Mémoire sur les lois du mouvement des fluides/I

Académie des sciences (France)
Mémoire sur les lois du mouvement des fluides

I. Notions préliminaires.

Les géomètres représentent, au moyen d’équations aux différences partielles, les conditions générales de l’équilibre et du mouvement des fluides. Ces équations ont été déduites de divers principes, qui supposent tous que les molécules du fluide sont susceptibles de prendre les unes par rapport aux autres des mouvements quelconques, sans opposer aucune résistance, et de glisser sans effort sur les parois des vases dans lesquels le fluide est contenu. Mais les différences considérables, ou totales, que présentent dans certains cas les effets naturels avec les résultats des théories connues, indiquent la nécessité de recourir à des notions nouvelles, et d’avoir égard à certaines actions moléculaires qui se manifestent principalement dans les phénomènes du mouvement. On sait, par exemple, que, dans le cas où l’eau s’écoule hors d’un vase par un long tuyau d’un petit diamètre, le calcul conduit à attribuer à ce fluide une vitesse d’écoulement qui surpasse beaucoup celle que l’on observe, et qui est soumise à des lois différentes.

Nous considérons ici un fluide incompressible, et nous nous représentons ce corps comme un assemblage de points matériels, ou molécules, placées à des distances très-petites les unes des autres, et susceptibles de changer presque librement de position les unes par rapport aux autres. Une pression est exercée sur la surface du fluide, et pénètre dans l’intérieur du corps. Elle tend à rapprocher les parties, qui résistent à cette action par des forces répulsives qui s’établissent entre les molécules voisines. Si le fluide est en repos, chaque molécule est en équilibre, en vertu de ces forces répulsives et des forces étrangères, telles que la pesanteur, qui peuvent agir sur elle ; et c’est en cela que consiste l’état du corps.

Si le fluide est en mouvement, ce qui suppose, en général, que les molécules voisines s’approchent ou s’éloignent les unes des autres, il nous paraît naturel d’admettre que les forces répulsives dont il vient d’être question sont modifiées par cette circonstance. Nous concevons en effet que, dans l’état de repos du fluide, les molécules voisines se sont placées à des distances respectives déterminées par la condition d’une destruction mutuelle des forces de répulsion et de compression ; ce qui a déterminé la grandeur du volume occupé par le corps, en raison de la température et de la pression extérieure à laquelle il est soumis. Or, tous les phénomènes indiquent que les actions exercées de molécule à molécule, dans l’intérieur des corps, varient avec la distance des molécules ; que si l’on veut diminuer la distance des parties, on fait naître une force de répulsion ; que si l’on veut augmenter cette distance, on fait naître une force d’attraction. Un liquide résiste beaucoup moins qu’un solide à un effort qui tend à écarter les parties voisines les unes des autres, mais l’expérience prouve que la résistance à l’écartement n’est pas nulle. Nous admettrons d’après ces considérations, que, dans un fluide en mouvement, deux molécules qui s’approchent l’une de l’autre se repoussent plus fortement, et que deux molécules qui s’éloignent l’une de l’autre se repoussent moins fortement qu’elles ne le feraient si leur distance actuelle ne changeait pas ; et nous prendrons pour principe, dans les recherches suivantes, que par l’effet du mouvement d’un fluide, les actions répulsives des molécules sont augmentées ou diminuées d’une quantité proportionnelle à la vitesse avec laquelle les molécules s’approchent ou s’éloignent les unes des autres.

Il s’établit de même, dans l’état d’équilibre, des actions répulsives entre les molécules du fluide et celles des parois solides dans lesquelles il est contenu. Ces actions doivent être également modifiées dans l’état de mouvement, et nous supposerons encore qu’elles sont augmentées ou diminuées de quantités proportionnelles aux vitesses avec lesquelles chaque molécule du fluide s’approche ou s’éloigne de chaque molécule immobile appartenant à la paroi.