Mélite/Texte entier

Mélite
(Édition Marty-Laveaux 1910)
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MÉLITE



COMÉDIE


1629





À MONSIEUR DE LIANCOUR1.


Monsieur,

Mélite seroit trop ingrate de rechercher une autre protection que la vôtre ; elle vous doit cet hommage et cette légère reconnoissance de tant d’obligations qu’elle vous a : non qu’elle présume par là s’en acquitter en quelque sorte, mais seulement pour les publier à toute la France. Quand je considère le peu de bruit qu’elle fit à son arrivée à Paris, venant d’un homme qui ne pouvoit sentir que la rudesse de son pays, et tellement inconnu qu’il étoit avantageux d’en taire le nom ; quand je me souviens, dis-je, que ses trois premières représentations ensemble n’eurent point tant d’affluence que la moindre de celles qui les suivirent dans le même hiver, je ne puis rapporter de si foibles commencements qu’au loisir qu’il falloit au monde pour apprendre que vous en faisiez état 2, ni des progrès si peu attendus qu’à votre approbation, que chacun se croyoit obligé de suivre après l’avoir sue 3. C’est de là, Monsieur, qu’est venu tout le bonheur de Mélite ; et quelques hauts effets qu’elle ait produits depuis, celui dont je me tiens le plus glorieux, c’est l’honneur d’être connu de vous, et de vous pouvoir souvent assurer de bouche que je serai toute ma vie,
MONSIEUR,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

CORNEILLE4.





AU LECTEUR.


Je sais bien que l’impression d’une pièce en affoiblit la réputation : la publier, c’est l’avilir ; et même il s’y rencontre un particulier désavantage pour moi, vu que ma façon d’écrire étant simple et familière, la lecture fera prendre mes naïvetés pour des bassesses. Aussi beaucoup de mes amis m’ont toujours conseillé de ne rien mettre sous la presse, et ont raison, comme je crois ; mais, par je ne sais quel malheur, c’est un conseil que reçoivent de tout le monde ceux qui écrivent, et pas un d’eux ne s’en sert. Ronsard, Malherbe et Théophile l’ont méprisé ; et si je ne les puis imiter en leurs grâces, je les veux du moins imiter en leurs fautes, si c’en est une que de faire imprimer. Je contenterai par là deux sortes de personnes, mes amis et mes envieux, donnant aux uns de quoi se divertir, aux autres de quoi censurer : et j’espère que les premiers me conserveront encore la même affection qu’ils m’ont témoignée par le passé ; que des derniers, si beaucoup font mieux, peu réussiront plus heureusement, et que le reste fera encore quelque sorte d’estime de cette pièce, soit par coutume de l’approuver, soit par honte de se dédire. En tout cas, elle est mon coup d’essai ; et d’autres que moi ont intérêt à la défendre, puisque, si elle n’est pas bonne, celles qui sont demeurées au-dessous doivent être fort mauvaises.





ARGUMENT.


Éraste, amoureux de Mélite, l’a fait connoître à son ami Tircis, et devenu puis après jaloux de leur hantise, fait rendre des lettres d’amour supposées, de la part de Mélite, à Philandre, accordé de Cloris, sœur de Tircis. Philandre s’étant résolu, par l’artifice et les suasions d’Éraste, de quitter Cloris pour Mélite, montre ces lettres à Tircis. Ce pauvre amant en tombe en désespoir, et se retire chez Lisis, qui vient donner à Mélite de fausses alarmes de sa mort. Elle se pâme à cette nouvelle, et témoignant par là son affection, Lisis la désabuse, et fait revenir Tircis, qui l’épouse. Cependant Cliton ayant vu Mélite pâmée, la croit morte, et en porte la nouvelle à Éraste, aussi bien que de la mort de Tircis. Éraste, saisi de remords, entre en folie ; et remis en son bon sens par la nourrice de Mélite, dont il apprend qu’elle et Tircis sont vivants, il lui va demander pardon de sa fourbe et obtient de ces deux amants Cloris, qui ne vouloit plus de Philandre après sa légèreté.





EXAMEN 5.


Cette pièce fut mon coup d’essai, et elle n’a garde d’être dans les règles, puisque je ne savois pas alors qu’il y en eût. Je n’avois pour guide qu’un peu de sens commun, avec les exemples de feu Hardy 6, dont la veine étoit plus féconde que polie, et de quelques modernes qui commençoient à se produire, et qui n’étoient pas 7 plus réguliers que lui. Le succès en fut surprenant : il établit une nouvelle troupe de comédiens à Paris, malgré le mérite de celle qui étoit en possession de s’y voir l’unique ; il égala tout ce qui s’étoit fait de plus beau jusqu’alors 8, et me fit connoître à la cour. Ce sens commun, qui étoit toute ma règle, m’avoit fait trouver l’unité d’action pour brouiller quatre amants par un seul intrique, et m’avoit donné assez d’aversion de cet horrible dérèglement qui mettoit Paris, Rome et Constantinople sur le même théâtre, pour réduire le mien dans une seule ville.

La nouveauté de ce genre de comédie, dont il n’y a point d’exemple en aucune langue, et le style naïf qui faisoit une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit. On n’avoit jamais vu jusque-là que la comédie fît rire sans personnages ridicules, tels que les valets bouffons, les parasites, les capitans, les docteurs, etc. Celle-ci faisoit son effet par l’humeur enjouée de gens d’une condition au-dessus de ceux qu’on voit dans les comédies de Plaute et de Térence, qui n’étoient que des marchands. Avec tout cela, j’avoue que l’auditeur fut bien facile à donner son approbation à une pièce dont le nœud n’avoit aucune justesse. Éraste y fait contrefaire des lettres de Mélite, et les porter à Philandre. Ce Philandre est bien crédule de se persuader d’être aimé d’une personne qu’il n’a jamais entretenue, dont il ne connoît point l’écriture, et qui lui défend de l’aller voir, cependant qu’elle reçoit les visites d’un autre avec qui il doit avoir une amitié assez étroite, puisqu’il est accordé de sa sœur. Il fait plus : sur la légèreté d’une croyance si peu raisonnable, il renonce à une affection dont il étoit assuré, et qui étoit prête d’avoir son effet. Éraste n’est pas moins ridicule que lui, de s’imaginer que sa fourbe causera cette rupture, qui seroit toutefois inutile à son dessein, s’il ne savoit de certitude que Philandre, malgré le secret qu’il lui fait demander par Mélite dans ces fausses lettres, ne manquera pas à les montrer à Tircis ; que 9 cet amant favorisé croira plutôt un caractère qu’il n’a jamais vu, que les assurances d’amour qu’il reçoit tous les jours de sa maîtresse ; et qu’il rompra avec elle sans lui parler, de peur de s’en éclaircir. Cette prétention d’Éraste ne pouvoit être supportable, à moins d’une révélation ; et Tircis, qui est l’honnête homme de la pièce, n’a pas l’esprit moins léger que les deux autres, de s’abandonner au désespoir par une même facilité de croyance, à la vue de ce caractère inconnu. Les sentiments de douleur qu’il en peut légitimement concevoir devroient du moins l’emporter à faire quelques reproches à celle dont il se croit trahi, et lui donner par là l’occasion de le désabuser. La folie d’Éraste n’est pas de meilleure trempe. Je la condamnois dès lors en mon âme ; mais comme c’étoit un ornement de théâtre qui ne manquoit jamais de plaire, et se faisoit souvent admirer, j’affectai volontiers ces grands égarements, et en tirai un effet que je tiendrois encore admirable en ce temps : c’est la manière dont Éraste fait connoître à Philandre, en le prenant pour Minos, la fourbe qu’il lui a faite, et l’erreur où il l’a jeté. Dans tout ce que j’ai fait depuis, je ne pense pas qu’il se rencontre rien de plus adroit pour un dénouement.

Tout le cinquième acte peut passer pour inutile 10. Tircis et Mélite se sont raccommodés avant qu’il commence, et par conséquent l’action est terminée. Il n’est plus question que de savoir qui a fait la supposition des lettres, et ils pouvoient Tavoir su de Cloris, à qui Philandre l’avoit dit pour se justifier. Il est vrai que cet acte retire Éraste de folie, qu’il le réconcilie avec les deux amants, et fait son mariage avec Cloris ; mais tout cela ne regarde plus qu’une action épisodique, qui ne doit pas amuser le théâtre quand la principale est finie ; et surtout ce mariage a si peu d’apparence, qu’il est aisé de voir qu’on ne le propose que pour satisfaire à la coutume de ce temps-là, qui étoit de marier tout ce qu’on introduisoit sur la scène. Il semble même que le personnage de Philandre, qui part avec un ressentiment ridicule, dont on ne craint pas l’effet, ne soit point achevé, et qu’il lui falloit quelque cousine de Mélite, ou quelque sœur d’Éraste, pour le réunir avec les autres. Mais dès lors je ne m’assujettissois pas tout à fait à cette mode, et je me contentai 11 de faire voir l’assiette de son esprit, sans prendre soin de le pourvoir d’une autre femme.

Quant à la durée de l’action, il est assez visible qu’elle passe l’unité de jour ; mais ce n’en est pas le seul défaut : il y a de plus une inégalité d’intervalle entre les actes, qu’il faut éviter. Il doit s’être passé huit ou quinze jours entre le premier et le second, et autant entre le second et le troisième ; mais du troisième au quatrième il n’est pas besoin de plus d’une heure, et il en faut encore moins entre les deux derniers, de peur de donner le temps de se ralentir à cette chaleur qui jette Éraste dans l’égarement d’esprit. Je ne sais même si les personnages qui paroissent deux fois dans un même acte (posé que cela soit permis, ce que j’examinerai ailleurs 12), je ne sais, dis-je, s’ils ont le loisir d’aller d’un quartier de la ville à l’autre, puisque ces quartiers doivent être si éloignés l’un de l’autre, que les acteurs ayent lieu de ne pas s’entreconnoître. Au premier acte, Tircis, après avoir quitté Mélite chez elle, n’a que le temps d’environ soixante vers pour aller chez lui, où il rencontre Philandre avec sa sœur, et n’en a guère davantage au second à refaire le même chemin. Je sais bien que la représentation raccourcit la durée de l’action, et qu’elle fait voir en deux heures, sans sortir de la règle, ce qui souvent a besoin d’un jour entier pour s’effectuer ; mais je voudrois que pour mettre les choses dans leur justesse, ce raccourcissement se ménageât dans les intervalles des actes, et que le temps qu’il faut perdre s’y perdît, en sorte que chaque acte n’en eût, pour la partie de l’action qu’il représente, que ce qu’il en faut pour sa représentation 13.

Ce coup d’essai a sans doute encore d’autres irrégularités ; mais je ne m’attache pas à les examiner si ponctuellement que je m’obstine à n’en vouloir oublier aucune. Je pense avoir marqué les plus notables ; et pour peu que le lecteur aye peu d’indulgence pour moi, j’espère qu’il ne s’offensera pas d’un peu de négligence pour le reste.






ACTEURS 14.

ÉRASTE, amoureux de Mélite.
TIRCIS, ami d’Éraste et son rival.
PHILANDRE, amant de Cloris.
MÉLITE, maîtresse d’Éraste et de Tircis.
CLORIS, sœur de Tircis.
LISIS, ami de Tircis.
CLITON, voisin de Mélite.
La Nourrice de Mélite 15.


La scène est à Paris.





MÉLITE.


COMÉDIE





ACTE I.




SCÈNE PREMIÈRE.


ÉRASTE, TIRCIS.


ÉRASTE.


Je te l’avoue, ami, mon mal est incurable 16 ;
Je n’y sais qu’un remède, et j’en suis incapable :
Le change seroit juste, après tant de rigueur ;
Mais malgré ses dédains, Mélite a tout mon cœur ;
Elle a sur tous mes sens une entière puissance ;
Si j’ose en murmurer, ce n’est qu’en son absence,
Et je ménage en vain dans un éloignement
Un peu de liberté pour mon ressentiment :
D’un seul de ses regards l’adorable contrainte 17
Me rend tous mes liens, en resserre l’étreinte,
Et par un si doux charme aveugle ma raison 18,
Que je cherche mon mal et fuis ma guérison.
Son œil agit sur moi d’une vertu si forte,
Qu’il ranime soudain mon espérance morte,
Combat les déplaisirs de mon cœur irrité,
Et soutient mon amour contre sa cruauté ;
Mais ce flatteur espoir qu’il rejette en mon âme
N’est qu’un doux imposteur qu’autorise ma flamme 19,
Et qui sans m’assurer ce qu’il semble m’offrir 20,
Me fait plaire en ma peine, et m’obstine à souffrir.


TIRCIS.


Que je te trouve, ami, d’une humeur admirable !
Pour paroître éloquent tu te feins misérable :
Est-ce à dessein de voir avec quelles couleurs
Je saurois adoucir les traits de tes malheurs ?
Ne t’imagine pas qu’ainsi sur ta parole 21
D’une fausse douleur un ami te console :
Ce que chacun en dit ne m’a que trop appris
Que Mélite pour toi n’eut jamais de mépris.


ÉRASTE.


Son gracieux accueil et ma persévérance
Font naître ce faux bruit d’une vaine apparence :
Ses mépris sont cachés, et s’en font mieux sentir 22,
Et n’étant point connus, on n’y peut compatir 23.


TIRCIS.


En étant bien reçu, du reste que t’importe ?
C’est tout ce que tu veux des filles de sa sorte.


ÉRASTE.


Cet accès favorable, ouvert et libre à tous,
Ne me fait pas trouver mon martyre plus doux 24 :
Elle souffre aisément mes soins et mon service ;
Mais loin de se résoudre à leur rendre justice,
Parler de l’hyménée à ce cœur de rocher,
C’est l’unique moyen de n’en plus approcher.


TIRCIS.


Ne dissimulons point : tu règles mieux ta flamme,
Et tu n’es pas si fou que d’en faire ta femme.


ÉRASTE.


Quoi ! tu sembles douter de mes intentions ?


TIRCIS.


Je crois malaisément que tes affections
Sur l’éclat d’un beau teint, qu’on voit si périssable 25,
Règlent d’une moitié le choix invariable.
Tu serois incivil de la voir chaque jour 26
Et ne lui pas tenir quelques propos d’amour 27 ;
Mais d’un vain compliment ta passion bornée
Laisse aller tes desseins ailleurs pour l’hyménée.
Tu sais qu’on te souhaite aux plus riches maisons,
Que les meilleurs partis 28


ÉRASTE.


Trêve de ces raisons ;
Mon amour s’en offense, et tiendroit pour supplice
De recevoir des lois d’une sale avarice 29 ;
Il me rend insensible aux faux attraits de l’or,
Et trouve en sa personne un assez grand trésor.


TIRCIS.


Si c’est là le chemin qu’en aimant tu veux suivre,
Tu ne sais guère encor ce que c’est que de vivre.
Ces visages d’éclat sont bons à cajoler ;
C’est là qu’un apprentif doit s’instruire à parler 30 ;
J’aime à remplir de feux ma bouche en leur présence ;
La mode nous oblige à cette complaisance ;
Tous ces discours de livre alors sont de saison :
Il faut feindre des maux, demander guérison 31,
Donner sur le phébus, promettre des miracles ;
Jurer qu’on brisera toute sorte d’obstacles ;
Mais du vent et cela doivent être tout un.


ÉRASTE.


Passe pour des beautés qui sont dans le commun 32 :
C’est ainsi qu’autrefois j’amusai Crisolite ;
Mais c’est d’autre façon qu’on doit servir Mélite.
Malgré tes sentiments, il me faut accorder
Que le souverain bien n’est qu’à la posséder 33.
Le jour qu’elle naquit, Vénus, bien qu’immortelle 34,
Pensa mourir de honte en la voyant si belle ;
Les Grâces, à l’envi, descendirent des cieux 35,
Pour se donner l’honneur d’accompagner ses yeux ;
Et l’Amour, qui ne put entrer dans son courage,
Voulut obstinément loger sur son visage 36.


TIRCIS.


Tu le prends d’un haut ton, et je crois qu’au besoin
Ce discours emphatique iroit encor bien loin.
Pauvre amant, je te plains, qui ne sais pas encore
Que bien qu’une beauté mérite qu’on l’adore,
Pour en perdre le goût, on n’a qu’à l’épouser.
Un bien qui nous est dû se fait si peu priser,
Qu’une femme fût-elle entre toutes choisie,
On en voit en six mois passer la fantaisie.
Tel au bout de ce temps n’en voit plus la beauté 37
Qu’avec un esprit sombre, inquiet, agité 38 ;
Au premier qui lui parle ou jette l’œil sur elle 39,
Mille sottes frayeurs lui brouillent la cervelle 40 ;
Ce n’est plus lors qu’une aide à faire un favori 41,
Un charme pour tout autre, et non pour un mari.


ÉRASTE.


Ces caprices honteux et ces chimères vaines
Ne sauroient ébranler des cervelles bien saines,
Et quiconque a su prendre une fille d’honneur
N’a point à redouter l’appas 42 d’un suborneur.


TIRCIS.


Peut-être dis-tu vrai ; mais ce choix difficile
Assez et trop souvent trompe le plus habile,
Et l’hymen de soi-même est un si lourd fardeau,
Qu’il faut l’appréhender à l’égal du tombeau.
S’attacher pour jamais aux côtés d’une femme 43 !
Perdre pour des enfants le repos de son âme !
Voir leur nombre importun remplir une maison  44 !
Ah ! qu’on aime ce joug avec peu de raison !


ÉRASTE.


Mais il y faut venir ; c’est en vain qu’on recule,
C’est en vain qu’on refuit, tôt ou tard on s’y brûle 45 ;
Pour libertin qu’on soit, on s’y trouve attrapé :
Toi-même, qui fais tant le cheval échappé 46,
Nous te verrons un jour songer au mariage 47.


TIRCIS.


Alors ne pense pas que j’épouse un visage :
Je règle mes désirs suivant mon intérêt.
Si Doris me vouloit, toute laide qu’elle est,
Je l’estimerois plus qu’Aminte et qu’Hippolyte ;
Son revenu chez moi tiendrait lieu de mérite :
C’est comme il faut aimer. L’abondance des biens
Pour l’amour conjugal a de puissants liens :
La beauté, les attraits, l’esprit, la bonne mine 48,
Échauffent bien le cœur, mais non pas la cuisine ;
Et l’hymen qui succède à ces folles amours,
Après quelques douceurs, a bien de mauvais jours 49.
Une amitié si longue est fort mal assurée
Dessus des fondements de si peu de durée 50.
L’argent dans le ménage a certaine splendeur
Qui donne un teint d’éclat à la même laideur 51 ;
Et tu ne peux trouver de si douces caresses
Dont le goût dure autant que celui des richesses.


ÉRASTE 52.


Auprès de ce bel œil qui tient mes sens ravis,
À peine pourrois-tu conserver ton avis.


TIRCIS.


La raison en tous lieux est également forte


ÉRASTE.


L’essai n’en coûte rien : Mélite est à sa porte ;
Allons, et tu verras dans ses aimables traits
Tant de charmants appas, tant de brillants attraits 53,
Que tu seras forcé toi-même à reconnoître 54
Que si je suis un fou, j’ai bien raison de l’être.


TIRCIS.


Allons, et tu verras que toute sa beauté
Ne saura me tourner contre la vérité 55.


――――――


SCÈNE II.


MÉLITE, ÉRASTE, TIRCIS.



ÉRASTE.


De deux amis, Madame, apaisez la querelle 56.
Un esclave d’Amour le défend d’un rebelle,
Si toutefois un cœur qui n’a jamais aimé,
Fier et vain qu’il en est, peut être ainsi nommé.
Comme dès le moment que je vous ai servie
J’ai cru qu’il étoit seul la véritable vie,
Il n’est pas merveilleux que ce peu de rapport
Entre nos deux esprits sème quelque discord 57.
Je me suis donc piqué contre sa médisance,
Avec tant de malheur ou tant d’insuffisance.
Que des droits si sacrés et si pleins d’équité 58.
N’ont pu se garantir de sa subtilité,
Et je l’amène ici, n’ayant plus que répondre 59,
Assuré que vos yeux le sauront mieux confondre.


MÉLITE.


Vous deviez l’assurer plutôt qu’il trouveroit
En ce mépris d’Amour qui le seconderoit.


TIRCIS.


Si le cœur ne dédit ce que la bouche exprime,
Et ne fait de l’amour une plus haute estime 60,
Je plains les malheureux à qui vous en donnez,
Comme à d’étranges maux par leur sort destinés.


MÉLITE.


Ce reproche sans cause avec raison m’étonne 61 :
Je ne reçois d’amour et n’en donne à personne.
Les moyens de donner ce que je n’eus jamais 62 ?


ÉRASTE.


Ils vous sont trop aisés, et par vous désormais
La nature pour moi montre son injustice
À pervertir son cours pour me faire un supplice 63.


MÉLITE.


Supplice imaginaire, et qui sent son moqueur.


ÉRASTE.


Supplice qui déchire et mon âme et mon cœur.


MÉLITE.


Il est rare qu’on porte avec si bon visage 64
L’âme et le cœur ensemble en si triste équipage 65.


ÉRASTE.


Votre charmant aspect suspendant mes douleurs 66,
Mon visage du vôtre emprunte les couleurs.


MÉLITE.


Faites mieux : pour finir vos maux et votre flamme,
Empruntez tout d’un temps les froideurs de mon âme.


ÉRASTE.


Vous voyant, les froideurs perdent tout leur pouvoir,
Et vous n’en conservez que faute de vous voir 67.


MÉLITE.


Et quoi ! tous les miroirs ont-ils de fausses glaces ?


ÉRASTE.


Penseriez-vous y voir la moindre de vos grâces ?
De si frêles sujets ne sauroient exprimer
Ce que l’amour aux cœurs peut lui seul imprimer 68,
Et quand vous en voudrez croire leur impuissance,
Cette légère idée et foible connoissance 69
Que vous aurez par eux de tant de raretés
Vous mettra hors du pair de toutes les beautés 70.


MÉLITE.


Voilà trop vous tenir dans une complaisance
Que vous dussiez quitter, du moins en ma présence,
Et ne démentir pas le rapport de vos yeux,
Afin d’avoir sujet de m’entreprendre mieux.


ÉRASTE.


Le rapport de mes yeux, aux dépens de mes larmes,
Ne m’a que trop appris le pouvoir de vos charmes.


TIRCIS.


Sur peine d’être ingrate, il faut de votre part
Reconnoître les dons que le ciel vous départ.


ÉRASTE.


Voyez que d’un second mon droit se fortifie.


MÉLITE.


Voyez que son secours montre qu’il s’en défie 71.


TIRCIS.


Je me range toujours avec 72 la vérité.


MÉLITE.


Si vous la voulez suivre, elle est de mon côté.


TIRCIS.


Oui, sur votre visage, et non en vos paroles.
Mais cessez de chercher ces refuites frivoles,
Et prenant désormais des sentiments plus doux,
Ne soyez plus de glace à qui brûle pour vous.


MÉLITE.


Un ennemi d’Amour me tenir ce langage !
Accordez votre bouche avec votre courage ;
Pratiquez vos conseils, ou ne m’en donnez pas.


TIRCIS.


J’ai connu mon erreur auprès de vos appas 73 :
Il vous l’avoit bien dit.


ÉRASTE.


Il vous l’avoit bien dit._Ainsi donc par l’issue 74
Mon âme sur ce point n’a point été déçue ?


TIRCIS.


Si tes feux en son cœur produisoient même effet,
Crois-moi que ton bonheur seroit bientôt parfait.


MÉLITE.


Pour voir si peu de chose aussitôt vous dédire
Me donne à vos dépens de beaux sujets de rire ;
Mais je pourrois bientôt, à m’entendre flatter 75,
Concevoir quelque orgueil qu’il vaut mieux éviter.
Excusez ma retraite.


ÉRASTE.


Excusez ma retraite._Adieu, belle inhumaine.
De qui seule dépend et ma joie et ma peine 76.


MÉLITE.


Plus sage à l’avenir, quittez ces vains propos,
Et laissez votre esprit et le mien en repos.


――――――


SCÈNE III.


ÉRASTE, TIRCIS.



ÉRASTE.


Maintenant suis-je un fou ? mérité- je du blâme ?
Que dis-tu de l’objet? que dis-tu de ma flamme?


TIRCIS.


Que veux-tu que j’en die ? elle a je ne sais quoi
Qui ne peut consentir que l’on demeure à soi.
Mon cœur, jusqu’à présent à l’amour invincible.
Ne se maintient qu’à force aux termes d’insensible ;
Tout autre que Tircis mourroit pour la servir.


ÉRASTE.


Confesse franchement qu’elle a su te ravir,
Mais que tu ne veux pas prendre pour cette belle
Avec le nom d’amant le titre d’infidèle.
Rien que notre amitié ne t’en peut détourner ;
Mais ta muse du moins, facile à suborner 77,
Avec plaisir déjà prépare quelques veilles
À de puissants efforts pour de telles merveilles.


TIRCIS.


En effet ayant vu tant et de tels appas,
Que je ne rime point, je ne le promets pas.


ÉRASTE.


Tes feux n’iront-ils point plus avant que la rime 78 ?


TIRCIS.


Si je brûle jamais, je veux brûler sans crime.


ÉRASTE.


Mais si sans y penser tu te trouvois surpris ?


TIRCIS.


Quitte pour décharger mon creur dans mes écrits.
J’aime bien ces discours de plaintes et d’alarmes,
De soupirs, de sanglots, de tourments et de larmes :
C’est de quoi fort souvent je bâtis ma chanson ;
Mais j’en connois, sans plus, la cadence et le son.
Souffre qu’en un sonnet je m’efforce à dépeindre
Cet agréable feu que tu ne peux éteindre ;
Tu le pourras donner comme venant de toi.


ÉRASTE.


Ainsi ce cœur d’acier qui me tient sous sa loi
Verra ma passion pour le moins en peinture.
Je doute néanmoins qu’en cette portraiture
Tu ne suives plutôt tes propres sentiments.


TIRCIS.


Me prépare le ciel de nouveaux châtiments,
Si jamais un tel crime entre dans mon courage 79 !


ÉRASTE.


Adieu, je suis content, j’ai ta parole en gage,
Et sais trop que l’honneur t’en fera souvenir.


TIRCIS, seul.


En matière d’amour rien n’oblige à tenir,
Et les meilleurs amis, lorsque son feu les presse.
Font bientôt vanité d’oublier leur promesse.


――――――


SCÈNE IV.


PHILANDRE, CLORIS.



PHILANDRE.


Je meure, mon souci, tu dois bien me haïr :
Tous mes soins depuis peu ne vont qu’à te trahir.


CLORIS.


Ne m’épouvante point : à ta mine, je pense
Que le pardon suivra de fort près cette offense,
Sitôt que j’aurai su quel est ce mauvais tour.


PHILANDRE.


Sache donc qu’il ne vient sinon de trop d’amour.


CLORIS.


J’eusse osé le gager qu’ainsi par quelque ruse
Ton crime officieux porteroit son excuse 80.


PHILANDRE.


Ton adorable objet, mon unique vainqueur,
Fait naître chaque jour tant de feux en mon cœur,
Que leur excès m’accable, et que pour m’en défaire
J’y cherche des défauts qui puissent me déplaire 81.
J’examine ton teint dont l’éclat me surprit,
Les traits de ton visage, et ceux de ton esprit ;
Mais je n’en puis trouver un seul qui ne me charme 82.


CLORIS.


Et moi, je suis ravie, après ce peu d’alarme.
Qu’ainsi tes sens trompés te puissent obliger
À chérir ta Cloris, et jamais ne changer.


PHILANDRE.


Ta beauté te répond de ma persévérance,
Et ma foi qui t’en donne une entière assurance.


CLORIS.


Voilà fort doucement dire que sans ta foi
Ma beauté ne pourroit te conserver à moi.


PHILANDRE.


Je traiterois trop mal une telle maîtresse
De l’aimer seulement pour tenir ma promesse :
Ma passion en est la cause, et non l’effet ;
Outre que tu n’as rien qui ne soit si parfait,
Qu’on ne peut te servir sans voir sur ton visage
De quoi rendre constant l’esprit le plus volage 83.


CLORIS.


Ne m’en conte point tant de ma perfection 84 :
Tu dois être assuré de mon affection,
Et tu perds tout l’effort de ta galanterie,
Si tu crois l’augmenter par une flatterie.
Une fausse louange est un blâme secret :
Je suis belle à tes yeux ; il suffit, sois discret 85 ;
C’est mon plus grand bonheur, et le seul où j’aspire.


PHILANDRE.


Tu sais adroitement adoucir mon martyre 86 ;
Mais parmi les plaisirs qu’avec toi je ressens,
À peine mon esprit ose croire mes sens 87.
Toujours entre la crainte et l’espoir en balance
Car s’il faut que l’amour naisse de ressemblance,
Mes imperfections nous éloignant si fort,
Qu’oserois-je prétendre en ce peu de rapport ?


CLORIS.


Du moins ne prétends pas qu’à présent je te loue,
Et qu’un mépris rusé, que ton cœur désavoue,
Me mette sur la langue un babil affété,
Pour te rendre à mon tour ce que tu m’as prêté :
Au contraire, je veux que tout le monde sache
Que je connois en toi des défauts que je cache.
Quiconque avec raison peut être négligé
À qui le veut aimer est bien plus obligé.


PHILANDRE.


Quant à toi, tu te crois de beaucoup plus aimable ?


CLORIS.


Sans doute ; et qu’aurois-tu qui me fût comparable ?


PHILANDRE.


Regarde dans mes yeux, et reconnois qu’en moi
On peut voir quelque chose aussi parfait que toi 88.


CLORIS.


C’est sans difficulté, m’y voyant exprimée.


PHILANDRE.


Quitte ce vain orgueil dont ta vue est charmée.
Tu n’y vois que mon cœur, qui n’a plus un seul trait
Que ceux qu’il a reçus de ton charmant portrait 89,
Et qui tout aussitôt que tu t’es fait paroître 90,
Afin de te mieux voir s’est mis à la fenêtre.


CLORIS.


Le trait n’est pas mauvais ; mais puisqu’il te plaît tant 91.
Regarde dans mes yeux, ils t’en montrent autant,
Et nos feux tous pareils ont mêmes étincelles 92.


PHILANDRE.


Ainsi, chère Cloris, nos ardeurs mutuelles,
Dedans cette union prenant un même cours,
Nous préparent un heur qui durera toujours.
Cependant, en faveur de ma longue souffrance 93


CLORIS.


Tais-toi, mon frère vient.


――――――


SCÈNE V.


TIRCIS, PHILANDRE, CLORIS.



TIRCIS.


Tais-toi, mon frère vient._Si j’en crois l’apparence,
Mon arrivée ici fait quelque contre-temps.


PHILANDRE.


Que t’en semble, Tircis ?


TIRCIS.


Que t’en semble, Tircis ?_Je vous vois si contents,
Qu’à ne vous rien celer touchant ce qu’il me semble
Du divertissement que vous preniez ensemble,
De moins sorciers que moi pourroient bien deviner 94
Qu’un troisième ne fait que vous importuner.


CLORIS.


Dis ce que tu voudras ; nos feux n’ont point de crimes,
Et pour t’appréhender ils sont trop légitimes,
Puisqu’un hymen sacré, promis ces jours passés.
Sous ton consentement les autorise assez.


TIRCIS.


Ou je te connois mal, ou son heure tardive
Te désoblige fort de ce qu’elle n’arrive 95.


CLORIS.


Ta belle humeur te tient, mon frère.


TIRCIS.


Ta belle humeur te tient, mon frère._Assurément.


CLORIS.


Le sujet ?


TIRCIS.


Le sujet ?_J’en ai trop dans ton contentement.


CLORIS.


Le cœur t’en dit d’ailleurs 96.


TIRCIS.


Le cœur t’en dit d’ailleurs_._Il est vrai, je te jure ;
J’ai vu je ne sais quoi…


CLORIS.


J’ai vu je ne sais quoi…_Dis tout, je t’en conjure 97.


TIRCIS.


Ma foi, si ton Philandre avoit vu de mes yeux,
Tes affaires, ma sœur, n’en iroient guère mieux.


CLORIS.


J’ai trop de vanité pour croire que Philandre
Trouve encore après moi qui puisse le surprendre 98.


TIRCIS.


Tes vanités à part, repose-t’en sur moi.
Que celle que j’ai vue est bien autre que toi.


PHILANDRE.


Parle mieux de l’objet dont mon âme est ravie ;
Ce blasphème à tout autre auroit coûté la vie.


TIRCIS.


Nous tomberons d’accord sans nous mettre en pourpoint 99.


CLORIS.


Encor, cette beauté, ne la nomme-ton point ?


TIRCIS.


Non pas sitôt. Adieu : ma présence importune
Te laisse à la merci d’Amour et de la brune.
Continuez les jeux que vous avez quittés 100.


CLORIS.


Ne crois pas éviter mes importunités :
Ou tu diras le nom de cette incomparable,
Ou je vais de tes pas me rendre inséparable.


TIRCIS.


Il n’est pas fort aisé d’arracher ce secret.
Adieu : ne perds point temps.


CLORIS.


Adieu : ne perds point temps._Ô l’amoureux discret !
Eh bien ! nous allons voir si tu sauras te taire.


PHILANDRE.

(Il retient Cloris 101, qui suit son frère.)


C’est donc ainsi qu’on quitte un amant pour un frère !


CLORIS.


Philandre, avoir un peu de curiosité,
Ce n’est pas envers toi grande infidélité :
Souffre que je dérobe un moment à ma flamme,
Pour lire malgré lui jusqu’au fond de son âme.
Nous en rirons après ensemble, si tu veux.


PHILANDRE.


Quoi ! c’est là tout l’état que tu fais de mes feux ?


CLORIS.


Je ne t’aime pas moins pour être curieuse ?
Et ta flamme à mon cœur n’est pas moins précieuse.
Conserve-moi le tien, et sois sûr de ma foi.


PHILANDRE.


Ah, folle ! qu’en t’aimant il faut souffrir de toi !





ACTE II.


――――――


SCÈNE PREMIÈRE.


ÉRASTE



Je l’avois bien prévu, que ce cœur infidèle 102
Ne se défendroit point des yeux de ma cruelle,
Qui traite mille amants avec mille mépris,
Et n’a point de faveurs que pour le dernier pris.
Sitôt qu’il l’aborda, je lus sur son visage 103
De sa déloyauté l’infaillible présage ;
Un inconnu frisson dans mon corps épandu
Me donna les avis de ce que j’ai perdu 104.
Depuis, cette volage évite ma rencontre,
Ou si malgré ses soins le hasard me la montre,
Si je puis l’aborder, son discours se confond,
Son esprit en désordre à peine me répond ;
Une réflexion vers le traître qu’elle aime
Presque à tous les moments le ramène en lui-même 105 ;
Et tout rêveur qu’il est, il n’a point de soucis
Qu’un soupir ne trahisse au seul nom de Tircis.
Lors, par le prompt effet d’un changement étrange,
Son silence rompu se déborde en louange.
Elle remarque en lui tant de perfections,
Que les moins éclairés verroient ses passions 106.
Sa bouche ne se plaît qu’en cette flatterie,
Et tout autre propos lui rend sa rêverie.
Cependant chaque jour au discours attachés 107,
Ils ne retiennent plus leurs sentiments cachés :
Ils ont des rendez-vous où l’amour les assemble ;
Encore hier sur le soir je les surpris ensemble ;
Encor tout de nouveau je la vois qui l’attend.
Que cet œil assuré marque un esprit content !
Perds tout respect, Éraste, et tout soin de lui plaire 108 ;
Rends, sans plus différer, ta vengeance exemplaire ;
Mais il vaut mieux t’en rire, et pour dernier effort
Lui montrer en raillant combien elle a de tort.


――――――


SCÈNE II.


ÉRASTE, MÉLITE.


ÉRASTE.


Quoi ! seule et sans Tircis ! vraiment c’est un prodige,
Et ce nouvel amant déjà trop vous néglige,
Laissant ainsi couler la belle occasion 109
De vous conter l’excès de son affection.


MÉLITE.


Vous savez que son âme en est fort dépourvue 110.


ÉRASTE.


Toutefois, ce dit-on, depuis qu’il vous a vue 111,
Il en porte dans l’âme un si doux souvenir,
Qu’il n’a plus de plaisirs qu’à vous entretenir.


MÉLITE.


Il a lieu de s’y plaire avec quelque justice :
L’amour ainsi qu’à lui me paroît un supplice ;
Et sa froideur, qu’augmente un si lourd entretien,
Le résout d’autant mieux à n’aimer jamais rien.


ÉRASTE.


Dites : à n’aimer rien que la belle Mélite.


MÉLITE.


Pour tant de vanité j’ai trop peu de mérite.


ÉRASTE.


En faut-il tant avoir pour ce nouveau venu ?


MÉLITE.


Un peu plus que pour vous.


ÉRASTE.


Un peu plus que pour vous._De vrai, j’ai reconnu,
Vous ayant pu servir deux ans, et davantage,
Qu’il faut si peu que rien à toucher mon courage.


MÉLITE.


Encor si peu que c’est vous étant refusé,
Présumez comme ailleurs vous serez méprisé.


ÉRASTE.


Vos mépris ne sont pas de grande conséquence,
Et ne vaudront jamais la peine que j'y pense ;
Sachant qu'il vous voyoit, je m'étois bien douté
Que je ne serois plus que fort mal écouté.


MÉLITE.


Sans que mes actions de plus près j'examine,
À la meilleure humeur je fais meilleure mine,
Et s'il m'osoit tenir de semblables discours,
Nous romprions ensemble avant qu'il fût deux jours.


ÉRASTE.


Si chaque objet nouveau de même vous engage,
Il changera bientôt d'humeur et de langage 112.
Caressé maintenant aussitôt qu'aperçu,
Qu'auroit-il à se plaindre, étant si bien reçu ?


MÉLITE.


Éraste, voyez-vous, trêve de jalousie ;
Purgez votre cerveau de cette frénésie ;
Laissez en liberté mes inclinations.
Qui vous a fait censeur de mes affections ?
Est-ce à votre chagrin que j'en dois rendre conte 113 ?


ÉRASTE.


Non, mais j'ai malgré moi pour vous un peu de honte
De ce qu'on dit partout du trop de privauté 114
Que déjà vous souffrez à sa témérité.


MÉLITE.


Ne soyez en souci que de ce qui vous touche.


ÉRASTE.


Le moyen, sans regret, de vous voir si farouche
Aux légitimes vœux de tant de gens d’honneur,
Et d’ailleurs si facile à ceux d’un suborneur ?


MÉLITE.


Ce n’est pas contre lui qu’il faut en ma présence
Lâcher les traits jaloux de votre médisance.
Adieu : souvenez-vous que ces mots insensés
L’avanceront chez moi plus que vous ne pensez.


――――――


SCÈNE III.


ÉRASTE.



C’est là donc ce qu’enfin me gardoit ton caprice 115 ?
C’est ce que j’ai gagné par deux ans de service ?
C’est ainsi que mon feu s’étant trop abaissé
D’un outrageux mépris se voit récompensé ?
Tu m’oses préférer un traître qui te flatte 116 ;
Mais dans ta lâcheté ne crois pas que j’éclate,
Et que par la grandeur de mes ressentiments
Je laisse aller au jour celle de mes tourments.
Un aveu si public qu’en feroit ma colère
Enfleroit trop l’orgueil de ton âme légère
Et me convaincroit trop de ce désir abjet 117
Qui m’a fait soupirer pour un indigne objet.
Je saurai me venger, mais avec l’apparence
De n’avoir pour tous deux que de l’indifférence.
Il fut toujours permis de tirer sa raison
D’une infidélité par une trahison.
Tiens, déloyal ami, tiens ton âme assurée
Que ton heur surprenant aura peu de durée,
Et que par une adresse égale à tes forfaits
Je mettrai le désordre où tu crois voir la paix.
L’esprit fourbe et vénal d’un voisin de Mélite
Donnera prompte issue à ce que je médite.
À servir qui l’achète il est toujours tout prêt,
Et ne voit rien d’injuste où brille l’intérêt.
Allons sans perdre temps lui payer ma vengeance,
Et la pistole en main presser sa diligence.


――――――


SCÈNE IV.


TIRCIS, CLORIS.



TIRCIS.


Ma sœur, un mot d’avis sur un méchant sonnet
Que je viens de brouiller dedans mon cabinet.


CLORIS.


C’est à quelque beauté que ta muse l’adresse ?


TIRCIS.


En faveur d’un ami je flatte sa maîtresse.
Vois si tu le connois, et si, parlant pour lui,
J’ai su m’accommoder aux passions d’autrui.


SONNET.


Après l’œil de Mélite il n’est rien d’admirable…


CLORIS.


Ah ! frère, il n’en faut plus.


TIRCIS.


Ah ! frère, il n’en faut plus._Tu n’es pas supportable
De me rompre sitôt.


CLORIS.


De me rompre sitôt._C’étoit sans y penser ;
Achève.


TIRCIS.


Achève_Tais-toi donc, je vais recommencer.


SONNET118.


Après l’œil de Mélite il n’est rien d’admirable ;
Il n’est rien de solide après ma loyauté.
Mon feu, comme son teint, se rend incomparable,
Et je suis en amour ce qu’elle est en beauté.


Quoi que puisse à mes sens offrir la nouveauté,
Mon cœur à tous ses traits demeure invulnérable,
Et bien qu’elle ait au sien la même cruauté.
Ma foi pour ses rigueurs n’en est pas moins durable.


C’est donc avec raison que mon extrême ardeur
Trouve chez cette belle une extrême froideur,
Et que sans être aimé je brûle pour Mélite ;


Car de ce que les Dieux, nous envoyant au jour,
Donnèrent pour nous deux d’amour et de mérite,
Elle a tout le mérite, et moi j’ai tout l’amour.


CLORIS.


Tu l’as fait pour Éraste ?


TIRCIS.


Tu l’as fait pour Éraste ?_Oui, j’ai dépeint sa flamme,


CLORIS.


Comme tu la ressens peut-être dans ton âme ?


TIRCIS.


Tu sais mieux qui je suis, et que ma libre humeur
N’a de part en mes vers que celle de rimeur.


CLORIS.


Pauvre frère, vois-tu, ton silence t’abuse ;
De la langue ou des yeux, n’importe qui t’accuse 119 :
Les tiens m’avoient bien dit malgré toi que ton cœur
Soupiroit sous les lois de quelque objet vainqueur ;
Mais j’ignorois encor qui tenoit ta franchise 120,
Et le nom de Mélite a causé ma surprise,
Sitôt qu’au premier vers ton sonnet m’a fait voir
Ce que depuis huit jours je brûlois de savoir.


TIRCIS.


Tu crois donc que j’en tiens ?


CLORIS.


Tu crois donc que j’en tiens ?_Fort avant.


TIRCIS.


Tu crois donc que j’en tiens ? Fort avant._Pour Mélite ?


CLORIS.


Pour Mélite, et de plus que ta flamme n’excite
Au cœur de cette belle aucun embrasement 121.


TIRCIS.


Qui t’en a tant appris ? mon sonnet ?


CLORIS.


Qui t’en a tant appris ? mon sonnet ?_Justement.


TIRCIS.


Et c’est ce qui te trompe avec tes conjectures,
Et par où ta finesse a mal pris ses mesures.
Un visage jamais ne m’auroit arrêté,
S’il falloit que l’amour fût tout de mon côté.
Ma rime seulement est un portrait fidèle
De ce qu’Éraste souffre en servant cette belle ;
Mais quand je l’entretiens de mon affection,
J’en ai toujours assez de satisfaction.


CLORIS.


Montre, si tu dis vrai, quelque peu plus de joie,
Et rends-toi moins rêveur, afin que je te croie.


TIRCIS.


Je rêve, et mon esprit ne s’en peut exempter ;
Car sitôt que je viens à me représenter
Qu’une vieille amitié de mon amour s’irrite,
Qu’Éraste s’en offense et s’oppose à Mélite 122,
Tantôt je suis ami, tantôt je suis rival,
Et toujours balancé d’un contre-poids égal,
J’ai honte de me voir insensible ou perfide :
Si l’amour m’enhardit, l’amitié m’intimide.
Entre ces mouvements mon esprit partagé
Ne sait duquel des deux il doit prendre congé.


CLORIS.


Voilà bien des détours pour dire, au bout du conte,
Que c’est contre ton gré que l’amour te surmonte.
Tu présumes par là me le persuader ;
Mais ce n’est pas ainsi qu’on m’en donne à garder 123.
À la mode du temps, quand nous servons quelque autre,
C’est seulement alors qu’il n’y va rien du nôtre 124.
Chacun en son affaire est son meilleur ami 125,
Et tout autre intérêt ne touche qu’à demi.


TIRCIS.


Que du foudre à tes yeux j’éprouve la furie,
Si rien que ce rival cause ma rêverie !


CLORIS.


C’est donc assurément son bien qui t’est suspect :
Son bien te fait rêver, et non pas son respect,
Et toute amitié bas, tu crains que sa richesse
En dépit de tes feux n’obtienne ta maîtresse 126.


TIRCIS.


Tu devines, ma sœur : cela me fait mourir.


CLORIS.


Ce sont vaines frayeurs dont je veux te guérir 127.
Depuis quand ton Éraste en tient-il pour Mélite ?


TIRCIS.


Il rend depuis deux ans hommage à son mérite.


CLORIS.


Mais dit-il les grands mots ? parle-t-il d’épouser ?


TIRCIS.


Presque à chaque moment.


CLORIS.


Presque à chaque moment._Laisse-le donc jaser.
Ce malheureux amant ne vaut pas qu’on le craigne ;
Quelque riche qu’il soit, Mélite le dédaigne :
Puisqu’on voit sans effet deux ans d’affection,
Tu ne dois plus douter de son aversion ;
Le temps ne la rendra que plus grande et plus forte.
On prend soudain au mot les hommes de sa sorte 128,
Et sans rien hasarder à la moindre longueur,
On leur donne la main dès qu’ils offrent le cœur.


TIRCIS.


Sa mère peut agir de puissance absolue.


CLORIS.


Crois que déjà l’affaire en seroit résolue,
Et qu’il auroit déjà de quoi se contenter,
Si sa mère étoit femme à la violenter.


TIRCIS.


Ma crainte diminue et ma douleur s’apaise 129 ;
Mais si je t’abandonne, excuse mon trop d’aise.
Avec cette lumière et ma dextérité,
J’en veux aller savoir toute la vérité.
Adieu.


CLORIS.


Adieu._Moi, je m’en vais paisiblement attendre 130
Le retour désiré du paresseux Philandre.
Un moment de froideur lui fera souvenir 131
Qu’il faut une autre fois tarder moins à venir.


――――――


SCÈNE V.


ÉRASTE, CLITON.



ÉRASTE, lui donnant une lettre 132.


Va-t’en chercher Philandre, et dis-lui que Mélite 133
A dedans ce billet sa passion décrite ;
Dis-lui que sa pudeur ne sauroit plus cacher
Un feu qui la consume et qu’elle tient si cher 134.
Mais prends garde surtout à bien jouer ton rôle :
Remarque sa couleur, son maintien, sa parole ;
Vois si dans la lecture un peu d’émotion
Ne te montrera rien de son intention.


CLITON.


Cela vaut fait, Monsieur.


ÉRASTE.


Cela vaut fait, Monsieur._Mais après ce message 135
Sache avec tant d’adresse ébranler son courage,
Que tu viennes à bout de sa fidélité.


CLITON.


Monsieur, reposez-vous sur ma subtilité ;
Il faudra malgré lui qu’il donne dans le piége :
Ma tête sur ce point vous servira de plége 136 ;
Mais aussi vous savez…


ÉRASTE.


Mais aussi vous savez…_Oui, va, sois diligent 137.
Ces âmes du commun n’ont pour but que l’argent 138 ;
Et je n’ai que trop vu par mon expérience…
Mais tu reviens bientôt 139 ?


CLITON.


Mais tu reviens bientôt__?_Donnez-vous patience,
Monsieur; il ne nous faut qu’un moment de loisir 140,
Et vous pourrez vous-même en avoir le plaisir.


ÉRASTE.


Comment ?


CLITON.


Comment ?_De ce carfour j’ai vu venir Philandre.
Cachez-vous en ce coin, et de là sachez prendre
L’occasion commode à seconder mes coups :
Par là nous le tenons. Le voici ; sauvez-vous 141.


――――――


SCÈNE VI.


PHILANDRE, ÉRASTE, CLITON.



PHILANDRE.
(Éraste est caché et les écoute 142.)


Quelle réception me fera ma maîtresse ?
Le moyen d’excuser une telle paresse ?


CLITON.


Monsieur, tout à propos je vous rencontre ici,
Expressément chargé de vous rendre ceci.


PHILANDRE.


Qu’est-ce ?


CLITON.


Qu’est-ce ?_Vous allez voir, en lisant cette lettre,
Ce qu’un homme jamais n’oseroit se promettre 143 ;
Ouvrez-la seulement.


PHILANDRE.


Ouvrez-la seulement._Va, tu n’es qu’un conteur.


CLITON.


Je veux mourir au cas qu’on me trouve menteur.


lettre supposée de mélite à philandre.

Malgré le devoir et la bienséance du sexe, celle-ci m’échappe en faveur de vos mérites, pour vous apprendre que c’est Mélite qui vous écrit, et qui vous aime. Si elle est assez heureuse pour recevoir de vous une réciproque affection, contentez-vous de cet entretien par lettres, jusques à ce qu’elle ait 144 ôté de l’esprit de sa mère quelques personnes qui n’y sont que trop bien pour son contentement.


ÉRASTE, feignant d’avoir lu la lettre par-dessus son épaule 145.


C’est donc la vérité que la belle Mélite
Fait du brave Philandre une louable élite,
Et qu’il obtient ainsi de sa seule vertu
Ce qu’Éraste et Tircis ont en vain débattu !
Vraiment dans un tel choix mon regret diminue ;
Outre qu’une froideur depuis peu survenue,
De tant de vœux perdus ayant su me lasser 146,
N’attendoit qu’un prétexte à m’en débarrasser.


PHILANDRE.


Me dis-tu que Tircis brûle pour cette belle ?


ÉRASTE.


Il en meurt.


PHILANDRE.


Il en meurt._Ce courage à l’amour si rebelle ?


ÉRASTE.


Lui-même.


PHILANDRE.


Lui-même._Si ton cœur ne tient plus qu’à demi 147,
Tu peux le retirer en faveur d’un ami 148 ;
Sinon, pour mon regard ne cesse de prétendre :
Étant pris une fois, je ne suis plus à prendre.
Tout ce que je puis faire à ce beau feu naissant 149,
C’est de m’en revancher par un zèle impuissant 150 ;
Et ma Cloris la prie, afin de s’en distraire,
De tourner, s’il se peut, sa flamme vers son frère 151.


ÉRASTE.


Auprès de sa beauté qu’est-ce que ta Cloris ?


PHILANDRE.


Un peu plus de respect pour ce que je chéris.


ÉRASTE.


Je veux qu’elle ait en soi quelque chose d’aimable ;
Mais enfin à Mélite est-elle comparable 152 ?


PHILANDRE.


Qu’elle le soit ou non, je n’examine pas
Si des deux l’une ou l’autre a plus ou moins d’appas.
J’aime l’une ; et mon cœur pour toute autre insensible 153


ÉRASTE.


Avise toutefois, le prétexte est plausible.


PHILANDRE.


J’en serois mal voulu des hommes et des Dieux.


ÉRASTE.


On pardonne aisément à qui trouve son mieux.


PHILANDRE.


Mais en quoi gît ce mieux ?


ÉRASTE.


Mais en quoi gît ce mieux ?_En esprit, en richesse 154.


PHILANDRE.


Ô le honteux motif à changer de maîtresse !


ÉRASTE.


En amour.


PHILANDRE.


En amour._Cloris m’aime, et si je m’y connoi,
Rien ne peut égaler celui qu’elle a pour moi.


ÉRASTE.


Tu te détromperas, si tu veux prendre garde
À ce qu’à ton sujet l’une et l’autre hasarde.
L’une en t’aimant s’expose au péril d’un mépris :
L’autre ne t’aime point que tu n’en sois épris ;
L’une t’aime engagé vers une autre moins belle :
L’autre se rend sensible à qui n’aime rien qu’elle ;
L’une au desçu 155 des siens te montre son ardeur,
Et l’autre après leur choix quitte un peu sa froideur ;
L’une…


PHILANDRE.


L’une…_Adieu : des raisons de si peu d’importance
Ne pourroient en un siècle ébranler ma constance 156.
(Il dit ce vers à Cliton tout bas 157.)
Dans deux heures d’ici tu viendras me revoir.


CLITON.


Disposez librement de mon petit pouvoir.


ÉRASTE, seul 158


Il a beau déguiser, il a goûté l’amorce ;
Cloris déjà sur lui n’a presque plus de force :
Ainsi je suis deux fois vengé du ravisseur,
Ruinant tout ensemble et le frère et la sœur.


――――――


SCÈNE VII.


TIRCIS, ÉRASTE, MÉLITE.



TIRCIS.


Éraste, arrête un peu.


ÉRASTE.


Éraste, arrête un peu._Que me veux- tu ?


TIRCIS.


Éraste, arrête un peu. Que me veux- tu ?_Te rendre
Ce sonnet que pour toi j’ai promis d’entreprendre 159.


MÉLITE, au travers d’une jalousie, cependant qu’Éraste
lit le sonnet 160.


Que font-ils là tous deux ? qu’ont-ils à démêler ?
Ce jaloux à la fin le pourra quereller :
Du moins les compliments, dont peut-être ils se jouent,
Sont des civilités qu’en l’âme ils désavouent.


TIRCIS.161


J’y donne une raison de ton sort inhumain.
Allons, je le veux voir présenter de ta main
À ce charmant objet dont ton âme est blessée 162.


ÉRASTE, lui rendant son sonnet 163.


Une autre fois, Tircis ; quelque affaire pressée
Fait que je ne saurois pour l’heure m’en charger.
Tu trouveras ailleurs un meilleur messager.


TIRCIS, seul.


La belle humeur de l’homme ! Ô Dieux, quel personnage !
Quel ami j’avois fait de ce plaisant visage !
Une mine froncée, un regard de travers,
C’est le remercîment que j’aurai de mes vers.
Je manque, à mon avis, d’assurance ou d’adresse,
Pour les donner moi-même à sa jeune maîtresse,
Et prendre ainsi le temps de dire à sa beauté
L’empire que ses yeux ont sur ma liberté.
Je pense l’entrevoir par cette jalousie :
Oui, mon âme de joie en est toute saisie 164.
Hélas ! et le moyen de pouvoir lui parler 165,
Si mon premier aspect l’oblige à s’en aller ?
Que cette joie est courte, et qu’elle est cher vendue 166 !
Toutefois tout va bien, la voilà descendue.
Ses regards pleins de feu s’entendent avec moi 167 ;
Que dis-je ? en s’avançant elle m’appelle à soi.


――――――


SCÈNE VIII168.


TIRCIS, MÉLITE.



MÉLITE.


Eh bien ! qu’avez-vous fait de votre compagnie ?


TIRCIS.


Je ne puis rien juger de ce qui l’a bannie 169 :
À peine ai-je eu loisir de lui dire deux mots,
Qu’aussitôt le fantasque, en me tournant le dos,
S’est échappé de moi.


MÉLITE.


S’est échappé de moi._Sans doute il m’aura vue,
Et c’est de là que vient cette fuite imprévue 170.


TIRCIS.


Vous aimant comme il fait, qui l’eût jamais pensé ?


MÉLITE.


Vous ne savez donc rien de ce qui s’est passé ?


TIRCIS.


J’aimerois beaucoup mieux savoir ce qui se passe,
Et la part qu’a Tircis en votre bonne grâce.


MÉLITE.


Meilleure aucunement qu’Éraste ne voudroit.
Je n’ai jamais connu d’amant si maladroit ;
Il ne sauroit souffrir qu’autre que lui m’approche.
Dieux ! qu’à votre sujet il m’a fait de reproche !
Vous ne sauriez me voir sans le désobliger.


TIRCIS.


Et de tous mes soucis c’est là le plus léger.
Toute une légion de rivaux de sa sorte
Ne divertiroit pas 171 l’amour que je vous porte,
Qui ne craindra jamais les humeurs d’un jaloux.


MÉLITE.


Aussi le croit-il bien, ou je me trompe.


TIRCIS.


Aussi le croit-il bien, ou je me trompe. _Et vous ?


MÉLITE.


Bien que cette croyance à quelque erreur m’expose 172,
Pour lui faire dépit, j’en croirai quelque chose.


TIRCIS.


Mais afin qu’il reçût un entier déplaisir,
Il faudroit que nos cœurs n’eussent plus qu’un désir,
Et quitter ces discours de volontés sujettes 173,
Qui ne sont point de mise en l’état où vous êtes.
Vous-même consultez un moment vos appas 174,
Songez à leurs effets, et ne présumez pas
Avoir sur tous les cœurs un pouvoir si suprême 175,
Sans qu’il vous soit permis d’en user sur vous-même.
Un si digne sujet ne reçoit point de loi,
De règle, ni d’avis, d’un autre que de soi.


MÉLITE.


Ton mérite, plus fort que ta raison flatteuse,
Me rend, je le confesse, un peu moins scrupuleuse.
Je dois tout à ma mère, et pour tout autre amant
Je voudrois tout remettre à son commandement 176 ;
Mais attendre pour toi l’effet de sa puissance,
Sans te rien témoigner que par obéissance,
Tircis, ce seroit trop : tes rares qualités
Dispensent mon devoir de ces formalités 177.


TIRCIS.


Que d’amour et de joie un tel aveu me donne !


MÉLITE.


C’est peut-être en trop dire, et me montrer trop bonne ;
Mais par là tu peux voir que mon affection
Prend confiance entière en ta discrétion.


TIRCIS.


Vous la verrez toujours, dans un respect sincère,
Attacher mon bonheur à celui de vous plaire,
N’avoir point d’autre soin, n’avoir point d’autre esprit ;
Et si vous en voulez un serment par écrit,
Ce sonnet que pour vous vient de tracer ma flamme
Vous fera voir à nu jusqu’au fond de mon âme.


MÉLITE.
.


Garde bien ton sonnet, et pense qu’aujourd’hui
Mélite veut te croire autant et plus que lui 178.
Je le prends toutefois comme un précieux gage
Du pouvoir que mes yeux ont pris sur ton courage.
Adieu : sois-moi fidèle en dépit du jaloux.


TIRCIS.179


Ô ciel ! jamais amant eut-il un sort plus doux ?





ACTE III.


――――――


SCÈNE PREMIÈRE.


PHILANDRE.



Tu l’as gagné, Mélite ; il ne m’est pas possible 180
D’être à tant de faveurs plus longtemps insensible.
Tes lettres où sans fard tu dépeins ton esprit,
Tes lettres où ton cœur est si bien par écrit,
Ont charmé tous mes sens par leurs douces promesses 181.
Leur attente vaut mieux, Cloris, que tes caresses.
Ah ! Mélite, pardon ! je t’offense à nommer
Celle qui m’empêcha si longtemps de t’aimer.
Souvenirs importuns d’une amante laissée,
Qui venez malgré moi remettre en ma pensée
Un portrait que j’en veux tellement effacer 182
Que le sommeil ait peine à me le retracer,
Hâtez-vous de sortir sans plus troubler ma joie,
Et retournant trouver celle qui vous envoie,
Dites-lui de ma part pour la dernière fois
Qu’elle est en liberté de faire un autre choix ;
Que ma fidélité n’entretient plus ma flamme,
Ou que s’il m’en demeure encore un peu dans l’âme,
Je souhaite en faveur de ce reste de foi
Qu’elle puisse gagner au change autant que moi 183.
Dites-lui que Mélite, ainsi qu’une Déesse,
Est de tous nos désirs souveraine maîtresse,
Dispose de nos cœurs, force nos volontés,
Et que par son pouvoir nos destins surmontés
Se tiennent trop heureux de prendre l’ordre d’elle ;
Enfin que tous mes vœux…


――――――


SCÈNE II.


TIRCIS, PHILANDRE.



TIRCIS.


Enfin que tous mes vœux…_Philandre !


PHILANDRE.


Enfin que tous mes vœux… Philandre !_Qui m’appelle ?


TIRCIS.


Tircis, dont le bonheur au plus haut point monté
Ne peut être parfait sans te l’avoir conté.


PHILANDRE.


Tu me fais trop d’honneur par cette confidence 184.


TIRCIS.


J’userois envers toi d’une sotte prudence.
Si je faisois dessein de te dissimuler
Ce qu’aussi bien mes yeux ne sauroient te celer.


PHILANDRE.


En effet, si l’on peut te juger au visage,
Si l’on peut par tes yeux lire dans ton courage 185,
Ce qu’ils montrent de joie à tel point me surprend,
Que je n’en puis trouver de sujet assez grand :
Rien n’atteint, ce me semble, aux signes qu’ils en donnent.


TIRCIS.


Que fera le sujet, si les signes t’étonnent ?
Mon bonheur est plus grand qu’on ne peut soupçonner ;
C’est quand tu l’auras su qu’il faudra t’étonner.


PHILANDRE.


Je ne le saurai pas sans marque plus expresse.


TIRCIS.


Possesseur, autant vaut…


PHILANDRE.


Possesseur, autant vaut…_De quoi ?


TIRCIS.


Possesseur, autant vaut… De quoi ?_D’une maîtresse.
Belle, honnête, jolie, et dont l’esprit charmant 186
De son seul entretien peut ravir un amant :
En un mot, de Mélite.


PHILANDRE.


En un mot, de Mélite._Il est vrai qu’elle est belle ;
Tu n’as pas mal choisi ; mais…


TIRCIS.


Tu n’as pas mal choisi ; mais…_Quoi, mais ?


PHILANDRE.


Tu n’as pas mal choisi ; mais… Quoi, mais ?_T’aime-t-elle ?


TIRCIS.


Cela n’est plus en doute.


PHILANDRE.


Cela n’est plus en doute._Et de cœur ?


TIRCIS.


Cela n’est plus en doute. Et de cœur ?_Et de cœur,
Je t’en réponds.


PHILANDRE.


Je t’en réponds._Souvent un visage moqueur
N’a que le beau semblant d’une mine hypocrite.


TIRCIS.


Je ne crains rien de tel du côté de Mélite 187.


PHILANDRE.


Écoute, j’en ai vu de toutes les façons :
J’en ai vu qui sembloient n’être que des glaçons,
Dont le feu, retenu par une adroite feinte 188,
S’allumoit d’autant plus qu’il souffroit de contrainte ;
J’en ai vu, mais beaucoup, qui sous le faux appas
Des preuves d’un amour qui ne les touchoit pas,
Prenoient du passe-temps d’une folle jeunesse
Qui se laisse affiner à 189 ces traits de souplesse,
Et pratiquoient sous main d’autres affections ;
Mais j’en ai vu fort peu de qui les passions
Fussent d’intelligence avec tout le visage 190.


TIRCIS.


Et de ce petit nombre est celle qui m’engage :
De sa possession je me tiens aussi seur 191
Que tu te peux tenir de celle de ma sœur.


PHILANDRE.


Donc, si ton espérance à la fin n’est déçue 192.
Ces deux amours auront une pareille issue.


TIRCIS.


Si cela n’arrivoit, je me tromperois fort.


PHILANDRE.


Pour te faire plaisir j’en veux être d’accord.
Cependant apprends-moi comment elle te traite,
Et qui te fait juger son ardeur si parfaite 193.


TIRCIS.


Une parfaite ardeur a trop de truchements
Par qui se faire entendre aux esprits des amants :
Un coup d’œil, un soupir 194


PHILANDRE.


Un coup d’œil, un soupir…_Ces faveurs ridicules 195
Ne servent qu’à duper des âmes trop crédules.
N’as-tu rien que cela ?


TIRCIS.


N’as-tu rien que cela ?_Sa parole et sa foi.


PHILANDRE.


Encor c’est quelque chose. Achève et conte-moi
Les petites douceurs, les aimables tendresses 196
Qu’elle se plaît à joindre à de telles promesses.
Quelques lettres du moins te daignent confirmer
Ce vœu qu’entre tes mains elle a fait de t’aimer ?


TIRCIS.


Recherche qui voudra ces menus badinages,
Qui n’en sont pas toujours de fort sûrs témoignages ;
Je n’ai que sa parole, et ne veux que sa foi.


PHILANDRE.


Je connois donc quelqu’un plus avancé que toi 197.


TIRCIS.


J’entends qui tu veux dire, et pour ne te rien feindre.
Ce rival est bien moins à redouter qu’à plaindre.
Éraste, qu’ont banni ses dédains rigoureux…


PHILANDRE.


Je parle de quelque autre un peu moins malheureux.


TIRCIS.


Je ne connois que lui qui soupire pour elle.


PHILANDRE.


Je ne te tiendrai point plus longtemps en cervelle 198 :
Pendant qu’elle t’amuse avec ses beaux discours,
Un rival inconnu possède ses amours,
Et la dissimulée, au mépris de ta flamme,
Par lettres chaque jour lui fait don de son âme.


TIRCIS.


De telles trahisons lui sont trop en horreur.


PHILANDRE.


Je te veux par pitié tirer de cette erreur.
Tantôt, sans y penser, j’ai trouvé cette lettre ;
Tiens, vois ce que tu peux désormais t’en promettre.


lettre supposée de mélite à philandre.

Je commence à m’estimer quelque chose, puisque je vous plais ; et mon miroir m’offense tous les jours, ne me représentant pas assez belle, comme je m’imagine qu’il faut être pour mériter votre affection. Aussi je veux bien que vous sachiez que Mélite ne croit la posséder que par faveur199, ou comme une récompense extraordinaire d’un excès d’amour, dont elle tâche de suppléer au défaut des grâces que le ciel lui a refusées.


PHILANDRE.


Maintenant qu’en dis-tu ? n’est-ce pas t’affronter 200 ?


TIRCIS.


Cette lettre en tes mains ne peut m’épouvanter.


PHILANDRE.


La raison ?


TIRCIS.


La raison ?_Le porteur a su combien je t’aime,
Et par galanterie il t’a pris pour moi-même 201,
Comme aussi ce n’est qu’un de deux parfaits amis.


PHILANDRE.


Voilà bien te flatter plus qu’il ne t’est permis,
Et pour ton intérêt aimer à te méprendre 202.


TIRCIS.


On t’en aura donné quelque autre pour me rendre,
Afin qu’encore un coup je sois ainsi déçu.


PHILANDRE.


Oui, j’ai quelque billet que tantôt j’ai reçu 203,
Et puisqu’il est pour toi…


TIRCIS.


Et puisqu’il est pour toi…_Que ta longueur me tue !
Dépêche.


PHILANDRE.


Dépêche._Le voilà que je te restitue.


autre lettre supposée de mélite à philandre.

Vous n’avez plus affaire qu’à Tircis ; je le souffre encore, afin que par sa hantise je remarque plus exactement ses défauts et les fasse mieux goûter à ma mère. Après cela Philandre et Mélite auront tout loisir de rire ensemble des belles imaginations dont le frère et la sœur ont repu leurs espérances.


PHILANDRE.


Te voilà tout rêveur, cher ami ; par ta foi,
Crois-tu que ce billet s’adresse encore à toi 204 ?


TIRCIS.


Traître ! c’est donc ainsi que ma sœur méprisée
Sert à ton changement d’un sujet de risée ?
C’est ainsi qu’à sa foi Mélite osant manquer 205,
D’un parjure si noir ne fait que se moquer ?
C’est ainsi que sans honte à mes yeux tu subornes 206
Un amour qui pour moi devoit être sans bornes ?
Suis-moi tout de ce pas, que l’épée à la main 207
Un si cruel affront se répare soudain :
Il faut que pour tous deux ta tête me réponde.


PHILANDRE.


Si pour te voir trompé tu te déplais au monde,
Cherche en ce désespoir qui t’en veuille arracher ;
Quant à moi, ton trépas me coûteroit trop cher 208.


TIRCIS.


Quoi ! tu crains le duel ?


PHILANDRE.


Quoi ! tu crains le duel ?_Non ; mais j’en crains la suite,
Où la mort du vaincu met le vainqueur en fuite,
Et du plus beau succès le dangereux éclat
Nous fait perdre l’objet et le prix du combat.


TIRCIS.


Tant de raisonnement et si peu de courage
Sont de tes lâchetés le digne témoignage.
Viens, ou dis que ton sang n’oseroit s’exposer.


PHILANDRE.


Mon sang n’est plus à moi ; je n’en puis disposer.
Mais puisque ta douleur de mes raisons s’irrite,
J’en prendrai dès ce soir le congé de Mélite.
Adieu.


――――――


SCÈNE III.


TIRCIS



Adieu._Tu fuis, perfide, et ta légèreté,
T’ayant fait criminel, te met en sûreté !
Reviens, reviens défendre une place usurpée :
Celle qui te chérit vaut bien un coup d’épée.
Fais voir que l’infidèle, en se donnant à toi,
A fait choix d’un amant qui valoit mieux que moi ;
Soutiens son jugement, et sauve ainsi de blâme
Celle qui pour la tienne a négligé ma flamme.
Crois-tu qu’on la mérite à force de courir ?
Peux-tu m’abandonner ses faveurs sans mourir 209 ?
Ô lettres, ô faveurs indignement placées,
À ma discrétion honteusement laissées !
Ô gages qu’il néglige ainsi que superflus !
Je ne sais qui de nous vous diffamez le plus 210 ;
Je ne sais qui des trois doit rougir davantage ;
Car vous nous apprenez qu’elle est une volage,
Son amant un parjure, et moi sans jugement,
De n’avoir rien prévu de leur déguisement.
Mais il le falloit bien, que cette âme infidèle,
Changeant d’affection, prît un traître comme elle,
Et que le digne amant qu’elle a su rechercher
À sa déloyauté n’eût rien à reprocher.
Cependant j’en croyois cette fausse apparence
Dont elle repaissoit ma frivole espérance ;
J’en croyois ses regards, qui tous remplis d’amour,
Étoient de la partie en un si lâche tour.
Ô ciel ! vit-on jamais tant de supercherie,
Que tout l’extérieur ne fût que tromperie ?
Non, non, il n’en est rien : une telle beauté
Ne fut jamais sujette à la déloyauté.
Foibles et seuls témoins du malheur qui me touche,
Vous êtes trop hardis de démentir sa bouche.
Mélite me chérit, elle me l’a juré :
Son oracle reçu, je m’en tiens assuré 211.
Que dites-vous là contre ? êtes-vous plus croyables ?
Caractères trompeurs, vous me contez des fables,
Vous voulez me trahir ; mais vos efforts sont vains 212 :
Sa parole a laissé son cœur entre mes mains.
À ce doux souvenir ma flamme se rallume ;
Je ne sais plus qui croire ou d’elle ou de sa plume :
L’un et l’autre en effet n’ont rien que de léger ;
Mais du plus ou du moins je n’en puis que juger.
Loin, loin, doutes flatteurs que mon feu me suggère 213 !
Je vois trop clairement qu’elle est la plus légère 214 ;
La foi que j’en reçus s’en est allée en l’air 215.
Et ces traits de sa plume osent encor parler 216,
Et laissent en mes mains une honteuse image,
Où son cœur peint au vif remplit le mien de rage.
Oui, j’enrage, je meurs, et tous mes sens troublés 217
D’un excès de douleur se trouvent accablés 218 ;
Un si cruel tourment me gêne et me déchire,
Que je ne puis plus vivre avec un tel martyre 219 :
Mais cachons-en la honte, et nous donnons du moins
Ce faux soulagement, en mourant sans témoins,
Que mon trépas secret empêche l’infidèle
D’avoir la vanité que je sois mort pour elle.


――――――


SCÈNE IV.


TIRCIS, CLORIS.



CLORIS.


Mon frère, en ma faveur retourne sur tes pas.
Dis-moi la vérité : tu ne me cherchois pas ?
Eh quoi ! tu fais semblant de ne me pas connoître ?
O Dieux ! en quel état te vois-je ici paroitre !
Tu pâlis tout à coup, et tes louches regards
S’élancent incertains presque de toutes parts !
Tu manques à la fois de couleur et d’haleine 220 !
Ton pied mal affermi ne te soutient qu’à peine !
Quel accident nouveau te trouble ainsi les sens 221 ?


TIRCIS.


Puisque tu veux savoir le mal que je ressens,
Avant que d’assouvir l’inexorable envie
De mon sort rigoureux qui demande ma vie,
Je vais l’assassiner d’un fatal entretien,
Et te dire en deux mots mon malheur et le tien.
En nos chastes amours de tous deux on se moque 222 :
Philandre… Ah ! la douleur m’étouffe et me suffoque.
Adieu, ma sœur, adieu ; je ne puis plus parler 223 :
Lis, et si tu le peux, tâche à te consoler 224.


CLORIS.


Ne m’échappe donc pas.


TIRCIS.


Ne m’échappe donc pas._Ma sœur, je te supplie…


CLORIS.


Quoi ! que je t’abandonne à ta mélancolie ?
Voyons auparavant ce qui te fait mourir 225,
Et nous aviserons à te laisser courir.


TIRCIS.


Hélas ! quelle injustice !


CLORIS, après avoir lu les lettres qu’il lui a données 226.


Hélas ! quelle injustice !_Est-ce là tout, fantasque ?
Quoi ! si la déloyale enfin lève le masque,
Oses-tu te fâcher d’être désabusé ?
Apprends qu’il le faut être en amour plus rusé ;
Apprends que les discours des filles bien sensées 227
Découvrent rarement le fond de leurs pensées,
Et que les yeux aidant à ce déguisement,
Notre sexe a le don de tromper finement.
Apprends aussi de moi que ta raison s’égare,
Que Mélite n’est pas une pièce si rare,
Qu’elle soit seule ici qui vaille la servir 228 ;
Assez d’autres objets y sauront te ravir 229.
Ne t’inquiète point pour une écervelée
Qui n’a d’ambition que d’être cajolée,
Et rend à plaindre ceux qui flattant ses beautés 230
Ont assez de malheur pour en être écoutés.
Damon lui plut jadis, Aristandre, et Géronte 231 ;
Éraste après deux ans n’y voit pas mieux son conte 232 ;
Elle t’a trouvé bon seulement pour huit jours ;
Philandre est aujourd’hui l’objet de ses amours,
Et peut-être déjà (tant elle aime le change 233 !)
Quelque autre nouveauté le supplante et nous venge.
Ce n’est qu’une coquette avec tous ses attraits 234 ;
Sa langue avec son cœur ne s’accorde jamais ;
Les infidélités font ses jeux ordinaires ;
Et ses plus doux appas sont tellement vulgaires,
Qu’en elle homme d’esprit n’admira jamais rien
Que le sujet pourquoi tu lui voulois du bien.


TIRCIS.


Penses-tu m’arrêter par ce torrent d’injures 235 ?
Que ce soient vérités, que ce soient impostures,
Tu redoubles mes maux, au lieu de les guérir.
Adieu : rien que la mort ne peut me secourir.


――――――


SCÈNE V.


CLORIS.



Mon frère… Il s’est sauvé ; son désespoir l’emporte :
Me préserve le ciel d’en user de la sorte !
Un volage me quitte, et je le quitte aussi :
Je l’obligerois trop de m’en mettre en souci.
Pour perdre des amants, celles qui s’en affligent
Donnent trop d’avantage à ceux qui les négligent ;
Il n’est lors que la joie : elle nous venge mieux,
Et la fît-on à faux éclater par les yeux,
C’est montrer par bravade à leur vaine inconstance 236
Qu’elle est pour nous toucher de trop peu d’importance.
Que Philandre à son gré rende ses vœux contents ;
S’il attend que j’en pleure, il attendra longtemps.
Son cœur est un trésor dont j’aime qu’il dispose ;
Le larcin qu’il m’en fait me vole peu de chose,
Et l’amour qui pour lui m’éprit si follement
M’avoit fait bonne part de son aveuglement.
On enchérit pourtant sur ma faute passée :
Dans la même folie une autre embarrassée 237
Le rend encor parjure, et sans âme, et sans foi,
Pour se donner l’honneur de faillir après moi.
Je meure, s’il n’est vrai que la moitié du monde 238
Sur l’exemple d’autrui se conduit et se fonde.
À cause qu’il parut quelque temps m’enflammer,
La pauvre fille a cru qu’il valoit bien l’aimer,
Et sur cette croyance elle en a pris envie :
Lui pût-elle durer jusqu’au bout de sa vie !
Si Mélite a failli me l’ayant débauché,
Dieux, par là seulement punissez son péché !
Elle verra bientôt que sa digne conquête 239
N’est pas une aventure à me rompre la tête.
Un si plaisant malheur m’en console à l’instant.
Ah! si mon fou de frère en pouvoit faire autant 240,
Que j’en aurois de joie, et que j’en ferois gloire !
Si je puis le rejoindre et qu’il me veuille croire,
Nous leur ferons bien voir que leur change indiscret
Ne vaut pas un soupir, ne vaut pas un regret.
Je me veux toutefois en venger par malice,
Me divertir une heure à m’en faire justice :
Ces lettres fourniront assez d’occasion
D’un peu de défiance et de division.
Si je prends bien mon temps, j’aurai pleine matière
À les jouer tous deux d’une belle manière.
En voici déjà l’un qui craint de m’aborder.


――――――


SCÈNE VI.


PHILANDRE, CLORIS.



CLORIS.


Quoi, tu passes, Philandre, et sans me regarder ?


PHILANDRE.


Pardonne-moi, de grâce : une affaire importune
M’empêche de jouir de ma bonne fortune,
Et son empressement, qui porte ailleurs mes pas,
Me remplissoit l’esprit jusqu’à ne te voir pas.


CLORIS.


J’ai donc souvent le don d’aimer plus qu’on ne m’aime :
Je ne pense qu’à toi, j’en parlois en moi-même.


PHILANDRE.


Me veux-tu quelque chose ?


CLORIS.


Me veux-tu quelque chose ?_Il t’ennuie avec moi ;
Mais comme de tes feux j’ai pour garant ta foi,
Je ne m’alarme point. N’étoit ce qui le presse,
Ta flamme un peu plus loin eût porté la tendresse,
Et je t’aurois fait voir quelques vers de Tircis
Pour le charmant objet de ses nouveaux soucis.
Je viens de les surprendre, et j’y pourrois encore 241
Joindre quelques billets de l’objet qu’il adore ;
Mais tu n’as pas le temps. Toutefois, si tu veux 242
Perdre un domi-quart d’heure à les lire nous deux…


PHILANDRE.


Voyons donc ce que c’est, sans plus longue demeure ;
Ma curiosité pour ce demi-quart d’heure
S’osera dispenser.


CLORIS.


S’osera dispenser._Aussi tu me promets,
Quand tu les auras lus, de n’en parler jamais ;
Autrement, ne crois pas…


PHILANDRE, reconnoissant les lettres 243.


Autrement, ne crois pas…_Cela s’en va sans dire :
Donne, donne-les-moi, tu ne les saurois lire :
Et nous aurions ainsi besoin de trop de temps.


CLORIS, les resserrant 244.


Philandre, tu n’es pas encore où tu prétends ;
Quelques 245 hautes faveurs que ton mérite obtienne,
Elles sont aussi bien en ma main qu’en la tienne :
Je les garderai mieux, tu peux en assurer
La belle qui pour toi daigne se parjurer 246.


PHILANDRE.


Un homme doit souffrir d’une fille en colère ;
Mais je sais comme il faut les ravoir de ton frère :
Tout exprès je le cherche, et son sang, ou le mien…


CLORIS.


Quoi ! Philandre est vaillant, et je n’en savois rien !
Tes coups sont dangereux quand tu ne veux pas feindre ;
Mais ils ont le bonheur de se faire peu craindre,
Et mon frère, qui sait comme il s’en faut guérir,
Quand tu l’aurois tué, pourroit n’en pas mourir.


PHILANDRE.


L’effet en fera foi, s’il en a le courage.
Adieu : j’en perds le temps à parler davantage.
Tremble.


CLORIS.


Tremble.J’en ai grand lieu, connoissant ta vertu :
Pourvu qu’il y consente, il sera bien battu.





ACTE IV.


――――――


SCÈNE PREMIÈRE.


MÉLITE, La Nourrice.



LA NOURRICE.


Cette obstination à faire la secrète
M’accuse injustement d’être trop peu discrète 247.


MÉLITE.


Ton importunité n’est pas à supporter :
Ce que je ne sais point, te le puis-je conter ?


LA NOURRICE.


Les visites d’Éraste un peu moins assidues
Témoignent quelque ennui de ses peines perdues,
Et ce qu’on voit par là de refroidissement
Ne fait que trop juger son mécontentement.
Tu m’en veux cependant cacher tout le mystère ;
Mais je pourrois enfin en croire ma colère,
Et pour punition te priver des avis
Qu’a jusqu’ici ton cœur si doucement suivis.


MÉLITE.


C’est à moi de trembler après cette menace,
Et tout autre du moins trembleroit en ma place.


LA NOURRICE.


Ne raillons point : le fruit qui t’en est demeuré
(Je parle sans reproche, et tout considéré)
Vaut bien… Mais revenons à notre humeur chagrine :
Apprends-moi ce que c’est.


MÉLITE.


Apprends-moi ce que c’est._Veux-tu que je devine ?
Dégoûté d’un esprit si grossier que le mien,
Il cherche ailleurs peut-être un meilleur entretien.


LA NOURRICE.


Ce n’est pas bien ainsi qu’un amant perd l’envie
D’une chose deux ans ardemment poursuivie :
D’assurance un mépris l’oblige à se piquer ;
Mais ce n’est pas un trait qu’il faille pratiquer.
Une fille qui voit et que voit la jeunesse
Ne s’y doit gouverner qu’avec beaucoup d’adresse ;
Le dédain lui messied, ou quand elle s’en sert,
Que ce soit pour reprendre un amant qu’elle perd.
Une heure de froideur, à propos ménagée,
Peut rembraser une âme à demi dégagée 248,
Qu’un traitement trop doux dispense à 249 des mépris
D’un bien dont cet orgueil fait mieux savoir le prix 250.
Hors ce cas, il lui faut complaire à tout le monde,
Faire qu’aux vœux de tous l’apparence réponde 251,
Et sans embarrasser son cœur de leurs amours,
Leur faire bonne mine, et souffrir leurs discours 252.
Qu’à part ils pensent tous avoir la préférence,
Et paroissent ensemble entrer en concurrence 253 ;
Que tout l’extérieur de son visage égal
Ne rende aucun jaloux du bonheur d’un rival ;
Que ses yeux partagés leur donnent de quoi craindre,
Sans donner à pas un aucun lieu de se plaindre ;
Qu’ils vivent tous d’espoir jusqu’au choix d’un mari,
Mais qu’aucun cependant ne soit le plus chéri,
Et qu’elle cède enfin, puisqu’il faut qu’elle cède 254,
A qui paiera le mieux le bien qu’elle possède.
Si tu n’eusses jamais quitté cette leçon,
Ton Éraste avec toi vivroit d’autre façon.


MÉLITE.


Ce n’est pas son humeur de souffrir ce partage :
Il croit que mes regards soient son propre héritage,
Et prend ceux que je donne à tout autre qu’à lui
Pour autant de larcins faits sur le bien d’autrui.


LA NOURRICE.


J’entends à demi-mot ; achève, et m’expédie
Promptement le motif de cette maladie 255.


MÉLITE.


Si tu m’avois, Nourrice, entendue à demi,
Tu saurois que Tircis…


LA NOURRICE.


Tu saurois que Tircis…_Quoi ? son meilleur ami !
N’a-ce pas été lui qui te l’a fait connoître ?


MÉLITE.


Il voudroit que le jour en fût encore à naître ;
Et si d’auprès de moi je l’avois écarté 256,
Tu verrois tout à l’heure Éraste à mon côté.


LA NOURRICE.


J’ai regret que tu sois leur pomme de discorde ;
Mais puisque leur humeur ensemble ne s’accorde,
Éraste n’est pas homme à laisser échapper ;
Un semblable pigeon ne se peut rattraper :
Il a deux fois le bien de l’autre, et davantage.


MÉLITE.


Le bien ne touche point un généreux courage.


LA NOURRICE.


Tout le monde l’adore, et tâche d’en jouir.


MÉLITE.


Il suit un faux éclat qui ne peut m’éblouir.


LA NOURRICE.


Auprès de sa splendeur toute autre est fort petite 257.


MÉLITE.


Tu le places 258 au rang qui n’est dû qu’au mérite.


LA NOURRICE.


On a trop de mérite étant riche à ce point.


MÉLITE.


Les biens en donnent-ils à ceux qui n’en ont point ?


LA NOURRICE.


Oui, ce n’est que par là qu’on est considérable.


MÉLITE.


Mais ce n’est que par là qu’on devient méprisable :
Un homme dont les biens font toutes les vertus
Ne peut être estimé que des cœurs abattus.


LA NOURRICE.


Est-il quelques défauts que les biens ne réparent ?


MÉLITE.


Mais plutôt en est-il où les biens ne préparent ?
Étant riche, on méprise assez communément
Des belles qualités le solide ornement,
Et d’un luxe honteux la richesse suivie 259
Souvent par l’abondance aux vices nous convie.


LA NOURRICE.


Enfin je reconnois…


MÉLITE.


Enfin je reconnois…_Qu’avec tout ce grand bien 260
Un jaloux sur mon cœur n’obtiendra jamais rien.


LA NOURRICE.


Et que d’un cajoleur la nouvelle conquête
T’imprime, à mon regret, ces erreurs dans la tête.
Si ta mère le sait…


MÉLITE.


Si ta mère le sait…_Laisse-moi ces soucis,
Et rentre, que je parle à la sœur de Tircis 261.


LA NOURRICE.


Peut-être elle t’en veut dire quelque nouvelle.


MÉLITE.


Ta curiosité te met trop en cervelle 262.
Rentre sans t’informer de ce qu’elle prétend ;
Un meilleur entretien avec elle m’attend.


――――――


SCÈNE II.


CLORIS, MÉLITE.



CLORIS.


Je chéris tellement celles de votre sorte,
Et prends tant d’intérêt en ce qui leur importe,
Qu’aux pièces qu’on leur fait je ne puis consentir 263,
Ni même en rien savoir sans les en avertir.
Ainsi donc, au hasard d’être la mal venue,
Encor que je vous sois, peu s’en faut, inconnue,
Je viens vous faire voir que votre affection
N’a pas été fort juste en son élection.


MÉLITE.


Vous pourriez, sous couleur de rendre un bon office,
Mettre quelque autre en peine avec cet artifice ;
Mais pour m’en repentir j’ai fait un trop bon choix 264 :
Je renonce à choisir une seconde fois,
Et mon affection ne s’est point arrêtée
Que chez un cavalier qui l’a trop méritée.


CLORIS.


Vous me pardonnerez, j’en ai de bons témoins,
C’est l’homme qui de tous la mérite le moins 265.


MÉLITE.


Si je n’avois de lui qu’une foible assurance,
Vous me feriez entrer en quelque défiance ;
Mais je m’étonne fort que vous l’osiez blâmer 266,
Ayant quelque intérêt vous-même à l’estimer.


CLORIS.


Je l’estimai jadis, et je l’aime et l’estime
Plus que je ne faisois auparavant son crime.
Ce n’est qu’en ma faveur qu’il ose vous trahir,
Et vous pouvez juger si je le puis haïr 267,
Lorsque sa trahison m’est un clair témoignage 268
Du pouvoir absolu que j’ai sur son courage.


MÉLITE.


Le pousser à me faire une infidélité 269,
C’est assez mal user de cette autorité.


CLORIS.


Me le faut-il pousser où son devoir l’oblige ?
C’est son devoir qu’il suit alors qu’il vous néglige.


MÉLITE.


Quoi ! le devoir chez vous oblige aux trahisons 270 ?


CLORIS.


Quand il n’en auroit point de plus justes raisons,
La parole donnée, il faut que l’on la tienne.


MÉLITE.


Cela fait contre vous : il m’a donné la sienne.


CLORIS.


Oui ; mais ayant déjà reçu mon amitié,
Sur un vœu solennel d’être un jour sa moitié 271,
Peut-il s’en départir pour accepter la vôtre ?


MÉLITE.


De grâce, excusez-moi, je vous prends pour une autre,
Et c’étoit à Cloris que je croyois parler.


CLORIS.


Vous ne vous trompez pas.


MÉLITE.


Vous ne vous trompez pas._Donc, pour mieux me railler 272,
La sœur de mon amant contrefait ma rivale ?


CLORIS.


Donc, pour mieux m’éblouir, une âme déloyale 273
Contrefait la fidèle ? Ah ! Mélite, sachez
Que je ne sais que trop ce que vous me cachez.
Philandre m’a tout dit : vous pensez qu’il vous aime ;
Mais sortant d’avec vous, il me conte lui-même
Jusqu’aux moindres discours dont votre passion
Tâche de suborner 274 son inclination.


MÉLITE.


Moi, suborner Philandre ! ah ! que m’osez-vous dire !


CLORIS.


La pure vérité.


MÉLITE.


La pure vérité._Vraiment, en voulant rire,
Vous passez trop avant ; brisons là, s’il vous plaît.
Je ne vois point Philandre, et ne sais quel il est.


CLORIS.


Vous en croirez 275 du moins votre propre écriture 276.
Tenez, voyez, lisez.


MÉLITE.


Tenez, voyez, lisez._Ah, Dieux ! quelle imposture !
Jamais un de ces traits ne partit de ma main.


CLORIS.


Nous pourrions demeurer ici jusqu’à demain,
Que vous persisteriez dans la méconnoissance :
Je les vous laisse. Adieu.


MÉLITE.


Je les vous laisse. Adieu._Tout beau, mon innocence
Veut apprendre de vous le nom de l’imposteur 277,
Pour faire retomber l’affront sur son auteur.


CLORIS.


Vous pensez me duper, et perdez votre peine.
Que sert le désaveu quand la preuve est certaine ?
À quoi bon démentir ? à quoi bon dénier… ?


MÉLITE.


Ne vous obstinez point à me calomnier ;
Je veux que, si jamais j’ai dit mot à Philandre…


CLORIS.


Remettons ce discours : quelqu’un vient nous surprendre ;
C’est le brave Lisis, qui semble sur le front 278
Porter empreints les traits d’un déplaisir profond.


――――――


SCÈNE III.


LISIS, MÉLITE, CLORIS.



LISIS, à Cloris.


Préparez vos soupirs à la triste nouvelle 279
Du malheur où nous plonge un esprit infidèle ;
Quittez son entretien, et venez avec moi
Plaindre un frère au cercueil par son manque de foi.


MÉLITE.


Quoi ! son frère au cercueil !


LISIS.


Quoi ! son frère au cercueil !_Oui, Tircis, plein de rage
De voir que votre change indignement l’outrage.
Maudissant mille fois le détestable jour
Que votre bon accueil lui donna de l’amour,
Dedans ce désespoir a chez moi rendu l’âme 280,
Et mes yeux désolés…


MÉLITE.


Et mes yeux désolés…_Je n’en puis plus ; je pâme.


CLORIS.


Au secours ! au secours !


――――――


SCÈNE IV.


CLITON, la Nourrice, MÉLITE,
LISIS, CLORIS.



CLITON.


Au secours ! au secours !_D’où provient cette voix ?


LA NOURRICE.


Qu’avez-vous, mes enfants ?


CLORIS.


Qu’avez-vous, mes enfants ?_Mélite que tu vois…


LA NOURRICE.


Hélas ! elle se meurt ; son teint vermeil s’efface;
Sa chaleur se dissipe ; elle n’est plus que glace.


LISIS, à Cliton.


Va quérir un peu d’eau ; mais il faut te hâter.


CLITON, à Lisis 281.


Si proches du logis, il vaut mieux l’y porter 282.


CLORIS283.


Aidez mes foibles pas ; les forces me défaillent,
Et je vais succomber aux douleurs qui m’assaillent 284.


――――――


SCÈNE V.


ÉRASTE.


À la fin je triomphe, et les destins amis
M’ont donné le succès que je m’étois promis.
Me voilà trop heureux, puisque par mon adresse
Mélite est sans amant, et Tircis sans maîtresse ;
Et comme si c’étoit trop peu pour me venger,
Philandre et sa Cloris courent même danger.
Mais par quelle raison leurs âmes désunies 285
Pour les crimes d’autrui seront-elles punies ?
Que m’ont-ils fait tous deux pour troubler leurs accords ?
Fuyez de ma pensée, inutiles remords 286 ;
La joie y veut régner, cessez de m’en distraire.
Cloris m’offense trop d’être sœur d’un tel frère,
Et Philandre, si prompt à l’infidélité,
N’a que la peine due à sa crédulité 287.
Mais que me veut Cliton qui sort de chez Mélite ?


――――――


SCÈNE VI.


ÉRASTE, CLITON.



CLITON.


Monsieur, tout est perdu : votre fourbe maudite,
Dont je fus à regret le damnable instrument,
A couché de douleur Tircis au monument.


ÉRASTE.


Courage ! tout va bien, le traître m’a fait place ;
Le seul qui me rendoit son courage de glace,
D’un favorable coup la mort me l’a ravi.


CLITON.


Monsieur, ce n’est pas tout, Mélite l’a suivi.


ÉRASTE.


Mélite l’a suivi ! que dis-tu, misérable ?


CLITON.


Monsieur, il est trop vrai : le moment déplorable 288
Qu’elle a su son trépas a terminé ses jours.


ÉRASTE.


Ah ciel ! s’il est ainsi…


CLITON.


Ah ciel ! s’il est ainsi…_Laissez là ces discours,
Et vantez-vous plutôt que par votre imposture
Ces malheureux amants trouvent la sépulture 289,
Et que votre artifice a mis dans le tombeau
Ce que le monde avoit de parfait et de beau.


ÉRASTE.


Tu m’oses donc flatter, infâme, et tu supprimes 290
Par ce reproche obscur la moitié de mes crimes ?
Est-ce ainsi qu’il te faut n’en parler qu’à demi ?
Achève tout d’un coup : dis que maîtresse, ami 291,
Tout ce que je chéris, tout ce qui dans mon âme
Sut jamais allumer une pudique flamme,
Tout ce que l’amitié me rendit précieux,
Par ma fourbe a perdu la lumière des cieux 292 ;
Dis que j’ai violé les deux lois les plus saintes,
Qui nous rendent heureux par leurs douces contraintes ;
Dis que j’ai corrompu, dis que j’ai suborné,
Falsifié, trahi, séduit, assassiné 293 :
Tu n’en diras encor que la moindre partie.
Quoi ! Tircis est donc mort, et Mélite est sans vie !
Je ne l’avois pas su, Parques, jusqu’à ce jour,
Que vous relevassiez de l’empire d’Amour ;
J’ignorois qu’aussitôt qu’il assemble deux âmes,
Il vous pût commander d’unir aussi leurs trames 294.
Vous en relevez donc, et montrez aujourd’hui
Que vous êtes pour nous aveugles comme lui !
Vous en relevez donc, et vos ciseaux barbares
Tranchent comme il lui plaît les destins les plus rares !
Mais je m’en prends à vous, moi qui suis l’imposteur,
Moi qui suis de leurs maux le détestable auteur.
Hélas ! et falloit-il que ma supercherie
Tournât si lâchement tant d’amour en furie ?
Inutiles regrets, repentirs superflus,
Vous ne me rendez pas Mélite qui n’est plus ;
Vos mouvements tardifs ne la font pas revivre :
Elle a suivi Tircis, et moi je la veux suivre.
Il faut que de mon sang je lui fasse raison,
Et de ma jalousie, et de ma trahison,
Et que de ma main propre une âme si fidèle 295
Reçoive… Mais d’où vient que tout mon corps chancelle ?
Quel murmure confus ! et qu’entends-je hurler ?
Que de pointes de feu se perdent parmi l’air !
Les Dieux à mes forfaits ont dénoncé la guerre ;
Leur foudre décoché vient de fendre la terre.
Et pour leur obéir son sein me recevant
M’engloutit, et me plonge aux enfers tout vivant.
Je vous entends, grands Dieux : c’est là-bas que leurs âmes
Aux champs Élysiens éternisent leurs flammes ;
C’est là-bas qu’à leurs pieds il faut verser mon sang :
La terre à ce dessein m’ouvre son large flanc,
Et jusqu’aux bords du Styx me fait libre passage ;
Je l’aperçois déjà, je suis sur son rivage.
Fleuve, dont le saint nom est redoutable aux Dieux,
Et dont les neuf replis ceignent ces tristes lieux 296,
N’entre point en courroux contre mon insolence,
Si j’ose avec mes cris violer ton silence ;
Je ne te veux qu’un mot : Tircis est-il passé ?
Mélite est-elle ici ? Mais qu’attends-je ? insensé !
Ils sont tous deux si chers à ton funeste empire,
Que tu crains de les perdre, et n’oses m’en rien dire.
Vous donc, esprits légers, qui, manque de tombeaux,
Tournoyez vagabonds à l’entour de ces eaux,
À qui Charon cent ans refuse sa nacelle,
Ne m’en pourriez-vous point donner quelque nouvelle ?
Parlez, et je promets d’employer mon crédit 297
À vous faciliter ce passage interdit.


CLITON.


Monsieur, que faites-vous ? Votre raison troublée 298
Par l’effort des douleurs dont elle est accablée
Figure à votre vue…


ÉRASTE.


Figure à votre vue…_Ah ! te voilà, Charon ;
Dépêche promptement, et d’un coup d’aviron
Passe-moi, si tu peux, jusqu’à l’autre rivage.


CLITON.


Monsieur, rentrez en vous, regardez mon visage 299 :
Reconnoissez Cliton.


ÉRASTE.


Reconnoissez Cliton._Dépêche, vieux nocher,
Avant que ces esprits nous puissent approcher.
Ton bateau de leur poids fondroit 300 dans les abîmes ;
Il n’en aura que trop d’Éraste et de ses crimes 301.
Quoi ! tu veux te sauver à l’autre bord sans moi ?
Si faut-il qu’à ton cou je passe malgré toi.

(Il se jette sur les épaules de Cliton, qui l’emporte
derrière le théâtre 302)


――――――


SCÈNE VII.


PHILANDRE.


Présomptueux rival, dont l’absence importune 303
Retarde le succès de ma bonne fortune 304,
As-tu sitôt perdu cette ombre de valeur
Que te prêtoit tantôt l’effort de ta douleur ?
Que devient à présent cette bouillante envie
De punir ta volage aux dépens de ma vie ?
Il ne tient plus qu’à toi 305 que tu ne sois content :
Ton ennemi l’appelle, et ton rival t’attend.
Je te cherche en tous lieux, et cependant ta fuite
Se rit impunément de ma vaine poursuite.
Crois-tu, laissant mon bien dans les mains de ta sœur,
En demeurer toujours l’injuste possesseur,
Ou que ma patience, à la fin échappée
(Puisque tu ne veux pas le débattre à l’épée),
Oubliant le respect du sexe et tout devoir,
Ne laisse point sur elle agir mon désespoir ?


――――――


SCÈNE VIII.


ÉRASTE, PHILANDRE.



ÉRASTE.


Détacher Ixion pour me mettre en sa place !
Mégères, c’est à vous une indiscrète audace.
Ai-je avec même front que cet ambitieux 306
Attenté sur le lit du monarque des cieux ?
Vous travaillez en vain, barbares Euménides 307 ;
Non, ce n’est pas ainsi qu’on punit les perfides.
Quoi ! me presser encor ? Sus, de pieds et de mains
Essayons d’écarter ces monstres inhumains.
À mon secours, esprits ! vengez-vous de vos peines ;
Écrasons leurs serpents ; chargeons-les de vos chaînes.
Pour ces filles d’enfer nous sommes trop puissants.


PHILANDRE.


Il semble à ce discours qu’il ait perdu le sens 308.
Éraste, cher ami, quelle mélancolie
Te met dans le cerveau cet excès de folie ?


ÉRASTE.


Équitable Minos, grand juge des enfers,
Voyez qu’injustement on m’apprête des fers.
Faire un tour d’amoureux, supposer une lettre,
Ce n’est pas un forfait qu’on ne puisse remettre.
Il est vrai que Tircis en est mort de douleur,
Que Mélite après lui redouble ce malheur,
Que Cloris sans amant ne sait à qui s’en prendre ;
Mais la faute n’en est qu’au crédule Philandre ;
Lui seul en est la cause, et son esprit léger,
Qui trop facilement résolut de changer ;
Car ces lettres, qu’il croit l’effet de ses mérites 309,
La main que vous voyez les a toutes écrites.


PHILANDRE.


Je te laisse impuni, traître : de tels remords 310
Te donnent des tourments pires que mille morts ;
Je t’obligerois trop de t’arracher la vie,
Et ma juste vengeance est bien mieux assouvie
Par les folles horreurs de cette illusion.
Ah ! grands Dieux, que je suis plein de confusion !


――――――


SCÈNE IX.


ÉRASTE.


Tu t’enfuis donc, barbare, et me laissant en proie
À ces cruelles sœurs, tu les combles de joie ?
Non, non, retirez-vous, Tisiphone, Alecton,
Et tout ce que je vois d’officiers de Pluton :
Vous me connoissez mal ; dans le corps d’un perfide
Je porte le courage et les forces d’Alcide.
Je vais tout renverser dans ces royaumes noirs,
Et saccager moi seul ces ténébreux manoirs.
Une seconde fois le triple chien Cerbère
Vomira l’aconit en voyant la lumière ;
J’irai du fond d’enfer dégager les Titans,
Et si Pluton s’oppose à ce que je prétends,
Passant dessus le ventre à sa troupe mutine,
J’irai d’entre ses bras enlever Proserpine 311.


――――――


SCÈNE X.


LISIS, CLORIS.



LISIS.


N’en doute plus, Cloris, ton frère n’est point mort 312 ;
Mais ayant su de lui son déplorable sort,
Je voulois éprouver par cette triste feinte
Si celle qu’il adore, aucunement atteinte 313,
Deviendroit plus sensible aux traits de la pitié
Qu’aux sincères ardeurs d’une sainte amitié.
Maintenant que je vois qu’il faut qu’on nous abuse.
Afin que nous puissions découvrir cette ruse,
Et que Tircis en soit de tout point éclairci.
Sois sûre que dans peu je te le rends ici.
Ma parole sera d’un prompt effet suivie :
Tu reverras bientôt ce frère plein de vie ;
C’est assez que je passe une fois pour trompeur.


CLORIS.


Si bien qu’au lieu du mal nous n’aurons que la peur ?
Le cœur me le disoit : je sentois que mes larmes
Refusoient de couler pour de fausses alarmes,
Dont les plus dangereux et plus rudes assauts 314
Avoient beaucoup de peine à m’émouvoir à faux ;
Et je n’étudiai cette douleur menteuse
Qu’à cause qu’en effet j’étois un peu honteuse 315
Qu’une autre en témoignât plus de ressentiment 316.


LISIS.


Après tout, entre nous, confesse franchement 317
Qu’une fille en ces lieux, qui perd un frère unique,
Jusques au désespoir fort rarement se pique :
Ce beau nom d’héritière a de telles douceurs,
Qu’il devient souverain à consoler des sœurs.


CLORIS.


Adieu, railleur, adieu : son intérêt me presse
D’aller rendre d’un mot la vie à sa maîtresse 318 ;
Autrement je saurois t’apprendre à discourir.


LISIS.


Et moi, de ces frayeurs de nouveau te guérir.





ACTE V.


――――――


SCÈNE PREMIÈRE.


CLITON, la Nourrice.



CLITON.


Je ne t’ai rien celé : tu sais toute l’affaire.


LA NOURRICE.


Tu m’en as bien conté ; mais se pourroit-il faire
Qu’Éraste eût des remords si vifs et si pressants
Que de violenter sa raison et ses sens ?


CLITON.


Eût-il pu, sans en perdre entièrement l’usage,
Se figurer Charon des traits de mon visage,
Et de plus, me prenant pour ce vieux nautonier,
Me payer à bons coups des droits de son denier ?


LA NOURRICE.


Plaisante illusion !


CLITON.


Plaisante illusion !_Mais funeste à ma tête,
Sur qui se déchargeoit une telle tempête,
Que je tiens maintenant à miracle évident
Qu’il me soit demeuré dans la bouche une dent.


LA NOURRICE.


C’étoit mal reconnoître un si rare service.


ÉRASTE, derrière le théâtre 319.


Arrêtez, arrêtez, poltrons !


CLITON.


Arrêtez, arrêtez, poltrons !_Adieu, Nourrice :
Voici ce fou qui vient, je l’entends à la voix ;
Crois que ce n’est pas moi qu’il attrape deux fois.


LA NOURRICE.


Pour moi, quand je devrois passer pour Proserpine 320,
Je veux voir à quel point sa fureur le domine.


CLITON.


Contente à tes périls ton curieux désir 321.


LA NOURRICE.


Quoi qu’il puisse arriver, j’en aurai le plaisir.


――――――


SCÈNE II.


ÉRASTE, la Nourrice.



ÉRASTE322.


En vain je les rappelle, en vain pour se défendre
La honte et le devoir leur parlent de m’attendre 323 ;
Ces lâches escadrons de fantômes affreux
Cherchent leur assurance aux cachots les plus creux,
Et se fiant à peine à la nuit qui les couvre,
Souhaitent sous l’enfer qu’un autre enfer s’entr’ouvre.
Ma voix met tout en fuite, et dans ce vaste effroi 324,
La peur saisit si bien les ombres et leur roi,
Que se précipitant à de promptes retraites,
Tous leurs soucis ne vont qu’à les rendre secrètes.
Le bouillant Phlégéthon, parmi ses flots pierreux,
Pour les favoriser ne roule plus de feux ;
Tisiphone tremblante, Alecton et Mégère,
Ont de leurs flambeaux noirs étouffé la lumière 325 ;
Les Parques même en hâte emportent leurs fuseaux.
Et dans ce grand désordre oubliant leurs ciseaux,
Charon, les bras croisés, dans sa barque s’étonne
De ce qu’après Éraste il n’a passé personne 326.
Trop heureux accident, s’il avoit prévenu
Le déplorable coup du malheur avenu 327 !
Trop heureux accident, si la terre entr’ouverte
Avant ce jour fatal eût consenti ma perte,
Et si ce que le ciel me donne ici d’accès
Eût de ma trahison devancé le succès !
Dieux, que vous savez mal gouverner votre foudre !
N’étoit-ce pas assez pour me réduire en poudre
Que le simple dessein d’un si lâche forfait ?
Injustes, deviez-vous en attendre l’effet ?
Ah Mélite ! ah Tircis ! leur cruelle justice
Aux dépens de vos jours me choisit un supplice 328.
Ils doutoient que l’enfer eût de quoi me punir
Sans le triste secours de ce dur souvenir 329.
Tout ce qu’ont les enfers de feux, de fouets, de chaînes 330,
Ne sont auprès de lui que de légères peines ;
On reçoit d’Alecton un plus doux traitement.
Souvenir rigoureux, trêve, trêve un moment 331 !
Qu’au moins avant ma mort dans ces demeures sombres
Je puisse rencontrer ces bienheureuses ombres !
Use après, si tu veux, de toute ta rigueur,
Et si pour m’achever tu manques de vigueur,
(Il met la main sur son épée 332.)
Voici qui t’aidera : mais derechef, de grâce,
Cesse de me gêner durant ce peu d’espace.
Je vois déjà Mélite. Ah ! belle ombre, voici
L’ennemi de votre heur qui vous cherchoit ici :
C’est Éraste, c’est lui, qui n’a plus d’autre envie
Que d’épandre à vos pieds son sang avec sa vie :
Ainsi le veut le sort, et tout exprès les Dieux
L’ont abîmé vivant en ces funestes lieux.


LA NOURRICE.


Pourquoi permettez-vous que cette frénésie
Règne si puissamment sur votre fantaisie ?
L’enfer voit-il jamais une telle clarté ?


ÉRASTE.


Aussi ne la tient-il que de votre beauté ;
Ce n’est que de vos yeux que part cette lumière.


LA NOURRICE.


Ce n’est que de mes yeux ! Dessillez la paupière,
Et d’un sens plus rassis jugez de leur éclat.


ÉRASTE.


Ils ont, de vérité, je ne sais quoi de plat ;
Et plus je vous contemple, et plus sur ce visage
Je m’étonne de voir un autre air, un autre âge :
Je ne reconnois plus aucun de vos attraits.
Jadis votre nourrice avoit ainsi les traits,
Le front ainsi ridé, la couleur ainsi blême,
Le poil ainsi grison. O Dieux ! c’est elle-même.
Nourrice, qui t’amène en ces lieux pleins d’effroi 333 ?
Y viens-tu rechercher Mélite comme moi ?


LA NOURRICE.


Cliton la vit pâmer, et se brouilla de sorte 334
Que la voyant si pâle il la crut être morte ;
Cet étourdi trompé vous trompa comme lui.
Au reste, elle est vivante, et peut-être aujourd’hui
Tircis, de qui la mort n’étoit qu’imaginaire,
De sa fidélité recevra le salaire.


ÉRASTE.


Désormais donc en vain je les cherche ici-bas ;
En vain pour les trouver je rends tant de combats.


LA NOURRICE.


Votre douleur vous trouble, et forme des nuages
Qui séduisent vos sens par de fausses images :
Cet enfer, ces combats ne sont qu’illusions 335.


ÉRASTE.


Je ne m’abuse point de fausses visions :
Mes propres yeux ont vu tous ces monstres en fuite,
Et Pluton de frayeur en quitter la conduite.


LA NOURRICE.


Peut-être que chacun s’enfuyoit devant vous,
Craignant votre fureur et le poids de vos coups ;
Mais voyez si l’enfer ressemble à cette place :
Ces murs, ces bâtiments, ont-ils la même face ?
Le logis de Mélite et celui de Cliton
Ont-ils quelque rapport à celui de Pluton ?
Quoi ? n’y remarquez-vous aucune différence ?


ÉRASTE.


De vrai, ce que tu dis a beaucoup d’apparence 336.
Nourrice, prends pitié d’un esprit égaré
Qu’ont mes vives douleurs d’avec moi séparé :
Ma guérison dépend de parler à Mélite.


LA NOURRICE.


Différez pour le mieux un peu cette visite,
Tant que, maître absolu de votre jugement,
Vous soyez en état de faire un compliment.
Votre teint et vos yeux n’ont rien d’un homme sage ;
Donnez-vous le loisir de changer de visage 337 :
Un moment de repos que vous prendrez chez vous…


ÉRASTE.


Ne peut, si tu n’y viens, rendre mon sort plus doux,
Et ma foible raison, de guide dépourvue.
Va de nouveau se perdre en te perdant de vue.


LA NOURRICE.


Si je vous suis utile, allons, je ne veux pas
Pour un si bon sujet vous épargner mes pas.


――――――


SCÈNE III.


CLORIS, PHILANDRE.



CLORIS.


Ne m’importune plus, Philandre, je t’en prie ;
Me rapaiser jamais passe ton industrie.
Ton meilleur, je t’assure, est de n’y plus penser ;
Tes protestations ne font que m’offenser :
Savante à mes dépens de leur peu de durée,
Je ne veux point en gage une foi parjurée,
Un cœur que d’autres yeux peuvent sitôt brûler 338,
Qu’un billet supposé peut sitôt ébranler.


PHILANDRE.


Ah ! ne remettez plus dedans votre mémoire
L’indigne souvenir d’une action si noire.
Et pour rendre à jamais nos premiers vœux contents,
Étouffez l’ennemi du pardon que j’attends.
Mon crime est sans égal ; mais enfin, ma chère âme 339


CLORIS.


Laisse là désormais ces petits mots de flamme,
Et par ces faux témoins d’un feu mal allumé
Ne me reproche plus que je t’ai trop aimé.


PHILANDRE.


De grâce, redonnez à l’amitié passée
Le rang que je tenois dedans votre pensée.
Derechef, ma Cloris, par ces doux entretiens,
Par ces feux qui voloient de vos yeux dans les miens 340,
Par ce que votre foi me permettoit d’attendre…


CLORIS.


C’est d’où dorénavant tu ne dois plus prétendre.
Ta sottise m’instruit, et par là je vois bien
Qu’un visage commun, et fait comme le mien,
N’a point assez d’appas, ni de chaîne assez forte,
Pour tenir en devoir un homme de ta sorte.
Mélite a des attraits qui savent tout dompter ;
Mais elle ne pourroit qu’à peine t’arrêter :
Il te faut un sujet qui la passe ou l’égale.
C’est en vain que vers moi ton amour se ravale ;
Fais-lui, si tu m’en crois, agréer tes ardeurs :
Je ne veux point devoir mon bien à ses froideurs.


PHILANDRE.


Ne me déguisez rien, un autre a pris ma place ;
Une autre affection vous rend pour moi de glace.


CLORIS.


Aucun jusqu’à ce point n’est encore arrivé 341 ;
Mais je te changerai pour le premier trouvé.


PHILANDRE.


C’en est trop, tes dédains épuisent ma souffrance.
Adieu ; je ne veux plus avoir d’autre espérance,
Sinon qu’un jour le ciel te fera ressentir
De tant de cruautés le juste repentir.


CLORIS.


Adieu : Mélite et moi nous aurons de quoi rire 342
De tous les beaux discours que tu me viens de dire.
Que lui veux-tu mander ?


PHILANDRE.


Que lui veux-tu mander ?_Va, dis-lui de ma part
Qu’elle, ton frère et toi, reconnoîtrez trop tard
Ce que c’est que d’aigrir un homme de ma sorte 343.


CLORIS.


Ne crois pas la chaleur du courroux qui t’emporte :
Tu nous ferois trembler plus d’un quart d’heure ou deux.


PHILANDRE.


Tu railles, mais bientôt nous verrons d’autres jeux :
Je sais trop comme on venge une flamme outragée.


CLORIS.


Le sais-tu mieux que moi, qui suis déjà vengée ?
Par où t’y prendras-tu ? de quel air ?


PHILANDRE.


Par où t’y prendras-tu ? de quel air ?_Il suffit :
Je sais comme on se venge.


CLORIS.


Je sais comme on se venge._Et moi comme on s’en rit.


――――――


SCÈNE IV.


TIRCIS, MÉLITE.

TIRCIS.


Maintenant que le sort, attendri par nos plaintes,
Comble notre espérance et dissipe nos craintes,
Que nos contentements ne sont plus traversés
Que par le souvenir de nos malheurs passés 344,
Ouvrons toute notre âme à ces douces tendresses
Qu’inspirent aux amants les pleines allégresses,
Et d’un commun accord chérissons nos ennuis,
Dont nous voyons sortir de si précieux fruits.
Adorables regards, fidèles interprètes
Par qui nous expliquions nos passions secrètes,
Doux truchements du cœur, qui déjà tant de fois
M’avez si bien appris ce que n’osoit la voix,
Nous n’avons plus besoin de votre confidence :
L’amour en liberté peut dire ce qu’il pense,
Et dédaigne un secours qu’en sa naissante ardeur
Lui faisoient mendier la crainte et la pudeur.
Beaux yeux, à mon transport pardonnez ce blasphème,
La bouche est impuissante où l’amour est extrême :
Quand l’espoir est permis, elle a droit de parler ;
Mais vous allez plus loin qu’elle ne peut aller.
Ne vous lassez donc point d’en usurper l’usage,
Et quoi qu’elle m’ait dit, dites-moi davantage.
Mais tu ne me dis mot, ma vie ; et quels soucis
T’obligent à te taire auprès de ton Tircis ?


MÉLITE.


Tu parles à mes yeux, et mes yeux te répondent.


TIRCIS.


Ah ! mon heur, il est vrai, si tes désirs secondent
Cet amour qui paroît et brille dans tes yeux,
Je n’ai rien désormais à demander aux Dieux.


MÉLITE.


Tu t’en peux assurer : mes yeux si pleins de flamme
Suivent l’instruction des mouvements de l’âme.
On en a vu l’effet, lorsque ta fausse mort
A fait sur tous mes sens un véritable effort 345 ;
On en a vu l’effet, quand te sachant en vie,
De revivre avec toi j’ai pris aussi l’envie 346 ;
On en a vu l’effet, lorsqu’à force de pleurs
Mon amour et mes soins, aidés de mes douleurs,
Ont fléchi la rigueur d’une mère obstinée,
Et gagné cet aveu qui fait notre hyménée 347,
Si bien qu’à ton retour ta chaste affection
Ne trouve plus d’obstacle à sa prétention 348.
Cependant l’aspect seul des lettres d’un faussaire
Te sut persuader tellement le contraire,
Que sans vouloir m’entendre, et sans me dire adieu,
Jaloux et furieux tu partis de ce lieu 349.


TIRCIS.


J’en rougis, mais apprends qu’il n’étoit pas possible
D’aimer comme j’aimois, et d’être moins sensible ;
Qu’un juste déplaisir ne sauroit écouter
La raison qui s’efforce à le violenter 350 ;
Et qu’après des transports de telle promptitude,
Ma flamme ne te laisse aucune incertitude.


MÉLITE.


Tout cela seroit peu, n’étoit que ma bonté 351
T’en accorde un oubli sans l’avoir mérité,
Et que, tout criminel, tu m’es encore aimable.


TIRCIS.


Je me tiens donc heureux d’avoir été coupable,
Puisque l’on me rappelle au lieu de me bannir,
Et qu’on me récompense au lieu de me punir.
J’en aimerai l’auteur de cette perfidie 352,
Et si jamais je sais quelle main si hardie…


――――――


SCÈNE V.


CLORIS, TIRCIS, MÉLITE.



CLORIS.


Il vous fait fort bon voir, mon frère, à cajoler,
Cependant qu’une sœur ne se peut consoler,
Et que le triste ennui d’une attente incertaine
Touchant votre retour la tient encore en peine.


TIRCIS.


L’amour a fait au sang un peu de trahison 353 ;
Mais Philandre pour moi t’en aura fait raison.
Dis-nous, auprès de lui retrouves-tu ton conte,
Et te peut-il revoir sans montrer quelque honte ?


CLORIS.


L’infidèle m’a fait tant de nouveaux serments,
Tant d’offres, tant de vœux, et tant de compliments,
Mêlés de repentir…


MÉLITE.


Mêlés de repentir…_Qu’à la fin exorable,
Vous l’avez regardé d’un œil plus favorable.


CLORIS.


Vous devinez fort mal.


TIRCIS.


Vous devinez fort mal._Quoi, tu l’as dédaigné ?


CLORIS.


Du moins, tous ses discours n’ont encor rien gagné 354.


MÉLITE.


Si bien qu’à n’aimer plus votre dépit s’obstine ?


CLORIS.


Non pas cela du tout, mais je suis assez fine :
Pour la première fois, il me dupe qui veut ;
Mais pour une seconde, il m’attrape qui peut.


MÉLITE.


C’est-à-dire, en un mot…


CLORIS.


C’est-à-dire, en un mot…_Que son humeur volage 355
Ne me tient pas deux fois en un même passage ;
En vain dessous mes lois il revient se ranger.
Il m’est avantageux de l’avoir vu changer,
Avant que de l’hymen le joug impitoyable 356,
M’attachant avec lui, me rendît misérable 357.
Qu’il cherche femme ailleurs, tandis que de ma part
J’attendrai du destin quelque meilleur hasard.


MÉLITE.


Mais le peu qu’il voulut me rendre de service
Ne lui doit pas porter un si grand préjudice.


CLORIS.


Après un tel faux bond, un change si soudain,
À volage, volage, et dédain pour dédain.


MÉLITE.


Ma sœur, ce fut pour moi qu’il osa s’en dédire.


CLORIS.


Et pour l’amour de vous je n’en ferai que rire.


MÉLITE.


Et pour l’amour de moi vous lui pardonnerez.


CLORIS.


Et pour l’amour de moi vous m’en dispenserez.


MÉLITE.


Que vous êtes mauvaise !


CLORIS.


Que vous êtes mauvaise !_Un peu plus qu’il ne semble.


MÉLITE.


Je vous veux toutefois remettre bien ensemble 358.


CLORIS.


Ne l’entreprenez pas; peut-être qu’après tout 359
Votre dextérité n’en viendroit pas à bout.


――――――


SCÈNE VI.


TIRCIS, la Nourrice360, ÉRASTE, MÉLITE,
CLORIS.



TIRCIS.


De grâce, mon souci, laissons cette causeuse 361 :
Qu’elle soit à son choix facile ou rigoureuse,
L’excès de mon ardeur ne sauroit consentir
Que ces frivoles soins te viennent divertir :
Tous nos pensers sont dus, en l’état où nous sommes 362,
À ce nœud qui me rend le plus heureux des hommes,
Et ma fidélité, qu’il va récompenser…


LA NOURRICE363.


Vous donnera bientôt autre chose à penser.
Votre rival vous cherche, et la main à l’épée
Vient demander raison de sa place usurpée.


ÉRASTE, à Mélite
.


Non, non, vous ne voyez en moi qu’un criminel,
À qui l’âpre rigueur d’un remords éternel
Rend le jour odieux, et fait naître l’envie
De sortir de sa gêne en sortant de la vie 364.
Il vient mettre à vos pieds sa tête à l’abandon ;
La mort lui sera douce à l’égal du pardon.
Vengez donc vos malheurs ; jugez ce que mérite
La main qui sépara Tircis d’avec Mélite,
Et de qui l’imposture avec de faux écrits
A dérobé Philandre aux vœux de sa Cloris.


MÉLITE.


Eclaircis du seul point qui nous tenoit en doute,
Que serois-tu d’avis de lui répondre ?


TIRCIS.


Que serois-tu d’avis de lui répondre ?_Écoute
Quatre mots à quartier 365.


ÉRASTE.


Quatre mots à quartier.__Que vous avez de tort
De prolonger ma peine en différant ma mort !
De grâce, hâtez-vous d’abréger mon supplice 366,
Ou ma main préviendra votre lente justice.


MÉLITE.


Voyez comme le ciel a de secrets ressorts
Pour se faire obéir malgré nos vains efforts :
Votre fourbe, inventée à dessein de nous nuire,
Avance nos amours au lieu de les détruire ;
De son fâcheux succès, dont nous devions périr,
Le sort tire un remède afin de nous guérir.
Donc pour nous revancher de la faveur reçue,
Nous en aimons l’auteur à cause de l’issue,
Obligés désormais de ce que tour à tour
Nous nous sommes rendu 367 tant de preuves d’amour,
Et de ce que l’excès de ma douleur sincère 368
A mis tant de pitié dans le cœur de ma mère,
Que cette occasion prise comme aux cheveux,
Tircis n’a rien trouvé de contraire à ses vœux ;
Outre qu’en fait d’amour la fraude est légitime ;
Mais puisque vous voulez la prendre pour un crime,
Regardez, acceptant le pardon, ou l’oubli,
Par où votre repos sera mieux établi.


ÉRASTE.


Tout confus et honteux de tant de courtoisie,
Je veux dorénavant chérir ma jalousie,
Et puisque c’est de là que vos félicités…


LA NOURRICE, à Éraste.


Quittez ces compliments qu’ils n’ont pas mérités :
Ils ont tous deux leur compte, et sur cette assurance
Ils tiennent le passé dans quelque indifférence 369,
N’osant se hasarder à des ressentiments
Qui donneroient du trouble à leurs contentements.
Mais Cloris, qui s’en tait, vous la gardera bonne,
Et seule intéressée, à ce que je soupçonne,
Saura bien se venger sur vous à l’avenir
D’un amant échappé qu’elle pensoit tenir.


ÉRASTE, à Cloris.


Si vous pouviez souffrir qu’en votre bonne grâce
Celui qui l’en tira pût occuper sa place 370,
Éraste, qu’un pardon purge de son forfait 371,
Est prêt de réparer le tort qu’il vous a fait.
Mélite répondra de ma persévérance :
Je n’ai pu la quitter qu’en perdant l’espérance ;
Encore avez-vous vu mon amour irrité
Mettre tout en usage en cette extrémité ;
Et c’est avec raison que ma flamme contrainte
De réduire ses feux dans une amitié sainte,
Mes amoureux desirs, vers elle superflus 372,
Tournent vers la beauté qu’elle chérit le plus.


TIRCIS.


Que t’en semble, ma sœur ?


CLORIS.


Que t’en semble, ma sœur ?_Mais toi-même, mon frère ?


TIRCIS.


Tu sais bien que jamais je ne te fus contraire.


CLORIS.


Tu sais qu’en tel sujet ce fut toujours de toi
Que mon affection voulut prendre la loi.


TIRCIS.


Encor que dans tes yeux tes sentiments se lisent 373,
Tu veux qu’auparavant les miens les autorisent.
Parlons donc pour la forme. Oui, ma sœur, j’y consens 374,
Bien sûr que mon avis s’accommode à ton sens.
Fassent les puissants Dieux que par cette alliance 375
Il ne reste entre nous aucune défiance,
Et que m’aimant en frère, et ma maîtresse en sœur,
Nos ans puissent couler avec plus de douceur !


ÉRASTE.


Heureux dans mon malheur, c’est dont je les supplie ;
Mais ma félicité ne peut être accomplie
Jusqu’à ce qu’après vous son aveu m’ait permis 376
D’aspirer à ce bien que vous m’avez promis.


CLORIS.


Aimez-moi seulement, et pour la récompense
On me donnera bien le loisir que j’y pense.


TIRCIS.


Oui, sous condition qu’avant la fin du jour 377
Vous vous rendrez sensible à ce naissant amour 378.


CLORIS.


Vous prodiguez en vain vos foibles artifices ;
Je n’ai reçu de lui ni devoirs ni services.


MÉLITE.


C’est bien quelque raison ; mais ceux qu’il m’a rendus,
Il ne les faut pas mettre au rang des pas perdus.
Ma sœur, acquitte-moi d’une reconnoissance
Dont un autre destin m’a mise en impuissance 379 :
Accorde cette grâce à nos justes desirs.


TIRCIS.


Ne nous refuse pas ce comble à nos plaisirs 380.


ÉRASTE.381


Donnez à leurs souhaits, donnez à leurs prières,
Donnez à leurs raisons ces faveurs singulières ;
Et pour faire aujourd’hui le bonheur d’un amant 382,
Laissez-les disposer de votre sentiment.


CLORIS.383


En vain en ta faveur chacun me sollicite,
J’en croirai seulement la mère de Mélite :
Son avis m’ôtera la peur du repentir 384,
Et ton mérite alors m’y fera consentir.


TIRCIS.


Entrons donc ; et tandis que nous irons le prendre,
Nourrice, va t’offrir pour maîtresse à Philandre 385.


LA NOURRICE.
(Tous rentrent, et elle demeure seule 386.)


Là, là, n’en riez point : autrefois en mon temps
D’aussi beaux fils que vous étoient assez contents,
Et croyoient de leur peine avoir trop de salaire
Quand je quittois un peu mon dédain ordinaire.
À leur compte, mes yeux étoient de vrais soleils
Qui répandoient partout des rayons nompareils ;
Je n’avois rien en moi qui ne fût un miracle ;
Un seul mot de ma part leur étoit un oracle…
Mais je parle à moi seule. Amoureux, qu’est-ce-ci ?
Vous êtes bien hâtés de me laisser ainsi 387 !
Allez, quelle que soit l’ardeur qui vous emporte 388,
On ne se moque point des femmes de ma sorte,
Et je ferai bien voir à vos feux empressés
Que vous n’en êtes pas encore où vous pensez.





1. Roger du Plessis, seigneur de Liancourt, près de Clermont en Beauvoisis, naquit en 1599. En 1620 il épousa Jeanne de Schomberg, alors âgée de vingt ans. Mariée contre son gré deux ans auparavant à François de Cossé, comte de Brissac, elle s’était opposée à la consommation de cette union, qui avait été rompue sous prétexte d’impuissance. Belle, aimable, spirituelle, elle eût brillé à la cour, si sa piété ne l’en eût éloignée. Elle n’épargna rien pour faire partager à son mari son goût pour la retraite et ses convictions religieuses. Il était brave et plein de cœur, « mais il avoit pris les mœurs ordinaires des courtisans de son âge : l’amour du jeu, du luxe, des amusements et la galanterie. » Cependant il aimait fort la campagne, et la compagnie des personnes de mérite. Sa femme fit faire à Liancourt d’admirables jardins et « attacha à sa maison des gens d’esprit, savants, d’humeur et de conversation agréable. » La dédicace de Mélite nous apprend que M. de Liancourt avait assisté aux premières représentations de cette pièce ; celle de la Galerie du Palais, adressée à Mme de Liancourt, nous montre qu’elle n’avait point vu cette dernière comédie (représentée pour la première fois en 1634). Déjà les deux époux vivaient fort retirés, et lorsqu’en 1643 M. de Liancourt fut fait duc de la Roche-Guyon, sa conversion était complète. La duchesse mourut le 14 juin 1674 ; son mari ne lui survécut que sept semaines. Nous avons tiré presque tous ces détails de l’Avertissement que l’abbé Boileau a placé en tête d’un petit traité religieux de Mme de Liancourt, qu’il a publié sous le titre de Réglement donné par une dame de haute qualité à M*** (la princesse de Marsillac), sa petite-fille… Paris, Augustin Leguerrier, 1698, in 12. Nous avons consulté aussi l’historiette que Tallemant des Réaux a consacrée à Mme de Liancourt.

2. Var. (édit. de 1657) : que vous en fassiez état.

3. Les mots « après l’avoir sue, » et cinq lignes plus bas « de bouche, » manquent dans l’édition de 1648.

4. L’Épître à Monsieur de Liancour se trouve dans toutes les éditions antérieures à 1660 ; les deux pièces suivantes, l’avis Au lecteur et l’Argument, ne sont que dans celle de 1633.

5. Dans les éditions données par Corneille à partir de 1660, on trouve, à la suite de chacun des Discours, l’Examen des poèmes contenus en cette première (seconde, troisième) partie. L’examen de chaque ouvrage forme ainsi comme un chapitre particulier dans l’Examen des pièces de chaque volume, mais non une dissertation distincte. Thomas Corneille, qui le premier a séparé les examens en 1692, a été obligé parfois de modifier le texte pour faire disparaître les traces de cette continuité de rédaction (voyez la première note de l’examen de la Suite du Menteur). Il est inutile d’ajouter que tous les éditeurs ont agi de même. Sans les imiter en cela, nous séparons comme eux les divers examens, mais nous les mettons en tête de chaque pièce, au lieu de ne les faire venir qu’à la suite. Il y a deux motifs pour procéder ainsi : d’abord l’exemple de Corneille qui, nous venons de le dire, plaça les examens avant les pièces, ensuite la nécessité de rapprocher ces examens des Avertissements, Préfaces, avis Au lecteur, avec lesquels ils ont les plus grands rapports et dont ils ne sont même souvent que des éditions remaniées. — Corneille n’a pas composé d’examens pour ses dernières pièces, à partir d’Othon inclusivement. Pour combler cette lacune, on a, dans les anciennes éditions de la Quatrième partie, réuni en tête du volume les préfaces des tragédies qui y sont contenues.

6. Var. (édit. de 1660-1664) : de feu M. Hardy. — Il était mort vers 1630. Les frères Parfait citent un plaidoyer de 1632 en faveur de sa veuve : voyez Histoire du théâtre français, tome IV, p. 4.

7. Var. (édit. de 1660 et de 1663) : et n’étoient pas.

8. Var. (édil. de 1660-1664) : jusques alors.

9. Var. (édit. de 1660) : et que.

10. « J’ai peine encore à comprendre comment on a pu souffrir le cinquième de Mélite et de la Veuve. » a déjà dit Corneille dans le Discours de l’utilité et des parties du poëme dramatique, p. 28. Quelques pages plus haut, dans ce discours, il a fait au contraire l’éloge d’une scène du IVe acte.

11. Var. (édit. de 1660-1668) : et me contentai.

12. Voyez plus haut, p. 109, le Discours des trois unités, qui, dans les éditions données par Corneille, est placé en tête du second volume de son Théâtre.

13. Voyez ci-dessus, p. 114 et note 4.

14. Dans l’édition de 1633 : Les acteurs.

15. Les éditions antérieures à 1660 placent Cliton après la Nourrice.

16. Var. * Parmi tant de rigueurs n’est-ce pas chose étrange
Que rien n’est assez fort pour me résoudre au change ?
Jamais un pauvre amant ne fut si mal traité,
Et jamais un amant n’eut tant de fermeté :
Mélite a sur mes sens une entière puissance ;
Si sa rigueur m’aigrit, ce n’est qu’en son absence,
Et j’ai beau ménager dans un éloignement. (1633-57)

17. Var. Un seul de ses regards l’étouffe et le dissipe,
Un seul de ses regards me séduit et me pipe. (1633-57)

18. Var. Et d’un tel ascendant maîtrise ma raison
Que je chéris mon mal et fuis ma guérison. (1633)

19. Var. N’est rien qu’un vent qui souffle et rallume ma flamme. (1633)
Var. N’est rien qu’un imposteur qui rallume ma flamme. (1644-57)
Var. N’est qu’un doux imposteur qui rallume ma flamme. (1660)

20. Var. Et reculant toujours ce qu’il semble m’offrir. (1633-60)

21. Var. Ne t’imagine pas que dessus ta parole. (1633-57)

22. Var. Ses dédains sont cachés, encor que continus,
Et d’autant plus cruels que moins ils sont connus. (1633)
Var. Ses dédains sont cachés, bien que continuels,
Et moins ils sont connus, et plus ils sont cruels. (1644-57)

23. Var. Puisqu’étant inconnus, on n’y peut compatir. (1660)

24. Var. [Ne me fait pas trouver mon martyre plus doux :]
Sa hantise me perd, mon mal en devient pire,
Vu que loin d’obtenir le bonheur où j’aspire,
Parler de mariage à ce cœur de rocher. (1633-57)

25. Var. Arrêtent en un lieu si peu considérable
D’une chaste moitié le choix invariable. (1633-60)

26. Var. Tu serois incivil, la voyant chaque jour,
De ne lui tenir pas quelques propos d’amour. (1663 et 64)

27. Var. Et ne lui tenir pas quelques propos d’amour. (1633-57 et 68)
Var. Et ne lui tenir pas quelque propos d’amour. (1660)

28. Var. Où de meilleurs partis… (1633-54)
Var. Où des meilleurs partis… (1657)

29. Var. D’avoir à prendre avis d’une sale b avarice ;
Je ne sache point d’or capable de mes vœux
Que celui dont Nature a paré ses cheveux. (1633-57)

30. Var. C’est là qu’un jeune oiseau doit s’apprendre à parler. (1633-57)

31. Var. Il faut feindre du mal, demander guérison. (1633-64)

32. Var. Passe pour des beautés qui soient dans le commun. (1633-60)

33. Var. Que le souverain bien gît à la posséder. (1633-60)

34. Var. Le jour qu’elle naquit, Vénus, quoiqu’immortelle. (1633-64)

35. Var. Les Grâces au séjour qu’elles faisoient aux cieux
Préférèrent l’honneur d’accompagner ses yeux. (1633)
Var. Les Grâces aussitôt descendirent des cieux. (1644-57)

36. Var. Voulut à tout le moins loger sur son visage.
Tirs. c Te voilà bien en train ; si je veux t’écouter,
Sur ce même ton-là tu m’en vas bien conter.
[Pauvre amant, je te plains, qui ne sais pas encore.] (1633-57)

37. Var. Tel au bout de ce temps la souhaite bien loin. (1633-57)

38. Var. La beauté n’y sert plus que d’un fantasque soin. (1633-54)
Var. La beauté ne sert plus que d’un fantasque soin. (1657)

39. Var. À troubler le repos de qui se formalise. (1633)
Var. À troubler le repos de qui se scandalise. (1644-57)

40. Var. S’il advient qu’à ses yeux quelqu’un la galantise. (1633-57)

41. Var. Ce n’est plus lors qu’un aide à faire un favori. (1633-60)

42. Corneille ne distingue pas l’orthographe appât (appâts) et appas, dont nous faisons deux mots. Il écrit appas dans tous les sens, tant au singulier qu’au pluriel.

43. Var. S’attacher pour jamais au côté d d’une femme. (1633-54)

44. Var. Quand leur nombre importun accable la maison. (1633-57)

45. Var. C’est en vain que l’on fuit, tôt ou tard on s’y brûle. (1633-57)

46. Var. Toi-même qui fais tant du cheval échappé. (1660-63)

47. Var. Un jour nous te verrons songer au mariage. (1633-60)

48. Var. La beauté, les attraits, le port, la bonne mine,
Échauffent bien les draps, mais non pas la cuisine. (1633).

49. Var. Pour quelques bonnes nuits, a bien de mauvais jours. (1633-57)

50. Var. [Dessus des fondements de si peu de durée.]
C’est assez qu’une femme ait un peu d’entregent.
La laideur est trop belle étant teinte en argent. (1633)

51. L’or même à la laideur donne un teint de beauté,
a dit plus tard Boileau dans sa VIIIe satire.

52. En marge, dans l’édition de 1633 : Mélite paroît.

53. Var. Tant de charmants appas, tant de divins attraits. (1633-57)

54. Var. Que tu seras contraint d’avouer à ta honte,
Que si je suis un fou, je le suis à bon conte e. (1633)

55. Var. Ne me saura tourner contre la vérité. (1633-57)

56. Var. Au péril de vous faire une histoire importune.
Je viens vous raconter ma mauvaise fortune :
Ce jeune cavalier, autant qu’il m’est ami,
Autant est-il d’Amour implacable ennemi,
Et pour moi, qui depuis que je vous ai servie
Ne l’ai pas moins prisé qu’une seconde vie,
Jugez si nos esprits, se rapportant si peu,
Pouvoient tomber d’accord et parler de son feu.
[Je me suis donc piqué contre sa médisance.] (1633-57)

57. Var. Entre nos deux esprits ait semé le discord. (i660-64)

58. Var. Que les droits de l’amour, bien que pleins d’équité. (1633-57)

59. Var. Et je l’amène à vous, n’ayant plus que répondre. (1633)

60. Var. Et ne fait de l’amour une meilleure estime, (1633-57)

61. Var. Ce reproche sans cause, inopiné, m’étonne. (1633-57).

62. Peut-être Molière se rappelait-il ce passage lorsqu’il faisait dire à Agnès :
Mes yeux ont-ils du mal pour en donner au monde ?
(L’École des Femmes, acte II, sc. vi.)

63. Var. À pervertir son cours pour croître mon supplice. (1633-64)

64. Var. D’ordinaire on n’a pas avec si bon visage, (1633-57)

65. Var. Ni l’àme ni le cœur en un tel équipage. (1633)
Var. Ni l’àme ni le cœur en si triste équipage. (1644-57)

66. Var. Votre divin aspect suspendant mes douleurs. (1633-60)

67. Var. Et vous n’en conservez qu’à faute de vous voir. (1633-44 et 52-57)

68. Var. Ce qu’Amour dans les cœurs peut lui seul imprimer. (1633-63)

69. Var. Encor cette légère et foible connoissance. (1633-60)

70. Var. Vous mettra hors de pair de toutes les beautés. (1657 et 60)

71. Var. Mais plutôt son secours fait voir qu’il s’en défie. (1633-57)

72. Les éditions de 1668 et de 1682 donnent d’avec. Nous n’avons pas hésité à y substituer avec, qui est la leçon de toutes les autres éditions.

73. Var. J’ai reconnu mon tort auprès de vos appas. (1633)

74. Var. Il vous l’avoit bien dit._Ainsi ma prophétie
Est, à ce que je vois, de tout point réussie.
tirs. Si tu pouvois produire en elle un même effet, (1633-63)

75. Var. Mais outre qu’il m’est doux de m’entendre flatter.
Ma mère qui m’attend m’oblige à vous quitter. (1633-57)

76. Var. De qui seule dépend et mon aise et ma peine. (1633-57)

75. Var. Mais outre qu’il m’est doux de m’entendre flatter.
Ma mère qui m’attend m’oblige à vous quitter. (1633-57)

76. Var. De qui seule dépend et mon aise et ma peine. (1633-57)

78. Var. Garde aussi quêtes feux n’outre-passent la rime. (1633-57)

79. Var. Si jamais ce penser entre dans mon courage ! (1633-57)

80. Var. [Ton crime officieux porteroit son excuse ;]
Mais n’importe, sachons. phil. Ton bel œil mon vainqueur. (1633-57)

81. Var. Je recherche par où tu me pourras déplaire. (1633-57)

82. Var. Mais je n’en puis trouver un seul qui ne me plaise.
clor. Et moi dans mes défauts encor suis-je bien aise
Qu’ainsi tes sens trompés te forcent désormais
À chérir ta Cloris et ne changer jamais. (1633-57)

83. Var. De quoi rendre constant l’homme le plus volage. (1633-68)

84. Var. Tu m’en vas tant conter de ma perfection,
Qu’à la fin j’en aurai trop de présomption.
phil. S’il est permis d’en prendre à l’égal du mérite,
Tu n’en saurois avoir qui ne soit trop petite.
clor. Mon mérite est si peu… phil. Tout beau, mon cher souci ;
C’est me désobliger que de parler ainsi f.
Nous devons vivre ensemble avec plus de franchise :
Ce refus obstiné d’une louange acquise
M’accuseroit enfin de peu de jugement,
D’avoir tant pris de peine et souffert de tourment,
Pour qui ne valoit pas l’offre de mon service g.
clor. À travers tes discours si remplis d’artifice
Je découvre le but de ton intention :
C’est que, te défiant de mon affection,
Tu la veux acquérir par une flatterie.
Philandre, ces propos sentent la moquerie, (1633-57)

85. Var. Épargne-moi, de grâce, et songe, plus discret,
Qu’étant belle à tes yeux, plus outre je n’aspire. (1633-68)

86. Var. Que tu sais dextrement adoucir mon martyre ! (1633-63)

87. Var. À peine mon esprit ose croire à mes sens. (1633-57)

88. Var. On peut voir quelque chose aussi beau comme toi. (1633-64)

89. Var. Que ceux qu’il a reçus de ton divin portrait. (1633-60)

90. Var. Et qui tout aussitôt que tu te fais paroître,
Afin de te mieux voir se met à la fenêtre. (1648)

91. Var. Dois-je prendre ceci pour de l’argent comptant ?
Oui, Philandre, et mes yeux t’en vont montrer autant. (1633-57)

92. Var. Nos brasiers tous pareils ont mêmes étincelles. (1633-64)

93. Var. Cependant un baiser accordé par avance
Soulageroit beaucoup ma pénible souffrance.
clor. Prends-le sans demander, poltron, pour un baiser h
Crois-tu que ta Cloris te voulut refuser ?

SCÈNE V.

TIRSIS, PHILANDRE, CLORIS.

tirs. i Voilà traiter l’amour justement bouche à bouche ;
C’est par où vous alliez commencer l’escarmouche ?
Encore n’est-ce pas trop mal passé son temps.
[phil. Que t’en semble, Tirsis ?] (1633-57)

94. Var. Je pense ne pouvoir vous être qu’importun,
Vous feriez mieux un tiers que d’en accepter un.(1633)

95. Var. [Te désoblige fort de ce qu’elle n’arrive.]
Cette légère amorce, irritant tes désirs,
Fait que l’illusion d’autres meilleurs plaisirs
Vient la nuit chatouiller ton espérance avide,
Mal satisfaite après de tant mâcher à vide.
[clor. Ta belle Immeur te tient, mon frère.] (1633)

96. Var. Le cœur t’en dit ailleurs. (1657 et 63-68)

97. Var. J’ai vu je ne sais quoi…_Dis-le, je t’en conjure. (1633-57)
Var. J’ai vu je ne sais quoi…_Dis tôt, je t’en conjure. (1660)

98. Var. Trouve encore après moi qui le puisse surprendre. (1657)

99. Expression proverbiale, qui vient de ce que les duellistes ne gardaient que leur pourpoint lorsqu’ils se battaient. « Quelquefois même ils mettoient pourpoint bas, dit Furetière dans son Dictionnaire, pour montrer qu’ils se battoient sans supercherie. » Voyez la première variante de la page 195.

100. Var. Continuez les jeux que j’ai... clor. Tout beau, gausseur,
Ne l’imagine point de contraindre une sœur,
N’importe qui l’éclaire en ces chastes caresses ;
Et pour te faire voir des preuves plus expresses
(Qu’elle ne craint en rien la langue, ni tes yeux j,
Philandre, d’un baiser scelle encor tes adieux.
phil. Ainsi vienne bientôt cette heureuse journée,
Qui nous donne le reste en faveur d’Hyménée.
tirs. Sa nuit est bien plutôt ce que vous attendez.
Pour vous récompenser du temps que vous perdez k. (1633-57)

101. Var. Retenant Cloris. (1660)

102. Var. Je l’avois bien prévu que cette âme infidèle, (1633-57)

103. Var. Même dès leur abord, je lus sur son visage, (1633-57)

104. Var. [Me donna les avis de ce que j’ai perdu ;]
Mais hélas ! qui pourroit gauchir sa destinée l ?
Son immuable loi dans le ciel burinée
Nous fait si bien courir après notre malheur,
Que j’ai donné moi-même accès à ce voleur :
Le perfide qu’il est me doit sa connoissance ;
C’est moi qui l’ai conduit et mis en sa puissance ;
C’est moi qui l’engageant à ce froid compliment,
Ai jeté de mes maux le premier fondement.
[Depuis, cette volage évite ma rencontre.] (1633-57)

105. Var. Presques à tous moments le ramène en lui-même, (1633-68)

106. Var. Que les moins avisés verroient ses passions. (1633-60)

107. Var. Cependant chaque jour au babil attachés. (1633-57)
Var. Cependant chaque jour aux discours attachés. (1660-68)

108. Var. Sus donc, perds tout respect et tout soin de lui plaire,
Et rends dessus le champ ta vengeance exemplaire.
Non, il vaut mieux s’en rire, et pour dernier effort. (1633-57)

109. Var. De laisser perdre ainsi la belle occasion. (1648)

110. Var. Vous savez que son âme en est trop dépourvue. (1657)

111. Var. [Toutefois, ce dit-on, depuis qu’il vous a vue,]
Ses chemins par ici s’adressent tous les jours.
Et ses plus grands plaisirs ne sont qu’en vos discours.
mél. Et ce n’est pas aussi sans cause qu’il les prise,
Puisqu’outre que l’amour comme lui je méprise,
Sa froideur, que redouble un si lourd entretien. (1633-57)

112. Var. Il ne tardera guère à changer de langage. (1633-57)

113. Var. Vraiment, c'est bien à vous que j'en dois rendre conte m.
ér. Aussi j'ai seulement pour vous un peu de honte. (1633-57)

114. Var. Qu'on murmure partout du trop de privauté. (1633-60)

115. Var. C’est là donc ce qu’enfin me gardoit ta malice. (1633-57)
Var. C’est là donc ce qu’enfin me gardoit mon caprice. (1660)

116. Var. Tu me préfères donc un traître qui te flatte ?
Inconstante beauté, lâche, perfide, ingrate,
De qui le choix brutal se porte au plus mal fait ;
Tu l’estimes à faux, tu verras à l’effet.
Par le peu de rapport que nous avons ensemble,
Qu’un honnête homme et lui n’ont rien qui se ressemble
Que dis-je, tu verras ? Il vaut autant que mort :
Ma valeur, mon dépit, ma flamme en sont d’accord.
Il suffit ; les destins bandés à me déplaire
Ne l’arracheroient pas à ma juste colère.
Tu démordras, parjure, et ta déloyauté
Maudira mille fois sa fatale beauté.
Si tu peux te résoudre à mourir en brave homme,
Dès demain un cartel l’heure et le lieu te nomme.
Insensé que je suis ! hélas, où me réduit
Ce mouvement bouillant dont l’ardeur me séduit ?
Quel transport déréglé ! Quelle étrange échappée !
Avec un affronteur mesurer mon épée !
C’est bien contre un brigand qu’il me faut hasarder
Contre un traître qu’à peine on devroit regarder !
Lui faisant trop d’honneur, moi-même je m’abuse ;
C’est contre lui qu’il faut n’employer que la ruse ;
[Il fut toujours permis de tirer sa raison
D’une infidélité par une trahison.]
Vis doncques, déloyal, vis, mais en assurance
Que tout va désormais tromper ton espérance,
Que tes meilleurs amis s’armeront contre toi,
Et te rendront encor plus malheureux que moi.
J’en sais l’invention, qu’un voisin de Mélite
Exécutera trop aussitôt que prescrite.
Pour n’être qu’un maraud, il est assez subtil.

SCÈNE IV.

ÉRASTE, CLITON.

ér. Holà ! hau ! vieil ami. clit. Monsieur, que vous plaît-il ?
ér. Me voudrois-tu servir en quelque bonne affaire ?
clit. Dans un empêchement fort extraordinaire.
Je ne puis m’éloigner un seul moment d’ici.
ér. Va, tu n’y perdras rien, et d’avance voici
Une part des effets qui suivent mes paroles.
clit. Allons, malaisément gagne-t-on dix pistoles n ! (1633-57)

117. Ce mot est toujours écrit ainsi par Corneille, qui ne fait en cela que se conformer à l’usage général de son temps. Voyez le Lexique.

118. Ce sonnet, composé, d’après Thomas Corneille, avant la comédie elle-même (voyez ci-dessus, p. 126), a été imprimé pour la première fois en 1682, à la page 167 des Meslanges poétiques qui suivent Clitandre. Ce texte primitif ne présente qu’une variante sans importance ; le vers 487 commence ainsi :
Et quoiqu’elle ait, etc.

119. Var. De la langue, des yeux, n’importe qui t’accuse. (1657 et 60)

120. C’est-à-dire qui t’avait captivé. Franchise, dans le sens de liberté. Voyez le Lexique.

121. Var. Dedans cette maîtresse aucun embrasement. (1633-60)

122. Var. Qu’Éraste m’en retire et s’oppose à Mélite. (1633)

123. Var. Mais ce n’est pas ainsi qu’on m’en baille à garder. (1633-57)

124. Var. C’est seulement alors qu’il n’y a rien du nôtre o (1657-63)

125. Var. Un chacun à soi-même est son meilleur ami. (1633-57)

126. Var. En dépit de tes feux n’emporte ta maîtresse. (1633)

127. Var. Vaine frayeur pourtant dont je veux te guérir.
tirs. M’en guérir ! clor. Laisse faire : Éraste sert Mélite,
Non pas ? mais depuis quand p ? tirs. Depuis qu’il la visite
Deux ans se sont passés. clor. Mais dedans ses discours
Parle-t-il d’épouser ? tirs. Oui, presque tous les jours.
clor. Donc, sans l’appréhender, poursuis ton q entreprise :
Avecque tout son bien Mélite le méprise.
[Puisqu’on voit sans effet deux ans d’affection]. (1633-57)
Var. Ce sont vaines frayeurs dont je te veux guérir. (1660)

128. Var. On prend au premier bond les hommes de sa sorte r,
De crainte qu’à la longue ils n’éteignent leur feu s.
tirs. Mais il faut redouter une mère. clor. Aussi peu.
tirs. Sa puissance pourtant sur elle est absolue.
clor. Oui, mais déjà l’affaire en seroit résolue,
Et ton rival auroit de quoi se contenter. (1633-57)

129. Var. Pour de si bons avis il faut que je te baise. (1633)

130. Var. Adieu._Moi, je m’en vais dans le logis attendre. (1633-57)

131. Var. Un baiser refusé lui fera souvenir. (1633-48)
Var. Un moment de froideur le fera souvenir. (1633 et 64)

132. Var. Il baille une lettre à Cliton. (1633, en marge.) — Il lui donne une lettre. (1663, en marge.)

133. Var. Cours vite chez Philandre, et dis-lui que Mélite
A dedans ce papier sa passion décrite. (1633-57)

134. Var. Un feu qui la consomme et qu’elle tient si cher. (1633 et 48-67)

135. Var. Cela vaut fait, Monsieur._Mais avec ton message
Tâche si dextrement de tourner son courage. (1633-64)

136. Var. Ma tête sur ce point me servira de plége t. (1657)

137. En marge, dans l’édition de 1633 : Cliton rentre.

138. Var. Ces âmes du commun font tout pour de l’argent,
Et sans prendre intérêt au dessein de personne,
Leur service et leur foi sont à qui plus leur donne.
Quand ils sont éblouis de ce traître métal,
Ils ne distinguent plus le bien d’avec le mal ;
Le seul espoir du gain règle leur conscience.
Mais tu reviens bientôt, est-ce fait ? clit. Patience,
Monsieur ; en vous donnant un moment de loisir,
Il ne tiendra qu’à vous d’en avoir le plaisir. (1633-57)

139. En marge, dans l’édition de 1633 : Cliton ressort brusquement.

140. Var. Monsieur ; il ne vous faut qu’un moment de loisir. (1660-68)

141. En marge, dans l’édition de 1633: Philandre paroit et Éraste se cache.

142. Ces mots manquent dans les éditions de 1633, de 1644 et de 1652-60 ; ils sont remplacés, dans celle de 1648, par ceux-ci : cependant qu’Érasle est caché.

143. Var. Ce qu’un homme jamais ne s’oseroit promettre ;
Ouvrez-la seulement. phil. Tu n’es rien qu’un conteur. (1633-57)

144. Ainsi dans les éditions de 1633-48, de 1657 et de 1682 ; aye dans celles de 1652, de 1654 et de 1660-68. — Voyez plus haut, p. 109, note 1.

145. Var. Cependant que Philandre lit, Éraste s’approche par derrière, et feignant d’avoir lu par-dessus son épaule, il lui saisit la main encore pleine de la lettre toute déployée. (1633, en marge.) — Il feint d’avoir lu la lettre par-dessus l’épaule de Philandre. (1663, en marge.)

146. Var. Portoit nos deux esprits à s’entre-négliger,
Si bien que je cherchois par où m’en dégager. (1633-57)

147. Var. Lui-même._Si ton feu commence à te lasser. (1633)
Var. Lui-même._Si ton feu commence à se lasser. (1644-57)

148. Var. Pour un si bon ami tu peux y renoncer. (1633-57)
Var. Tu peux le retirer pour un si bon ami. (1660-64)

149. Var. Tout ce que je puis faire à son brasier naissant, (1633-68)

150. Var. C’est de le revancher par un zèle impuissant. (1633-57)

151. Var. De tourner ce qu’elle a de flamme vers son frère. (1633-57)

152. Var. Mais la peux-tu juger à l’autre comparable ?
phil. Soit comparable ou non, je n’examine pas. (1633-57)

153. Var. J’ai promis d’aimer l’une, et c’est où je m’arrête.
ér. Avise toutefois, le prétexte est honnête, (1633-57)

154. Var. Mais en quoi gît ce mieux ?_Ce mieux gît en richesse.
phil. Ô le sale motif à changer de maîtresse !
ér. En amour. phil. Ma Cloris m’aime si chèrement.
Qu’un plus parfait amour ne se voit nullement.
ér. Tu le verras assez, si tu veux prendre garde. (1633-57)

155. À l’insu. Voyez le Lexique.

156. Var. N’ont rien qui soit bastant d’ébranler ma constance. (1633)

157. Var. Il dit ce dernier vers comme à l’oreille de Cliton, et rentre, tous deux chacun de leur côté. (1633, en marge.) — À Cliton, tout bas. (1644-60)

158. À la place du mot seul ou seule, après le nom d’un personnage, on lit constamment, en marge, dans l’édition de 1663 : Il est seul, elle est seule. Nous n’avons remarqué qu’une exception à cet usage. La première fois que cette indication se trouve dans Mélite, c’est-à-dire à la fin de la scène iii du Ier acte, l’édition de 1663 ne porte en marge que le mot même du texte : seul.

159. Var. Ce sonnet que pour toi je promis d’entreprendre. (1633-60)

160. Var. Elle parolt au travers d’une jalousie, et dit ces vers cependant qu’Éraste lit le sonnet tout bas. (1633, en marge.) — Elle les regarde à travers une jalousie cependant qu’Éraste lit le sonnet. (1663, en marge.)

161. En marge, dans l’édition de 1633 : Il montre du doigt la fin de son sonnet à Éraste.

162. Var. À ce divin objet dont ton âme est blessée. (1633-57)

163. Var. Feignant de lui rendre son sonnet, il le fait choir et Tirsis le ramasse. (1633, en marge.) Il lui rend le sonnet. (1663, en marge.)

164. En marge, dans l’édition de 1633 : Mélite se retire de la jalousie et descend.

165. Var. Hélas ! et le moyen de lui pouvoir parler. (1633-57)

166. Var. Que d’un petit coup d’œil l’aise m’est cher vendue ! (1633-57)

167. Var. Ses regards pleins de feux s’entendent avec moi. (1633-68)

168. Dans les éditions antérieures à 1660, cette scène et la précédente n’en forment qu’une.

169. Dans certains exemplaires de l’édition de 1633, notamment dans celui de la Bibliothèque impériale qui est marqué Y, ce vers est dit par Mélite et non par Tircis, dont le couplet ne commence qu’au vers suivant.

170. Var. Et c’est de là que vient cette fuite impourvue. (1633)

171. C’est-à-dire, suivant le sens étymologique du mot, ne détournerait pas. Voyez le Lexique.

172. Var. Bien que ce soit un heur où prétendre je n’ose. (1633-57)

173. Volontés sujettes, volontés soumises à une mère. La réponse de Mélile éclaircit parfaitement ce que cette expression pourrait avoir d’obscur.

174. Var. Consultez seulement avecque vos appas. (1633-57)
Var. Consultez en vous-même un moment vos appas. (1660)

175. Var. Avoir sur tout le monde un pouvoir si suprême. (1633-57)

176. Var. Je m’en voudrois remettre à son commandement. (1633-60)

177. Var. [Dispensent mon devoir de ces formalités.]
tirs. Souffre donc qu’un baiser cueilli dessus ta bouche
M’assure entièrement que mon amour te touche.
mél. Ma parole suffit. tirs. Ah ! j’entends bien que c’est :
Un peu de violence en t’excusant te plaît.
mél. Folâtre, j’aime mieux abandonner la place,
Car tu sais dérober avec si bonne grâce
Que bien que ton larcin me fâche infiniment,
Je ne puis rien donner à mon ressentiment.
tirs. Auparavant l’adieu reçois de ma constance
Dedans ce peu devers l’éternelle assurance.
mél. Garde bien ton papier, et pense qu’aujourd’hui (1633-48)

178. Var. [Mélite veut te croire autant et plus que lui u.]
tirsis. Il lui coule le sonnet dans le sein, comme elle se dérobe v.
Par ce refus mignard qui porte un sens contraire.
Ton feu m’instruit assez de ce que je dois faire.
Ô ciel ! je ne crois pas que sous ton large tour
Un mortel eut jamais tant d’heur ni tant d’amour. (1633-48)

179. Var. tircis, seul. (1652-60)

180. Var. Tu l’as gagné, Mélite ; il ne m’est plus possible
D’être à tant de faveurs désormais insensible. (1633-57)

181. Var. Ont charmé tous mes sens de leurs douces promesses. (1633-60)

182. Var. Un portrait que je veux tellement effacer. (1660)

183. Var. [Qu’elle puisse gagner au change autant que moi.]
Dites-lui de ma part que depuis que le monde
Du milieu fin chaos lira sa forme ronde.
C’est la première fois que ces vieux ennemis,
Le change et la raison, sont devenus amis ;
[Dites-lui que Mélite, ainsi qu’une Déesse.] (1633)

184. Var. Tu me fais trop d’honneur en cette confidence. (1633-60)

185. Var. [Si l’on peut par tes yeux lire dans ton courage,]
Je ne croirai jamais qu’à force de rêver
Au sujet de ta joie, on le puisse trouver :
[Rien n’atteint, ce me semble, aux signes qu’ils en donnent.] (1633-57)

186. Var. belle, honnête, gentille, et dont l’esprit charmant (1633-57)

187. Var. Je ne crains pas cela du côté de Mélite. (1633-57)

188. Var. Dont le feu, gourmandé par une adroite feinte. (1633)

189. Qui se laisse prendre à… tromper par…

190. Var. Fussent d’intelligence avecque le visage. (1633-60)

191. Peut-être cette prononciation était-elle en usage lorsque la pièce fut représentée pour la première fois, mais elle était certainement abandonnée lorsque Corneille publiait les dernières éditions de son théâtre. Voyez le Lexique.

192. Var. Doncques, si ta raison ne se trouve déçue. (1633-57)

193. Var. Et qui te fait juger son amour si parfaite.
tirs. Une parfaite amour a trop de truchements. (1633-57)

194. Var. Un clin d’œil, un soupir… (1633)

195. Var. Un coup d’œil, un soupir…_Ces choses ridicules
Ne servent qu’à piper des âmes trop crédules. (1633-57)

196. Var. Les douceurs que la belle, à tout autre w farouche,
T’a laissé dérober sur ses yeux, sur sa bouche,
Sur sa gorge, où, que sais-je ? tirs. Ah ! ne présume pas
Que ma témérité profane ses appas,
Et quand bien j’aurois eu tant d’heur, ou d’insolence.
Ce secret, étouffé dans la nuit du silence,
N’échapperoit jamais à ma discrétion.
phil. Quelques lettres du moins pleines d’affection
Témoignent son ardeur? tirs. Ces foibles témoignages
D’une vraie amitié sont d’inutiles gages ;
Je n’en veux et n’en ai point d’autre que sa foi x.
phil. Je sais donc bien quelqu’un plus avancé que toi.
tirs. Plus avancé que moi ? j’entends qui tu veux dire,
Mais il n’a garde d’être en état de me nuire :
Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’Éraste a son congé.
phil. Celui dont je te parle est bien mieux partagé.
tirs. Je ne sache que lui qui soupire pour elle. (1633-57)

197. Var. J’en connois donc quelqu’un plus avancé que toi. (1663)

198. Tenir en cervelle, inquiéter, tenir dans l’inquiétude. Voyez le Lexique.

199. Var. Aussi la pauvre Mélite ne la croit posséder que par faveur. (1633-57)

200. Affronter, tromper avec audace.

201. Var. Et par un gentil trait il t’a pris pour moi-même,
D’autant que ce n’est qu’un de deux parfaits amis. (1633-57)

202. Var. Et pour ton intérêt dextrement te méprendre. (1633-57)

203. Var. C’est par là qu’il t’en plaît ? oui-da ; j’en ai reçu
Encore une, qu’il faut que je te restitue.
tirs. Dépêche, ta longueur importune me tue. (1633-57)

204. Var. Crois tu que celle-là s’adresse encore à toi ? (1633-57)

205. Var. Qu’à tes suasions Mélite osant manquer
À ce qu’elle a promis, ne s’en fait que moquer ?
Qu’oubliant tes serments, déloyal tu subornes
[Un amour qui pour moi devoit être sans bornes ?] (1633-57)

206. Suborner, séduire, appliqué ainsi aux passions, aux sentiments, est fréquent dans Corneille. Voyez le Lexique.

207. Var. Avise à te défendre ; un affront si cruel
Ne peut se réparer à moins que d’un duel :
[Il faut que pour tous deux ta tête me réponde.] (1633-57)

208. Var. [Quant à moi, ton trépas me coûteroit trop cher :]
Il me faudroit après, par une prompte fuite,
Éloigner trop longtemps les beaux yeux de Mélite.
tirs. Ce discours de bouffon ne me satisfait pas :
Nous sommes seuls ici ; dépêchons, pourpoint bas y.
phil. Vivons plutôt amis, et parlons d’autre chose.
tirs. Tu n’oserois, je pense, phil. Il est tout vrai, je n’ose
Ni mon sang ni ma vie en péril exposer.
Ils ne sont plus à moi : je n’en puis disposer.
Adieu : celle qui veut qu’à présent je la serve
Mérite que pour elle ainsi je me conserve.

SCÈNE III.

TIRSIS.

Quoi! tu t’enfuis, perfide, et ta légèreté. (1633-57)

209. Var. [Peux-tu m’abandonner ses faveurs sans mourir ?]
Si de les plus garder ton peu d esprit se lasse,
Viens me dire du moins ce qu’il faut que j’en fasse.
Ne t’en veux-tu servir qu’à me désabuser ?
N’ont-elles point d’effet qui soit plus à priser ?
[Ô lettres, ô faveurs indignement placées.] (1633)

210. Var. Je ne sais qui des trois vous diffamez le plus,
De moi, de ce perfide, ou bien de sa maîtresse ;
Car vous nous apprenez qu’elle est une traîtresse,
Son amant un poltron, et moi sans jugement,
De n’avoir rien prévu de son déguisement.
Mais que par ses transports ma raison est surprise !
Pour ce manque de cœur qu’à tort je le méprise !
(Hélas ! à mes dépens je le puis bien savoir)
Quand on a vu Mélite on n’en peut plus avoir z.
Fuis donc, homme sans cœur, va dire à ta volage
Combien sur ton rival ta fuite a d’avantage,
Et que ton pied léger ne laisse à ma valeur
Que les vains mouvements d’une juste douleur.
Ce lâche naturel qu’elle fait reconnoître
Ne t’aimera pas moins étant poltron que traître.
Traître et poltron ! voilà les belles qualités
Qui retiennent les sens de Mélite enchantés.
Aussi le falloit-il que cette âme infidèle,
[Changeant d’affection, prît un traître comme elle,]
Et la jeune rusée a bien su rechercher aa
Un qui n’eût sur ce point rien à lui reprocher,
Cependant que, leurré d’une fausse apparence,
Je repaissois de vent ma frivole espérance.
Mais je le méritois, et ma facilité
Tentoit trop puissamment son infidélité ab.
Je croyois à ses yeux, à sa mine embrasée ac,
À ces petits larcins pris d’une force aisée.
Hélas ! et se peut-il que ces marques d’amour
Fussent de la partie en un si lâche tour ?
Auroit-on jamais vu tant de supercherie.
Que tout l’extérieur ne fût que piperie ?
[Non, non, il n’en est rien : une telle beauté.] (1633-57)

211. Var. Son oracle reçu, je m’en tins assuré. (1633)

212. Var. Vous voulez me trahir, vous voulez m’abuser :
J’ai sa parole en gage et de plus un baiser. (1633-57)

213. Var. C’est en vain que mon feu ces doutes me suggère. (1633-57)

214. Var. Je vois très-clairement qu’elle est la plus légère. (1648-57)

215. Var. Les serments que j’en ai s’en vont au vent jetés.
Et ces traits de sa plume ici me sont restés,
Qui dépeignant au vif son perfide courage,
Remplissent de bonheur Philandre, et moi de rage, (1633-57)

216. Var. Et ces traits de sa plume, osant encor parler,
Laissent entre mes mains une honteuse image. (1660)

217. Var. Oui, j’enrage, je crève, et tous mes sens troublés. (1633)

218. Var. D’un excès de douleur succombent accablés. (1633-60)

219. Var. [Que je ne puis plus vivre avec un tel martyre :]
Aussi ma prompte mort le va bientôt finir ;
Déjà mon cœur outré ne cherchant qu’à bannir
Cet amour qui l’a fait si lourdement méprendre,
Pour lui donner passage, est tout prêt de se fendre ad ;
Mon âme par dépit tâche d’abandonner
Un corps que sa raison sut si mal gouverner.
Mes yeux, jusqu’à présent couverts de mille nues,
S’en vont les distiller en larmes continues.
Larmes qui donneront pour juste châtiment
À leur aveugle erreur un autre aveuglement ;
Et mes pieds, qui savoient sans eux, sans leur conduite,
Comme insensiblement me porter chez Mélite,
Me porteront sans eux en quelque lieu désert,
En quelque lieu sauvage à peine découvert,
Où ma main, d’un poignard, achèvera le reste,
Où pour suivre l’arrêt de mon destin funeste,
Je répandrai mon sang, et j’aurai pour le moins
Ce foible et vain soulas en mourant sans témoins.
Que mon trépas secret fera que l’infidèle
Ne pourra se vanter que je sois mort pour elle. (1633-57)

220. Var. Tu manques à la fois de poumon et d’haleine. (1633-60)

221. Var. Quel accident nouveau te brouille ainsi les sens ? (1633-57)

222. Var. En nos chastes amours de nous deux on se moque. (1633-60)

223. Var. Adieu, ma sœur, adieu : je ne peux plus parler. (1663)

224. Var. Lis, puis, si tu le peux, tâche à te consoler. (1633-57)

225. Var. Non, non, quand j’aurai su ce qui te fait mourir,
Si bon me semble alors, je te lairrai courir. (1633-57)

226. Var. Elle lit les lettres que Tirsis lui avoit donnés. (1633, en marge. — Elle lit les lettres qu’il lui a données. (1663, en marge.)

227. Var. Apprends que les discours des filles mieux sensées (1633-60)

228. Qui vaille la servir, qui vaille qu’on la serve.

229. Var. Tant d’autres te sauront en sa place ravir,
Avec trop plus d’attraits que cette écervelée. (1633-57)

230. Var. Par les premiers venus qui flattant ses beautés. (1633-57)

231. Var. Ainsi Damon lui plut, Aristandre, et Géronte ;
Éraste après deux ans n’en a pas meilleur conte. (1633-57)

232. Voyez ci-dessus, p. 150, la note relative à la première variante

233. Var. Et peut-être demain (tant elle aime le change !). (1633-57)

234. Var. Ce n’est qu’une coquette, une tête à l’évent.
Dont la langue et le cœur s’accordent peu souvent,
À qui les trahisons deviennent ordinaires,
Et dont tous les appas sont tellement vulgaires. (1633-57)

235. Var. Penses-tu, m’amusant avecque des sottises,
Par tes détractions rompre mes entreprises ?
Non, non, ces traits de langue épandus vainement
Ne m’arrêteroient pas encore un seul moment. (1633-57)

236. Var. C’est toujours témoigner que leur vaine inconstance
Est pour nous émouvoir de trop peu d’importance.
Aussi ne veux-je pas le retenir d’aller,
Et si d’autres que moi ne le vont rappeler,
Il usera ses jours à courtiser Mélite ;
Outre que l’infidèle a si peu de mérite,
Que l’amour qui pour lui m’éprit si follement. (1633-57)

237. Var. Dans la même sottise une autre embarrassée. (1633-57)

238. Var. Je meure, s’il n’est vrai que la plupart du monde. (1633)

239. Var. Elle verra bientôt, quoi qu’elle se propose,
Qu’elle n’a pas gagné, ni moi perdu grand chose.
Ma perte me console, et m’égaye à l’instant. (1633-57)

240. Voyez au Complément des variantes, p. 251.

241. Var. Je les viens de surprendre, et j’y pourrois encore. (1660)

242. Var. Mais tu n’as pas loisir. Toutefois si tu veux. (1660-64)

243. Var. Il reconnoit les lettres. (1663, en marge) ae

244. Var. Elle les resserre. (1663, en marge.)

245. Telle est l’orthographe de ce mot dans toutes les éditions publiées du vivant de Corneille. Voyez le Lexique.

246. Un des personnages de la Veuve (acte III, sc. III) parle de la comédie de Mélite et mentionne
Le discours de Cloris quand Philandre la quitte.

247. Var. [M’accuse injustement d’être trop peu discrète.]
mél. Vraiment tu me poursuis avec trop de rigueur :
Que te puis-je conter, n’ayant rien sur le cœur ?
la nourr. Un chacun fait à l’œil des remarques aisées,
Qu’Éraste, abandonnant ses premières brisées,
Pour te mieux témoigner son refroidissement.
Cherche sa guérison dans un bannissement.
Tu m’en veux cependant ôter la connoissance ;
Mais si jamais sur toi j’eus aucune puissance,
Par ce que tous les jours en tes affections
Tu reçois de profit de mes instructions af.
Apprends-moi ce que c’est, mél. Et que sais-je, Nourrice,
Des fantasques ressorts qui meuvent son caprice ?
Ennuyé d’un esprit si grossier que le mien,
[Il cherche ailleurs peut-être un meilleur entretien.] (1633-57)

248. Var. Rembrase assez souvent une âme dégagée. (1633-57)

249. Dispenser à… accorder la dispense, la permission nécessaire pour faire quelque chose, autoriser à…

250. Var. D’un bien dont un dédain fait mieux savoir le prix. (1633-57)

251. Var. Faire qu’aux vœux de tous son visage réponde. (1633-57)

252. Var. Leur faire bonne mine, et souffrir leur discours. (1633, 44 et 52-57)
Var. Leur montrer bonne mine, et souffrir leur discours. (1648)

253. Var. [Et paroissent ensemble entrer en concurrence :]
Ainsi lorsque plusieurs te parlent à la fois,
En répondant à l’un, serre à l’autre les doigts,
Et si l’un te dérobe un baiser par surprise,
Qu’à l’autre incontinent il soit en belle prise ;
Que l’un et l’autre juge, à ton visage égal,
Que tu caches ta flamme aux yeux de son rival.
Partage bien les tiens, et surtout sache feindre,
De sorte que pas un n’ait sujet de se plaindre. (1633-57)

254. Var. Tiens bon, et cède enfin, puisqu’il faut que tu cèdes,
À qui paiera le mieux le bien que tu possèdes. (1633-57).

255. Var. [Promptement le motif de cette maladie.]
mél. Tirsis est ce motif. la nourr. Ce jeune cavalier!
Son ami plus intime et son plus familier !
[N’a-ce pas été lui qui te l’a fait connoître ?] (1633-57)

256. Var. Et si dans ce jourd’hui je l’avois écarté,
Tu verrois dès demain Éraste à mon côté.
la nourr. J’ai regret que tu sois la pomme de discorde. (1633-57)

257. Var. Auprès de sa splendeur toute autre est trop petite, (1633-57)

258. On lit dans l’édition de 1633 : tu te places, pour tu le places ; mais c’est évidemment une faute d’impression.

259. L’édition de 1633 porte, mais ce doit être aussi une faute :
Et d’un riche honteux la richesse suivie.

260. Var. Enfin je reconnois…_Qu’avecque tout son bien
Un jaloux dessus moi n’obtiendra jamais rien. (1633-60)

261. Var. [Et rentre, que je parle à la sœur de Tirsis :]
Je la vois qui de loin me fait signe et m’appelle.
[la nourr. Peut-être elle t’en veut dire quelque nouvelle.]
mél. [Rentre, sans t’informer de ce qu’elle prétend.] (1633-57)

262. Mettre en cervelle, inquiéter. Voyez plus haut, p. 192, note 2.

263. Var. Qu’aux fourbes qu’on leur fait je ne puis consentir. (1633-57)

264. Var. Mais pour m’en repentir j’ai fait un trop beau choix. (1633-60)

265. La leçon de 1657 :
C’est l’homme qui de tous l’a mérité le moins.
est certainement une faute d’impression.

266. Var. Mais je m’étonne fort que vous l’osez blâmer,
Vu que pour votre honneur vous devez l’estimer. (1633-57)

267. Var. Après cela jugez si je le peux haïr. (1633)
Var. Jugez après cela si je le puis haïr. (1644-57)

268. Var. Puisque sa trahison m’est un grand témoignage. (1633-57)

269. Var. Vraiment c’est un pouvoir dont vous usez fort mal,
Le poussant à me faire un tour si déloyal. (1633-57)

270. Var. Quoi ! son devoir l’oblige à l’infidélité !
clor. N’allons point rechercher tant de subtilité. (1633-57)

271. Var. Sur un serment commun d’être un jour sa moitié. (1633-57)

272. Var. Vous ne vous trompez pas._Doncques, pour me railler. (1633-57)

273. Var. Doncques, pour m’éblouir, une âme déloyale. (1633-57)

274. Voyez plus haut, p. 194, note 3.

275. L’édition de 1664 donne : vous croiriez. pour vous croirez. ce qui est sans doute une faute d’impression.

276. Var. Vous en voulez bien croire au moins votre écriture. (1633-57)

277. Veut savoir par avant le nom de l’imposteur,
Afin que cet affront retombe sur l’auteur.
clor. Vous voulez m’affiner ; mais c’est peine perdue :
Mélite, que vous sert de faire l’entendue ?
La chose étant si claire à quoi bon la nier ? (1633-57)

278. Var. C’est le brave Lisis, qui tout triste et pensif,
À ce qu’on peut juger, montre un deuil excessif. (1633-57)

279. Var. Pouvez-vous demeurer auprès d’une personne
Digne pour ses forfaits que chacun l’abandonne ?
Quittez cette infidèle, et venez avec moi. (1633-57)

280. Var. Dedans ce désespoir a rendu sa belle âme.
mél. Hélas ! soutenez-moi ; je n’en puis plus, je pâme. (1633-57)

281. Les mots : à Lisis, manquent dans les éditions de 1633-60.

282. Var. Si proche du logis, il vaut mieux l’y porter. (1657)

283. On lit en marge, dans l’exemplaire de l’édition de 1633 dont il a été parlé à la note 2 de la page 183 : Cliton et la Nourrice emportent Mélite pâmée en son logis, où Cloris les suit, appuyée sur Lisis.

284. Var. cloris, à Lisis. (1633, dans l’exemplaire de la Bibliothèque impériale, cité à la note précédente, et 1644-60.)

285. Var. Mais à quelle raison leurs âmes désunies. (1633-63)

286. Var. Fuyez de mon penser, inutiles remords ;
J’en ai trop de sujet de leur être contraire :
Cloris m’offense trop, étant sœur d’un tel frère. (1633-57)

287. Var. [N’a que la peine due à sa crédulité.]
Allons donc sans scrupule, allons voir cette belle ;
Faisons tous nos efforts à nous rapprocher d’elle,
Et tâchons de rentrer en son affection,
Avant qu’elle ait rien su de notre invention ag.
Cliton sort de chez elle.

SCÈNE VI.

ÉRASTE, CLITON.

Cliton sort de chez elle. ér. Eh bien ! que fait Mélite ?
[clit. Monsieur, tout est perdu : votre fourbe maudite.] (1633-57)

288. Var. Monsieur, il est tout vrai : le moment déplorable. (1633-60)

289. Var. Ce pair d’amants sans pair est sous la sépulture. (1633-57)
Var. Ces malheureux amants treuvent la sépulture. (1660)

290. Var. Tu m’oses donc flatter, et ta sottise estime
M’obliger en taisant la moitié de mon crime ? (1633-57)

291. Var. Achève tout d’un trait : dis que maîtresse, ami. (1633-57)

292. Var. Par ma fraude a perdu la lumière des cieux. (1633-57)

293. Var. [Falsifié, trahi, séfluit, assassiné,]
Que j’ai toute une ville en larmes convertie :
[Tu n’en diras encor que la moindre partie.]
Mais quel ressentiment ! quel puissant déplaisir !
Grands Dieux ! et peuvent-ils jusque-là nous saisir,
Qu’un pauvre amant en meure, et qu’une âpre tristesse
Réduise au même point après lui sa maîtresse ?
clit. Tous ces discours ne font… ér. Laisse agir ma douleur.
Traître, si tu ne veux attirer ton malheur :
Interrompre son cours, c’est n’aimer pas ta vie.
La mort de son Tirsis me l’a doncques ravie !
[Je ne l’avois pas su, Parques, jusqu’à ce jour.] (1633-57)

294. Var. [Il vous pût commander d’unir aussi leurs trames ;]
J’ignorois que, pour être exemptes de ses coups,
Vous souffrissiez qu’il prit un tel pouvoir sur vous.
[Vous en relevez donc, et vos ciseaux barbares]
Tranchent comme il lui plaît les choses les plus rares !
Vous en relevez donc, et pour le flatter mieux
Vous voulez comme lui ne vous servir point d’yeux !
Mais je m’en prends à vous, et ma funeste ruse,
Vous imputant ces maux, se bâtit une excuse ;
J’ose vous en charger, et j’en suis l’inventeur,
Et seul de ces malheurs ah le détestable auteur.
Mon courage, au besoin se trouvant trop timide
Pour attaquer Tirsis autrement qu’en perfide.
Je fis à mon défaut combattre son ennui,
Son deuil, son désespoir, sa rage, contre lui.
Hélas ! et falloit-il que ma supercherie
Tournât si lâchement son amour en furie ?
Falloit-il, l’aveuglant d’une indiscrète erreur,
Contre une âme innocente allumer sa fureur ?
Falloit-il le forcer à dépeindre Mélite
Des infâmes couleurs d’une fille hypocrite ai ?
[Inutiles regrets, repentirs superflus.] (1633-57)

295. Var. Et que par ma main propre un juste sacrifice
De mon coupable chef venge mon artifice aj.
Avançons donc, allons sur cet aimable corps
Éprouver, s’il se peut, à la fois mille morts.
D’où vient qu’au premier pas je tremble, je chancelle ?
Mon pied, qui me dédit, contre moi se rebelle.
[Quel murmure confus ! et qu’entends-je hurler ?] (1633-57)

296. Var. Et dont les neuf remplis ceignent ces tristes lieux,
Ne te colère point contre mon insolence,
[Si j’ose avec mes cris violer ton silence.]
Ce n’est pas que je veuille, en buvant de ton eau,
Avec mon souvenir étouffer mon bourreau ;
Non, je ne prétends pas une faveur si grande ;
Réponds-moi seulement, réponds à ma demande ;
As-tu vu ces amants ? Tirsis est-il passé ?
Mélite est-elle ici ? Mais que dis-je ? insensé !
Le père de l’oubli, dessous cette onde noire,
Pourroit-il conserver tant soit peu de mémoire ?
Mais de rechef que dis-je ? Imprudent ! je confonds
Le Léthé pêle-mêle et ces gouffres profonds ;
Le Styx, de qui l’oubli ne prit jamais naissance,
De tout ce qui se passe a tant de connoissance,
Que les Dieux n’oseroient vers lui s’être mépris.
Mais le traître se tait, et tenant ces esprits
Pour le plus grand trésor de son funeste empire,
De crainte de les perdre, il n’en ose rien dire.
Vous donc, esprits légers, qui, faute de tombeaux. (1633-57).

297. Var. Dites, et je promets d’employer mon crédit. (1633-60)

298. Var. Monsieur, que faites-vous ? Votre raison s’égare :
Voyez qu’il n’est ici de Styx ni de Ténare ;
Revenez à vous-même. [ér. Ah ! te voilà, Charon.] (1633-57)

299. Var. Monsieur, rentrez en vous, contemplez mon visage. (1633-57)

300. Fondre, aller au fond, s’engloutir.

301. Var. [Il n’en aura que trop d’Éraste et de ses crimes ak.]
Clit. Il vaut mieux esquiver, car avecque des fous al
Souvent on ne rencontre à gagner que des coups :
Si jamais un amant fut dans l’extravagance,
Il s’en peut bien vanter avec toute assurance.
éraste, se jetant sur ses épaulesam.
Tu veux donc échapper à l’autre bord sans moi ?
[Si faut-il qu’à ton cou je passe malgré toi.] (1633-57)

302. Ce jeu de scène est omis dans l’édition de 1660 ; dans celle de 1664, il est placé entre les deux derniers vers de la scène. Voyez p. 223, note c.

303. Var. Rival injurieux, dont l’absence importune. (1633-57).

304. Var. [Retarde le succès de ma bonne fortune,]
Et qui, sachant combien m’importe ton retour,
De peur de m’obliger n’oserois voir le jour,
As-tu sitôt perdu cette ombre de courage
Que te prêtoient jadis les transports de ta rage ?
Ce brusque mouvement d’un esprit forcené
Relâche-t-il sitôt ton cœur efféminé ?
[Que devient à présent cette bouillante envie.] (1633)

305. On lit dans l’édition de 1654 : « Il ne tient plus à toi, » pour « qu’à toi. » C’est évidemment une faute, ainsi qu’à la page suivante, la leçon de 1657 v. 1359 : « Détachez Ixion ; » et au vers 1360 le singulier mégère, pour mégères, dans les éditions de 1660-64.

306. Var. Ai-je, prenant le front de cet audacieux. (1633-57)
Var. Ai-je, prenant le front de cet ambitieux. (1660-64)

307. Var. Vous travaillez en vain, bourrelles Euménides. (1633-60)

308. Var. Il semble à ces discours qu’il ait perdu le sens. (1633-57)

309. Var. Car des lettres qu’il a de la part de Mélite,
Autre que cette main n’en a pas une écrite. (1633-57)

310. Var. Je te laisse impuni, perfide, tes remords. (1633)
Var. Je te laisse impuni, traître, car tes remords. (1644-57)
Var. Je te laisse impuni, de si cuisants remords. (1660)

311. Bien que Claveret ne conteste pas à Corneille l’invention de la frénésie d’Éraste (voyez plus haut, p. 128), on pourrait être tenté de croire que notre poëte en a pris l’idée dans la Climène de C. S. sieur de la Croix, représentée, suivant les frères Parfait, en 1628 (Histoire du théâtre françois, tome IV, p. 401). Le berger Liridas, pensant que Climène est morte, devient fou de chagrin ; dans son délire, il veut obliger un magicien, qu’il prend pour Pluton, à rendre la vie à son amante, et lui dit :

Toi seul dedans ces lieux sentiras les tourments,
Sans pouvoir prendre part à nos contentements ;
J’épouserai Climène, et pour ma concubine
Je prendrai, s’il me plaît, ta femme Proserpine.

312. Var. N’en doute aucunement, ton frère n’est point mort, (1633-57)

313. Var. Si ce cœur, recevant quelque légère atteinte. (1633)

314. Var. Dont les plus furieux et plus rudes assauts
Avoient bien de la peine à m’émouvoir à faux. (1633-57)

315. Var. Qu’à cause que j’étois parfaitement honteuse. (1633-57)

316. Var. Qu’un autre an en témoignât plus de ressentiment. (1633-60)

317. Var. Mais avec tout cela confesse franchement. (1633-57)

318. Var. D’aller vite d’un mot ranimer sa maîtresse ;
Autrement je saurois te rendre ton paquet.
lis. Et moi pareillement rabattre ton caquet, (1633-57)

319. Var. Derrière la tapisserie. (1633-57) — Il est derrière le théâtre. (1663 en marge.)

320. Var. Et moi, quand je devrois passer pour Proserpine. (1633-63).

321. Var. Adieu; soûle à ton dam ton curieux désir. (1633-57)

322. Var. éraste, l’épée au poing. (1633-57) — L’épée à la main. (1660)

323. Var. La honte et le devoir leur parle de m’attendre. (1657)

324. Var. La peur renverse tout, et dans ce désarroi
Elle saisit si bien les ombres et leur roi. (1633-57)

325. Var. De leurs flambeaux puants ont éteint la lumière,
Et tiré de leur chef les serpents d’alentour,
De crainte que leurs yeux fissent quelque faux jour,
Dont la foible lueur, éclairant ma poursuite,
À travers ces horreurs me pût trahir leur fuite.
Éaque épouvanté se croit trop en danger,
Et fuit son criminel au lieu de le juger ;
Clothon même et ses sœurs, à l’aspect de ma lame,
De peur de tarder trop n’osant couper ma trame,
À peine ont eu loisir d’emporter leurs fuseaux,
Si bien qu’en ce désordre oubliant leurs ciseaux. (1633-57)

326. Var. D’où vient qu’après Éraste il n’a passé personne. (1633-60)

327. Var. Le déplorable coup du malheur advenu. (1633-60)

328. Var. Aux dépens de vos jours aggrave mon supplice. (1633-57)

329. Var. [Sans le triste secours de ce dur souvenir.]
Souvenir rigoureux de qui l’âpre torture
Devient plus violente et croît plus on l’endure.
Implacable bourreau, tu vas seul étouffer
Celui dont le courage a dompté tout l’enfer.
Qu’il m’eût bien mieux valu céder à ses furies !
Qu’il m’eut bien mieux valu souffrir ses barbaries,
Et de gré me soumettre, en acceptant sa loi,
À tout ce que sa rage eût ordonné de moi !
Tout ce qu’il a de fers, de feux, de fouets, de chaînes,
Ne sont auprès de toi que de légères peines. (1633)

330. Var. Oui, ce qu’ont les enfers, de feux, de fouets, de chaînes. (1644-63)

331. Var. De grâce, un peu de trêve, un moment, un moment. (1633)

332. Var. Il montre son épée. (1633, en marge.) — Ce jeu de scène n’est point indiqué dans les éditions de 1644-60.

333. Var. Nourrice, et qui t’amène en ces lieux pleins d’effroi ? (1633-60)

334. Var. Cliton la vit pâmer, et se troubla de sorte. (1660)

335. Var. Cet enfer, ces combats, ne sont qu’illusion.
ér. Je ne m’abuse point ; j’ai vu sans fiction
Ces monstres terrassés se sauver à la fuite. (1633-57)

336. Var. [De vrai, ce que tu dis a beaucoup d’apparence.]
Depuis ce que j’ai su de Mélite et Tirsis,
Je sens que tout à coup mes regrets adoucis
Laissent en liberté les ressorts de mon âme ;
Ma raison par ta bouche a reçu son dictame.
Nourrice, prends le soin d’un esprit égaré,
Qui s’est d’avecque moi si longtemps séparé :
[Ma guérison dépend de parler à Mélite.] (1633-57)

337. Var. [Donnez-vous le loisir de changer de visage ;]
Nous pourvoirons après au reste en sa saison.
ér. Viens donc m’accompagner jusques en ma maison ;
Car si je te perdois un seul moment de vue,
Ma raison, aussitôt de guide dépourvue,
M’échapperoil encor. la nourr. Allons, je ne veux pas. (1633-57)

338. Var. Je ne veux point d’un cœur qu’un billet aposté
Peut résoudre aussitôt à la déloyauté. (1633)

339. Var. Ma maîtresse, mon heur, mon souci, ma chère âme. (1633-57)

340. Var. [Par ces feux qui voloient de vos yeux dans les miens,)
Par mes flammes jadis si bien récompensées,
Par ces mains si souvent dans les miennes pressées,
Par ces chastes baisers qu’un amour vertueux
Accordoit au désir d’un cœur respectueux,
[Par ce que votre foi me permettoit d’attendre… ] (1633-57)

341. Var. Aucun jusqu’à ce point n’est encor parvenu ;
Mais je te changerai pour le premier venu.
phil. Tes dédains outrageux épuisent ma souffrance. (1633-57)

342. Var. Adieu : Mélite et moi nous avons de quoi rire. (1644-64)

343. Var. Ce que c’est que d’aigrir un homme de courage,
clor. Sois sûr de ton côté que ta fougue et ta rage,
Et tout ce que jamais nous entendrons de toi,
Fournira de risée, elle, mon frère et moi ao. (1633-57)

344. Var. Que par le souvenir de nos travaux passés,
Chassons-le, ma chère âme, à force de caresses ;
Ne parlons plus d’ennuis, de tourments, de tristesses
Et changeons en baisers ces traits d’œil langoureux
Qui ne font qu’irriter nos désirs amoureux.
[Adorables regards, fidèles interprètes
Par qui nous expliquions nos passions secrètes.]
Je ne puis plus chérir votre foible entretien :
Plus heureux, je soupire après un plus grand bien.
Vous étiez bons jadis, quand nos flammes naissantes
Prisoient, faute de mieux, vos douceurs impuissantes ;
Mais au point où je suis, ce ne sont que rêveurs
Qui vous peuvent tenir pour exquises faveurs :
Il faut un aliment plus solide à nos flammes,
Par où nous unissions nos bouches et nos âmes.
[Mais tu ne me dis mot, ma vie ; et quels soucis.] (1633-57)

345. Var. Fit dessus tous mes sens un véritable effort. (1633-57)

346. Var. De revivre avec toi je pris aussi l’envie. (1633-57).

347. Var. Lui faisant consentir notre heureux hyménée. (1633-57)

348. Var. Nous trouve toutes deux à sa dévotion ;
Et cependant l’abord ap des lettres d’un faussaire. (1633-57)
Var. Ne trouve plus d’obstacle à ta prétention ;
Et le premier aspect des lettres d’un faussaire. (1660)

349. Var. Furieux, enragé, tu partis de ce lieu.
tirs. Mon cœur, j’en suis honteux, mais songe que possible,
Si j’eusse moins aimé, j’eusse été moins sensible. (1633-57)

350. Var. La voix de la raison qui vient pour le dompter. (1633-57)

351. Var. Foible excuse pourtant, n’étoit que ma bonté. (1633-57)

352. Var. mél. Mais apprends-moi l’auteur de cette perfidie.
tirs. Je ne sais quelle main pût être assez hardie. (1633-57)

353. Var. [L’amour a fait au sang un peu de trahison ;]
Mais deux ou trois baisers t’en feront la raison.
Que ce soit toutefois, mon cœur, sans te déplaire.
clor. Les baisers d’une sœur satisfont mal un frère :
Adresse mieux les tiens vers l’objet que je voi aq.
tirs. De la part de ma sœur reçois donc ce renvoi.
mél. Recevoir le refus d’un autre ar ! à Dieu ne plaise !
tirs. Refus d’un autre, ou non, il faut que je te baise,
Et que dessus ta bouche un prompt redoublement
Me venge des longueurs de ce retardement.
clor. À force de baiser vous m’en feriez envie :
Trêve. tirs. Si notre exemple à baiser te convie,
Va trouver ton Philandre, avec qui tu prendras
De ces chastes plaisirs autant que tu voudras.
clor. À propos, je venois pour vous en faire un conte.
Sachez donc que, sitôt qu’il a vu son méconte,
[L’infidèle m’a fait tant de nouveaux serments.] (1633-57)

354. Var. Au moins tous ses discours n’ont encor rien gagné. (1633-57)

355. Var. Qu’inférez-vous par là? [clor. Que son humeur volage.] (1633-57)

356. Var. Paravant que l’hymen, d’un joug inséparable. (1633)
Var. Avant que de l’hymen le joug inséparable. (1644-57)

357. Var. Me soumettant à lui, me rendit misérable.
Qu’il cherche femme ailleurs, et pour moi, de ma part. (1633-57)

358. Var. Si vous veux-je pourtant remettre bien ensemble (1633-57)

359. Var. Ne l’entreprenez pas, possible qu’après tout. (1633-44 et 52-57)

360. Il y a nourrice, sans article, dans les éditions de 1633-52.

361. En marge, dans l’édition de 1633 : La Nourrice paroit à l’autre bout du théâtre, avec Éraste, l’épée nue à la main, et ayant parlé à lui quelque temps à l’oreille, elle le laisse à quartier (voyez p. 93, note 2), et s’avance vers Tirsis.

362. Var. Tous nos pensers sont dus à ces chastes délices
Dont le ciel se prépare à borner nos supplices :
Le terme en est si proche, il n’attend que la nuit.
Vois qu’en notre faveur déjà le jour s’enfuit,
Que déjà le soleil, en cédant à la brune,
Dérobe tant qu’il peut sa lumière importune,
Et que pour lui donner mêmes contentements
Thétis court au-devant de ses embrassements.
la nourr. Vois toi-même un rival qui, la main à l’épée,
Vient quereller sa place à faux titre occupée,
Et ne peut endurer qu’on enlève son bien.
Sans l’acheter au prix de son sang et du tien.
mél. Retirons-nous, mon cœur. tirs. Es-tu lassé de vivre?
clor. Mon frère, arrêtez-vous. tirs. Voici qui t’en délivre :
Parle, tu n’as qu’à dire, éraste, à Mélite. Un pauvre criminel,
[À qui l’âpre rigueur d’un remords éternel.] (1633-57)

363. Var. la nourrice, montrant Éraste. (1644-57)

364. Var. De sortir de torture en sortant de la vie,
Vous apporte aujourd’hui sa tête à l’abandon,
Souhaitant le trépas à l’égal du pardon.
Tenez donc, vengez-vous de ce traître adversaire,
Vengez-vous de celui dont la plume faussaire
Désunit d’un seul trait Mélile de Tirsis,
Cloris d’avec Philandre. mélite, à Tirsis. À ce compte, édaircis
Du principal sujet qui nous mettoit en doute,
Qu’es-tu d’avis, mon cœur, de lui répondre ? (1633-57)

365. À quartier, à l’écart : voyez la note 2 de la p. 93.

366. Var. Vite, dépêchez-vous d’abréger mon supplice. (1633)

367. Toutes les éditions portent : « Nous nous sommes rendus. » Voyez l’introduction du Lexique.

368. Var. Et de ce que l’excès de ma douleur amère. (1633-57)

369. Var. Ils tiennent le passé dedans l’indifférence. (1633-57)

370. Var. Celui qui l’en tira pût entrer en sa place. (1633-60)

371. Var. Éraste, qu’un pardon purge de tous forfaits,
Est prêt de réparer les torts qu’il vous a faits.
Mélite répondra de sa persévérance :
Il ne l’a pu quitter qu’en perdant l’espérance ;


Encore avez-vous vu son amour irrité
Faire d’étranges coups en cette extrémité ;
Et c’est avec raison que sa flamme contrainte. (1633-57)

372. Var. Ses amoureux desirs, vers elle superflus. (1633-57)

373. Var. Bien que dedans tes yeux tes sentiments se lisent (1633-57)

374. Var. Excusable pudeur, soit donc, je le consens,
Trop sûr que mon avis s’accommode à ton sens. (1633-57).

375. En marge, dans l’édition de 1633 : Il parle à Éraste et lui baille la main de Cloris.

376. Var. Jusqu’à ce que ma belle après vous m’ait permis. (1633-57)

377. Var. Oui, jusqu’à cette nuit, qu’ensemble, ainsi que nous,
Vous goûterez d’Hymen les plaisirs les plus doux.
clor. Ne le présumez pas, je veux après Philandre as
L’éprouver tout du long de peur de me méprendre.
la nourr. at Mais de peur qu’il n’en fasse autant que l’autre a fait,
Attache-le d’un nœud qui jamais ne défait.
[clor. Vois prodiguez en vain vos foibles artifices.] 1633-57)

378. Var. Vous vous rendrez sensible à son naissant amour. (1660)

379. Var. Dont un destin meilleur m’a mise en impuissance. (1633-57)

380. Var. la nourr. au Tu ferois mieux de dire : À ses propres plaisirs. (1633-57)

381. Var. éraste, à Cloris. (1648)

382. Var. Et dans un point où gît tout mon contentement.
Comme partout ailleurs, suivez leur jugement. (1633-57)

383. Var. cloris, à Éraste. (1648)

384. Var. Ayant eu son avis, sans craindre un repentir.
Ton mérite et sa foi m’y feront consentir. (1633-57)

385. Var. Nourrice, va t’offrir pour nourrice à Philandre. (1633)

386. Cette indication manque dans les éditions de 1633-60.

387. Var. Vous êtes bien pressés de me laisser ainsi. (1633-48)
Var. Vous êtes bien hâtés de me quitter ainsi. (1664 et 68)

388. Var. Allez, je vais vous faire à ce soir telle niche,
Qu’au lieu de labourer, vous lairrez tout en friche av. (1633-48)





COMPLÉMENT


DES VARIANTES.


――――――


1010* [Ah ! si mon fou de frère en pouvoit faire autant,]
Qu’en ce plaisant malheur je serois satisfaite !
Si je puis découvrir le lieu de sa retraite,
Et qu’il me veuille croire, éteignant tous ses feux.
Nous passerons le temps à ne rire que d’eux.
Je la ferai rougir, cette jeune éventée,
Lorsque, son écriture à ses yeux présentée
Mettant au jour un crime estimé si secret,
Elle reconnoitra qu’elle aime un indiscret.
Je lui veux dire alors, pour aggraver l’offense.
Que Philandre, avec moi toujours d’intelligence.
Me fait des contes d’elle et de tous les discours
Qui servent d’aliment à ses vaines amours ;
Si qu’à peine il reçoit de sa part une lettre aw,
Qu’il ne vienne en mes mains aussitôt la remettre.
La preuve captieuse et faite en même temps
Produira sur-le-champ l’effet que j’en attends.


SCÈNE VI.

PHILANDRE.

Donc pour l’avoir tenu si longtemps en haleine,
Il me faudra souffrir une éternelle peine,
Et payer désormais avecque tant d’ennui
Le plaisir que j’ai pris à me jouer de lui ?
Vit-on jamais amant dont la jeune insolence
Malmenât un rival avec tant d’imprudence ?
Vit-on jamais amant dont l’indiscrétion
Fût de tel préjudice à son affection ?
Les lettres de Mélite en ses mains demeurées,
En ses mains, autant vaut, à jamais égarées,
Ruinent à la fois ma gloire, mon honneur,
Mes desseins, mon espoir, mon repos et mon heur.
Mon trop de vanité tout au rebours succède :
J’ai reçu des faveurs, et Tirsis les possède,
Et cet amant trahi convaincra sa beauté
Par des signes si clairs de sa déloyauté.
C’est mal avec Mélite être d’intelligence
D’armer son ennemi, d’instruire sa vengeance ;
Me pourra-t-elle après regarder de bon œil ?
M’oserois-je en promettre un gracieux accueil ?
Non, il les faut ravoir des mains de ce bravache ax,
Et laver de son sang cette honteuse tache ay.
De force ou d’amitié, j’en aurai la raison :
Je m’en vais l’affronter jusque dans sa maison az.
Et là, si je le trouve, il faudra que sur l’heure,
En dépit qu’il en ait, il les rende ou qu’il meure.


SCÈNE VII.

PHILANDRE, CLORIS.

philandre, frappant à la porte de Tirsisba.
Tirsis ! clor. Que lui veux-tu ? phil. Cloris, pardonne-moi.
Si je cherche plutôt à lui parler qu’à toi :
Nous avons entre nous quelque affaire qui presse.
clor. Le crois-tu rencontrer hors de chez sa maîtresse ?
phil. Sais-tu bien qu’il y soit ? clor. Non pas assurément ;
Mais j’ose présumer que, l’aimant chèrement,
Le plus qu’il peut de temps, il le passe chez elle.
phil. Je m’en vais de ce pas le trouver chez la belle bb.
Adieu, jusqu’au revoir. Je meurs de déplaisir.
clor. Un mot, Philandre, un mot : n’aurois-tu point loisir
De voir quelques papiers que je viens de surprendre ?
phil. Qu’est-ce qu’au bout du compte ils me pourroient apprendre bc ?
clor. Peut-être leurs secrets : regarde, si tu veux
Perdre un demi-quart d’heure à les lire nous deux.
phil. Hasard, voyons que c’est, mais vite et sans demeure :
Ma curiosité pour un demi-quart d’heure
Se pourra dispenser. clor. Mais aussi garde bien
Qu’en discourant ensemble il n’en découvre rien.
Promets-le-moi, sinon…
[philandre, reconnoissant les lettresbd.
Promets-le-moi, sinon…_Cela s’en va sans dire,
Donne, donne-les-moi, tu ne les saurois lire,
Et nous aurions ainsi besoin de trop de temps.]
cloris, resserrant les lettresbe.
[Philandre, tu n’es pas encore où tu prétends :]
Assure, assure-toi que Cloris te dépite
De les ravoir jamais que des mains de Mélite bf,
À qui je veux montrer, avant qu’il soit huit jours,
La façon dont tu tiens secrètes ses amours bg.


SCÈNE DERNIÈRE bh.

PHILANDRE.

Confus, désespéré, que faut-il que je fasse ?
J’ai malheur sur malheur, disgrâce sur disgrâce.
On diroit que le ciel, ami de l’équité,
Prend le soin de punir mon infidélité.
Si faut-il néanmoins, en dépit de sa haine,
Que Tirsis retrouvé me tire hors de peine :
Il faut qu’il me les rende, il le faut, et je veux
Qu’un duel accepté les mette entre nous deux ;
Et si je suis alors encore ce Philandre,
Par un détour subtil qu’il ne pourra comprendre,
Elles demeureront, le laissant abusé,
Sinon au plus vaillant, du moins au plus rusé bi. (1633-57)





*. Les chiffres qui sont à la fin des variantes, entre parenthèses, marquent les dates des éditions d’où elles sont tirées. Le premier chiffre seul est entier ; il faut suppléer 16 devant les suivants. 1633-57 signifie que la variante se trouve dans toutes les éditions publiées de 1633 à 1657 inclusivement.
Les variantes trop longues pour figurer au bas des pages sont données à la suite de la pièce.

b. L’édition de 1657 donne, par erreur sans doute, seule, au lieu de sale.

c. Il y a Tirsis, au lieu de Tircis, dans toutes les éditions antérieures à 1660.

d. Dans l’édition de 1657 : « aux côté d’une femme. » La faute est-elle à l’article ou au nom, et faut-il lire au côté ou aux côtés ?

e. Conte, compte. C’est l’orthographe constante de Corneille (voyez p. 9, note 1). Nous la conservons à la rime.

f. Vois que c’est m’offenser que de parler ainsi. (1648)

g. Pour qui ne vaudroit pas l’offre de mon service. (1648)

h. Le pourrai-je obtenir ? clor. Pour si peu qu’un baiser. (1644-57)

i. En marge, dans l’édition de 1633 : Il les surprend sur ce baiser.

j. Qu’elle ne craint ici ta langue, ni tes yeux. (1644-57)

k. L’acte finit ici dans les éditions indiquées.

l. Mais il faut que chacun suive sa destinée. (1644-57)

m. Voyez la note relative à la première variante de la page 150.

n. Après ce vers commence, sous le titre de scène v, notre scène iv, entre Tircis et Cloris.

o. Au sujet de cette leçon, qui figure, comme on le voit, dans plusieurs éditions, on lit dans les Fautes notables survenues pendant l’impression (édit de 1663, tome I, p. ix) : « Qu’il n’y a rien, » lisez : « qu’il n’y va rien. »

p. Mais sais-tu depuis quand ? (1654)

q. Son pour ton, dans l’édition de 1657, est évidemment une faute.

r. On prend au premier bond les hommes de la sorte. (1652-57)
On prend soudain au mot les hommes de la sorte. (1660)

s. De peur qu’avec le temps ils n’éteignent leur feu. (1644-57)

t. De caution, de gage. Voyez le Lexique.

u. Mélite te veut croire autant et plus que lui. (1652-64)

v. tirsis, lui coulant le sonnet dans le bras. (1644 et 48)

w. On lit dans toutes les éditions indiquées : toute autre, pour tout autre.

x. Je n’en veux et n’en ai point d’autres que sa foi. (1644-57)

y. Voyez p. 161, note 4.

z. Ces quatre vers : « Mais que par, etc., » ne sont que dans l’édition de 1633.

aa. Et cette humeur légère a bien su rechercher. (1644-57)

ab. Ces quatre vers : « Cependant que, leurré, etc., » ne sont que dans l’édition de 1633.

ac. Cependant je croyois à sa mine embrasée. (1644-57)

ad. Ces quatre vers : « Aussi ma prompte mort, etc., » ne sont que dans l’édition de 1633.

ae. Voyez plus loin, p. 252 et 253, quelle est la variante de ce jeu de scène dans l’édition de 1633, et celle du jeu de scène suivant dans les éditions de 1644-57.

af. Dans l’édition de 1667, probablement par erreur :
Parce que tous les jours, en tes affections,
Tu reçois du profit de mes instructions.

ag. Avant qu’elle ait rien su de notre intention. (1654)

ah. Les éditions de 1633 et de 1644 donnent, mais par erreur sans doute : « ses malheurs, » pour « ces malheurs. »

ai. Les quatre derniers vers, depuis : « Falloit-il, l’aveuglant, etc., » ne sont que dans l’édition de 1633.

aj. Ces deux vers, ainsi que les vers 1301 et 1302 du texte, manquent dans les éditions de 1644-57.

ak. Il n’en aura que trop d’Éraste, de ses crimes. (1657)

al. Il vaut mieux se tirer, car avecque des fous, (1644-57)

am. Il se jette sur les épaules de Cliton, qui l’emporte du théâtre. (1633, en marge.)

an. Il y a plus loin un semblable emploi du masculin dans le vers 1387 de Clitandre. Voyez le Lexique ; voyez aussi la première variante de la p. 241 et la huitième de la p. 365.

ao. C’est la fin de la scène iii dans les éditions indiquées

ap. L’édition de 1657 donne, par erreur, d’abord, pour l’abord.

aq. Dans les éditions de 1644-57, le morceau qui suit remplace les douze vers précédents : « Adresse mieux les tiens, etc. , » qui ne sont que dans celle de 1633 :

tirs. Autant que ceux d’un frère une sœur, et je croi
Que tu baiserois mieux ton Philandre que moi.
clor. Mon Philandre, il se trouve assez loin de son conte.
tirs. Un change si soudain lui donne un peu de honte,
[clor. L’infidèle m’a fait tant de nouveaux serments.] (1644-57)

ar. Il y a le masculin : d’un autre, à ce vers et au suivant, dans l’édition de 1633, qui seule donne ces deux vers. Voyez la variante du vers 1425 de Mélite

as. Ne le présumes (sic) pas. je veux après Philandre. (1633)

at. la nourrice, à Cloris. (1648)

au. la nourrice, à Mélite. (1648)

av. Ces deux vers terminent la pièce dans les éditions indiquées.

*. Le chiffre placé au commencement d’une variante marque à quel vers du texte elle se rapporte.

aw. Si bien qu’il en reçoit à grand peine une lettre. (1644-57)

ax. Non, il les faut avoir des mains de ce bravache. (1648)

ay. Et laver dans son sang cette honteuse tache. (1644-57)

az. Je le vais quereller jusque dans sa maison. (1644-57)

ba. Ce jeu de scène manque dans l’édition de 1633.

bb. Je m’en vais de ce pas le voir chez cette belle. (1644-57)

bc. Qu’est-ce que par leur vue ils me pourroient apprendre ? (1644-57)

bd. Il reconnoit les lettres et tâche de s’en saisir, mais Cloris les resserre. (1633, en marge.)

be. Ce jeu de scène n’est pas indiqué dans l’édition de 1633.

bf. De les avoir jamais que des mains de Mélite (1648)

bg. En marge, dans l’édition de 1633 : Elle lui ferme la porte au nez.

bh. Dans les éditions de 1644-57 : scène viii.

bi. Ici finit le IIIe acte.