Mémoire historique sur le Livre intitulé Calila et Dimna/Avertissement

AVERTISSEMENT.


Le principal objet que je me suis proposé, lorsque j’ai entrepris la publication du texte Arabe du Livre de Calila et Dimna, plus connu parmi nous sous le nom de Fables de Bidpai, a été de fournir aux personnes qui se livrent à l’étude des idiomes de l’Asie, un nouveau moyen de s’exercer dans l’intelligence de la langue Arabe. Le fragment de cet ouvrage qu’a publié le savant H. A. Schultens, quoique peu correct, m’a toujours été fort utile dans mes cours, pour la première année d’instruction de mes auditeurs. Je ne doute point que l’ouvrage entier ne soit d’une utilité encore plus grande, sous ce point de vue.

Mais ce n’est pas seulement aux élèves de l’École des langues orientales et à la jeunesse studieuse que j’ai voulu offrir cet antique monument de la sagesse de l’Orient. J’ai pensé que tous les amateurs de ce genre de littérature liroient avec plaisir, dans la plus ancienne rédaction qui soit parvenue jusqu’à nous, un livre dont la renommée a rempli l’Orient et l’Occident, que les nations les plus cultivées de i’Europe se sont empressées à l’envi, depuis plusieurs siècles, de faire passer dans leurs langues, et que les plus illustres souverains de l’Asie, Nouschirèwan le juste, Mamoun, Mansour, Acbar, Soliman I, ont unanimement honoré de leurs suffrages.

Cette publication n’étant destinée qu’aux personnes qui peuvent lire l’originai, et les fables de Bidpai étant d’ailleurs traduites dans la plupart des langues de l’Europe, j’ai cru inutile de donner avec le texte Arabe une nouvelle traduction ; mais il m’a paru convenable de joindre à cette édition un Mémoire sur l’origine et l’histoire de ce livre célèbre. Ce Mémoire offrira aux lecteurs le résultat des nombreux travaux que j’ai faits pour éciaircir les nuages dont étoit encore couvert ce sujet, malgré le grand nombre, ou plutôt à cause du grand nombre d’écrivains qui en ont parlé, et qui n’ont souvent fait que propager des erreurs, ou en ajouter de nouvelles à celles dans lesquelles on étoit tombé avant eux.

Je ferai cependant observer ici que les diverses traductions Françoises que nous possédons des Fables de Bidpai, ont été faites, non sur le texte Arabe, mais sur la version Persane de Hosaïn Vaëz, intitulée Anvari Sohaïli, ou sur la version Turque qui a pour original cette même traduction Persane, et qui porte le titre de Homayoun-namèh. On peut consulter ce que j’ai dit sur ces traductions Françoises, dans le tome IX des Notices et Extraits des manuscrits de la bibliothèque du Roi, part. I, p. 429 et suiv. Aux renseignemens que l’on y trouvera, j’ajouterai seulement que la traduction de David Sahid d’Ispahan, ou plutôt la traduction de GauImin, intitulée le Livre des Lumières ou de la Conduite des Rois, a été réimprimée à Bruxelles, conformément à l’édition de Paris, 1698, et sous la même date. J’ai aujourd’hui entre les mains un exemplaire de cette édition de Bruxelles.

Si je n’ai pas joint une traduction Françoise au texte Arabe des Fables de Bidpai, j’ai cru nécessaire de l’accompagner de notes critiques, dans lesquelles j’ai recueilli les variantes les plus importantes des manuscrits, et expliqué les passages qui pouvoient offrir quelques difficultés.

En même temps que j’offrois aux jeunes amateurs des langues de l’Orient, un ouvrage en prose, d’un style facile à entendre, j’ai cru qu’ils me sauroient gré de leur présenter aussi un des poèmes les plus estimés parmi ceux que les Arabes placent au premier rang de leur littérature, et qui portent le nom de Moallaka, parce qu’ils ont mérité d’être suspendus ou affichés aux portes du sanctuaire de la Mecque, de l’antique et vénérable Caaba. Plusieurs de ces poèmes fameux ont été publiés en original : la Moallaka de Lébid, que je donne ici, ne l’a été qu’en partie, et d’une manière peu satisfaisante. J’ai joint au texte le commentaire entier de Zouzéni. Une traduction Françoise de ce poëme m’a paru devoir aussi accompagner la publication du texte.

Je dois offrir ici mes remerciemens à M. Delagrange, employé à la bibliothèque de l’Arsenal, et l’un des plus distingués entre mes anciens auditeurs, qui a bien voulu se charger de copier le texte Arabe pour cette édition. M. Delagrange, qui m’a donné par-là un témoignage précieux de sa reconnoissance, est déjà connu par quelques morceaux de littérature orientale, qu’il a publiés dans divers ouvrages périodiques. Les Muses de l’Orient attendent de lui des services plus importans, et je ne crains point de dire que leur attente ne sera pas trompée.

Puisse ce nouveau travail, qui a été pour moi une consolation dans des jours d’affliction et d’effroi, et un délassement au milieu d’occupations graves et pénibles, mériter l’approbation des savans, et la reconnoissance de ceux qui aspirent à le devenir C’est la seule récompense que je puisse encore ambitionner, après l’honneur que m’a fait, en daignant en accepter l’hommage, le Prince qui fait le bonheur et la gloire de la France,

Quo nihil majus meliusve terris
Fata donavêre tonique Divi,
Nec dabunt, quamvis redeant in aurum
xxx Tempora priscum,

[ Hor. Carm. IV, 2. ]
Paris, 30 Juin 1816.