourd’hui celui des Espagnes, dont le détail feroit un volume.

Altamira, Ossorio y Moscoso. Roderic de Moscoso, seigneur d’Altamire, perdit son fils unique tout jeune, et eut deux filles. Agnès, l’aînée, épousa Vasco Lopez d’Olloa, dont un fils créé par Jean II, roi de Castille, comte d’Altamire, qui eut un fils mort jeune, à qui succéda la sœur cadette de sa mère Urraque de Moscoso, femme de Pierre Alvarez Ossorio, fils puîné du premier comte de Transtamare, et frère du premier marquis d’Astorga. C’est de ce mariage que descend de mâle en mâle le comte d’Altamire que j’ai vu en Espagne ; il en est le neuvième comte, et cette grandesse, érigée pour son trisaïeul paternel de mâle en mâle, est vers 1610. Son père mourut en 1698 à Rome, ambassadeur de Charles II, après avoir été vice-roi de Naples ; et sa mère fille du sixième duc de Segorbe et de Cardonne, de la maison Folch, étoit de mon temps, et longuement depuis, camarera-mayor de la reine avec une très grande considération.

Ce comte d’Altamire son fils étoit fort jeune, et néanmoins fort considéré, lorsque j’étois en Espagne. Il étoit bien fait, appliqué, peu répandu, de l’esprit, de la conduite, fort grave, fort dévot, fort mesuré, fort espagnol, et regrettant toutes les étiquettes, fort homme d’honneur, l’air d’un grand seigneur, mais un air un peu embarrassé et très réservé, et une politesse qui sembloit vouloir bien faire à travers la crainte d’en trop faire. Il fut sommelier de corps du roi Louis, après l’abdication de Philippe V, son favori dans ce court règne, au point qu’il auroit tout gouverné. Il avoit déjà rétabli toutes les étiquettes espagnoles et aboli tout ce qui n’étoit pas des manières et des coutumes antiques. On pouvoit dire de lui que c’étoit un jeune seigneur qui n’avoit point vieilli depuis le temps de Philippe II. Il fut nommé chevalier du Saint-Esprit avant l’âge, et mourut bientôt après sans l’avoir encore reçu et sans avoir été marié. On commençoit déjà de mon temps à le compter beaucoup ; il savoit et s’appliquoit fort à la lecture, et je ne sais qui auroit pu l’apprivoiser.

Aranda, Roccafull. Cette terre en Aragon a été possédée premièrement en comté par lope Ximenez de Urrea, et passa par sa fille dans la maison d’Heredia, dont le cinquième comte d’Aranda fut fait grand d’Espagne vers 1590. Cette grandesse est enfin tombée par des héritières en 1696 à l’héritière Henriette-Françoise d’Heredia et Urrea qui la porta en mariage à Guillaume de Roccafull, et Rocaberti, comte d’Albaterre. MM. de Roquefeuille qui sont François, et en France, et ont eu un grand maître de Malte, prétendent être de même maison que les Roccafull d’Espagne.

LosArcos, Figuerroa y Laso de La Vega. Philippe III l’érigea en comté pour Pierre, quatrième fils de Gomez Suarez de Figuerroa et d’Elvire Laso de La Vega, lequel Pierre avoit épousé Blanche de Sotomayor, dame de Los Arcos : c’est le troisième comte d’Arcos, sorti de mâle en mâle du premier qui fut fait grand d’Espagne, en 1697, par Charles II, et c’est son fils que j’ai vu, mais assez peu en Espagne.

Atarez, Villalpando, de Philippe V.

Banos, Moncade. Gonzalve, marquis de Landrada, second fils de J., cinquième duc de Medina-Cœli, et frère du sixième des bâtards de Foix, eut un fils aîné marié à M. A. I., héritière de Leyva et de Baños. Il en devint veuf, fut vice-roi du Mexique, et se fit carme en 1676. Son fils aîné, comte de Baños et marquis de Landrada, grand écuyer de Charles II, fut fait par lui grand d’Espagne en novembre 1692. Il ne laissa qu’une fille qui apporta cette grandesse en mariage à Emmanuel de Moncade, comte de Baños par elle, frère du marquis d’Ayétone, duquel j’ai parlé au titre d’Ayétone. Il avoit servi avec distinction, et avoit perdu une jambe, mais par accident. Il n’avoit qu’une fille non plus que son frère.

Benavente, Pimentel. Cette maison est des plus grandes et des plus illustres de Portugal. J. Alphonse Pimentel avoit épousé J. Tellez de Menesez qui lui avoit apporté la ville et terre de Bergança, laquelle étoit fille du comte de Barcellos, et sœur d’Éléonore, femme de Ferdinand, roi de Portugal. Ce Pimentel passa de Portugal en Castille avec l’infante Béatrix, femme de Jean, premier roi de Castille. Henri III, roi de Castille, lui échangea Bergança pour Benavente en Léon, et l’érigea en comté en récompense de ses services, entre autres d’avoir défendu Bergança jusqu’à la dernière extrémité contre le roi Jean de Portugal. Cet échange et érection est de 1398, et c’est le titre de la grandesse qui est toujours depuis demeurée dans sa postérité masculine.

J’ai fort parlé du douzième comte de Benavente à l’occasion des seigneurs principaux qui étoffent lors du testament de Charles II et de l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne [21]. Celui-ci, qui étoit sommelier du corps de Charles II, et qui le demeura de Philippe V, fut de la junte de la régence par le testament, et dans la suite fut un des cinq premiers Espagnols à qui Louis XIV envoya le collier du Saint-Esprit. Il étoit gendre du comte d’Ouate Guevara, et mourut fort vieux et fort considéré, et dans sa charge. Je n’ai point vu son fils qui avoit épousé une sœur du duc de Gandie-Borgia. Il passoit sa vie reclus dans ses terres dans une extrême dévotion, affolé des jésuites dont cinq ou six l’y assiégeoient toujours. Il y tenoit sa femme et ses enfants auxquels il ne donnoit rien, ne vouloit voir personne, et désoloit sa famille et toute sa parenté, qui, avec tous leurs efforts, n’avoient pu le tirer de cette obscurité ni le persuader de marier pas un de ses enfants, quoique fort riche. Ce qui est étrange, c’est qu’ils disoient tous qu’il avoit de l’esprit et du savoir, et pestoient tous contre les jésuites qu’ils prétendoient l’avoir ensorcelé ; ses sœurs étoient les duchesses de Medina-Sidonia et d’Hijar.

Castrillo, Crespi.

Egmont, Pignatelli. Egmont est en Hollande, d’où une des plus grandes et des plus illustres maisons des Pays-Bas a tiré son origine et son nom de cette seigneurie. La souveraineté de Gueldre et de quelques autres pays a été un assez court espace de temps dans une branche de cette maison qui s’éteignit après l’avoir perdue. Ses autres branches s’attachèrent à la maison d’Autriche, et eurent de grands emplois, de grands honneurs, de grands biens, mais des honneurs par les dignités. Je n’ai pu démêler si leur grandesse est de Charles-Quint, comme il est assez apparent, ou de Philippe II. La dernière branche de cette maison s’éteignit en la personne du dernier comte d’Egmont, en 1707, qui, à l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne, suivit le sort des Pays-Bas, qui se soumirent à ce nouveau monarque. Il servit en France et en Espagne avec beaucoup de valeur et de distinction, étoit lieutenant général et chevalier de la Toison d’or. Il avoit épousé en 1697, à Paris, Mlle de Cosnac, nièce paternelle du célèbre archevêque d’Aix, commandeur du Saint-Esprit et parente fort proche de la duchesse de Bracciano, si connue depuis sous le nom de princesse des Ursins, qui fit ce mariage, et qui logeoit Mlle de Cosnac chez elle, à Paris, où elle étoit alors. Le père de ce dernier comte d’Egmont mourut à Cagliari en 1682, vice-roi de Sardaigne, étoit arrière-petit-fils du comte d’Egmont à qui le duc d’Albe fit couper la tête, et au comte d’Horn, à Bruxelles, 1568. Par la mort du dernier comte d’Egmont sans enfants, de M. Ang. de Cosnac, à Fraga, en Catalogne, 15 septembre 1707, dans l’armée d’Espagne, sa succession et sa grandesse vint à l’aînée de ses sœurs mariée à Nicolas Pignatelli, duc de Bisaccia au royaume de Naples et à leur postérité. Ce dernier comte d’Egmont mourut à trente-huit ans, et sa veuve à quarante-trois, à Paris, en 1717, et cette grande maison d’Egmont fut éteinte.

Nicolas Pignatelli, quatrième duc de Bisaccia, épousa en 1695 la sœur aînée du dernier comte d’Egmont, qui en devint en 1707 l’héritière. Lui et le prince de Cellamare, dont il a été tant parlé ici, étoient amis intimes et enfants du frère et de la sœur, et le père de ce duc de Bisaccia et le pape Innocent XII étoient enfants des issus de germain. Nicolas, duc de Bisaccia, mari de l’héritière d’Egmont, s’attacha au service de Philippe V, et s’y distingua fort. Il fut pris dans Gaëte, combattant aux côtés du marquis de Villena, et conduit avec lui dans les prisons de Pizzighetone. Il perdit sa femme en 1714, et vint s’établir à Paris, où il maria son fils unique à la seconde fille du feu duc de Duras, fils et frère aîné des deux maréchaux ducs de Duras, qui a pris le nom et les armes de sa mère, avec ses biens et sa grandesse. Sa sœur a épousé le duc d’Aremberg, grand bailli et gouverneur de Mons et du Hainaut pour l’empereur. Ce comte d’Egmont, après la mort à Paris du duc de Bisaccia, son père, fit un voyage à Naples, où il mourut, laissant deux fils, dont l’aîné, comte d’Egmont, et grand d’Espagne, a épousé la fille unique du duc de Villars, fils unique du maréchal duc de Villars, dont il n’a point d’enfants ; il a un frère ; tous deux dans le service du roi. Leur branche est la cadette de toute la maison Pignatelli.

San-Estevan de Gormaz, Acuña y Pacheco, fils aîné du marquis de Villena, dans l’article duquel on trouve tout ce qui regarde ce fils, fort distingué par sa valeur et ses actions, et par sa probité, peu par ses talents, d’esprit assez court et courtisan timide. Je l’ai fort vu et pratiqué en Espagne.

San-Estevan delPuerto, Benavidez. On a vu ci-devant, à l’article de Santa-Cruz, quelle est la maison de Benavidez, et de quelle de ses branches sont issus les comtes de San-Estevan del Puerto enfin l’origine du nom de San-Estevan del Puerto. Je me contenterai donc de dire que le neuvième comte de San-Estevan del Puerto, frère de l’épouse du marquis de Villena, duc d’Escalope, fut un homme de beaucoup d’esprit, de traits plaisants et en même temps de capacité. Il fut capitaine général du royaume de Grenade en 1672, et en 1678 vice-roi de Sicile, dont il éteignit et punit à Messine les restes de la révolte passée ; vice-roi de Naples, en 1687, qu’il quitta au duc de Medina-Coeli, en 1696, et en arrivant à Madrid il fut fait grand d’Espagne par Charles II, conseiller d’État et grand écuyer de la reine palatine. Il se conduisit si bien à la mort de Charles II, et à l’arrivée de Philippe V en Espagne, qu’il fut majordome-major de la reine sa première femme. Il mourut fort vieux et fort considéré, sans enfants. Son frère, appelé à sa grandesse, quitta force bénéfices, lui succéda, se maria, et eut un fils qui est le comte de San-Estevan del Puerto, qu’on a vu premier ambassadeur plénipotentiaire d’Espagne au congrès de Cambrai, gouverneur et premier ministre de l’infant don Carlos en Toscane, enfin chevalier du Saint-Esprit, et grand écuyer du prince des Asturies. Je n’ai point vu son père ni lui en Espagne.

Fuensalida, Velasco, terre en Castille. Henri IV, roi de Castille, la fit comté pour Pierre Lopez d’Ajala. Bernardin de Velasco y Roïas et Cardenas, fils de la sœur et héritière du sixième comte de Fuensalida Ajala, mort sans enfants, lui succéda et quitta le nom de Folmenar qu’il portoit pour prendre celui de comte de Fuensalida. Son fils fut successivement vice-roi de Navarre, de Sardaigne, de Galice, et gouverneur général de Milan. Il ne faut pas omettre qu’il avoit un frère aîné, mort sans enfants, à qui il succéda. Charles II le fit grand d’Espagne vers 1670 ; c’est son petit-fils de mâle en mâle que j’ai vu à Madrid, mais peu, et j’en ai encore ouï moins parler. C’étoit un grand garçon, assez bien fait, de vingt-six ou vingt-sept ans. J’ai parlé de la maison de Velasco au titre des ducs de Frias, connétables de Castille.

Lamonclava, Bocanegra y Portocarrero. Louis Bocanegra y Portocarrero, fait comte de Palma, en 1507, épousa 1° une Tellez-Giron, fille du comte d’Urena, en 1499 ; et en secondes noces Éléonore Laso de La Vega, fille du seigneur de Los Arcos. Du premier lit, il eut un fils qui continua les comtes de Palma, et une fille religieuse ; du second lit il eut Antoine, seigneur de Lamonclava, duquel est sortie cette branche. Son petit-fils fut fait comte de Lamonclava, et eut Melchior, second comte de Lamonclava, que Charles II fit grand d’Espagne vers 1693, et l’envoya gouverneur de la Nouvelle-Espagne. Il eut des fils d’une Urena, fille du seigneur de Berbedel, qu’il avoit épousée, qu’il emmena avec lui en Amérique, où il mourut, et qui y sont restés, tellement que, lorsque j’étois en Espagne, ils étoient encore aux Indes Occidentales ; je ne sais si le comte de Lamonclava en est revenu depuis. Je remets à parler des maisons Bocanegra et Portocarrero à l’article de Palma.

Lemos, Portugal y Castro. On a tâché d’expliquer, t. III, p. 88 et suiv., les branches royales de Portugal, Oropesa, Lemos, Veragua, Cadaval, etc. [22], ainsi on n’en répétera rien. Lemos en Galice a passé dans plusieurs maisons par des héritières, et tomba par cette voie à Pierre Alvarez Ossorio, seigneur de Cabrera et Ribera, qui en fut fait comte en 1457, par Henri IV, roi de Castille. Son fils mourut avant lui, qui ne laissa qu’un bâtard, lequel fut héritier de son grand-père. Ce bâtard, second comte de Lemos, ne laissa que deux filles ; l’aînée hérita de Lemos et des biens de son père, et Denis de Portugal, fils puîné du troisième duc de Bragance, n’eut pas honte à la maurisque de l’épouser. Aussi était-il lui-même de race bâtarde, quoique couronnée. C’est de lui que sont masculinement venus les comtes de Lemos, grands d’Espagne, jusqu’à présent. J’ignore la date de cette grandesse, qu’on peut vraisemblablement attribuer à Charles-Quint.

C’est le onzième comte de Lemos que j’ai vu en Espagne ; il avoit été vice-roi de Sardaigne, et capitaine général des galères de Naples, sous Charles II, qui lui avoit donné aussi la Toison d’or. On peut voir dans l’article de l’Infantado ce qui est dit de sa conduite, et de celle de la duchesse sa femme, sœur du duc de l’Infantado, à l’égard de Philippe V. Ce comte de Lemos avoit de l’esprit, et se faisoit craindre par la liberté de ses traits. D’ailleurs son extrême paresse et sa parfaite incurie l’empêchoit de faire usage de son esprit, et le tenoit renfermé à fumer sans cesse, chose fort extraordinaire pour un Espagnol : aussi n’étoit-il compté pour rien. Sa femme l’étoit et fort considérée ; sa figure étoit agréable, et sentoit extrêmement ce qu’elle était. Elle avoit de l’esprit, du sens, de la politesse, de l’intrigue, aimoit la conversation et le monde, et en voyoit chez elle plus que les autres dames espagnoles. Je l’ai fort vue ; souvent elle m’envoyoit ce qu’on appelle un recao, qui n’est qu’un compliment par un gentilhomme, et savoir de mes nouvelles, et la coutume est d’y répondre par une visite. Elle avoit un beau palais à une extrémité de Madrid, qui donnoit sur la campagne, magnifiquement meublé. Son mari se tenoit dans son appartement. On ne le voyoit jamais dans celui de sa femme, qui s’en passoit très bien, quoique en grande et juste réputation de vertu. On fut surpris avec raison qu’elle eût accepté d’être camarera-mayor de Mlle de Beaujolois, destinée alors à l’infant don Carlos. On n’en pouvoit choisir une plus agréable par elle-même ni plus capable de former une princesse. Aussi réussit-elle très bien, et s’en fit fort aimer.

Maceda, Lanços. C’est une maison de Galice, ancienne, mais qui n’a rien d’illustre. Le comte de Maceda que j’ai vu à Madrid étoit un très bon et très honnête homme, fort simple, fort modeste, peu répandu et d’un esprit médiocre. Il n’étoit jamais sorti de chez lui lorsque la guerre mit en feu toutes les provinces d’Espagne. Sa fidélité pour Philippe V se distingua dans la sienne par les efforts de sa bourse, quoique peu riche, de son crédit et de ses soins. Il se présenta à tout avec valeur et jugement, secondé du comte de Taboada son fils, qui avoit tout l’esprit, la valeur, le sens et l’activité possible. La guerre finie, Philippe V, qui avoit beaucoup ouï parler de leurs services, s’en souvint ; il fut surpris de ne les point voir à Madrid ; il leur fit dire d’y venir, et fort peu après, il fit le comte de Maceda grand d’Espagne, et tout le monde y applaudit. Dans la suite, il fit la comtesse de Taboada, dame du palais, qui avoit aussi de l’esprit et du mérite, et ils étoient aimés et considérés à Madrid où il se fixèrent, et l’étoient fort en Galice. Le comte de Taboada étoit borgne d’accident ; il en plaisantoit le premier ; il étoit fort dans le monde, et désiré et estimé partout. Il étoit fort des amis des ducs de Veragua et de Liria, du prince de Masseran et de beaucoup d’autres. C’est un de ceux qui venoit le plus familièrement manger ou causer chez moi. Je n’ai point vu d’homme plus gai ni qui eût la repartie plus vive, plus fine, plus à la main. Ces trois amis que je viens de nommer l’attaquoient sans cesse. C’étoit entre eux des escarmouches ravissantes. Il étoit déjà lieutenant général, quoique jeune, et a toujours depuis continué à servir. Il a perdu son père depuis mon retour, et est devenu capitaine général avec beaucoup de réputation, de valeur et de talent pour la guerre, et d’homme d’honneur et de probité. Il a pris le nom de comte de Maceda, et a fait sa couverture depuis la mort de son père.

Miranda, Chaves. Cette terre, qui est sur le Duero, fut érigée en comté par Henri II, roi de Castille, pour Pierre de Zuniga, second fils du premier comte de Ledesma. Après avoir passé en diverses maisons par des filles héritières, la dernière fut Anne, fille unique de Ferdinand de Zuniga, comte de Miranda et duc de Peñeranda, qui porta l’un et l’autre avec beaucoup de grands biens en mariage à J. de Chaves, comte de La Calçada et de Casarubios, fils de Melchior de Chaves, frère et héritier de Balthasar de Chaves, comte de La Calçada et d’Isabelle-Joséphine Chacon y Mendoza, comtesse de Casarubios, et mourut en 1696, et laissa des fils et des filles. Cette maison de Chaves est ancienne et grandement alliée. Je ne vois point la date de la grandesse de Miranda, mais la date de celle du duché de Peñeranda me persuade que l’autre est de même date ; car Miranda est certainement grandesse, et le Chaves que j’ai vu à Madrid, qui les possédoit toutes deux, s’appeloit comte de Miranda, ce qu’il n’eût pas fait étant duc de Peñeranda, qui est grandesse, si Miranda ne l’étoit pas. Disons donc un mot de Peñeranda, son érection en duché par Philippe III, pour Jean de Zuniga y Avellaneda y Cardenas, vice-roi de Catalogne, puis de Naples, enfin président des conseils d’État et de guerre. Il étoit fils puîné de Fr. de Zuniga, quatrième comte de Miranda, et il avoit épousé la fille de son frère aîné, héritière de la maison de Miranda. Leur fils Diègue lui succéda, et fut père de Fr., troisième duc de Peñeranda, auquel Philippe IV accorda la grandesse de première classe en 1629 ; car ce n’est que depuis très peu d’années que tous les duchés sont peu à peu devenus grandesses, avant quoi ils ne donnoient qu’une dénomination distinguée, mais sans rang et sans honneurs. L’année suivante il devint comte de Miranda par la mort de sa grand’mère susdite. Sa postérité masculine défaillit, et ses biens et ses deux grandesses furent portés dans la maison de Chaves, comme il a été expliqué au commencement de cet article.

Montijo, Acuña y Portocarrero. On peut voir au titre d’Ossone ce qu’il est dit de la maison d’Acuña, et que les marquis de Villena, ducs d’Escalone, en sont les aînés. Pierre d’Acuña, second fils du premier duc d’Escalone et marquis de Villena, et de Marie, héritière de Portocarrero, en ajouta le nom au sien, et fit cette branche qui souvent porta le nom seul de Portocarrero. Son fils fut seigneur de Montijo, et le fils de celui-là en fut fait comte par Charles II, en 1697. C’est le cinquième comte de Montijo que j’ai vu en Espagne. Il étoit fort jeune et fort bien fait, et avoit déjà la Toison d’or. Son père avoit été fait grand d’Espagne par Charles II, et avoit laissé son fils enfant qui fut marié de fort bonne heure, servit dès qu’il le put dans la fin de la guerre, s’incommoda, et eut le bon sens de se retirer avec sa femme dans ses terres pour raccommoder ses affaires. Il y avoit déjà longtemps qu’il vivoit dans cette retraite, qui n’étoit pas fort loin de Lerma, lorsqu’il y parut au mariage du prince des Asturies. Il y fut très bien reçu du roi, et de la reine qui avoit pris de la bonté pour lui. Cette retraite lui avoit fait honneur ; et il avoit montré de la valeur à la guerre. Toute la cour marqua de la joie et de l’empressement de le voir. Il retourna chez lui de Lerma, et ne vint à Madrid que peu avant mon départ où il fut très bien reçu de tout le monde, et où je le vis assez. Il me parut de l’esprit, instruit, sage et beaucoup de politesse et d’envie de faire. C’est lui qui longtemps depuis fut ambassadeur en Angleterre et à Francfort, pour l’élection de l’empereur, électeur de Bavière. Il se plaignit fort de mon absence à la Ferté dans ses courts passages à Paris. Il fut grand écuyer de la reine après Cellamare, et son majordome-major après Santa-Cruz, ce qui enfin lui a procuré l’ordre du Saint-Esprit.

Oñate, Velez de Guevara. Terre en Biscaye, est possédée depuis plusieurs siècles par l’ancienne maison Velez de Guevara, illustre par ses possessions, ses alliances et ses emplois. Henri IV, roi de Castille, fit en 1449, Inigo Velez de Guevara comte d’Oñate, dans la postérité masculine duquel elle s’est toujours conservée de père en fils ou deux seules fois par des héritières qui ont épousé de leurs parents du même nom, armes et maison qu’elles. Le huitième comte d’Oñate, dont la grand’mère étoit Tassis ou Taxis, succéda à l’utile charge héréditaire de grand maître des postes d’Espagne et au comté de Villamediana à Jean de Tassis, second comte de Villamediana, neveu de sa grand’mère, qui fut tué d’un coup de pistolet, 21 août 1622, à Madrid étant dans son carrosse avec don Louis de Haro ; et on prétendit alors que Philippe IV l’avoit soupçonné d’être amoureux de la reine son épouse, Élisabeth de France, et avoit fait faire le, coup. Ce comte de Villamediana n’avoit point d’enfants, et ce huitième comte d’Oñate transmit ses biens et sa charge à sa postérité, laquelle, je crois, a eu le même sort que les charges héréditaires de connétable et d’amirante de Castille, supprimées par Philippe V, et que celle de grand maître des postes, dont le profit étoit grand, et les fonctions importantes et peu convenables à une succession héréditaire, aura changé de forme ; mais c’est de quoi je ne me suis pas avisé de m’informer. C’est le onzième comte d’Oñate que j’ai vu fort peu à Madrid, où il vivoit fort retiré, où peut-être l’avoit jeté la disgrâce de son puissant beau-père, le huitième duc de Medina-Coeli, mort en prison en 1711, à Fontarabie, comme on le peut voir à l’article de Medina-Cœli.

Quant à la date de la grandesse, il paroît qu’elle est la même que l’érection en comté, c’est-à-dire que Inigo Velez de Guevara, premier comte d’Ouate en 1469, devint en même temps rico-hombre, et que de cette dignité les comtes d’Ouate passèrent sous Charles-Quint à celle de grands d’Espagne, ayant toujours été grands d’Espagne depuis.

Oropesa, Portugal y Toledo. J’ai expliqué, ce me semble (t. III, p. 88), les branches royales de Portugal, Oropesa, Lemos, Veragua, Cadaval, etc., en sorte que je n’ai plus rien à y ajouter ici. J’ai de même exposé, lors de l’avènement de Philippe V à la couronne d’Espagne, ce qui regardoit le personnel du comte d’Oropesa d’alors [23], président du conseil de Castille, sous Charles II, exilé par lui, rappelé tout à la fin de la vie de ce roi, exilé de nouveau peu après l’arrivée de Philippe V en Espagne, et mort dans cet exil. Depuis mon retour son fils revint à Madrid, y épousa une fille du comte de San-Estevan de Gormaz, et fut après chevalier de la Toison, en même promotion avec son beau-père.

Palma, Bocanegra y Portocarrero. Alphonse XI, roi de Castille, donna cette terre en 1342 à Gilles Bocanegra, qui s’étoit mis à son service, et étoit pour lui général de la mer. Son frère étoit duc de la république de Gênes. Gilles avoit épousé Marie de Fiesque. Leur troisième petit-fils, quatrième seigneur de Palma, épousa Fr. Portocarrero, et ses descendants s’honorèrent tellement de cette alliance qu’ils quittèrent leur nom de Bocanegra, et ne prirent plus que le nom de Portocarrero. Louis, arrière-petit-fils du Bocanegra et de la Portocarrero, et huitième seigneur de Palma, en fut fait comte par la reine Jeanne, mère de Charles-Quint, en 1507 ; et son petit-fils, troisième comte de Palma, fut fait marquis d’Almenara en 1623, par Philippe IV. Le fils de ce troisième comte de Palma, et premier marquis d’Almenara, mourut avant son père, et laissa deux fils dont le cadet fut le fameux cardinal Portocarrero, promu par Clément IX, en 1669, depuis archevêque de Tolède, dont il a été tant parlé ici, à l’occasion du testament de Charles II [24], de l’arrivée de Philippe V en Espagne, et plusieurs fois depuis. Son frère aîné L. Ant. Th. Bocanegra y Portocarrero, cinquième comte de Palma, fut rétabli, en 1679, par Charles II, dans le rang et honneurs de grand d’Espagne, dont ses pères, ricos-hombres avant Charles-Quint, avoient été laissés par cet empereur et roi d’Espagne dans l’état commun de ceux qu’il avoit comme dégradés, en abolissant cette dignité pour établir en sa place celle de grands d’Espagne, où il n’avoit point admis le comte de Palma ni ses successeurs jusqu’à Charles II. Ce premier grand d’Espagne, comte de Palma, eut un fils qui fut persécuté par la princesse des Ursins, sous Philippe V, par haine pour sa femme, qui avoit beaucoup d’esprit, qui voyoit beaucoup de monde à Madrid, qui étoit extrêmement considérée, et y tenoit une manière de tribunal où tout étoit apprécié, et où on ne pardonnoit pas à la princesse des Ursins sa conduite fort étrange à l’égard du cardinal Portocarrero, dont on a parlé ici plus d’une fois. À la fin même le comte et la comtesse de Palma furent exilés ; c’est leur fils qui leur avoit succédé du temps que j’étois en Espagne, mais que je n’y ai point vu, qui vivoit mécontent et fort retiré, qui venoit fort rarement à Madrid, et qui ne se présentoit point au palais.

Parcen, Sarcenio.

Parédes, dit Tolede y La Cercla, en Castille, appartenant à Roderic Manrique qu’Henri IV en fit comte et grand de Castille en 1452. De cette maison de Manrique de Lara elle passa en plusieurs autres par des filles héritières, puis à un cadet de la maison de Gonzague, dont l’héritière épousa Th., des bâtards de Foix, marquis de La Laguna en 1675. Il étoit frère du huitième duc de Medina-Coeli, et oncle du dernier duc de Medina-Coeli, mort prisonnier à Fontarabie, dernier duc de Medina-Coeli des bâtards de Foix. Le marquis de La Laguna, devenu ainsi par sa femme comte de Parédes, fut capitaine général de la mer, vice-roi de la Nouvelle-Espagne, enfin majordome-major de la palatine, seconde femme de Charles II, qui en même temps le fit grand de la troisième classe, et seulement pour sa personne en 1689 ; il mourut en 1692. Fort peu après, Charles II accorda la grandesse à sa veuve pour elle et pour ses héritiers à toujours, en considération de ce que les comtes de Parédes avoient été grands de Castille jusqu’à Charles-Quint, c’est-à-dire ricos-hombres, et n’avoient pas été compris parmi ceux qui de ce rang passèrent, sous Charles-Quint, à celui de grands d’Espagne, et demeurèrent dégradés. Cette même dame fut, en 1694, camarera-mayor de la reine, mère de Charles II, jusqu’à la mort de cette princesse, qui arriva en 1696. Elle laissa un fils né à Mexique en 1683, que j’ai vu à Madrid.

Peneranda, Velasco. Terre qu’il ne faut pas confondre avec une autre du même nom qui est duché, dont il a été parlé en l’article de Miranda. Celle-ci fut érigée en comté par Philippe III pour Alph. de Bracamonte, gouverneur de l’infant Charles son fils. Balthasar Emmanuel, fils aîné d’Alph. de Bracamonte, second comte de Peñeranda n’eut que deux filles. L’aînée porta le comté de Peñeranda en mariage à Gaspard de Bracamonte, frère de son père, qui fut conseiller d’État, président des conseils des ordres, des Indes et d’Italie, vice-roi de Naples, ensuite ambassadeur plénipotentiaire d’Espagne à la paix de Munster ; enfin, à la mort de Philippe IV, un des gouverneurs de la monarchie. Il mourut à Madrid en 1676. Son fils mourut tout à la fin de 1689 sans enfants.

Son héritière fut Ant. de Bracamonte, seconde fille de Balthasar-Emmanuel, second comte de Peñeranda, dont la sœur aînée l’avoit porté en mariage au frère de leur père. Cette Ant. avoit épousé Pierre Fernandez de Velasco, second marquis del Fresno, qui fut ambassadeur d’Espagne en Angleterre et conseiller d’État. Son père, né sourd et muet, avoit appris à se faire entendre, à lire, à écrire, etc., avec le prince de Carignan, en 1638, à Madrid, par l’industrie d’un Espagnol, nommé Emmanuel Ramirez de Carion. Ce second marquis del Fresno, devenu comte de Peñeranda par sa femme, obtint de Charles II la grandesse à vie de troisième classe, puis de l’étendre à la vie de son fils, qui l’a enfin obtenue perpétuelle de Philippe V. On a parlé sous le titre de Frias de la maison de Velasco. Ce comte de Peñeranda étoit à Madrid de mon temps.

Peralada, Rocaberti.

Priego, Cordoue. J’ai fort connu et pratiqué à Madrid le comte de Priego, qui étoit ami intime du duc de Bejar, avec lesquels j’ai eu en tiers, plusieurs bonnes et sages conversations et quelquefois assez instructives. Le comte de Priego étoit un petit homme noir, rougeaud, ventru, des yeux pétillants d’esprit et de feu, et qui ne trompoient pas ; aussi avant dans le grand monde qu’un seigneur espagnol y pouvoit être, et qui se fit faire grand d’Espagne fort plaisamment.

Il avisa que la princesse des Ursins avoit fait venir d’Italie à Madrid le fils de sa défunte sœur de Lanti, qu’elle avoit fort aimée, qu’il étoit pauvre et qu’elle cherchoit à le marier richement ; lui fit accroire que sa fille unique seroit un fort grand parti. Il sut si bien conduire que tous les examens qu’elle en fit faire l’en persuadèrent si bien qu’elle pensa tout de bon au mariage, et le lui fit proposer. Priego, en habile homme, se fit prier et si bien qu’il déclara qu’il vouloit une condition sans laquelle il ne le feroit point et avec laquelle il concluroit de tout son cœur ; que cette condition étoit au pouvoir de la princesse des Ursins et à l’avantage de son neveu ; qu’en un mot il vouloit être grand d’Espagne. Mme des Ursins, surprise de la sécheresse avec laquelle cette proposition se faisoit, fit la froide, se montra étonnée que quelqu’un prétendit lui faire la loi. Priego n’en fut pas la dupe et laissa tomber la chose. Mme des Ursins le voyant si résolu ne voulut pourtant pas manquer une si bonne affaire, lui fit reparler et proposer de faire donner la grandesse à son neveu en épousant sa fille. Priego répondit qu’on se moquoit de lui, qu’il savoit bien que Mme des Ursins ne manqueroit pas tôt ou tard de procurer la grandesse à son neveu ; que peu lui importoit à lui qui, avec ses grands biens, ne seroit pas embarrassé de trouver un grand d’Espagne ou un fils aîné de grand pour sa fille, mais que, la voulant bien donner à un homme aussi peu riche qu’étoit Lanti, parce qu’il étoit neveu de la princesse des Ursins qui le désiroit, et par respect et par attachement pour elle, c’étoit bien le moins qu’il en profitât et qu’il eût la grandesse qui, après lui qui étoit déjà vieux, et il le paraissoit bien plus qu’il ne l’étoit, passeroit à sa fille et à son gendre. Mme des Ursins, qui vit bien qu’il n’en démordroit pas, essaya de le résoudre à faire le mariage en lui promettant qu’elle prendroit après son temps pour lui faire obtenir ce qu’il désiroit. Mais Priego sentit bien que, s’il marioit sa fille sur ces belles promesses, on se moqueroit de lui après ; que Mme des Ursins feroit faire Lanti grand d’Espagne, et s’excuseroit sur ce qu’elle n’avoit pu obtenir qu’il le fût. Il renvoya donc la proposition bien loin, fit dire net à Mme des Ursins que, pouvant tout ce qu’elle vouloit, il ne comprenoit point tant de difficultés ; qu’en un mot, l’affaire étoit à prendre ou à laisser, et qu’elle pouvoit compter que le mariage ne se feroit point qu’il ne fût grand d’Espagne, qu’il n’en eût toutes les expéditions, et que de plus il n’eût fait sa couverture. Il y tint ferme, fut fait grand d’Espagne, eut toutes ses expéditions, fit sa couverture, après quoi le mariage suivit immédiatement. Il logea chez lui son gendre, et sa fille fut dame du palais. Mais Mme des Ursins et son neveu ne furent pas longtemps sans s’apercevoir que ce grand parti étoit et seroit en effet des plus médiocres, et que Priego les avoit joués pour être fait grand d’Espagne. Ils furent enragés de la duperie, mais ils firent en gens sages : l’affaire étoit faite ; le gendre, qui étoit doux et honnête homme, n’en vécut pas moins bien avec sa femme et son beau-père ; pour Mme des Ursins, elle eut toujours une dent contre lui, elle la cachoit, mais on s’apercevoit aisément qu’elle ne pouvoit lui pardonner de l’avoir attrapée on ne convenoit pas trop en Espagne que ce comte de Priego fût de la maison de Cordoue.

Tous les matins en se levant, en toute saison, on lui versoit doucement une aiguière d’eau à la glace sur la tête, dont il ne tomboit pas une goutte à terre. Sa tête la consumoit toute à mesure. Il prétendoit que cela lui faisoit le plus grand bien du monde. L’abbé Testu, l’ami de Mme de Maintenon et de tant de gens considérables de la cour et de la ville, avec qui il a passé sa longue vie, et dont il a été parlé ici plus d’une fois, avoit la même pratique, et il n’en tomboit pas non plus une goutte à terre, mais c’étoit de l’eau naturelle, ni chauffée, ni à la glace, en aucune saison. Depuis mon départ, Lanti perdit sa femme, longtemps avant son beau-père, et n’en avoit qu’une fille, en sorte qu’il ne pouvoit plus être grand, parce que la grandesse passoit par-dessus lui du grand-père à la petite fille immédiatement. Il fut du temps en cet état ; à la fin il obtint de Philippe V une grandesse personnelle de troisième classe, et prit alors le nom de duc de Santo-Gemini. Il perdit depuis son beau-père et maria sa fille au second fils de la duchesse d’Havré, sa sœur, qui par là fut grand d’Espagne et comte de Priego, qui alla s’y établir.

Salvatierra, Sarmiento y Sotomayor.

Tessé, Froulay ; François, à Paris. Le maréchal de Tessé, premier écuyer de Mme la duchesse de Bourgogne, qui se piqua de l’aimer pour avoir fait la paix de Turin et traité son mariage. Elle lui procura la grandesse à bon marché, en 1704, lorsqu’il maria son fils si richement à la fille unique de Bouchu, conseiller d’État ; il fit accroire au roi que contre tout usage, le roi d’Espagne lui avoit permis de suivre l’usage de France et de se démettre, comme font les ducs, depuis le dernier connétable de Montmorency qui se démit le premier, et au roi d’Espagne que le roi l’avoit voulu ainsi. La tromperie fut découverte, mais la belle-fille avoit eu le tabouret et le garda.

Visconti, idem, Génois. Ainsi, il y a deux Visconti grands d’Espagne, l’un avec le titre de marquis, l’autre de comte.

On verra par la liste [suivante] tous les grands d’Espagne et de quelle maison ils sont, existant aujourd’hui, d’un seul coup d’œil, en même ordre qu’en détail ci-devant.

DUCS

Abrantès, Alencastro.

Berwick, Fitzjames.

Albe, Tolède.

Bournonville, idem.

Albuquerque, Bertrand y La Cueva del Arco Manrique de Lara.

Doria, idem.

Arcos, Ponce de Léon.

Estrées, idem. Éteint.

Aremberg, Ligne.

Frias, Velasco, connétable de Castille.

Arion, Sotomayor y Zuniga.

Gandie, Llançol y Borgia.

Atri, Acquaviva.

Giovenazzo, Giudice.

Atrisco, Sarmiento.

Gravina, des Ursins.

Baños, Ponce de Léon.

Havré, Croï.

Bejar, Sotomayor y Zuniga.

Hijar, Silva.

Del Infantado, Silva.

Noailles, idem.

Licera, Aragon.

Osuna, Acuña y Tellez-Giron.

Liñarès, Alencastro.

Saint-Pierre, Spinola.

Liria, Fitzjames.

Popoli, Cantelmi.

Medina-Coeli, Figuerroa y La Cerda.

Sessa, Folch y Cardonna.

Medina de Riosecco, Enriquez y Cabrera.

Saint-Simon, idem.

Medina-Sidonia, Guzman, amirante de Castille.

Solferino, Gonzague.

Saint-Michel, Gravina.

Tursis, Doria.

La Mirandole, Pico.

Veragua, Portugal y Colomb.

Monteillano, Solis.

Villars, idem.

Monteléon, Pignatelli.

Uzeda, Acuña y Pacheco y Tellez-Giron.

Mortemart, Rochechouart. Éteint.

46, dont deux sont les mêmes que leurs fils, conjointement, et deux éteints, ainsi 44 depuis.

Nagera, Ossorio y Moscoso.

Nevers, Mancini.

PRINCES DE

Bisignano, Saint-Séverin.

Ligne, idem.

Santo-Buono, Caraccioli.

Masseran, Ferrero.

Buttera, Branciforte.

Melphe, Doria.

Cariati, Spinelli.

Ottaïano, Médicis.

Chalois, Talleyrand.

Palagonia, Gravina.

Chimay, Hennin-Liétard.

Robecque, Montmorency.

Castiglione, Aquino.

Sermoneta, Gaetano.

Colonne, idem, connétable de Naples.

Sulmone, Borghèse.

Doria, idem.

Surmia, Odeschalchi.

18.

MARQUIS

Arizza, Palafox.

Mancera.

Ayetona, Moncade.

Mondejar, Ivannez.

Los Balbazès, Spinola.

Montalègre, Guzman.

Bedmar, Bertrand y La Cueva.

Pescaire, Avalos.

Camaraça, Los Cobos.

Richebourg, Melun. Éteint.

Castel dos Rios, Sernmenat.

Ruffec, Saint-Simon.

Castel-Rodrigo, Hoinodeï ; Pio.

Torrecusa, Caraccioli.

Castromonte, Breza.

Tavara, Tolède.

Clarafuente, Grillo.

Villena, Acuña y Pacheco.

Santa-Cruz, Benavidez y Bazan.

Villafranca, Tolède.

Laconi, idem.

Visconti, idem.

Lede, Bette.

23.

COMTES

Aguilar, Manrique de Lara.

Altarez, Villalpando.

Altamira, Ossorio y Moscoso.

Baños, Mancade y La Cerda.

Aranda, Roccafull.

Benavente, Pimentel.

Los Arcos, Guzman.

Castrillo, Crespi.

Egmont, Pignatelli.

Palma, Bocanegra y Portocarrero.

San-Estevan de Gormaz, Acuña y Pacheco.

Parcen, Sarcenio ou Sarterio.

San-Estevan del Puerto, Benavidez.

Parédes, dit Tolède y La Cerda, mais de Medina-Coeli des bâtards de Foix.

Fuensalida, Velasco.

Peneranda, Velasco.

Lamonclava, Bocanegra.

Peralada, Rocaberti.

Lemos, Portugal y Castro.

Priego, Cordoue.

Maceda, Lanços.

Salvatierra, Sarmiento.

Miranda, Chaves.

Tessé, Froulay.

Montijo, Acuña y Portocarrero.

Visconti, idem.

Oropesa, Portugal y Tolède.

27.

Ainsi 112 grands [25].

On y compte les trois éteints depuis.

Mais Philippe V en a fait beaucoup depuis.

On n’y compte que pour deux les deux pères qui le sont conjointement avec leu r fils.

Ducs en Espagne

32

Marquis en Espagne

18

en France

5

en France

1

en Flandre

1

en Flandre

»

en Italie

6

en Italie

3

44

Princes en Espagne

2

Comtes en Espagne

25

en France

3

en France

2

en Flandre

1

en Flandre

»

en Italie

12

en Italie

1

18

28

Espagnols.

François.

Flamands.

Italiens.

Anglois.

Duc

25

5

3

10

1

Prince

0

1

3

14

»

Marquis

14

1

2

5

»

Comte

23

1

0

4

»

62

8

8

33

1

Grands en tous pays, 112.

Outre ses grands, il y en a par charges ou état, qui sont :

Le majordome-major du roi.

Le général de la Mercy.

Le grand prieur de Castille de Malte.

Le général des dominicains.

L’abbé de Cîteaux.

Le général des cordeliers.

L’abbé de Clairvaux.

Le général des capucins.

Mais ces grands sont imperceptibles. Rien de si rare qu’un majordome-major du roi d’Espagne ne soit pas pris d’entre les grands, et plus rare encore, s’il se peut, qu’il ne soit pas fait grand, s’il ne l’est pas, fort tôt après être fait majordome-major. Le grand prieuré de Castille de l’ordre de Malte, qui vaut cent mille écus de rente, est donné à un des infants, et tant qu’il y aura de ces princes, il y a toute apparence que ce riche morceau demeurera entre leurs mains. À l’égard des moines, ce n’est que très improprement qu’on les dit être grands d’Espagne. Ils n’ont jamais eu nulle part hors de l’Espagne aucune des distinctions, rangs ni honneurs des grands d’Espagne ; ils en reçoivent à titre de généraux d’ordre, et quoique ce puisse être à titre de grandesse, et jusqu’à présent les choses ont toujours été ainsi en Espagne ; même quand ils y vont pour la visite de leurs couvents ou les affaires de leurs ordres, ils n’y sont pas autrement traités qu’à titre de généraux d’ordre. Tout ce qu’ils ont de particulier en Espagne, et qu’ils n’ont nulle part ailleurs, c’est que la première fois seulement qu’ils vont saluer le roi d’Espagne, il les fait couvrir, et ils se couvrent en effet, et c’est de là qu’ils sont dits grands d’Espagne. Mais après cette première fois, s’ils reparaissent devant le roi d’Espagne, ils ne se couvrent point et n’y ont aucune distinction différente de celles qu’y ont les autres généraux d’ordre qui ne sont point grands, c’est-à-dire qui ne se couvrent jamais devant le roi d’Espagne. Il en est de même en Espagne à leur égard partout, comme à l’égard de ces derniers, d’avec lesquels ils n’ont aucune différence. Depuis mon retour, le général des jésuites a été associé au même honneur, aussi imperceptible pour lui que pour les six autres.

Il faut maintenant réparer l’oubli que j’ai fait des marquis de Tavara et de Villafranca. Je veux me flatter qu’il n’y en a point d’autre dans ce qu’il y avoit de grands d’Espagne existant en avril 1722, que je suis parti de la cour d’Espagne pour revenir en celle de France. Je n’oserois toutefois m’en répondre, quelque soin que j’y aie pris dans le peu de temps que j’ai pu y donner en Espagne, et en matière si étendue en tant de pays, et si diverse par tant de transmissions d’héritières. Cet oubli n’est pas dans la table des grands précédente.

Tavara, Tolède, Emmanuel, par sa mère A. M. de Cordoue y Pimentel, dont la mère étoit A. M. Pimentel, sixième marquise de Tavara. Tavara m’a été donné pour grandesse par le duc de Veragua, et j’ai de sa main une liste de grands d’Espagne, à laquelle j’ai conformé celle que j’ai mise ici, dans laquelle Tavara est compris entre les marquis grands d’Espagne. Mais je n’ai pas eu ou le temps de m’instruire de toutes les grandesses, ou d’en garder toutes les instructions en note, ou de retenir tout ce que je n’ai pas eu par écrit. Il s’en faut donc beaucoup que je puisse rendre compte de toutes ces grandesses ; et celle de Tavara est de ce nombre.

VILLAFRANCA, Tolède. Ce marquis et le précédent étoient enfants des deux frères. Cette terre, dans le royaume de Léon, fut érigée par les rois catholiques en marquisat, vers 1490, en faveur de Louis Pimentel, mort, en 1497, avant son père, quatrième comte de Benavente. Sa fille unique porta sa grandesse et ses biens en mariage à Pierre Alvarez de Tolède, second fils du second duc d’Albe, dans la maison duquel cette grandesse est demeurée jusqu’à celui que j’ai vu en Espagne, qui étoit petit-fils du marquis de Villafranca, duquel il a été tant parlé à l’occasion du testament de Charles II [26] ; de l’arrivée de Philippe V en Espagne, dont il fut majordome-major, et qui fut un des cinq premiers seigneurs espagnols à qui le feu roi envoya l’ordre du Saint-Esprit. Son même petit-fils fut par sa mère, héritière de Moncade y Aragon, duc de Montalte et de Vibonne, et par sa femme, marquis de Los Velez, de sorte que je le laissai avec quatre grandesses. Il étoit jeune, et ne faisoit pas encore souvenir de son grand-père. Ces trois dernières sont en Aragon, en Sicile, et au royaume de Naples, toutes trois de Ferdinand le Catholique, les quatre rico-hombreries alors sont devenues grandesses sous Charles-Quint, et n’ont fait que passer d’un état et d’un nom à un autre.

On a vu, lorsque j’ai traité, t. III, p. 224 et suiv., des grands et de leur dignité, le soin qu’ils apportent de tout temps à faire un mystère de leur ancienneté et de leurs classes. Tous conspirent à vouloir cacher leurs différentes classes, qui, en effet, ne sont sensibles que dans leur diplôme d’érection dans leur couverture, et dans le style de chancellerie à leur égard ; et quant à l’ancienneté à laisser croire, en l’étouffant parmi eux, qu’ils viennent tous de ces anciens ricos-hombres abolis par Charles-Quint, et transformés en grands d’Espagne, dont il imagina la dignité destituée de la puissance de celles des ricos-hombres qu’il abolit peu à peu en leur substituant la grandesse. J’ai tâché de pénétrer autant qu’il m’a été possible le secret de l’ancienneté. Il est vrai qu’il m’en est échappé une vingtaine sur cent douze grands, existant en 1722 que j’ai quitté l’Espagne, et qu’il y en a plusieurs autres, dont je n’ai pu fixer l’érection qu’avec incertitude, en disant vers telle année. Dans ces cas, je me suis réglé aux générations ou aux emplois le plus vraisemblablement qu’il m’a été possible, sans reculer ni avancer trop celui qui le premier a eu la qualité de grand d’Espagne, et dont les pères ne l’avoient pas. Et comme ces grandesses, dont les héritières femelles sont presque toutes capables, tombent quelquefois par elles à des grands postérieurs aux grandesses qu’elles leur apportent, j’ai eu soin de les marquer quand cela est arrivé, ce qui s’est trouvé rare.

Quand aux classes, je n’ai pu rien y démêler, sinon que Philippe II, comme je l’ai remarqué (t. III, p. 233), en traitant de la grandesse, n’a fait de grands que de la seconde classe. On voit assez au long, dans la première liste alphabétique des grandesses, ce qui regarde ceux qui les ont possédées. Je me contenterai, dans l’abrégé suivant, rangé, non plus par ordre alphabétique ni de titres, mais par l’ordre d’ancienneté que j’ai pu découvrir, [d’indiquer] pour qui érigées, et à qui tombées, sans m’y étendre davantage, ni rien répéter de ce qui se trouve dans la première liste alphabétique, sinon quelques légers suppléments.

Ricos-Hombres, dont l’ancienne dignité trop multipliée, abrogée par Charles-Quint, et transmuée en celle de grand d’Espagne qu’il inventa, a passé sous ce prince en grandesse, sans nouvelle érection, les autres qui n’y passèrent pas, étant demeurées abolies, et les grands d’Espagne de Charles-Quint, et depuis.

C’est le fameux comte de Transtamare, frère bâtard du roi Pierre le Cruel qui le vainquit, le tua, et fut élu roi de Castille en sa place, dont la couronne passa à sa postérité.

Medina-Coeli, comté 1368, duché 1491, par les rois catholiques. Il y a lieu de croire que cette érection en duché ne fut que pour une dénomination plus distinguée, parce qu’on ne peut pas douter que ce bâtard de Foix, qui eut l’honneur d’épouser l’héritière de Medina-Coeli, laquelle étoit vraiment La Cerda, et qui en fut fait comte, ne fût pas dès lors ricohombre. De cette race des bâtards de Foix, ce duché passa par l’héritière dans la maison de Figuerroa, en épousant le marquis de Priego, duc de Feria, deux fois grand d’Espagne, père du duc de Medina-Coeli que j’ai vu en Espagne, dont elle fut mère, et apporta les grandesses de Medina-Coeli, duché ; Ségorbe, duché ; Cardonne, duché ; Alcala, duché ; Denia, marquisat ; Comarès, marquisat ; Cogolludo, marquisat ; San-Gadée, comté. Ces Figuerroa Medina-Coeli en ont encore accumulé plusieurs autres depuis.

Benavente, comté 1398, pour J. Alph. Pimentel, d’où il n’est point sorti.

Amirante de Castille, charge héréditairement donnée par le même roi, vers 1400, à Alph. Enriquez, fils puîné de Frédéric, maître de l’ordre de Saint-Jacques, et frère jumeau du roi Henri II, fils bâtards tous deux du roi Alphonse XI, et de sa maîtresse Éléonore de Guzman. On ne peut, ce me semble, contester la qualité de rico-hombre à ce premier amirante. Jean II le fit comte de Melgar, vers 1438. Ces dignités ne sont point sorties de cette maison, non plus que celle de duc de Medina di Riosecco, ajoutée par Charles-Quint, 1520.

Arcos, comte 1440, pour Pierre-Ponce de Léon, marquis, 1484, par les rois catholiques, duc par les mêmes, 1498, sans qu’Arcos soit jamais sorti de cette maison.

Lemos, comté 1457, pour Pierre Alvarez Ossorio, dont le fils eut un bâtard, la fille duquel le porta en mariage, mais un peu à la morisque, à Denis de Portugal, second fils du troisième duc de Bragance dans la postérité masculine [duquel] il est demeuré.

Medina-Sidonia, duché février 1460, pour J. Alph. de Guzman. Jean II l’en avoit fait duc en 1445, mais pour sa vie seulement. Henri IV l’étendit à toute sa postérité légitime, et même à son défaut à l’illégitime, suivant les mœurs morisques. Il est demeuré dans sa postérité masculine et légitime.

Miranda, comté vers 1460, pour Diego Lopez de Zuniga. L’héritière de Zuniga le porta vers 1670 à J. de Chaves y Chacon avec Peñeranda, duché érigé en 1621, par Philippe III, pour J. de Zuniga, devenu comte de Miranda, par son mariage avec sa nièce, héritière de Miranda. Ainsi, par soi et par elle, il fut deux fois grand d’Espagne. Mais ces doubles grands, soit de la maison de Zuniga, soit de celle de Chaves, ont toujours porté le nom et le titre de comte de Miranda plus ancien préférablement à celui de duc de Peñeranda, qui tous deux sont demeurés dans la maison de Chaves.

Albuquerque, duché 1464, pour Bertrand de La Cueva. Sa postérité masculine défaillit bientôt après, et l’héritière le porta en mariage à un François appelé Hugues Bertrand, qui prit le nom seul et les armes de La Cueva, et de ce mariage est issue toute la maison de La Cueva, d’où ce duché n’est point sorti.

Villena, marquisat 1468, pour J. d’Acuña y Pacheco, qu’il fit encore l’année suivante, 1469, duc d’Escalona. Henri IV étoit impuissant ; Isabelle, sa sœur, voulut le faire déclarer tel, et lui succéder. Cela causa de grands troubles et des partis. Celui d’Isabelle déposa Henri IV en 1465. Il se soutint tant qu’il put, et continua à faire des actes valides de royauté. Isabelle, pour s’appuyer sur le trône de Castille, épousa en 1469, Ferdinand, roi d’Aragon, son cousin issu de germain par mâles sortis du roi Henri II. C’est eux qui se sont appelés les rois catholiques, du titre de roi catholique que Ferdinand obtint à Rome ; et comme chacun d’eux gouvernoit son propre royaume avec indépendance l’un de l’autre, on prit l’habitude en Espagne, en parlant d’eux, de dire les rois. Cette façon de parler s’y est tellement établie qu’on y dit encore les rois, quand on y parle du roi et de la reine ensemble, quoique depuis fort peu de règne de Jeanne, fille d’Isabelle, et mère de Charles-Quint, les reines d’Espagne n’ont [27] rien gouverné que quand elles ont été veuves et régentes. Ce peu d’historique eût été mieux en sa place dans la précédente liste détaillée ; j’ai mieux aimé en réparer ici l’oubli.

Henri IV étant mort en 1474, il y eut des prétentions du Portugal sur la Castille, et des troubles qui ne sont pas de mon sujet. J. d’Acuña y Pacheco qui avoit été favori d’Henri IV, et par conséquent peu attaché à Isabelle, sa sœur, qui de son vivant en vouloit à sa couronne, favorisa le Portugal, dont les efforts furent impuissants. La reine Isabelle l’en punit en lui ôtant le marquisat de Villena qui est en Castille, et l’unit à sa couronne, où il est toujours demeuré réuni, sans que la postérité masculine de ce J. d’Acuña y Pacheco en aient quitté la prétention, et le titre qu’ils ont toujours porté de préférence à celui de duc d’Escalone. On en voit encore d’autres à l’article de Villena dans la précédente liste détaillée. Cette même postérité masculine est encore en possession du duché d’Escalone, et du titre de Villena, sans le marquisat.

Albe, duché, 1469, pour Garcias Alvarez de Tolède, et il est demeuré depuis dans cette maison. Jean II l’avoit donné en titre de comté dès 1430, à Guttiere-Gomez de Tolède, qui étoit évêque, comme on le voit en la précédente liste détaillée ; le légua à son neveu, père de celui qui fut fait duc. La distance en est si courte que je n’ai pas cru m’y devoir arrêter, d’autant que cela a commencé par un évêque qui n’étoit pas dans le cas des ricos-hombres, ni par conséquent d’en communiquer la dignité aux siens. Ainsi, je me suis fixé à l’érection d’Albe en duché.

Oñate, comté, 1469, pour Inigo Velez de Guevara. Il est sorti, puis rentré par des filles héritières, et demeuré enfin dans cette maison.

Infantado, duché 1475, pour Diego Hurtado de Mendoza. Il passa enfin d’héritière en héritière par mariage, vers 1680, à Roderic de Silva, quatrième duc de Pastrane, prince d’Eboli, et est demeuré à leurs descendants masculins, qui ont tous porté le titre de duc del Infantado préférablement à celui de duc de Pastrane, comme plus ancien. On a vu, pages 381 et suiv., ce qui regarde Pastrane, omis ailleurs, parce que cette grandesse est sur la même tête que celle de l’Infantado.

Oropesa, comté 1475, pour Ferdinand de Tolède. Sa postérité masculine défaillit au cinquième comte d’Oropesa, dont la fille aînée porta ce comté avec d’autres biens en mariage à Édouard de Portugal, frère puîné de Théodose II de Portugal, père du duc de Bragance, ou du roi Jean IV de Portugal, en 1640, par la révolution de Portugal en sa faveur, qui en chassa les Espagnols. Ce comte d’Oropesa, par sa femme, s’alla établir en Espagne, où sa postérité masculine est demeurée avec le comté d’Oropesa. Il falloit que cette rico-hombrerie, devenue tout de suite grandesse sous Charles-Quint, n’eût pas été mise dans la première classe lorsque les classes furent inventées depuis et établies, puisqu’elle n’y fut mise que par Charles II, en août 1690, pour ce comte d’Oropesa qu’il exila depuis, qui, après être revenu à Madrid, à l’arrivée de Philippe V, en fut bientôt après exilé, qui se déclara pour l’archiduc, en 1706, qui mourut un an après à Barcelone, dont il a été parlé ici en plusieurs occasions, et dont le fils, comte d’Oropesa, est revenu depuis mon retour, et a épousé à Madrid une fille du comte de San-Estevan de Gormaz.

Najera, duché 1482, pour Pierre Manrique de Lara. D’héritières en héritières, A. de Guevara le porta en mariage à Jos. Ossorio y Moscoso, frère cadet du comte d’Altamire, pendant que j’étois en Espagne.

Gandie, duché 1485, pour Pierre-Louis Llançol, dit Borgia, second fils bâtard du pape Alexandre VI, et père de saint François de Borgia. Ce duché s’est masculinement conservé dans cette maison.

Sessa, duché vers 1486, pour le grand capitaine Alphonse de Cordoue. Fr. de Cordoue, héritière, fit cession de ce duché et de ses autres biens, n’ayant point d’enfants, au fils de sa sœur cadette et unique, Ant. Folch de Cardonne, qui par là fut aussi duc de Baëna, et qui par son père étoit aussi duc de Somme. Ces grandesses se sont masculinement conservées dans cette maison.

Bejar, duché 1488, pour Alvare de Zuniga. Thérèse de Zuniga, héritière, porta ses biens et ce duché en mariage à Fr. de Sotomayor, cinquième comte de Belalcazar, en la postérité masculine duquel il est demeuré.

Frias, duché vers 1488, pour Bernardin-Fernandez de Velasco, second connétable de Castille, de sa maison, qui y rendit cette charge héréditaire. Son père avoit eu cette charge le premier de sa maison, en 1473, après six autres connétables ; ainsi, n’ayant été qu’à vie jusqu’à son fils, j’ai cru ne devoir fixer son ancienneté qu’à l’érection du duché de Frias, qui est depuis masculinement demeuré à sa postérité.

Villafranca, marquisat 1490, pour Louis Pimentel. L’héritière de Pimentel porta ce marquisat et ses autres biens en mariage à Pierre Alvarez de Tolède, second fils du second duc d’Albe, dans la postérité masculine [duquel] il est demeuré, laquelle a depuis acquis par des héritières trois autres grandesses, qui sont les duchés de Montalte et de Vibonne, et le marquisat de Los Velez. Il étoit aussi duc de Ferrandine, mais Villafranca étant plus ancien que ces autres titres, il leur a préféré, ainsi que ses pères, de porter le nom de marquis de Villafranca.

Egmontest sûrement de ce prince : je n’ai pu en découvrir la date. Il y a tout lieu de croire que ce roi des Espagnes n’oublia pas un aussi grand seigneur de ses sujets des Pays-Bas, lorsque, à l’occasion de son voyage d’Espagne en Allemagne pour y recevoir la couronne impériale, il prit son temps d’abolir l’ancienne dignité des ricos-hombres, d’imaginer et d’établir celles des grands d’Espagne qu’il y substitua, d’en faire en même temps des anciens ricos-hombres par une simple conservation et transmission d’une dignité à l’autre, en dégradant tacitement ceux d’entre eux qu’il ne conservoit pas par cette transition, et de leur associer en même temps des plus grands seigneurs à la nouvelle dignité de grands d’Espagne, qui n’avoient point été ricos-hombres, des uns et des autres, desquels, devenus grands d’Espagne, il se fit accompagner à son couronnement impérial, où il leur procura des distinctions-, des rangs, et l’honneur de se couvrir en sa présence et au couronnement.

Cette grandesse est demeurée jusqu’à nos jours dans la maison d’Egmont qui s’est entièrement éteinte. La sœur du dernier comte d’Egmont, et dernier mole, mort sans enfants, hérita de ses biens et de sa grandesse. Elle avoit épousé le duc de Bisaccia de la maison Pignatelli, dont il a été parlé plus d’une fois ici, et dont le fils prit le nom et les armes d’Egmont, et s’est établi en France par son mariage avec la seconde fille du duc de Duras, fils aîné et frère des maréchaux ducs de Duras.

Veragua, duché 1557, pour Diegue Colomb, fils du fameux Christophe. Ce duché passa par Isabelle Colomb, héritière, à son petit-fils Nuisez de Portugal, dans les descendants masculins duquel il est demeuré.

Pescaire, marquisat 1537, pour Alphonse d’Avalos, dans la postérité duquel cette grandesse est demeurée.

Ayétone, marquisat vers 1560, pour J. de Moncade, dans la postérité masculine duquel cette grandesse est toujours demeurée.

Ossuna, duché 1562, pour Pierre d’Acuña y Giron, dans la postérité masculine duquel cette grandesse est depuis demeurée.

Terranova, duché 1565, pour Charles Tagliavia. J. Tagliavia, héritière, porta ses biens et cette grandesse en mariage à Hector Pignatelli en 1679. Leur fils aîné épousa la fille héritière du septième duc de Monteléon, Pignatelli aussi, dont la grandesse étoit de Philippe III, en 1613. Ces deux grandesses sont demeurées dans leur postérité masculine ; et depuis, ces grands ont préféré de porter le nom de duc de Monteléon, comme venant de leur maison, à celui de duc de Terranova, plus ancien, mais leur venant par femme.

Santa-Cruz, marquisat 1582, pour Alvare Bazan, général de la mer, aussitôt après sa victoire navale et l’horrible massacre de sang-froid qu’il fit de tous les prisonniers françois dans l’île de Saint-Michel, juillet 1582. Cette grandesse, d’héritière en héritière, tomba enfin à François Diaz de Benavidez, mort en 1680, père de celui que j’ai vu en Espagne.

Aranda, comté 1590, pour Antoine Ximénès d’Urrea. Cette grandesse passa par la maison d’Heredia, dont l’héritière la porta en mariage à Guillaume de Roccafull, dans la postérité masculine duquel elle est demeurée.

UZEDA, duché vers 1610, pour Fr. Gomez de Sandoval, fils aîné du duc de Lerme, premier ministre, et mort avant lui, dont l’héritière, après diverses générations, quoique cadette, et je n’ai pu découvrir la cause de ce partage, porta la grandesse d’Uzeda en mariage à Gaspard d’Acuña y Tellez-Giron, qu’on a vu ici ambassadeur d’Espagne à Rome, à la mort de Charles II, qui fit très bien à l’avènement de Philippe V, et qui, étant encore son ambassadeur à Rome, se jeta dans le parti de l’archiduc, où il est mort et, a laissé un fils.

Peñeranda, comté vers 1511, pour Alphonse de Braccamonte, qui par l’héritière de Braccamonte, a été porté en mariage à Pierre-Fernandez de Velasco, deuxième marquis del Fresno. J’ignore par quelle difficulté, en la transmission de cette grandesse, ce même Pierre-Fernandez de Velasco a été fait grand d’Espagne par Charles II, d’abord à vie, puis pour celle aussi de son fils. C’est une difficulté dont je n’ai pas été éclairci, car les Braccamonte, comtes de Peñeranda ont été certainement grands d’Espagne à ce titre, et de la date ci-dessus de Philippe III.

Mondejar, marquisat vers 1612, pour Inigo Lopez de Mendoza. Cette grandesse passa en plusieurs maisons par des filles héritières. Celle de Cordoue la porta enfin en mariage à Gaspard Ivannez, comte de Tendilla, qui en prit le nom, fit sa couverture en 1678, et a laissé un fils, marquis de Mondejar, que j’ai vu à Madrid.

Hijar, duché 1614, pour J. Chr. L. Fernandez d’Hijar, arrière-petit-fils de mâle en mâle de J. Fernandez, seigneur d’Hijar, en faveur duquel ce duché avoit été érigé en 1483, et n’avoit point passé en grandesse sous Charles-Quint. De filles en filles héritières il tomba dans la maison de Silva, dont l’héritière le porta en mariage, à la fin de 1688, à Frédéric de Silva, marquis d’Orani, son cousin, de même maison, dans la postérité masculine duquel il est demeuré.

Havré, duché vers 1616, pour Ch. Alex. de Croï, de la branche d’Arschot. Sa fille unique porta ses biens et sa grandesse à P. Fr. de Croï, second fils de Ph. de Croï, comte de Solre, qui prit le nom de duc d’Havré, et cette grandesse est demeurée en sa postérité masculine.

Sulmone, principauté vers 1521, pour un Borghèse, fils du frère du pape Paul V, à qui cette grandesse ne put être refusée, et qui est demeurée dans cette postérité masculine.

LosBalbazès, marquisat 1621, pour le fameux Ambroise Spinola, dans la postérité masculine duquel cette grandesse s’est conservée, avec celle du duc del Sesto, par le mariage de la fille héritière de Paul Doria, duc del Sesto ; mais ils ont toujours préféré de porter le titre propre de leur maison à celui de duc del Sesto.

Altamire, comté 1621, pour Gaspard Ossorio y Moscoso, dans la postérité masculine duquel cette grandesse s’est conservée. Gaspard étoit pourtant le septième comte d’Altamire lorsqu’il obtint de Philippe IV la grandesse, dont ses pères étoient déchus, qui l’avoient eue par l’héritière d’Ulloa y Moscoso. Cette rico-hombrerie, érigée pour Lopez d’Ulloa y Moscoso, dans les fins du règne de Jean II, vers 1452, n’étoit pas passée en grandesse sous Charles-Quint, et étoit ainsi demeurée dégradée.

Abrantès, duché vers 1625, pour Alphonse d’Alencastro, issu par mâles de Georges, bâtard de Jean II, roi de Portugal, dans la postérité masculine duquel cette grandesse est demeurée avec celle de Liñarès, par le mariage du deuxième duc d’Abrantès avec l’héritière de Noroña y Silva, fille de Ferdinand duc de Liñarès.

Bisignano, principauté 1626, pour Louis de San-Severino, dans la postérité masculine duquel cette grandesse est demeurée.

Castel-Rodrigo, marquisat vers 1629, pour Chr. de Moura, qui avoit été premier vice-roi de Portugal, et c’est ce qui me fait craindre de m’être trompé, et qu’encore qu’il fût fort vieux quand il fut fait grand d’Espagne, il ne le soit de Philippe III. Quoi qu’il en soit, son fils et son petit-fils lui succédèrent et furent l’un après l’autre gouverneurs généraux des Pays-Bas. La fille héritière du dernier épousa, à la fin de 1678, Charles Homodeï, marquis d’Almonacid, qui devint marquis de Castel-Rodrigo, et en prit le nom, mais qui ne put faire sa couverture qu’un an après, sur les difficultés qu’il essuya ; je n’ai point su sur quoi fondées. Il n’eut point d’enfants, et perdit sa femme dont hérita sa sœur cadette, qui avoit épousé Gilbert Pio, mère du prince Pio, que j’ai vu en Espagne, qui recueillit la grandesse après elle, sans préjudice du rang et des honneurs restés personnellement au marquis d’Almonacid avec, sa vie durant, le nom et le titre de marquis de Castel-Rodrigo.

Torrecusa, marquisat vers 1630, pour Ch. André Carraccioli, dont la grandesse est masculinement demeurée à sa postérité.

Colonne, principauté, connétable héréditaire du royaume de Naples vers 1632, pour Laurent-Onuphre, septième connétable Colonne. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Camaraça, marquisat vers 1635, pour Diego de Los Cobos, dans la maison duquel cette grandesse s’est conservée.

Aguilar, comté janvier 1640, pour Jean-Ramirez d’Arellano. Il épousa Anne-Marie, fille unique de J. de Mendoza, premier marquis d’Hinoyosa qu’elle lui apporta, et fut ainsi doublement grand d’Espagne, comme comte d’Aguilar et marquis d’Hinoyosa. Lui et les siens ont préféré au titre d’Hinoyosa celui d’Aguilar, dont il étoit huitième comte. J. Ramirez d’Arellano eut Aguilar du roi Jean ter ; en 1681. Il étoit rico-hombre de Castille. Son petit-fils, Alph. Ram. d’Arellano en fut fait comte en 1475, par les rois catholiques, et jouit des honneurs de la grandesse ou rico-hombrerie d’alors. Mais n’ayant point passé en grandesse sous Charles-Quint, elle demeura abrogée jusqu’au rétablissement qui vient d’être expliqué. Celui qui fut rétabli ne laissa qu’une fille qui épousa, en 1670, Emmanuel Manrique de Lara, deuxième marquis de Frigilliana à qui elle apporta ces deux grandesses, et qui a laissé un fils, comte d’Aguilar, que j’ai vu à Paris, et depuis en Espagne. C’est de ce père et de ce fils qu’il est parlé ici à plusieurs reprises.

Aremberg, duché vers 1650, pour Ph. Fr. de Ligne, fils aîné de Ph. Ch. de Ligne, de la branche de Barbançon, prince d’Aremberg, chevalier de la Toison d’or, mort à Madrid en 1640, et de sa deuxième femme Is. de Barlaymont. Ph. Fr., premier duc d’Aremberg, et fait grand d’Espagne, fut chevalier de la Toison, général des mers des Pays-Bas espagnols, gouverneur du Hainaut et de Valenciennes, et capitaine des archers de la garde bourguignonne de Philippe IV, et de Charles II, en Flandre, où il mourut sans postérité en 1674. Ses biens et sa grandesse passèrent à Ch. Eugène, son frère, dans la postérité masculine duquel elle est demeurée, mais passée et retournée au service de la maison d’Autriche, depuis que les Pays-Bas espagnols sont rentrés sous son obéissance. J’ai voulu suppléer ici à la négligence de cet article dans le précédent état détaillé.

Ligne, principauté 1660, pour Cl. Lamoral de Ligne, grand-père de celui qui existoit lorsque j’étois en Espagne, qui a postérité masculine, et est à Bruxelles au service de l’empereur. Il est de Philippe IV.

Fuensalida, comté 1670, pour Bernardin de Velasco y Rojas et Cardonne. Cette grandesse s’est conservée dans sa postérité masculine.

Saint-Pierre, duché 1675, pour Fr. M. Spinola. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Palma, comté juillet 1679, pour L. Ant. Th. Bocanegra y Portocarrero. Louis Bocanegra y Portocarrero avoit été fait comte de Palma par la reine Jeanne, 1507, mais cette rico-hombrerie n’ayant point passé en grandesse sous Charles-Quint, fils de cette reine, demeura abrogée. Depuis le rétablissement de cette grandesse, elle est demeurée dans la postérité masculine de celui qui l’a obtenue.

Nevers, 1680, pour J. B. Spinola, dont la fille aînée l’a porté en mariage, en 1709, à L. J. Fr. Mancini, dit Mazzarini, fait depuis duc et pair de Nevers.

Santo-Buono, principauté 1684, pour Matthieu Carraccioli. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Surmia, principauté vers 1686, pour Odeschalchi, neveu du pape Innocent XI. Cette grandesse est encore dans les mâles de cette famille.

Giovenazzo, duché 1690, pour del Giudice, mais pour trois vies ou générations seulement. Cette troisième génération est la fille unique du prince de Cellamare plus connu, et dont il a été tant parlé ici sous ce nom. Elle étoit dans un couvent à Rome. Je ne sais qui elle a épousé.

Liñarés, duché 1692, pour de Noroña, dont la fille unique l’a porté au deuxième duc d’Abrantès qui, par un moyen ou grâce, à moi inconnu, a divisé ces deux grandesses entre ses fils ou petits-fils.

Baños, comté 1692, pour Pierre, dit de La Cerda y Leyva, mais branche cadette des ducs de Medina-Coeli, bâtards de Foix, dont la fille héritière épousa, en 1693, Emmanuel de Moncade, frère du marquis d’Ayétone, dont ce comte de Baños n’a eu qu’une fille point mariée, lorsque j’étois en Espagne. Je n’ai point appris depuis à qui elle aura porté sa grandesse.

Parédes, comté 1692, pour Th., marquis de La Laguna, frère du huitième duc de Medina-Cœli. En 1689, il avoit été fait grand à vie ; ce ne fut que trois ans après qu’il le fut fait à toujours, et cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine. C’est une rico-hombrerie érigée par Henri IV, 1452, pour Roderic Manrique, qui, n’ayant point passé en grandesse sous Charles-Quint, demeura abrogée, et dont la terre passa par des héritières de maison en maison jusqu’à l’épouse de ce marquis de La Laguna, qui obtint la grandesse, et prit le nom de comte de Parédes.

Lamonclava, comté vers 1693, pour Melchior Bocanegra y Portocarrero, dont la grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

San-Estevan del Puerto, comté 1696, pour Fr. Benavidez, dont la grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Montalègre, marquisat octobre 1697, pour Martin-Dominique de Guzman, qui a des fils.

LosArcos, comté octobre 1697, pour Joachim Figuerroa y Laso de La Vega, qui a des fils.

Montijo, comté 1697, pour d’Acuña y Portocarrero. On a parlé ailleurs de son fils que j’ai vu en Espagne, et qui a postérité masculine.

Baños, duché 1698, pour Ponce de Léon, frère du duc d’Arcos, établi depuis en Portugal dans ses biens maternels.

Castromonte, marquisat 1698, pour Jean Baeza, a postérité masculine.

Castiglione, principauté 1699, pour Thomas d’Aquino que nous prononçons d’Aquin.

OTTAÏANO, principauté 1700, pour Joseph de Médicis qui a postérité masculine.

Castel dosRios, marquisat 1700, avant partir de Versailles, pour de Semmenat, ambassadeur d’Espagne en France, à la mort de Charles II. C’est le premier qui reconnut et baisa la main de Philippe V, qui, par le conseil du roi son grand-père le fit grand de la première classe à Versailles, et l’y fit couvrir comme grand d’Espagne la première fois devant lui, pour lui tenir lieu d’avoir fait sa couverture. Sa grandesse subsiste dans sa postérité masculine.

Mortemart, duché 1701. En arrivant à Madrid, une des premières choses que fit Philippe V, fut de faire grand d’Espagne de la première classe le duc de Beauvilliers, son gouverneur. Cette grandesse passa au duc de Mortemart ; par le mariage de sa fille unique, et s’est éteinte depuis mon retour par la mort de la duchesse de Mortemart et de toute sa postérité.

Estrées, comté 1702, pour le comte d’Estrées qui passa le roi d’Espagne de Barcelone à Naples, étant vice-amiral de France. Longtemps depuis mon retour, il est mort duc, pair et maréchal de France, sans postérité, et sa grandesse est demeurée éteinte.

Liria, duché 1704, pour Fitzjames, duc de Berwick, à qui peu après son fils fut adjoint en la même grandesse, pour en jouir avec les mêmes rang, honneurs, etc., que lui. Il prit alors le nom de duc de Liria. Cette grandesse est dans sa postérité masculine établie en Espagne.

Gravina, duché 1704, pour le chef de la maison des Ursins. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Bedmar, marquisat 1704, à la prière du roi pour Bertrand La Cueva, commandant général des Pays-Bas espagnols. Cette grandesse, faute de mêles, passe à son gendre, second fils du marquis de Villena, qui s’appelle le marquis de Moya, et qui prendra le nom de marquis de Bedmar.

Tessé, comté 1704, pour de Froulay, comte de Tessé, maréchal de France. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

LaMirandole, duché 1705, pour Pico. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Atri, duché 1706, pour Acquaviva, frère du cardinal Acquaviva, chargé des affaires d’Espagne à Rome. Son fils l’étoit du temps que j’étois en Espagne. Il étoit lors en Italie et a postérité masculine.

Chimay, principauté 1706, pour Hennin-Liétard, chevalier de la Toison d’or de Charles Il. Il a été mon gendre, est mort sans enfants. Sa grandesse a passé à son frère, mort aussi depuis, et au fils qu’il a laissé, et qui s’établit en France.

Monteillano, duché 1707, pour de Solis. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Priego, comté 1707, pour de Cordoue. Sa fille unique a épousé Lanti, dit de La Rovère ; elle est morte devant son père et n’a laissé qu’une fille. Le père déchu par là de cette grandesse que sa femme n’a point eue, a été fait grand à vie, sous le nom de duc de S.-Gemini, et a marié sa fille, avec la grandesse, au second fils de la duchesse d’Havré, sa sœur, Croï, qui s’établit en Espagne et prend le nom de comte de Priego, -tout cela longtemps depuis mon retour d’Espagne.

Noailles, comté 1711, pour le duc de Noailles qui, longtemps depuis, a obtenu de faire passer sa grandesse à son second fils qui en jouit et a postérité masculine :

Popoli, duché 1711, pour Cantelmi. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Masseran, principauté 1712, pour Ferreiro. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Richebourg, marquisat 1712, pour de Melun. Éteinte, n’ayant laissé que deux filles non mariées, et qui n’ont point voulu l’être, et hors d’âge d’avoir postérité.

Chalois, principauté 1713, pour de Talleyrand. Sa fille unique a épousé un fils de son frère.

Robecque, principauté 1713, pour de Montmorency. Son frère, faute de postérité, et appelé, a recueilli cette grandesse, et a laissé un fils, qui en jouit et a des garçons.

Maceda, comté 1714, pour Lanços. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Solfarino, duché 1714, pour Gonzague. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

San-Estevan de Gormaz, comté 1715, pour Acuña y Pacheco, fils aîné du marquis de Villena, duc d’Escalona, qui a postérité masculine.

Bournonville, duché 1715, pour idem non marié, a fait longtemps depuis passer sa grandesse et sa charge de capitaine de la compagnie des gardes du corps wallons, au fils d’un de ses frères.

Villars, duché 1716, pour le maréchal duc de Villars. Son fils unique n’a qu’une fille unique, mariée au comte d’Egmont.

Lede, marquisat 1717, pour Bette. Cette grandesse est demeurée dans sa postérité masculine.

Saint-Michel, duché 1718, pour Gravina. Il a des fils, et s’est fait depuis cardinal.

DelArco, duché 1718, sans enfants. Je ne sais à qui cette grandesse est allée.

Saint-Simon, comté janvier 1722, pour le duc de Saint-Simon et le marquis de Ruffec, son second fils conjointement.

Arlon, duché 1722, pour Sotomayor y Zuniga. Je ne sais à qui cette grandesse est allée, car il n’a point été marié.

Il faut maintenant donner une liste toute simple des grands d’Espagne, dont la date est ou nettement ou suffisamment reconnue, en marquant les anciennes rico-hombreries que Charles-Quint fit passer tout de suite en grandesses, sans érection, et celles qui, ayant été abrogées par le même prince d’une manière tacite, mais très réelle, en ne les faisant point passer en grandesses, ce qui de fait les dépouilla pour toujours de leurs rangs, honneurs et distinctions, sont redevenues grandesses, mais par des érections faites par les rois successeurs de Charles-Quint, ce qui fixe leur ancienneté parmi les grands, sans la remonter à celle des rico-hombreries abrogées, mais les réduisant à la date de l’érection de leurs grandesses. Si on veut voir leurs dates et de quels rois, si on veut voir leurs maisons et si les possesseurs actuels sont héritiers de mâle en mâle, ou par des filles héritières, ou eux-mêmes impétrants de ces grandesses, c’est ce qui se trouve exactement et différemment détaillé dans les deux précédents états des grands d’Espagne. On fera suivre la liste qu’on va donner des grands, suivant leur ancienneté connue ou justement présumée, d’une autre liste toute nue, par titres et par ordre alphabétique, des grands dont on n’a pu connoître ni présumer les dates d’érection, non plus que de la plupart de ceux-là aucune autre chose, desquels le grand nombre est d’Italiens jamais sortis d’Italie.

Si, au lieu de cent douze grands d’Espagne, il s’en trouve cent treize dans ces deux listes jointes ensemble, c’est que le marquis de Mancera avoit été oublié. Je l’ai dans la liste des marquis grands d’Espagne de la main du duc de Veragua. J’avouerai de plus que j’ai oublié quel il est. Le duc de Veragua a écrit Portocarrero à côté de son nom, mais je n’en suis pas plus avancé, parce que c’est peut-être le nom de l’héritière qui a apporté cette grandesse. Le marquis de Mancera, qui s’appeloit Antoine-Sébastien de Tolède, deuxième marquis de Mancera, fut fait grand d’Espagne en mai 1692, par Charles II. Il fut ambassadeur à Venise et en Allemagne, vice-roi de la Nouvelle-Espagne, majordome-major de la reine mère de Charles Il, enfin conseiller d’État. C’est lui dont il [a] été parlé plus d’une fois par la fidélité et l’attachement qu’il signala pour Philippe V d’une façon si éclatante, et dont la singularité de ne manger jamais de pain, ni rien qui en tint lieu, a été aussi expliquée. Il mourut en 1711, à l’âge de cent sept ans, ayant jusqu’alors conservé sa tête entière et toute sa santé. Charles II l’avoit fait grand seulement à vie, Philippe V le fit pour toujours, et je n’en sais pas la date. Il ne pouvoit moins faire pour lui. Il ne laissa qu’une fille, peut-être grand’mère lorsqu’il mourut. J’ai donc ignoré ou oublié le mariage de cette fille, et ce qui s’en est suivi. Je n’ai point vu de marquis de Mancera tant que j’ai été en Espagne, tellement que je réserve ce titre pour la liste des grands dont la date et souvent les personnes me sont demeurées inconnues.

LISTE SIMPLE DES GRANDS D’ESPAGNE, SUIVANT LEUR ANCIENNETÉ, NETTE-MENT OU SUFFISAMMENT RECONNUE, EN MARQUANT CEUX QUI D’ABORD OU DEPUIS SONT ISSUS DES ANCIENS RICOS-HOMBRES, ABROGÉS PAR CHARLES-QUINT, QUI SUBROGEA À CETTE ANCIENNE DIGNITÉ LA NOUVELLE DES GRANDS ET CEUX QUI ONT PLUSIEURS GRANDESSES[28].


12 Le duc de Medina-Coeli.

Le comte d’Egmont.

Le comte de Benavente.

Le duc de Veragua.

2 L’amirante de Castille, comte de Melgar, duc de Medina di Riosecco.

2 Le marquis de Pescaire. R.-H.

6 Le duc d’Arcos.

3 Le marquis d’Ayétone. R.-H.

Le comte de Lemos.

Le duc d’Ossone.

2 Le duc de Medina-Sidonia.

2 Le duc de Monteléon et de Terranova.

2 Le comte de Miranda.

Le marquis de Santa-Cruz.

Le duc d’Albuquerque.

2 Le comte d’Aranda.

3 Le marquis de Villena, duc d’Escalona.

Le duc d’Uzeda.

9 Le duc d’Albe.

Le comte de Peñeranda.

Le comte d’Oñate.

Le marquis de Mondejar.

5 Le duc del Infantado.

2 Le duc d’Hijar. R.-H.

Le comte d’Oropesa.

Le duc d’Havré.

Le duc de Najara.

Le prince de Sulmone.

Le duc de Gandie.

3 Le marquis de Los Balbazès.

3 Le duc de Sessa.

5 Le comte d’Altamire. R.-H.

Le duc de Bejar.

Le duc d’Abrantès.

3 Le duc de Frias, connétable de Castille.

Le prince de Bisignano.

On voit ci-devant à leurs titres pourquoi l’amirante et le connétable de Castille sont ici différemment qualifiés.

Le marquis de Castel-Rodrigo.

Le marquis de Torrecusa.

4 Le marquis de Villafranca.

Le connétable Colonne.

Tous ces grands ont passé sous Charles-Quint directement de la dignité de ricos-hombres à celle de grand d’Espagne sans érection.

Ceux dont la dignité de ricos-hombres est demeurée abrogée par le fait lors de ce changement de Charles-Quint, et qui depuis ont été faits grands d’Espagne, seront marqués à côté de leurs noms par ces deux lettres R-H.

Le comte d’Egmont :

Le duc de Veragua.

2 Le marquis de Pescaire. R.-H. 3 Le marquis d’Ayétone. R.-H. Le duc d’Ossone.

2 Le duc de Monteléon et de Terranova.

Le marquis de Santa-Cruz.

2 Le comte d’Aranda.

Le duc d’Uzeda.

Le comte de Peneranda.

Le marquis de Mondejar.

2 Le duc d’Hijar. R.-H.

Le duc d’Havré.

Le marquis de Camaraça.

3 Le comte d’Aguilar. R.-H.

2 Le duc d’Aremberg.

Le prince de Ligne.

Le comte de Fuensalida.

Le duc de Saint-Pierre.

Le comte de Palma. R.-H.

Le duc de Nevers.

Le comte de Los Arcos.

Le prince de Santo-Buono.

Le comte de Montijo.

Le prince de Surmia.

Le duc de Baños.

Le duc de Giovenazzo.

Le marquis de Castromonte.

Le duc de Liñarez.

Le prince de Castiglione.

Le comte de Baños.

Le prince d’Ottaïano.

2 Le comte de Parédes. R.-H.

Le marquis de Castel dos Rios.

Le comte de Lamonclava.

Le duc de Mortemart, éteint.

Le comte de San-Estevan del Puerto. R.-H.

Le maréchal d’Estrées, éteint.

Le marquis de Montalègre.

Le duc de Liria.

Le duc de Noailles.

Le duc de Gravina.

Le duc de Popoli.

Le marquis de Bedmar.

Le prince de Masseran.

Le maréchal de Tessé.

Le marquis de Richebourg, éteint.

Le duc de La Mirandole.

Le prince de Chalois.

Le duc d’Atri.

Le prince de Robecque.

Le prince de Chimay.

Le comte de Maceda.

Le duc de Monteillano.

Le duc de Solferino.

Le comte de Priego.

Le comte de San-Estevan de Gormaz.

Le duc de Saint-Michel.

Le duc de Bournonville.

Le duc del Arco.

Le maréchal duc de Villars.

Le marquis de Ruffec.

Le marquis de Lede.

Le duc d’Arion.

Les ducs d’Atrisco.

Le marquis de Clarafuente.

Doria.

Laconi.

2 Licera.

Mancera.

Tursis.

Tavara.

Les princes de Butera.

Visconti.

Cariati.

Les comtes d’Atarès.

Doria.

Castrillo.

Melphe.

Parcen.

Palagonia

Peralada.

Sermonetta.

Salvatierra.

Les marquis d’Arizza.

Visconti.


  1. Il est certain que cette maison tire son nom de la ville archiépiscopale de Tolède, capitale de la Castille-Nouvelle, et qu’il y a des seigneurs de maison entièrement différente, qui portent ce même nom, pour distinction de quoi la maison d’Albe a pris le nom ou avant-nom d’Alvarez de Tolède. Pourquoi et comment ce nom de Tolède est devenu celui de ces Albe et de ces autres seigneurs différents, c’est ce qui est caché dans l’obscurité des temps, et qui ne peut être venu que d’exploits militaires faits à Tolède, dont le nom leur aura été approprié pour honorer l’exploit et en conserver la mémoire ; car pas un d’eux n’a jamais rien possédé dans Tolède qui ait pu leur en faire prendre le nom. On en doit dire le même du nom de Cordoue, qui se trouvera dans cette liste, et que le fameux Gonzalve, si connu sous le nom tout court de grand capitaine, a comme consacré en le portant, et pareillement du nom de Léon de la maison Ponce de Léon, mais qui vient de descendance des rois de Léon. On verra ici que je ne m’étends guère que sur les grands espagnols. Il faut remarquer que j se prononce c, mais un peu de la gorge, comme dans le nom de Bejar et autres semblables, et que ñ avec un tiret dessus se prononce en le mouillant comme dans le nom de Baños, qui se prononce Bagnos et autres pareils. (Note de Saint-Simon).
  2. Éteint. (Note de Saint-Simon.)
  3. Nous avons suivi l’orthographe de Saint-Simon ; mais le nom de cette ville du royaume de Naples est Squillace (Calabre ultérieure).
  4. Saint-Simon écrit l’Infantade et l’infantado indistinctement.
  5. Voy. t. Ier, le récit de la réception des ducs et pairs au parlement. Le duc de Foix faisait partie de cette promotion.
  6. Le mot parti, en terme de blason indiquait que l’écu était divisé de haut en bas en parties égales. Parmi ces compartiments, l’un contenait les armes de Castille, un autre les armes de Léon, et deux autres les armes de France.
  7. Voy. t. III, p. 7. C’est un des passages supprimés dans les anciennes éditions.
  8. Cet Hector avait épousé Jeanne, héritière de Tagliavia, dont le grand-père paternel fut fait en 1561 duc de Terranova, et en 1565 grand d’Espagne, chevalier de la Toison d’or, etc., par Philippe II, dont il fut ambassadeur en Allemagne, et après gouverneur du Milanais. C’est cette héritière, cinquième duchesse de Terranova qui étant veuve d’Hector Pignatelli, duc de Monteléon avec postérité, fut faite par Charles II camarera-mayor de sa première femme, fille de Monsieur, frère de Louis XIV, en 1619, à qui elle se rendit si insupportable par sa rigidité et ses insolences que la reine se la fit ôter, chose sans exemple en Espagne. Elle fut mise en cette même charge auprès de la reine, mère de Charles II, et y mourut, mai 1692, au Buen-Retiro, laissant héritière de ses biens et de sa grandesse de Terranova Jeanne Pignatelli, qui avait épousé, 1679, Nicolas Pignatelli, frère de son bisaïeul, père du duc de Monteléon, qui fait [cet] article. (Note de Saint-Simon.)
  9. Voy. sur cette querelle t. III, p. 287.
  10. Abbaye de fondation royale de religieuses déchaussées. Saint-Simon a écrit descalceales pour indiquer des religieuses déchaussées ; mais ce mot ne se trouve pas dans les lexiques espagnols. Les précédents éditeurs l’ont changé en descalcez, qui veut dire nudité des pieds, et, par extension, ordre de moines déchaussés. La véritable expression pour indiquer des religieuses déchaussées serait descalzas.
  11. Le passage, auquel renvoie Saint-Simon avait été supprimé par les anciens éditeurs.
  12. S’établir.
  13. Il y a dans le manuscrit Rodolphe III ; mais il faut lire Rodolphe II, empereur qui régna de 1576 à 1612.
  14. C’est-à-dire attaché à un des consistoires ou assemblées de cardinaux, qui servaient à la fois de conseils du pape et de tribunaux.
  15. Ce nom latin désignait le grand officier, qu’on a appelé depuis sénéchal. Il servait à la table du roi et commandait l’armée en son absence. Dans la suite, les fonctions du sénéchal furent partagées entre le connétable et le grand maître de la maison du roi.
  16. Le pal, en terme de blason, était une des pièces honorables de l’écu, qui représentait un pal, ou pieu posé debout, depuis le chef de l’écu jusqu’à la pointe.
  17. Pot-au-feu, marmite.
  18. Voy. sur les majorasques t. III, p. 247.
  19. Voy t. III, p. 17.
  20. Ce village est appelé plus haut Villahalmanzo.
  21. T. III, p. 3 et suiv. Ce passage avait été supprimé dans les anciennes éditions, qui ne laissent pas de s’y référer.
  22. Ces passages ont été omis dans les anciennes éditions, et cependant les éditeurs n’ont pas manqué d’y renvoyer le lecteur.
  23. Même remarque que plus haut. Le passage du t. III, auquel renvoie Saint-Simon, est un de ceux que les précédents éditeurs ont retranchés.
  24. Voy. t. III, p. 3 et 5. C’est encore un des passages supprimés par les anciens éditeurs.
  25. On a reproduit exactement les chiffres donnés par Saint-Simon, quoiqu’ils ne soient pas toujours d’accord avec les listes.
  26. Voy. t. III, p. 9.
  27. On a conservé le texte de Saint-Simon ; les précédents éditeurs avaient changé n’ont en n’aient.
  28. Les chiffres indiquent le nombre des grandesses.