Mélite/Acte 1/Scène 4

Mélite
(Édition Marty-Laveaux 1910)
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SCÈNE IV.


PHILANDRE, CLORIS.



PHILANDRE.


Je meure, mon souci, tu dois bien me haïr :
Tous mes soins depuis peu ne vont qu’à te trahir.


CLORIS.


Ne m’épouvante point : à ta mine, je pense
Que le pardon suivra de fort près cette offense,
Sitôt que j’aurai su quel est ce mauvais tour.


PHILANDRE.


Sache donc qu’il ne vient sinon de trop d’amour.


CLORIS.


J’eusse osé le gager qu’ainsi par quelque ruse
Ton crime officieux porteroit son excuse 80.


PHILANDRE.


Ton adorable objet, mon unique vainqueur,
Fait naître chaque jour tant de feux en mon cœur,
Que leur excès m’accable, et que pour m’en défaire
J’y cherche des défauts qui puissent me déplaire 81.
J’examine ton teint dont l’éclat me surprit,
Les traits de ton visage, et ceux de ton esprit ;
Mais je n’en puis trouver un seul qui ne me charme 82.


CLORIS.


Et moi, je suis ravie, après ce peu d’alarme.
Qu’ainsi tes sens trompés te puissent obliger
À chérir ta Cloris, et jamais ne changer.


PHILANDRE.


Ta beauté te répond de ma persévérance,
Et ma foi qui t’en donne une entière assurance.


CLORIS.


Voilà fort doucement dire que sans ta foi
Ma beauté ne pourroit te conserver à moi.


PHILANDRE.


Je traiterois trop mal une telle maîtresse
De l’aimer seulement pour tenir ma promesse :
Ma passion en est la cause, et non l’effet ;
Outre que tu n’as rien qui ne soit si parfait,
Qu’on ne peut te servir sans voir sur ton visage
De quoi rendre constant l’esprit le plus volage 83.


CLORIS.


Ne m’en conte point tant de ma perfection 84 :
Tu dois être assuré de mon affection,
Et tu perds tout l’effort de ta galanterie,
Si tu crois l’augmenter par une flatterie.
Une fausse louange est un blâme secret :
Je suis belle à tes yeux ; il suffit, sois discret 85 ;
C’est mon plus grand bonheur, et le seul où j’aspire.


PHILANDRE.


Tu sais adroitement adoucir mon martyre 86 ;
Mais parmi les plaisirs qu’avec toi je ressens,
À peine mon esprit ose croire mes sens 87.
Toujours entre la crainte et l’espoir en balance
Car s’il faut que l’amour naisse de ressemblance,
Mes imperfections nous éloignant si fort,
Qu’oserois-je prétendre en ce peu de rapport ?


CLORIS.


Du moins ne prétends pas qu’à présent je te loue,
Et qu’un mépris rusé, que ton cœur désavoue,
Me mette sur la langue un babil affété,
Pour te rendre à mon tour ce que tu m’as prêté :
Au contraire, je veux que tout le monde sache
Que je connois en toi des défauts que je cache.
Quiconque avec raison peut être négligé
À qui le veut aimer est bien plus obligé.


PHILANDRE.


Quant à toi, tu te crois de beaucoup plus aimable ?


CLORIS.


Sans doute ; et qu’aurois-tu qui me fût comparable ?


PHILANDRE.


Regarde dans mes yeux, et reconnois qu’en moi
On peut voir quelque chose aussi parfait que toi 88.


CLORIS.


C’est sans difficulté, m’y voyant exprimée.


PHILANDRE.


Quitte ce vain orgueil dont ta vue est charmée.
Tu n’y vois que mon cœur, qui n’a plus un seul trait
Que ceux qu’il a reçus de ton charmant portrait 89,
Et qui tout aussitôt que tu t’es fait paroître 90,
Afin de te mieux voir s’est mis à la fenêtre.


CLORIS.


Le trait n’est pas mauvais ; mais puisqu’il te plaît tant 91.
Regarde dans mes yeux, ils t’en montrent autant,
Et nos feux tous pareils ont mêmes étincelles 92.


PHILANDRE.


Ainsi, chère Cloris, nos ardeurs mutuelles,
Dedans cette union prenant un même cours,
Nous préparent un heur qui durera toujours.
Cependant, en faveur de ma longue souffrance 93


CLORIS.


Tais-toi, mon frère vient.


Scène III

Acte I, scène IV

Scène V


80. Var. [Ton crime officieux porteroit son excuse ;]
Mais n’importe, sachons. phil. Ton bel œil mon vainqueur. (1633-57)

81. Var. Je recherche par où tu me pourras déplaire. (1633-57)

82. Var. Mais je n’en puis trouver un seul qui ne me plaise.
clor. Et moi dans mes défauts encor suis-je bien aise
Qu’ainsi tes sens trompés te forcent désormais
À chérir ta Cloris et ne changer jamais. (1633-57)

83. Var. De quoi rendre constant l’homme le plus volage. (1633-68)

84. Var. Tu m’en vas tant conter de ma perfection,
Qu’à la fin j’en aurai trop de présomption.
phil. S’il est permis d’en prendre à l’égal du mérite,
Tu n’en saurois avoir qui ne soit trop petite.
clor. Mon mérite est si peu… phil. Tout beau, mon cher souci ;
C’est me désobliger que de parler ainsi f.
Nous devons vivre ensemble avec plus de franchise :
Ce refus obstiné d’une louange acquise
M’accuseroit enfin de peu de jugement,
D’avoir tant pris de peine et souffert de tourment,
Pour qui ne valoit pas l’offre de mon service g.
clor. À travers tes discours si remplis d’artifice
Je découvre le but de ton intention :
C’est que, te défiant de mon affection,
Tu la veux acquérir par une flatterie.
Philandre, ces propos sentent la moquerie, (1633-57)

85. Var. Épargne-moi, de grâce, et songe, plus discret,
Qu’étant belle à tes yeux, plus outre je n’aspire. (1633-68)

86. Var. Que tu sais dextrement adoucir mon martyre ! (1633-63)

87. Var. À peine mon esprit ose croire à mes sens. (1633-57)

88. Var. On peut voir quelque chose aussi beau comme toi. (1633-64)

89. Var. Que ceux qu’il a reçus de ton divin portrait. (1633-60)

90. Var. Et qui tout aussitôt que tu te fais paroître,
Afin de te mieux voir se met à la fenêtre. (1648)

91. Var. Dois-je prendre ceci pour de l’argent comptant ?
Oui, Philandre, et mes yeux t’en vont montrer autant. (1633-57)

92. Var. Nos brasiers tous pareils ont mêmes étincelles. (1633-64)

93. Var. Cependant un baiser accordé par avance
Soulageroit beaucoup ma pénible souffrance.
clor. Prends-le sans demander, poltron, pour un baiser h
Crois-tu que ta Cloris te voulut refuser ?

SCÈNE V.

TIRSIS, PHILANDRE, CLORIS.

tirs. i Voilà traiter l’amour justement bouche à bouche ;
C’est par où vous alliez commencer l’escarmouche ?
Encore n’est-ce pas trop mal passé son temps.
[phil. Que t’en semble, Tirsis ?] (1633-57)



f. Vois que c’est m’offenser que de parler ainsi. (1648)

g. Pour qui ne vaudroit pas l’offre de mon service. (1648)

h. Le pourrai-je obtenir ? clor. Pour si peu qu’un baiser. (1644-57)

i. En marge, dans l’édition de 1633 : Il les surprend sur ce baiser.