Mémoires (Saint-Simon)/Tome 17/22


CHAPITRE XXII.


Débordement de pensions, et pensions fixées au grade d’officier général. — M. le duc d’Orléans m’apprend le mariage du duc de Lorges avec la fille du premier président. — Ma conduite là-dessus. — Édit de réduction des intérêts des rentes. — Mouvements du parlement là-dessus. — Remontrances. — Retour de Rion à Paris, où il tombe dans l’obscurité. — Enlèvements pour peupler le pays dit Mississipi, et leur triste succès. — La commission du conseil, de retour de Nantes, s’assemble encore à l’Arsenal ; peu après le maréchal de Montesquiou rappelé de son commandement de Bretagne. — Retour du comte de Charolois de ses voyages. — Bon mot de Turménies. — Quel étoit Turménies. — Retrait[1] de l’hôtel de Marsan. — Mariage de La Noue avec Mme de Chevry. — Quelles gens c’étoient. — Fruits amers du Mississipi. — Rare contrat de mariage du marquis d’Oyse. — Dreux obtient la survivance de sa charge de grand maître des cérémonies pour son fils, et le marie malheureusement. — Mort du prince Vaïni. — Mort et caractère du comte de Peyre. — Sa charge de lieutenant général de Languedoc donnée pour rien à Canillac. — Mort de la comtesse du Rouvre ; curiosités sur elle. — Mort et singularités de la marquise d’Alluy. — Mort de l’abbé Gautier. — Mort et détails du célèbre Valero y Losa, de curé de campagne devenu, sans s’en être douté, évêque, puis archevêque de Tolède. — Éloge du P. Robinet, confesseur du roi d’Espagne, et son renvoi. — Division entre le roi d’Angleterre et le prince de Galles ; sa cause ; leur apparent raccommodement. — Duc de La Force, choisi pour aller faire les compliments à Londres, n’y va point, parce que le roi d’Angleterre ne veut point de cet éclat. — Masseï à Paris, depuis nonce en France ; sa fortune, son caractère. — Les Vénitiens se raccommodent avec le roi et rétablissent les Ottobon. — État, intrigues, audace des bâtards du prince de Montbéliard, qui veulent être ses héritiers et légitimes.


Malgré la situation des finances, il reprit à M. le duc d’Orléans un nouveau débordement de pensions. Il en donna une de six mille livres, et une autre de quatre mille livres attachée au grade de lieutenant général et à celui maréchal de camp, avec cette explication : qu’elles seroient incompatibles avec un gouvernement ou avec une autre pension ; mais que, si la pension étoit moindre, elle seroit portée jusqu’à cette fixation. Cela alloit bien loin au grand nombre et n’en obligeoit aucun en particulier. La vieille Montauban, dont il a été quelquefois parlé ici, en eut une de vingt mille livres, et M. de Montauban, cadet du prince de Guéméné, une de six mille. La duchesse de Brissac, sœur de Vertamont, qui étoit fort pauvre, et que son frère, premier président du grand conseil, logeoit et nourrissoit, en eut une aussi de six mille livres. Mme de Coetquen, du Puy-Vauban, Polastron, la fille de feu Puysieux, veuve de Blanchefort, grand joueur, et son fils, en eurent chacun une de quatre mille livres ; et huit ou dix autres personnes qui trois, qui deux mille francs. J’en obtins une de huit mille livres pour Mme la maréchale de Lorges, et une de six mille livres pour la maréchale de Chamilly, dont le Mississipi avoit fort dérangé les affaires. M. de Soubise et le marquis de Noailles eurent chacun deux cent mille livres en présent. Jusqu’à Saint-Geniez, sortant de la Bastille et relégué à Beauvois, ayant d’abord été destiné fort loin, eut une pension de mille francs. Tout le monde, en effet, auroit eu besoin d’une augmentation de revenu, par l’extrême cherté où les choses les plus communes et les plus indispensables, et toutes autres natures de choses étoient montées, qui, quoiqu’à la fin peu à peu diminuées, sont demeurées jusqu’à aujourd’hui bien au-dessus de ce qu’elles étoient avant ce Mississipi. Le marquis de Châtillon, qui a fait depuis une si grande fortune, eut aussi six mille livres de pension en quittant son inspection de cavalerie ; enfin, La Peyronnie, premier chirurgien du roi en survivance de Maréchal, eut huit mille livres de pension.

Un jour de vers la fin d’avril, travaillant avec M. le duc d’Orléans, il m’apprit le mariage du duc de Lorges avec Mlle de Mesmes, et que le premier président lui en avoit demandé son agrément. Je n’en avois pas ouï dire un mot, et la vérité est que je me mis dans une étrange colère. On a vu, en différentes occasions, ce que j’ai fait pour ce beau-frère, et ce qui m’arriva pour l’avoir fait capitaine des gardes, qu’il étoit, s’il avoit voulu se priver de sa petite maison de Livry, dont la vente étoit nécessaire pour parfaire les cinq cent mille livres à donner au maréchal d’Harcourt, qu’il aima mieux garder. Il m’étoit cruel de lui voir épouser la fille d’un homme que je faisois profession d’abhorrer, et que je ne rencontrois jamais au Palais-Royal sans le lui témoigner, et quelquefois par les choses les plus fortement marquées. Je m’en retournai à Meudon où nous étions déjà établis. J’appris à Mme de Saint-Simon cette énormité de son frère, dont elle ne fut pas moins surprise ni touchée que moi. Je lui déclarai que de ma vie je ne le verrois ni sa femme, et que je ne verrois jamais non plus Mme la maréchale de Lorges, ni M. ni Mme de Lauzun, s’ils signoient le contrat de mariage et s’ils se trouvoient à cette noce. Je le dis tout haut partout, et je m’espaçai sur le beau-père et le gendre sans aucune sorte de mesure. Cet éclat, qui fut le plus grand qu’il me fut possible, et qui mit un grand désordre dans une famille jusqu’alors toujours si intimement unie, et qui vivoit sans cesse ensemble, arrêta le mariage tout court pour un temps ; mais sans que je visse le duc de Lorges, qui se flattoit de me ramener par ses soeurs, et qui, dans l’embarras à mon égard de ne vouloir pas rompre ce beau mariage, n’osa se hasarder à me voir.

M. le duc d’Orléans, persuadé par ceux en qui il avoit le plus de confiance sur les finances, résolut de réduire à deux pour cent toutes les rentes. Cela soulageoit fort les débiteurs ; mais c’étoit un grand retranchement de revenu pour les créanciers qui, sur la foi publique, le taux approuvé et usité, et la loi des contrats d’emprunts, avoient prêté à cinq pour cent, et en avoient toujours paisiblement joui. M. le duc d’Orléans assembla au Palais-Royal plusieurs personnes de divers états de finance, et résolut enfin avec eux d’en porter l’édit. Il fit du bruit au parlement, qui résolut des remontrances. Aligre présidoit ce jour-là. Le premier président s’en étoit allé à sa campagne pour y faire, disoit-il, des remèdes. Il est vrai qu’il avoit eu une légère attaque d’apoplexie pour laquelle il avoit été un an auparavant à Vichy. Il fut bien aise d’éviter de se commettre avec M. le duc d’Orléans après la cruelle aventure qu’il avoit eue avec lui, mais sans quitter prise, et de laisser agir le parlement, qu’il sentoit bien comme tout le monde que l’imbécillité d’Aligre et le peu de cas qu’en faisoit la compagnie ne seroit pas capable de retenir. Mesmes, ravi de voir se préparer de nouvelles altercations entre le régent et le parlement, [leur] vouloit laisser la liberté de se reproduire sans y être présent, et ne revenir qu’ensuite pour y jouer son personnage accoutumé de modérateur et de compositeur entre sa compagnie et le régent, pour en tirer de l’argent ; ce qu’il ne désespéroit pas encore de sa facilité, et souffler le feu sous main. Huit jours après la résolution prise des remontrances, Aligre, à la tête de la députation du parlement, les porta par écrit au roi, et les lui laissa, après lui avoir fait un fort plat compliment ; c’étoit le 17 avril. Ces remontrances n’ayant point eu de succès, le parlement s’assembla le 22 et résolut de ne point enregistrer l’édit, et de faire de nouvelles remontrances. Au sortir de la séance, les gens du roi vinrent au Palais-Royal rendre compte de ce qui venoit d’être résolu. M. le duc d’Orléans leur répondit court et sec qu’on ne changeroit rien à la résolution qui avoit été prise, et les laissa aussitôt.

Il permit à Rion de revenir à Paris, dont il avoit reçu défense de s’approcher, étant à l’armée du maréchal de Berwick en Navarre, lors de la mort de Mme la duchesse de Berry. Sa présence au retour de cette campagne, sitôt après cette mort, auroit réveillé bien des discours. On crut l’intervalle assez long pour qu’on ne songeât plus à rien. Sa présence, après tout ce qui s’étoit passé, ne pouvoit pas être agréable au Palais-Royal, et devoit l’embarrasser lui-même. Il ne fit donc qu’y paroître, se montra peu ailleurs, et mena une vie conforme à son humeur, c’est-à-dire de plaisir, mais particulière, fort voisine de l’obscurité. Il étoit fort à son aise, quoique le Mississipi fût venu un peu tard pour lui ; il ne garda guère son régiment et ne songea plus à servir.

À force de tourner et retourner ce Mississipi de tout sens, pour ne pas dire à force de jouer des gobelets sous ce nom, on eut envie, à l’exemple des Anglois, de faire dans ces vastes pays des établissements effectifs. Ce fut pour les peupler qu’on fit à Paris et dans tout le royaume des enlèvements de gens sans aveu et des mendiants valides, hommes et femmes, et de quantité de créatures publiques. Si cela eût été exécuté avec sagesse, discernement, les mesures et les précautions nécessaires, cela auroit rempli l’objet qu’on se proposoit, et soulagé Paris et les provinces d’un lourd fardeau inutile et souvent dangereux ; mais on s’y prit à Paris et partout ailleurs avec tant de violence et tant de friponnerie encore pour enlever qui on vouloit, que cela excita de grands murmures. On n’avoit pas eu le moindre soin de pourvoir à la subsistance de tant de malheureux sur les chemins, ni même dans les lieux destinés à leur embarquement ; on les enfermoit les nuits dans des granges sans leur donner à manger, et dans les fossés des lieux où il s’en trouvoit, d’où ils ne pussent sortir. Ils faisoient des cris qui excitoient la pitié et l’indignation ; mais les aumônes n’y pouvant suffire, moins encore le peu que les conducteurs leur donnoient, [cela] en fit mourir partout un nombre effroyable. Cette inhumanité, jointe à la barbarie des conducteurs, à une violence d’espèce jusqu’alors inconnue et à la friponnerie d’enlèvement de gens qui n’étoient point de la qualité prescrite, mais dont on se vouloit défaire, en disant le mot à l’oreille et mettant de l’argent dans la main des préposés aux enlèvements, [de sorte] que les bruits s’élevèrent avec tant de fracas, et avec des termes et des tons si imposants qu’on trouva que la chose ne se pouvoit plus soutenir. Il s’en étoit embarqué quelques troupes, qui ne furent guère mieux traitées dans la traversée. Ce qui ne l’étoit pas encore fut lâché et devint ce qu’il put, et on cessa d’enlever personne. Law, regardé comme l’auteur de ces enlèvements, devint fort odieux, et M. le duc d’Orléans eut à se repentir de s’y être laissé entraîner.

Châteauneuf, qui avoit présidé à la commission de Nantes, revint en ce temps-ci avec tous ceux qui l’avoient composée, mais pour subsister encore, et s’assembler à l’Arsenal pour achever de juger ceux des exceptés de l’amnistie qui ne l’avoient pas été à Nantes ; et peu après le maréchal de Montesquiou fut rappelé du commandement de Bretagne, où il avoit eu le malheur de se barbouiller beaucoup et de ne contenter personne.

M. le comte de Charolois arriva enfin de ses longs voyages, M. le Duc, content de ce qu’il avoit obtenu pour lui, lui avoit mandé de revenir, et le fut attendre à Chantilly avec les familiers de la maison. Turménies s’y trouva avec eux, il avoit été maître des requêtes et intendant de province avec réputation, et y auroit fait son chemin au gré de tout le monde ; mais à la mort de son père, qui étoit garde du trésor royal, il préféra le solide si abondant de cette charge aux espérances des emplois qu’il avoit. C’étoit un garçon de beaucoup d’esprit, de lecture et de connoissances, d’un naturel libre et gai, aimant le plaisir, mais avec mesure et pour la compagnie et pour le temps, fort mêlé avec la meilleure compagnie de la cour et de la ville, habile, capable, droit et obligeant dans sa charge, sans se faire valoir, estimé et accrédité avec les ministres, fort bien avec le régent, et sur un pied de telle familiarité avec M. le duc et M. le prince de Conti pères et fils, qu’ils vouvoient tout bon de lui, et ce qu’ils n’auroient souffert de personne. Le voisinage de l’Ile-Adam, la chasse, la table, l’avoit mis sur ce ton avec les pères ; il avoit su se le conserver avec les fils. C’étoit un homme qui sentoit très bien la force de ses paroles, mais qui ne retenoit pas aisément un bon mot. L’impunité avoit aiguisé sa hardiesse, qui d’ailleurs n’étoit que liberté, sans aucun air d’insolence et sans jamais se déplacer avec personne. Il étoit petit, grosset, le cou fort court, la tête dans les épaules, avec de grands cheveux blonds qui lui donnoient encore l’air plus engoncé, et qui lui avoient valu le sobriquet de Courtcollet. M. le Duc, averti que M. son frère arrivoit, alla, suivi de toute la compagnie, le recevoir au débarquer de sa voiture et l’embrasser. Tout ce qui étoit là les environna et s’empressa à faire sa révérence ; après les premiers mots entre les deux frères, M. le Duc lui présenta la compagnie, que M. le comte de Charolois se contenta de regarder fort indifféremment sans dire un seul mot à personne, pendant un assez long temps que ce cercle demeura autour d’eux, dans la place où il avoit mis pied à terre dans la cour. Turménies, voyant ce qui se passoit et s’en ennuyant, se tourne à la compagnie : « Messieurs, lui dit-il froidement, mais tout haut, faites voyager vos enfants, et dépensez-y bien de l’argent, » et tout de suite passa d’un autre côté. Cet apophtegme fit du bruit, et courut fort. Il ne s’en défendit point, et M. le Duc et M. le comte de Charolois n’en firent que rire. M. le Duc devoit y être accoutumé.

Au commencement des actions de Law, M. le Duc se vanta chez lui, devant assez de monde, et avec complaisance d’une quantité considérable qu’il en avoit eue. Chacun se taisoit, lorsque Courtcollet, impatienté : « Fi, monsieur, répondit-il, votre bisaïeul n’en a jamais eu que cinq ou six, mais qui valoient bien mieux que toutes les vôtres. » Chacun baissa les yeux, et M. le Duc se prit à rire, sans lui en savoir plus mauvais gré. Il en a quelquefois lâché de bonnes à des ministres du feu roi, et depuis la régence à M. le duc d’Orléans lui-même, qui n’en faisoit que rire aussi. Il ne vécut que peu d’années après, quoique point vieux, et fut fort regretté même pour les affaires de sa gestion. Il ne laissa point d’enfants. M. de Laval, le même de la conspiration du duc et de la duchesse du Maine, épousa sa sœur qui étoit veuve de Bayez, dont il a eu beaucoup de biens et des enfants. Les apophtegmes de Turménies n’étoient pas réservés aux princes du sang. Il ne s’en contraignoit guère pour personne et avec cela rien moins qu’impertinent ; il avoit trop d’esprit et de monde pour l’être.

Une affaire purement particulière fit alors grand bruit dans le monde. Matignon et M. de Marsan avoient épousé les deux soeurs, filles uniques et sans frères du frère aîné de Matignon : lui l’aînée, M. de Marsan la cadette, veuve alors avec des enfants de M. de Seignelay, ministre et secrétaire d’État, fils aîné de M. Colbert. Un intérêt commun les avoit étroitement unis, c’étoit l’amitié de Chamillart, dont ils avoient tiré des trésors en toute espèce d’affaires de finance. Le comte de Marsan fit par son testament M. de Matignon tuteur de ses enfants, avec l’autorité la plus étendue et les plus grandes marques de confiance ; et tout le monde est convenu que le comte de Matignon y répondit sans cesse par tous les soins, l’application et les tendresses d’un véritable père, et le succès d’un homme habile et accrédité. Le comte de Marsan, qui n’avoit de soi point de bien, ne s’en étoit fait que d’industrie, de grâces et de rapines, avoit mangé à l’avenant, et laissé ses affaires en mauvais état. Matignon estima qu’un effet tel que l’hôtel de Marsan, à Paris, étoit trop pesant pour des enfants en bas âge, dont le prix aideroit fort à liquider les biens, et crut aussi, à la conduite qu’il avoit eue dans leurs affaires, la [2] pouvoir acheter quoique tuteur. Il l’acheta donc, y dépensa beaucoup, y alla loger et céda la sienne au maréchal son frère. M. de Marsan étoit mort en 1708, veuf pour la seconde fois depuis près de neuf ans. Le prince de Pons, son fils aîné, étoit né en 1696 ; par conséquent il avoit vingt-quatre ans en cette année 1720, et il étoit marié en 1714 à la fille cadette du duc de Roquelaure. Il pria le duc d’Elboeuf d’aller dire à Matignon de sa part qu’il se croyoit obligé de retirer l’hôtel de Matignon, qui étoit l’hôtel de Marsan que le comte de Matignon avoit achetée et payée, mais qu’il ne vouloit point que M. de Matignon songeât à en sortir, et qu’il l’y laisseroit toute sa vie. Le comte de Matignon, aussi surpris qu’indigné du compliment, répondit tout court qu’il espéroit d’assez bonnes raisons pour ne devoir pas craindre ce retroit ; qu’il le remercioit de la manière polie dont il lui avoit parlé ; mais qu’il l’assuroit en même temps qu’il ne profiteroit pas de la grâce que le prince de Pons prétendoit lui faire ; et qu’il pouvoit lui dire que, s’il étoit assez malheureux pour perdre ce procès, il quitteroit sa maison le lendemain et n’y remettroit jamais le pied. Les procédures ne tardèrent pas après de la part du prince de Pons, qui en fut extrêmement blâmé, et universellement de tout le monde. Matignon soutint le procès ; tout y étoit pour lui, hors la lettre de la règle. Il le perdit donc, uniquement par la qualité de tuteur qui acquiert de son mineur, et ce fut au grand regret du public et des juges mêmes. Le jour même de l’arrêt, Matignon retourna loger chez le maréchal son frère, et de dépit acheta et rebâtit presque la superbe maison que son fils occupe, et qu’il a si grandement augmentée et ornée. Le comte de Matignon n’eut pas le temps d’y loger. Elle étoit tout près de le pouvoir recevoir lorsqu’il mourut chez le maréchal son frère, en janvier 1725. Ce ne fut qu’à sa mort qu’il revit le prince de Pons et son frère, avec qui les Matignon sont depuis demeurés fraîchement.

Il y a des choses qui occupent dans leur temps et qui vieillissant s’anéantissent. Je n’en puis toutefois omettre une de ce genre. Il y avoit une petite nièce par femmes de M. de Fénelon, archevêque de Cambrai, qui déjà veuve à peine mariée, sans enfants et sans biens, avoit une figure aimable, l’air et le goût du monde, un manége infini et beaucoup d’intrigue, et qui, sans avoir été religieuse et coureuse comme la Tencin, eut cette similitude avec elle qu’elle fit pour M. de Cambrai et son petit troupeau, conséquemment pour Mme Guyon et sa petite église, le même personnage que l’ambition du frère et de la sœur fit faire à celle-ci pour la constitution. La veuve dont je parle avoit trouvé ainsi le moyen de rassembler chez elle bonne compagnie, mais elle mouroit de faim. Elle persuada à un vieil aveugle qui étoit riche et qui s’appeloit Chevry de l’épouser pour avoir compagnie et charmer l’ennui de son état. Il y consentit et lui fit toutes sortes d’avantages. Il se flatta d’autant plus de mener avec elle une vie agréable qu’elle aimoit le monde, le jeu, la parure, et néanmoins fort dévote, se disoit-elle, et disoient ses amis, et il le falloit bien puisque en cela consistoit toute son existence et sa considération. Chevry, presque aveugle quand il l’épousa, le devint bientôt après tout à fait. Il fut doux, bon homme, s’accommoda de tout, et quoique compté presque pour rien, il avoit toute sorte de complaisances, hors celle de mourir, et il ennuyoit fort sa femme et cette troupe d’amis. Il mourut enfin, et ce fut un grand soulagement dans la maison, et une grande joie pour les amis qui trouvoient là une bonne maison et opulente, où rien ne contrarioit plus leur conversation. Mais les vapeurs qui avoient gagné la dame pendant la vie de son aveugle ne s’en allèrent pas avec lui. À ces vapeurs, qui étoient devenues énormes, se joignit la gravelle, qui, mêlées, la nettoient dans des états étranges, après quoi, presque en un instant, il n’y paraissoit pas. Une pointe de merveilleux faisoit merveilles parmi ce monde qui abondoit chez elle ; elle étoit les délices et la vénération de toute cette petite église et le ralliement de tout ce qui y tenoit. C’étoit là où se tenoit le conseil secret ; et comme il s’y joignoit souvent d’autre bonne compagnie, sa maison étoit devenue un petit tribunal qui ne laissoit pas d’être compté dans Paris ; tout cela flattoit sa vanité, l’amusoit et l’occupoit agréablement, avec ce talent de s’attirer du monde avec choix et de soutenir cet abord par la bonne chère. Mais elle n’avoit jamais eu de mari, et elle s’en donna un dont on ne l’auroit jamais soupçonnée, la petite église par vénération, les autres commensaux par la croire de meilleur goût, tous par l’état de sa santé. La Noue, espèce de chevalier d’industrie, s’étoit introduit chez elle par hasard, la table l’y attira souvent. Il étoit frère de Teligny, que la faim avoit fait gouverneur de M. le comte de Clermont, et d’un lieutenant des gardes du corps. C’étoient de fort simples gentilshommes et fort pauvres, leur nom est Cordouan ; j’en ai parlé ailleurs. Il n’avoit d’esprit qu’un simple usage de médiocre monde, et anciennement de jeu et de galanterie bourgeoise, et rien plus, avec un peu d’effronterie. Il avoit servi toute sa vie dans le subalterne, avoit attrapé une place d’écuyer à l’hôtel de Conti, puis le régiment de ce prince dont la jalousie lui ôta l’un et l’autre en le chassant de chez lui. M. le duc d’Orléans en eut pitié, et lui donna une inspection. Ce fut donc ce vieux belâtre qu’elle épousa, mais dans le dernier secret, tant elle en fut honteuse. Ce secret dura quatre ans, après lesquels ce beau mariage se déclara. Ce fut un étrange vacarme parmi les amis de la maison qui, de ce moment, ne fut plus, ni depuis, à beaucoup près, si fréquentée, et déchut enfin de cet état de tribunal où tout ce qui se passoit étoit jugé, et où elle présidoit avec empire. Le mari, déclaré, fut toujours amant soumis et respectueux, mais cela ne dura guère, elle ne put soutenir une telle décadence. Elle mourut, et La Noue ne profita de rien.

L’extrême folie d’une part, et l’énorme cupidité de l’autre, firent en ce temps-ci le plus étrange contrat de mariage qui se soit peut-être jamais vu. C’est un échantillon de celle que le système de Law alluma en France, et qui mérite d’avoir place ici. Qui pourroit, et qui en voudroit raconter les effets, les transmutations de papiers, les marchés incroyables, les nombreuses fortunes dans leur immensité, et encore dans leur inconcevable rapidité, la chute prompte de la plupart de ces enrichis par leur luxe et leur démence, la ruine de tout le reste du royaume, et les plaies profondes qu’il en a reçues et qui ne guériront jamais, feroit sans doute la plus curieuse et la plus amusante histoire, mais la plus horrible en même temps, et la plus monstrueuse qui fût jamais. Voici donc, entre autres prodiges, le mariage dont il s’agit. Le contrat en fut dressé et signé entre le marquis d’Oyse, âgé lors de trente-trois ans, fils et frère cadet des ducs de Villars-Brancas, avec la fille d’André, fameux Mississipien qui y avoit gagné des monts d’or, laquelle n’avoit que trois ans, à condition de célébrer le mariage dès qu’elle en auroit douze. Les conditions furent cent mille écus, actuellement payés ; vingt mille livres par an jusqu’au jour du mariage ; un bien immense par millions lors de la consommation ; et profusions en attendant aux ducs de Brancas père et fils. Les discours ne furent pas épargnés sur ce beau mariage. Que ne fait point faire auri sacra fames ? Mais l’affaire avorta avant la fin de la bouillie de la future épouse, par la culbute de Law. Les Brancas, qui s’en étoient doutés, le père et les deux fils, s’étoient bien fait payer d’avance ; le comble fut que les suites de cette affaire produisirent des procès plus de quinze ans après, qui furent soutenus sans honte. Ces Brancas-là n’y étoient pas sujets.

M. le duc d’Orléans, qui prodiguoit tout de plus en plus, accorda à Dreux la survivance de sa charge pour son fils. Ce n’étoit pas pour le mérite du père qui n’étoit pas imposant, et dont la conduite pleine d’ignorance, de brutalité, et qui pis est d’infidélité dans cette charge, n’en méritoit pas la conservation, bien loin d’une survivance à un fils de vingt ans. Ce ne pouvoit être le désir de gratifier le parlement en une de ses bonnes et anciennes familles ; celle-ci qui venoit de peu y étoit toute nouvelle, et les services militaires du père, aussi borné qu’il l’étoit, n’auroient pu durer longtemps sans l’appui de Chamillart son beau-père qui le poussa, et par la considération duquel, même après sa chute, sort gendre continua d’être employé dans l’état des armées parmi le grand nombre, et où, à la valeur près, il fut toujours compté pour rien. Ce fut donc à Chamillart encore que cette survivance fut accordée. Cette charge de grand maître des cérémonies fut créée par Henri III pour M. de Rhodes, et il est vrai qu’elle ne convient qu’à des gens de la première qualité. MM. de Rhodes l’ont conservée jusqu’au dernier, qui, se voyant perclus de goutte et sans enfants, la vendit à Blainville, frère de Saignelay, ministre et secrétaire d’État, duquel Chamillart la fit acheter par son gendre pour le recrépir et pour, à l’abri fictif de cette charge et plus du crédit du beau-père qui fit tout et qui étoit lors à l’apogée de sa faveur, faire entrer sa fille dans les carrosses, manger et aller à Marly. Peu après cette survivance, Dreux maria son fils à une autre Dreux, fille du frère aîné de Nancré, mort capitaine des Suisses de M. le duc d’Orléans, dont il a été fait plus d’une fois mention. Cette fille étoit puissamment riche et tenue de si court qu’on ne la voyoit presque jamais, et non sans cause, mais qu’on avoit su cacher si bien que personne n’en eut de soupçon. Elle éclata dès le lendemain des noces par un accès public d’extrême folie qui, suivi de quantité d’autres, obligèrent de l’enfermer dans un couvent. Mais le mari par leur parenté hérita d’elle.

Le prince Vaïni, chevalier de l’ordre par la belle cause qui en a été rapportée ici en son temps, mourut à Rome. On a suffisamment fait connoître quel il étoit pour n’avoir rien à y ajouter. Le merveilleux est que, ayant été trompé à son titre, à sa naissance, à son mérite, à sa considération à Rome qui étoit nulle, le fils y fut fait aussi chevalier de l’ordre et reçu par le duc de Saint-Aignan pendant son ambassade, lequel fils n’y brilla pas plus que le père.

Le vieux comte de Peyre mourut enfin chez lui, en Languedoc, où il étoit l’un des trois lieutenants généraux de cette province, mais sans fonction. C’étoit un grand homme de bonne mine, riche et grand tyran de province, et avec lequel il ne faisoit bon pour personne d’avoir affaire. Il n’avoit point de brevet de retenue. Sa charge, qui est de vingt mille livres, fut donnée sur-le-champ à Canillac, à qui M. le duc d’Orléans l’avoit déjà accordée une fois sur un faux bruit qui se répandit de la mort de ce comte de Peyre.

En même temps et en même pays mourut aussi la vieille comtesse du Roure, qui étoit fille de Claude Marie du Guast, dit le comte d’Artigny et de Marie Cottelier [3]. Elle fut fille d’honneur de Madame, première femme de Monsieur, sous le nom de Mlle d’Artigny, compagne et amie intime de Mlle de La Vallière, dont la faveur lui fit épouser en 1666 Pierre Scipion de Beauvoir de Grimoard, frère de la mère du cardinal de Polignac et fils aîné du comte du Roure, chevalier de l’ordre en 1661, ainsi que le vicomte de Polignac, son beau-frère, duquel le père l’avoit été aussi en 1633. Par ce mariage le comte du Roure fit passer à son fils sa charge de lieutenant général de Languedoc et son gouvernement du Pont-Saint-Esprit. Il y eut plusieurs enfants de ce mariage de Mlle d’Artigny avec le comte du Roure, dont l’aîné eut aussi la lieutenance générale de Languedoc et le gouvernement du Pont-Saint-Esprit en épousant la fille du duc de La Force dont Monseigneur avoit été publiquement amoureux, et le fils de ce dernier mariage, qui n’a point eu les charges de son père tué à la bataille de Fleurus, a épousé une fille du maréchal duc de Biron qui est dame du palais de Mme la Dauphine. Cette vieille comtesse du Roure-Artigny, occasion de cet article, étoit une intrigante de beaucoup d’esprit et que la faveur de Mlle de La Vallière avoit accoutumée à beaucoup de hauteur. Elle se trouva mêlée dans beaucoup de choses avec la comtesse de Soissons, qui les firent chasser de la cour, puis avec la même dans les dépositions de la Voisin [4] qui firent sortir la comtesse de Soissons du royaume pour toujours. Cette dernière aventure pensa mener loin la comtesse du Roure. Elle en fut quitte néanmoins pour l’exil en Languedoc, où elle a passé le reste de sa vie, excepté un voyage de peu de mois qu’elle obtint de faire à Paris quelques années avant sa mort. On la craignoit partout. Elle vivoit d’ordinaire dans un château, et son mari dans un autre.

La marquise d’Alluye mourut en même temps au PalaisRoyal à Paris. Elle s’appeloit de Meaux du Fouilloux [5], avoit été aussi fille d’honneur de Madame, première femme de Monsieur, et amie de Pille d’Artigny dont on vient de parler, et sa compagne ; elle épousa, en 1667, n’étant plus jeune, mais belle, le marquis d’Alluye, fils et frère de Charles et de François d’Escoubleau, marquis de Sourdis, chevaliers de l’ordre, l’un en 33, l’autre en 88. D’Alluye, qui étoit l’aîné, eut le gouvernement d’Orléanois de son père, fut encore plus mêlé que sa femme dans l’affaire de la Voisin, furent longtemps exilés, et le mari, qui mourut sans enfants en 1690, n’eut jamais permission de voir le roi, quoique revenu à Paris. Sa femme, amie intime de la comtesse de Soissons et des duchesses de Bouillon et Mazarin, passa sa vie dans les intrigues de galanterie, et quand son âge l’en exclut pour elle-même, dans celles d’autrui. Le marquis d’Effiat, dont il a été si souvent mention ici, avoit épousé une sœur de son mari, dont il n’avoit point eu d’enfants, et qu’il perdit de bonne heure. Il protégea la marquise d’Alluye dans la cour de Monsieur, avec qui elle fut fort bien, et avec Madame toute sa vie. C’étoit une femme qui n’étoit point méchante ; qui n’avoit d’intrigues que de galanterie, mais qui les aimoit tant que, jusqu’à sa mort, elle étoit le rendez-vous et la confidente des galanteries de Paris, dont, tous les matins, les intéressés lui rendoient compte. Elle aimoit le monde et le jeu passionnément, avoit peu de bien et le réservoit pour son jeu. Le matin, tout en discourant avec les galants qui lui contoient les nouvelles de la ville, ou les leurs, elle envoyoit chercher une tranche de pâté ou de jambon, quel que fois un peu de salé ou des petits pâtés, et les mangeoit. Le soir, elle alloit souper et jouer où elle pouvoit, rentroit à quatre heures du matin, et a vécu de la sorte grasse et fraîche, sans nulle infirmité jusqu’à plus de quatre-vingts ans qu’elle mourut d’une assez courte maladie, après une aussi longue vie, sans souci, sans contrainte et uniquement de plaisir. D’estime, elle ne s’en étoit jamais mise en peine, sinon d’être sûre et secrète au dernier point ; avec cela, tout le monde l’aimoit, mais il n’alloit guère de femmes chez elle. La singularité de cette vie m’a fait étendre sur elle.

L’abbé Gautier, dont il est si bien et si souvent parlé dans ce qui a été donné ici, d’après M. de Torcy, sur les négociations de la paix avec la reine Anne, et de celle d’Utrecht, mourut dans un appartement que le feu roi lui avoit donné dans le château neuf de Saint-Germain, avec des pensions et une bonne abbaye. Il s’y étoit retiré aussitôt après ces négociations où il avoit été si heureusement employé, après en avoir ouvert lui-même le premier chemin, et rentra en homme de bien modeste et humble, dans son état naturel, et y vécut comme s’il ne se fût jamais mêlé de rien, avec une rare simplicité, et qui a peu d’exemples en des gens de sa sorte, qui, dans le maniement des affaires les plus importantes et les plus secrètes, dont lui-même avoit donné la première clef, sans s’intriguer, s’étoit concilié l’estime et l’affection du roi et de ses ministres, de la reine Anne et des siens, et des plénipotentiaires qui travaillèrent à ces deux paix.

Le célèbre archevêque de Tolède mourut aussi en ce même temps ; il s’appeloit don Francisco Valero y Losa, et il étoit simple curé d’une petite bourgade. Il y rendit des services si importants pour soutenir les peuples dans le fort de la guerre et des malheurs, les exciter en faveur du roi d’Espagne, trouver des expédients pour les marches et les subsistances, avoir des avis sûrs de ce que faisoient et projetoient les ennemis, que les généraux et les ministres ne pouvoient assez louer son zèle, son industrie, sa vigilance et sa sagesse. Rien de tant de soins ne dérangea sa piété, les devoirs de sa paroisse, sa modestie, son désintéressement. Ses amis, l’orage passé, le pressèrent vainement d’aller à la cour représenter ses services. Il ne prit pas seulement la peine d’en faire souvenir. Dans cette inaction qui relevoit si grandement son mérite, le P. Robinet, lors confesseur du roi d’Espagne, qui ne l’avoit pas oublié, en fit souvenir Sa Majesté Catholique à la vacance de l’évêché de Badajoz, qui le lui donna. Le bon curé, qui n’y avoit jamais songé, l’accepta, s’y retira, et y vécut en excellent évêque. Ce fut de ce siège que le même confesseur le fit passer à celui de Tolède, avec l’applaudissement de toute la cour et l’acclamation de toute l’Espagne. Le prélat y avoit aussi peu songé qu’il avoit fait à celui de Badajoz. Il fut dans ce premier siège de toutes les Espagnes aussi modeste qu’il avoit été dans sa cure, et il y fut l’exemple de tous les évêques d’Espagne, l’exemple de la cour et celui de tout le royaume. Sa promotion à Tolède perdit le confesseur.

Le cardinal del Giudice, aussi étroitement uni à la princesse des Ursins alors, qu’ils devinrent ennemis dans la suite, vouloit ce riche et grand archevêché ; il le demandoit hautement, et Mme des Ursins en fit sa propre affaire. Le roi y consentoit, lorsque son confesseur osa lui représenter avec la plus généreuse fermeté quel affront il feroit à la nation espagnole, à l’amour et aux prodiges d’efforts de laquelle il devoit sa couronne, s’il la frustroit du premier et du plus grand archevêché, pour le donner à un étranger, qui déjà tenoit de lui le riche archevêché de Montreal en Sicile, et tant de pensions et d’autres grâces, et fit si bien valoir le mérite, les services, la piété, le désintéressement de l’évêque de Badajoz, qu’il emporta pour lui l’archevêché de Tolède. Ce trait et les louanges qu’il en reçut outra le cardinal, et plus que lui encore Mme des Ursins qui ne pouvoit souffrir de résistance à son pouvoir et à ses volontés. Ce père ne se mêloit de rien que des bénéfices, ne lui donnoit nul ombrage, vivoit avec tout le respect, la modestie, la retenue possible avec elle, avec le cardinal, avec tous les gens en place ; mais, comme il ne tenoit point à la sienne, il ne faisoit sa cour à personne. Mme des Ursins, qui avoit déjà éprouvé quelque peu de sa droiture et de sa fermeté, qui le voyoit estimé et adoré de tout le monde, craignit tout de ce dernier trait, outre l’extrême dépit de se voir vaincue après s’être déclarée ; aussi ne lui pardonnât-elle pas. Elle sut si bien travailler qu’elle fit renvoyer cet excellent homme environ un an après, et fit à l’Espagne une double et profonde plaie par la perte qu’elle lit d’un homme si digne d’une si importante place, et par donner lieu au choix d’un successeur si différent, et qu’elle-même avoit déjà chassé de cette même place. Ce fut le P. Daubenton, dont on a suffisamment parlé ici dans ce qui y a été donné d’après M. de Torcy, pour voir qu’on ne dit rien de trop sur le choix de ce terrible jésuite, dont j’aurai encore lieu de parler, si Dieu me donne le temps d’écrire mon ambassade d’Espagne et de conduire ces Mémoires jusqu’au but que je me suis proposé.

Le P. Robinet, véritablement soulagé de n’être plus dans une cour et dans les affaires, revint en France, et ne se soucia ni de lieu ni d’emploi. Il fut envoyé à Strasbourg, où il se fit aimer et estimer comme il avoit fait partout, y vécut dans une grande retraite et dans une grande tranquillité, et y mourut saintement après plusieurs années. On le regrettoit encore en Espagne lorsque j’y ai été, et j’en ai ouï souvent faire l’éloge. Il faut dire que ce P. Robinet est le seul confesseur du roi d’Espagne qui ait mérité de l’être, qui en fût digne à tous égards, et qui ait été goûté, aimé, estimé et honoré de toute la cour et de toute l’Espagne sans aucune exception.

Il y avoit eu depuis longtemps une espèce de guerre déclarée entre le roi d’Angleterre et le prince de Galles, qui avoit éclaté avec de fréquents scandales, et qui avoit partialisé la cour et fait du bruit dans le parlement. Georges s’étoit emporté plus d’une fois contre son fils avec indécence. Il y avoit longtemps qu’il l’avoit fait sortir de son palais et qu’il ne le voyoit plus. Il lui avoit tellement retranché ses pensions qu’il avoit peine à subsister, tellement que le roi eut le dégoût que le parlement lui en assigna, même abondamment. Jamais le père n’avoit pu souffrir ce fils, parce qu’il ne le croyoit point à lui. Il avoit plus que soupçonné la duchesse sa femme, fille du duc de Wolfenbuttel, d’être en commerce avec le comte Koenigsmarck. Il le surprit un matin sortant de sa chambre, le fit jeter sur-le-champ dans un four chaud, et enferma sa femme dans un château, bien resserrée et gardée, où elle a passé le reste de sa vie. Le prince de Galles, qui se sentoit maltraité pour une cause dont il étoit personnellement innocent, avoit toujours porté avec impatience la prison de sa mère et les effets de l’aversion de son père. La princesse de Galles, qui avoit beaucoup de sens, d’esprit, de tour et de grâces, avoit adouci les choses tant qu’elle avoit pu, et le roi n’avoit pu lui refuser son estime, ni se défendre même de l’aimer. Elle s’étoit concilié toute l’Angleterre, et sa cour, toujours grosse, l’étoit aussi en ce qu’il y avoit de plus accrédité et de plus distingué. Le prince de Galles s’en autorisoit, ne ménageoit plus son père, s’en prenoit à ses ministres avec une hauteur et des discours qui à la fin les alarmèrent. Ils craignirent le crédit de la princesse de Galles, et de se voir attaqués par le parlement qui se donne souvent ce plaisir. Ces considérations devinrent de plus en plus pressantes par tout ce qu’ils découvrirent qui se brassoit contre eux, et qui auroit nécessairement rejailli sur le roi. Ils lui communiquèrent leurs craintes, ils les lui donnèrent, et le conduisirent à se raccommoder avec son fils à certaines conditions, par l’entremise de la princesse de Galles, qui de son côté sentoit tous les embarras de faire et de soutenir un parti contre le roi, et qui a voit toujours sincèrement désiré la paix dans la famille royale. Elle profita de la conjoncture, se servit de l’ascendant qu’elle avoit sur son mari, et l’accommodement fut conclu. Le roi donna gros au prince de Galles, et le vit ; les ministres se sauvèrent, et tout parut oublié.

L’excès où les choses avoient été portées entre eux, qui tenoit toute la nation britannique attentive aux désordres intestins prêts à en éclore, n’avoit pas fait moins de bruit en toute l’Europe, où chaque puissance, attentive à ce qui en résulteroit, tâchoit de souffler ce feu, ou de l’apaiser, suivant son intérêt. La réconciliation fut donc une nouvelle intéressante pour toute l’Europe. L’archevêque de Cambrai, que je continuerai d’appeler l’abbé Dubois, parce qu’il ne porta pas longtemps le nom de son église que son cardinalat vint effacer, en étoit lors dans la crise, et très sensible à ce qui se passoit à Londres, d’où il attendoit son chapeau par le ricochet du crédit alors très grand du roi d’Angleterre sur l’empereur, et de la toute-puissance de l’empereur sur la cour de Rome qui trembloit devant lui, et n’osoit lui rien refuser. Dans la joie du raccommodement entre le père et le fils, Dubois la voulut témoigner d’une façon éclatante pour faire sa cour au roi d’Angleterre. Le duc de La Force, qui ne se mêloit plus de finance, qui vouloit toujours se mêler de quelque chose, et qui n’en trouvoit pas d’occasion dans le conseil de régence, où il ne se portoit plus rien d’effectif depuis que la faiblesse du régent l’avoit rendu peu à peu si nombreux, le duc de La Force, dis-je, qui étoit toujours à l’affût, eut le vent de ce dessein, et se proposa à Dubois pour aller en Angleterre par le chausse-pied d’y aller voir sa mère qui y étoit retirée depuis longues années à cause de la religion, mais qu’il n’avoit pas songé jusqu’alors d’aller voir depuis qu’elle étoit sortie du royaume avec la permission du feu roi. Law servit le duc de La Force auprès de Dubois, et il fut nommé pour aller en Angleterre faire les compliments du roi et du régent sur cette réconciliation, sans qu’on pensât à l’inconvénient de montrer à l’église française de Londres un seigneur catholique, né et élevé leur frère, qui les avoit depuis persécutés, et qui en avoit su tirer parti du feu roi. On sut incontinent en Angleterre la démonstration de joie qui venoit d’être résolue en France. Georges, outré du retentissement que les éclats de son domestique avoient faits par toute l’Europe, ne s’accommoda pas de les voir prolonger par le bruit que feroit cet envoi solennel. Il fit donc prier le régent de ne lui en envoyer aucun. Comme on ne l’avoit imaginé que pour lui plaire, le voyage du duc de La Force fut presque aussitôt rompu que déclaré. Il en fut pour un commencement assez considérable de dépense, et pour faire revenir beaucoup d’équipages qu’il avoit déjà fait partir, et l’abbé Dubois en recueillit auprès du roi d’Angleterre le double fruit de cet éclat de joie, et de l’avoir arrêté également pour lui plaire.

Masseï, qui avoit apporté la barrette au cardinal de Bissy un peu avant la mort du roi, arriva à Paris. Il étoit fils du trompette de la ville de Florence, et avoit été petit garçon parmi les bas domestiques du pape, alors simple prélat. Son esprit et sa sagesse percèrent ; il s’éleva peu à peu dans la maison, et de degré en degré devint le secrétaire confident de son maître, et enfin son maître de chambre quand il fut cardinal. Sa douceur et sa modestie le firent aimer dans la cour romaine où son emploi le fit connoître. Il le perdit à l’exaltation de son maître ; il étoit de trop bas aloi pour être maître de chambre du pape, mais il en conserva toute la faveur et la confiance ; le pape lui parloit presque de tout, le consultoit et se trouva bien de ses avis. Il le fit archevêque in partibus, pour le mettre à portée d’une grande nonciature. Il l’avoit envoyé dans ce dessein porter la barrette au cardinal de Bissy, dans l’apogée de la faveur de cet ambitieux brouillon, et s’en étoit servi pour s’assurer de l’agrément de la France pour le recevoir nonce, quand le Bentivoglio, qui l’étoit, laisseroit la place vacante. En effet il lui succéda, et comme il étoit honnête homme il ne lui ressembla en rien. Il se conduisit durant le plus grand feu de la constitution avec beaucoup de modération, d’honneur et de sagesse, et se fit généralement aimer et estimer. Il languit longtemps nonce parce qu’il n’y eut point de promotion pour les nonces pendant le reste de ce pontificat, et que Benoît XIII, qui étoit si fort singulier, et qui eût été meilleur sous-prieur de dominicains que pape, ne voulut jamais faire aucun nonce cardinal, et disoit d’eux qu’ils n’étoient que des nouvellistes.

Masseï ne montroit pas la moindre impatience, mais en attendant il mouroit de faim ; car les nonces ont fort peu, et, à ce qu’étoit celui-ci, son patrimoine ni ses bénéfices n’y suppléoient pas. Il ne s’endetta pas le moins du monde, supporta son indigence avec dignité, mais il l’avouoit pour être excusé de la frugalité de sa vie, et s’en alla sans rien devoir, véritablement regretté de tout le monde. Il s’étoit tellement accommodé de la vie de ce pays-ci et du commerce des honnêtes gens et des personnes considérables qu’il avoit su s’attirer, qu’il étoit outré de sentir que cela finiroit. Il disoit franchement que, s’il étoit assuré de sa nonciature pour toute sa vie, avec de quoi la soutenir honnêtement, il ne voudroit jamais la quitter pour la pourpre, et s’en aller. Aussi fut-il très affligé, quoique arrivé au cardinalat et tout de suite à la légation de la Romagne. Le nouveau cérémonial des bâtards, dont Gualterio s’étoit si mal trouvé, car ils étoient rétablis alors, empêcha que la calotte lui arrivât à Paris. Dès que la promotion fut sur le point de se faire, il reçut ordre de prendre congé, de partir, et d’arriver dans un temps marqué et fort court à Forli, sa patrie, où il trouveroit sa calotte rouge, comme il l’y trouva en effet ; ce fut en 1730. Il vécut encore plusieurs années, et passa quatre-vingts ans. C’étoit un homme très raisonnable, droit, modeste, et qui toute sa vie avoit eu de fort bonnes mœurs.

Les Vénitiens, brouillés depuis longtemps avec le feu roi, par conséquent avec le roi son successeur, s’en lassèrent à la fin, et se raccommodèrent en ce temps-ci. Ottoboni, père du pape Alexandre VIII, étoit chancelier de Venise qui est une grande charge et fort importante, mais attachée à l’état de citadin et la plus haute où les citadins puissent arriver ; la promotion de son fils au pontificat fit inscrire les Ottobon au livre d’or [6], et par conséquent ils devinrent nobles Vénitiens. Le cardinal Ottoboni, après la mort du pape son oncle, accepta la protection de France sans en avoir obtenu la permission du sénat, ce qui est un crime à Venise. De là la colère des Vénitiens, qui effacèrent lui et tous les Ottobon du livre d’or ; et le roi, qui s’en offensa, rompit tout commerce avec eux. On a rapporté cette affaire ici en son temps et ce que c’est que la protection. On ne fait donc qu’en rafraîchir la mémoire. La république envoya deux ambassadeurs extraordinaires en France faire excuse de ce qui s’étoit passé, et rentrer dans l’honneur des bonnes grâces du roi en rétablissant préalablement le cardinal et les Ottobon dans le livre d’or et dans l’état et le rang de nobles Vénitiens, le cardinal demeurant toujours également protecteur de France sans aucune interruption de ce titre ni de ses fonctions.

Le prince de Montbéliard, cadet de la maison de Wurtemberg, vint à Paris pour demander que ses enfants fussent reconnus légitimes et princes, quoiqu’il les eût de trois femmes qu’il avoit eues à la fois, dont deux étoient actuellement vivantes et chez lui à Montbéliard, tout contre la Franche-Comté, où il faisoit appeler l’une la douairière et l’autre la régnante, et prétendoit que les lois de l’Empire et les règles du luthéranisme qu’il professoit lui permettoient ces mariages. Le comte de La Marck, comme versé dans les lois allemandes, fut chargé d’examiner cette affaire avec Armenonville. Qu’une folie de cette nature ait passé par la tête de quelqu’un, il y a de quoi s’en étonner, mais de la faire examiner comme chose susceptible de l’être sérieusement, cela fait voir à quel point le régent étoit facile à ce qui n’avoit point de contradicteur. M. de Montbéliard du temps du feu roi s’étoit contenté de vouloir faire légitimer ses enfants et en avoit été refusé ; maintenant il veut qu’ils soient non pas légitimés, mais déclarés légitimes. On se moqua de lui et il s’en retourna chez lui. Qui ne croiroit cette chimère finie ? Elle reparut à Vienne avec les mêmes prétentions ; elle y fut foudroyée par le conseil aulique qui déclara tous ces enfants bâtards. Ce ne fut pas tout. Le prince de Montbéliard maria un de ses fils à une de ses filles, sous prétexte que la mère de cette fille l’avoit eue d’un mari à qui il l’avoit enlevée, puis épousée, et longtemps après il fut vérifié que cette fille étoit de lui, quoiqu’ils ne l’aient pas avouée et que le mariage ait subsisté. Après ce sceau de réprobation, M. de Montbéliard mourut.

Le duc de Wurtemberg, à qui ce partage de cadet de sa maison revenoit par l’extinction de cette branche, voulut s’en mettre en possession ; les bâtards se barricadèrent et portèrent leurs prétentions au parlement de Paris. Ils étoient réunis contre le duc de Wurtemberg, mais divisés entre eux, ceux de chacune des deux prétendues femmes se traitant réciproquement de bâtards. Le frère et la sœur mariés vinrent à Paris ; le mari n’étoit qu’un lourdaud, mais sa femme une maîtresse intrigante. Ces sortes de créatures se sentent de loin les unes les autres. Mme de Mezières, dont il a été parlé quelquefois ici et qui excelloit en intrigues, avoit marié une de ses filles à M. de Montauban, cadet du feu prince de Guéméné, au grand regret des Rohan, qui pourtant, l’affaire faite, jugèrent à propos de s’aider d’une si dangereuse créature, pour ne l’avoir pas contraire dans leur famille, et tirer parti de sa fertilité. Elle et cette bâtarde qui avoit épousé son propre frère firent connoissance ; la Mezières, bien avertie que la bâtarde avoit mis la main sur le riche magot du prince de Montbéliard, fit espérer sa protection et celle de ses amis, mais à des conditions. La princesse de Carignan, quoique d’une espèce bien différente par le mariage qu’elle avoit fait, n’étoit ni moins intrigante ni moins intéressée que tentes les deux ; elle entra de part avec elles moyennant sa protection. Ces deux femmes et leur suite donnèrent dans l’œil de la bâtarde ; elle sentoit bien qu’il lui falloit un crédit très supérieur pour réussir ; elle crut l’avoir trouvé, le marché se conclut. Les conditions furent une grosse somme comptant dès lors à la Mezières, et une moindre à Mme de Carignan, et le mariage arrêté entre le fils de la bâtarde et une fille de Mme de Montauban, qui n’auroit lieu qu’en cas de plein succès de l’affaire ; qu’on ne donneroit rien ou presque rien pour la dot ; mais que par le gain du procès, le bâtard, frère et mari tout à la fois de cette bâtarde, père et mère du gendre futur de Mme de Montauban, étant déclaré légitime et héritier de la comté de Montbéliard, par conséquent de la maison de Wurtemberg, la Mezières, tous les Rohan et Mme de Carignan lui feroient obtenir le rang de prince étranger ; et que, dès ce moment du marché, ils feroient tous leur propre affaire de la sienne. Ce marché étoit excellent pour toutes les parties, dont chacune y trouvoit merveilleusement son compte, mais les deux maîtresses intrigantes surtout, qui empochoient gros dès lors quoi qu’il pût arriver.

Les choses ainsi réglées, les protectrices du frère et de la sœur, mari et femme, leur firent prendre effrontément le nom, le titre, les armes et les livrées du feu prince de Montbéliard, leur père, avec un équipage sortable à ce nouvel état, qui de leur propre autorité préjugeoit le fond du procès. Tous les Rohan se mirent en pièces, Mme de Carignan remua tous les Luynes et fit agir la duchesse de Lévi, et Mme de Dangeau auprès du cardinal ; elle-même travailla auprès du garde des sceaux Chauvelin avec ses bassesses et ses adresses accoutumées et auprès duquel elle avoit grand crédit. Pour remuer tous les dévots à la mode, c’est-à-dire les jésuites et toute la constitution, les nouveaux Montbéliard adjurèrent le luthéranisme, et quoique frère et sœur mariés ensemble, devinrent une merveille de piété. L’effet répondit aux espérances de cette belle conversion ; tout ce côté-là s’intrigua pour eux, et prit leur parti jusqu’au fanatisme. Mais lorsque le succès paraissoit infaillible par tous les ressorts que l’artifice avoit su faire jouer, l’empereur, excité par le duc de Wurtemberg, se fâcha. Il fit dire au roi, c’est-à-dire au cardinal Fleury, qu’il trouvoit fort étrange qu’on prétendît juger en France une affaire jugée en son conseil aulique, seul compétent de connoître de l’état des princes de l’empire et de leurs successions. Il se trouva qu’on étoit lors en désir et en termes de conclure la paix avec lui.

Le cardinal, à qui Chauvelin avoit, pour son intérêt particulier, qui n’est pas de ce sujet, fait entreprendre très légèrement et fort mal à propos cette guerre, en étoit fort las, quoiqu’elle n’eût guère duré, tellement que toutes les intrigues ne purent étouffer les égards qu’on crut devoir aux plaintes de l’empereur, et l’affaire fut arrêtée. L’intérêt de ces prétendus Montbéliard et de leurs protecteurs étoit trop grand pour quitter prise. Ils espérèrent trouver et profiter d’autres conjonctures, et, en attendant, continuèrent à porter les nom, armes, titre et livrées qu’ils avoient arborés, ils se rabattirent à se faire plaindre et à entretenir leurs amis et leur cabale. Cela dura des années, qui éclaircirent leur plus puissante protection. Les Rohan, seuls en vigueur, leur restoient et les manèges de la Mezières ; mais tout vieillissoit ; et s’engourdissoit. Je ne sais comment le duc de Wurtemberg consentit à revenir procéder au parlement de Paris. Il est vrai que le roi avoit eu lieu d’être fort content de lui pour empêcher tant qu’il avoit pu, et avec succès, les cercles du Rhin de se déclarer lors de la guerre que la mort de l’empereur avoit fait renaître. Le procès fut donc repris au parlement, mais les choses étoient trop changées pour les faux Montbéliard. Cette affaire si singulière avoit fait trop de bruit et avoit trop duré ; elle avoit à la fin été éclaircie de tous les artifices dont elle avoit été voilée. L’état de cette bâtardise étoit connu, celui de cet incestueux et abominable mariage ne le fut pas moins. Le monde s’indigna qu’une prétention si monstrueuse fût soufferte ; les dévots eurent honte à leur tour de l’avoir tant protégée ; tellement qu’il intervint enfin un arrêt contradictoire en la grand’chambre qui replongea cette canaille infâme dans le néant, d’où elle n’auroit jamais dû sortir, et cela sans plus d’espérance ni de ressource. La singularité de la chose et des personnages m’a engagé de couler cette affaire à fond, quoique sa durée et sa fin dépassent le but que je me suis proposé de bien des années. Le rare est que, malgré cet arrêt et son exécution pour le comté de Montbéliard, dont le duc de Wurtemberg fut mis en possession, cette rare bâtarde a eu l’impudence de conserver dans Paris son prétendu nom, titre, armes et livrées, qu’elle va traînant où elle peut, sans être presque plus reçue de personne. Reprenons maintenant le fil de notre narration.


  1. Action en justice pour reprendre l’hôtel de Marsan qui avait été vendu.
  2. L’auteur a fait hôtel féminin.
  3. Nous avons reproduit exactement le texte du manuscrit ; mais il est nécessaire de rectifier les erreurs de noms qu’il présente. La comtesse du Roure était Claude-Marie du Gast ou du Guast, fille d’Achille du Guast, seigneur d’Artigny et de Montgauger en Touraine, et de Marie d’Argouge-le-Coutelier.
  4. La Voysin ou La Voisin, fut brûlée vive le 22 février 1680. On trouve, dans les Lettres de Mme de Sévigné, les détails les plus curieux sur le procès et le supplice de cette célèbre empoisonneuse.
  5. Bénigne de Meaux du Fouilloux ou de Fouilloux. D’après les documents contemporains, Mlle du Fouilloux était une des filles d’honneur de la reine-mère. On lit dans le recueil de Maurepas (ms. B. I., t. II, p. 271) des vers sur les filles de la reine, où il est question de Mlle du Fouilloux : Fouilloux, sans songer à plaire, / Plaît pourtant infiniment / Par un air libre et charmant.
  6. Livre dans lequel étaient inscrites les familles patriciennes de Venise.