Mémoires (Saint-Simon)/Tome 14/1


CHAPITRE PREMIER.


Assemblées d’huguenots dissipées. — Le régent, tenté de les rappeler, me le propose. — Aveuglement du régent sur l’Angleterre. — Je détourne le régent de rappeler les huguenots. — Mort de Bréauté, dernier de son nom. — Mort de Connelaye, de Chalmazel et de Greder. — Mort de l’archevêque de Tours ; sa naissance et son mérite. — Mort de La Porte, premier président du parlement de Metz, à qui Chaseaux succède. — Anecdote curieuse sur Mlle de Chausseraye. — Mort de Cani. — Sa charge de grand maréchal des logis et son brevet de retenue donnés à son fils enfant. — Mort de la duchesse de La Feuillade. — Mort de la jeune Castries et de son mari. — Mort d’une bâtarde non reconnue de Monseigneur. — Mariage du comte de Croï avec Mlle de Milandon. — Hardies prétentions de cette veuve. — Mariages de Rothelin avec Mlle de Clèves. — Le parlement continue à s’opposer au rétablissement de la charge des postes et de celle des bâtiments. — Motifs de sa conduite et ses appuis. — Il dispute la préséance au régent à la procession de l’Assomption, et l’empêche de s’y trouver. — Audace de cette prétention, qui se détruit d’elle-même par droit et par faits expliqués même à l’égard de seigneurs particuliers. — Comment le terme de gentilshommes doit être pris. — Conduite du régent avec le parlement, du parlement avec lui, et la mienne avec ce prince à l’égard du parlement. — Pension de six mille livres donnée à Maisons, et un régiment de dragons à Rion. — Pensions dites de Pontoise, dont une donnée au président Aligre.


Les huguenots, dont il étoit demeuré ou rentré beaucoup dans le royaume, la plupart sous de feintes abjurations, profitoient d’un temps qui se pouvoit appeler de liberté en comparaison de celui du feu roi. Ils s’assembloient clandestinement d’abord et en petit nombre ; ils prirent courage après sur le peu de cas qu’on on fit, et bientôt on eut des nouvelles d’assemblées considérables en Poitou, Saintonge, Guyenne et Languedoc. On marcha même à une fort nombreuse en Guyenne, où un prédicant faisoit en pleine campagne des exhortations fort vives. Ils n’étoient point armés et se dissipèrent d’abord ; mais on trouva tout près du lieu où ils s’étoient assemblés deux charrettes toutes chargées de fusils, de baïonnettes et de pistolets. Il y eut aussi de petites assemblées nocturnes vers les bouts du faubourg Saint-Antoine.

Le régent m’en parla, et à ce propos de toutes les contradictions et de toutes les difficultés dont les édits et déclarations du feu roi sur les huguenots étoient remplis, sur lesquels on ne pouvoit statuer par impossibilité de les concilier, et d’autre part de les exécuter à l’égard de leurs mariages, testaments, etc. J’étois souvent témoin de cette vérité au conseil de régence, tant par les procès qui y étoient évoqués, parce qu’il n’y avoit que le roi qui pût s’interpréter soi-même dans ces diverses contradictions, que par les consultations des divers tribunaux au chancelier sur ces matières, qu’il rapportoit au conseil de régence pour y statuer. De la plainte de ces embarras, le régent vint à celle de la cruauté avec laquelle le feu roi avoit traité les huguenots, à la faute même de la révocation de l’édit de Nantes, au préjudice immense que l’État en avoit souffert et en souffroit encore dans sa dépopulation, dans son commerce, dans la haine que ce traitement avoit allumée chez tons les protestants de l’Europe. J’abrège une longue conversation où jusque-là je n’eus rien à contredire. Après bien du raisonnement très solide et très vrai, tant sur le mal en soi que sut la manière douce et sûre d’éteindre peu à peu le protestantisme en gagnant les ministres, en ôtant tout exercice de cette religion, en excluant de fait de tout emploi quel qu’il fût les huguenots, le régent se mit sur les réflexions de l’État ruiné où le roi avoit réduit et laissé la France, et de là sur celle du gain de peuple, d’arts, d’argent et de commerce qu’elle feroit en un moment par le rappel si désiré des huguenots dans leur patrie, et finalement me le proposa. Je ne veux accuser personne d’avoir suggéré au régent une telle pensée, parce que je n’ai jamais su de qui elle lui étoit venue ; mais dans l’extrême désir où il n’avoit cessé d’être de s’allier étroitement avec la Hollande, surtout avec l’Angleterre, depuis qu’il étoit possédé par le duc de Noailles, Canillac et l’abbé Dubois, et où il étoit plus que jamais, les soupçons ne sont pas difficiles. Il croyoit par ce rappel flatter les puissances maritimes, leur donner la plus grande marque d’estime, d’amitié, de complaisance et de condescendance, tout cela paré de la persuasion de ranimer, d’enrichir, de faire refleurir le royaume en un instant.

Stairs, conduit et appuyé de trois si bons seconds, avoit eu l’adresse de voiler au régent ce qui ne l’étoit à personne, ni à lui-même, quand il y vouloit faire réflexion, et de l’intimider sur les grands coups que l’Angleterre alliée, comme il le disoit, pouvoit faire à tout moment pour ou contre la France, et en particulier pour ou contre lui. Pour peu qu’on fût instruit de la situation intérieure de l’Angleterre travaillée de toute espèce de divisions et de fermentations, du mépris général du gouvernement, du nombre infini de mécontents, de la jalousie de commerce et de puissance delà les grandes mers, qui ne laissoit que de beaux dehors entre la Hollande et l’Angleterre, de tout ce que notre union avec l’Espagne eût encore pu y influer à l’avantage commun des deux couronnes, la sujétion, les embarras, le malaise où les affaires du nord, les usurpations sur la Suède et tant, d’autres choses qui y étoient relatives, tenoient le roi Georges par rapport à ses alliés du nord et à l’empereur, on voyoit à plein que la France n’avoit rien à craindre d’elle, aussi peu à en espérer ; qu’au contraire c’étoit l’Angleterre qui avoit tout à craindre de la France, au dedans d’elle-même et au dehors, et que le régent, s’il eût voulu, auroit pu y allumer un embrasement de longues années, dont la France auroit infiniment pu profiter en Europe et dans le nouveau monde, ou faire naître une révolution qui auroit aussi eu ses avantages pour elle, en opérant le renvoi de la maison d’Hanovre en Allemagne, d’où il ne lui auroit pas été aisé de remonter sur le trône dont les Anglois eux-mêmes l’auroient fait descendre. Une telle méprise dans un prince d’ailleurs si éclairé me faisoit gémir sans cesse sur l’État et sur lui, et chercher souvent et toujours inutilement à lui dessiller les yeux sur une duperie si grossière et si importante. Je lui avois plusieurs fois tiré de l’argent pour le Prétendant à l’insu de tous ses ministres ; je ne m’étois pas tenu sur l’infâme affaire de Nonancourt, sur les allures de Stairs, ni sur le malheur du mauvais succès d’Écosse. Il me croyoit trop jacobite ; il se persuadoit que ma haine pour Noailles et mon éloignement de Canillac m’en donnoit pour les Anglois qu’ils portoient ; et la défiance de ce prince, qui n’épargnoit pas même ses plus réitérées expériences, et qui gâtoit tout, presque autant que sa faiblesse et sa facilité ôtait toute la force à l’évidence de mes raisons.

Je fus heureux à l’égard des huguenots. Je sentis à la préface qu’il employa, et dont je viens de parler, que son désir étoit grand, mais qu’il comprenoit le poids et les suites d’une telle résolution, à laquelle il cherchoit des approbateurs, je n’ose dire des appuis. Je profitai sur-le-champ de cette heureuse et sage timidité, et je lui dis que, faisant abstraction de ce que la religion dictoit là-dessus, je me contenterois de lui parler un langage qui lui seroit plus propre. Je lui représentai les désordres et les guerres civiles dont les huguenots avoient été cause en France depuis Henri II jusqu’à Louis XIII ; combien de ruines et de sang répandu ; qu’à leur ombre la Ligue s’étoit formée, qui avoit été si près d’arracher la couronne à Henri IV ; et tout ce qu’il en avoit coûté en tout genre aux rois et à l’État, et pour les huguenots et pour les Ligueurs, les uns et les autres appuyés des puissances étrangères, desquelles il falloit tout souffrir, tandis qu’elles nous méprisoient, et savoient profiter de nos misères, au point que Henri IV n’a dû sa couronne qu’au nombre de ceux qui prétendoient l’emporter chacun pour soi : le duc de Guise, le fils du duc de Mayenne, le marquis du Pont [1], l’infante fille de Philippe II, et jusqu’au duc Charles-Emmanuel de Savoie, et ensuite à sa valeur et à sa noblesse. Je lui fis sentir ce que c’étoit, dans les temps les moins tumultueux et les plus supportables, que des sujets qui, en changeant de religion, se donnoient le droit de ne l’être qu’en partie, d’avoir des places de sûreté, des garnisons, des troupes, des subsides ; un gouvernement particulier, organisé, républicain ; des privilèges, des cours de justice [2] érigées exprès pour leurs affaires, même avec les catholiques ; une société de laquelle tous ses membres dépendoient ; des chefs élus par eux, des correspondances étrangères, des députés à la cour sous la protection du droit des gens ; en un mot, un État dans un État, et qui ne dépendoient du souverain que pour la forme, et autant ou si peu que, bon leur sembloit ; toujours en plaintes et prêts à reprendre les armes, et les reprenant toujours très dangereusement pour l’État.

Je lui remis levant les yeux toutes les peines qu’ils avoient données à Henri IV dans ses années les plus florissantes, et après l’édit de Nantes, et les inquiétudes que lui avoit causées jusqu’à sa mort l’ingratitude et l’ambition du maréchal de Bouillon, depuis qu’il lui eut deux fois procuré Sedan, qui machina sans cesse contre lui et contre Louis XIII, et dont le but étoit de se faire le chef des huguenots de France sous la protection déclarée d’une puissance étrangère, à quoi, au moins pour le nom et le commandement militaire, le duc de Rohan parvint depuis. Je lui retraçai les travaux héroïques du roi son grand-père, qui abattit enfin cette hydre à force de courage, et qui a mis le feu roi en état de s’en délivrer tout à fait et pour jamais, sans autre combat que l’exécution tranquille de ses volontés, qui n’ont pu trouver la moindre résistance. Je priai le régent de réfléchir qu’il jouissoit maintenant du bénéfice d’un si grand repos domestique, que c’étoit à lui à le comparer avec tout ce que je venois de lui retracer ; que c’étoit de cette douce et paisible position qu’il falloit partir pour raisonner utilement sur une affaire, ou plutôt pour être convaincu qu’il n’étoit pas besoin d’en raisonner, ni de balancer s’il falloit faire ou non, dans un temps de paix où nulle puissance ne demandoit rien là-dessus, ce que le feu roi avoit eu le courage et la force de rejeter avec indignation, quoi qu’il en pût arriver, quand épuisé de blés, d’argent, de ressources et presque de troupes, ses frontières conquises et ouvertes, et à la veille des plus calamiteuses extrémités, ses nombreux ennemis voulurent exiger le retour des huguenots en France comme l’une des conditions sans laquelle ils ne vouloient point mettre de bornes à leurs conquêtes ni à leurs prétentions, pour finir une guerre que ce monarque n’avoit plus aucun moyen de soutenir.

Je fis après sentir au régent un autre danger de ce rappel. C’est qu’après la triste et cruelle expérience que les huguenots avoient faite de l’abattement de leur puissance par Louis XIII, de la révocation de l’édit de Nantes par le feu roi, et des rigoureux traitements qui l’avoient suivie et qui duroient encore, il ne falloit pas s’attendre qu’ils s’exposassent à revenir en France sans de fortes et d’assurées précautions, qui ne pouvoient être que les mêmes sous lesquelles ils avoient fait gémir cinq de nos rois, et plus grandes encore, puisqu’elles n’avoient pu empêcher le cinquième de les assujettir enfin, et de les livrer pieds et poings liés à la volonté de son successeur, qui les avoit confisqués, chassés, expatriés. Je finis par supplier le régent de peser l’avantage qu’il se représentoit de ce retour, avec les désavantages et les dangers infinis dont il étoit impossible qu’il ne fût pas accompagné ; que ces hommes, cet argent, ce commerce, dont il croyoit en accroître au royaume, seroient hommes, argent, commerce ennemis et contre le royaume ; et que la complaisance et le gré qu’en sentiroient les puissances maritimes et les autres protestantes, seroit uniquement de la faute incomparable et irréparable qui les rendroit pour toujours arbitres et maîtres du sort et de la conduite de la France au dedans et au dehors. Je conclus que, puisque le feu roi avoit fait la faute beaucoup plus dans la manière de l’exécution que dans la chose même, il y avoit plus de trente ans, et que l’Europe y étoit maintenant accoutumée et les protestants hors de toute raisonnable espérance là-dessus, depuis le refus du feu roi dans la plus pressante extrémité de ses affaires de rien écouter là-dessus, il falloit au moins savoir profiter du calme, de la paix, de la tranquillité intérieure qui en étoit le fruit, et [ne pas] de gaieté de cœur et moins encore dans un temps de régence, se rembarquer dans les malheurs certains et sans ressource qui avoient mis la France sens dessus dessous, et qui plusieurs fois l’avoient pensé renverser depuis la mort d’Henri II jusqu’à l’édit de Nantes, et qui l’avoient toujours très dangereusement troublée depuis cet édit jusqu’à la fin des triomphes de Louis XIII à la Rochelle et en Languedoc. À tant et de si fortes raisons le régent n’en eut aucunes à opposer qui pussent les balancer en aucune sorte. La conversation ne laissa pas de durer encore ; mais depuis ce jour-là il ne fut plus question de songer à rappeler les huguenots, ni de se départir de l’observation de ce que le feu roi avoit statué à leur égard, autant que les contradictions et quelques impossibilités effectives de la lettre de ces diverses ordonnances on rendirent l’exécution possible.

Bréauté mourut jeune et sans alliance, en qui finit une dos meilleures maisons de Normandie. Il étoit fils du cousin germain du gros Bréauté, mort en 1708, dont j’ai parlé en son temps, que j’avois fort connu à l’hôtel de Lorges, lequel étoit fils du frère cadet de Pierre de Bréauté, qui se rendit célèbre avant l’âge de vingt ans, par son combat de vingt-deux contre vingt-deux, sous Bois-le-Duc, où il acquit tant de gloire, et ses ennemis tant de honte par leurs supercheries, que Grobendunck, gouverneur de Bois-le-Duc, couronna en le faisant assassiner entre les portes de sa place en 1600. Le père de Bréauté, de la mort duquel je parle, étoit mort assez jeune, en 1711, maître de la garde-robe de M. le duc d’Orléans, dont je fis donner la charge à son fils.

La Connelaye et Chalmazel moururent en ce même temps, tous deux lieutenants généraux qui s’étoient fort distingués. L’un avoit été capitaine aux gardes, et fort du grand monde ; il étoit gouverneur de Belle-Ile ; l’autre avoit commandé le régiment de Picardie avec grande estime et considération ; c’étoit la douceur et la vertu même. Il étoit fort vieux, et avoit le commandement de Toulon. Chalmazel, premier maître d’hôtel de la reine, est son neveu. Des Fourneaux, homme de fortune, mais de valeur et de mérite, officier général et lieutenant des gardes du corps, eut le gouvernement de Belle-Ile. Greder, lieutenant général fort estimé, mourut aux eaux de Bourbonne. Il avoit un régiment allemand qui lui valoit beaucoup, et qui fut donné au neveu du baron Spaar, qui avoit longtemps servi en France, qui y fut depuis ambassadeur de Suède, et qui y est mort sénateur, toujours le cœur françois, un des plus galants hommes et des mieux faits qu’on pût voir, avec l’air le plus doux et le plus militaire.

L’archevêque de Tours mourut aussi à Paris, où les affaires de la constitution l’avoient retenu malgré lui. Il étoit un des prélats de France les plus estimés pour son savoir, sa vertu, sa résidence et son application épiscopale. Il avoit été longtemps auditeur de rote avec beaucoup de réputation, et connoissoit parfaitement la cour de Rome. C’étoit un homme doux et d’esprit, fort attaché aux libertés de l’Église gallicane, étroitement uni au cardinal de Noailles dans l’affaire de la bulle, qui y perdit un excellent conseil et un ferme appui, en un mot un vrai gentilhomme de bien et d’honneur, et un excellent et courageux évêque. Il s’appeloit Isoré d’Hervault, de maison ancienne et bien alliée, et qui avoit eu en divers temps des emplois distingués. Il étoit issu de germain du duc de Beauvilliers, qui, malgré la différence des sentiments, en faisoit grand cas et l’aimoit fort.

La Porte, premier président du parlement de Metz, mourut à quatre-vingt-six ans. Il avoit été premier président du parlement de Chambéry. Il étoit du pays, et s’attacha à la France quand le maréchal Catinat prit la Savoie. Il eut divers emplois. Le feu roi l’aimoit et le considéroit. Chaseaux, président à Metz, eut sa place. Il étoit neveu du célèbre Bossuet, évêque de Meaux. M. le duc d’Orléans, je ne sais pas où, avoit pris anciennement de l’amitié pour lui ; et comme il étoit assez pauvre et point marié, il lui donna peu après une fort bonne abbaye dans Metz.

Le maréchal de Villeroy mena promener le roi chez Mlle de Chausseraye, qui s’étoit fait donner, puis fort ajuster et accroître une petite maison au bois de Boulogne ; tout près du château de Madrid, dont les promenades étoient charmantes, et où elle amusa le roi de mille choses qu’elle avoit curieusement rassemblées ; car elle étoit fort riche et avoit un goût exquis. Quoique j’aie parlé ailleurs de cette singulière fille et de son caractère, il s’en faut bien que j’en aie tout dit. Elle avoit plu au feu roi autrefois, et en petit étoit devenue une autre Mme de Soubise. Il y paraissoit encore bien moins au dehors ; mais les particuliers étoient plus intimes ; quoique moins utiles pour elle, parce qu’elle n’étoit pas dans une position à cela, sans famille, et à peu près sans nom. Le roi et elle s’écrivoient souvent, et souvent il la faisoit venir à Versailles, sans que personne s’en doutât, ni qu’on sût ce qu’elle y faisoit. Le prétexte étoit de venir voir la duchesse de Ventadour et Madame. Bloin étoit celui par qui passoient les lettres et les messages, et qui l’introduisoit chez le roi par les derrières dans le plus grand secret.

Le roi se plaisoit fort avec elle, parce qu’elle étoit fort amusante et divertissante quand il lui plaisoit, qu’elle avoit l’art de lui cacher son esprit, qui étoit son soin le plus attentif et le plus continuel, et qu’elle faisoit très bien l’ingénue et la personne indifférente qui ne prenoit part à rien, ni parti pour personne. Par cet artifice elle avoit accoutumé le roi à ne se défier point d’elle, à se mettre à son aise, à lui parler de tout avec confiance, à goûter même ses conseils, car ils en étoient là ensemble, et il est incroyable combien elle a su par là servir et nuire à quantité de gens, sans que le roi s’aperçût qu’elle se souciât le moins du monde des personnes dont ils se parloient. Les ordres qu’il donna souvent en sa faveur aux contrôleurs généraux les uns après les autres, et qui l’enrichirent extrêmement, n’ayant rien d’elle, dont elle sut bien profiter pour se les rendre souples, sans toujours recourir au roi, firent bien douter de quelque chose dans l’intérieur du ministère et de la plus intrinsèque cour, mais non pas de toute l’étendue de sa faveur, qui a duré autant que la vie du roi.

Elle étoit amie du cardinal de Noailles ; et parmi bien de fort mauvaises choses, elle en avoit quelques bonnes. Les scélératesses qui se faisoient pour l’opprimer la révoltoient en secret. Elle avoit la force d’y paroître au moins indifférente pour en découvrir davantage, et de cacher avec grand soin son amitié et son commerce avec le cardinal de Noailles. Le prince de Rohan, pour qui son frère n’avoit point de secret, et qui étoit son conseil intime, ne bougeoit de chez la duchesse de Ventadour, le cardinal de Rohan aussi tant qu’il pouvoit. Ils la ménageoient infiniment pour leurs vues, et comme on ne peut avoir moins d’esprit et de sens qu’elle en avoit, qui se réduisoit à Pair, à l’habitude, au langage et aux manières du grand monde et de la cour dont elle étoit esclave, elle étoit aisément entrée dans tout avec eux par amitié, et par être touchée de leur confidence sur les affaires de la constitution, qui étoit la grande, la supérieure, celle de tous les jours, et qui influoit puissamment sur toutes les autres en ce temps-là. Les Rohan, accoutumés à l’intimité qui étoit de tous les temps entre Mme de Ventadour et Mlle de Chausseraye, et qui recevoient d’elle toutes sortes de flatteries, ne se cachoient point d’elle pour parler à Mme de Ventadour de leurs succès et de leurs projets. Ils eurent l’imprudence de parler devant elle de celui de faire enlever le cardinal de Noailles allant à Conflans, par ordre du roi, et de l’envoyer tout de suite à Rome, qui n’attendoit que cela pour le déposer de son siège et le priver de la pourpre, mais qui autrement n’osoit entreprendre ni l’un ni l’autre, quoi que les cardinaux de Rohan et Bissy, le P. Tellier et toute leur cabale eût pu faire pour y déterminer le pape. C’étoit donc pour eux un coup de partie, quoiqu’un parti forcé. La mine étoit chargée, où chacun devoit faire son personnage, et le P. Tellier le principal, qui avoit déjà commencé à en parler au roi.

Chausseraye, de providence, fut le lendemain longtemps avec le roi qui avoit travaillé le matin avec le P. Tellier sur cette affaire. Elle trouva le roi triste et rêveur ; elle affecta de lui trouver mauvais visage et d’être inquiète de sa santé. Le roi, sans lui parler de l’enlèvement proposé du cardinal de Noailles, lui dit qu’il étoit vrai qu’il se trouvoit extrêmement tracassé de cette affaire de la constitution ; qu’on lui proposoit des choses auxquelles il avoit peine à se résoudre ; qu’il avoit disputé tout le matin là-dessus ; que tantôt les uns et tantôt les autres le relayoient sur les mêmes choses, et qu’il n’avoit point de repos. L’adroite Chausseraye saisit le moment, répondit au roi qu’il étoit bien bon de se laisser tourmenter de la sorte à faire chose contre son gré, son sens, sa volonté ; que ces bons messieurs ne se soucioient que de leur affaire, et point du tout de sa santé, aux dépens de laquelle ils vouloient l’amener à tout ce qu’ils désiroient ; qu’en sa place, content de ce qu’il avoit fait, elle ne songeroit qu’à vivre, et à vivre en repos, les laisseroit battre tant que bon leur sembleroit sans s’en mêler davantage, ni en prendre un moment de souci, bien loin de s’agiter comme il faisoit, d’en perdre son repos, et d’altérer sa santé, comme il n’y paraissoit que trop à son visage ; que pour elle, elle n’entendoit rien, ni ne vouloit entendre à toutes ces questions d’école ; qu’elle ne se soucioit pas plus d’un des deux partis que de l’autre ; qu’elle n’étoit touchée que de sa vie, de sa tranquillité, de sa santé qu’il ne conserveroit jamais qu’en les laissant entre-battre tant qu’ils voudroient, sans plus s’en embarrasser ni s’en mêler. Elle en dit tant, et avec un air si simple, si indifférent sur les partis, et si touchant sur l’intérêt qu’elle prenoit au roi, qu’il lui répondit qu’elle avoit raison ; qu’il suivroit son conseil en tout ce qu’il pourroit là-dessus, parce qu’il sentoit que ces gens-là le feroient mourir ; et que, pour commencer, il leur défendroit dès le lendemain de lui plus parler de quelque chose qui le peinoit au dernier point, à quoi ils revenoient sans cesse, qu’il avoit été sur le point de leur accorder malgré lui, et qu’il ne permettroit pas, et pour cela comme le plus court, leur fermeroit dès le lendemain la bouche làdessus pour toujours. Chausseraye, ravie, et qui entendoit mieux de quoi il s’agissoit que le roi ne le pouvoit imaginer, toujours pressante sur sa santé, vie, repos, confirma le roi dans cette résolution, le piqua d’honneur d’être leur dupe et leur victime, et fit tant que le roi lui donna parole positive d’exécuter si bien dès le lendemain ce qu’il venoit de projeter et de lui dire, sans s’en expliquer davantage avec elle, que la chose seroit rompue sans retour, et sans que pas un d’eux osât jamais lui en parler.

Elle avoit averti le cardinal de Noailles du danger qu’il couroit, et d’éviter de sortir de Paris où il étoit adoré, et où on n’auroit osé tenter de l’enlever, dont il y avoit déjà quelque temps qu’elle étoit informée par l’inconsidérée confiance de la duchesse de Ventadour, qui lui avoit appris le projet et ses machines, en y applaudissant, et ensuite par les Rohan mêmes. Elle fut, au sortir de chez le roi, passer sa soirée chez la duchesse de Ventadour ; elle y trouva la joie peinte sur son visage et sur celui des Rohan. Elle soupa, joua et se retira le plus tôt qu’elle put. Le lendemain elle monta en chaise à quatre heures du matin, se mit à pied à distance, et par l’église de Notre-Dame entra dans un recoin de la cour de l’archevêché, où elle fit descendre le cardinal de Noailles par un petit degré ; car il se levoit toujours extrêmement matin. Ils entrèrent dans un méchant lieu nu et ouvert, où il n’y avoit rien, et où on n’entroit point, parce que cela n’alloit à rien ; et là lui conta sa conversation et son succès de la veille, et l’assura qu’il n’avoit plus de violence à craindre. Elle ne fut guère plus d’un quart d’heure avec lui, regagna sa chaise de poste et Versailles d’où il ne parut pas qu’elle fût sortie. Elle alla dîner chez la duchesse de Ventadour, et y passa tout le jour et tout le soir pour tâcher à découvrir si le roi lui avoit tenu parole ; elle n’eut satisfaction que tout au soir.

Le prince de Rohan vint avec un air triste et déconcerté qu’il communiqua à sa belle-mère, qu’il tira à part un moment. Il ne joua point, et demeura seul à rêver dans un coin de la chambre. Chausseraye, qui jouoit, et qui remarquoit tout avec sa lorgnette, quitta le jeu, l’alla trouver, et s’assit auprès de lui, disant qu’elle venoit lui tenir compagnie. Elle se garda bien de lui parler de rien, mais peu à peu conduisit la conversation sur la santé, les vapeurs, les tristesses involontaires, pour lui pouvoir parler de celle où elle le trouvoit. L’hameçon prit dans le moment. Il lui dit que ce n’étoit pas sans cause qu’il étoit triste ; de là à déclamer contre la faiblesse du roi, qui plusieurs fois avoit été sur le point de consentir à l’enlèvement du cardinal de Noailles, qui la veille au matin, en résistant là-dessus au P. Tellier, avoit été dix fois près à lâcher la parole, s’étoit tout à coup ravisé, et ce matin avoit pris à part un moment le P. Tellier, et à quelque distance le cardinal de Rohan, leur avoit dit qu’il avoit pensé et repensé à l’enlèvement qu’ils lui avoient proposé, et dont ils le pressoient sans cesse, et d’un ton de maître avoit ajouté qu’il vouloit bien leur dire qu’il n’y consentiroit jamais, et que de plus il leur défendoit d’y plus songer et de lui en jamais parler ; après quoi, sans laisser un instant d’intervalle, il avoit tourné le dos à l’un et à l’autre. De là le prince de Rohan à déclamer et à dire rage. Voilà Chausseraye bien étonnée (car elle faisoit d’elle tout ce qu’elle vouloit) et bien appliquée à n’oublier aucun langage qui pût tirer du prince de Rohan les expédients, s’ils en imaginoient quelqu’un, qui pussent redresser l’affaire, et la conduite qu’ils y alloient tenir, et cependant se délectoit et se moquoit d’eux en elle-même. Elle eut une nouvelle joie de les découvrir effrayés du ton absolu que le roi avoit pris, découragés et persuadés que ce seroit se perdre inutilement que de tenter plus rien sur cet enlèvement.

J’avoue ingénument que j’avois ignoré ces particuliers du roi, et cette confiance qu’il avoit prise en Mlle de Chausseraye, conséquemment cette curieuse anecdote touchant le cardinal de Noailles. Son esprit tout tourné à l’intrigue n’en eut pas moins depuis la mort du roi avec M. le duc d’Orléans, qu’on a vu en son lieu qu’elle avoit fort connu et pratiqué étant à Madame, et toujours depuis, et avec tous les personnages qui lui parurent mériter de s’en occuper. On dit que quand le diable fut vieux il se fit ermite ; aussi fit Mlle de Chausseraye. Elle se mit dans la dévotion. Ses mœurs, sa vie, ses richesses l’effrayèrent. Elle ne sortit plus de son bois de Boulogne, et n’y reçut presque plus personne, quelques instances que ses amis fissent pour la voir. On a vu en son lieu que sa mère, qui étoit Brissac, avoit épousé en premières noces le marquis de La Porte-Vezins, dont elle avoit eu des enfants, et en secondes noces, par amour, le sieur Petit, dont elle eut Mlle de Chausseraye, qui fut longtemps, même après la mort de sa mère, à ne pouvoir être reçue chez ses parents. Elle s’honoroit fort des La Porte, dont elle étoit sœur utérine, et dans sa retraite elle vit beaucoup l’abbé d’Andigné, qui leur étoit fort proche, homme de beaucoup de monde, de savoir et de piété, peu accommodé, fort retiré, ami intime de tout ce que faussement on traite de jansénistes, et demeurant à la porte des pères de l’Oratoire de Saint-Honoré. Elle lui a conté tout ce que je viens de rapporter, et bien d’autres choses, et lui a dit que toute son application et tout son savoir-faire auprès du roi, et qui la mettoit avec lui dans une gêne continuelle, étoit de faire l’idiote, l’ignorante, l’indifférente à tout, et de lui procurer le bien-aise d’entière supériorité d’esprit sur elle ; que c’étoit uniquement par là qu’elle entretenoit sa faveur et sa confiance, et qu’elle avoit moyen de le conduire souvent où elle vouloit ; mais que pour y parvenir sans qu’il s’en aperçût, et sans se démentir de toute sa conduite avec lui, il falloit un temps, des tours, une délicatesse et un art qui lui réussit souvent à bien des choses, dont elle en abandonnoit aussi d’autres, mais qui toutes lui faisoient suer sang et eau. Elle consultoit fort cet abbé sur sa conscience, qui lui laissa brûler par scrupule des Mémoires très curieux qu’elle avoit faits, et dont elle lui montra quelque chose. Elle passa les dernières années de sa vie en macérations, en aumônes, en prières, vendit une infinité de bijoux pour en donner l’argent aux pauvres, priva ses héritiers de sa riche succession, à qui elle l’avoit franchement annoncé, et donna tout par testament à l’hôpital général. Bien des années après sa mort, je connus par des amis communs cet abbé d’Andigné, qui nous conta tout ce que je viens d’écrire, parce que cela m’a semblé digne d’être arraché à l’oubli. Ce ne fut pas sans le quereller, avec dépit d’avoir brûlé avec elle de si précieux Mémoires.

Cani, fils unique de Chamillart, mourut à Paris, fort jeune, de la petite vérole, laissant plusieurs enfants tous en bas âge de la sœur du duc de Mortemart. Il fut regretté de tout le monde par la modestie avec laquelle il avoit supporté la fortune de son père et la sienne, par son égalité dans la disgrâce, son courage et son application à la tête du régiment de la marine dont il s’étoit fait beaucoup aimer, qui n’étoit pas chose aisée avec ce corps. Il avoit une pension particulière de douze mille livres et un brevet de trois cent mille livres sur sa charge de grand maréchal des logis de la maison du roi, dont il ne jouissoit que depuis la mort de Cavoye, duquel il avoit acheté la survivance. Ce fut une grande affliction pour Chamillart et sa femme qui étoient à Courcelles. M. le duc d’Orléans donna la charge et le même brevet de retenue en même temps au fils aîné, qui n’avoit que sept ans. L’âge du roi ne pouvoit de longtemps donner beaucoup d’exercice à cette charge. Dreux y fut commis jusqu’à ce que son neveu fût en âge. Ce fut bien la plus grande douleur qui pût arriver à Chamillart ; mais ce ne fut pas la seule. Six semaines après, la petite vérole prit à la duchesse de La Feuillade, qui l’emporta en trois jours, dans le dernier abandon de son mari, qui prétexta qu’il ne pouvoit se séquestrer du Palais-Royal, où alors on ne le voyoit presque jamais. Elle n’eut jamais d’enfants, non plus que la première femme d’un si bon mari et d’un si honnête homme.

En ce même temps mourut la belle-fille [de M. de Castries], fort belle, fort jeune, fort sage et parfaitement au gré de la famille où elle étoit entrée et de tout le monde ; et son mari, qui n’y étoit pas moins, et fils unique, [mourut] sept semaines après, qui fut une affliction à M. et à Mme de Castries dont ils ne se consolèrent jamais. J’ai assez parlé d’eux à l’occasion de leur mariage pour n’avoir rien à y ajouter, sinon qu’ils ne laissèrent point d’enfants.

La bâtarde, non reconnue, de Monseigneur et de la comédienne Raisin, que Mme la princesse de Conti avoit mariée depuis sa mort à M. d’Avaugour, qui étoit de Touraine, et non des bâtards de Bretagne, mourut aussi sans enfants.

Le comte de Croï, fils du comte de Solre, épousa en Flandre une riche héritière, sa parente, qui s’appeloit Mlle de Milandon, et quitta le service. Il passa le reste de sa vie chez lui à accumuler, et prit le nom de prince de Croï, après la mort de son père arrivée en 1718, sans aucun titre, droit ni apparence. Son père n’a jamais porté que le nom de comte de Solre, fut chevalier de l’ordre en 1688, le cinquante-neuvième parmi les gentilshommes, sans nulle difficulté. Sa femme, qui étoit Bournonville, cousine germaine de la maréchale de Noailles, étoit fort assidue à la cour, sans tabouret ni prétention. Depuis la mort du fils, la veuve est venue s’établir à Paris sous le nom de princesse de Croï, a prétendu être assise sans avoir pu montrer pourquoi, ne la pouvant être n’a pas mis le pied à la cour, a eu du cardinal Fleury des régiments pour ses deux fils de préférence à tout le monde, en a marié un à une fille du duc d’Harcourt, et se promet bien, à force d’intrigue, d’opiniâtreté et d’effronterie, de se faire princesse effective pour le rang, dans un pays où il n’y a qu’à prétendre et tenir bon pour réussir, à condition toutefois que ce soit contre tout droit, ordre, justice et raison.

Rothelin épousa en même temps avec dispense la fille de sa sœur la comtesse de Clères.

M. le duc d’Orléans donna une longue audience au premier président et aux députés du parlement, sur les remontrances contre l’édit de rétablissement des charges de surintendant des bâtiments et de grand maître des postes, pour le duc d’Antin et Torcy. Rien plus en la main du roi que ces grâces, rien plus étranger à la foule du peuple, de moins contraire au bon ordre et à la police du royaume, rien enfin de moins susceptible de l’opposition du parlement ; mais cette compagnie, qui avoit dès le commencement senti la faiblesse du régent, et qui l’environnoit de ses émissaires, lesquels, comme il a été expliqué, trouvoient leur compte au métier qu’ils faisoient, sut tourner sa faiblesse en frayeur, lui contester tout avec avantage, et ne perdre aucune occasion de profiter de sa facilité pour établir l’autorité de la compagnie sur la sienne. Il étoit visible qu’ils ne pouvoient avoir que ce but en celle-ci, qui ne touchoit ni ne blessoit personne, et de se rendre ainsi redoutables au régent et à tout le monde.

Peu de temps après, non contents de lui embler son pouvoir, ils osèrent disputer de rang avec lui, petit-fils de France et régent du royaume, et, l’emporter sur ce prince foible et timide. Ces messieurs, que j’ai nommés ailleurs, qu’il croyoit entièrement attachés à lui, et dont il admiroit l’esprit et les conseils, mais qui se jouoient de lui avec tout son esprit, sa pénétration, sa défiance, et le vendoient continuellement au parlement, lui mirent en tête qu’il feroit chose fort décente et fort agréable au peuple d’aller à la procession de Notre-Dame, le jour de l’Assomption, instituée par le vœu de Louis XIII, à laquelle, assistent le parlement et les autres compagnies. Ce prince n’aimoit ni les processions ni les cérémonies ; il falloit un grand ascendant sur son esprit pour lui persuader de perdre toute une après-dînée à l’ennui de celle-là. Il y consentit, le déclara, manda toute sa maison pour l’y accompagner en pompe, mais deux jours devant l’Assomption, il eut lieu d’être bien surpris quand le premier président lui vint déclarer qu’il croyoit qu’il étoit de son respect, sur ce qu’il avoit appris qu’il comptoit assister à la procession de Notre-Dame, de l’avertir que le parlement, s’y trouvant en corps, ne pouvoit lui céder, et que tout ce qu’ils pouvoient de plus pour lui marquer leur respect étoit de prendre la droite et de lui laisser la gauche. Il ajouta que leurs registres portoient que M. Gaston, fils de France, oncle du feu roi, étant lieutenant général de l’État, s’étoit trouvé à cette procession dans la minorité du feu roi, et y avoit marché à la gauche du parlement, qui avoit eu la droite. Ces messieurs prétendent tout ce qu’il leur plaît, et maîtres de leurs registres y mettent tout ce qu’il leur convient ; c’est pour cela qu’ils en ont de secrets, d’où ils font passer dans les publics ce qu’ils jugent à propos en temps convenables. La simple proposition de précéder un petit-fils de France, régent du royaume, en procession publique, et par respect croire s’abaisser beaucoup que se contenter de prendre sur lui la droite, dispense de toutes réflexions. Ce sont les mêmes qui ont osé opiner longtemps aux lits de justice avant les pairs, puis avant les fils de France, enfin entre la reine lors régente et le roi Louis XIV son fils, et qui contestèrent contradictoirement et crièrent si haut lorsqu’en 1664 Louis XIV les remit juridiquement, étant en son conseil, par arrêt, en leur ancien rang naturel d’opiner après les pairs et les officiers de la couronne.

Le parlement est, comme on l’a vu à l’occasion du bonnet, une simple cour de juridiction pour rendre aux sujets du roi justice, suivant le droit, les coutumes et les ordonnances des rois, en leur nom, et dont les officiers sont si bien, à titre de leurs offices, du corps du tiers état, que s’il se trouvoit entre eux un noble de race député aux états généraux, sa noblesse ne lui serviroit de rien, mais son office l’emporteroit et le placeroit dans la chambre du tiers état, de l’ordre duquel il seroit. Le parlement fait donc partie du tiers état, il est, par conséquent, bien moindre que son tout. Les états généraux tenant, le parlement oseroit-il imaginer, non pas de précéder, mais de marcher à gauche et sur la même ligne du tiers état ? et le même tiers état, je dis plus, l’ordre de la noblesse, si distingué du tiers état aux états généraux, oseroit-il disputer la préséance en quelque lieu, cérémonie ou occasion que ce soit à un petit-fils de France, régent du royaume ? Cette gradation si naturelle saute aux yeux, et je ne pense pas même que les trois ordres du royaume assemblés en fissent la difficulté à un petit-fils de France, qui même ne seroit pas régent, bien moins encore l’étant. Que si le parlement allègue que les grandes sanctions se font maintenant dans son assemblée, on a montré comment cela est arrivé, et qu’encore aujourd’hui elle est incompétente si les pairs n’y sont appelés et présents. Mais sans recourir à l’évidence du droit, et s’en tenant au simple fait, le Cérémonial français, imprimé il y a longtemps [3], rapporte « 1° que Henri II, la reine après lui, puis plusieurs princes, barons, chevaliers de l’ordre, gentilshommes et dames, [marchaient] portant tous un cierge allumé à la procession ; puis venoient ceux de la cour de parlement, vêtus de leurs mortiers et robes d’écarlate ; à côté d’eux, messieurs des comptes, etc. » (P. 951, t. II.)

2° À la procession pour la prise de Calais, depuis la Sainte-Chapelle jusqu’à Notre-Dame, le dimanche 26 janvier 1557 [4] (p 955) :

« …. Puis marchèrent (prélats, cardinaux, etc.)…. le roi portant à ses côtés le prince de Condé, prince du sang et le duc de Nevers, pair de France ; la reine après ledit seigneur ; après elle la reine d’Écosse et Mesdames, filles dudit seigneur, les duchesses, comtesses, etc., au milieu de la rue ; à la dextre, ladite cour de parlement ; à la senestre, au-dessous des présidents, et d’aucuns anciens conseillers (c’est-à-dire non vis-à-vis de ceux-là) la chambre des comptes. »

3° À la procession en réparation d’un sacrilège, faite à Sainte-Geneviève, 27 décembre 1563 (p. 956) :

« …. Tôt après y sont arrivés (à la Sainte-Chapelle, où on s’assembloit) le roi, la reine ; Monseigneur, frère du roi ; Madame, sœur du roi et leur suite (trois cardinaux, cinq évêques) ; les princes dauphin d’Auvergne et de La Roche-sur-Yon (princes du sang) ; les ducs de Guise, Nemours, Aumale, le marquis d’Elboeuf, la princesse de La Roche-sur-Yon, la duchesse de Guise, plusieurs autres chevaliers de l’ordre, seigneurs, dames et demoiselles…, l’archevêque de Sens portant l’hostie sacrée sous un poêle, dont les bâtons de devant étoient soutenus devant par les ducs de Nemours, Aumale et marquis d’Elboeuf, derrière par le prince dauphin d’Auvergne et le duc de Guise. Après les roi et reine et leur suite marchoit ladite cour (de parlement), à dextre ; les prévôt, échevins et officiers de la ville, à senestre, etc. »

4° À la procession de Sainte-Geneviève faite le dimanche 10 septembre 1570, où le roi voulut assister avec tous, et où ni lui ni la reine ne se trouvèrent (p. 960 et 961) :

« …. Les châsses (et leur accompagnement). Suivoient immédiatement lesdits évêques (de Paris) et abbé (de Sainte-Geneviève), MM. les ducs de Montpensier, prince-dauphin (son fils), duc d’Uzès, maréchal de Vieuville, comte de Retz et de Chavigny, etc., et plusieurs seigneurs et gentilshommes. Après suivoient les huissiers de la cour, greffier et quatre notaires ; de Thou, premier président, les présidents Baillet, Séguier, Prevost et Hennequin, leurs mortiers dessus leurs têtes (et tout le parlement), tenant l’un des côtés à dextre, etc. (Ne dit de la séance de l’église où il n’y avoit ni chambre des comptes ni autre cour que la ville et l’université, ni à la procession, que ces deux mots : La messe célébrée dans Sainte-Geneviève (par l’évêque de Paris), étant l’abbé de Sainte-Geneviève en une chaire en bas du rang des présidents, et ayant le premier lieu…. Parce que la messe étant dite, les susdits de Montpensier, princes, ducs, comtes et chevaliers de l’ordre, ensemble la cour de parlement se retirèrent chacun où bon lui sembla. »

5° À la procession à Saint-Denis pour la remise des corps saints en leurs places, descendus au commencement des troubles, faite le jeudi 8 mars 1571 (p. 964) :

« Premièrement marchoient les religieux de Saint-Denis…. Monseigneur le duc d’Anjou portant la couronne, le roi, les sieurs d’Aumale et de Nevers, suivis de plusieurs autres seigneurs. Suivant laquelle déclaration de la volonté du roi (touchant la préséance de la ville sur la cour des monnaies), elle marcha après la chambre des comptes et deux à deux, du côté senestre, la cour de parlement et des aides tenant la dextre. »

Je n’ai copié que les endroits qui font à la chose, marqué de points ce qui n’y sert de rien sans le copier, et mis entre deux crochets de parenthèse quelques mots qui ne sont pas dans le Cérémonial, pour lier ou expliquer ce qui en est. On voit donc ici cinq processions, dont les jours et les années sont marqués, les occasions qui les causèrent, et les lieux où elles se firent. Rien de plus net que l’énoncé de la première. On y voit après le roi et la reine, plusieurs princes, barons, chevaliers de l’ordre, gentilshommes et dames portant un cierge allumé à la procession ; puis venoient ceux de la cour de parlement, vêtus de leurs mortiers et robes d’écarlate. Ce puis venaient décide bien clairement que le parlement étoit précédé par tous ces seigneurs et dames, et qu’ils étoient bien en rang et en cérémonie, puisqu’ils portoient des cierges. À l’égard du terme de gentilhomme, il ne doit pas être entendu de simples, gentilshommes comme il s’entend communément aujourd’hui. Alors n’étoit pas marquis, comte, baron qui vouloit, et gentilhomme signifioit alors des seigneurs aussi qualifiés, et souvent plus en grandes charges, que les marquis, comtes, et souvent leurs frères, oncles, neveux et enfants. Cet usage ancien d’appeler de tels seigneurs du nom de gentilshommes est encore demeuré dans l’ordre du Saint-Esprit, où on nomme de ce nom tous les chevaliers non princes ni ducs ; et on y dit marcher ou seoir, ou être reçu parmi les gentilshommes ; ce qui est un reste du style d’autrefois.

La seconde est mal expliquée. On y voit seulement le prince de Condé et le duc de Nevers aux côtés du roi. L’un y est énoncé prince du sang, l’autre pair de France. Ni l’un ni l’autre n’avoit de charge ; ce n’étoit donc, qua l’un par naissance, l’autre par dignité qu’ils marchoient ainsi. Or ils n’étoient pas seuls à accompagner le roi, et il n’est pas dit un mot d’aucun autre. Les princesses, duchesses, etc., sont marquées marcher au milieu de la rue, entre le parlement à droite, et la chambre des comptes à gauche. Elles avoient donc le milieu, par conséquent le meilleur lieu, puisqu’il n’est pas douteux que, qui est au milieu entre deux autres, en cérémonie, précède celui qui est à sa droite comme celui qui est à sa gauche. Il n’est donc pas douteux, par l’énoncé, que le prince de Coudé, et le duc de Nevers côtoyant le roi, sans fonction nécessaire de charges, précédoient le parlement, et que les dames, qui marchoient entre cette compagnie et la chambre des comptes, ne les précédassent aussi toutes les deux. Quoiqu’on ne voie rien dans l’énoncé des autres seigneurs de la suite du roi, ce rang des dames empêche d’imaginer qu’ils en aient en un inférieur.

La troisième ne s’explique que collectivement. Après lesdits roi et reine et leur suite marchoit ladite cour de parlement. Il est au moins clair que cette suite le précéda ; et que si le roi seul le pouvoit précéder, il auroit eu son capitaine des gardes et tout au plus son grand chambellan, ou en son absence le premier gentilhomme de la chambre en année derrière lui, et personne autre avant le parlement.

La quatrième est bien décisive. Le roi et la reine ne s’y trouvèrent point ; par conséquent point de suite, ni personne qu’on pût dire marcher entre eux et le parlement par raison de charge près d’eux, ou par accompagnement, quoique ce n’en soit pas une. Or voici ce que porte le Cérémonial : Suivoient immédiatement lesdites évêque et abbé. MM. les duc de Montpensier, prince-dauphin, duc d’Uzès, maréchal de Vieuville, comtes de Retz et de Chavigny, etc., et plusieurs seigneurs et gentilshommes ; après suivoient les huissiers de la cour, greffier et quatre notaires ; de Thou, premier président, les présidents Baillet, Séguier, Prevost et Hennequin, leurs mortiers dessus leurs têtes (et tout le parlement, etc.). Le commentaire est ici superflu ; tout est clair, littéral, précis, net : la noblesse précède ; le parlement la suit, et sans la moindre difficulté.

La cinquième enfin ne prouve pas moins évidemment la même chose que la précédente, nonobstant la parenthèse qui regarde la préséance de la ville sur la cour des monnaies, que je ne fais que supprimer ici pour une plus grande clarté : le roi, les sieurs d’Aumale et de Nevers, suivis de plusieurs autres seigneurs. Il est donc clair que toute cette noblesse précéda le parlement, puisqu’elle est mise nécessairement de suite avant de parler des compagnies, et que la dispute de la ville avec les monnaies fait que le Cérémonial vient incontinent à sa marche après la chambre des comptes, qu’il dit avoir eu la gauche et le parlement la droite.

La vérité de la préséance de fait de la noblesse sur le parlement en ces processions saute tellement aux yeux, que ce seroit vouloir perdre du temps que de s’y arrêter davantage. Le droit et le fait sont certains. Sauter de là à précéder un petit-fils de France régent du royaume, en cérémonie toute pareille, il faut avoir les jarrets bons. C’est le second tome d’avoir opiné avant la reine régente, mère de Louis XIV, au lit de justice, après avoir escaladé les pairs, les princes du sang, les fils de France. Ces messieurs sont l’image de la justice. Les images portées ou menées en procession précèdent le roi, encore un tour d’épaule et ils prétendront le précéder, comme ils prétendent tenir la balance entre lui et ses sujets, brider son autorité par la leur, et que celle du roi n’a de force, et ne doit trouver d’obéissance que par celle que lui prêtent leurs enregistrements, qu’ils accordent ou refusent à leur volonté. Je pourrois ajouter d’autres remarques sur les processions et aussi sur les Te Deum ; mais ce n’est pas ici le lieu de traiter expressément des préséances, du droit et des abus ; je n’ai touché cette matière que par la nécessité du récit qui doit s’arrêter ici dans ces bornes.

Je ne dissimulerai pas que, quelle que fût mon indignation d’une prétention qui ne peut être assez qualifiée, je riais un peu dans mes barbes de voir le régent si bien payé par le parlement, auquel il avoit si étrangement sacrifié les pairs et ses paroles les plus solennellement données et réitérées, et l’engagement pris avec eux en pleine séance du parlement le lendemain de la mort du roi, comme je l’ai raconté en son lieu. Cette compagnie, non contente de ventiler son autorité, de le barrer dans les choses les plus indifférentes pour lui faire peur de sa puissance, qui n’existoit que par la faiblesse et la facilité du régent qu’ils avoient bien reconnue, lui voulut étaler sa supériorité sur lui jusque dans le rang.

M. le duc d’Orléans, ensorcelé par Noailles, Effiat, Canilla, jusque par cette mâchoire de Besons, gémissoit sous le poids de ces entreprises de toute espèce, négocioit avec le parlement par ces infidèles amis, comme il auroit fait avec une puissance étrangère, lâchoit tout, et en sa manière imitoit la déplorable conduite de Louis le Débonnaire, d’Henri III et de Charles Ier d’Angleterre, dont je lui avois si souvent proposé d’avoir toujours les portraits devant ses yeux, pour réfléchir à leurs malheurs, à ce qui les y avoit conduits, et à éviter une imitation si funeste. Il avoit peine dans les courts moments d’impatience à se contenir de médire quelque mot de ce qui en faisoit le sujet, mais à la manière d’un pot qui bout et qui répand, non comme un homme qui consulte. Jamais depuis plusieurs mois je ne lui en parlois le premier, suivant la résolution qu’on a vu que j’en avois prise, et quand il m’en lâchoit quelque mot, je glissois par des lieux communs, vagues et courts, et changeois subitement de propos. On a vu quelles en étoient mes raisons. Quand je le voyois venir d’assez loin là-dessus pour prendre mon tournant, je ne manquois pas de le faire par quelque disparate de discours qui rompit ce que je voyois qu’il m’alloit dire, et je n’étois pas fâché de le faire assez grossièrement pour qu’il s’aperçût que je ne voulois plus parler ni lui entendre parler du parlement, ni de rien qui pût avoir aucun trait à cette compagnie. J’en usai encore plus sèchement en cette occasion. Il m’avoit parlé de la procession comme en passant, et je m’étois tu pour n’entrer en aucun discours qui pût amener détail de rang et de cérémonie ; il le sentit et n’alla pas plus loin. Après il ne put se tenir de me dire qu’il n’irait point, et sans oser m’expliquer là rare prétention qui lors étoit devenue publique par le premier président et ses amis, il ajouta qu’il y avoit quelque difficulté avec le parlement, et qu’il aimoit mieux laisser tout cela là. Je me mis à sourire un peu malignement, et lui répandis que ce seroit autant d’ennui et de fatigue épargnés. Nous nous connoissions tous deux depuis bien des années. Il sentit mon sourire et l’indifférence de ma réponse ; il rougit, et me parla d’autre chose, à quoi je pris avidement. Je n’en fus pas moins bien avec lui, et j’ai bien vu depuis qu’il sentoit ses torts avec moi sur le parlement et l’injustice de ses défiances ; mais alors il n’étoit pas encore en liberté. Il céda donc au parlement en s’abstenant d’assister à la procession, après avoir déclaré qu’il y irait, et avoir tout fait préparer pour y assister dans toute la pompe d’un régent, petit-fils de France.

Le rare est qu’il n’examina rien, et qu’il en crut le premier président sur sa très périlleuse parole. L’exemple de Gaston, vrai où faux, le frappa ; il ne le vérifia seulement pas ; et de plus la faute de Gaston ne devoit pas être le titre de la sienne. Gaston étoit le plus foible de tous les hommes : il ménageoit le parlement avec la dernière bassesse, qui sut tout entreprendre dans la minorité de Louis XIV où on étoit pour lors. Gaston, mené tantôt par l’abbé de La Rivière, tantôt par le coadjuteur, tantôt contre M. le Prince, tantôt pour lui, et levant l’étendard contre le cardinal Mazarin, vouloit être le maître, et comptoit ne le pouvoir être que par le parlement, qui avoit pris le dessus jusqu’à faire la guerre au roi et le chasser nocturnement de Paris. Ainsi cet exemple n’en étoit un que des monstrueuses entreprises d’une compagnie qui pour dominer tout s’étoit jetée dans la sédition et la révolte ouverte : belle leçon pour les rois et pour les régents.

Huit ou dix jours après, M. le duc d’Orléans fit donner une pension de six mille livres au jeune président de Maisons, avec la jouissance à sa mère sa vie durant, l’un et l’autre pourtant fort riches. Le duc de Noailles et Canillac, qui étoit le tenant de cette maison, procurèrent cette grâce si mal placée, et ce comble de faiblesse si proche de celle de la procession, à des gens dont le logis étoit le lieu d’assemblée des cabales du parlement et des ennemis de la régence. Ce prince, pour rendre tout le monde content, donna en même temps, et paya, lui ou le roi, un beau régiment de dragons à Rion, dont Mme la duchesse de Berry fut fort satisfaite.

Pour rendre la chose complète, ces messieurs obtinrent que cette pension donnée à Maisons ne fût pas celle qu’avoit son père, parce qu’elle lui auroit été moins propre et personnelle, et qu’il y auroit peut-être eu quelque ombre de difficulté d’en faire jouir sa mère sa vie durant. Cette pension du père étoit de celles appelées de Pontoise, et fut donnée en même temps au président Aligre, pour mieux gratifier le parlement qui traitoit si bien le régent en son autorité et en son rang, et dans l’instant même qu’il l’empêcha avec cet éclat d’assister à cette procession, où ils lui déclarèrent si nettement que le parlement le précéderoit. Voici quelles étoient ces pensions dites de Pantoise. Pendant les troubles de la minorité de Louis XIV, où le parlement commençoit à prêter l’oreille à des unions qui causèrent depuis, des guerres civiles, on crut dans le conseil du roi rompre cours à ces dangereuses menées en éloignant de Paris le parlement, et il fut transféré à Pontoise. Un très petit nombre des officiers de cette compagnie obéit, l’autre demeura à Paris et y leva bientôt le masque. Les chefs de ceux qui avoient obéi et entraîné d’autres à Pantoise, où ils les maintinrent dans la fidélité et dans l’exercice de leurs charges comme le parlement y séant, en furent récompensés de six mille livres de pension chacun. Depuis ce temps-là ces pensions se sont continuées et sont connues sous le nom de pensions de Pontoise. Le roi les donne, à qui il lui plaît, lorsqu’elles vaquent, d’entre les présidents à mortier. On a cru que cette continuation de grâces rendroit les uns reconnoissants, les autres soumis par l’espérance. Que de gens qui perdent bras et jambes, et qui se ruinent au service du roi, à qui on ne donne rien ou bien peu de chose, mais ils ne portent ni robe ni rabat !


  1. Fils du duc de Lorraine et de Claude de France.
  2. Ces cours de justice s’appelaient chambres de l’édit, en souvenir le l’édit de Nantes qui les avait établies.
  3. La première édition du Cérémonial de France de Théodore Godefroy, parut en 1619 (Paris, in-4o). Denis Godefroy, fils de Théodore, donna, en 1649, une nouvelle édition de cet ouvrage (Paris, 2 vol. in-fol.). C’est de cette seconde édition que surit tirées les citations de Saint-Simon.
  4. La prise de Calais eut lieu le 8 janvier 1557 (1558). La date de la procession ne peut donc être le 2 janvier, comme le portent les anciennes éditions de Saint-Simon.