Mémoires (Cardinal de Retz)/Le Courrier burlesque de la guerre de Paris


LE COURRIER BURLESQUE


DE LA GUERRE DE PARIS,


Envoyé à M. le prince de Condé, pour divertir Son Altesse durant sa prison.


Vous, la terreur de l’univers
Moi courrier suis parti d’Anvers,
Pour entretenir Votre Altesse,
Et pour divertir sa tristesse.
Prince, si mon dessein est grand,
Je prends votre cœur pour garant,
Et dans un malheur si funeste
Je lui laisse faire le reste.
C’est lui qui vous consolera,
Qui mieux que moi divertira
L’ennui mortel qui vous accable :
C’est lui qui combattra le diable
S’il vous tentait de désespoir,
Et c’est lui qui doit faire voir
Que vous, le vainqueur d’Allemagne,
La terreur de Flandre et d’Espagne,
Riez du sort et de ses coups,
Qui sont grands, mais bien moins que vous.
Adonc sur cette confiance
Que je prends de votre constance
Et de votre religion
(Car contre la tentation
En prenant un peu d’eau bénite,
Vous la ferez courir bien vite),
Je viens, pour charmer vos douleurs,
Justes dans de si grands malheurs,
Et connoissant que la lecture
En peut seule faire la cure,
Je viens avec ce lénitif,
Très-propre a guérir un captif ;
Et pour commencer une histoire,
Toute fraîche en votre mémoire,
Par la mort du grand Châtillon...
Voila vos dames, tout de bon :
C’est fait. Dego s’en va. Silence !
Paix la ! monseigneur, je commence.
    L’an étoit encore tout neuf
De mil six cent quarante-neuf :
C’étoit la cinquième journée
De l’aîné des mois de l’année,
Quand le Roi vint dans le faubourg,
À l’hôtel jadis Luxembourg,
Et qu’une grammaire nouvelle
Le palais d’Orléans appelle.
Là dans la chambre où s’alitoit
Madame, qui fébricitoit
Comment vous portez-vous, ma tante ?
Disoit le Roi. — Votre servante,
Répondit Madame, assez mal.
Mais la Reine et le cardinal
S’entretenoient dans une salle
Avec Son Altesse Royale.
Ce qu’ils dirent, je ne sais pas,
Car ils causèrent assez bas :
Mais dans tout ce qu’ils purent dire
Je n’y vois point le mot pour rire.
Ils parloient de nous assiéger :
Fi pour ceux qui veulent manger !
En quels termes il ne m’importe,

Soit qu’un d’eux parlât de la sorte :
Il faut affamer ces ingrats,
Ces barricadeurs scélérats.
— Foin de vous ! repartit la Reine.
Où courons-nous la prétantaine,
Avec un peigne en un chausson ?
Monsieur répéta la chanson :
Ce qu’on peut prendre est bon à rendre.
Et le succès a fait comprendre
Que tous trois conclurent sans moi
Qu’il falloit emmener le Roi.
    Ce soir, prince, tu fis ripaille
Chez un fumeux pour la bataille
Qu'il perdit devant Honnecourt,
Gramont, le poli de la cour.
Là, changeant d’habit et de linge,
Comme l’on voit sauter un singe
Pour la Reine ou le cardinal,
Presto, vous voilà sus cheval ;
Et tous deux qui, ne voyant goutte,
De Saint-Germain prenez la route.
    Onze heures de nuit environ,
Vrai temps d’amant ou de larron,
Monsieur arriva chez Madame,
Et lui dit : Dormez-vous, ma femme ?
— Oui répondit-elle, je dors.
— Prenez, lui dit-il votre corps ;
Venez à Saint-Germain-en-Laye.
— À Saint-Germain, lui dit-elle ? Aye !
Répétant trois fois Saint-Germain :
Non cœur, je partirai demain.
À quoi Monsieur fit repartie :
À demain donc soit la partie !
Et vint dans le Palais-Royal
Avec son confident loyal,
Le digne abbé de La Rivière :
Palais où l’aube la première,
Ne trouvant plus Leurs Majestés
Ains seulement des chars restés,
Les vit près Saint-Germain-en-Laye
Avec messieurs La Meilleraye
Le cardinal, le chancelier ;
Dont le dernier ne peut nier
Qu’un peu devant l’hôtel de Luyne
Le garantit à sa ruine.
Harcourt, Longneville, Conti,
Et tout le reste étoit parti,
Une nuit que l’excès de boire
Nous donna presque tous la foire
(Car, pour en parler franchement,
Tout est depuis le dévoiement) ;
Nuit des Rois, mais sans roi passée ;
Nuit fatale qui, commencée
Par l’abondance d’un festin,
Nous laissa la faim sur sa fin.
    Ces nouvelles ne furent sues
Qu’après les sept heures venues ;
Mais sept heures ayant sonné,
Tout Paris fut bien étonné.
La bourgeoise étoit soucieuse
La boulangère étoit joyeuse :
Tous les partisans détestaient ;
Les écoliers se promettaient
D’avoir campo durant le siège,
Et qu’on fermeroit leur collége.
Les moines disoient chapelets,
L’habitant couroit au Palais,
Le plus zélé couroit aux armes
Le maltôtiers versoit des larmes ;
Et tout regardoit à son pain,
Le soupesant avec la main.
    C’étoit de janvier le sixième
Si ce n’est assez du quantième,
C’étoit un triste mercredi[1]
Que fut fait un coup si hardi,
Et que du parlement les membres,
Dispersés par toutes les chambres,
Dirent qu’il étoit à propos
D’en faire un seul qui fût plus gros,
Où les échevins de la ville

Eurent audience civile :
Les gens du Roi pareillement.
Ensuite on fit un règlement
Qu’on feroit garde à chaque porte
Nuit et jour de la même sorte.
À cela nul ne contredit,
Et de plus il fut interdit
À tous de tout sexe et tout âge
D’emporter armes ni bagage.
Le reste de ce règlement
Est au journal du parlement.
    Ce même jour une charrette,
Où fut trouvée une cassette
Que réclama monsieur Bonneau
Très-pleine d’argent bon et beau
Parut au peuple trop chargée,
Dont elle fut fort soulagée :
Et l’on traita pareillement
Quelque autre charitablement.
    Du depuis, les belles cohortes
De nos habitans fiers aux portes
N’ont laissé passer un fétu,
Sans lui demander Où vas-tu ?
    Lors fut une lettre restée,
Au prévôt des marchands portée
Qui s’adressait à tout son corps :
Lettre où malgré de vains efforts
On ne trouva raison aucune
Pour ce trou qu’on fit à la lune ;
Portant sur l’avertissement
Qu’aucuns de notre parlement
Ont eu secrète intelligence
Avec les ennemis de France ;
Qu’on a cru que Sa Majesté
N’étoit pas trop en sûreté ;
Et que bien que cela déroge
De faire ainsi Jacques déloge,
Retraite faite comme il faut
Valoit bien un méchant assaut.
    Le jeudi[2], la cour tout entière
Résoudoit sur cette matière :
Mais comme elle étoit au parquet,
Il lui vint un autre paquet
Dont elle ne fit point lecture,
Non pas seulement l’ouverture,
Et dont messieurs les gens du Roi
Furent crus sur leur bonne foi ;
Disant que par icelle lettre
On vouloit le parlement mettre
Et transférer à Montargis.
Mais messieurs, qui de leur logis
N’avoient point achevé le terme,
Dirent qu’il falloit tenir ferme,
Et qu’on iroit le Roi prier
De vouloir les noms envoyer
De ceux dont la correspondance
Etoit dommageable à la France,
Afin que l’ombre d’un gibet
Punît l’ombre de leur forfait.
Et lors les gens du Roi partirent,
Et selon qu’il fut dit ils firent ;
Mais ils revinrent non ouïs,
De Saint-Germain peu réjouis.
    Le vendredi[3] premier jour maigre,
Messieurs, sur le traitement aigre
Qu’on avoit fait aux gens du Roi,
Ordonnèrent, suivant la loi,
Que la Reine auroit remontrance
Sur le plus fin papier de France.
Et parce que le cardinal
Leur sembloit l’auteur de ce mal
(Qui depuis par son ministère
Leur a bien prouvé le contraire).
Ils jugèrent mal à propos
Qu’il troubloit le commun repos,
Qu’il emplissoit sa tire-lire,
Qu’il haïssoit notre bon sire ;
Lui mandèrent que dans ce jour
Il se retirât de la cour ;
Et dans huit de France il fit gille :

Sinon enjoint à bourg à ville,
De lui courir sus comme au loup
À qui chacun donne son coup,
Taloche, on panne, gringuenaude,
Et de lui jeter de l’eau chaude
Indulgence à qui l’occiroit.
Cependant que l’on armeroit
Pour la sûreté des entrées
Et pour l’escorte des denrées.
Ce même jour vinrent ici
Messieurs les bouchers de Poissy,
Disant que par une ordonnance
Le Roi leur a donné vacance,
Et défendu de trafiquer,
Tant qu’il cessât de nous bloquer.
    Le samedi neuf, fut choisie
De la plus leste bourgeoisie
Que l’on pensoit faire sortir :
Mais elle n’y put consentir.
Néanmoins c’étoit la plus leste :
Jugez donc par elle du reste !
Et dès ce jour l’on connut bien
Que la meilleure n’en vaut rien.
Or, ce jour de quelque village
Il vint du pain et du fromage.
Mais que nous causa de tourmens,
Et plus qu’aux plus parfaits amans
L’éloignement d’une maîtresse,
L’absence des pains de Gonesse !
Que quinze cents colin-tampons
Assurèrent être fort bons,
Comme des gardes quelque bande
La pinte de Saint-Denis grande ;
Gardes qui parurent très-fiers
Aux pauvres choux d’Aubervilliers.
    Ce même jour, fut rétablie
La taxe du temps de Corbie,
Avec ordre à chaque habitant
De payer une fois autant ;
Que, pour jouir des bénéfices
Attachés aux premiers offices,
Les conseillers mal agréés,
En six cent trente-cinq créés,
Payeront trois cent mille livres
Dont ils feront charger les livres.
    Ce jour il n’entra pas un bœuf ;
Mais les vaillans princes d’Elbœuf,
Et notamment le duc leur père,
Fort touché de notre misère,
Avec un joli compliment
Se vint offrir au parlement
Pour être le chef de l’armée ;
Et sa valeur fut estimée.
Cette nuit, on fut averti
Que le grand prince de Conti,
Avec le duc de Longueville,
Etoient reçus dans notre ville.
    Monsieur d’Elbœuf fit le serment
De général du parlement,
Dimanche du mois le dixième.
Monsieur de Conti, ce jour même
Vint assurer toute la cour
De son zèle et de son amour ;
Et messieurs firent mine bonne
À cet appui de la couronne
Qui sembloit courbé sous le faix.
On fit ensuite deux arrêts :
Le premier, que Son Eminence
Obéiroit sans résistance
À l’arrêt que rendit la cour
Contre elle le huitième jour.
Enjoint qu’on prenne prisonnière
Toute la nation guerrière,
Autant que nous en trouverons
À dix postes aux environs.
Ordre aux villes, bourgs et villages,
D’en faire de cruels carnages ;
Défense de lui rien fournir,
Que de bons coups à l’avenir.
Qu’en toutes les places frontières
Les garnisons seroient entières ;
Et de ceux qui contreviendroient,

La vie et les biens répondraient.
Par l’autre arrêt on donnait ordre
Aux échevins de ne démordre
Des nobles charges qu’ils avoient,
Et de faire comme ils dévoient.
Au prévôt des marchands de même ;
Et parce qu’il étoit fort blême
Depuis que le peuple zélé
Avoit sur lui crié Tolle,
La cour donna des sauvegardes
Pour sa personne et pour ses hardes.
    Le lundi[4] (si je n’ai menti)
Monsieur le prince de Conti
Fut reçu généralissime
D’un consentement unanime,
Ayant sous lui trois généraux.
Dont on feroit bien six héros
Savoir, le maréchal La Mothe,
Dont la mine n’est point tant sotte ;
Bouillon et le grand duc d’Elbœuf,
Qui dans la guerre n’est pas neuf.
Mais quant au duc de Longueville,
Comme il est d’humeur fort civile,
Il refusa de prendre emploi ;
Et, pour nous témoigner sa foi,
Laissa ses enfans pour otage,
Avec sa femme pour les gages ;
Et c’est tout ce qui nous resta
De tout ce qu’il nous protesta.
    Dès lors Mars, du parti contraire
A celui de son petit frère
(Car si Mars étoit contre nous,
Prince, sans doute c’étoit vous),
Commandoit les troupes royales
Qui fêtérent les bacchanales,
Et qui répandirent du vin
Jusque sur l’autel de Calvin.
À Charenton, dis-je, vos troupes
S’enivrèrent comme des soupes
A votre barbe, à votre nez ;
Force pucelages glanés,
Où quelques jeunes blanchisseuses
Se trouvèrent assez heureuses.
Dans les environs, vos soldats
Firent de notables dégâts,
Des assassinats, des pillages,
Des ravages, des brigandages.
Le comte d’Harcourt à Saint-Cloud
En fit moins, et toujours beaucoup :
Nous n’y pouvions donner remède.
    Lors un président fut fait aide
De monsieur Des Landes-Payen
Qui n’a que le nom de payen ;
Homme utile en paix comme en guerre,
Qui sait jouer du cimeterre,
Et s’escrimer dans un combat,
Bon conseiller et bon soldat.
Il avoit depuis ces vacarmes
Sur les bras tout le faix des armes,
Quand Broussel avec Menardeau
Prirent la moitié du fardeau.
    Le mardi[5], le conseil de ville
Fit un règlement fort utile :
Savoir, que pour lever soldats,
Tant de pied comme sur dadas,
L’on taxeroit toutes les portes,
Petites, grandes, foibles, fortes.
Que la cochère fourniroit,
Tant que le blocus dureroit,
Un bon cheval avec un homme ;
Ou qu’elle donnerait la somme
De quinze pistoles de poids,
Payables la première fois.
Les petites, un mousquetaire,
Ou trois pistoles pour en faire :
Hommes chez le marchand sortans,
Et tout fin neufs, et tout battans.
    Ce jour, en levant sa béquille,
Le gouverneur de la Bastille,
Qu’on nommoit monsieur Du Tremblay,

Lui qui jamais n’avoit tremblé,
Vieil soldat et vieil gentilhomme,
À monsieur d’Elbœuf qui le somme
De lui remettre ce château,
Répondit très-bien et très-beau
Qu’il ne lui plaisoit de le rendre,
Et qu’il prétendoit le défendre.
Mais il ne fut pas si méchant
Que six canons dessus le champ
Ne nous ouvrirent cette place
Sans avoir touché la surface.
Ce n’est pas qu’ils ne fissent pouf,
Que la garnison ne dit ouf,
Qu’elle ne parût sur la brèche,
Qu’elle n’employât poudre et mèche,
Que maint coup ne fût entendu ;
Mais c’est qu’il étoit défendu
Que dans ce beau siège de halle
Aucun côté chargeât à balle,
Qu’il n’eût crié : Retirez-vous !
Autant pour eux comme pour nous ;
Sur les mêmes peines qu’on donne
Au meurtrier d’une personne
Car quiconque eût fait autrement
Auroit péché mortellement,
Tout autant qu’en un homicide.
Un homme moins vaillant qu’Alcide,
Mais certes plus homme d’honneur,
Broussel, en fut fait gouverneur ;
Et son fils, en cette occurrence,
Fut pourvu de la lieutenance.
Le mercredi[6] mis sur pied fut
Le premier régiment qu’on eut.
Sur pied ? Non, j’aperçois que j’erre :
Les pieds n’en touchoient point à terre ;
Nos guerriers étoient sur chevaux
Prêts à fuir devant les royaux.
Ce fut cette même journée
Qu’une petite haquenée
Apporta de notre côté
Alexandre ressuscité,
Ce grand Beaufort, dont la présence
Nous rendit beaucoup d’assurance ;
Ce héros, ce fils de Henri,
Ce brave, ce prince aguerri,
Jusque chez Renard redoutable,
Ennemi juré de la table ;
Ce fameux fléau des Jarzais,
Quand ils causent comme des jais ;
Ce Mars qui bat, qui rompt, qui frappe,
Et perce tout, jusqu’à la nappe ;
Ce prince plus blond qu’un bassin,
Et plus dévot qu’un capucin ;
Qui mit en rut toutes nos femmes
Les honnêtes et les infâmes ;
Baisa toujours et rebaisa :
Car jamais il ne refusa
Ni harengère, ni marchande,
Jeune, vieille, laide, galande,
Qui lui crioient à qui plus fort :
Baisez mi, monsieur de Biaufort !
L’une tendoit un vilain moufle,
L’autre rendoit un vilain souffle :
L’une étaloit ses cheveux blancs,
L’autre ne montroit que trois dents,
Dont l’ébène étoit suffisante
Pour en faire plus de cinquante.
Il en baisa près de trois cent,
Toutes d’un baiser innocent,
Fors une jeune femme grosse
Qui descendit de son carrosse,
Disant : Mon fruit serait marqué.
Car dans le baiser appliqué
Au milieu de sa belle bouche,
Il eut un désir de sa couche,
Et lui demanda rendez-vous,
En la baisant deux autres coups ;
Mais il fut depuis à confesse.
Enfin ayant baisé sans cesse,
Aux lieux publics dans les marchés,

Maints becs torchés et non torchés,
Il fut descendre chez sa mère,
À l’hôtel de monsieur son père.
    Ce même jour, quitta son lit
La Seine, qui des siennes fit,
Et se rendit tellement fière
La belle dame la rivière,
Qui s’étoit laissée engrosser :
Par qui, je vous donne a penser.
Je ne sais si la débordée
En avoit reçu quelque ondée
D’un galant appelé le Temps,
Qui fit le mauvais fort long-temps ;
Mais enfin il est véritable
Que, pour sa grossesse effroyable,
Dès lors il lui convint chercher
Un autre lit pour accoucher.
Elle usa force bois en couche,
Comme je l’ai su de la bouche
De ses marchands mal satisfaits,
Qui n’en tirèrent pas leurs frais.
Le pauvre pont des Tuileries,
Pour en avoir fait railleries,
Fut par elle fort maltraité :
Et quelque moulin mal monté
Eut, proche du pont Notre-Dame,
Le croc-en-jambe de la dame,
Qui le fit aller à vau-l’eau ;
Où firent aussi leur tombeau
Vingt et cinq tant mulets que mules,
Dont les recherches furent nulles ;
Et dix-sept malheureux mortels,
Qui dans l’eau s’avouèrent tels.
Or cessa sa rage et sa haine ;
Et promit madame la Seine
D’être plus chaste une autre fois,
Le dix-huitième de ce mois
Qu’elle parut fort avalée,
Et s’est du depuis écoulée.
    Le lendemain au parlement
Beaufort vint faire compliment ;
Où, haranguant sans artifice,
Il demanda tout haut justice
D’un crime noir et supposé
Dont je suis, dit-il, accusé.
    Le jour d’après, il fut fait quitte
De l’accusation susdite.
Lors le travail recommença,
Et le trafic, que l’on laissa
Pour prendre la noble cuirasse,
Eut son tour et reprit sa place ;
Le mousquet au croc fut remis.
    Le samedi[7], les ennemis
Surprirent par supercherie
Lagny, riche ville de Brie :
Car Persan, leur chef, arrêta
Le maire qui parlementa
Sur la parole de ce traître,
Qui menaça de ravir l’être
Au pauvre maire qu’il retint :
N’étoit que le bourgeois, atteint
De compassion pour son maire,
Embrassant un mal nécessaire
Pour sauver ce vieillard grison,
Reçut enfin la garnison.
    Ce jour même, un abbé très-digne
Issu d’une famille insigne,
Et notre archevêque futur,
Dont le jugement est très-mûr
(Et ce que je trouve admirable
C’est qu’étant savant comme un diable,
De plus comme quatre il se bat,
Quand il croit que c’est pour l’État),
Eut et l’aura, pourvu qu’il vive
En cour voix délibérative.
Il fit depuis un régiment.
    Le dimanche[8] le compliment
Du parlement de la Provence
Qui demandoit notre alliance,
Lu par messieurs, leur plut bien fort.

    Le lundi[9], le duc de Beaufort
Fut fait pair eu pleine audience,
Où comme tel il prit séance.
Ensuite lecture s’y fit
De la lettre qu’on écrivit
À tous les parlemens de France.
Elle fut pliée en présence ;
Et pour la cacheter après,
On fit venir chandelle exprès :
Je pense des huit à la livre :
On mit dessus : Port, une livre.
Dans cette lettre l’on voyoit
Que le conseil d’un maladroit
Avoit pensé perdre à la halle
Toute l’autorité royale ;
Qu’on tâchoit malheureusement
D’anéantir le parlement :
Ce que pour rendre plus facile,
On avoit bloqué notre ville.
Que Paris, embreliquoqué
De se trouver ainsi bloqué,
Avoit besoin de l’assistance
De tout le reste de la France :
Vu qu’il se confessoit troublé
D’être non pas comme en un blé,
Mais sans blé pris et sans farine,
Fort proche d’avoir la famine ;
Et que, s’il ne se repaissoit,
Tout le royaume périssoit.
    Le soir, à cheval troupes fortes
Sortirent par diverses portes,
Pour la sûreté des marchands,
Qui portoient des vivres des champs.
    Le mardi du côté de Brie,
Sortit avec cavalerie
Le généreux prince d’Elbœuf.
Ce fut de janvier le dix-neuf,
Qu’ayant rencontré quelque bande
Des voleurs de notre viande,
Notamment de cinq cents gorets,
Il prit en main leurs intérêts ;
Et, battant ces oiseaux de proie,
Gagna les gorets avec joie,
Que ces animaux par leurs cris
Firent connoître à tout Paris.
    Le mercredi, le vingt, nous sûmes,
Par deux lettres que nous reçûmes,
Que le vaillant comte d’Harcourt
Devant Rouen demeura court,
Bien qu’aux portes de cette ville
Il jurât comme tous les mille :
Cependant que ce parlement
Ordonna d’un consentement
Qu’on prîroit la Reine régente
D’être si bonne et complaisante
De laisser Rouen, tel qu’il est
Défendre seul son intérêt ;
Et qu’ailleurs presseroit sa marche
Harcomt, qui vint au Pont de l’Arche
Monté sur un cheval rohan,
Sans avoir entré dans Rouen.
    Dès ce jour, pour la Normandie
Terre belliqueuse et hardie
Le grand Longueville quitta
Paris, qui fort le regretta.
La cour fit deux arrêts ensuite,
Dont l’un porte que sur la fuite
De beaucoup de particuliers
Sous des habits de cordeliers,
Et d’autres personnes sorties
Que Scarron n’auroit travesties,
On défend grands et petits
De prendre plus de faux habits,
Ni de changer leur seigneurie,
Ne fût-ce que par raillerie ;
Et parce que les partisans
Fuyoient en habits de paysans,
Les Jeans se faisoient nommer Pierres,
Les Pierres, Pauls ; si qu’en ces guerres
Souvent nos portiers, par ce dol,

prenoient saint Pierre pour saint Paul ;
Parce que sous vertes mantilles
Et sous de traîtresses guenilles
Qui receloient maint quart d’écu,
Les maltôtiers montroient le cu
Sans qu’on le sût : tant ces jaquettes
Sur leurs mesures sembloient faites ;
Tant pour eux leur mine parloit,
Et tant rien ne les déceloit ;
Tant avoit de correspondance
Cet état avec leur naissance.
La cour dit qu’on traiteroit mal
Les masques de ce carnaval,
Portant momons hors de la ville :
Permis seulement à Virgile
De sortir ainsi travesti.
Par l’autre arrêt, fut consenti
Qu’on gardât la vieille ordonnance
Pour les soldats, avec défense
Aux gens de guerre de voler,
De brûler ou de violer ;
Ains se contenter de l’étape,
Sans à leurs hôtes donner tape ;
Et que les biens en partiroient
Des chefs qui leur commanderoient.
    Ce jour, les troupes polonaises
Qui ne cherchoient qu’a faire noises
Au bourg de Sevré et de Meudon
(Dieu veuille leur faire pardon !)
Commirent, sans les violences,
Plus d’un demi cent d’insolences.
Dieu, qu’elles ont fait de cocus
Pendant ce malheureux blocus !
Que cette race polonoise,
Mettant Villejuif dans Pontoise,
Nous a laissé d’enfans métis !
Qu’il nous en reste de petits,
Depuis que les grands sont en voie !
Jamais le Grec ne fit dans Troie
Ce que dans Meudon elle a fait ;
Où, sans laisser un seul buffet
Elle rompit avecque rage
Les reliques de ce naufrage ;
Entre autres plusieurs pleins tonneaux,
Tant de vins vieux que de nouveaux :
Action qui fut si vilaine,
Que deux de leurs chefs pour leur peine ;
Par les habitans de ce lieu,
Furent envoyés devant Dieu,
Où je crois qu’ils ne furent guère ;
Car Noé se mit en colère,
Sachant qu’ils avoient maltraité
Le jus d’un fruit par lui planté,
Qui le coucha pour récompense.
    Le jeudi[10], fut lue à l’audience
La lettre que l’on écrivoit,
Le plus humblement qu’on pouvoit,
À la maman de notre sire
Où vous pouvez encore lire
Les raisons que le parlement
Alléguoit de son armement,
Qui sont assez considérables.
    Vendredi[11], contre les notables
Et quelques échevins d’Amiens,
Arrêt fut contre ces chrétiens
Rendu, sur la plainte civile
De l’habitant de cette ville
À la tête caude, et hardi.
L’arrêt portoit, du vendredi
Le vingt et deux de cette année,
Que sur la requête donnée
Sous l’aveu du grand duc d’Elbœuf,
Ce jour-là, vêtu tout de neuf,
L’un de nos chefs, illustre prince,
Gouverneur de cette province,
Que le Picard s’assembleroit,
Et d’autres échevins feroit.
    Ce jour, il arriva deux hommes
De la capitale des pommes,
Qui disoient que leur parlement

Avoit envoyé promptement,
À Leurs Majestés Très-Chrétiennes,
Porter ses très-humbles antiennes.
    Samedi[12], le bruit a couru
Que l’archiduc avoit paru,
Sur les assurances recues
De nos frontières dépourvues,
Dont on tiroit les garnisons
Pour faire au blocus des cloisons.
Le dimanche[13] le vingt et quatre,
Sortirent, tout prêts à se battre ;
Force gens bien faits, gros et gras,
Les cheveux frisés le poil ras,
En souliers noirs en bas de soie,
Tels que ceux qui vont tirer l’oie.
Gageons, prince, que tu m’attends
A nommer nos fiers habitans,
Qui contre la pluie et l’orage
N’avoient porté que leur courage
Et dont ils avoient peu porté,
Pour plus grande légèreté.
Oui je veux chanter la journée
La plus célèbre de l’année,
Depuis dite de Juvisy,
Alors que le bourgeois choisi,
La plupart la plume l’oreille,
Jurant Dieu qu’il feroit merveille,
Et portant la fureur dans l’œil
Marchoit pour assiéger Corbeil,
Si la maison du sieur des Roches
N’en eût empêché les approches.
Sotte et misérable maison,
Qu’on te maudit avec raison !
Juvisy, malheureux village,
Où manqua si peu de courage
Qu’ils en avoient apporté tous,
Sans toi Corbeil étoit a nous.
Le bourgeois alloit en furie,
Joint qu’on avoit cavalerie,
Des fantassins et du canon :
Et puis tu me diras que non !
Ah ! maison de monsieur des Roches,
Que tu nous coûtes de reproches
Pourtant la sortie eut effet :
Le pont de Saint-Maur fut défait,
Tandis que nos gens en désordre
Assez bons chiens s’ils vouloient mordre,
Le lendemain sont revenus,
Ayant la plupart les pieds nus ;
D’autres ayant perdu leurs armes,
Et tous pintés comme des carmes.
Les uns admiroient le danger
Où l’on vouloit les engager,
Encor que de cette bataille
Se sentit la seule futaille
Qu’ils percèrent de mille trous,
Et dont enfin à plusieurs coups
Ils burent dans cette déroute
Le sang jusqu’à la moindre goutte.
Enfin, plus mouillés qu’un canard,
Les enfans criant au renard,
Ils rentrèrent dans notre ville
En faisant une longue file ;
Tantôt formant un entrechas,
Tantôt vomissant sur leurs pas ;
Dont le grand Beaufort, dans son ire,
Ne pouvoit s’empêcher de rire.
    Le lundi[14] ne doit être omis
Qu’on sut qu’en Bretagne un commis
De monsieur de La Meilleraye
N’avoit remporté qu’une baye,
Ayant demandé six milliers,
Tant fantassins que cavaliers.
Que la cour n’avoit fait réponse
Sur la demande de ce nonce ;
Ains défendu que chef aucun
Lève soldats, ne fût-ce qu’un,
Pour monsieur de La Meilleraye,
Contre qui saigne encor la plaie
Et le trou qu’il fit au jabot

D’un crocheteur veut que Chabot,
Qui sous main levoit gens de guerre,
Ait dénicher de la terre
Et cependant qu’aux droits royaux
Soit rejoint le droit des billots.
    Le mardi[15], le sieur La Raillière
Fut pris nouant sa jarretière,
Et mené comme un espion.
L’on ne connoît que trop son nom :
Il est monopoleur en diable,
Auteur de la taxe effroyable
Par qui tant de gens sont lésés,
Dessous le faux titre d’aisés.
Il fut coffré dans la Bastille,
Et fit pénitence à la grille.
    Le mercredi[16] l’on eut avis
Que messieurs de Lyon ravis,
Faisant des accueils favorables
À tous nos arrêts équitables,
Retinrent les gens que pour vous
Amenoit un duc contre nous,
Le grand Schomberg qui prit Tortose,
Et qui pourroit faire autre chose
Que de servir la passion
D’un prodige d’ambition.
    Ce jour, nous eûmes assurance
Qu’un mouchard de Son Eminence
Vint les Chartrains questionner
S’ils se vouloient mazariner :
Que Chartres, entrant en fredaines,
Répondit : Vos fièvres quartaines !
Allez, chien d’espion, an grat.
Jugez s’il retourna bien fat,
La ville en état s’étant mise
De se garantir de surprise.
    Dès lors un régiment botté
Qui n’en étoit pas moins crotté,
Sortit du côté de la Brie ;
D’où vint à notre boucherie
Le lendemain mouton et bœuf,
Que ce beau régiment d’Elbœuf,
Ensemble des blés et farines,
Amena des villes voisines,
En aussi grande quantité
Qu’à Paris il en ait été.
    Ce même jour, chemin facile
Fut fait des faubourgs à la ville,
Comme de la ville aux faubourgs.
Les jours étoient encor très-courts,
Mais cela ne fit point d’obstacle
Qu’un second fils, second miracle,
Né le jour précédent du suc
De monsieur son père le duc
De la duché de Longueville ;
Né dis-je dans l’hôtel-de-ville,
Ne fût Saint-Jean baptisé,
Autrement christianisé,
Ayant la ville pour marraine,
Madame de Bouillon parraine :
Car je n’ose dire parrain,
Puisque c’est un mot masculin ;
Et que ce fut dame la ville
Qui tint le jeune Longueville,
Et qui le nomma Carolus
De Paris, et s’il en faut plus,
D’Orléans ; s’il en faut encore,
Comte de Saint-Paul, que j’honore,
Pour la ville étant le Feron.
    La nuit devant qu’il eut son nom
Les chevau-légers de Corinthe,
Gens à l’épreuve de la crainte,
Sur le chemin de Longjumeau
Rencontrèrent sous un ormeau
Cent deux hommes d’infanterie,
Et deux cents de cavalerie :
Hommes qui n’étoient pas pour nous ;
Sur lesquels et boutte à grands coups
Donna notre petite troupe
Qui pousse, qui bat et qui coupe
Qu’on pousse, qu’on coupe, qu’on bat ;

Qui rend et qui reçoit combat ;
Et fait joliment sa retraite,
La partie étant trop mal faite,
Sevigny commandant pour nous.
    Le jeudi[17] nous apprîmes tous
Que, dans la terre provençale,
La procession générale
Que le peuple d’Aix, bon chrétien
Fit le jour de Saint Sébastien,
Fut interrompue en sa file
Par des soldats entrés en ville
Sous l’ordre du comte d’Alais,
Gouverneur de la ville d’Aix.
Sur quoi la populace fière,
Avec la croix et la bannière, —
Le bénitier et l’aspergès,
Battit ces gens et prit d’Alais.
    Nous sûmes aussi qu’à Marseille
L’on avoit joué la pareille
Au jeune duc de Richelieu,
Arrêté par ceux de ce lieu,
Qui même avoient fait prisonnières
Plus des trois quarts de ses galères.
    Le samedi trentième jour,
De l’ordonnance de la cour,
Les conseillers Doux et Viole
Dont la vertu tient comme colle,
Prirent la poste en maniement.
La cour leur fit commandement
Que passeports ils délivrassent
De toute sorte, et les signassent
Tous deux, ou l’un l’autre absent ; et
(En latin) le greffier Guyet.
    Ce jour, les troupes d’Alexandre
Venant à Bri pour le surprendre
(J’entends vos troupes, grand Condé),
Il nous fut à Paris mandé.
Sur quoi notre cavalerie
Prenant la route de la Brie,
Les ennemis fuirent tout net,
Et pas un d’eux ne remanoit ;
Mais bien une quantité grande
De blés et de vive viande,
C’est-à-dire de bestial,
Qui pour renfort du carnaval
Fut à Paris fort bien reçue,
Et dont la ville fut pourvue.
    Lors on tira des fuseliers
Des colonelles des quartiers :
Et de la noble bourgeoisie
Il alla quelque compagnie
Pour faire garde à Charenton ;
Tandis qu’on menoit, ce dit-on,
La garnison faire ses orges
Devers Villeneuve-Saint-Georges,
Et d’autre à Bri-Comte-Robert,
Qu’on craignoit qui fut pris sans vert.
    Le dimanche[18] monsieur Tancrède
Fut blessé d’un coup sans remède,
Blessé, dis-je, d’un, coup mortel ;
L’issu du côté paternel
Du feu duc de Rohan son père,
Si l’on en croit sa chaste mère[19].
Au reste, un enfant très-bien né,
Aussi vaillant qu’infortuné.
Il donnoit beaucoup d’espérance ;
Mais le mauvais destin de France
Prit mal à propos le toupet
Contre un jeune homme si bien fait,
Qui portoit toupet sur sa tête,
Comme l’on voit dans sa requête.
Voyons donc comme il a péri.
Il revenoit avec Vitry,
Noirmoutier et d’autre noblesse,
Quand pour sa première prouesse,
Et pour achever son roman,
Il rencontra quelque Allemand
De la garnison de Vincenne,

Qu’il suivit à perte d’haleine ;
Mais il s’engagea trop avant.
Les ennemis étoient devant,
Qui, sans considérer son âge,
Le traitèrent avecque rage,
Parce qu’il avoit presque occis
De leurs cavaliers cinq, ou six ;
Ils le chargèrent, le blessèrent,
Et dans Vincennes le traînèrent,
Où le lendemain son décès
Finit sa vie et son procès.
Lors on eut avis véritable
Qu’à Saint-Germain (chose effroyable),
Monseigneur, vous aviez nus mis
Tous les gens crue vous aviez pris ;
Et que, sans bal et sans raquette,
Ils étoient en grande disette
Enfermés au tripot du lieu,
N’ayant réconfort que de Dieu.
    Le lundi[20], première journée
Du second mois de cette année,
Vous fîtes le déterminé :
Dont il prit mal à Fontenay,
À Sceaux, Palaiseau, belle terre
Où vos barbares gens de guerre
Firent ès maisons à clochers
Pis que n’auroient fait des archers,
Ou les voleurs de Saint-Sulpice :
Car ils prirent jusqu’au calice,
Pissèrent dans le bénitier,
Assommèrent un marguillier,
Des surplis firent chemisettes,
Et burent le vin des burettes ;
Prirent le livre d’oremus,
Qu’ils ne respectèrent pas plus.
Le mardi[21] n’est pas remarquable.
Jeudi quatre, sortant de table
Où l’on servit force rôti
Monsieur le prince de Conti,
Suivi d’une grande cohue,
Fit faire à ses gardes revue,
Où se trouva monsieur d’Elboeuf
Qui n’avoit pris qu’un jaune d’œuf,
Tant son ardeur infatigable
Le laissoit peu dormir à table.
Jour que pour nous faire du mal,
Sachant que force bestial
Nous venoit du côté de Brie,
Blé, farine, autre drôlerie
Qui sauvoit Paris de la faim,
Et qui rompoit votre dessein,
Vous pensâtes mourir de rage.
Et pour nous boucher ce passage,
Ayant en vain attaqué Bri,
Qui n’étoit votre favori
Depuis qu’à vos belles cohortes
Il avoit refusé les portes,
Vous tournâtes vers Lesigny,
Chateau jadis à Conchini,
Où de la canaille rustique,
Ce jour, vos gens fit la nique ;
Et quelques soldats au milieu,
Venus de Bri, voisin du lieu,
Répondirent avec rudesse :
Je sons valets de Son Altesse,
Ce sera pour une autre fois.
    Ce fut le cinquième du mois
Que quelques troupes ennemies,
Pour poursuivre leurs voleries
Elle dégât du plat pays,
Prirent leur vol de Saint-Denis.
Hélas ! que tu dus être en trance
Pauvre Mesnil, madame Rance !
Ce jour c’étoit à toi le dés :
Tes murs n’étoient pas bien gardés,
Ils mirent au fil de leurs lames
Enfans, vieillards, hommes et femmes,
Et firent actes de larrons
Par tous les bourgs aux environs.
    C’est ce jour, si je ne me blouse,

Que l’archevêque de Toulouse
Revint ici de Saint-Germain.
Mais non, ce fut le lendemain.
Nenni ce fut ce jour-là même
Qu’étant allé dès le troisième
Y faire prédication
De notre bonne intention,
En guise d’une remontrance,
Il ne put avoir audience ;
Et, sans qu’on l’ouït, il avint
Que le zélé prélat revint.
    Ce jour mérite quelque note,
Puisque le maréchal La Mothe
Et le vaillant duc de Beaufort,
Qu’on appeloit Frappe-d’abord,
Sortis avec cavalerie
Pour purger les chemins de Brie
Des picoleurs de Saint-Denis,
Virent près les bois de Bondis
Une forte troupe et très-grande
De cavalerie allemande.
Demander si nos généraux
Furent aussitôt à leur dos,
C’est péché mortel que ce doute.
L’Allemand fut mis en déroute,
Après s’être bien défendu :
Jusque là même qu’un pendu,
Le capitaine de la troupe
(Quand j’y songe ma voix s’étoupe)
Vint tirer à brûle-pourpoint
Notre duc, qui ne branla point ;
Mais d’un revers de cimeterre
Renversa ce reître par terre
Les uns disent de pistolet.
Enfin le coup ne fut pas laid :
Le drôle en est au cimetière,
Et mord fièrement la poussière.
    Le sept, par vous, brave Condé,
Le duc d’Orléans secondé
Ayant tiré des voisinages,
Des villes, bourgs, châteaux, villages,
Autant de troupes qu’il en put,
Sans que Paris débloqué fût,
Il fit bien de cavalerie
Trois mille, et cinq d’infanterie,
Qui filèrent toute la nuit
Vers Charenton à petit bruit.
    Lundi huit, l’Aurore éveillée
Vous trouva dans une vallée
Que nous appelons tous Fécamp,
Où le-voleur est très-fréquent
Durant tous les mois de l’année :
Mais où devant cette journée
Jamais tant il ne s’en compta
Que dans ce jour elle en porta.
Là votre gros prit sa séance,
Et se saisit de l’éminence,
Tandis que quelque régiment,
Détaché par commandement,
Alla pour donner l’escalade
À la malheureuse bourgade.
A tant qu’aucun fût assommé,
Clanleu par vos gens fut sommé
De leur remettre cette place,
Qui ne leur fit pas cette grâce ;
Et sur l’heure les assiégeans
De cette bravade enrageans,
Occupèrent les avenues,
Que nos canons rendirent nues.
Sans mentir, le coup le premier
Les fit plus nettes qu’un denier ;
Le second rompit quatre cuises
Le troisième tua deux Suisses.
Navarre, brave régiment,
Lâcha le pied vilainement.
Vingt de ses officiers à terre
Maudirent mille fois la guerre
Qui les envoyoit chez Pluton
Devant un chétif Charenton.
Votre Altesse ayant su l’escarre
Qui s’étoit faite de Navarre,
Pensa crever dans son pourpoint ;

Pourtant elle ne creva point,
Sur l’espérance de combattre
Le badaut qu’on tenoit à quatre
Qui comme un diable juroit Dieu
Qu’il vouloit secourir ce lieu.
Il disoit d’elle peste et rage,
Cependant qu’avec avantage
Elle attendoit ceux de Paris
Comme le chat fait la souris.
Se fiant sur son éminence,
Elle avoit grande impatience
De tâter le pouls au bourgeois,
Qui ne sortit point cette fois.
Il est prudent, et craint la touche :
Joint qu’il n’aime point la cartouche,
Et qu’elle en avoit fait charger.
Paris n’en vouloit point ronger,
Et certes avec que prudence,
Puisqu’on dit que cette éminence
Se pouvoit aussi peu forcer
Que l’autre se pouvoit chasser.
Votre Altesse faisant fanfare
Commit, pour soutenir Navarre,
Chatillon avec du renfort,
Ou plutôt pour chercher la mort :
Car, hélas au bas de son ventre
Une balle de mousquet entre,
Sans respecter ce duc nouveau,
Jeune, vaillant, adroit et beau.
Tôt après vos troupes filèrent ;
Par des jardins qu’elles forcèrent,
Si qu’il convint à nos soudars,
Environnés de toutes parts,
De faire une retraite honnête :
Ce ne fut pas sans casser tête
Et percer maints et maints boyaux
De maints et maints et maints royaux.
Clanleu, devant qu’il devînt ombre
En tua de sa main grand nombre
Tant que lardé de plusieurs coups,
Ce brave prit congé de nous
Et finit vaillamment sa vie
Par une mort digne d’envie ;
Ayant devant mis par quartier
Un qui lui présentoit quartier.
Charenton se rendit ensuite ;
La garnison se mit en fuite,
Qu’on tâchoit de secourir, quand
Il fallut passer par Fécamp :
Ce qui n’étoit pas fort facile
A nos petits messieurs de ville.
Le jour que fut pris Charenton,
Rêvant en soi-même Gaston
Sur l’importance de la perte
Qu’à sa prise il avoit soufferte.
Sur sa conquête il raisonna,
Et par conseil l’abandonna,
Comme pour son trop d’étendue
Ne pouvant être défendue.
Il sort, et seulement il rompt
Le passage qui mène au pont.
Ce fait, vos troupes défilées
Vers Nogent prirent leurs volées ;
Nogent-sur-Marne, que vos gens
Plus impiteux que des sergens,
Surprirent, pillèrent, brûlèrent,
Et puis après se retirèrent.
    Le mercredi[22], notre support
Sortit de grand matin, Beaufort.
Il avoit la puce à l’oreille ;
Aussi ce jour fit-il merveille :
Car dès qu’à Charenton il fut
L’ennemi soudain disparut,
Et lui présentant le derrière
Se retira sur la rivière
Dans des moulins proches du pont,
Où notre prince actif et prompt,
Ayant mandé l’artillerie
Pour battre cette infanterie
Au nombre de deux à trois cent,

Reçut un avis plus pressant
Qui le fit dénicher bien vite :
Car il sut qu’avoit pris son gite
À Linas le fameux convoi
Qu’Etampe[23] envoyoit par charroi :
Noirmoulier lui prêtoit main-forte :
Mais pour une plus sûre escorte
La Mothe-Houdancourt et Beaufort
(C’étoit à qui courroit plus fort)
Etoient déjà dessus la voie,
Quand un avis on leur envoie,
Que le maréchal de Gramont
S’avançoit en pas de Gascon
Pour les couper sur leurs passages.
Nos généraux, prudens et sages,
Vinrent en ordre martial
Recevoir.ce grand maréchal,
Qui montra bravement la croupe
(Dit la chanson) avec sa troupe,
Bien qu’elle fût de cinq milliers,
Tant fantassins que cavaliers :
Laissant témoins de sa disgrâce
Plusieurs officiers sur la place,
Entre lesquels il dit adieu
Au brave colonel Noirlieu,
Qui, savant au fait de la guerre,
N’en fut pas moins porté par terre,
Quoiqu’armé comme un jaquemart ;
Et, malgré les ruses de l’art,
S’abattit en faisant une esse
Dessous Beaufort de qui l’adresse
Lui porta l’épée au gosier :
Coup qui l’empêcha de crier
Contre notre guerre civile,
Et d’embrasser cet autre Achille,
Ce Beaufort, dont l’illustre bras
Combloit de gloire son trépas.
Beanfort, dis-je, qui tête nue,
Sans armes que celle qui tue,
N’ayant qu’un buffle sur le corps,
Affronta ce jour mille morts,
Les poussa, leur dit pis que pendre,
Sans qu’elles osassent le prendre.
Ce fut lors que notre bourgeois
Fut aux champs la seconde fois,
Sur le bruit de cette rencontre.
Chacun d’eux fort zélé se montre :
Ils vont, ils volent au secours ;
Et l’on n’entend dans leurs discours
Quc vivent Beaufort et La Mothe !
Il n’en est pas un qui ne trotte,
Et se trouvent ainsi trottans
Plus de trente mille habitans,
Dont l’ardeur fut bien rengainée
Trouvant la bataille gagnée,
Et la victoire qui rioit
De nos bourgeois, qu’elle voyoit
Pester et se gratter la tête
De n’avoir été de la fête :
Jurant, pour faire les méchans,
Contre le prévôt des marchands.
Soit que madame la Victoire
Eût rappelé dans sa mémoire
Juvisy, que ces bons soldats
Ont promis de ne passer pas,
Et dont ils étoient sur la route :
Bref, ils revinrent sans voir goutte
Confondus avec les pourceaux,
Les moutons, les bœufs et les veaùx.
Il faisoit beau voir en bataille
Cinq cents gorets de belle taille :
Leur bataillon sage et discret
Laissoit un étron à regret ;
Mais pour mieux observer son ordre,
Chacun d’eux passoit sans le mordre.
Ensuite on voyoit les moutons
Qui faisoient mille plaisans bonds,
Et s’avançoient en criant baye,
Que reçut Saint-Germain-en-Laye.
Nos chefs entrèrent les premiers

Avecque force prisonniers.
    Le jeudi[24] fut pris La Valette,
Fruit de l’épernone brayette,
Mais de ces fruits qui sont bâtards.
Il fut pris semant des placards,
Placards qu’il croyoit pour récolte
Devoir produire une révolte,
Et qui n’eurent aucun effet,
Si ce n’est que par eux fut fait
À cet homme pourpoint de pierre,
Qu’il eut le reste de la guerre.
    Ce jour, certains du parlement
Parlèrent d’accommodement.
Mais soit qu’ils n’eussent pas puissance,
Soit pour la raison de l’absence
De nos chefs, la cour fut d’avis
Qu’au lendemain tout fut remis.
    Le vendredi[25], le héraut d’armes
Me fit rire jusques aux larmes,
Lorsque je le considérai
Vers la porte Saint-Honoré,
Au matin qui faisoit maint cerne
Comme pour invoquer l’Averne.
Je le vis qui faisoit trois tours,
À peu près comme font ces ours
Qu’on fait, montrer à la jeunesse,
Et qu’un bateleur mène en lesse.
Après avoir pirouetté,
Il demanda d’être écouté.
Mais messieurs sans faire réponse
Laissèrent ce bizarre nonce,
Ordonnant qu’il falloit mander
Nos généraux pour procéder,
Et que par une tolérance
La Mothe auroit aussi séance.
Nos généraux étant venus,
Il fut dit qu’on feroit refus
D’introduire cette toupie,
Qui ne manquoit pas de roupie ;
Et que messieurs les gens du Roi
Iroient lui citer une loi
Qui défendoit d’ouvrir la porte
A pas un homme de sa sorte,
Vu qu’ils n’étoient point ennemis
Ni souverains, mais très-soumis
Aux volontés de leur monarque
(Réponse digne de remarque,
Et qui dut rendre bien camus
Le héraut qui ne tournoit plus).
Les mêmes iroient vers la Reine
Dire que ce n’est pas par haine
Qu’on a fait geler son héraut :
Que messieurs ont fait comme il faut ;
Que c’est marque de leur science,
Et non de désobéissance.
Selon qu’il fut dit il fut fait ;
Et le héraut, mal satisfait,
Mit son cheval à l’écurie
Dans la prochaine hôtellerie.
Mais pour aller à Saint-Germain
Monsieur Talon baisa la main :
Il repassoit en sa mémoire
Qu’il n’eut pas seulement à boire
La première fois qu’il y fut :
Ce qui fit qu’il se résolut
D’écrire pour son assurance.
Cependant le héraut de France
Qui fit un médiocre écot,
Mais qui dormit comme un sabot,
Ayant encor tourné de même,
Partit le samedi treizième[26] ;
Et devant plier son paquet,
Laissa sur la barre un paquet,
Qui demeura cette semaine
Entre les mains du capitaine.
    Ce même jour, le fils puîné
D’un potentat infortuné
Fut reçu dedans notre ville,
Où sa mère avoit pris asyle
Contre la fureur de l’Anglois,

Infâme bourreau de ses rois.
    Le quatorzième et le dimanche,
Par un prélat à barbe blanche
Fut sacré monsieur de Bayeux :
Tandis qu’un édit rigoureux,
Qui fut fait en l’hôtel-de-ville,
Ordonna (chose très-utile)
Aux chefs et maîtres des maisons,
Nonobstant toutes leurs raisons,
De porter eux-mêmes en garde
Pique, mousquet ou hallebarde,
Et d’être chez leurs officiers
Aux mandemens particuliers ;
De venir quand on les appelle
En faction ou sentinelle,
Selon l’ordre du caporal,
Qui bien souvent est un brutal ;
Toujours ignorant, par fois ivre.
Mais bien qu’il ne sache pas vivre,
Fit-il en commandant un rot,
Il faut suivre sans dire mot,
Et là prendre mainte roupie
Si le caporal vous oublie,
S’il cause, s’il dort ou s’il boit,
Sans oser sortir de l’endroit
Où pour sentinelle il vous pose,
Tant qu’il boit, qu’il dort ou qu’il cause.
Or, le lundi quinzième jour,
Le vaillant La Mothe-Houdancourt
Au parlement prit sa séance,
Et depuis, en toute occurrence ;
Fut conseiller ad honores.
    On eut avis, le jour d’après,
Que de Soissons l’échevinage
Partit pour un pèlerinage
Qu’il alloit faire à Saint-Germain :
Le lieutenant, homme de main,
S’étant mis très-fort en colère,
Avoit fait faire un autre maire,
Et créé nouveaux échevins.
Que ces premiers furent janins,
Lorsque, la gueule enfarinée,
Par une belle après-dînée
Étant à Soissons retournés,
On leur ferma la porte au nez !
Quelqu’un d’entre eux prit la parole ;
Mais zeste, comme il a pris Dôle
Les portiers sont sourds à sa voix,
Et partout visage de bois.
    Ce fut cette même journée
Qu’à sept heures la matinée,
Messieurs n’étant point assemblés,
Il vint de Chartres force blés
Que fit apporter La Boulaye,
Que quelques vendeuses de raie,
Qui l’allèrent remercier,
Nommoient leur père nourricier.
De fait, ce contrôleur des halles
Esquivant les troupes royales,
Alloit à la provision
Plus souvent qu’à l’occasion.
Les gens du Roi, le dix-septième,
Sous un passeport du seizième,
S’étoient déjà mis en chemin,
Et s’en allaient à Saint-Germain
Dire à la Reine en bonne amie,
Que par mépris ce ne fut mie
Que son héraut ne fut admis ;
Et qu’il falloit bien qu’elle eût pris
Messieurs pour des niais de Sologne,
Quand devers, le bois de Boulogne
Nos gens virent venir d’amont
Le courtois maréchal Gramont,
Qui leur venoit offrir main forte,
Et qui leur fit toujours escorte.
    Jeudi[27], le gouverneur de Bri,
Qui depuis le fut de Saint-Pry,
Connu sous le nom de Bourgogne,
Sur le régiment de Bourgogne
Sortit avec quelques chevaux,

Et fut vainqueur en peu de mots :
Car si de toutes vos défaites
Vous me demandiez des gazettes,
Il faudrait être Renaudot,
Qui les donne à son fils en dot ;
Avoir les mêmes avantages,
Ses lieux communs et tous ses gages.
Ce jour même, il nous fut mandé
Que le beau-frère de Condé,
Longueville l’inébranlable,
Refusoit d’être connétable.
Que cela fût en son pouvoir,
Je ne sais ; mais il dut savoir
Que tel qui refuse après muse,
Si le proverbe ne s’abuse.
    Ce jour, au parlement on lut
La lettre qui surprise fut,
Et que, par quelque manigance,
Écrivoit à Son Éminence
Le grand homme monsieur Cohon,
Dont, si vous abrégez le nom,
Il reste un mot plein d’infamie,
Qui fait tort à sa sainte vie.
Il fut dit qu’on l’observeroit,
Et gardes on lui donneroit,
Comme à monsieur l’évêque d’Aire,
Qu’on croyoit être du mystère ;
Qu’en outre on prendroit au collet
Un conseiller du châtelet,
Laune, qui, gagnant la guérite,
N’attendit pas cette visite.
    Ce jour[28] l’archevêque régla,
Et par son règlement sangla
Messieurs de jeûne et de carême,
Qui s’en venoient face blême,
Victorieux du carnaval,
Seconder le parti royal,
En nous ôtant la bonne chère.
Mais la farine étoit trop chère :
Ce qui fit que notre pasteur,
Usant envers nous de douceur,
Par une forme d’indulgence,
Et sans tirer conséquence,
Nous accorda de manger œuf,
Mouton, goret, volaille et bœuf,
Fromage, veaux, agneaux, éclanche,
Lundi mardi, jeudi, dimanche ;
Et du poisson les mercredis,
Les vendredis et samedis,
Et toute la sainte semaine :
Temps qu’il laissa sous le domaine
D’un carême très-rigoureux,
Qui fut tout le reste aux chartreux,
Ou qui du moins y devoit être.
Mais il se vint camper, le traître,
Chez quelques pauvres habitans,
Qui, disent-ils, devant ce temps
Jamais si long ne le trouvèrent,
Et dèsles Rois le commencèrent :
Si bien qu’en mangeant son hareng,
Par un effet bien différent,
Sans jours gras le gueux fit carême.
Le riche n’en fit pas de même
Car ayant toujours force plats,
Sans carême il fit les jours gras.
    Le vendredi[29] dans l’assemblée,
Les gens du Roi vinrent d’emblée.
Ils retournoient de Saint-Germain.
Lors ils dirent l’accueil humain
Qu’ils avoient reçu de la Reine,
Qui sans leur témoigner de haine,
Leur avoit fait civilité,
Et promis une infinité
De faveurs et de bienveillance,
Dès que par leur obéissance
Messieurs du Palais prouveraient
Les respects dont ils l’assuroient ;
Et que, s’ils tenoient leur promesse,
Ils auroient du pain de Gonesse.
    Cependant[30] l’agent arriva

Que l’archiduc nous envoya,
Et dont, disoit la harengère,
Il porte la paix, ma commère.
Il venoit faire compliment
A notre auguste parlement ;
Et ce fut ce jour que le drôle
Nous fit voir sa trogne espagnole :
Jour que, recru de son travail,
Il ne prit qu’une gousse d’ail,
Tant il avoit d’impatience
D’être bientôt à l’audience,
Où, la main dessus le rognon,
Il laissa tomber un oignon,
Comme il tiroit de sa pochette
Une missive assez bien faite,
Qu’avoit écrite l’archiduc,
Dont je vous donne tout le suc.
    « Du dix février à Bruxelle,
Je, l’archiduc, vous écris celle
Que vous rend le présent porteur ;
Je suis le garant et l’auteur
De tout ce que dira cet homme.
De ce qu’il dit voici la somme :
L’archiduc parle par ma voix ;
Il m’envoie offrir aux François
Une paix qu’ils ont souhaitée
Et qu’on a toujours rejetée.
Lors il se mit à dire mal
Contre monsieur le cardinal,
En accusant son ministère ;
Et dès qu’il lui plut de se taire,
La cour dit qu’il mettroit au net
Ce qu’il a dit, ce qu’il a fait ;
Et cependant, dans la semaine,
Qu’on députeroit vers la Reine
Pour l’instruire de tout cela,
Et prier par ce moyen-la
De ne faire pas la Normande :
Ains comme la cour lui demande,
Et qu’à messieurs les gens du Roi
Elle donnât jeudi sa foi ;
Prendre des sentimens de mère
Pour un peuple qui la révère,
Et finir un triste blocus
Qui ne fait rien que des cocus. »
    Le samedi[31], cent trois charrettes
De blés et de farines faites
Renforcèrent nos magasins,
Malgré messieurs les mazarins.
Ce convoi nous vint de la Brie
Au nez d’une troupe ennemie,
Et fut conduit par Noirmoutier,
Homme savant dans le métier,
Et qui, dans cette conjoncture,
Garantit fort bien sa voiture
Des mains du comte de Grancé,
Où le combat fut balancé.
Mais nous eûmes victoire entière,
Peu de nos gens au cimetière,
Encor que le choc fût très-chaud ;
Monsieur de La Rochefoucauld
Et monsieur de Duras le jeune,
Blessés par mauvaise fortune.
    Ce même jour, les ennemis
Traînèrent canons plus de six,
Dont ils firent battre en ruine
Le château de monsieur de Luyne,
Lusigny, qui le lendemain[32]
Fut pris, et tout son saint-crépin.
Le lundi[33], la troupe royale
Fit gribouillette générale
Aux environs de Montlhéry :
J’en suis encor tout ahuri.
Piller, brûler autour de Châtre,
Battre son hôte comme plâtre,
Ce sont ses péchés véniels.
Quels seront ses péchés mortels ?
Enfin ayant su que les nôtres,
Qui vivoient comme des apôtres,
Vcnoient avec elle compter,

Elle voulut bien se hâter :
Et la crainte de rendre compte
Lui fit faire retraite prompte.
    Ce même jour, les députés
Du parlement s’étant bottés,
Allèrent par mer et par terre
Chercher la reine d’Angleterre,
Pour mêler ensemble leurs pleurs
Et pour compatir aux douleurs
De cette princesse affligée
Que les Anglais ont outragée,
Décollant le Roi son époux.
Bon Dieu ! ces peuples sont-ils fous,
Ensorcclés, mélancoliques,
Hypocondres ou frénétiques ?
Ont-ils le diable dans les reins,
D’occire ainsi leurs souverains,
Comme ils viennent de faire à Londre ?
L’enfer les puisse-t-il confondre
Mais consolez-vous, grand roi mort,
Et prenez quelque réconfort.
Votre Majesté n’est pas seule :
La reine Stuart votre aïeule
Eut aussi le sifflet coupé.
L’on dit que, sans avoir soupé,
Ce peuple, en qui malice abonde,
L’envoya dormir hors du monde :
Elle est encore à s’éveiller.
Pour vous qu’il a fait sommeiller,
Noble prince, illustre victime
De sujets enhardis au crime,
Et qu’on a vu jouer deux fois
À coupe-tête avec leurs rois ;
Daignez nous dire la lignée
Qu’à votre femme si bien née,
Et fille de Henri-le-Grand,
Vous laissâtes lors quand et quand.
N’est-ce pas six. dont la plus grande
Se tient à La Haye en Hollande :
Le prince de Galles l’ainé
Qui dans l’Écosse est couronné ;
Le duc d’Yorck et sa cadette,
Qui dans Paris font leur retraite ;
Deux autres qui chez les Anglois
Soupirent depuis plusieurs mois ?
    Le mardi[34], pour leur assurance,
Nos députés a l’audience
Reçurent des passe-partous.
Mercredi vingt et quatre, tous
Messieurs assemblés appelèrent
Les noms de ceux qu’ils députèrent.
Le premier, président Molé,
Après lequel fut appelé
Monsieur le président de Mesme,
Viole de la chambre même.
Ensuite de ces trois fut hoc
Menardeau, Catinat, Le Cocq,
Cumont, Palluau des enquêtes,
Avec Le Fèvre des requêtes.
Dans le Cours, monsieur de Saintot
Vint au devant d’eux au grand trot,
Avec ordre de les conduire,
Sans qu’il fût permis de leur nuire,
Jusques au château de Ruel ;
Ordre qui pourtant ne fut tel,
Qu’étrangère cavalerie
N’eût l’audace et l’effronterie
De rôder en montrant les dents
Près du char de nos présidens.
Enfin notre ambassade arrive,
Et l’on la soûla comme grive
À Ruel, d’où le lendemain
Elle partit pour Saint-Germain.
Ce même jour, sur l’assurance
Que les royaux en abondance
Par le pont de Gournay filoient,
Et que Bry siéger ils alloient,
Lors, pour le succès de nos armes
Nos chefs oyoient vêpres aux Carmes :
Où, sachant que les ennemis

Devant Bry le siège avoient mis,
Ils sortirent de notre ville,
Ayant à leur suite onze mille,
Tant cavaliers que fantassins.
Si vous demandez leurs desseins,
Les voici. L’armée ennemie,
Étant ce jour-là dans la Brie,
Ils alloient d’un autre côté ;
Et, pour dire la vérité,
Nos chefs dans ces derniers bagarres
Ne firent que jouer aux barres.
Étiez-vous devers Charenton,
Nous vous cherchions devers Meudon.
Et si des deux partis le nôtre
Rencontra quelquefois le vôtre,
Où l’on fit de petits combats,
Ce fut qu’on ne s’entendit pas :
Ce fut par malheur ou bévue
Par une rencontre imprévue,
Par quelques soldats trop vaillans,
Par des espions un peu lents.
Parfois dans quelque caracole,
Souvent contre votre parole,
Et toujours contre nos desseins,
Nous en sommes venus aux mains.
Mais pour cette fois notre armée
Ne fut jamais plus animée,
Et vous fîtes bien d’être ailleurs,
Pour éviter de grands malheurs.
Or, trêve de la raillerie,
Tandis que vous fûtes en Brie,
Nos généraux tenant les champs
Ce jour et les autres suivans,
Donnèrent temps à tout le monde
D’aller et courir à la ronde
Chercher infinité de grains
Dont nos greniers furent si pleins,
Que j’en sais plusieurs qui crevèrent
Des quantités qui s’y trouvèrent.
Les jours suivans[35], furent vendus,
Selon plusieurs arrêts rendus,
Les meubles de Son Eminence,
Qui, bien que pleine d’innocence,
Et qu’elle eût protesté d’abus,
Il n’en resta pourtant rien plus.
Le vendredi[36], l’on a nouvelle,
Qui pour nous n’est bonne ni belle,
Que le sieur comte de Grancé
Sans que nous l’eussions offensé,
Avoit mis un siége funeste
Devant Bry[37], le seul qui nous reste ;
Et qu’a l’abord le gouverneur
Nommé Bourgogne, homme d’honneur,
Avoit fait jusqu’à l’impossible
Percé l’ennemi comme un crible,
Et bien rabattu son caquet
À coups de canons et mousquet ;
Mais qu’enfin une large brèche,
Le manque de poudre et de mèche,
Et le désespoir du secours
(Qui ne pouvoit pas avoir cours,
A cause des mauvais passages,
Des défilés et marécages
Que nous ne pouvions pas gauchir,
Et que nous pouvions moins franchir,
Praslin tenant les avenues,)
Faisant sauter Bourgogne aux nues,
Il avoit fait un bon traité :
Car tel il lui fut protesté.
Mais, las ! ceux qui tenoient le siège
Se servirent du privilége
Qui permet à tous les Normands
De ne tenir point leurs sermens ;
Puisque contre la foi promise
Ils mirent tous nus en chemise
La plus grand’part de nos soldats,
Qui revinrent les chausses bas.
    Ce fut au cul[38] de la semaine
Que nos députés vers la Reine
Au parlement sont revenus,

Où devant sénateurs chenus,
Et tous nos chefs à l’audience
Ayant pris chacun leur séance,
Là de leur députation
Ils firent exposition,
Et rapportèrent que la Reine
Avoit dit : Je n’ai point de haine ;
Et si j’osois boire du vin
Nous boirions ensemble demain.
Cependant nommez commissaires
Qui soient plénipotentiaires,
Tant pour la générale paix,
Que pour décharger de son faix
Le pauvre peuple de la France :
Et pendant notre conférence
Ceux qui vous portent à manger
Pourront passer sans nul danger.
Ce que la cour trouva très-juste ;
Et notre parlement auguste
Conclut qu’en un certain endroit
Des députés on enverroit,
Et même qu’avant leur sortie
La Reine en seroit avertie.
Pour cet effet, les gens du Roi
S’y firent traîner par charroi.
    Le dimanche[39] quelque canaille,
Dont le feu fut un feu de paille,
Fit manière d’émotion
Qui tendoit à sédition.
Elle en vouloit à la soutane,
Et prit, je crois, pour une canne
Monsieur le président Thoré,
Qui fut à peine retiré
Des griffes de notre fruitière,
Qui le traînoit à la rivière.
    Le lundi premier jour de mars,
Je fus coursé de toutes parts,
Sans apprendre aucune nouvelle.
    Le mardi[40], nous reçûmes celle
Qu’écrivoit le duc d’Orléans,
Laquelle ouverte, on lut dedans
Que c’étoit chose très-certaine
Que la volonté de la Reine
Etoit de fournir tous les jours
Que la conférence auroit cours,
De blés une quantité fixe,
Ni plus courte ni plus prolixe,
Tant par jour seulement. Sur quoi
La cour voulut qu’aux gens du Roi
On eût à porter cette lettre,
Vu qu’ils étoient venus promettre
A leur retour de Saint-Germain
Bien plus de beurre que de pain,
Et des passages l’ouverture :
Ce qui n’étoit qu’une imposture ;
Et qu’ils priroient Leurs Majestés
De faire jour de tous côtés,
Et de nous ouvrir les passages,
Vu qu’ils sont de Dieu les images,
Qui ne nous les boucha jamais,
Et qui se dit Dieu de la paix.
Bref, qu’ils rompent la conférence
Sur cet article, avec défense
D’entrer en aucun pourparler,
Ains commandement d’enrôler
Par les provinces et les villes
Des soldats tant que tous les milles.
    Ils revinrent le trois de mars,
Moins gais que devant des trois quarts,
N’ayant pu tirer de la Reine
Rien qu’une mesure certaine
De muids de blés réduits à cent,
Par chaque jour pour notre argent :
Dont seroit faite délivrance,
Moyennant que la conférence
Commençât dès le lendemain.
Sur quoi messieurs amis du pain
Conclurent qu’une paix de verre
Valoit mieux qu’une forte guerre,
Qu’un soupir valoit moins qu’un rot,

Qu’un casque valait moins qu’un pot,
Une brette qu’une lardoire,
Coup à donner que coup boire,
Et que le corps d’un trépassé
Valoit bien moins qu’un pot cassé ;
Un cabaret mieux qu’une garde
Une plume qu’une hallebarde ;
Mourir soûl que mourir de faim
Voulant que dès le lendemain
Nos députés fussent en voie.
    Ce jour, nous eûmes de la joie
D’apprendre qu’à la fin du temps
Nos soldats faisoient battre aux champs,
Eux que pour leur long domicile
On nommoit les soldats dé ville.
Voyons où s’adressa leur pas :
Ce fut où vous ne fûtes pas.
Ils campèrent près de la Seine
En toute bourgade prochaine,
Et se rassurèrent un peu,
Ayant de l’eau contre le feu :
Avec un pont sur la rivière,
Par où, par devant, par derrière,
De tous côtés, à gauche, à droit,
S’enfuir quand l’ennemi viendroit :
Pont que pour garantir d’embûche,
Et d’être brûlé comme bûche,
Bref, pour le sauver de tout tort,
Aux deux bouts ils firent un fort.
    Le jeudi[41], se bottifièrent,
Et pour faire accord s’en allèrent,
Le premier président Molé ;
Dont je vous ai déjà parlé,
Monsieur le président de Mesme,
Dont je vous ai parlé de même ;
Les Nesmond et les Le Coigneux,
Présidens au mortier tous deux ;
Deux conseillers de la grand’chambre
Dont la vertu sent meilleur qu’ambre :
Messieurs Longueil et Menardeau,
Pour qui je veux faire un rondeau ;
Des enquêtes, monsieur La Nauve,
Homme de bien, ou Dieu me sauve ;
Monsieur Le Cocq, monsieur Bitau
Messieurs Viole et Palluau,
Monsieur Le Febvre des requêtes,
Briçonnet, maître des requêtes :
Ensuite un homme très-prudent,
Des comptes premier président ;
Paris et L’Ecuyer, personnes
Très-vertueuses et très-bonnes ;
Des aides, monsieur Amelot,
Premier président fort dévot ;
Messieurs Bragelonne et Quatre-Hommes,
Qui pourtant ne font que deux hommes
Pour notre ville ; et le dernier,
Un échevin nommé Fournier,
Qui tous à Ruel s’arrêtèrent ;
Où le lendemain[42] arrivèrent
Monseigneur le duc d’Orléans,
Et vous qui n’étiez pas céans.
C’est vous, prince, que j’apostrophe,
Vous qui faisiez le philosophe
Et l’homme d’État dans Ruel ;
Vous qui traitiez de criminel
Un corps qui sera votre juge,
Disons plutôt votre refuge.
Prince, avouez-nous à présent[43]
Ce qui vous sembla mal plaisant
Avant votre métamorphose :
Que c’est une agréable chose
De n’être point pris sans décret ;
Et que c'étoit là le secret
Qui pouvoit sauver Votre Altesse
D’une captivité traîtresse
Dont on ne se peut garantir,
Et qui vient sans nous avertir.
Vous voilà tombé dans le piège :

Qui l’eût dit que ce privilège
Que votre interprétation
A couvert de confusion,
Ce privilége raisonnable,
Le seul recours d’un misérable,
De n’être qu’un jour en prison
Par tyrannie et sans raison,
Et par une prompte audience
Pouvoir montrer son innocence :
Que ce privilége si doux,
Qui ne sera meshui pour vous,
Vous eût un an après fait faute ?
Vous comptiez bien lors sans votre hôte.
Mais, trêve de moralités,
Revenons à nos députes,
Qui dès que dans la conférence
Ils eurent vu Son Eminence,
La regardant à plusieurs fois,
Firent le signe de la croix,
Ebahis de revoir un homme
Qu’ils croyoient de retour à Rome,
Et dont les Français quelque jour
Auroient regretté le retour.
Mais cependant pour la grimace,
Et pour plaire à la populace,
On le pria de s’en aller
Avant qu’on se mît à parler.
    Le dimanche[44], je vis un homme
Qui disoit que vers Bray sur Somme
L’archiduc avoit déjà bu,
Et que vers Guise on avoit vu
Voltiger des troupes d’Espagne ;
Que le duc Charles en Champagne
Près d’Avenues se promenoit,
Et force troupes qu’il menoit.
    Lundi[45], qu’il étoit inutile,
Le régiment de notre ville,
Levé non sans beaucoup de frais,
En un temps qu’on faisoit la paix,
Joignit l’armée à Villejuifve ;
Qui de loin lui criant Qui vive !
Il crut qu’il étoit déjà mort,
Et demanda quartier d’abord.
Il étoit fait de jansénistes[46],
D’illuminés et d’arnauldistes,
Qui tous en cette occasion
Requéroient la confession
Dont ils avoient blâmé l’usage.
J’ouis un de ce badaudage
Qui demandoit Dieu tout bas
La grâce qu’il ne croyait pas.
    Ce jour, la cour tira de peine
Le grand maréchal de Turenne,
Tenu coupable à Saint-Germain
Pour n’avoir pas prêté la main
À la ruine de la Fronde
(C’est, comme en parloit tout le monde
Du parti prétendu royal).
On disoit de ce maréchal
Que pour notre ville affamée
Il avoit offert son armée.
Notre parlement l’accepta,
Et dès ce jour même arrêta
Que déclaration et bulle,
Toute sentence, seroit nulle,
Et tout arrêt fait contre lui :
Ordonnant que dès aujourd’hui
Il revînt s’il pouvoit, en France ;
Et de plus, pour sa subsistance,
Que cent mille écus il prendroit
Es recette qu’il trouveroit.
    Le mardi[47], la cour étonnée,
Sur la remontrance donnée
Par le procureur général,
Que quelqu’un du parti royal
Fit délivrer l’autre semaine,
Sous l’autorité de la Reine,
Des commissions à certains,
Aux Damillis, aux Lavardins,
Aux Gallerandes, aux Courcelles

De lever des troupes nouvelles
Auxquels et tous autres défend
Hante et puissante cour, qui pend
Ceux qui sa volonté violent,
Que plus de soldats ils n’enrôlent,
Sans un royal commandement
Approuvé par le parlement.
Défense à toute ame guerrière,
Gentilhomme ou bien roturière,
De prendre emploi ni s’enrôler,
Sur peine de dégringoler
Du haut de noblesse en roture,
Et de roture en sépulture ;
Veut que les villes et les bourgs
Courent dessus eux comme à l’ours ;
Qu’ils s’assemblent à son de cloche ;
Qu’à pied, qu’à cheval ou par coche
Ils courent après tels soldats,
Et qu’ils leur rompent les deux bras.
    Le dix, on sut qu’en Normandie
Pour joindre à l’armée ennemie,
Le baron de Marre levoit
Le plus de troupes qu’il pouvoit ;
Mais que Chamboi, guerrier habile,
Lieutenant de grand Longueville,
Avec cinq ou six cents chevaux
Ayant poursuivi ces royaux,
Sut que dans le château de Chêne
Ces gens qu’on faisoit pour la Reine
Avoient élu leur rendez-vous.
Il y courut tout en courroux ;
Et par un plaisant artifice
Faisant faire halte à sa milice,
Lui trentième quittant le gros
Vint à Chêne tout à propos,
Où, sans dire qu’il fût des nôtres,
Il fut reçu comme les autres,
Qui buvoient tous comme des trous,
Et qu’on tua comme des poux.
Car Chamboi s’étant fait connoître
Se rendit aisément le maître,
Et les prit tous, ou les tua,
Comme un second Gargantua.
    Le jeudi[48] vint à l’audience,
Avec des lettres de créance
Que dans sa poche il apporta,
Un député que députa
Monsieur le duc de La Trémouille,
Qui voulant empêcher la rouille
De son courage martial,
Monté dessus son grand cheval
Pour le secours de notre ville,
Avoit levé près de trois mille,
La moitié grimpés sur roussins,
L’autre moitié de fantassins.
    La nuit, les troupes ennemies,
Que nous croyions être endormies,
Vinrent voir ce que nous faisions,
Et virent que nous achevions
Notre pont dessus la rivière :
Ouvrage qui ne leur plut guère,
Et qu’elles eussent bien aimé
De voir de loin bien allumé.
Ce fut du côté de la Brie
Que parut leur cavalerie,
Qui vint reconnoître ce pont ;
Mais son retour fut aussi prompt
Qu’avoit été son arrivée,
Heureuse de s’être sauvée,
Puisqu’elle eût bientôt vu beau jeu :
Les nôtres affligés fort peu
D’avoir manqué cette couronne,
Et de n’avoir tué personne ;
Vu que c’est un acte cruel,
Et que l’on traitait à Ruel.
    D’où le lendemain[49] retournèrent,
Et des articles apportèrent
Tous nos messieurs les députés,
Assez tard, mais assez crottés ;
Et dès ce jour les deux armées

Se sont uniquement aimées :
Il n’est pas resté pour un grain
De frondeur ni de mazarin.
    Samedi[50] la cour assemblée
Parut extrêmement troublée
D’apprendre que nos généraux
N’avoient été qu’en certains mots
Compris au traité pacifique,
Sans avoir fourni de réplique :
Vu que personne de leur part
N’avoit contesté pour leur part.
Si bien qu’en cette conjoncture
Il fut dit qu’avant la lecture
De ce qu’on avoit arrêté,
Derechef seroit député
Pour conférer des avantages
De ces illustres personnages,
Et de tous les intéressés,
Tant qu’ils eussent dit, C’est assez :
Qu’on supplierait le Roi de mettre
En une seule et même lettre.
    Ce jour on eut avis certain
Que monsieur Du Plessis-Praslin
Avoit, des troupes ennemies,
Fait un amas des mieux choisies
Pour s’opposer à l’archiduc,
Qui s’avançoit d’un pas caduc,
Et de qui la démarche lente
Ne donnoit pas moins d’épouvante.
    Le dimanche[51], les députés
En carrosse étoient jà montés
Quand lettre du Roi fut reçue
En termes absolus conçue,
Portant une interdiction
De faire députation,
Que les articles qu’apportèrent
Vendredi ceux qui conférèrent
N’eussent été vérifiés.
Sur quoi messieurs furent criés
Par l’insolente populace,
Qui les poussoit avec menace,
Disant tout haut : Je sons vendus ;
Je serons bientôt tous pendus,
S’il plaît au bon Dieu, ma commère.
C’est grand’pitié que la misère !
Ils avont signé notre mort ;
C’est fait de monsieur de Biaufort :
Guerre, et point de paix pour un double.
Mais, en dépit de ce grand trouble,
Il fut par messieurs résolu
Que le lendemain seroit lu
Le contenu desdits articles,
Et qu’avec paire de bésicles
On examineroit de près
S’ils portoient une bonne paix.
    Le lundi[52], la tête affublée,
Nos chefs étant en l’assemblée,
Lesdits articles furent lus,
Et la cour n’en fit point refus ;
Mais seulement, pour la réforme
De quelqu’un qui sembloit énorme,
Ordonna qu’on députeroit,
Et qu’ensemble l’on parleroit
Pour nos chefs, qui feraient écrire
Ce que chacun pour soi désire,
Pour être au traité de Paris
Tous les intéressés compris.
    Ce lundi, le courrier du Maine
Mit nos esprits hors de la peine
Ou long-temps ils auroient été,
Si le diable avoit emporté
Le sieur marquis de La Boulaye[53],
Qu’il assura pour chose vraie
Avoir paru vers ces quartiers
Avecque force cavaliers
Qui savoient mener le carrosse,
Et ne cherchoient que plaie et bosse.
Que le marquis de Lavardin
Fuyant devant eux comme un daim
Toute la Mancelle contrée

Pour Paris s’étoit déclarée.
    Le mardi[54] tous nos députés
Sous des passe-ports apportés,
Pour la troisième fois marchèrent,
Et, comme il étoit dit, allèrent
Pour Leurs majestés supplier
Que du mois d’octobre dernier
La déclaration reçue,
Après tant d’allée et venue,
Pour le commun soulagement,
Ne souffrît aucun détriment.
    Le mercredi[55], lettre civile
Vint de monsieur de Longueville,
Qu’il adressait au parlement,
Et qui n’étoit qu’un compliment :
À qui fit aussitôt réponse
La cour, qui pèse tout à l’once.
Or ce jour, le duc de Bouillon
Ayant pris congé du bouillon[56],
Des médecines, des clystères,
Et des drogues d’apothicaires,
N’étant debout que de ce jour,
Releva La Mothe-Houdancourt
À Villejuif, où notre armée
S’étoit déjà bien enrhumée.
    C’est ce même jour qu’on a su
Qu’au Mans avoit été reçu
Notre marquis de La Boulaye,
Qui bien qu’il criât : Hola haie !
Alte ! marquis de Lavardin,
L’autre ne fut pas si badin
Que de tourner jamais visage :
Ains courut toujours davantage
Qu’à la parfin notre marquis
Ayant force chapons conquis,
Les faisoit cuire en cette ville,
Et que ses gens étoient cinq mille.
Un autre avis bien plus certain
Fut que le maréchal Praslin,
Qui d’une démarche guerrière
Etoit allé sur la frontière
Tâter le pouls à Léopol,
Avoit pris ses jambes an col,
Sans avoir dit ni quoi ni qu’est-ce ?
(Ce qui n’est pas grande prouesse).
Et qu’étant ici de retour,
Dans leurs garnisons d’alentour
Ses troupes étoient retournées,
Troupes très-mal morigénées,
Et qui, contre l’accord passé
D’acte d’hostilité cessé,
Pillèrent toute la chevance
Des deux bourgs à leur bienséance,
Qu’ils trouvèrent sur leur chemin :
Chemin que, tenant sans dessein,
Quelque boulangère badine,
Blanche pour le moins de farine,
Qui venoit de vendre son pain,
Se sentit légère d’un graln,
Sans argent et sans pucelage,
Hormis une qui fut si sage
Que de le laisser à Paris,
Qui n’eut que son argent de pris.
    Le jeudi[57], les chefs de nos bandes
Ayant fait chacun des légendes
De tous leurs petits intérêts,
Commirent à Ruel exprès,
Pour porter leurs humbles prières,
Le duc de Brissac et Barrières,
Le sieur de Bas et de Creci.
    Le vendredi dix-neuf, ici
Nous sûmes que dans la Gascogne
La Reine avoit de la besogne :
Que le parlement de Bordeaux,
Tout prêt à jouer des couteaux,
Avoit fait armer à notre aide.
L’action n’en étoit pas laide :
Car le Normand et le Gascon,

Et le nôtre, faisoient tricon.
    Ce même jour, par une lettre,
Toulouse nous faisoit promettre
Que nous pouvions tenir pour hoc
Le parlement de Languedoc,
Qui se déclaroit pour le nôtre :
Tellement qu’avec que cet autre
C’étoit un quatorze bien fait.
    Le samedi[58] ni beau ni laid,
Ni chaud ni froid. À l’audience
Nos généraux prirent séance,
Et là dirent tous d’une voix
Qu’ils avoient donné cette fois
Des propositions à faire :
Mais qu’ils l’avoient cru nécessaire,
Monsieur le cardinal resté,
Pour avoir plus de sûreté,
Sachant bien qu’homme d’Italie
Jamais une offense n’oublie.
Qu’au contraire ils étoient tous prêts
D’abandonner leurs intérêts,
S’il lui plaisoit faire voyage :
Sinon, que pour un témoignage
Qu’ils seroient toujours serviteurs
De nos illustres sénateurs,
Ils s’en rapportoient à ces juges,
Protestant que dans nos grabuges
Ils avoient armé seulement
Pour le public soulagement.
    Ce jour, ordonnance royale,
Dessus la plainte générale
Qu’avoient faite nos échevins,
Qui n’étoient pas des quinze-vingts,
Voulut qu’on nous donnât des vivres,
Pain et vin, de quoi nous rendre ivres,
Et boire en diable à la santé
De Sa Chrétienne Majesté,
De toutes parts, par eau, par terre,
Librement comme avant la guerre,
Le commerce étant rétabli,
Et le reste mis en oubli :
Bonne nouvelle pour la pance.
    Lundi vingt et deux, en l’absence
Du vaillant prince de Conti
Que la fièvre avoit investi,
Le coadjuteur en sa place
Vint au parlement, de sa grâce,
Dire que le jour précédent
L’archiduc, homme fort prudent,
Écrivit au prince malade
Qu’ayant fait une cavalcade
Et dit au maréchal Praslin :
Je suis sur ta terre, vilain ;
Pour ôter toute défiance
Qu’il voulut envahir la France,
Il étoit prêt de retourner,
Si la Reine, pour terminer
Les différens des deux couronnes
Voulait nommer quelques personnes.
Et dit notre frondant pasteur
Que Conti prenant fort à cœur
L’occasion avantageuse
De conclure une paix heureuse,
Avoit à Ruel député
Pour derechef être insisté
Sur ce que l’archiduc propose,
Qui méritoit bien une pose.
Et qu’il conjurait notre cour,
Par son zèle et par son amour,
De peser un peu cette affaire,
Et la paix qu’elle pouvoit faire ;
Qu’il étoit toujours prêt, pour lui,
D’abandonner dès aujourd’hui
Tout ce qu’il avoit pu prétendre,
Si messieurs y vouloient entendre.
Qu’au contraire si Léopol,
Par supercherie ou par dol,
Venoit pour pêcher en eau trouble
(Dont j’aurois parié le double),
Il déclaroit dès à présent

Qu’il ne le trouvait pas plaisant ;
Que lui-même sur les frontières,
Iroit lui tailler des jartières,
Et l’accommodant de rôti,
Se montrer prince de Conti.
Sur quoi messieurs firent écrire
Tout le contenu de son dire.
Ce jour, on sut qu’à Saint-Germain
On avoit fait accueil humain
Aux députés de Normandie,
Qui, pour chasser la maladie
Dont nous étions tous menacés,
Y venoient comme intéressés,
Pour délibérer du remède.
Que le bon Dieu leur soit en aide !
    Le mercredi[59] l’on sut qu’Erlac
Étoit clos et coi dans Brissac,
Quoiqu’on nous voulût faire entendre
Qu’il venoit nous réduire en cendre.
L’on sut que Normands députés
S’étoient tous bien fort aheurtés
Au renvoi de Son Eminence ;
Et l’on nous donnoit assurance
Qu’ils ne dépliroient leur cahier
Qu’il n’eût un pied dans l’étrier.
Mais s’il est vrai qu’ils le promirent,
Ces Normands après se dédirent,
Et certes autant propos
Qu’il se peut pour notre repos :
Car qu’on renvoyât pour leur plaire
Un ministre si nécessaire
Comme monsieur le cardinal,
Quelque sot se fût fait du mal ;
Et plus sot qui l’auroit pu croire
Qu’un prince jaloux de sa gloire
Eût défait ce qu’il avoit fait
En un favori si parfait,
Pour quelque courtant de boutique
Qui n’aimoit pas sa politique.
Aussi les députés normands,
S’ils avoient fait quelques serment
De ne déplier point leur rôle,
Ne gardèrent pas leur parole ;
Et cette fois, manquant de foi,
Servirent la France et leur Roi.
    Ce même jour, fut dit en ville
Que le grand duc de Longueville
Avoit, pour assiéger Harfleur,
Fait partir sous un chef de coeur
Des troupes dès le dix-septième ;
Et que ce chef, le dix-neuvième,
Par un tambour nommé La Fleur,
Fit sommer la ville d’Harfleur,
Qui lui dit : Votre fille Hélène !
Je suis servante de la Reine.
Mais quatre pièces de canon
Lui firent bientôt dire non :
Car plus défaite qu’un cadavre,
Ayant dépêché vers le Havre,
Dont chacun sait qu’elle dépend,
Pour venir être son garant
(C’étoient les termes de sa lettre),
Ce gouverneur se voulut mettre
En devoir de la secourir ;
Et, pour l’empêcher de périr,
Détacha deux cent cinquante hommes
Qui venoient en mangeant des pommes :
Quand sur le chemin ces mangeans
Trouvent un parti de nos gens,
La peur saisit ces misérables,
Qui fuirent comme de beaux diables,
Nul ne regardant après soi.
Enfin ils eurent tant d’effroi,
Que quand dans le Havre ils rentrèrent.
Les huit heures du soir frappèrent,
Bien que partis au chant du coq,
Et que Harfleur, qui nous est hoc,
Du Havre, fût demi-liene.
Mais la peur qu’ils avoient en queue
Leur fit oublier le chemin,

Tellement que le lendemain
Harfleur nous fit ouvrir la porte.
La garnison, n’étant pas forte
Se rendit à discrétion.
Après cette reddition,
Nos gens furent faire godaille
Au château de pierre de taille
Du sieur de Fontaine-Martel :
Château très-fort-, mais non pas tel
Que les nôtres ne le forcèrent,
Et deux canons n’en rapportèrent,
Sans les meubles et le bétail
Dont je ne fais point le détail.
    Le jeudi[60] jour que Notre-Dame
Sut que de fille elle étoit femme
Par une annonciation,
Tout étoit en dévotion ;
Quand lettre de cachet venue
Fit que séance fut tenue,
Où, quand nos chefs furent venus,
Tous les premiers propos tenus
Furent de savoir si la trêve,
Ennuyeuse aux gens de la Grève,
Et qui finissoit ce jour-la,
Passeroit encore au delà :
Trêve qui reçut anicroche
Jusques au lundi le plus proche,
Et compris inclusivement
Par un arrêt du parlement.
    Ce jour, à La Ferté-sur-Jouarre,
Un mazarin qui disoit : Garre,
Qu’on fasse place à mon cheval !
Je viens’pour le parti royal
Loger ici des gens de guerre ;
Fut accueilli à coups de pierre,
Et de quelque coup de fusil.
Je pense que d’un grain de mil
On eût lors bouché son derrière.
Heureux de retourner arrière,
Maudissant, tout cicatrisé,
Le manant mal civilisé
Qui depuis garda ses murailles,
Crainte du droit de représailles.
    Samedi, du mois le vingt-sept,
Votre frère, encor tout mal fait
Du reste de sa maladie,
Fit déclaration hardie
Que celles que jusqu’à ce jour
Il avoit faites la cour
De ne faire aucune demande
Pour lui ni pour ceux de sa bande,
Le cardinal étant sorti :
Que, foi de prince de Conti,
Ces déclarations signées,
Qu’on avoit jusqu’ici bernées,
Recevroient applaudissement,
Pourvu qu’il plût au parlement
Rendre arrêt que Son Eminence
Eût à dénicher de la France,
Parce qu’ils ne pouvoient jamais
Autrement conclure la paix :
Que le feu partout s’alloit prendre,
S’il n’étoit couvert de sa cendre.
Qu’il prioit la cour d’y rêver,
Avant même que se lever.
Sur quoi la cour, à sa prière,
Rêva tant sur cette matière,
Qu’après sori rêve elle a trouvé
Qu’il avoit le premier rêvé.
Cependant, pour faire grimace,
Et pour ne rompre pas en face
De ce prince qu’elle honoroit,
La cour dit que l’on enverroit
Insister sur cette retraite,
Qui ne s’est pas encore faite.
Ce joùr, nous sûmes que Jarzé,
Du parti contraire engagé,
Partoit de Saint-Germain-en-Laye
Pour s’opposer à La Boulaye[61],
Qui faisoit merveille en Anjou

(Car il n’est pas tous les jours fou,
Comme il n’est pas tous les jours fête ;
Et puis ce n’est que par la tête
Qu’il est fou quand il l’est par fois,
Notamment les onze des mois).
    Or, ce marquis à tête sèche
Étoit entre dedans La Flèche.
    Le dimanche[62], on sut qu’à Bordeaux
Les coups déjà pleuvoient à seaux :
Le tout pour la cause commune.
L’habitant, au clair de la lune,
Avoit pris le château du Hact
Et depuis avoit fait un pact
D’investir le châtean Trompette :
Cela n’est point dans la gazette.
Ce jour même il vint un courrier
Qui perdit cent fois l’étrier,
Et se pensa casser la tête,
Tant il pressa sa pauvre bête.
On l’avoit fait partir exprès,
Parce que le grand duc de Retz
Avoit dit : « Nous sommes deux mille ;
« Bonjour, monsieur de Longueville :
« Je ne vous ai vu de cet an. »
Et cela fut dit dans Rouen.
    Le jour d’après[63] en l’assemblée
De divers soucis accablée :
Savoir si l’on continueroit,
Comme la Reine désiroit,
Notre trêve en son agonie ;
Conclut toute la compagnie
Qu’elle auroit libéralement
Vingt et quatre heures seulement :
Après lesquelles nouveau trouble,
Et plus de trêve pour un double.
    Ce même jour fut défendu
Par un arrêt qui fut rendu,
Qu’on imprimât plus aucun livre
Dont le débit auroit fait vivre
Quelque misérable imprimeur
Et quelque burlesque rimeur,
Qui, comme un second Mithridate,
Étoit plus friand qu’une chatte
Au poison qui le nourrissoit
Dans l’instant qu’il le vomissoit :
Glorieux de la médisance
Qu’il faisoit de Son Eminence,
II vivoit de son aconit ;
Et c’étoit pour lors pain bénit
De parler mal du ministère,
De chanter prince de lanière
(Car on parloit presque aussi mal
De vous comme du cardinal).
On ne vit onc tant de satires,
Ni de meilleures ni de pires,
Qu’on en fit de vous et de lui,
Et de vous encore aujourd’hui.
La cour, sans exprès congé d’elle,
Sur une peine corporelle
Défendit de rien imprimer :
Ce qui ne fit que ranimer
Cette criminelle manie
Que chacun croyoit assoupie,
Mais de qui la démangeaison
S’accroît depuis votre prison.
    Le mardi[64] la nuit étoit close
(L’homme propose et Dieu dispose)
Lorsqu’on ne les attendoit plus,
Nos députés sont revenus.
    Le mercredi[65], dans l’audience,
Le procès de la conférence,
Lu qu’il fut haut de bout en bout,
Au lendemain on remit tout.
    Et le premier d’avril fut lue
La déclaration reçue,
Qui nous rendit notre repos,
Dont voici les points principaux :
Nos arrêts, écrits et libelles
Ne seront que des bagatelles,
Depuis le sixième janvier

Qu’il fut tant perdu de papier,
Sans que, pour chose aucune faite,
Personne en soit plus inquiète.
Ce que, pour nous rendre plus doux,
Le Roi voulut que contre nous
Tant de lettres expédiées,
De déclarations criées
Du côté de Sa Majesté,
Tout fut cassé par sa bonté,
Qui prit la place de la haine ;
Et dit que sa maman la Reine,
Dès le premier beau jour d’été,
Enverroit au fleuve Léthé[66]
Quelqu’un qui prît de cette eau forte,
Qui fît oublier toute sorte
D’unions, ligues et traités,
Dont ne seraient inquiétés
Ceux qui, pour faire telle ligue
Non conteus de faire une brigue,
Ont levé soldats, pris deniers,
Tant publics que particuliers ;
Qu’on maintiendra dans leurs offices,
Biens, honneurs, charges, bénéfices,
Au même état qu’ils se trouvoient
Quand les Parisiens buvoient
La nuit des Rois, nuit qu’ils perdirent
Le vrai, pour mille faux qu’ils firent :
Pourvu qu’ils mettent armes bas,
Et ne s’opiniâtrent pas
Aux ligues, s’ils en ont aucune,
Sous couleur de cause commune.
Tous les prisonniers renvoyés,
Tous nos soldats congédiés :
Ce qui fut fait. La cour, joyeuse
D’une fin de guerre ennuyeuse,
L’enregistra la publia,
Vérifia, ratifia ;
Et quand elle fut publiée,
Registrée et vérifiée,
Dit qu’on priroit Leurs Majestés
De rendre Paris ses beautés,
Sa splendeur et son éminence,
En l’honorant de leur présence.
Ce qui ne se fit pas si tôt
Qu’auroit souhaité le courtaut :
Car le Roi partit pour Compiègne,
Où trois mois il tint comme teigne,
Et ne revint de très-long-temps
Au grand deuil de nos habitans.
    Ainsi la paix nous fut donnée
Et notre guerre terminée ;
Ainsi finit notre blocus.
Ainsi, ni vainqueurs ni vaincus,
Nous n’eûmes ni gloire ni honte :
Nul des partis n’y fit son compte.
Le vôtre y souffrit moult ennuis,
Y passa de mauvaises nuits
Dans un si grand froid, qu’on présume
Qu’il y gagna beaucoup de rhume.
Le nôtre en fut incommodé ;
Le carnaval en a grondé ;
Le carême en a fait sa plainte :
Phylis, Chloris, Sylvie, Aminthe,
Y perdirent tous leurs galans.
Le Palais n’cut plus de chalands
Le procureur fut sans pratique,
Le marchand ferma sa boutique.
L’arthamène fut sans débit,
Et l’on pensa chanter l’obit
De l’Ibrahim, de Polexandre,
De Cléopâtre et de Cassandre,
Avec celui de leurs auteurs,
Leurs libraires et leurs lecteurs.
Le sermon n’eut plus d’audience,
Le charlatan plus de créance ;
L’hôtel de Bourgogne ferma,
La troupe du Marrais s’arma.
Jodelet n’eut plus de farine
Dont il pût barbouiller sa mine ;
Les marchés n’eurent plus de pain,

Et chacun plus ou moins eut faim.
Mais sitôt que par sa présence
La paix nous promit l’abondance,
Que le Roi seul nous redonna
Quand Sa Majesté retourna,
Aussitôt disparut le trouble :
Plus de misères pour un double.
Paris a repris sa beauté,
Tout est dans la prospérité.
Le marchand est à sa boutique,
Le procureur à sa pratique,
Les hommes de robe au Palais,
Les comédiens au Marais,
Les artisans à leur ouvrage ;
Les bourgeois sont leur ménage,
Les bonnes femmes au sermon.
Cormier est à son galbanon
L’apothicaire à sa seringue ;
Et vous le vainqueur de Nordlingue,
De Rocroy de Fribourg, de Lens,
L’effroi de tous les Castillans,
Êtes dans le bois de Vincennes.
Dieu vous y conserve et maintienne
En santé !



  1. 6 janvier.
  2. 7 janvier.
  3. 8 janvier.
  4. 11 janvier.
  5. 12 janvier.
  6. 13 janvier.
  7. 16 janvier.
  8. 17 janvier.
  9. 18 janvier.
  10. 21 janvier.
  11. 22 janvier.
  12. 23 janvier.
  13. 24 janvier journée de Juvisy.
  14. 25 janvier.
  15. 26 janvier.
  16. 27 janvier.
  17. 28 janvier.
  18. 31 janvier.
  19. Madame de Rohan, en la requête qu’elle présenta, dit que Tancrède étoit reconnu par le toupet qu’il avait.
  20. Premier février.
  21. 2 février.
  22. 10 février.
  23. Arrivée du convoi d’Etampes.
  24. 11 février.
  25. 12 février. Refus du héraut d’armes que la Reine envoya.
  26. 13 février.
  27. 18 février.
  28. Exemption du carême.
  29. 19 février.
  30. Arrivée de l’agent de l’archiduc.
  31. 20 février.
  32. 21 février.
  33. 22 février.
  34. 23 février.
  35. 25 février.
  36. 26 février.
  37. Siège de Brie-Comte-Robert.
  38. 27 février.
  39. 28 février.
  40. 2 mars.
  41. 4 mars.
  42. 5 mars.
  43. M. le prince contesta contre l’article qui porte que tout prisonnier sera interrogé dans les vingt-quatre heures.
  44. 7 mars.
  45. 8 mars.
  46. M. de Luynes, janséniste, en étoit mestre de camp.
  47. 9 mars.
  48. 11 mars.
  49. 12 mars.
  50. 13 mars.
  51. 14 mars.
  52. 15 mars.
  53. La Boulaye, qui commandoit les cochers de Paris.
  54. 16 mars.
  55. 17 mars.
  56. Le duc de Bouillon fut toujours malade pendant notre guerre.
  57. 18 mars.
  58. 20 mars.
  59. 24 mars.
  60. 25 mars.
  61. Ce fut le 11 décembre qu’un dit que M. de La Boulaye cria aux armes !
  62. 28 mars.
  63. 29 mars.
  64. 30 mars.
  65. 31 mars.
  66. Le Léthé est le fleuve d’oubli.