Mémoire sur l’écoulement de l’éther et de quelques autres fluides par des tubes capillaires

Lu à l’Académie le 27 octobre 1817.





Lorsque j’ai rendu compte à l’Académie au commencement de cette année d’une suite d’expériences sur l’écoulement linéaire de différens fluides, par des tubes capillaires de verre, je n’avais pas eu l’occasion de soumettre l’éther aux mêmes épreuves ; je vais rapporter quelques observations sur l’écoulement de cette liqueur comparé à celui de l’alcohol et de l’eau, dans le même tube et sous la même charge de fluide.

J’ai implanté horizontalement dans la paroi verticale d’un vase cylindrique de cristal de 0,031 millimètres de diamètre, un tube de verre de 0m,939 millimètres de longueur, et de 0m,001767 millimètres d’ouverture, le même dont je m’étais servi précédemment ; j’ai tracé sur la surface du réservoir cylindrique deux traits horizontaux, l’un à 95, l’autre à 35 millimètres seulement au-dessus de l’orifice du tube, de sorte que ces deux traits étaient séparés l’un de l’autre par un intervalle de 60 millimètres.

Les différens fluides, mis en expérience, ont été versés dans ce réservoir jusqu’au-dessus du trait supérieur que porte sa paroi. Les laissant ensuite écouler librement par le tube capillaire horizontal qui y était implanté, on a observé le nombre de secondes que leur surface a mis à s’abaisser de la hauteur de 60 millimètres comprise entre les deux traits. De cette manière il est sorti du vase, pendant chacune de ces observations, un même volume de liquide de 45 centimètres cubes à très-peu-près ; et, attendu la linéarité du mouvement, cet écoulement a eu lieu sous une charge moyenne de 65 millimètres.

La température des liquides, mesurée sur le thermomètre centigrade, était à 12 degrés pendant les expériences dont voici le résultat :

1° L’éther sulphurique, à 60 degrés de l’aréomètre de Beaumé, s’est écoulé en 101 secondes, durée moyenne prise entre trois expériences consécutives qui ne différaient que de quelques secondes entre elles.

2° L’alcohol rectifié, à degrés du même aréomètre, s’est écoulé en 856 secondes.

3° L’eau distillée, en 349 secondes.

On voit d’abord que les durées de l’écoulement d’un même volume de ces trois liquides, croissent dans l’ordre suivant : éther, eau, et alcohol, et dans les rapports de 101 à 349, et à 856.

On voit ensuite que les durées de l’écoulement de l’eau et de l’alcohol, dans les observations que nous venons de rapporter, sont entre elles précisément dans le même rapport que nous avions déjà conclu de nos expériences précédentes faites sur ces deux liquides à la même température de 12 degrés ; par conséquent ces premières expériences, et nos observations actuelles qui ont eu lieu sous une charge différente, se confirment les unes par les autres.

Si l’on compare la durée de l’écoulement de l’eau à celle de l’écoulement de l’éther, on voit qu’elles sont entre elles dans le rapport de 349 à 101, ou d’environ 7 à 2, de sorte que le produit de l’écoulement de l’eau que, dans les mêmes circonstances nous avions trouvé jusqu’à-présent le plus considérable de tous, à l’exception du produit de l’écoulement de quelques dissolutions de nitrate de potasse à certaines températures, n’est à 12 degrés que les du produit de l’écoulement de l’éther.

Enfin, comparant les durées de l’écoulement de l’éther et de l’alcohol, on observe qu’elles sont entre elles comme 101 à 856, c’est-à-dire à très-peu-près dans le rapport de 2 à 17.

Ainsi les produits de l’écoulement linéaire de l’éther et de l’alcohol, deux fluides qui semblent se rapprocher par leurs pesanteurs spécifiques, leur degré de fluidité, et leurs autres propriétés physiques, diffèrent beaucoup plus entre eux qu’ils ne diffèrent respectivement du produit de l’écoulement linéaire de l’eau, qui est beaucoup plus dense et qui semble n’avoir avec l’éther et l’alcohol d’autre propriété commune que la liquidité.

Ces phénomènes ne peuvent être expliqués qu’en admettant, suivant notre théorie, qu’une couche de ces fluides reste adhérente à la paroi intérieure du tube et en restreint plus ou moins l’ouverture selon qu’elle est plus ou moins épaisse, ce qui dépend du degré d’affinité ou de l’attraction mutuelle du fluide et de la matière du tube.

Le diamètre de ce tube étant diminué de la double épaisseur de la couche fluide qui le tapisse intérieurement, la force retardatrice par laquelle l’action de la gravité est contrebalancée dans le filet fluide en mouvement n’est plus due, comme cela suit évidemment de la même théorie, qu’à la cohésion des molécules de la surface de ce filet, lorsqu’il se détache de la couche immobile sur laquelle il glisse.

Ceci nous conduit à rappeler que les produits de l’écoulement des liquides, par lesquels la matière des tubes est susceptible d’être mouillée, se trouvent toujours modifiés par deux causes essentiellement distinctes : l’une, est l’affinité du fluide et de la matière du tube, affinité en vertu de laquelle le diamètre de celui-ci subit une réduction plus ou moins forte ; l’autre, est la cohésion mutuelle des molécules fluides.

Appliquant ces considérations à l’écoulement de l’éther, dont la durée n’est que les environ du temps employé à l’écoulement d’un même volume d’eau et un peu moindre que les seulement du temps employé à l’écoulement d’un même volume d’alcohol, il resterait à rechercher comment les deux causes distinctes que nous venons d’indiquer agissent séparément pour occasionner cette différence dans le produit de l’écoulement de l’éther comparé à celui de l’eau et de l’alcohol.

Cette différence provient-elle en effet de ce que l’action de la surface du verre, s’étendant à une très-petite distance sur l’éther qui est en contact avec elle, l’épaisseur de la couche de ce fluide qui tapisse l’intérieur du tube, est beaucoup moindre que l’épaisseur de la couche d’eau ou d’alcohol qui le tapisse à la même température, ce qui laisse réellement à ce tube une ouverture d’autant plus grande, ou provient-elle de ce que la cohésion des molécules d’éther entre elles est très-petite ? La facilité avec laquelle cette liqueur se vaporise porte naturellement à croire que ces deux causes concourent à augmenter le produit de son écoulement, car nous avons fait voir ailleurs que lorsque l’eau, par exemple, est au moment de se réduire en vapeurs, ce qui la rapproche de l’état habituel de l’éther, la couche d’eau qui tapisse l’intérieur du tube est extrêmement mince. D’un autre côté il est clair que les molécules d’un liquide quelconque sont d’autant plus distantes et par conséquent d’autant moins adhérentes entre elles que ce fluide est plus près de passer à l’état aériforme, il est donc extrêmement probable que la couche d’éther qui tapisse l’intérieur du tube, et qui lui reste adhérente pendant le mouvement, est plus mince que la couche d’eau ou d’alcohol qui la tapisse à la même température en même temps que la cohésion des molécules d’éther entre elles est moindre que celle des molécules des deux autres liquides.

Or toutes nos expériences concourent à prouver que l’action de la surface intérieure d’un tube sur un fluide quelconque qui a la propriété de le mouiller, et l’action de ce fluide sur lui-même sont d’autant moindres que sa température est plus élevée, ainsi pour parvenir à distinguer l’influence respective de ces deux actions dans les phénomènes du mouvement linéaire de l’éther, il fallait mesurer les produits de l’écoulement de cette liqueur à différentes températures.

Nous venons de dire qu’un volume de 45 centimètres cubes d’éther, à 12 degrés du thermomètre centigrade, s’écoule de notre appareil en 
 101’’
Ayant élevé cette liqueur à 30 degrés, le même volume s’écoule en 
 90’’


Enfin à 43 degrés, il s’écoule en 
 80’’

À cette température l’éther entrait en ébullition, par conséquent la couche adhérente à l’intérieur du tube, était infiniment mince et il n’éprouvait de résistance à son mouvement que celle due à la cohésion de ses parties, ou, ce qui revient au même, à leur viscosité.

En concluant des expériences que nous avons rapportées dans nos précédens Mémoires sur l’écoulement de l’eau à 99 degrés de température, la durée de l’écoulement d’un volume de 45 centimètres cubes de ce liquide à la même température dans l’appareil que nous avons décrit au commencement de celui-ci, on trouve cette durée de 107″.

Ainsi les viscosités spécifiques de l’eau et de l’éther au moment où chacun de ces deux liquides entrent en ébullition sont entre elles dans le rapport de 107″ à 80″. Et comme nous avons trouvé celle de l’eau représentée alors par le nombre 0m,00068878, il s’ensuit que celle de l’éther pris au moment de bouillir, doit être représentée par 0,00051497.

Or nous avons démontré ailleurs que la cohésion mutuelle des molécules d’un même fluide à différentes températures croissait comme le cube des densités de ce fluide à ces températures différentes. Si donc nous connaissions la loi de variabilité des densités de l’éther entre les deux limites de son état liquide, il nous serait facile de déterminer sa viscosité à 12 et à 30 degrés du thermomètre centigrade, et par suite, l’épaisseur de la couche de cette liqueur qui tapissait l’intérieur du tube pendant nos expériences à ces températures, ce qui nous permettrait d’attribuer leurs effets respectifs à chacune des deux causes qui modifient le mouvement linéaire de l’éther ; mais les physiciens ne s’étant point occupés jusqu’à-présent de rechercher la loi de variabilité des densités de l’éther entre les deux limites de sa liquidité, nous manquons des données nécessaires pour assigner sa viscosité à une température quelconque, et par conséquent pour déterminer avec précision l’épaisseur de la couche de ce liquide qui, à cette température, reste adhérente à la paroi intérieure du tube capillaire où il se meut.

Ce que nous venons de dire montre assez combien il serait important de connaître la loi suivant laquelle varie la densité des différens liquides qu’on est dans le cas de mettre à l’épreuve, depuis le premier, jusqu’au dernier terme de leur liquidité. Le travail que l’on entreprendra pour la détermination de cette loi ne serait pas seulement utile dans l’espèce de recherche qui nous occupe, mais il le serait encore, comme nous aurons occasion de le faire voir dans un prochain Mémoire, pour la discussion d’une multitude de phénomènes où des molécules de substances solides se trouvent suspendues dans des liquides susceptibles de mouiller leurs surfaces. En attendant que la science soit plus avancée sur ce point, il convient de développer ici une considération de la plus haute importance d’après laquelle il sera indispensable d’ordonner entre eux les résultats du travail que nous venons d’indiquer.

La force plus ou moins grande avec laquelle les molécules intégrantes de différens liquides s’attirent mutuellement ou adhèrent les unes aux autres constitue leur viscosité spécifique, mais la viscosité d’un même liquide varie avec la température depuis le terme de sa congélation où cette viscosité est parvenue à son maximum, jusqu’à celui de sa vaporisation où elle est parvenue à son minimum.

Les termes de la congélation et de la vaporisation de différens fluides indiqués sur une échelle thermométrique quelconque à des points différens sont néanmoins semblablement placés sur la portion de cette échelle dans laquelle chacun de ces fluides existe à l’état liquide, puisque ces points sont les deux extrémités de cette portion d’échelle et qu’ils indiquent le passage de chacun de ces liquides, soit à l’état solide, soit à l’état aériforme ; ainsi l’on peut déterminer la viscosité spécifique des liquides en les considérant à leur dernière limite vers l’un de ces états. Mais par cela même que ces dernières limites ne correspondent point pour tous les fluides au même degré du thermomètre, on conçoit que les mêmes degrés de température ne peuvent servir à indiquer des degrés de viscosités comparables dans des fluides dont les états de liquidité ne sont point renfermés sur l’échelle thermométrique entre des limites communes ; ou, pour abréger, qui n’ont point le même intervalle thermométrique.

Par exemple, les deux termes extrêmes de l’état liquide de l’eau sont indiqués par zéro et 100 degrés sur le thermomètre centigrade.

On sait, d’un autre côté, que l’éther se congèle et se cristallise à 43°,75 au-dessous de zéro, et qu’il entre en ébullition à 41°,25 au-dessus.

L’état liquide de l’eau s’étend donc dans un intervalle de 100 degrés, et l’état liquide de l’éther, dans un intervalle de 85 ; mais comme l’origine de ce second intervalle est reculée de 43°,75 au-dessous de l’origine du premier, il s’ensuit que le 12e degré au-dessus de zéro correspond aux de l’intervalle entier compris entre les deux limites de la liquidité de l’eau, et aux ou aux à très-peu-près de l’intervalle compris entre les deux limites de la liquidité de l’éther. Lorsque nous avons comparé les produits de l’écoulement de l’eau et de l’éther à la température fixe de 12 degrés, ces deux fluides n’étaient donc point semblablement placés sur l’intervalle thermométrique dans lequel ils existent à l’état liquide, et par conséquent les produits de leur écoulement, en tant qu’il dépendent de la viscosité des fluides et de leur affinité avec la matière du tube, ne sont pas plus comparables entre eux que si, dans l’hypothèse où l’état de liquidité de l’eau et de l’éther aurait les mêmes limites sur l’échelle thermométrique, ces produits d’écoulement eussent été comparés à des degrés de température différens.

Pour rendre comparables les produits de l’écoulement de l’eau et de l’éther, entre les deux limites de leur liquidité, il faut donc prendre ces deux liquides à des degrés de température qui soient semblablement placés sur la partie de l’échelle thermométrique dans l’étendue de laquelle ils existent à cet état ; ainsi, lorsque l’éther mis en expérience est à 12 degrés du thermomètre, il faut que la température de l’eau qu’on veut lui comparer soit portée à 65 degrés.

J’ai en conséquence élevé l’eau à cette température dans notre appareil, et j’ai observé que sa surface employait 135’’ à descendre de la hauteur comprise sur la paroi du réservoir entre les deux indices parallèles qui y sont tracés.

Les durées de l’écoulement d’un même volume d’eau et d’éther, placés l’un et l’autre aux de l’intervalle thermométrique dans lequel ils existent à l’état liquide, sont donc entre elles comme 135 est à 101.

Nous avons trouvé plus haut qu’au terme de cet intervalle le plus voisin de leur vaporisation les durées de l’écoulement de ces deux liquides étaient entre elles comme 107 et 80, c’est-à-dire, précisément dans le même rapport que les nombres 135 et 101 par lesquels sont exprimés en secondes les temps de leur écoulement aux de leurs intervalles thermométriques respectifs.

Comparant de même l’expérience que nous avons faite sur l’écoulement de l’éther à 30 degrés de température, c’est-à-dire aux à très-peu-près de son intervalle thermométrique, à une expérience faite sur l’écoulement de l’eau à 87 degrés, on a trouvé la durée de l’écoulement de l’éther de 90″, et celle de l’eau de 121″, nombres qui sont encore entre eux dans le même rapport de 80 à 107, et de 101 à 135 ; d’où l’on peut conclure que les durées d’écoulement d’un même volume d’eau et d’éther, par un même appareil, sont proportionnelles entre elles lorsque ces écoulemens ont lieu à des points de température semblablement placés sur les échelles thermométriques de ces deux liquides.

Les mêmes raisonnemens que nous venons de faire sur l’éther sont évidemment applicables à l’alcohol quand on compare son écoulement linéaire à celui de l’eau.

En effet, suivant les observations faites en Laponie, par Maupertuis et l’abbé Outhier[1], l’alcohol se congèle à 31°,5 au-dessous de zéro, du thermomètre de Réaumur, ce qui revient à 40 degrés du thermomètre centigrade.

On sait de plus que cette liqueur entre en ébullition à 83 degrés du même thermomètre.

L’étendue de l’échelle thermométrique, dans laquelle se renferme la liquidité de l’alcohol, est donc de 123 degrés, tandis que la liquidité de l’eau se renferme dans une étendue de 100 degrés seulement ; mais comme l’origine du premier intervalle se trouve reculée de 40 degrés au-dessous de l’origine du second, il s’ensuit que le terme fixe de 12 degrés, qui indique la température commune à laquelle nos expériences ont été faites, est placé au au du premier espace, tandis qu’il est placé au seulement du deuxième degré. Pour rendre comparable l’écoulement de l’eau à celui de l’alcohol à 12 degrés il faut donc élever le premier de ces liquides à 40 degrés.

Il résulte de l’expérience que nous en avons faite que la durée de l’écoulement du même volume de 45 centimètres cubes d’eau à cette température est de 191 secondes.

Ainsi les durées de l’écoulement de l’alcohol et de l’eau, aux de leurs intervalles thermométriques respectifs, sont entre elles comme 856 et 191, tandis qu’elles sont comme 856 à 349 à la température fixe de 12 degrés.

On sait que les durées de l’écoulement de différentes liqueurs sont proportionnelles à leurs viscosités spécifiques au moment où elles entrent en ébullition.

Pour déterminer celle de l’alcohol j’ai élevé sa température à 80 degrés et j’ai trouvé 300’’, pour la durée de l’écoulement d’un volume de 45cent.,3 cubes.

La durée de l’écoulement de l’eau, au moment de bouillir, avait été trouvée précédemment de 107’’. Ainsi les viscosités spécifiques de l’eau et de l’alcohol, au dernier terme de leur état liquide le plus près de leur vaporisation, sont entre elles comme les nombres 107 et 300, d’où l’on voit que l’alcohol est réellement plus visqueux que l’eau, ce qui est contraire à ce que les physiciens avaient généralement admis jusqu’ici.

Qu’on se rappelle maintenant que les durées de l’écoulement de l’eau et de l’alcohol, observées au de leurs intervalles thermométriques, sont entre elles dans le rapport de 191 à 856 ; or ce rapport est beaucoup moindre que celui de 107 à 300 que nous avons trouvé au terme de leur vaporisation. La proportionnalité que nous avons eu occasion de remarquer entre les écoulemens de l’eau et de l’éther, à des points semblablement placés sur leur échelle, n’existe donc point entre les écoulemens de l’eau et de l’alcohol : de sorte que si l’on décrit sur les intervalles thermométriques de chacune de ces trois liqueurs, pris pour axes des abscisses, des courbes ayant pour ordonnées les durées d’écoulement correspondant aux différens points de ces intervalles, les deux courbes de l’eau et de l’éther marcheront à très-peu-près parallèlement entre elles ; tandis que la courbe de l’alcohol, à partir du terme de sa vaporisation, s’éloignera de son axe avec une rapidité beaucoup plus grande, et telle que si nous avions pu faire descendre la température de cette liqueur à des degrés de froid voisins du terme de sa congélation, il est extrêmement probable qu’avant d’arriver à ce terme, le mouvement de la liqueur aurait cessé dans notre tube, soit par l’augmentation d’épaisseur de la couche qui serait restée adhérente à sa paroi, soit par l’accroissement de viscosité que la liqueur aurait acquise : l’alcohol est donc d’autant moins propre à indiquer la température dans les degrés inférieurs voisins de sa congélation, que le tube du thermomètre à la formation duquel il servirait, serait plus capillaire. Car par la même raison que des dissolutions salines se cristallisent dans ces tubes, à des températures plus élevées que celles auxquelles la cristallisation a lieu lorsque les dissolutions sont contenues dans de grands vases et que l’eau, dont la transparence est troublée par la suspension de molécules argileuses, se gèle plutôt que lorsqu’elle est parfaitement limpide ; la congélation de l’alcohol dans un tube de thermomètre doit s’opérer avant que le froid soit descendu au degré qui la produirait si cette liqueur était contenue dans un espace indéfini.

Cette remarque prouve, pour le dire en passant, qu’un thermomètre ne peut jouir de toute la sensibilité à laquelle il serait désirable qu’il parvînt, à moins que la liqueur employée dans sa construction ne soit tout-à-fait dénuée de la faculté de mouiller les parois du tube de cet instrument, et c’est ce qui donne encore au thermomètre à mercure un avantage précieux sur tous les autres, puisque, comme nos expériences le prouvent, cette liqueur à la propriété de se mouvoir dans les tubes capillaires de verre avec la même facilité à quelque température que ce soit.

Nous venons de dire que la viscosité de l’eau, et celle de l’alcohol, sont entre elles comme les nombres 107 et 300 ; ainsi la première ayant pour expression 0m,00068878, la seconde sera exprimée par 0m,00193116.

J’ai voulu déterminer par des expériences analogues à celles que je viens de rapporter la viscosité du lait.

Voici les résultats de ces expériences :

La durée de l’écoulement d’un volume constant de 45 centimètres cubes a été à 14 degrés de température, de 
 642″
À 27 degrés, de 
 454
À 57 degrés, de 
 254
Enfin à 85 degrés, terme le plus près de l’ébullition qu’on ait pu atteindre, de 
 189

Ainsi la viscosité du lait à ce terme est à celle de l’eau dans le rapport de 189 à 107, ou bien exprimé par 0m,00121850.

Les viscosités spécifiques ou les forces avec lesquelles adhèrent entre elles les molécules des divers fluides que nous avons soumis à l’épreuve à l’état de liquidité le plus voisin de l’ébullition sont donc :

1o Pour l’éther 
 0,00051,000
2o Pour l’eau 
 0,00068878,
3o Pour le lait 
 0,00121850,
4o Pour l’alcohol 
 0,00193116,

La gravité terrestre étant représentée par 9,808795 : car j’ai démontré dans un de mes précédens mémoires que ces forces d’adhérence étaient de la même nature que la gravité, et par conséquent devaient être exprimées en unités ou fractions d’unité de même espèce.

Après avoir ainsi déterminé les viscosités de l’éther, de l’eau, et de l’alcohol, j’ai plongé successivement un même tube capillaire d’un millimètre de diamètre à très-peu-près dans ces différentes liqueurs à la température de 12 à 13 degrés ; et j’ai trouvé qu’elles s’élevaient au-dessus de leur niveau dans l’ordre suivant :

1° L’éther, de 
 6mil,75,
2° L’alcohol, de 
 9,02,
3° Le lait, de 
 11,27,
4° Enfin l’eau, de 
 013,53,

Or cet ordre est très-différent, comme on voit, de celui des viscosités spécifiques de ces mêmes fluides, ce qui s’accorde évidemment avec l’opinion générale des physiciens et des géomètres suivant laquelle l’élévation des liqueurs, au-dessus de leur niveau dans les tubes capillaires, ne dépend pas seulement de la viscosité de ces liqueurs, mais encore de leur degré d’affinité avec la substance solide du tube où le phénomène se manifeste.




  1. Mémoires de l’Académie des Sciences pour l’année 1737, pag. 419