Mémoire sur les lois du mouvement des fluides/Texte entier

Académie des sciences (France)
Tome 6
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MÉMOIRE
SUR LES LOIS DU MOUVEMENT DES FLUIDES ;

Par M. NAVIER.
Lu à l’Académie royale des Sciences, le 18 mars 1822.
Séparateur


I. Notions préliminaires.

Les géomètres représentent, au moyen d’équations aux différences partielles, les conditions générales de l’équilibre et du mouvement des fluides. Ces équations ont été déduites de divers principes, qui supposent tous que les molécules du fluide sont susceptibles de prendre les unes par rapport aux autres des mouvements quelconques, sans opposer aucune résistance, et de glisser sans effort sur les parois des vases dans lesquels le fluide est contenu. Mais les différences considérables, ou totales, que présentent dans certains cas les effets naturels avec les résultats des théories connues, indiquent la nécessité de recourir à des notions nouvelles, et d’avoir égard à certaines actions moléculaires qui se manifestent principalement dans les phénomènes du mouvement. On sait, par exemple, que, dans le cas où l’eau s’écoule hors d’un vase par un long tuyau d’un petit diamètre, le calcul conduit à attribuer à ce fluide une vitesse d’écoulement qui surpasse beaucoup celle que l’on observe, et qui est soumise à des lois différentes.

Nous considérons ici un fluide incompressible, et nous nous représentons ce corps comme un assemblage de points matériels, ou molécules, placées à des distances très-petites les unes des autres, et susceptibles de changer presque librement de position les unes par rapport aux autres. Une pression est exercée sur la surface du fluide, et pénètre dans l’intérieur du corps. Elle tend à rapprocher les parties, qui résistent à cette action par des forces répulsives qui s’établissent entre les molécules voisines. Si le fluide est en repos, chaque molécule est en équilibre, en vertu de ces forces répulsives et des forces étrangères, telles que la pesanteur, qui peuvent agir sur elle ; et c’est en cela que consiste l’état du corps.

Si le fluide est en mouvement, ce qui suppose, en général, que les molécules voisines s’approchent ou s’éloignent les unes des autres, il nous paraît naturel d’admettre que les forces répulsives dont il vient d’être question sont modifiées par cette circonstance. Nous concevons en effet que, dans l’état de repos du fluide, les molécules voisines se sont placées à des distances respectives déterminées par la condition d’une destruction mutuelle des forces de répulsion et de compression ; ce qui a déterminé la grandeur du volume occupé par le corps, en raison de la température et de la pression extérieure à laquelle il est soumis. Or, tous les phénomènes indiquent que les actions exercées de molécule à molécule, dans l’intérieur des corps, varient avec la distance des molécules ; que si l’on veut diminuer la distance des parties, on fait naître une force de répulsion ; que si l’on veut augmenter cette distance, on fait naître une force d’attraction. Un liquide résiste beaucoup moins qu’un solide à un effort qui tend à écarter les parties voisines les unes des autres, mais l’expérience prouve que la résistance à l’écartement n’est pas nulle. Nous admettrons d’après ces considérations, que, dans un fluide en mouvement, deux molécules qui s’approchent l’une de l’autre se repoussent plus fortement, et que deux molécules qui s’éloignent l’une de l’autre se repoussent moins fortement qu’elles ne le feraient si leur distance actuelle ne changeait pas ; et nous prendrons pour principe, dans les recherches suivantes, que par l’effet du mouvement d’un fluide, les actions répulsives des molécules sont augmentées ou diminuées d’une quantité proportionnelle à la vitesse avec laquelle les molécules s’approchent ou s’éloignent les unes des autres.

Il s’établit de même, dans l’état d’équilibre, des actions répulsives entre les molécules du fluide et celles des parois solides dans lesquelles il est contenu. Ces actions doivent être également modifiées dans l’état de mouvement, et nous supposerons encore qu’elles sont augmentées ou diminuées de quantités proportionnelles aux vitesses avec lesquelles chaque molécule du fluide s’approche ou s’éloigne de chaque molécule immobile appartenant à la paroi.

II. Équations de l’équilibre des fluides.

Pour exprimer les conditions de l’équilibre d’une portion de fluide conformément aux notions établies ci-dessus, on considérera une molécule placée au point dont les coordonnées sont et une molécule placée au point très voisin du premier, dont les coordonnées sont On nommera la distance des deux points, en sorte que La force répulsive qui s’établit entre ces deux molécules dépend de la situation du point puisqu’elle doit balancer la pression, qui peut varier dans les diverses parties du fluide. Elle dépend de la distance et, comme toutes les actions moléculaires, décroît très rapidement quand cette distance augmente. On désignera cette force par la fonction à laquelle on attribuera cette propriété, et qui doit être regardée aussi comme dépendante des coordonnées Cela posé, chaque molécule du fluide est sollicitée par des forces semblables, émanant de toutes les molécules qui l’entourent. Nous supposons également cette molécule sollicitée par des forces accélératrices dont les composantes, dans le sens de chaque axe, seront désignées par ces lettres représentant les valeurs des forces, données en unités de poids, et rapportées à l’unité de volume. Il s’agit de trouver les conditions de l’équilibre entre toutes ces forces, et pour cela d’exprimer la somme de leurs moments, et d’égaler cette somme à zéro.

Si, le fluide étant supposé en équilibre, on imprime au système un mouvement très petit, par l’effet duquel la molécule soit déplacée dans le sens de chaque axe des quantités que nous regardons comme des fonctions de la molécule sera déplacée dans les mêmes directions des quantités


Par conséquent, désignant les accroissements des distances qui ont lieu par l’effet de ce mouvement, on a


Mais on a


donc

Le produit représente le moment de la force agissant entre les deux molécules considérée comme étant appliquée au point plus le moment de la même force, considérée comme étant appliquée au point Nous prendrons d’abord la somme des produits semblables, donnés par les forces qui agissent entre la molécule et toutes celles qui l’entourent ; et nous remarquerons qu’il existe autour du point huit points, situés tous à la même distance et pour lesquels les coordonnées relatives ont des valeurs qui diffèrent deux à deux seulement par le signe de l’une des coordonnées. Donc, en ajoutant d’abord les huit valeurs du produit qui répondent à ces huit points, il viendra

Il ne reste plus qu’à intégrer par rapport à dans l’étendue du huitième de sphère où ces quantités n’ont que des valeurs positives. Pour cela on changera ces coordonnées en coordonnées polaires, et désignant par l’angle du rayon avec sa projection sur le plan des par l’angle que forme cette projection avec l’axe des on aura

Substituant ces valeurs dans l’expression précédente ; multipliant par l’élément de volume et intégrant entre les limites convenables, il vient

ou bien, parce que

Posant maintenant en désignant par une quantité qui ne dépend pas de la distance mais seulement des coordonnées qui déterminent la situation de la molécule et qui mesure la résistance opposée à la pression qui tend à rapprocher les parties du fluide, on aura définitivement


pour l’expression de la somme des moments des forces agissant entre la molécule et toutes celles qui l’entourent.

Pour obtenir maintenant l’expression de la somme des moments de toutes les forces répulsives existantes entre les molécules du fluide, on devra multiplier l’expression précédente par l’élément de volume et intégrer par rapport à dans toute l’étendue du fluide. Il suit de là que l’équation exprimant les conditions de l’équilibre du système est


Nous remarquerons ici que, par le calcul précédent, on prend deux fois la somme des mêmes moments des forces intérieures ; puisque la somme des moments des deux forces agissant suivant la ligne représentée par est comptée par rapport à la molécule et par rapport à la molécule Mais cela est indifférent pour le résultat, puisque le facteur qu’il faudrait appliquer au premier terme de l’équation, peut être supposé compris dans la quantité dont la valeur absolue dépend toujours de la grandeur des forces appliquées au fluide.

En intégrant par parties le premier terme de l’équation précédente, elle se changera en


en marquant d’un et de deux accents les lettres représentant les quantités appartenant aux limites des intégrales.

On a donc en premier lieu, pour les conditions de l’équilibre d’un point quelconque de l’intérieur du fluide, les équations indéfinies


qui signifient que les expressions des forces données en fonction de doivent être respectivement les différentielles partielles prises par rapport à à à d’une même fonction de ces coordonnées. La différentielle complète de cette fonction est donc

et l’on a par conséquent

formule où la fonction sous le signe doit être nécessairement susceptible d’une intégration exacte, pour que le fluide soumis à l’action des forces représentées par puisse demeurer en équilibre. Si aucune force n’était appliquée aux points intérieurs du fluide, la valeur de devrait être constante dans toute l’étendue de ce corps.

En second lieu, à l’égard des points appartenant à la surface, si l’on désigne par les angles que forme un plan tangent à la surface mené au point dont les coordonnées sont avec les plans des des et des et par l’élément différentiel de la surface, on pourra remplacer par par et par (Voyez la Mécanique analytique, 1re partie, section VII, art. 29 et 30). La partie de l’équation qui est relative à ces points devient donc

On en conclut que dans la partie de la surface qui est libre, où les variations des coordonnées de chaque point sont entièrement indéterminées, on doit avoir Ainsi, la figure que doit affecter cette partie de la surface est donnée en termes finis par l’équation


l’équation différentielle est

en sorte que la résultante des forces agissant sur chaque molécule du fluide placée à la surface libre, doit être dirigée suivant la normale à cette surface.

Dans la partie où la surface du fluide est formée par une paroi solide et fixe, les molécules qui s’y trouvent placées ne pouvant se mouvoir dans le sens de la paroi, on a entre les variations la relation


en vertu de laquelle les termes de l’équation précédente disparaissent d’eux-mêmes en sorte qu’il n’existe aucune condition particulière relative à cette partie de la surface.

Les lois de l’équilibre des fluides, énoncées ci-dessus, sont conformes à celles que les géomètres ont établies d’après le principe de l’équilibre des canaux, ou en supposant le fluide décomposé en éléments rectangulaires infiniment petits, et exprimant que chacun de ces éléments, soumis à l’action des pressions exercées sur ses faces, et des forces accélératrices appliquées aux molécules, doit être en équilibre. La considération des forces répulsives que la pression développe entre les molécules, dont M. de Laplace avait déjà déduit les équations générales du mouvement des fluides, dans le XIIe livre de la Mécanique céleste, paraît dépendre plus immédiatement des notions physiques que l’on peut se former sur la nature de ces corps.

III. Expressions des forces provenant des actions moléculaires qui ont lieu dans l’état de mouvement.

Si, dans l’état de mouvement d’un fluide, les forces répulsives existantes entre les molécules ne subissaient aucune altération, les conditions du mouvement se déduiraient de celles de l’équilibre en exprimant, conformément aux principes de la mécanique, que les forces accélératrices auxquelles sont dus les mouvements de chaque particule sont égales à la résultante des forces qui agissent sur cette particule, et qui se détruisent mutuellement dans l’état d’équilibre. En désignant par les vitesses parallèles aux axes des des et des à la fin du temps de la molécule située dans le point dont les coordonnées sont et par la densité du fluide, on aurait ainsi les trois équations


On devrait avoir également dans tous les points de la surface libre du fluide. Il faudrait exprimer que les molécules contiguës aux parois solides ne peuvent se mouvoir que dans le sens de ces parois. Enfin l’on doit joindre aux équations précédentes celle qui exprime que le volume des parties du fluide est invariable, qui est

Mais, d’après les notions exposées ci-dessus, il est nécessaire d’admettre l’existence de nouvelles forces moléculaires, qui sont développées par l’état de mouvement du fluide. La recherche des expressions analytiques de ces forces est le principal objet que l’on s’est proposé dans la composition de ce mémoire.

Considérons toujours deux molécules très-voisines Les vitesses de la molécule dans le sens des axes étant celles de la molécule sont au même instant

en négligeant les puissances supérieures des coordonnées qui sont toujours supposées extrêmement petites. On a donc


pour la différence des vitesses des molécules placées aux points estimées suivant la ligne en sorte qu’en vertu du principe que nous avons adopté, il s’établit entre ces deux molécules une action proportionnelle à la quantité Si nous multiplions cette quantité par une fonction de la distance des molécules qui ait la propriété de diminuer avec une rapidité extrême quand augmente à partir de zéro, et de devenir nulle dès que a une valeur sensible ; l’expression représentera la force qui existe entre deux molécules quelconques du fluide. Il s’agit de prendre les moments des forces semblables dans toute l’étendue de la masse. Considérant donc le fluide dans son état de mouvement, nous supposerons que l’on donne au système une impulsion par l’effet de laquelle les vitesses actuelles aient varié respectivement des quantités Le produit des forces qui seraient appliquées à la molécule dans le sens des axes multipliées respectivement par ces variations, représenteront les moments de ces forces, et l’on

aura de même pour la somme du moment de la force considérée comme agissant de sur et du moment de la même force considérée comme agissant de sur L’expression précédente de donne

et par conséquent le moment des forces intérieures provenant des actions mutuelles des deux molécules et est exprimé par

Il faut donc prendre la somme des quantités semblables pour toutes les molécules du fluide, considérées deux à deux, afin de la faire entrer dans l’équation générale qui donnera les lois du mouvement. Pour y parvenir, nous prendrons d’abord la somme de ces moments pour les actions réciproques exercées entre la molécule et toutes celles qui l’avoisinent ; puis nous ajouterons les sommes semblables qui seront fournies par tous les points du fluide.

Afin d’effectuer de la manière la plus simple la première intégration, qui doit être faite autour du point nous remarquerons, comme ci-dessus, que l’on peut distinguer avec le point dont les coordonnées comptées du point sont sept autres points situés à la même distance du point dont les coordonnées auront les mêmes valeurs absolues, mais des signes différents. La formule précédente représentera les valeurs des moments relatifs aux actions réciproques du point et de l’un quelconque de ces huit points, en donnant dans cette formule à les signes qui conviennent à chacun d’eux. Si l’on ajoute ensuite les huit valeurs que l’on obtiendra ainsi, les termes contenant des puissances paires des coordonnées se trouveront multipliés par 8, et les termes contenant des puissances impaires de ces mêmes coordonnées se seront détruits réciproquement. Cette circonstance est une suite nécessaire de ce que les valeurs correspondantes aux huit points dont il s’agit, considérées deux à deux, diffèrent seulement par le signe de l’une des coordonnées. La somme cherchée sera donc, en effectuant la multiplication indiquée,

Cette addition étant faite, il ne reste plus qu’à intégrer dans la huitième partie de la sphère dont le point M est le centre, où les valeurs de , , sont positives. À cet effet, on changera ces coordonnées en d’autres coordonnées polaires, et désignant par l’angle du rayon avec sa projection sur le plan des , et par l’angle que forme cette projection avec l’axe des on aura


valeurs qui devront être substituées dans la formule précédente. On la multipliera ensuite par l’expression de l’élément du volume dans le nouveau système de coordonnées, et on intégrera par rapport à et de à et par rapport à de à En faisant abstraction du facteur en on aura d’abord


Multipliant chacune de ces quantités par et intégrant entre les limites indiquées, on trouve pour la valeur commune des trois premières intégrales et pour la valeur commune des trois dernières Par conséquent si nous posons


la somme des moments de toutes les actions exercées réciproquement entre la molécule et celles qui l’avoisinent se trouvera exprimée par

}} Il faut maintenant prendre la somme des quantités semblables à la précédente pour tous les points de la masse du fluide. On y parviendra en remarquant que, pour tous les points compris dans un élément rectangulaire infiniment petit, dont les dimensions sont les valeurs de ces quantités ne diffèrent pas ; d’où il résulte que la somme de ces quantités, pour tous les points compris dans l’élément, s’obtient en multipliant l’expression précédente par le volume Il ne restera plus qu’à intégrer par rapport à dans toute l’étendue de la masse du fluide. On pourrait d’ailleurs remarquer ici, comme dans le IIe paragraphe, que l’on prend deux fois la somme des moments dont il s’agit, et que, pour une entière exactitude, on doit regarder le facteur comme étant compris dans la constante en outre des facteurs écrits ci-dessus.

Nous venons de trouver l’expression de la somme des moments des forces provenant des actions réciproques des molécules du fluide : nous allons passer maintenant à la recherche de la somme des moments des forces provenant des actions exercées entre les molécules du fluide et celles des parois solides.

Considérons à cet effet un point appartenant à la surface de séparation du fluide et de sa paroi, dont les coordonnées sont et où les valeurs des vitesses du fluide, dans le sens de chaque axe, sont Considérons ensuite une molécule du fluide, placée très-près du point dans le point dont les coordonnées sont Les valeurs des vitesses de la molécule dans le sens de chaque axe, seront


en négligeant les puissances supérieures des quantités qui sont supposées extrêmement petites. La vitesse avec laquelle la molécule s’éloigne du point , est donc égale à


en négligeant toujours les termes du second ordre en par rapport aux termes du premier ordre ; et cette formule représente également la vitesse avec laquelle la molécule du fluide s’éloigne de toutes les molécules de la paroi solide qui sont situées dans le prolongement de la ligne . Il suit de là, et du principe que nous avons énoncé, que les actions réciproques exercées entre la molécule du fluide et une molécule quelconque de la paroi située dans le prolongement de la ligne sont toutes proportionnelles à la quantité précédente. Elles ne diffèrent les unes des autres qu’à raison de l’inégalité des distances entre et les molécules dont il s’agit.

Si d’ailleurs les molécules du fluide reçoivent une impulsion, en vertu de laquelle les vitesses de la molécule , dans le sens de chaque axe, augmentent des quantités la vitesse de cette molécule, dans le sens de la ligne , aura augmenté de la quantité


Donc les moments des actions réciproques entre la molécule et l’une quelconque des molécules de la paroi situées sur le prolongement de la ligne , sont proportionnels à

Ainsi, pour avoir la somme des moments fournis par toutes les actions dont il s’agit, il faudrait multiplier l’expression précédente par une fonction de la distance supposée entre la molécule et une molécule de la paroi, puis intégrer depuis jusqu’à . Or, en faisant cette opération, on doit nécessairement trouver pour résultat l’expression précédente multipliée par une fonction de , qui décroisse très-rapidement quand augmente à partir de , et devienne nulle quand acquiert une valeur sensible. Car l’action de la molécule sur celles de la paroi est nécessairement assujettie à cette condition. Donc, en représentant par une telle fonction, on doit prendre


pour l’expression de la somme des moments des actions exercées entre la molécule du fluide, et celles des molécules de la paroi qui se trouvent dirigées suivant la ligne .

Nous allons maintenant prendre la somme des moments semblables fournis par toutes les molécules du fluide situées dans le voisinage du point . Nous obtiendrons de cette manière la somme des moments de toutes les actions réciproques, entre les molécules du fluide et de la paroi, qui sont dirigées suivant des lignes passant par le point  : il ne restera plus qu’à ajouter les sommes semblables fournies par tous les points de la surface du fluide.

Il s’agit donc d’abord d’intégrer l’expression précédente dans l’étendue du fluide qui se trouve à une très-petite distance du point . Cette intégrale doit généralement se prendre d’une manière différente lorsque la paroi est plane, et lorsqu’elle est courbe ; mais ayant supposé précédemment le rayon de la sphère d’activité des actions moléculaires assez petit pour qu’il fût permis de négliger, dans l’étendue de cette sphère, les quarrés des distances par rapport à leurs premières puissances, nous devons admettre, comme une suite de cette hypothèse, que la surface de la paroi (sauf les arêtes ou les points singuliers) se confond avec son plan tangent dans l’espace où l’intégration doit s’effectuer. Ainsi supposant que l’on ait mené par le point à la surface de la paroi un plan tangent, nous prendrons l’intégrale dont il s’agit dans la demi-sphère dont le point est le centre, et qui est terminée par ce plan. Pour fixer la direction du plan tangent mené par le point , soit la direction de la normale à la surface passant par ce point : nous désignerons par l’angle que la projection de cette normale sur le plan des fait avec l’axe des , et par l’angle que la normale elle-même fait avec sa projection.

Cela posé, nous allons d’abord changer les coordonnées en d’autres coordonnées rectangulaires dont les axes seront dirigés comme il suit. La normale est l’axe des . Menant par le point un plan perpendiculaire à cette normale, l’intersection de ce plan avec le plan des est l’axe des . Enfin l’intersection du plan perpendiculaire dont on vient de parler avec le plan contenant les lignes est l’axe des . En adaptant à ces suppositions les formules connues pour la transformation des coordonnées rectangulaires, nous aurons

et ces valeurs, substituées dans l’expression précédente, la changeront en

expression qu’il faut intégrer pour toutes les valeurs de et , et pour les valeurs positives seulement de . Cette opération se simplifiera en remarquant que si l’on considère quatre points placés symétriquement, pour lesquels est positif, mais dont les autres coordonnées et différent deux à deux par le signe ; et qu’on ajoute les valeurs que prendrait l’expression précédente en ces quatre points, il ne restera dans le résultat de l’addition que les termes affectés

des puissances paires de et , termes qui se trouveront

multipliés par 4. Ainsi, effectuant la multiplication indiquée, tout se réduit à intégrer la quantité


dans l’étendue du huitième de sphère où et ont des valeurs positives.

Pour y parvenir nous substituerons, comme ci-dessus, les coordonnées polaires et aux coordonnées rectangulaires, en posant


Mettant donc ces valeurs dans l’expression précédente, et multipliant par l’élément de volume , nous aurons à prendre d’abord les trois intégrales

entre les limites et et nous trouverons pour leur valeur

commune Substituant cette valeur à la place de et  ; posant


et ayant égard aux réductions qui s’opèrent, il viendra définitivement


pour l’expression cherchée de la somme des moments de toutes les actions qui s’exercent entre les molécules de la paroi et du fluide, suivant des directions qui passent par le point de la surface de séparation du fluide et de la paroi. La lettre représente une constante dont la valeur sera donnée par l’expérience, d’après la nature de la paroi et du fluide, et qui peut être regardée comme la mesure de leur action réciproque. On prendra ensuite la somme des moments de toutes les actions semblables, en multipliant l’expression précédente par l’élément de la surface du fluide, et intégrant dans toute l’étendue de cette surface.

Il résulte de tout ce qui précède, qu’en admettant les principes énoncés dans l’article 1er  de ce Mémoire, l’équation générale exprimant l’égalité à zéro de la somme des moments des forces appliquées aux molécules d’un fluide incompressible, dans l’état de mouvement, est

Le signe désigne une intégration effectuée dans toute l’étendue de la surface du fluide, en faisant varier la quantité suivant la nature des corps avec lesquels cette surface est en contact. Il est inutile de tenir compte des termes relatifs à l’équilibre des points de cette surface, puisque, pourvu que l’on ait dans les points appartenant à la partie où la surface est libre, ces termes disparaissent.

En passant dans le second terme de l’équation précédente le devant le , et effectuant les intégrations par parties, ce terme se changera en


en marquant par un trait les quantités qui se rapportent à la première limite des intégrales, et par deux traits celles qui se rapportent à la seconde limite. Nous remarquerons d’abord que l’équation de continuité


à laquelle les valeurs de doivent satisfaire dans toute l’étendue du fluide, donne, en la différentiant successivement par rapport à , à et à ,


D’après ces relations, l’expression précédente se réduit à

On voit donc en premier lieu que les équations indéfinies du mouvement du fluide deviendront respectivement

En second lieu, à l’égard des conditions qui se rapportent aux points de la surface du fluide, si l’on désigne, comme on l’a fait plus haut, par les angles que le plan tangent

à la surface forme avec les plans des , des et des si on remplace par par par et les doubles signes d’intégration relatifs à par le signe relatif à  : il sera nécessaire, pour que les termes affectés des quantités soient respectivement réduits à zéro, que l’on ait, pour chacun des points de la surface du fluide, les équations déterminées


La valeur de la constante doit varier suivant la nature des corps avec lesquels le fluide est en contact, et (ce qui est physiquement impossible) s’il y avait un espace vide au-dessus de la portion libre de la surface du fluide, ces équations devraient encore être satisfaites pour les points appartenant à cette portion, en y supposant .

Les équations précédentes peuvent encore être simplifiées. En effet, les molécules du fluide contiguës à la paroi ne pouvant se mouvoir dans une direction perpendiculaire à la surface, on a la relation


en vertu de laquelle elles se réduisent à

Dans un point où la paroi serait perpendiculaire à l’axe des , on aurait simplement

Si elle était perpendiculaire à l’axe des


et si elle était perpendiculaire à l’axe des

On peut, d’après ce qui précède, se former une notion exacte de la nature des constantes et . Concevons une portion de fluide reposant sur un plan, et dont, toutes les molécules se meuvent suivant des lignes parallèles entre elles et à ce plan. Admettons que les vitesses des molécules du fluide comprises dans une même couche parallèle au plan soient égales entre elles ; et que les vitesses de chaque couche, à mesure qu’elles sont plus éloignées du plan, augmentent progressivement et uniformément, en sorte que deux couches dont la distance est égale à l’unité linéaire ont des vitesses dont la différence est aussi égale à l’unité linéaire. Dans cette hypothèse la constante représenté en unités de poids la résistance provenant du glissement de deux couches quelconques l’une sur l’autre, pour une étendue égale à l’unité superficielle.

Si de plus on suppose que la vitesse de la couche en contact avec le plan formant une paroi fixe est égale à l’unité

linéaire, la constante représente en unités de poids la résistance provenant du glissement de cette couche sur la paroi, pour une étendue égale à l’unité superficielle.

IV. Applications des résultats précédents.

Écoulement d’un fluide par un tuyau rectiligne dont la section est rectangulaire.

On considère un tuyau dont les parois sont formées par quatre plans parallèles aux plans des et des . L’axe du tuyau se confond avec l’axe des , qui forme avec l’horizon un angle . Toutes les molécules du fluide sont supposées se mouvoir suivant des directions parallèles à l’axe du tuyau. On a donc ici et désignant par la vitesse que la gravité imprime aux corps pesants dans l’unité de temps, en supposant que les et les positives sont comptées de haut en bas. L’équation de continuité se réduit à ce qui apprend que est fonction de et seulement, ou que toutes les molécules situées sur une même ligne parallèle à l’axe du tuyau doivent à chaque instant avoir les mêmes vitesses. Les équations indéfinies deviennent


et l’on doit y satisfaire dans toute l’étendue du fluide. Il faut de plus, en désignant par la demi-largeur, et par la

demi-épaisseur du tuyau, que l’on ait

La valeur de la pression est indépendante de , en sorte qu’elle est la même pour tous les points situés sur une même ligne horizontale perpendiculaire à l’axe du tuyau. Nommons la distance fixe ou variable de l’extrémité supérieure de la portion de fluide contenue dans le tuyau à l’origine des , la longueur de la partie du tuyau occupée par le fluide, et étant mesures sur l’axe. Désignons par et les hauteurs dues aux pressions qui ont lieu respectivement aux deux extrémités du fluide, pour les points situés dans l’axe, pressions que nous supposerons constantes. Il faudra que l’on ait quand et quand L’expression


satisfait à ces conditions, aussi bien qu’à la troisième des équations indéfinies. En substituant cette expression dans la première de ces équations, et posant il viendra


La quantité représente la différence de niveau des extrémités supérieures des lignes et supposées portées verticalement aux deux extrémités du fluide. La question se réduit maintenant à trouver une expression de qui satisfasse en même temps à cette équation, aux deux équations déterminées écrites ci-dessus, et à l’état initial du fluide.

On satisfait à l’équation précédente au moyen de l’expression


étant des nombres quelconques, représentant un coefficient arbitraire, et un coefficient déterminé par la condition


En substituant ensuite l’expression de dans les deux équations déterminées, et faisant dans la première , et dans la seconde , il en résulte les équations


qui donneront chacune pour et une infinité de valeurs, au moyen desquelles on formera les termes des séries qui entrent dans l’expression de . Il ne reste plus qu’à déterminer les coefficients de ces termes, que nous avons représentés par et . Pour trouver d’abord les coefficients représentés par , on multipliera l’équation dont ils dépendent par et l’on intégrera par rapport à entre les limites et , et par rapport à entre les limites et ce qui donnera

Or on démontre que, les nombres étant supposés assujettis, comme les nombres aux équations déterminées précédentes, la valeur de l’intégrale double indiquée dans le second membre sera 0 si diffère de , ou si diffère de  ; mais que, dans le cas où et , la valeur de cette intégrale est


(Voyez la Théorie de la chaleur, page 399). D’un autre côté, la valeur de l’intégrale double indiquée dans le premier membre est alors L’équation précédente se réduit donc à


ce qui donne la valeur de chacun des coefficients représentés par . Quant aux autres coefficients, ils se détermineront de la même manière par la considération de l’état initial du fluide. Si l’on désigne par la vitesse initiale du filet de fluide dont la position est fixée par les coordonnées on devra avoir

Il résulte de ce qui précède que, quel que soit le mouvement initial du fluide, ce mouvement s’approche continuellement d’un même état régulier et permanent, entièrement indépendant de cet état initial, et dont la nature est exprimée

par l’équation


On forme les termes de la série en donnant successivement à toutes les valeurs qui satisfont aux équations déterminées transcendantes Dans aucun cas le véritable mouvement du fluide, après un temps déterminé, ne différera sensiblement de celui qui est représenté par cette équation.

Pour trouver la vitesse moyenne des filets du fluide, il faut multiplier l’expression précédente par intégrer dans toute l’étendue de la section transversale du tuyau, et diviser par l’aire de cette section transversale. En nommant cette vitesse , on a donc

Cette valeur de donne le mouvement auquel tend continuellement une masse de fluide placée dans un tuyau rectiligne incliné, formant avec l’horizon un angle dont le sinus est Comme la solution précédente ne tient pas compte de la modification que pourraient apporter à ce mouvement les effets qui ont lieu aux extrémités de la colonne de fluide, elle ne peut d’ailleurs s’appliquer en général qu’au cas où le tuyau est assez gros pour que ces effets puissent être négligés. Mais s’il s’agit d’un tuyau établissant la communication entre deux vases, la formule précédente donne la loi du mouvement, lors même que la grosseur de ce tuyau est très-petite, puisque les effets capillaires dont il s’agit disparaissent alors entièrement. Dans ce dernier cas, représente la longueur du tuyau, et la distance verticale des surfaces de l’eau dans deux vases ou ce qu’on appelle communément la charge d’eau.

Si la largeur et la hauteur du tuyau étaient très-petites, les premières valeurs des quantités données par les équations déterminées, seraient à très-peu près Les valeurs suivantes des mêmes quantités différeraient très-peu des nombres Ainsi, dans ce cas, les valeurs qu’il faudrait attribuer aux nombres seraient respectivement et Les nombres de chacune de des ces suites étant, dans l’hypothèse dont il s’agit, très grands par rapport aux premiers, tous les termes de la valeur de à raison du facteur peuvent être négligés par rapport au premier. On a donc simplement


et si la section du tuyau est un quarré dont représente le demi-côté, l’expression de la vitesse moyenne est


Écoulement d’un fluide par un tuyau rectiligne dont la section est circulaire.

La solution donnée précédemment pour le cas d’un tuyau rectangulaire apprend que l’état constant dont le fluide s’approche continuellement, et dont son mouvement ne diffère pas sensiblement au bout d’un certain temps, consiste en ce que les vitesses des filets du fluide décroissent depuis l’axe du tuyau jusqu’aux parois, et sont égales pour des filets placés symétriquement par rapport aux plans parallèles aux parois qu’on supposerait menés par cet axe. Ainsi, si les vitesses initiales ont été imprimées de manière que cette condition se trouve satisfaite, la même condition subsistera pendant toute la durée du mouvement. Il est évident que cette circonstance ne peut être particulière à la forme rectangulaire, et que, pour un tuyau cylindrique, l’état constant du fluide doit être tel que les vitesses des filets décroissent depuis l’axe du tuyau jusqu’à la paroi, et soient égales pour tous les filets situés à la même distance de cet axe. Nous supposerons donc, pour plus de simplicité, et en nous bornant au cas où les vitesses initiales seraient aussi égales pour les filets situés à la même distance de l’axe, que la vitesse est seulement fonction du rayon variable de chaque couche cylindrique du fluide.

Dans ce cas, l’équation différentielle employée ci-dessus deviendra, comme l’on sait,


et on n’aura plus que la seule équation déterminée


qui devra subsister pour la valeur en appelant le rayon du tuyau. L’identité de ces deux équations avec celles dont dépend la recherche du mouvement de la chaleur dans un cylindre, lorsque, dans l’état initial, les points situés à la même distance de l’axe ont des températures égales, permet d’employer ici la solution exposée dans le Chapitre vi de la Théorie de la chaleur.

Pour trouver d’abord une valeur particulière de qui satisfasse aux équations précédentes, nous supposerons donc étant un nombre quelconque, et une fonction de . En substituant dans l’équation indéfinie, où nous faisons pour le moment abstraction du terme constant il viendra


équation dont dépend la fonction . On satisfait à cette équation au moyen de la série


dont la somme est donnée par l’intégrale définie

Si maintenant on substitue la valeur de dans l’équation déterminée et que l’on fasse il vient


ou bien


pour la condition à laquelle doit satisfaire le nombre représenté par L’une ou l’autre de ces équations, qui sont identiques, donnera pour une infinité de valeurs.

En s’assujettissant à prendre les nombres représentés par parmi ces valeurs, l’expression cherchée de la vitesse en et sera donc


et représentant des coëfficients constants ; les coëfficients étant déterminés par la condition que l’on ait, depuis jusqu’à


et les coefficients par la condition étant, au commencement du mouvement, la vitesse de la couche cylindrique de fluide dont le rayon est , on ait, depuis jusqu’à


Il s’agit donc de trouver généralement l’expression du coëfficient d’un terme quelconque du second nombre, dans l’équation


la fonction , ainsi que les nombres qui entrent dans cette fonction, et dont les diverses valeurs servent à composer les termes de la série étant assujettis aux conditions énoncées ci-dessus.

Pour y parvenir, on multipliera chaque membre de l’équation précédente par représentant une fonction de et l’on intégrera depuis jusqu’à ce qui donnera


Mais, à cause de l’équation dont dépend la valeur de


et comme, en intégrant par parties, on a


il vient


les parenthèses affectées des signes et indiquant les valeurs que prennent les quantités comprises dans ces parenthèses, lorsqu’on fait Supposons maintenant que la fonction soit assujettie à satisfaire à l’équation

on aura, au lieu de l’équation précédente,


Or la fonction satisfait effectivement à l’équation que l’on vient de poser, si l’on prend En effet, mettant cette valeur de dans l’équation dont il s’agit, elle devient


c’est-à-dire l’équation même dont dépend la fonction en changeant seulement en

Nous désignerons par la fonction de qui satisfait à l’équation


et par la fonction de qui satisfait à l’équation

En substituant donc à la place de et à la place de il viendra


ou bien


Si l’on suppose d’ailleurs le nombre pris dans la série des valeurs représentées par les fonctions seront également assujetties à satisfaire, pour la valeur particulière à l’équation d’où résulte


Le second membre de l’équation précédente est donc nul, sauf le cas particulier où l’on aurait dans lequel la valeur de ce second membre se présente sous la forme Pour trouver dans ce cas cette valeur, soit L’équation précédente devient

 ;


différentiant les deux termes de la fraction par rapport à , et faisant ensuite , il vient


Or la fonction étant, pour la valeur assujettie aux équations


d’où l’on déduit


l’équation précédente se change en


ou, en nommant la valeur que prend quand et remplaçant par la valeur

Il résulte de ce qui précède, qu’en prenant pour la fonction le coëfficient se trouvera déterminé par l’équation


d’où

Dans le cas particulier dont il s’agit ici, où les coëfficients doivent être déterminés de manière que l’on ait


nous avons La formule précédente donne donc


et par conséquent la portion de la valeur de qui représente les vitesses constantes que le fluide tend toujours à prendre quel qu’ait été son état initial, et qu’il a acquises sensiblement après un certain temps, est


ou bien


Pour déduire de cette expression celle de la vitesse moyenne il faut prendre l’intégrale On aura donc

On formera les termes de la série du second membre, en

mettant pour la suite infinie des valeurs qui satisfont à l’équation transcendante écrite ci-dessus.

Cette valeur de exprimé la vitesse de l’écoulement de l’eau par un tuyau cylindrique qui établit la communication entre deux vases, étant la longueur du tuyau, et la charge d’eau. Si l’on suppose le diamètre du tuyau très-petit, la première valeur de sera très-petite, et égale à toutes les autres valeurs seront très-grandes par rapport à celle-ci. Il en résulte que l’expression de lorsque le rayon du tuyau est très-petit, se réduit à


ou simplement à

En comparant cette expression à celle trouvée précédemment pour un tuyau quarré, on voit que la vitesse moyenne prend la même valeur dans des tuyaux quarrés ou cylindriques, lorsque leur grosseur est la même et très-petite. Ces résultats apprennent d’ailleurs que la valeur de la vitesse est alors sensiblement indépendante de l’action mutuelle des parties du fluide, c’est-à-dire de ce qu’on nomme ordinairement la cohésion, ou la viscosité du fluide : cette valeur dépend presque uniquement de l’adhérence qui existe entre le fluide et sa paroi ; et elle est d’autant plus grande que cette adhérence est plus petite. Lorsque les tuyaux sont très-petits, la vitesse moyenne augmente, toutes choses égales d’ailleurs, proportionnellement au diamètre ; mais elle tend à augmenter dans une proportion plus rapide, à mesure que la grandeur du diamètre augmente elle-même, et alors l’influence de la cohésion du fluide se fait de plus en plus sentir, et finit par déterminer seule, lorsque le diamètre devient très-grand, la vitesse moyenne du fluide.

La théorie précédente est entièrement d’accord avec les résultats principaux des curieuses expériences de M. Girard sur l’écoulement de divers fluides par des tubes capillaires. On en conclut d’abord, comme ces expériences l’avaient indiqué, que la vitesse moyenne, lorsque le mouvement est linéaire, est toujours proportionnelle au rapport résultat tout-à-fait contraire aux idées reçues, puisqu’on pensait que cette proportionnalité ne devait avoir lieu que pour des vitesses très-petites. Cet accord prouve que la supposition d’une action proportionnelle à la vitesse, entre la paroi et le fluide, est exacte, dans l’étendue au moins des vitesses soumises à l’observation.

On conclut aussi de cette théorie, que la vitesse d’un même liquide, coulant dans des tubes de même matière, mais de diverses grosseurs, augmente avec la grosseur du tube, conformément à l’indication donnée par l’expérience [1].

La théorie dont il s’agit apprenant que la vitesse, lorsque le diamètre du tuyau est extrêmement petit, ne dépend que de l’action réciproque du fluide de la paroi, on ne peut être étonné de voir le même fluide couler avec des vitesses très-différentes dans des tuyaux capillaires de diverses matières : l’eau, par exemple, couler trois ou quatre fois moins vite dans le verre que dans le cuivre.

On ne peut être étonné non plus de voir un fluide tel que l’alcool, dont les molécules sont moins adhérentes entre elles que ne le sont celles de l’eau et celles de l’huile de térébenthine, couler néanmoins plus lentement que ces deux derniers liquides dans des tubes de verre. On en conclura seulement que l’alcool adhère plus fortement au verre que ne le font l’eau et l’huile de térébenthine.

À l’égard des différences que présente l’écoulement d’un même fluide dans un même tube capillaire, sous diverses températures, elles s’expliquent naturellement, en admettant que l’action de la paroi sur le fluide diminue généralement à mesure que la température s’élève. Les expériences montrent d’ailleurs que tous les fluides ne suivent pas à cet égard la même loi. On voit, par exemple, que si l’on fait couler l’eau et une dissolution de nitrate de potasse dans le verre, le premier fluide coule plus lentement quand la température est au-dessous de 250 degrés environ, tandis qu’il coule plus vite quand la température est plus élevée : on conçoit en effet que l’élévation de la température peut déterminer dans certains cas, entre la matière du liquide et celle de la paroi, un commencement d’action chimique qui balance l’effet de la chaleur, et en vertu duquel il se manifeste une adhésion plus grande.

Il paraît, d’après les résultats précédents, que l’écoulement d’un fluide dans un tuyau d’un très-petit diamètre offre un des meilleurs moyens que l’on puisse employer pour se former l’idée de la grandeur de l’adhérence qui s’établit entre la surface des corps solides et les liquides qui les mouillent. On sait que l’observation des phénomènes capillaires, dont M. de Laplace a donné la théorie, fait connaître l’adhésion des molécules fluides entre elles. On peut conclure des expériences de M. Gay Lussac, rapportées dans la Supplément au xe livre de la Mécanique céleste, les poids qui seraient nécessaires pour rompre une colonne d’eau, d’alcool, ou d’huile de térébenthine, d’un diamètre donnée, en la tirant par ses extrémités opposées. La force que ces poids mesureraient ne doit pas être confondue avec celle désignée ci-dessus par la constante mais il est très-vraisemblable que ces deux forces conservent les mêmes rapports dans divers fluides. Il paraît difficile, quant à présent, d’exécuter des expériences dont on puisse conclure avec une exactitude suffisante la valeur de la constante parce que l’écoulement dans des tuyaux d’un très-petit diamètre n’est point propre à faire connaître cette valeur ; et parce que, avec des tuyaux plus gros, on pourrait difficilement être assuré que le mouvement fût exactement linéaire.

Les recherches précédentes ne s’appliquent pas aux cas où le fluide coulent dans des parois qu’elles ne sont pas susceptibles de mouiller : par exemple au cas du mercure coulant dans le verre. On se tromperait si l’on croyait pouvoir adapter à des cas semblables les formules précédentes, en y supposant nul. Il conviendrait plutôt alors de considérer l’action des parois comme opposant au glissement de la couche extrême du fluide une résistance analogue au frottement des corps solides glissants les uns sur les autres. Une circonstance très-remarquable, observée par M. Girard, et qui consiste en ce que l’écoulement du mercure dans un tuyau capillaire de verre s’arrête de lui-même lorsque le niveau du fluide dans le réservoir est descendu à une certaine hauteur au-dessus de l’orifice du tube, paraît indiquer manifestement que la résistance provenant du glissement sur la paroi, par laquelle le mouvement du fluide se trouve ici modifié, est dépendante, comme le frottement des corps solides, de l’intensité de la pression.

Mouvement linéaire dans un lit découvert.

Considérons une masse de fluide coulant dans un lit rectangulaire, dirigé en ligne droite, et d’une longueur indéfinie ; admettons que le mouvement du fluide soit linéaire, c’est-à-dire que toutes les molécules se meuvent suivant des lignes droites parallèles aux plans qui forment les parois du lit. Les équations différentielles seront les mêmes que dans la question du mouvement dans un tuyau, c’est-à-dire qu’en supposant le mouvement uniforme, on aura


La pression ne variant point avec , il s’ensuit nécessairement que la section de la surface du fluide, par un plan parallèle au plan des est horizontale. Cette surface est donc plane. En la prenant pour le plan des la valeur de la pression sera


car dans la question dont il s’agit, les quantités représentées ci-dessus par et sont nulles, quand on fait abstraction de la pression atmosphérique. L’équation différentielle à laquelle l’expression de en doit satisfaire est donc simplement

À l’égard des conditions relatives aux points des parois, en désignant toujours par la demi-largeur du lit, on devra avoir comme ci-dessus


Si nous nommons la profondeur du lit, et si nous regardons comme nulle la résistance qui provient du frottement de la surface supérieure de l’eau contre la couche d’air qui est en contact avec elle, nous devrons avoir

On voit facilement, d’après cela, que l’expression de trouvée ci-dessus pour le cas du tuyau,


convient à la question dont il s’agit présentement, avec cette seule différence que l’axe des au lieu de passer par le centre des sections transversales, passe ici par le milieu de leur côté supérieur. est la pente de la surface du fluide, la demi-largeur du lit, sa profondeur. La plus grande vitesse est celle du filet situé au milieu de la surface du fluide, et les vitesses diminuent à partir de ce point à mesure qu’on s’approche des parois.

La vitesse moyenne est également exprimée, comme dans le cas du tuyau, par la formule

On s’est beaucoup occupé de rechercher par l’expérience le rapport qui existe entre la vitesse moyenne, et celle qui a lieu à la surface et au milieu du lit, et qui est la plus grande de toutes. Cette dernière vitesse se déduit de l’expression précédente de en faisant en sorte qu’en la nommant , on a

Si nous supposons d’abord et extrêmement petits, cas dans lequel les premières valeurs de et sont et les séries se réduisent sensiblement à leurs premiers termes, nous trouvons à fort peu près


ainsi, le rapport des deux vitesses tend à devenir égal à l’unité quand les dimensions du lit diminuent de plus en plus.

Lors même que et ne sont pas très-petits, le rapport de à diffère peu de celui des premiers termes des séries. On peut considérer ce rapport comme représenté à fort peu près par la formule


dans laquelle on mettrait pour les plus petites valeurs qui satisfont aux équations dont dépendent ces quantités. Si l’on suppose et très-grands, ces valeurs sont  ; on a donc alors à peu près


Si l’on suppose très-grand, et très-petit, on aura ce qui donne

On suppose ordinairement et d’après l’autorité de Dubuat, on regarde ce rapport comme pouvant s’appliquer à différents lits, dont les sections transversales n’auraient point la même figure et les mêmes dimensions absolues. Les résultats précédents montrent qu’effectivement la valeur 0, 8 tient une sorte de milieu entre les valeurs extrêmes du rapport dont il s’agit ; mais on en conclut que ces valeurs peuvent varier sensiblement avec la grandeur et la proportion des deux dimensions de la section.

Il est essentiel de remarquer d’ailleurs, qu’en admettant l’exactitude des expériences connues sur le mouvement uniforme de l’eau dans les canaux découverts et les tuyaux servant à la conduite des eaux, il résulte de la nouvelle théorie exposée dans ce Mémoire, que la supposition d’un mouvement linéaire n’est point propre à représenter complètement les phénomènes de ce mouvement, à l’exception des cas où le diamètre des tuyaux est très-petit. Nous remarquerons aussi qu’en entreprenant de résoudre exactement la question dont il s’agit, il ne conviendrait point de supposer à la surface supérieure du fluide. Il faudrait prendre en considération l’action qui s’établit à cette surface entre l’air et l’eau, et le mouvement que l’eau doit communiquer aux couches d’air qui reposent sur elle

Dans le cas où l’on aurait ainsi à considérer l’action mutuelle de deux couches formées de deux fluides différents, glissant l’une sur l’autre parallèlement à leur plan de séparation, on verra facilement, par les principes établis dans ce Mémoire, qu’en nommant la vitesse dans le premier fluide, et la vitesse dans le second fluide, les conditions relatives à la surface de contact seraient

et par conséquent


désignant la valeur que prend dans le second fluide, et un nouveau coëfficient proportionnel à l’action réciproque des molécules de l’un des fluides sur celles de l’autre.


Séparateur

  1. M. Girard trouve que les résultats de ses expériences, lorsque les tuyaux sont assez longs pour que le mouvement y soit devenu linéaire, sont représentés par la formule


    étant la vitesse moyenne, le diamètre du tuyau, sa longueur, et la charge d’eau. Cette formule ne diffère en rien de celle à laquelle nous parvenons pour le cas d’un tuyau dont le diamètre est extrêmement petit. Le coëfficient dans la formule de M. Girard, est la quantité que nous avons désignée par divisée par la masse de l’unité de volume.

    Il résulte des expériences dont il s’agit, qu’à la température de 12° environ, la valeur du coëfficient ou pour l’eau coulant dans le cuivre, est environ 0,0023 pour un tuyau de 0m,00183 de diamètre ; et environ 0,0027 pour un tuyau, de 0m,00296 de diamètre. L’inégalité de ces valeurs, si elle ne provient pas de quelque différence dans l’état de la surface des deux tuyaux, indique que leurs diamètres ne sont pas assez petits pour qu’on puisse leur appliquer rigoureusement la formule On peut présumer aussi que les tuyaux n’étaient pas encore assez longs pour que le mouvement y fût parfaitement linéaire, et qu’en les allongeant davantage, on aurait trouvé pour le coëfficient des valeurs plus petites, et qui auraient offert moins de différences dans des tuyaux de diamètres différents.

    Quoi qu’il en soit, les expériences apprennent que la valeur de pour l’eau coulant sur le cuivre, est un peu moindre que 0,0023 la température étant 12° environ, le mètre et la seconde sexagésimale étant l’unité linéaire et l’unité de temps. On a donc ou, prenant le kilogramme pour unité de poids, La quantité représente en unités de poids, comme on l’a dit ci-dessus, la résistance nécessaire pour surmonter le frottement d’une couche de fluide coulant sur une paroi solide avec une vitesse égale à l’unité linéaire, l’étendue de cette couche étant égale à l’unité superficielle. Donc la résistance provenant du frottement d’une couche d’eau d’un mètre quarré de surface, coulant sur du cuivre avec une vitesse d’un mètre par seconde, à la température de 12°, est d’environ de kilogramme. On peut juger par là que les frottements résultants des mouvements des fluides ont des valeurs très-sensibles, et on ne peut être surpris de l’influence considérable qu’ils ont dans plusieurs cas sur les circonstances du mouvement.