Mémoires (Saint-Simon)/Tome 10/11


CHAPITRE XI.


Conférences sur les formes des renonciations entre le duc de Beauvilliers et moi. — Différence essentielle de validité entre celle du roi d’Espagne et celle des ducs de Berry et d’Orléans. — Le roi non susceptible d’aucune autre forme que d’un enregistrement ordinaire. — Peine extrême du duc de Beauvilliers là-dessus, sur ce que je lui représente. — Le duc de Beauvilliers de plus en plus en peine. — Je lui propose une façon inouïe d’en sortir. — Je m’anéantis au duc de Beauvilliers. — Puissants moyens des ducs de Berry et d’Orléans d’appuyer les justes formes valides en leur faveur. — Je ramène les ducs de Berry et d’Orléans à laisser le roi régler sans nulle résistance la forme des renonciations. — Caractère, état et friponnerie de Nancré. — Il ne tient pas à lui et à Torcy de me faire une affaire cruelle auprès du roi sur les renonciations. — Ducs d’Hamilton et d’Aumont ambassadeurs en France et en Angleterre. — Grand traitement de ce dernier, qui, avant son départ, est fait seul chevalier de l’ordre. — Extraction et mort du duc d’Hamilton. — Duc de Shrewsbury ambassadeur en France. — Bailli de La Vieuville ambassadeur de Malte, au lieu du feu bailli de Noailles. — Course de l’électeur de Bavière à Fontainebleau. — Retour du roi par Petit-Bourg à Versailles. — Départ de la duchesse d’Albe pour l’Espagne. — Abbé de Castillon ; quel. — Il l’épouse, et sa fortune. — La Salle ; son extraction, son caractère, sa fortune, son mariage. — Quelques anciennes et courtes anecdotes.


Ce fut après à MM. de Chevreuse et de Beauvilliers, mais à celui-ci surtout, à voir comment ils s’y prendroient pour oser faire au roi une proposition qu’il trouveroit si choquant cette autorité dont il étoit idolâtre, à la déification de laquelle il avoit employé tout son règne. Ils m’ont laissé ignorer ce qui se passa là-dessus ; et je n’ai pas cru devoir crocheter des amis si respectables, et qui d’ailleurs avoient en moi la plus parfaite confiance, soit qu’au fait et au prendre ils n’aient osé faire la proposition après avoir bien tâté et reconnu le terrain, qui est ce que le secret à mon égard m’a fait soupçonner, soit qu’ils aient été repoussés sans espérance. Vers la fin de Fontainebleau, M. de Beauvilliers me déclara que le roi n’entreroit jamais dans ces formes, et qu’il ne vouloit ouïr parler que d’un simple enregistrement des renonciations au parlement et tout au plus d’y appeler les deux princes intéressés et les pairs ; encore n’en voudroit-il pas répondre.

Je lui dis qu’en cela comme en tout le roi étoit le maître, mais que cela n’auroit nulle validité ; que les alliés seroient bien simples s’ils s’en contentoient, et les deux princes intéressés encore plus, à qui cela coupoit la gorge. Ce terme l’effraya, et je m’expliquai. Je lui dis donc que ces renonciations étoient doubles et réciproques ; qu’en Espagne la forme de toute espèce de législation étoit certaine et reconnue ; que cette même forme servoit encore pour la reconnoissance d’un roi et de son héritier, pour son inauguration, pour les serments à lui faire, en un mot, pour tout ce qu’il y avoit de plus grand et de plus auguste à traiter ; que cette forme étoit les états généraux connus sous le nom de las cartes, où les grands, les prélats, la noblesse, les conseils, les tribunaux et les députés des villes se trouvoient, où le roi présidoit, et où tout ce qui passoit étoit immuable ; que c’étoit là où les renonciations de M. le duc de Berry et de M. le duc d’Orléans passeroient et seroient admises et enregistrées en loi, sans retour pour eux et leur postérité, outre que le pouvoir des rois d’Espagne, peu ou point astreint aux formes, les pouvoit exclure de la succession, comme le simple testament de Charles II avoit appelé Philippe V à ses couronnes ; qu’il est clair par là qu’il ne manqueroit rien à l’exclusion de M. le duc de Berry et de M. le duc d’Orléans de la succession d’Espagne, pour avoir toute la légalité et la certitude qui la pouvoit opérer, tandis que celle du roi d’Espagne et de sa postérité à la couronne de France ne recevroit pas le moindre degré de validité. Je lui retraçai les raisons qui l’avoient persuadé de la nécessité des formes que j’avois proposées, et qui avoient été si approuvées de lui chez le duc de Chevreuse, lequel étoit aussi du même avis, à cette petite augmentation près que le duc de Noailles avoit imaginée, et que lui avoit si fort rejetée ; que de tout cela il résulteroit que les deux princes et leur postérité demeureroient exclus sans retour de toute prétention à la couronne d’Espagne, tandis que le roi d’Espagne et la sienne demeureroient dans tous leurs droits sur celle de France, parce que sa renonciation, faite de bonne foi de sa part, se trouveroit destituée de celle de la nation française à lui et aux siens, et par conséquent ne seroit qu’un vain leurre qui ne pouvoit jamais acquérir aucun droit aux ducs de Berry et d’Orléans, au préjudice de la branche d’Anjou aînée de la leur. La conversation fut longue ; M. de Beauvilliers demeura persuadé, mais sans espérance du côté du roi.

Le lendemain nous nous revîmes. Il me représenta la nécessité pressante de la paix, les instances continuelles des Anglois sur les renonciations, l’impossibilité de vaincre le roi sur un article qui lui étoit aussi sensible que celui de son autorité unique ; que l’enregistrement des traités de paix étant en usage, et allant, non à confirmer son autorité par une autre, mais simplement à la promulguer, il consentiroit par cette raison à l’enregistrement des renonciations comme d’une partie intégrante du traité de paix ; qu’on auroit même peine à lui faire goûter qu’il se fît séparément de l’enregistrement du traité même, c’est-à-dire qu’il se fît deux enregistrements au lieu d’un seul du traité ; et qu’il prévoyoit une extrême difficulté à y faire appeler, non les deux princes, parce qu’il s’agissoit d’eux, et d’autoriser leur renonciation de leur présence, et que les Anglois ne s’en contenteroient pas autrement, mais d’y faire appeler les pairs, par cette délicatesse extrême d’autorité qui l’effaroucheroit en lui proposant une chose non usitée aux enregistrements des traités, et qui le hérisseroit par le soupçon d’une autorité confirmative de la sienne. M. de Beauvilliers ajouta qu’en différant on ne persuaderoit pas le roi davantage sur les formes effectivement nécessaires ; que cependant tout étoit à craindre pour la paix du chagrin extrême d’Heinsius et de son parti, qui gouvernoit les Provinces-Unies, qui ne vouloient point la paix, et du désespoir de la maison d’Autriche et de tout ce qui avoit épousé ses intérêts, qui faisoient l’impossible pour accrocher et rompre ; que, par toutes ces considérations si pressantes dans lesquelles il me conjuroit d’entrer, il me conjuroit en même temps d’y faire entrer les deux princes, et de leur persuader de se rendre à l’absolue nécessité. Je répondis que c’étoit à eux, que la chose regardoit, à prendre leur parti d’eux-mêmes, non à moi à me sentir ou plutôt à abuser de leur confiance, dans l’affaire la plus grande et la plus principale qui pût les regarder et toute leur postérité ; que je leur avois démontré quelles étoient les formes de renonciation du roi d’Espagne à la couronne de France, auxquelles seules ils se pussent fier de validité et de stabilité ; que je ne pouvois leur tenir un autre langage ; que tout ce que je pouvois étoit de regretter qu’ils n’eussent pas en main un autre conseil que le mien sur une affaire si capitale, qui pourroit leur proposer mieux ; mais qui, mes faibles lumières ne me montrant de sûr que les formes dont il s’agissoit, je ne pouvois leur en dissimuler toute la nécessité.

Le duc de Beauvilliers revint à l’impossibilité à l’égard du roi ; moi, que ce n’étoit pas mon affaire, mais celle des deux princes ; et que s’ils faisoient instruire les Anglois, qu’ils les persuadassent, comme il étoit facile et certain, eux-mêmes princes ne trouveroient de sûreté que dans les formes proposées, et pour la sûreté de l’Europe et de la paix tiendroient ferme, et obligeroient enfin le roi à les contenter, tant par la nécessité pressante de la paix que pour ne laisser pas persuader l’Europe que, par cette feinte de délicatesse d’autorité, il se vouloit moquer de toute l’Europe, et en particulier des Anglois, à qui il devoit une paix si inespérée et si nécessaire, et les éblouir d’un enregistrement vain qui laissoit la branche d’Anjou dans tous ses droits, et en état, si le cas en arrivoit, de porter à la fois les deux couronnes de France et d’Espagne, après tant de sang répandu pour l’empêcher. Ce propos, vrai et solide, effraya étrangement le duc de Beauvilliers ; il me dit tout ce qu’il put ; moi de me taire. Nous nous séparâmes de la sorte.

Comme je m’habillois le lendemain matin, il m’envoya prier d’aller chez lui. Il me dit qu’il n’avoit point pu dormir de la nuit dans le détroit où je l’avois laissé. Il m’exhorta de nouveau, je demeurai ferme, et la conversation ne finit que par l’heure du conseil. En nous quittant, il me pria qu’il pût m’entretenir encore le lendemain chez lui à la même heure. J’étois dans une vraie angoisse de résister ainsi, pour la première fois, à un homme que je regardois comme mon père et mon oracle depuis toute ma vie, et pour lequel mon estime intime, la tendresse de mon cœur, l’admiration de mon esprit, et la reconnoissance de tout ce qu’il avoit fait pour me porter au plus haut point auprès du Dauphin, n’avoient fait qu’accroître la plus entière déférence pour lui. Je le trouvai dans un état encore plus peiné que je ne l’avois laissé la veille. Il reprit les mêmes raisons. Tandis qu’il parloit je me parlois à moi-même, et je résolus enfin de sortir du déchirement où je me trouvois.

Tout à coup je l’interrompis, et le regardant avec feu : « C’est battre l’eau, monsieur, lui dis-je, que répéter toujours les mêmes choses ; épargnez-vous-en la peine, parce que je vous déclare que jamais elles ne me persuaderont ; mais prenez une autre voie. Vous êtes un ancien ministre d’État et un très-homme de bien, et je ne dirai guère en avouant que je suis bien loin au-dessous de proportion avec vous sur ces deux points. Toute ma vie je vous ai regardé comme mon père, parce que vous avez bien voulu m’en servir, et mon respect et ma confiance vous ont aussi toujours rendu mon oracle. Je veux vous en donner la plus insigne marque, et la preuve la plus unique qui se puisse en donner à un homme, et que je ne donnerois sans exception quelconque à nul autre homme sur la terre, en quelque chose que ce fût. Tenez, monsieur, finissons ; quittez tout raisonnement, parce qu’encore une fois, vous ne me persuaderez jamais ; mais prenez la voie de l’autorité, et sans nulle sorte de raisonnement, dites-moi crûment et nettement en deux mots : « Je veux que vous fassiez telle chose. » Je ne répliquerai pas un seul mot ; et contre mon sens, contre ma conviction la plus intime, contre tout l’ouvrage que j’ai bâti et qui est pleinement achevé, j’obéirai comme un enfant, et je n’oublierai rien pour détruire tout ce que j’ai édifié et persuadé, sans cesser un instant de l’être tout autant que je le fus jamais, et je mettrai tout ce qui est en moi pour ramener les deux princes à tout ce que vous voudrez me prescrire ; mais rien sans un je le veux, et je l’exige. Vous en savez plus que moi de bien loin en affaires, vous êtes encore plus s’il se peut au-dessus de moi en piété et en lumières, je me reposerai dessus et vous sacrifierai mes sentiments les plus chers et ma conviction la plus intime. » J’avois pendant ce discours les yeux fichés sur les siens ; ils se mouillèrent de larmes. Jamais je ne vis homme si concentré ni si touché. Il se jeta à mon cou, et parlant à peine : « Non, me dit-il, c’en est trop, cela n’est pas juste, je n’y puis consentir. — Toutefois, repris-je, ce qui est en débat entre vous et moi ne peut finir que par là. N’espérez rien du raisonnement, mais comptez sur tout par l’autorité. » Mille choses tendres et d’un homme touché jusqu’au plus profond du cœur, succédèrent de sa part à cette nouvelle reprise de déclaration ; et finalement il me dit qu’il prendroit cette journée pour y bien penser, et me dire le lendemain, à même heure, en même lieu, à quoi il seroit arrêté. Je retournai donc à ce rendez-vous. Il commença par tout ce qu’il est possible à l’amitié d’exprimer, et à l’humilité d’un si grand homme de bien, qui étoit effrayé de la grandeur de mon sacrifice, et qui en sentoit toute l’étendue. Il me dit qu’il n’avoit pensé à autre chose la veille, et toute la nuit qu’il n’avoit pu dormir ; qu’il ne savoit comment se résoudre de prendre sur soi ce que je lui proposois, et d’abuser de ma déférence à un point aussi inouï ; et de là voulut revenir à raisonner. Je l’interrompis : « Je m’en vais, lui dis-je, monsieur, » en faisant un mouvement comme pour me lever ; « de raisonnement je n’en écoute plus ; c’est votre décision que j’attends : ou laissez-moi dans ma liberté avec les deux princes, ou prononcez en deux mots avec autorité ; et ôtez-vous bien de l’esprit que ceci puisse avoir une autre issue. » Il fut quelques moments sans répondre, et moi en silence. Ses yeux se baignèrent encore. Il se jeta à moi sans rien dire, tout retiré en lui-même. Puis me regardant avec tendresse : « Puisqu’il n’y a donc point d’autre voie, et que vous le voulez absolument, » me dit-il, mais avec un air de modestie, même de honte qui ne se peut décrire, « il faut bien que je prenne l’unique parti que vous me laissez, quelque peine qu’il me fasse. J’exige donc de vous que vous tâchiez à détruire ce que vous avez fait, non qu’il ne soit bon, mais parce que le roi n’y passera jamais, et qu’il nous faut finir la paix, et que vous rameniez les deux princes à se contenter de l’enregistrement en leur présence et en celle des pairs. — Vous le voulez, monsieur, repris-je, vous serez obéi. De ma part je n’y oublierai rien ; je vous rendrai compte de temps en temps de ce que j’aurai fait en conséquence. Demeurons-en là fermement, et surtout plus de raisonnements inutiles, » Il m’embrassa encore tendrement, me dit tout ce qui me pouvoit exprimer l’effet que son cœur et son esprit ressentoient d’un si extraordinaire abandon de déférence, et combien il en demeureroit pénétré toute sa vie. Cette conversation fut la plus courte de beaucoup, et nous nous séparâmes.

La besogne que j’entreprenois étoit fort étrange ; j’avois soufflé le chaud, j’avois parlé raison, règle, lois, droits, justice, intérêt le plus palpable, et j’avois pleinement persuadé et affermi ; il n’y avoit plus qu’à en faire usage avec les Anglois, qui ne pouvoient goûter un sceau aussi informe et aussi superficiel, pour des renonciations si importantes à toute l’Europe et à eux-mêmes, qu’un simple enregistrement usité pour tous les traités, et qui n’en avoit rendu aucun plus stable. Ils alléguoient sans cesse le violement des renonciations de la reine, aussitôt après la mort du roi Philippe IV son père, qui avoit coûté à l’Espagne un si grand démembrement des Pays-Bas et de toute la Franche-Comté, quoique ces renonciations eussent été enregistrées au parlement dans le traité des Pyrénées, que le roi en personne les eût jurées, et signées, face à face du roi son beau-père, en présence de leurs deux premiers ministres et des deux cours, qui en furent acteurs et témoins dans l’île des Faisans ou de la Conférence. On ne pouvoit disconvenir que cette solennité n’eût tout une autre force que le simple enregistrement du traité au parlement, ni que celui des renonciations à part qu’il s’agissoit de faire ; et néanmoins on ne pouvoit disconvenir non plus de l’irruption subite du roi en Flandre et en Franche-Comté, aussitôt après la mort du roi son beau-père, pour se mettre en possession des droits de la reine, dont il fit publier des écrits, nonobstant la renonciation.

Les Anglois eux-mêmes avoient vu, par le traité de partage dont leur roi Guillaume III avoit été le principal promoteur, ce qu’on pensoit en France des renonciations de la reine, lorsqu’il ne s’agissoit plus comme autrefois de simples droits à prétendre sur le roi son frère, malgré l’universalité de ses renonciations, mais de la succession à la monarchie entière ; et toute l’Europe, à l’exception de l’empereur, avoit regardé ce traité de partage comme fort avantageux, en ce que la France s’y contentoit d’une portion de la monarchie d’Espagne, qu’elle croyoit pouvoir prétendre entière nonobstant les renonciations. Elle y étoit revenue par le testament inespéré de Charles II, et par le vœu de toute la nation espagnole ; et il s’agissoit au moins d’empêcher d’une manière solide, à laquelle ces exemples rendoient les Anglois et leurs alliés d’autant plus délicats et circonspects, qu’un même prince françois ne pût en aucun cas posséder les deux monarchies, et dominer l’Europe par une si formidable puissance. Les Anglois n’avoient pas oublié par quelle forme de jugement Philippe de Valois avoit emporté la couronne de France, en vertu de la loi salique, sur leur roi Edouard III, bien plus proche par sa mère, fille de Philippe le Bel, et sœur des rois Louis X le Hutin, Philippe V le Long, et Charles IV le Bel, morts sans postérité masculine, lesquels étoient cousins germains de Philippe de Valois, fils des deux frères. Les Anglois n’avoient pu oublier qu’Edouard III reconnut si bien le pouvoir des juges et la validité du jugement qu’il ne songea pas à contester, qu’il rendit personnellement hommage à Philippe de Valois, 6 juin 1329, dans l’église d’Amiens, pour ce qu’il tenoit de la couronne de France, et que ce ne fut qu’au bout de quelque temps qu’il s’avisa de vouloir revenir par les armes contre le droit qu’il avoit reconnu, excité par les pratiques du fameux Robert d’Artois outré d’avoir été juridiquement débouté du comté-pairie d’Artois, dans la dignité et possession duquel sa tante paternelle Mahaut avoit été maintenue, et déshonoré de plus par la preuve de faux, et le jugement en conséquence de quatre pièces qu’il avoit fait fabriquer et produire, ce qui le jeta entre les bras d’Edouard III, pour se venger de sa mauvaise fortune contre son roi et sa patrie. Il n’en falloit pas tant avec des gens aussi accoutumés et attachés que le sont les Anglois aux formes légales et juridiques, pour les porter à demander toutes celles qui uniquement pouvoient valider solidement des renonciations si importantes à eux et à toute l’Europe, et dont leurs alliés se reposoient sur eux et sur leur propre intérêt, dans un traité dont ils s’étoient enfin rendus les maîtres.

Eux instruits et bien persuadés, c’étoit à M. le duc de Berry et à M. le duc d’Orléans à les laisser faire, à ne se montrer en rien, à laisser au roi les soupçons qu’il auroit voulu prendre, mais à se bien garder de tout ce qui auroit pu lui en donner lieu à cet égard ; en tout cas, en éditant bien attentivement toutes preuves possibles, l’un son petit-fils, l’autre son neveu, se consoler des reproches sans preuves et des humeurs, par la solidité avec laquelle ils s’assuroient une réciproque validité de leurs renonciations et de celles du roi d’Espagne, puisque le roi n’auroit eu en ce cas d’autre choix que celui de souffrir les formes que les anglois auroient exigées, ou de rompre la paix, auquel cas il n’y auroit point de renonciations, et de continuer une guerre que toutefois il ne lui étoit plus possible de soutenir.

Toutes ces choses m’étoient bien présentes, je les avois bien inculquées aux deux princes, et ils étoient bien persuadés. Défaire ce même ouvrage étoit une triste entreprise. Persuader contre sa propre conviction est un étrange embarras. Il fallut pourtant travailler en conformité de ce que le poids immense de M. de Beauvilliers sur moi m’avoit fait lui promettre. Le récit en détail en seroit long et ennuyeux ; je me contenterai de dire que je commençai par éloigner, et empêcher après, toute instruction et tout concert des Anglois. Je revins auprès des deux princes à des réflexions de prudence et de timidité sur le danger que le roi pût découvrir ce commerce, et qu’il se prît à eux de la roideur des Anglois, et de leurs propositions de formes, qui, selon ses délicates et si sensibles préventions, attaqueroient aux yeux de toute l’Europe son autorité si chérie, et lui feroient recevoir l’affront de souffrir que celle de ses sujets la confirmât, et y parût nécessaire. Je les pressai sur le désespoir où le roi se trouveroit d’acheter la paix à ce prix, ou de continuer une guerre qu’il savoit si précisément ne pouvoir soutenir, et dont le poids l’avoit forcé aux conditions les plus honteuses et les plus dommageables, qu’il avoit même vu mépriser, et de laquelle il sortoit par le moyen de l’Angleterre, sans qu’il fût plus question de lui en imposer que d’honnêtes. J’avois affaire à deux princes fort différents, mais tout semblables pour l’excès de la timidité. M. le duc de Berry, tenu de très-court depuis son enfance, étoit accoutumé à dépendre du roi jusque pour les choses les plus ordinaires et les plus indifférentes, et à trembler sous son moindre sérieux. M. le duc d’Orléans ne le craignoit guère moins. Il étoit de plus si battu de l’oiseau par les diverses aventures de sa vie, qu’il étoit tout aussi éloigné que M. le duc de Berry de s’exposer à sa colère. Ce furent les armes dont je me servis contre moi-même, et pour les ramener à ce que je voulus, en ruinant ce que j’avois édifié.

C’étoit à quoi j’étois occupé, lorsque, tout à la fin du voyage de Fontainebleau, je fus averti de la chose du monde que pour lors je méritois le moins. Nancré y avoit fait quelques tours ; il avoit écumé quelques mots de fins de conversations, interrompues par son arrivée deux ou trois fois, entre M. le duc d’Orléans et moi. Il avoit eu, comme je l’ai dit en son lieu, la charge de capitaine de ses Suisses, par Mme d’Argenton, sur Saint-Pierre, pour qui Mme la duchesse d’Orléans la vouloit alors, qui de pique le fit depuis son premier écuyer, contre le gré de M. le duc d’Orléans ; et cela avoit fait de grandes brouilleries. Nancré étoit un bourgeois de Paris qui s’appeloit Dreux, de même famille que le gendre de Chamillart ; mais son père avoit servi, il étoit devenu officier général avec estime et gouverneur de [1]… Il avoit épousé en secondes noces une fille de La Bazinière, dont j’ai parlé ailleurs, et qui étoit sœur de la mère du premier président de Mesmes qui vivoit intimement avec eux. Nancré avoit beaucoup d’esprit. Il s’étoit lassé de l’emploi de lieutenant-colonel de je ne sais plus quel régiment, où il étoit parvenu par ancienneté. Il trouva cette porte pour en sortir. Il vivoit dans la liaison la plus étroite avec sa belle-mère, vieille beauté riche et fort du grand monde de Paris. Elle alla loger avec lui au Palais-Royal, et elle y tint le dé. Lui se fourra tant qu’il put dans le monde. Il avoit ce qu’il falloit pour en être goûté, et la probité ne l’arrêtoit sur rien. Il vouloit cheminer et être de quelque chose ; les moyens ne lui coûtoient pas. Il s’étoit fourré chez M. de Torcy. Il y chercha commission de parler à M. le duc d’Orléans sur les renonciations. Chagrin de n’en pas avoir l’honneur auprès de Torcy, il alla lui dire que c’étoit moi qui, entêté de pairie, lui tournois la tête sur les formes, et arrêtois la paix.

Torcy, avec qui je n’avois pas la plus légère habitude, et qui étoit ami de beaucoup de gens avec qui je ne frayois pas, alla rendre au roi ce que Nancré lui avoit rapporté. Le roi en colère en parla à M. le duc de Berry, et lui cita ses auteurs. J’en fus incontinent averti par M. le duc de Berry même. Cela m’engagea à le prier de trouver bon que je ne le visse plus du tout pour ôter au roi tout prétexte, et que notre commerce se continuât par Mme de Saint-Simon et M. le duc d’Orléans, par qui il avoit toujours passé, en sorte même que je n’avois vu que peu et rarement M. le duc de Berry en particulier. Je ne pouvois en user de même sans éclat avec M. le duc d’Orléans, ainsi je me résolus à ce qui pourroit en arriver. Je me plaignis amèrement à lui de la scélératesse de Nancré, qui s’enfuit à Paris aussitôt, et ne reparut de longtemps. Le roi néanmoins ne me fit semblant de rien ; et comme en effet je parvins à ramener les deux princes à se contenter de l’enregistrement fait en présence des pairs, cette friponnerie de Nancré et ce mauvais office de Torcy n’eurent aucune suite. Je le laissai tomber et ne crus pas devoir dire ni faire dire au roi quoi que ce soit là-dessus.

Quelque dépit et quelques obstacles que les alliés apportassent à la paix, les choses étoient tellement avancées avec l’Angleterre, que le duc d’Aumont fut nommé pour y aller en ambassade, sur ce que le duc d’Hamilton fut déclaré ambassadeur en France. M. d’Aumont étoit alors fort en liaison avec le duc de Noailles et moi, et j’aurai lieu d’en parler dans les suites. Il eut vingt-quatre mille écus d’appointements par an, vingt-quatre mille livres pour dédommagement de la perte du change, et cinquante-quatre mille livres pour ses équipages et pour trois mois d’avance. Il eut de plus cinq cent mille livres de brevet de retenue sur sa charge de premier gentilhomme de la chambre, et fut chevalier de l’ordre, seul et extraordinairement à une messe basse avant son départ. C’est le dernier que le roi ait fait.

Le duc d’Hamilton étoit un assez jeune seigneur, fort du parti de la reine et considéré. Il étoit Douglas. Anne Hamilton, fille aînée du dernier Jacques, marquis d’Hamilton, avoit épousé Guillaume Douglas, comte de Selkirk. Le marquis d’Hamilton fut fait duc et chevalier de la Jarretière par Charles I, et après diverses fortunes eut la tête coupée peu de jours après cet infortuné monarque. Charles II, son fils, après son rétablissement, fit duc d’Hamilton ce comte de Selkirk, gendre du dernier duc d’Hamilton, qui n’avoit point laissé de garçons ; et ce nouveau duc d’Hamilton eut avec la dignité presque tous les biens de son beau-père qui lui furent restitués, dont il prit le nom et les armes. C’est le grand-père ou le bisaïeul de celui dont il s’agit ici. Le parti contraire à la reine, outré de n’avoir pu empêcher la paix, se rabattit faute de mieux à lui faire toutes les sortes de dépits qu’il put. Hamilton avoit gagné un procès depuis peu en plein parlement contre milord Mohun, du parti contraire. Ce parti le piqua tant qu’il put, et le força presque malgré lui à se battre avec Hamilton. Mohun fut tué sur la place, mais Macartnay, qui lui servit de second, enfila sur-le-champ le duc Hamilton par derrière et s’enfuit. La reine, qui sentit d’où le coup partoit, en fut également affligée et offensée, et nomma à l’ambassade de France le duc de Shrewsbury, chevalier de la Jarretière, l’un de ses plus confidents ministres, aîné de la maison Talbot.

Le bailli de La Vieuville, beau-frère de la dame d’atours de Mme la duchesse de Berry, succéda au feu bailli de Noailles à l’ambassade de Malte et y fit tout fort noblement.

L’électeur de Bavière fit une légère apparition à Fontainebleau. Il y vint de Petit-Bourg, vit le roi un quart d’heure dans son cabinet, dit en sortant à d’Antin qu’il partoit beaucoup plus content qu’il ne l’avoit espéré en venant, et s’en retourna à Petit-Bourg.

Quinze jours après, c’est-à-dire le mercredi 14 septembre, le roi, après le conseil d’État, alla coucher à Petit-Bourg, et le lendemain à Versailles, où peu de jours après la duchesse d’Albe prit congé de lui chez Mme de Maintenon. Elle partit peu de jours après, sans avoir laissé un sou de dettes de leur longue et magnifique ambassade en des temps très-malheureux. Elle emmena avec elle un petit abbé de Castillon qui n’avoit pas de chausses, et qui n’avoit de ressource que les lieux et les heures publics, où il ennuyoit même beaucoup de sa présence qui étoit aussi assez vilaine. Il étoit Gonzague, mais arrière-cadet, et il cherchoit ici fortune depuis quelques années. Je ne sais comment il fit connoissance avec la duchesse d’Albe ; mais fort peu après être arrivé en Espagne, il quitta le petit collet et elle l’épousa. Il parvint en cette considération, peu après, à la grandesse et à la clef de gentilhomme de la chambre. Ils n’ont point eu d’enfants. Elle venoit de mourir lorsque j’arrivai en Espagne, où je le vis sans meubles, avec un châlit et un capucin, qui en vouloit prendre l’habit. La douleur ne fut pas de durée ; il s’étoit déjà remarié, lorsque j’en partis, à une beauté fille du prince de Santo-Buono-Caraccioli, chose infiniment rare en Espagne.

La Salle, qu’on a vu avoir vendu pour la seconde fois sa charge de maître de la garde-robe, par un hasard unique, s’ennuya de son oisiveté. C’étoit un fort honnête homme, qui avoit du sens, et qui ne manquoit pas d’esprit, bien fait et de fort bonne mine, qui, pour le petit-fils d’un vendeur de sabots dans la forêt de Senonches, avoit fait une grande fortune, n’en étoit pas encore content, et se rendoit peu de justice. Un ancien bailli de la Ferté que j’y ai vu longtemps, et qui a survécu mon père de beaucoup d’années, nous en mit au fait pour l’extraction. J’étois à la Ferté avec ma mère lorsque mon père, mandé pour le chapitre, nous envoya la liste de la promotion de 1688. Ce bailli se trouva à la réception des lettres et à la lecture de la liste. Au nom de La Salle, il demanda qui il étoit, et, sur la réponse, se mit à rire et dit que cela ne se pouvoit pas, et enfin ajouta qu’étant jeune il avoit connu son grand-père qui vendoit des sabots en gros après en avoir fait dans sa jeunesse. Il nous dit qu’étant devenu à son aise sur ses vieux jours il avoit acquis une petite terre qui jamais n’a valu mille écus de rente, et sans aucune étendue dans la lisière de la forêt de Senonches qui s’appelle la Salle. J’y ai passé plusieurs fois ; ils y ont fait un petit castel de cartes, proportionné à la valeur de ce petit bien. Le fils du sabotier voulut aller à la guerre, il s’y distingua ; il parvint par son ancienneté à la tête des gens d’armes de la garde.

Caillebot avoit quitté ce nom et s’appeloit La Salle ; il vivoit dans un temps où on se battoit beaucoup ; il étoit fort sur la hanche, et passa pour un brave à quatre poils qu’il ne falloit pas choquer. Ce fut par ces bravades que le cardinal Mazarin, qui en avoit aisément peur, et qui vouloit aussi s’en attacher partout, le poussa dans les gens d’armes que Miossens commandoit, si connu depuis sous le nom de maréchal d’Albret, et si compté à la cour et dans le monde. La Salle sut si bien lui faire sa cour et se faire passer d’ailleurs pour un brave important, qu’il eut la compagnie quand le maréchal d’Albret la quitta en 1666. Il poussa son fils dans cette compagnie quoique jeune, car il étoit de 1646 ; il se trouva de la valeur et de l’honneur, et il monta assez vite. M. de Soubise étoit dans la même compagnie ; il y étoit entré pauvre gentilhomme, et fort éloigné d’imaginer de devenir prince et fort riche ; la beauté de sa seconde femme et la bonté du roi firent ce miracle. Il étoit en son plus doux mouvement lorsque La Salle mourut et laissa la compagnie des gens d’armes vacante en 1672. M. de Soubise l’obtint, mais le fils de son prédécesseur l’y importuna. Il pensa toujours de loin pour fonder des établissements avec son grand secours domestique. Il voulut ranger de bonne heure tout obstacle à pouvoir assurer sa charge à sa famille. La Salle servoit bien, ne vouloit point quitter, et il avoit la fantaisie d’espérer de succéder à M. de Soubise. Cette folie fit sa fortune ; il y en avoit au crédit où étoit Mme de Soubise ; d’ailleurs cette espérance auroit pu être fondée sur l’âge de M. de Soubise qui avoit quinze ans plus que lui, et sur les hasards de la guerre. La conjoncture heureuse qui se présenta fit l’affaire de tous les deux.

Il y avoit plusieurs années que Vardes étoit chassé pour avoir eu une part principale dans l’affaire qui perdit la comtesse de Soissons et le comte de Guiche, et qui touchoit le roi si fort immédiatement [2]. Vardes étoit un favori qui par sa trahison attira sur soi plus de colère ; il fut envoyé à AiguesMortes dont il étoit gouverneur, avec défense d’en sortir et d’y voir personne, et ordre de se défaire de sa charge de capitaine des Cent-Suisses de la garde. C’est le même qui se battit avec mon père. Il étoit chevalier de l’ordre, de la promotion de 1661, et si gâté de la fortune, que j’ai ouï dire aux contemporains qu’il regarda pour la première fois son cordon bleu avec quelque complaisance en chemin de son exil. On espère toujours. Tardes se flatta du pardon après un châtiment de quelques années, et il s’obstina à garder sa charge pour ne se pas trouver dépouillé à son retour. À la fin on lui fit si bien entendre que son espèce de prison ne finiroit que par sa démission, qu’il se résolut à ce calice. M. de Louvois, ennemi terrible et implacable, mais également bon ami et bon parent, fut bientôt averti ; il fit parler à Vardes par Tilladet, son cousin germain, qu’il avoit déjà fait maître de la garde-robe, et Vardes, dans la nécessité de vendre, crut se faire un protecteur de Louvois. Mme de Soubise, instruite de la première main, saisit la charge de maître de la garde-robe que Tilladet alloit vendre pour se défaire de La Salle, et s’en délivrer par une fortune si fort au-dessus de lui. Vouloir et pouvoir fut pour elle la même chose. Ainsi La Salle quitta les gens d’armes et le service militaire pour celui de la cour et de la personne du roi, en 1678. Ce service étoit d’une assiduité extrême : lever, coucher, changement d’habits pour la chasse ou la promenade tous les jours, en y allant et au retour, et cela de deux années l’une tout de suite, avec un prince qui vouloit une entière régularité. Celle de La Salle la fut, et plut fort au roi, mais elle devint continuelle pendant bien des années que Lyonne, fils du secrétaire d’État, fut son camarade, qui ne mettoit jamais le pied à la cour, et que les services importants de feu son père, et la considération des Estrées, dont le duc neveu du cardinal avoit épousé sa sœur, faisoit passer au roi, jusqu’à ce qu’enfin il vendit à Souvré, fils de feu M. de Louvois. Une vie si coupée et si nécessairement occupée de riens, déplaisoit souvent à La Salle. Il étoit fort glorieux et entêté de son mérite, et quoique j’eusse peu d’habitude avec lui, et en général c’étoit un homme chagrin, particulier, sauvage, avec qui on n’en avoit guère, je lui ai ouï regretter les gens d’armes, et sa charge qui l’avoit tiré du service, disoit-il, malgré lui, et l’avoit empêché d’être maréchal de France. Désœuvré, par n’avoir plus de fonctions et n’avoir jamais eu beaucoup de commerce, il s’en étoit allé auprès de Dreux, dans une petite terre appelée Montpinçon, dont la maison étoit au bord de la rivière d’Eure, dont les jardins étoient souvent inondés. Il l’accommoda pour habiter et pour s’amuser ; il s’y ennuya, il s’alla promener en basse Normandie chez des gens de sa connoissance. Il trouva dans une de ses visites une fille de vingt ans, jolie et bien faite avec sa mère, qui étoit du voisinage, et qui s’appeloit Mlle de Bénouville. II les vit le soir qu’il y arriva, et y dîna le lendemain avec elles. Quelqu’un à table demanda à la mère si elle ne songeoit point à la marier. Elle répondit qu’elle y pensoit bien, mais que cela n’étoit pas facile quand on n’avoit rien à donner. De propos en propos elle dit que ce qu’elle voudroit trouver, ce seroit quelque homme âgé qui ne songeât point au bien, mais à se donner une compagnie et une femme qui eût soin de lui et qui en fût tout occupée ; que sa fille avoit la raison de penser de même et d’aimer mieux un mariage comme celui-là, qui la mettroit à son aise, que d’épouser un jeune homme. La conversation changea, La Salle ne parut pas y prendre la moindre part, mais il y fit ses réflexions. Elles ne furent pas longues. Dans la fin de la journée il s’informa au maître de la maison de ce que c’étoit que M. Mme et Mlle de Bénouville ; ce qu’il en apprit ne lui déplut pas, et la demoiselle lui avoit donné dans les yeux. Il crut bannir l’ennui de sa vie en l’épousant, et tout de suite pria celui à qui il s’en informoit d’en faire la proposition à la fille et à la mère. Toutes deux, le lendemain matin, crurent rêver, et eurent peine à se persuader que la chose fût sérieuse. Le cordon bleu du vieux galant qui la demandoit sans dot quelconque, uniquement à condition de demeurer à Montpinçon sans jamais aller à Paris, leur parut les cieux ouverts. Elles envoyèrent bien vite chercher le père, et dans le jour tout fut d’accord et réglé. La Salle partit là-dessus pour le venir dire au roi, et s’en retourna tout aussitôt en Normandie où le mariage se fit. Il a été très-heureux, et cette jeune femme a vécu avec lui à merveilles ; vertu, complaisance, soin d’attirer du monde, et pourtant avec économie. Ils se firent aimer et considérer chez eux. La Salle avoit soixante-six ans. Il lui tint parole sur Paris, mais lui-même ne faisoit que deux ou trois apparitions par an à Versailles, et encore moins à Paris. Ils ont eu un fils qui est dans le service et marié.




  1. Le nom est en blanc dans le manuscrit.
  2. L’aventure à laquelle Saint-Simon fait allusion a été racontée en détail par les contemporains. Voy. notes à la fin du volume.