Mémoire sur les lois du mouvement des fluides/III

Académie des sciences (France)
Mémoire sur les lois du mouvement des fluides

III. Expressions des forces provenant des actions moléculaires qui ont lieu dans l’état de mouvement.

Si, dans l’état de mouvement d’un fluide, les forces répulsives existantes entre les molécules ne subissaient aucune altération, les conditions du mouvement se déduiraient de celles de l’équilibre en exprimant, conformément aux principes de la mécanique, que les forces accélératrices auxquelles sont dus les mouvements de chaque particule sont égales à la résultante des forces qui agissent sur cette particule, et qui se détruisent mutuellement dans l’état d’équilibre. En désignant par les vitesses parallèles aux axes des des et des à la fin du temps de la molécule située dans le point dont les coordonnées sont et par la densité du fluide, on aurait ainsi les trois équations


On devrait avoir également dans tous les points de la surface libre du fluide. Il faudrait exprimer que les molécules contiguës aux parois solides ne peuvent se mouvoir que dans le sens de ces parois. Enfin l’on doit joindre aux équations précédentes celle qui exprime que le volume des parties du fluide est invariable, qui est

Mais, d’après les notions exposées ci-dessus, il est nécessaire d’admettre l’existence de nouvelles forces moléculaires, qui sont développées par l’état de mouvement du fluide. La recherche des expressions analytiques de ces forces est le principal objet que l’on s’est proposé dans la composition de ce mémoire.

Considérons toujours deux molécules très-voisines Les vitesses de la molécule dans le sens des axes étant celles de la molécule sont au même instant

en négligeant les puissances supérieures des coordonnées qui sont toujours supposées extrêmement petites. On a donc


pour la différence des vitesses des molécules placées aux points estimées suivant la ligne en sorte qu’en vertu du principe que nous avons adopté, il s’établit entre ces deux molécules une action proportionnelle à la quantité Si nous multiplions cette quantité par une fonction de la distance des molécules qui ait la propriété de diminuer avec une rapidité extrême quand augmente à partir de zéro, et de devenir nulle dès que a une valeur sensible ; l’expression représentera la force qui existe entre deux molécules quelconques du fluide. Il s’agit de prendre les moments des forces semblables dans toute l’étendue de la masse. Considérant donc le fluide dans son état de mouvement, nous supposerons que l’on donne au système une impulsion par l’effet de laquelle les vitesses actuelles aient varié respectivement des quantités Le produit des forces qui seraient appliquées à la molécule dans le sens des axes multipliées respectivement par ces variations, représenteront les moments de ces forces, et l’on

aura de même pour la somme du moment de la force considérée comme agissant de sur et du moment de la même force considérée comme agissant de sur L’expression précédente de donne

et par conséquent le moment des forces intérieures provenant des actions mutuelles des deux molécules et est exprimé par

Il faut donc prendre la somme des quantités semblables pour toutes les molécules du fluide, considérées deux à deux, afin de la faire entrer dans l’équation générale qui donnera les lois du mouvement. Pour y parvenir, nous prendrons d’abord la somme de ces moments pour les actions réciproques exercées entre la molécule et toutes celles qui l’avoisinent ; puis nous ajouterons les sommes semblables qui seront fournies par tous les points du fluide.

Afin d’effectuer de la manière la plus simple la première intégration, qui doit être faite autour du point nous remarquerons, comme ci-dessus, que l’on peut distinguer avec le point dont les coordonnées comptées du point sont sept autres points situés à la même distance du point dont les coordonnées auront les mêmes valeurs absolues, mais des signes différents. La formule précédente représentera les valeurs des moments relatifs aux actions réciproques du point et de l’un quelconque de ces huit points, en donnant dans cette formule à les signes qui conviennent à chacun d’eux. Si l’on ajoute ensuite les huit valeurs que l’on obtiendra ainsi, les termes contenant des puissances paires des coordonnées se trouveront multipliés par 8, et les termes contenant des puissances impaires de ces mêmes coordonnées se seront détruits réciproquement. Cette circonstance est une suite nécessaire de ce que les valeurs correspondantes aux huit points dont il s’agit, considérées deux à deux, diffèrent seulement par le signe de l’une des coordonnées. La somme cherchée sera donc, en effectuant la multiplication indiquée,

Cette addition étant faite, il ne reste plus qu’à intégrer dans la huitième partie de la sphère dont le point M est le centre, où les valeurs de , , sont positives. À cet effet, on changera ces coordonnées en d’autres coordonnées polaires, et désignant par l’angle du rayon avec sa projection sur le plan des , et par l’angle que forme cette projection avec l’axe des on aura


valeurs qui devront être substituées dans la formule précédente. On la multipliera ensuite par l’expression de l’élément du volume dans le nouveau système de coordonnées, et on intégrera par rapport à et de à et par rapport à de à En faisant abstraction du facteur en on aura d’abord


Multipliant chacune de ces quantités par et intégrant entre les limites indiquées, on trouve pour la valeur commune des trois premières intégrales et pour la valeur commune des trois dernières Par conséquent si nous posons


la somme des moments de toutes les actions exercées réciproquement entre la molécule et celles qui l’avoisinent se trouvera exprimée par

}} Il faut maintenant prendre la somme des quantités semblables à la précédente pour tous les points de la masse du fluide. On y parviendra en remarquant que, pour tous les points compris dans un élément rectangulaire infiniment petit, dont les dimensions sont les valeurs de ces quantités ne diffèrent pas ; d’où il résulte que la somme de ces quantités, pour tous les points compris dans l’élément, s’obtient en multipliant l’expression précédente par le volume Il ne restera plus qu’à intégrer par rapport à dans toute l’étendue de la masse du fluide. On pourrait d’ailleurs remarquer ici, comme dans le IIe paragraphe, que l’on prend deux fois la somme des moments dont il s’agit, et que, pour une entière exactitude, on doit regarder le facteur comme étant compris dans la constante en outre des facteurs écrits ci-dessus.

Nous venons de trouver l’expression de la somme des moments des forces provenant des actions réciproques des molécules du fluide : nous allons passer maintenant à la recherche de la somme des moments des forces provenant des actions exercées entre les molécules du fluide et celles des parois solides.

Considérons à cet effet un point appartenant à la surface de séparation du fluide et de sa paroi, dont les coordonnées sont et où les valeurs des vitesses du fluide, dans le sens de chaque axe, sont Considérons ensuite une molécule du fluide, placée très-près du point dans le point dont les coordonnées sont Les valeurs des vitesses de la molécule dans le sens de chaque axe, seront


en négligeant les puissances supérieures des quantités qui sont supposées extrêmement petites. La vitesse avec laquelle la molécule s’éloigne du point , est donc égale à


en négligeant toujours les termes du second ordre en par rapport aux termes du premier ordre ; et cette formule représente également la vitesse avec laquelle la molécule du fluide s’éloigne de toutes les molécules de la paroi solide qui sont situées dans le prolongement de la ligne . Il suit de là, et du principe que nous avons énoncé, que les actions réciproques exercées entre la molécule du fluide et une molécule quelconque de la paroi située dans le prolongement de la ligne sont toutes proportionnelles à la quantité précédente. Elles ne diffèrent les unes des autres qu’à raison de l’inégalité des distances entre et les molécules dont il s’agit.

Si d’ailleurs les molécules du fluide reçoivent une impulsion, en vertu de laquelle les vitesses de la molécule , dans le sens de chaque axe, augmentent des quantités la vitesse de cette molécule, dans le sens de la ligne , aura augmenté de la quantité


Donc les moments des actions réciproques entre la molécule et l’une quelconque des molécules de la paroi situées sur le prolongement de la ligne , sont proportionnels à

Ainsi, pour avoir la somme des moments fournis par toutes les actions dont il s’agit, il faudrait multiplier l’expression précédente par une fonction de la distance supposée entre la molécule et une molécule de la paroi, puis intégrer depuis jusqu’à . Or, en faisant cette opération, on doit nécessairement trouver pour résultat l’expression précédente multipliée par une fonction de , qui décroisse très-rapidement quand augmente à partir de , et devienne nulle quand acquiert une valeur sensible. Car l’action de la molécule sur celles de la paroi est nécessairement assujettie à cette condition. Donc, en représentant par une telle fonction, on doit prendre


pour l’expression de la somme des moments des actions exercées entre la molécule du fluide, et celles des molécules de la paroi qui se trouvent dirigées suivant la ligne .

Nous allons maintenant prendre la somme des moments semblables fournis par toutes les molécules du fluide situées dans le voisinage du point . Nous obtiendrons de cette manière la somme des moments de toutes les actions réciproques, entre les molécules du fluide et de la paroi, qui sont dirigées suivant des lignes passant par le point  : il ne restera plus qu’à ajouter les sommes semblables fournies par tous les points de la surface du fluide.

Il s’agit donc d’abord d’intégrer l’expression précédente dans l’étendue du fluide qui se trouve à une très-petite distance du point . Cette intégrale doit généralement se prendre d’une manière différente lorsque la paroi est plane, et lorsqu’elle est courbe ; mais ayant supposé précédemment le rayon de la sphère d’activité des actions moléculaires assez petit pour qu’il fût permis de négliger, dans l’étendue de cette sphère, les quarrés des distances par rapport à leurs premières puissances, nous devons admettre, comme une suite de cette hypothèse, que la surface de la paroi (sauf les arêtes ou les points singuliers) se confond avec son plan tangent dans l’espace où l’intégration doit s’effectuer. Ainsi supposant que l’on ait mené par le point à la surface de la paroi un plan tangent, nous prendrons l’intégrale dont il s’agit dans la demi-sphère dont le point est le centre, et qui est terminée par ce plan. Pour fixer la direction du plan tangent mené par le point , soit la direction de la normale à la surface passant par ce point : nous désignerons par l’angle que la projection de cette normale sur le plan des fait avec l’axe des , et par l’angle que la normale elle-même fait avec sa projection.

Cela posé, nous allons d’abord changer les coordonnées en d’autres coordonnées rectangulaires dont les axes seront dirigés comme il suit. La normale est l’axe des . Menant par le point un plan perpendiculaire à cette normale, l’intersection de ce plan avec le plan des est l’axe des . Enfin l’intersection du plan perpendiculaire dont on vient de parler avec le plan contenant les lignes est l’axe des . En adaptant à ces suppositions les formules connues pour la transformation des coordonnées rectangulaires, nous aurons

et ces valeurs, substituées dans l’expression précédente, la changeront en

expression qu’il faut intégrer pour toutes les valeurs de et , et pour les valeurs positives seulement de . Cette opération se simplifiera en remarquant que si l’on considère quatre points placés symétriquement, pour lesquels est positif, mais dont les autres coordonnées et différent deux à deux par le signe ; et qu’on ajoute les valeurs que prendrait l’expression précédente en ces quatre points, il ne restera dans le résultat de l’addition que les termes affectés

des puissances paires de et , termes qui se trouveront

multipliés par 4. Ainsi, effectuant la multiplication indiquée, tout se réduit à intégrer la quantité


dans l’étendue du huitième de sphère où et ont des valeurs positives.

Pour y parvenir nous substituerons, comme ci-dessus, les coordonnées polaires et aux coordonnées rectangulaires, en posant


Mettant donc ces valeurs dans l’expression précédente, et multipliant par l’élément de volume , nous aurons à prendre d’abord les trois intégrales

entre les limites et et nous trouverons pour leur valeur

commune Substituant cette valeur à la place de et  ; posant


et ayant égard aux réductions qui s’opèrent, il viendra définitivement


pour l’expression cherchée de la somme des moments de toutes les actions qui s’exercent entre les molécules de la paroi et du fluide, suivant des directions qui passent par le point de la surface de séparation du fluide et de la paroi. La lettre représente une constante dont la valeur sera donnée par l’expérience, d’après la nature de la paroi et du fluide, et qui peut être regardée comme la mesure de leur action réciproque. On prendra ensuite la somme des moments de toutes les actions semblables, en multipliant l’expression précédente par l’élément de la surface du fluide, et intégrant dans toute l’étendue de cette surface.

Il résulte de tout ce qui précède, qu’en admettant les principes énoncés dans l’article 1er  de ce Mémoire, l’équation générale exprimant l’égalité à zéro de la somme des moments des forces appliquées aux molécules d’un fluide incompressible, dans l’état de mouvement, est

Le signe désigne une intégration effectuée dans toute l’étendue de la surface du fluide, en faisant varier la quantité suivant la nature des corps avec lesquels cette surface est en contact. Il est inutile de tenir compte des termes relatifs à l’équilibre des points de cette surface, puisque, pourvu que l’on ait dans les points appartenant à la partie où la surface est libre, ces termes disparaissent.

En passant dans le second terme de l’équation précédente le devant le , et effectuant les intégrations par parties, ce terme se changera en


en marquant par un trait les quantités qui se rapportent à la première limite des intégrales, et par deux traits celles qui se rapportent à la seconde limite. Nous remarquerons d’abord que l’équation de continuité


à laquelle les valeurs de doivent satisfaire dans toute l’étendue du fluide, donne, en la différentiant successivement par rapport à , à et à ,


D’après ces relations, l’expression précédente se réduit à

On voit donc en premier lieu que les équations indéfinies du mouvement du fluide deviendront respectivement

En second lieu, à l’égard des conditions qui se rapportent aux points de la surface du fluide, si l’on désigne, comme on l’a fait plus haut, par les angles que le plan tangent

à la surface forme avec les plans des , des et des si on remplace par par par et les doubles signes d’intégration relatifs à par le signe relatif à  : il sera nécessaire, pour que les termes affectés des quantités soient respectivement réduits à zéro, que l’on ait, pour chacun des points de la surface du fluide, les équations déterminées


La valeur de la constante doit varier suivant la nature des corps avec lesquels le fluide est en contact, et (ce qui est physiquement impossible) s’il y avait un espace vide au-dessus de la portion libre de la surface du fluide, ces équations devraient encore être satisfaites pour les points appartenant à cette portion, en y supposant .

Les équations précédentes peuvent encore être simplifiées. En effet, les molécules du fluide contiguës à la paroi ne pouvant se mouvoir dans une direction perpendiculaire à la surface, on a la relation


en vertu de laquelle elles se réduisent à

Dans un point où la paroi serait perpendiculaire à l’axe des , on aurait simplement

Si elle était perpendiculaire à l’axe des


et si elle était perpendiculaire à l’axe des

On peut, d’après ce qui précède, se former une notion exacte de la nature des constantes et . Concevons une portion de fluide reposant sur un plan, et dont, toutes les molécules se meuvent suivant des lignes parallèles entre elles et à ce plan. Admettons que les vitesses des molécules du fluide comprises dans une même couche parallèle au plan soient égales entre elles ; et que les vitesses de chaque couche, à mesure qu’elles sont plus éloignées du plan, augmentent progressivement et uniformément, en sorte que deux couches dont la distance est égale à l’unité linéaire ont des vitesses dont la différence est aussi égale à l’unité linéaire. Dans cette hypothèse la constante représenté en unités de poids la résistance provenant du glissement de deux couches quelconques l’une sur l’autre, pour une étendue égale à l’unité superficielle.

Si de plus on suppose que la vitesse de la couche en contact avec le plan formant une paroi fixe est égale à l’unité linéaire, la constante représente en unités de poids la résistance provenant du glissement de cette couche sur la paroi, pour une étendue égale à l’unité superficielle.