Mélanges historiques/13/Texte entier

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Papineau et son Temps
Mélanges historiques
DE
BENJAMIN SULTE
VOLUME 13
Compilés, annotés et publiés par
GÉRARD MALCHELOSSE



G. DUCHARME
Libraire-Éditeur
133, RUE SAINT-LAURENT, MONTRÉAL
1925



PAPINEAU ET SON
TEMPS













(Droits réservés, Canada, 1925)


Imprimerie Adj. Menard,
133, rue Saint-Laurent, 133
Montréal

Avant-propos



L’étude que nous présentons aujourd’hui aux lecteurs de Benjamin Sulte date de 1899. C’est la substance, probablement incomplète, de trois conférences données aux États-Unis et publiées en partie, en 1900 et 1901, dans l’Indépendant, de Fall-River, Mass.

Papineau comme La Fontaine et Cartier, a eu le biographe qu’il méritait en M. A.-D. DeCelles. On ne saurait attendre mieux ou même autant de Benjamin Sulte parce que son travail est antérieur à celui de M. DeCelles. Il ajoute cependant de grands traits à l’histoire politique du pays de 1760 à 1841, et c’est ce qui nous a porté à le publier. Cette analyse critique d’une époque troublée où les nôtres ont été constamment aux prises avec les émissaires anglais qui voulaient nous en imposer paraîtra peut-être trop sévère à quelques-uns, mais elle aura l’avantage incontestable d’être juste et précise. Les opinions personnelles de Benjamin Sulte sont généralement acceptées de nos jours où l’on se rend compte, plus que jamais, du besoin de connaître les dessous de l’histoire et la philosophie des faits qui ont amené les libertés politiques dont nous jouissons à présent. Ce résumé, écrit sans programme arrêté, portera plutôt sur des comparaisons des modes de gouvernements de cette époque éloignée que sur la vie du grand tribun.

En nous reportant aux débuts du régime anglais, il paraît certain que si on nous avait imposé en 1763 une chambre élective nous aurions été fort embarrassés, faute d’éducation politique, puisque le régime français n’admettait rien de cela. Plus tard, on nous offrit une législature. Personne n’ouvrit la bouche pour l’accepter. Tant mieux. La génération qui suivit demanda une chambre populaire et elle l’eut en 1791 ; elle n’était point parfaite, bien que calquée sur celle de la Grande-Bretagne, et ne donna guère de contentement.

L’Europe marchait clopin-clopan. Les déchirements politiques qui s’y succédaient n’instruisaient personne. Le sentiment démocratique, qui paraît avoir commencé dans les masses dès les premiers rois, avait toujours eu des formes vagues, indéfinies, plutôt révolutionnaires que raisonnables. Ce sentiment n’était pas encore formulé dans son sens réel en 1800 et même plus tard, et c’est en Angleterre que l’on parvint à lui donner une marche régulière. Au lieu d’un roi responsable à Dieu et de ministres responsables au roi, ce qui ne voulait rien dire, on eut des ministres dépendants du peuple et le roi obligé d’accepter ces ministres.

En 1820 l’Angleterre et le Canada étaient gouvernés de la même façon, mais l’Angleterre plus mal que le Canada, parce que son administration étant ancienne les abus s’y étaient accumulés hors de proportion avec ce que l’on voyait dans la colonie qui commençait à vivre politiquement. En Angleterre, comme ici, on réclamait des réformes, sans cependant dire de quelle manière il faudrait s’y prendre pour les réaliser. La cause du mal résidait dans ce fait que le roi et son entourage gouvernaient en opposition aux Communes. Les whigs ou libéraux n’avaient pas encore découvert la vérité ; celle-ci n’éclata point, mais s’infiltra avec lenteur, durant trente, quarante ans, un peu partout, et finit par éclairer le monde vers 1850.

Les luttes que Papineau a conduites n’avaient point pour objet de flétrir des concussionnaires ni un monde pourri comme celui d’Angleterre alors, mais plutôt de convaincre nos adversaires de la justesse de nos vues en fait d’administration. Elles ne ressemblaient donc pas à la révolution qui s’élève contre l’iniquité des gouvernants et cherche à les écraser étant persuadée qu’elle ne peut les transformer pour le mieux.

Il va de soi que, après avoir combattu pendant plus de vingt ans pour obtenir une série de réformes dont la majeure partie lui avait été refusée, Papineau déposait dans sa liste de griefs — les Quatre-vingt-douze Résolutions — la substance des multiples questions soulevées au cours de ce long débat. Il pouvait compter sur l’entendement de la masse du peuple puisque toutes ces questions avaient été débattues, commentées et mises en évidence plusieurs fois dans les assemblées publiques. L’éducation des électeurs était faite sur tous ces points, éducation lente si l’on veut, mais aussi rapide au moins que celle de n’importe quel peuple au monde, car il faut bien du temps pour qu’un programme politique nouveau soit compris de la majorité des hommes.

Le sort des Canadiens français était lié aux Quatre-vingt-douze Résolutions. C’était Jules César passant le Rubicon, Fernand Cortez brûlant ses vaisseaux, enfin un ultimatum à l’Angleterre. Un refus s’opposa à ces demandes de réformes. Alors, il ne nous restait que la révolte. C’est pourquoi plusieurs députés, et bientôt tous ceux des districts de Québec et des Trois-Rivières ne voulurent pas suivre Papineau dans cette démarche. Si les administrateurs que l’Angleterre nous envoyait n’eussent pas été aussi intransigeants, la situation ne serait pas devenue si tendue. Papineau a eu à combattre un gouvernement odieux et il n’a peut-être pas eu tort d’y mettre une fougue parfois exaltée.

« Papineau n’était pas un utopiste, a dit ailleurs Benjamin Sulte.[1] Ce qu’il a demandé à travers sa carrière politique était parfaitement praticable. Seulement, comme tous les agitateurs, il devançait le temps, et encore, sur ce point, on ne peut pas dire qu’il allait trop vite puisqu’il est reconnu aujourd’hui que la plupart des réformes invoquées par lui auraient dû être concédées dès 1830. » Si les circonstances eussent permis à Papineau de patienter six ou sept ans encore, la prise d’armes désastreuse de 1837-38 n’aurait probablement pas été nécessaire. On peut conjecturer, cependant, que le soulèvement ne fut pas inutile. La responsabilité des patriotes aurait été moindre s’ils n’avaient pas cherché l’appui des Américains. Durant la longue période de nos luttes pour agrandir les libertés politiques du Bas-Canada nous n’avions jamais invoqué le soutien de l’étranger ni cherché à attirer les sympathies des puissances.

Le malheur de Papineau est d’avoir survécu aux vingt années (1817-37) où il fut le chef du Bas-Canada, ou, plutôt, d’être retourné en 1847 sur le terrain de la politique active sans avoir compris qu’il entrait dans un monde nouveau.[2] Il tenta, en effet, de reprendre la lutte au point où il l’avait laissée avant son exil. D’autres défenseurs de nos droits, également remarquables, l’avaient supplanté et avaient su tirer de l’Union, faite pour nous anéantir, un parti inespéré. Laissé entre deux bureaux, Papineau abandonna la politique pour toujours. Mais sa mémoire ne saura périr. Toujours on se souviendra des loyaux et utiles services de ce patriote sincère qui, jusqu’à la mort, restera l’incarnation des plus belles vertus canadiennes. La postérité, qui ne l’oubliera pas plus longtemps, lui élèvera un monument digne du souvenir et fera graver dans le marbre ou le granit ces paroles qu’un Canadien anglais disait de Papineau : « He forced the Imperial authorities to grant Lower Canada a larger measure of self government. »

Gérard MALCHELOSSE.


Montréal, 14 mai 1925.



Papineau et son temps

I

Le nom de Papineau est répandu, depuis trois ou quatre siècles, dans le Poitou et dans les environs de La Rochelle. L’histoire du commerce de cette dernière ville renferme la mention de plusieurs membres de cette famille qui exerçait une forte influence dans les affaires de la région.

La lignée d’où est sorti l’honorable Louis-Joseph Papineau commence au Canada par Samuel Papineau dit Montigny, né en 1670 dans la ville de Montigny, près Bordeaux, en Poitou, fils de Samuel Papineau et de Marie Delain. Il était arrivé au pays en qualité de soldat. Il s’établit à la Rivière-des-Prairies, au nord de Montréal, où, le 6 juin 1704,[3] il épousa Catherine, fille d’Adrien Quevillon, cordier, né en 1641 et mort avant 1697, de Rouen, et de Jeanne Hunault. Agée de vingt-cinq ans au recensement de Montréal en 1681, cette dernière était fille de Toussaint.

Catherine Quevillon avait été baptisée à la Pointe-aux-Trembles de Montréal, le 14 mars 1686, au moment où la guerre des Iroquois recommençait. En 1689, elle fut enlevée par ces Sauvages, avec l’une de ses sœurs âgée de sept ans qui fut brûlée. Après plusieurs années, Catherine, ayant été rachetée par les Français, rentra dans sa famille. Mariée à Montréal, le 30 juillet 1703 avec Guillaume Lacombe dit Saint-Amant, elle devint veuve peu après et épousa Samuel Papineau.

Le ménage Papineau fit baptiser neuf enfants à Montréal de 1705 à 1727 : Marguerite, Catherine, Louise, François, Pierre, Jean-Baptiste, Joseph, Michel, Louis. Samuel Papineau fut inhumé au Sault-au-Récollet le 23 avril 1737. Sa veuve se remaria avec Jacques Daniel, au Sault-au-Récollet, le 3 avril 1742. En quatrième noces, elle épousa Jean-Baptiste de Verac, le 18 février 1754.

Les neuf enfants de Samuel Papineau se sont mariés et leur descendance est nombreuse.

Joseph, né le 19 mars 1719, épousa le 17 février 1749 Josette Beaudry à la Longue-Pointe, et s’établit à Montréal où, en 1763, il tenait une boutique de tonnelier sur la rue Bonsecours, coin Saint-Paul. C’est là qu’il mourut le 8 septembre 1785.

Joseph, son fils, né à Montréal le 16 octobre 1752, fut notaire ; il épousa, à Montréal, le 23 août 1779, Rosalie Cherrier. Nous parlerons de sa carrière politique.

Louis-Joseph, fils de ce dernier, naquit à Montréal le 7 et fut baptisé le 10 octobre 1786 (et non pas 1789). Il épousa, le 29 avril 1818, Julie Bruneau, de Québec.[4]

Ces deux derniers furent des hommes remarquables.

Joseph, né en 1752, étudia au séminaire tenu par les Sulpiciens de Montréal[5] et s’y distingua par la facilité avec laquelle il apprenait ce qu’on lui enseignait.

Le bureau de M. Delisle, dans lequel il fit sa cléricature,[6] était le rendez-vous des hommes qui s’occupaient de politique, bien que ce mot n’eût à peu près aucun cours à cette époque. On demandait des réformes. Tout le gouvernement était compris dans la personne du gouverneur et, bien que le général Guy Carleton fût un brave garçon, un habile administrateur, un bon ami des Canadiens, cela ne garantissait pas le régime qu’il plairait à son successeur de nous faire suivre. Les gens intelligents causaient de la situation et le jeune Joseph Papineau écoutait, sans se douter que vingt ans plus tard il représenterait les intérêts de ses compatriotes et que son fils Louis-Joseph livrerait pour eux des combats oratoires dont retentiraient tous les échos du pays.

Le 20 juillet 1773, Joseph Papineau était reçu arpenteur breveté et le 19 juillet 1780 il devenait notaire. La maison de Saint-Sulpice lui donna sa clientèle.

Dès l’année 1776, il eut occasion de manifester ses sentiments de patriotisme. L’armée américaine occupait Montréal et le reste de la contrée jusqu’à Québec. La vieille forteresse était assiégée ; mais, défendue par la milice canadienne, elle tenait bon en attendant des nouvelles d’Angleterre. Il n’y avait pas plus d’un régiment dans tout le Canada. Un navire arriva sur les côtes de Boston en janvier et livra des dépêches qu’un messager secret apporta à Montréal. Pour transmettre ces papiers à Québec, où le général Guy Carleton était enfermé par les troupes américaines, il fallait courir des risques très sérieux, sans compter que l’on n’était nullement certain de réussir. Joseph Papineau s’offrit, avec un compagnon nommé Lamothe, qui a laissé une belle famille parmi nous. Le fils de Lamothe rendit des services signalés durant et après la bataille de Chateauguay en 1813.

Les deux Canadiens se mirent en route à pied, par la rive sud du Saint-Laurent et, de presbytère en presbytère, ils atteignirent la pointe Lévis. L’histoire des tentatives qu’ils firent pour traverser le fleuve sans être vus des sentinelles et des patrouilles américaines fait penser aux ruses des trappeurs de Fenimore Cooper.

Un jour, ils mirent leurs chemises blanches par-dessus leurs habits et se couvrirent la tête de tuques blanches ; dans cet accoutrement ils marchaient à quatre pattes, se cachant le plus possible derrière les blocs de glace qui formaient çà et là des ondulations sur la traverse du fleuve. Rendus près de la ville, les sentinelles canadiennes les prirent pour des ours blancs ou quelque chose de ce genre et voulurent leur envoyer du plomb. Par bonheur, ils se firent reconnaître à temps, et bientôt après le gouverneur recevait les précieuses lettres qui annonçaient de grands secours dès l’ouverture de la navigation. Là-dessus, les miliciens firent la promesse de tenir bon jusqu’à l’arrivée de la flotte, et l’on sait qu’ils ne reculèrent pas.

Papineau et Lamothe, ne voulant pas se faire pendre par les Américains en retournant chez eux, devinrent soldats de la garnison de Québec dans la compagnie du capitaine Marcoux et ne rentrèrent à Montréal qu’après le départ des troupes étrangères du Canada.[7]

M. Delisle fut chargé en 1783 d’aller en Angleterre, avec deux autres délégués, demander une constitution pour la colonie.[8] C’était l’époque où Pierre Ducalvet, sortant des prisons de Québec, publiait à Londres un livre intitulé Appel à la justice, et réclamait le gouvernement responsable pour le Bas-Canada.

Jusque-là, Joseph Papineau avait travaillé à s’instruire et il savait parfaitement quelle différence il y a entre un gouvernement absolu, comme celui de la monarchie française, et un État constitutionnel comme l’Angleterre. En un mot, il était armé pour l’avenir et avait réfléchi sur la conduite qu’il devait tenir si jamais il entrait dans la vie publique. De 1783 à 1790, il employa toute son influence pour décider ses compatriotes à signer les pétitions qui furent envoyées en Angleterre, dans lesquelles on demandait une chambre élective et, au nom des Canadiens, des droits égaux à ceux des Anglais. C’est alors que son talent oratoire se révéla.

Aux élections de 1792, les premières qui eurent lieu en ce pays, il devint député du comté de Montréal-Est. En 1796, il représenta Montréal-Ouest avec Denis-Benjamin Viger, et en 1800 le comté de Montréal-Est l’élit de nouveau.

Dès les premières séances de 1792 il prit place à la tête de la chambre d’assemblée par la justesse de ses vues, l’éloquence de sa parole et, mérite très appréciable, l’art de procéder avec ordre et de profiter de toutes les chances qui s’offrent dans un débat. Il fut le principal champion des Canadiens et dépassa Pierre Bédard aussi bien que Chartier de Lotbinière, deux hommes de grande valeur cependant. Joseph Papineau était né en 1752 et Pierre Bédard en 1763. Tous deux disparurent de la vie parlementaire presque en même temps.

La taille imposante, le geste sobre et bien calculé, la voix sonore, une figure aux grands traits et pleine de vie, le flot des paroles coulant comme l’eau d’une source, rendaient Joseph Papineau admirable, et ses adversaires eux-mêmes faisaient son éloge. Il avait l’estime de tout le monde. Sa vie privée en faisait un modèle du citoyen utile et respectable.

Aux élections de 1800, il refusa de se porter candidat parce qu’il voulait consacrer son temps et ses ressources à l’éducation de ses enfants, les députés n’étant pas indemnisés pour leurs services. Il fut élu quand même, mais n’ayant assisté ni à la session de 1802 ni à celle de 1803, la chambre ordonna au sergent d’armes de le faire comparaître. Le 4 mars 1803, il parut à la barre de l’assemblée législative et supplia ses collègues de l’exempter de siéger, ce qui lui fut accordé après un assez long débat.

Lorsque la chambre fut dissoute, en 1804, il ne voulut pas y rentrer cette fois encore, à cause de l’état de ses affaires personnelles, qu’il avait négligées pour servir le public.[9] Mais en 1810, voyant que le gouverneur James Craig était déterminé à écraser les Canadiens, il se fit élire à Montréal-Est, et reprit la direction qu’il avait eue autrefois. Toutes les difficultés paraissant aplanies en 1814, il se retira définitivement et vécut encore de longues années entouré du respect universel.

La seigneurie de la Petite-Nation avait été concédée à Mgr de Laval le 27 novembre 1674, mais était restée en bois debout jusqu’à 1802, alors que Joseph Papineau l’acheta du séminaire de Québec.[10] On a prétendu que c’était l’une des plus anciennes seigneuries du Canada, mais au contraire c’est la plus récente. Les deux Papineau y travaillèrent pour s’en faire un gagne-pain et vraiment, avant 1850, elle ne rapportait guère, de sorte que Joseph Papineau mourant à Montréal le 8 juillet 1841, n’en avait encore tiré que peu de chose. Il s’y était établi, en 1810,[11] et commença à y attirer des colons de sa race. Il était le seul Français fixé sur l’Ottawa ; car les Irlandais n’apparurent dans cette région qu’à l’ouverture des exploitations de bois en 1812, et se portèrent tout d’abord au fort Coulonges, où les Canadiens ne tardèrent pas à les suivre.

Montebello est la plus ancienne paroisse du diocèse d’Ottawa. Les archives de la mission de Notre-Dame-de-Bonsecours (seigneurie de la Petite-Nation) remontent à 1815. Un prêtre de la maison des Sulpiciens d’Oka allait y desservir les rares Canadiens groupés autour de Joseph Papineau. Mais ce n’est qu’en 1855, cependant, que Montebello prendra quelqu’importance. Louis-Joseph Papineau écrivait au mois de mai 1855 à son ami Robert Christie lui exposant le plan qu’il a formé de fonder un village : « J’ai acheté une terre voisine qui gâtait ma vue parce qu’elle était mal tenue. Je me suis résolu d’y avoir un village ; je me suis fait arpenteur pour le tracer en rues larges de soixante pieds, bordées d’arbres, obligeant les acheteurs à en garnir le front des lots que je vends. Chaque rue portera le nom des arbres… avenue des Ormes, rue des Cèdres… J’ai obtenu de la fabrique des terrains adjoignants, à la charge de lui bâtir maison et chapelle. Je me suis décidé à me bâtir une haute tour, détachée de la maison, mais assez rapprochée pour qu’à distance elle en paraîtra comme une aîle. Je la fais à l’abri du feu pour mettre à couvert de ce risque mes chers livres et le grand nombre de contrats et de papiers, à la conservation desquels tant de familles peuvent être intéressées dans la seigneurie. J’ai commencé force défrichements, clôtures, ponts et chemins. J’ai attiré quelqu’un à bâtir un moulin à carder, dans le village, sur le joli ruisseau du domaine. Toutes ces diverses entreprises sont en plein progrès. J’y suis nécessairement dans un mouvement perpétuel, dirigeant les travaux les plus divers, de cinq heures du matin à sept heures du soir. Oh ! j’oubliais — j’ai fait planter 150 pommiers et un plus grand nombre d’arbres d’ornement… »

Louis-Joseph, qui fut admis avocat le 9 mai 1810, était entré au parlement dès 1808, comme représentant du comté de Chambly (Kent), et depuis lors jusqu’à 1834 il s’est fait élire dix fois.[12] On raconte qu’il se contenta durant les sessions de 1808 et de 1809 de suivre avec attention les pratiques et usages de la chambre d’assemblée, afin de se mettre au courant de ce mécanisme assez compliqué et qu’il faut absolument connaître si l’on veut prendre part aux travaux des législateurs.

En 1810, son père, reprenant la place qu’il avait occupée avec tant d’éclat l’espace de douze ans, n’avait pas encore ouvert la bouche lorsque le fils se leva pour faire une observation au sujet d’un projet de loi soumis à la chambre. On lui répondit de manière à rebuter un jeune homme ordinaire, mais le lion sentit la piqûre ; il attaqua le bill sous toutes ses faces, le démolit et termina en proposant sur le même sujet une mesure préparée par lui et qui passa comme une lettre à la poste.

En sortant de cette séance, Joseph Papineau, père, dit aux membres qui l’accompagnaient :

— Qu’avais-je besoin de me faire réélire ! Vous avez dans celui-là mieux que moi.

On voulut savoir de Louis-Joseph Papineau où il avait appris le métier de la parole. Sa réponse devrait être méditée par tous ceux qui se destinent à la vie publique :

— Je me suis exercé dans notre petit cercle littéraire de Québec.

C’était pourtant une réunion bien humble que cette académie d’écoliers, mais il en est sorti sept ou huit hommes brillants qui n’auraient pu se former ailleurs que là et dont la carrière a dépendu de cette heureuse circonstance.

De Gaspé, condisciple de Louis-Joseph Papineau, dit que la renommée du jeune Papineau « l’avait précédé avant même son entrée au séminaire de Québec. Tout faisait présager, dès lors, une carrière brillante à cet enfant précoce, passionné pour la lecture, et dont l’esprit était déjà plus orné que celui de la plupart des élèves qui achevaient leur cours d’études. Il jouait rarement avec les enfants de son âge, mais lisait pendant une partie des récréations, faisait une partie de dames, d’échecs, ou s’entretenait de littérature, soit avec ses maîtres, soit avec les écoliers des classes supérieures à la sienne. L’opinion générale était qu’il aurait été constamment à la tête de ses classes, s’il n’eût préféré la lecture à l’étude de la langue latine ».

Remarquons que Louis-Joseph Papineau a fait son éducation au séminaire de Québec.[13] Toutefois sa famille demeurait à Montréal ; comme la législature siégeait à Québec, le père et le fils avaient souvent l’occasion de se trouver ensemble. On peut dire que le fils était élevé dans l’atmosphère politique, au milieu d’hommes qui se nommaient Bédard, Chartier de Lotbinière, Borgia, Debartzch, Neilson, Papineau, le seul groupe, dans le monde entier, qui possédât la juste conception de la manière d’administrer les colonies à cette époque.

La question coloniale, telle qu’on la comprenait il y a un siècle et plus, est très peu connue de nos jours, du moins en Amérique, car l’Europe est encore encroûtée dans les idées du temps de Christophe Colomb et elle nourrit ces faux principes avec une persistance inconcevable. Le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne, Écosse et Irlande, était de beaucoup en avant de toute l’Europe dans l’art de se gouverner ; cependant, il était comme toute l’Europe dans l’ornière des préjugés dès qu’il s’agissait des colonies.

Les Canadiens du temps de Louis XIV n’avaient aucun désir de se gouverner eux-mêmes, ayant toujours été soumis au régime de la monarchie absolue, où le roi est propriétaire de tout. Il nous venait de France une dizaine de fonctionnaires qui faisaient la pluie et le beau temps, puis on les remplaçait par d’autres, et plus on changeait le personnel, plus c’était la même chose.

Le système anglais que l’on nous imposa tout d’abord ne différait guère de celui des Français ; par conséquent les Canadiens ne virent rien de neuf dans l’administration nouvelle, sinon le côté commercial.[14]

Vers 1768, il y avait à Montréal et à Québec quelques Anglais que cet état de bêtes de somme mécontentait, vu qu’ils étaient habitués en Angleterre à prendre connaissance des affaires publiques. De là naquit chez quelques-uns des nôtres la pensée des réformes ; et j’ai déjà dit que M. Delisle s’entourait d’amis qui discutaient la situation. En peu de temps ces Canadiens d’élite comprirent le vice de tous les systèmes coloniaux et entreprirent d’y porter remède, en ce qui concernait le Canada.

Les Espagnols, les Portugais, les Français, les Hollandais et après eux les Anglais, découvrirent autrefois des terres lointaines, y construisirent quelques cahutes et y logèrent une poignée de fonctionnaires pour exploiter les produits naturels du pays. Si, par hasard, un certain nombre de familles s’établissaient autour de cette colonie officielle et artificielle, il fallait les administrer au bout de la fourche et ne leur accorder aucune indépendance, puisque le principe fondamental de la colonie était l’exploitation de la forêt, du sol et des gens par le gouvernement de la mère-patrie. En dehors de cette mesure, pas de salut, pas d’espérance, rien ! Est-il étonnant que les colons ne comprissent pas leur situation abjecte ? Ils étaient dressés à cette école et ne songeaient pas même à en sortir. Espagnols, Portugais, Français, Hollandais sont encore dans cet état pitoyable.

Voilà cent cinquante ans révolus que les Canadiens ont fait entendre des revendications et, depuis ce moment-là jusqu’à présent, ils ont sans cesse gagné du terrain dans l’ordre des libertés politiques ; aussi l’histoire de nos grands hommes sur la scène parlementaire est-elle à la fois unique et admirable.

Le parlement de Londres adopta en 1774 une loi qui autorisait le gouverneur du Canada à s’entourer d’une vingtaine de conseillers pris dans la colonie et nommés par lui.

Le conseil de Québec, qui existait du temps des Français, ressemblait sur presque tous les points à celui de 1774. Nous étions en progrès en ce sens que, de 1760 à 1774, nous n’avions pas eu de conseil du tout, mais deux excellents gouverneurs : Murray et Carleton ;[15] en le rétablissant nous faisions un pas vers le « self-government », un pas de coq.

L’agitation de Delisle, Powell, Adhémar, Ducalvet, Papineau, de 1780 à 1790, portait, nous l’avons dit, sur la nécessité d’avoir une chambre élue par le peuple.[16] Lorsque nos pétitions arrivaient au pied du trône, les ministres avaient le cœur gonflé de chagrin. « Ces pauvres colons, disaient-ils, sont des enfants qui demandent à jouer avec des armes dangereuses ; il faut les détourner de ce projet, car nous ne voulons que leur bien-être. » Et, en effet, ils étaient tous enclins à se conduire envers nous comme de bons pères de famille ; seulement, ces sortes de pères ne donnent pas d’ordinaire une éducation pratique à leurs fils.

La preuve de la candeur des ministres de George III est tellement facile à faire que je ne comprends pas les écrivains d’à présent qui les qualifient de tyranneaux et de despotes. Ces écrivains s’imaginent que, en 1780, en Europe, on pensait comme l’on pense en Amérique aujourd’hui.

Mettez la France à la place de l’Angleterre en 1780, et figurez-vous comment nos pétitions auraient été reçues ! On aurait d’abord promulgué un édit royal contre l’esprit de révolte et proféré des menaces terribles contre les chefs de la « conspiration ». Puis des surveillances, des actes de contrainte, des abus de pouvoir à tout moment pour lasser le courage des « patriotes » ; car le mot patriote était en horreur au roi et à sa cour. En Espagne, en Portugal, même situation. Le temps a beau s’écouler, l’exemple du Canada et de quelques autres colonies anglaises ne fait pas ouvrir les yeux aux gouvernements de l’Europe. Ceux-ci ne sont pas même aussi avancés que l’était le cabinet de Saint-James en 1770, alors que nous le regardions comme infiniment arriéré.

À force d’entendre bourdonner à ses oreilles les plaintes des Canadiens, William Pitt présenta en 1791 un bill qui accordait au Canada un régime, copié sur la constitution anglaise, affirmait-il, — et il croyait que c’était une vraie copie, sauf de légères variantes que nous allons examiner. On nous donnait un conseil exécutif et un conseil législatif, nommés par la couronne ; plus une assemblée législative élue par le peuple.

En Angleterre, le conseil exécutif ou ministère est choisi par les Communes ou assemblée législative, responsable à cette assemblée et ne tient son existence que d’elle. Au Canada, l’assemblée n’avait aucune prise sur les ministres.

En Angleterre, le conseil législatif ou chambre des lords est formé par droit d’hérédité et se compose des premières familles du pays sous le rapport de la richesse et des influences de tous genres. Au Canada, ce conseil ne pouvait se recruter que dans une classe de pauvres gens et il ne représentait que les favoris du pouvoir.

En Angleterre, un employé du gouvernement ne peut avoir de siège dans aucune des chambres. Au Canada, ces fonctionnaires étaient admis partout et votaient comme les autres membres des chambres.

En Angleterre, les ministres nommés par les chambres soumettaient le budget aux Communes et les dépenses étaient expliquées item par item afin d’être votées en détail, en parfaite connaissance de cause. Au Canada, le conseil exécutif, indépendant de l’assemblée législative ou populaire, envoyait à celle-ci une liste des dépenses requises, arrangées sous quatre ou cinq titres en bloc, et encore cette liste ne couvrait-elle que le tiers des besoins de l’année. Si la chambre acceptait, très bien ; si elle refusait, c’était pareil, on prenait à même le trésor.

Voilà la constitution qui passait pour être une copie de celle de la Grande-Bretagne. Elle était bien imparfaite, et pourtant jamais rien de pareil n’avait été octroyé aux colonies par aucune puissance. Pitt pouvait se proclamer avec raison le plus libéral des ministres et des rois présents et passés.

Il y avait dans la colonie, comme en Angleterre, un parti ancré dans la vieille école européenne qui maudissait l’œuvre de Pitt, parce que l’on pensait que les Canadiens allaient pouvoir en profiter pour se faire entendre en haut lieu. Ce parti se qualifia lui-même d’« anglais ». Par contre, le parti de Joseph Papineau et de Pierre Bédard s’appela « canadien ».

Les Anglais commencèrent à manifester leur dépit et leur mécontentement lorsque l’on vit les Canadiens élire des Canadiens, ou encore des Anglais décidés à suivre Papineau. Ils ne se gênaient pas de dire que le devoir des habitants était d’envoyer en chambre des Anglais, autant qu’ils en pourraient trouver, mais du parti « anglais ».

Sur cette base insolente et injuste il n’y avait pas moyen de s’entendre, de sorte que l’assemblée législative se composait de quarante-quatre membres marchant ensemble et six soutenant les prétentions de l’oligarchie. Ajoutons que le conseil législatif supportait cette petite poignée d’autoritaires ; que le conseil exécutif était composé de leurs créatures, et que les instructions venues d’Angleterre, de temps à autre, leur donnaient raison à tous.

Le parti anglais partait de ce principe : 1o une colonie ne doit avoir que le moins de liberté possible ; 2o s’il faut relâcher les rênes, plaçons cette liberté entre les mains des Anglais, attendu que les Canadiens sont incapables de se gouverner eux-mêmes.

Et ces jolis principes étaient débités avec sentiment, dans notre intérêt. On ne nous disait pas : « Vous voyez combien je vous aime », mais c’était tout proche d’une déclaration d’amour.

Les ministres de Londres avaient nommé Caldwell receveur-général du Canada, et celui-ci n’avait de compte à rendre à personne dans la colonie. On sut, par la suite, qu’il n’en rendait pas davantage à Londres. Lorsque le gouverneur ou le conseil exécutif avait des dépenses à couvrir, on donnait un bon à Caldwell et tout était dit.

Vers 1818, Louis-Joseph Papineau voulut connaître les registres du receveur, mais on se montra surpris et on s’écria : « Vous êtes bien curieux ! » Il insista. Pour le coup on lui dit qu’il manquait de respect à Sa Majesté, de qui Caldwell tenait sa place. Bref, de 1792 à 1830 et même plus tard, ce fut un mystère que la question des finances ; la chambre d’assemblée n’a jamais vu les comptes concernant l’argent de la province. En 1823, Caldwell, fils, successeur de son père dans la charge des finances, déclara banqueroute sur un chiffre d’un demi-million de piastres.[17] Les Canadiens n’étaient pas contents ; le parti anglais prétendait que cela ne nous regardait pas.

Il va sans dire que les employés du gouvernement étaient de la même opinion que les ministres de Londres et que le parti anglais du Canada, à l’égard des finances de la colonie. Le patronage était entre les mains de ce parti, au lieu de subir le contrôle de la chambre d’assemblée. Tout était au roi ; donc les Canadiens ne devaient pas prétendre à jouir des prérogatives réservées au seul souverain et aussi à ses conseillers ! Les terres en forêt étaient distribuées aux favoris du pouvoir. Dans toutes les colonies du monde le même système prévalait, et vous n’auriez pas trouvé un Européen pour approuver les folles prétentions des Canadiens.

Mais, dans les autres colonies anglaises, vers 1830, on commença à se dire : « Savez-vous que les Canadiens ont raison ! Pourquoi n’aurions-nous pas chacun chez nous la conduite de nos affaires, au lieu de recevoir des ordres d’une bande d’étrangers qui vivent à nos dépens et nous méprisent ? »

La Nouvelle-Écosse comprit la situation ; ensuite le Haut-Canada se mit à réfléchir. L’idée du « self-government » faisait son chemin au dehors du Bas-Canada — mais Louis-Joseph Papineau n’en était que plus attaqué. Lorsqu’il exposait devant le public les noms de divers personnages qui demeuraient en Angleterre, mais qui recevaient de gros salaires pour de prétendues fonctions dans le gouvernement du Canada, on doit s’imaginer si le peuple se montrait content ! Jusqu’au poète Thomas Moore qui touchait de $1,500 à $2,000 par année sous prétexte d’un emploi qu’on lui avait donné à Montréal et qui, une fois dans sa vie, passa quinze jours au Canada — pour composer sa fameuse chanson de voyageurs.

Vous comprenez maintenant que Papineau père et fils avaient de la besogne toute taillée devant eux et qu’ils n’étaient pas à la peine d’imaginer des griefs pour appuyer leurs réclamations.

Les discours des chefs canadiens prouvaient leur compétence à juger les affaires publiques ; pourtant, la réponse qu’on leur adressait était toujours pour les dissuader d’une ambition qui dépassait leurs forces, croyait-on. On leur disait : « Vous êtes étonnants. Quoi ! vous qui vous êtes si bien comportés en tout temps, dans la guerre comme dans la paix, vous demandez à usurper les privilèges du roi et à vous charger de gouverner la colonie ! Allons, braves gens, laissez-nous ce fardeau et vous n’en serez que mieux. »

Lorsqu’un officier de milice se permettait de parler de réforme, il était réprimandé. Plusieurs se virent retirer leurs commissions, entr’autres Bédard, Panet, Borgia, Taschereau et Blanchet.

La résistance des deux Papineau contre le genre de gouvernement imposé au pays n’avait aucune couleur ou rapport avec la pensée d’une révolution. Ils voulaient des réformes et ne les demandaient pas toutes à la fois, de crainte de bouleverser les affaires.[18] On ne les vit jamais prêcher en démagogues, qui affectent de soutenir les intérêts du peuple et se rendent favorables à la cause populaire afin de gagner sa faveur et de le dominer. Ils n’exagéraient rien, ne sortaient pas de la vérité ; aussi étaient-ils irréfutables.

La chambre d’assemblée comptait à cette époque des talents de premier ordre et, bien que le Mercury, de Québec, et les cercles officiels affectassent un grand mépris pour ces « habitants illettrés », le gouvernement anglais savait très bien que ces prétendus ignorants étaient, le plus souvent, des hommes d’une grande valeur, d’une parfaite dignité de manières et d’un patriotisme à toute épreuve, et que leurs chefs, loin d’être des démagogues, auraient été dignes de s’asseoir sur les bancs de la chambre des Communes.[19] Citons quelques-uns de ces députés remarquables.

Louis Bourdages révéla un talent d’orateur de première force. Pierre-Dominique Debartzch surprit la chambre par l’expression mesurée d’une indépendance de caractère qu’il soutint toute sa vie. Denis-Benjamin Viger posa aux partisans du gouverneur des questions savantes autant qu’habiles. J.-T. Taschereau s’éleva comme un homme d’honneur contre les pratiques abusives du pouvoir. Enfin, Pierre Bédard et les deux Papineau faisaient entendre la grande voix des libertés politiques qui allait remuer le pays durant trente ans.

L’enquête de 1828 devant la chambre des Communes de Londres a été imprimée et forme un volume des plus instructifs. On y trouve à peu près toute la question coloniale sous la forme qu’elle affectait en Canada depuis non seulement la constitution de 1791, mais en remontant à 1763. Ce livre bleu suffirait à lui seul pour nous expliquer Papineau et son temps si nous n’avions pas, d’autre part, de nombreux documents pour nous éclairer.

L’enquête n’amena guère de changements dans l’administration de la colonie, mais elle fournit un sujet de réflexion à plusieurs hommes publics déjà disposés à sortir des vieilles idées relatives aux possessions d’outre-mer. C’était l’époque de l’agitation d’O’Connell en faveur de l’Irlande et de l’émancipation des catholiques. L’aube de la liberté des colonies se mêla au rayon matinal de la réforme qui allait s’opérer en Angleterre dans plusieurs branches de la politique active et pratique. Pour nous, ce fut juste un pas de gagné, pas beaucoup plus.

En 1834, Papineau, formulant les Quatre-vingt-douze Résolutions, pouvait dire que l’on en était encore à 1828 ou mieux à 1807, sinon plus arriérés encore ; et pourtant aucune colonie ne possédait autant de liberté que nous, d’après ce raisonnement que, dans le royaume des aveugles les borgnes sont rois. Il fallait plus de lumière que cela pour satisfaire les Canadiens.[20]

Les Quatre-vingt-douze Résolutions ne contenaient rien de nouveau. C’est la reprise des anciens griefs, exprimés dans une rédaction étirée, pâteuse, sans allure. L’enquête de 1828 vaut cent fois davantage. Néanmoins, ces résolutions étant présentées à l’assemblée législative de Québec, notre peuple y attacha son attention par-dessus tout, et les débats qui s’ensuivirent le passionnèrent comme l’eût fait un discours de Papineau.

Car la parole de Papineau enlevait les imaginations, et c’est même ce qu’il ne calculait pas assez de 1834 à 1837. Le sentiment populaire se nourrissait de sa verve et de ses terribles coups de langue, mais l’orateur se contenait parfaitement et croyait que le peuple pensait avec le même sang-froid et la même modération que lui. Il déchaînait des forces qu’il savait exister et qu’il croyait pouvoir contenir. Illusion qu’avait eue Mirabeau, illusion de presque tous les agitateurs. Je ne sais quel sens vous donnez au mot agitateur, mais n’oublions pas que, sous un gouvernement constitutionnel, ce genre de politique est nécessaire, tandis qu’il constitue un embarras public sous la monarchie absolue.

Papineau a vécu de 1786 à 1871 ; il s’est occupé de politique de 1808 à 1837, et de 1847 à 1855 ; l’époque où il agit en chef va de 1817 à 1837 ; deux dates sont mémorables et le montrent à l’apogée du prestige : 1823 et 1834, c’est-à-dire deux crises où l’agitateur fournit la mesure de ses ressources oratoires et impressionna toute l’Amérique du Nord. Dans un cas comme dans l’autre, le ministère britannique fit la sourde oreille parce qu’il était pénétré de ce vieux préjugé européen : « Il faut conserver les colonies en tutelle et les exploiter pour le seul avantage de la mère-patrie. »

La destinée de Papineau n’était pas de réussir à nous faire accorder les réformes dont se composait son programme, mais il était venu au monde pour faire l’éducation politique des Canadiens. Sa carrière, répétons-le, commence à cet égard en 1817 et finit en 1837. Après les troubles et son exil,[21] il n’avait plus de rôle à jouer, car il repoussa l’acte d’union des Canadas de 1841, qui nous était imposé, et ne songea pas à l’utiliser dans un sens pratique comme le comprit LaFontaine. En un mot, il n’avait qu’une idée, qu’un désir, c’était de nous procurer une constitution parfaite, un rêve trop beau pour ce bas monde.

Alors, direz-vous, il n’avait qu’une note dans la voix et ne pouvait faire qu’un seul discours constamment le même ? C’était à peu près cela, en effet ; mais, quel virtuose ! Il avait trouvé un thème d’une grande justesse et de plus approprié à l’entendement populaire ; son but était de le développer et d’en tirer tous les accents, les accords, les sentiments qu’il pouvait produire, et il y parvint en maître, électrisant à tout coup son auditoire. Paganini avait ramassé à Venise un air dont personne ne s’occupait ; il le couvrit d’une de ses interprétations comme il savait les imaginer, l’enroula dans des variations fantaisistes, le fit soupirer, rire, chanter, lui imprima des allures contraires les unes aux autres tout en étant charmantes, et le Carnaval de Venise fit l’admiration des artistes comme celle de la foule. C’est absolument le cas de Papineau.

Durant les années 1838-1845, le proscrit vécut presque constamment dans la capitale de la France et y rencontra des personnages instruits qui durent le faire parler. Savons-nous quelque chose de la tournure de ces causeries ? Je crois que non. Étant donné la manière d’envisager les colonies qui règne en Europe, je me persuade que les Français s’étonnèrent tout d’abord en apprenant que l’Angleterre avait concédé depuis longtemps une chambre élective et d’autres faveurs au Canada. Leur surprise devait être plus grande en entendant Papineau exposer son programme de réformes, et je ne suis pas loin de croire qu’ils se dirent à mi-voix : « Voilà un homme que nous n’endurerions pas dans nos colonies ! » Celui d’entre nous qui se trouverait à présent dans la situation du patriote de 1837, ne serait pas mieux compris en France.

Il est dans notre destinée de nous tirer d’affaire par nous-mêmes. C’est perdre notre temps que de vouloir acquérir les sympathies des étrangers. L’adresse avec laquelle nos hommes d’État ont mis en pratique l’acte d’union inévitable de 1841, et la Confédération de 1867, également inévitable, prouve que nous avons des ressources suffisantes pour nous maintenir sous n’importe quel régime ; et comme, après tout, il n’y a pas de bon régime en ce monde, il ne faut pas avoir peur de la lutte. Les petits peuples qui sont forts doivent leur courage au danger. Les peuples nombreux ne peuvent pas tous en dire autant.

II


Si le Canada eut appartenu à l’Espagne ou à la France, nous n’aurions pas eu les luttes pour la liberté politique qui impriment une si noble attitude à notre histoire durant la longue période de 1774 à 1850.

Sous le mot Canada, nous embrassons ici les quatre provinces confédérées en 1867, Québec, Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, car elles ont eu chacune une existence à peu près semblable avant l’heure de la Confédération, mais le Bas-Canada fut le berceau de la liberté.[22]

Commencées par la France et retenues sous son contrôle de 1604 à 1760, ces quatre colonies, à l’exception de l’Acadie ou Nouvelle-Écosse, qui fut abandonnée en 1713, n’ont rien connu de la liberté politique.

Le roi était propriétaire du sol, des bois, des eaux, des bêtes et des gens ; il en disposait à volonté, et ceci est tellement le cas que le peuple cédé par un souverain à un autre souverain changeait de joug avec la passivité, l’obéissance aveugle, la soumission inerte du bœuf de labour, sans éprouver ni tristesse ni regret, faute de culture intellectuelle. L’homme qui n’a pas joui de la liberté dans l’ordre social ne l’envie point, étant incapable de la comprendre. Nous étions de cette classe lorsque le pays passa de Louis XV à George III, et les Canadiens ne se doutaient pas des changements surprenants qui allaient se produire dans l’ensemble de leur manière de voir, par suite du contact avec une nation libre.

L’Angleterre, à cette époque, était la seule nation civilisée qui eût la pratique du « self-government » ; ce seul terme explique la transformation magique des idées chez les Canadiens. Les premiers individus de langue anglaise qui arrivèrent en Canada y apportaient le sentiment du citoyen et non pas de l’esclave. Ce fut une révélation pour les anciens sujets de la monarchie absolue. Ils saisirent la différence qu’il y avait avec la monarchie constitutionnelle où le peuple délègue le pouvoir à des représentants de son choix et se trouve ainsi à se gouverner lui-même, en ne laissant au prince que la tâche de faire exécuter les lois du parlement populaire.

Les capitulations de Québec, de Montréal et le traité de Paris n’ont qu’un sens : nous devenions sujets du roi d’Angleterre. Il ne nous a pas été fait ou accordé de conditions spéciales par ces actes ou aucun autre que l’on pourrait invoquer. Notre devoir, comme celui des gouverneurs, consistait à nous tenir dans cette mesure, et c’est ce qui eut lieu, nonobstant certaines heures difficiles que l’histoire enregistre parce qu’elle ne veut rien oublier.

À l’honneur des officiers militaires qui nous avaient combattus, et que les circonstances appelèrent tout d’abord à l’administration du pays en 1760, nous devons dire qu’ils tinrent une conduite loyale et généreuse. Ils savaient ce que les habitants valaient et ils les respectaient. Ceci contribua beaucoup à pacifier les campagnes. Quant aux villes, elles étaient alors de simples bourgades sans importance. Plus tard, on nous adressa de Londres des fonctionnaires non instruits de leurs devoirs et préjugés comme le sont les Européens. Ils gâtèrent la situation par le déploiement d’un faux zèle britannique.

Toutes les colonies autour du globe étaient administrées de cette façon, et, comme nous l’avons dit, c’est encore la manière des puissances européennes, l’Angleterre exceptée.

Nos premiers défenseurs devant le public anglais furent ceux qui nous avaient rencontrés sur les champs de bataille et qui ensuite avaient étudié sur place nos sentiments et notre caractère. Ils se prononcèrent contre l’aveuglement du petit monde administratif du Canada qui se modelait sur celui des colonies anglaises en général, ou pour mieux dire ressemblait aux fonctionnaires de n’importe quelle colonie espagnole, hollandaise ou française. Ces derniers ont donné naissance à la révolution qui a créé les États-Unis.

Si, au lendemain de la conquête, on eût vu arriver en foule des immigrants de l’Angleterre, la situation se serait dessinée d’elle-même ; l’idée d’absorber les Canadiens et de les faire disparaître dans la masse du peuple nouveau avait, en ce cas, sa raison d’être ; mais il ne vint aucun colon, si l’on en excepte une poignée de marchands. La politique de Murray et de Carleton prescrivait sagement de s’en tenir à l’état des choses et de ne pas alarmer les Canadiens.

Nous avons tous ri de cette leçon donnée par Louis XIV aux gouverneurs du Canada en 1672 : « On m’assure que malgré cinquante ans de fréquentation avec nos sujets du Canada, les Iroquois ne parlent pas français : il faut que cela change. »

On a vu en 1772 et en 1792 des membres de la chambre des Communes mécontents de ce que les Canadiens n’étaient pas devenus Anglais ; mais, comme le roi de France, ils négligeaient de se rendre compte des événements et traitaient une affaire de cette importance avec la naïveté d’un enfant.

Peu après la cession du pays, les Canadiens apprirent que la monnaie de carte et les billets d’ordonnance étaient répudiés par le trésor français. « Cette nouvelle, dit Garneau, fut comme un coup de foudre pour ces malheureux, à qui l’on devait plus de quarante millions de francs ; tous étaient créanciers de l’État. Le papier qui vous reste, écrivait le chevalier de Lévis au ministre, est entièrement discrédité et tous les habitants sont dans le désespoir ; ils ont tout sacrifié pour la conservation du Canada ; ils se trouvent actuellement sans ressources ».

Le roi d’Angleterre insista auprès de Louis XV pour le paiement de cette dette à la fois nationale et d’honneur, mais après plusieurs années de sollicitation et d’insuccès, il abandonna la partie.

Du côté de la France, rien n’éveillait plus l’espoir. Mettons-nous un instant à la place de nos pères en ce moment solennel. N’ayant jamais connu que l’administration française, ils n’en voyaient pas les défauts, puisque les termes de comparaison leur manquaient. Tout les invitait à regretter un état de choses que leurs descendants aujourd’hui ne voudraient pour rien au monde voir recommencer.

Avec la perte du drapeau français, ils pensaient avoir tout perdu : ils avaient tout gagné. Le poète Octave Crémazie a dit qu’ils éprouvaient « la douleur d’un enfant qu’on arrache à sa mère » et qu’ils se considéraient « exilés dans leur propre patrie ». C’est possible, mais dans une mesure restreinte, croyons-nous, car il est peu probable que leur chagrin ait été profond.[23]

Qu’il y ait eu des effarements, nous savons que la nature humaine s’y prête ; mais ce ne fut pas un sentiment aussi général que les hommes d’imagination le représentent. Toutefois, ce que l’on nomme le patriotisme, lequel était purement français, eut une heure terrible à passer, ne sachant pas ce que lui apportait la volonté du vainqueur. Un malaise général régnait naturellement par tout le pays.

L’inconnu du lendemain explique cette situation. Ne pas savoir ce que l’on va devenir est un état accablant, terrifiant. Passer aux mains de l’ennemi de la veille coupe les ailes de l’espérance. Se voir brusquement appelé à recevoir les ordres de l’étranger transforme notre existence. Être laissés seuls, loin de la mère-patrie, sans un mot de consolation, rend l’avenir bien sombre. L’idée d’un écrasement systématique s’offre à l’esprit. La résistance n’est plus dans les âmes. Il faut céder — céder à quoi ? au pouvoir qui va parler. C’est comme l’attente du jugement.

Pourtant, on se trompait : il n’y eut pas de malveillance de la part des nouvelles autorités. Les angoisses ont existé, néanmoins, vu l’incertitude où nous laissait cette déplorable cession, sans un mot de réconfort, sans une garantie consolante. Ah ! nous avons été bien abandonnés, et il ne nous resta que notre courage pour faire face à l’imprévu de ces moments terribles. Le tempérament de la race sauva ce petit peuple qui se transforma, se fit une éducation nouvelle, attendit l’occasion d’agir, profita des incidents favorables, s’émancipa à la longue du temps, bien mieux qu’il n’eût été capable de le faire sous le régime ancien.

Il se résolut à accepter sa situation et, à la manière des Normands ses ancêtres, il retourna le problème pour le résoudre. Alors cet enfant arraché à sa mère devint un homme ; cet exilé dans sa propre patrie se créa un patriotisme autochtone et devenant, comme le voulait le traité de 1763, sujet britannique, il en réclama les devoirs et les prérogatives.

Ainsi, en 1763, ruine partout. Le Canadien était dans la situation d’un homme qui voit réduire par le feu, en quelques heures, les biens qu’il possède. Aurait-il le courage de recommencer la lutte contre l’indigence ? Cette question resta en suspens pendant quelques mois. Elle devait un jour se trouver résolue par la forte trempe de la race. L’habitant tenait le sol : il comprit ce que cela valait.

La situation financière changea de formes avec les Anglais. Le numéraire à circulation libre prit sur le peuple un empire bienfaisant. Le commerce cessa d’être aux mains des coteries et des privilégiés. C’était un régime nouveau qui s’annonçait sous bonne couleur ; aussi la réflexion convainquit les Canadiens de la nécessité de le mettre à l’épreuve avant que de s’en plaindre. Ils avaient à leur portée les éléments d’une éducation tournée vers l’esprit public et favorisée par les institutions de leur nouvelle mère-patrie.

Rien d’étonnant donc que, au lieu de rester, comme les colons français et espagnols, de simples machines inconscientes aux ordres de quelques familles privilégiées, ils aient fait eux-mêmes, par leur initiative et leurs actions, l’histoire de leur propre pays.

La population du Bas-Canada, plus nombreuse à elle seule que celle des trois autres provinces, fut l’inspiratrice des réformes demandées. Elle voulait la représentation nationale dans une chambre élue par le vote populaire ; la responsabilité des ministres soumis à cette chambre ; le contrôle des finances, du patronage, le vote du budget (liste civile comprise) item par item ; le droit de régler le tarif des douanes ; la poste canadienne, non impériale ; les terres de la couronne ; l’exclusion des juges et des fonctionnaires publics du conseil législatif et de l’assemblée législative ;[24] la reconnaissance de l’évêque par le gouvernement ; la nomination d’un agent du Canada à Londres ; etc. De 1774 à 1850, la lutte fut sans trêve, la cause canadienne gagnant sans cesse quelques points qui finirent par former un total merveilleux : l’indépendance politique, alors que les colonies espagnoles et françaises restaient dans les langes du XVIIe siècle et que la plupart des colonies anglaises n’avaient encore remué ni un œil ni un doigt pour se constituer en « self-government ».

C’est aux Anglais qu’est due la première idée d’un gouvernement représentatif dans la colonie : ils la tenaient de leurs pères et l’avaient apportée ici avec eux, tout naturellement. Les Canadiens, pour qui cela était nouveau, redoutaient de la voir appliquée, à cause de l’influence qu’un tel genre d’administration pouvait fournir à la population anglaise, déjà exercée à se servir de l’instrument en question. Les quinze premières années qui suivirent la conquête constituent une période d’attente et de tâtonnements durant laquelle chacun regardait son voisin avec défiance. Il y eut des mouvements politiques destinés à prouver à l’Angleterre que personne n’était satisfait du régime existant : les Anglais parce qu’ils désiraient réduire plus vite les Canadiens, et les Canadiens parce qu’ils ne voyaient qu’une liberté dérisoire dans le mode de gouvernement qu’on leur appliquait.

En 1774, par l’Acte de Québec adopté au parlement de Londres, on nous donna à peu près tout ce que nous désirions. Il était temps, car les colonies anglaises renonçaient à leur ancienne loyauté et cherchaient le chemin de l’indépendance. Dès que les Yankees se révoltaient, l’Angleterre devait, dans son propre intérêt, se rapprocher de nous. Il fallait voir si les trafiquants du Canada étaient furieux en voyant cette conduite du cabinet anglais ! Tout naturellement ces braves gens se figuraient que le Canada leur appartenait.

Un conseil, composé d’Anglais et de Canadiens, était autorisé par l’Acte de Québec. Les Canadiens passaient aux yeux du peuple anglais pour une race ignorante et crétinisée ; on se montra inquiet de voir qu’il leur serait donné place au conseil et qu’ils auraient l’usage des libertés nouvelles. À cette crainte chimérique autant que malveillante, le général Guy Carleton, qui nous avait gouvernés de 1766 à 1770, répondit par la déclaration suivante devant la chambre des Communes anglaises en 1774 : « Les protestants du Bas-Canada sont au nombre de trois cent soixante, et aucun d’eux n’est propre à être élu membre d’une chambre d’assemblée. »

L’Acte de Québec assurait aux catholiques la liberté religieuse et les dispensait du serment du « test » ;[25] les lois françaises d’autrefois étaient reconnues. Tout cela avait pour cause la situation des affaires dans l’Amérique du Nord ; en présence de ce qui avait lieu à Boston, New-York et ailleurs, l’administration de lord North comprenait la nécessité de faire disparaître tout sujet de mécontentements parmi les Canadiens. Le parti anglais du Canada n’était ni aussi avisé ni aussi patriotique : il cria bien fort contre la mesure et chercha plus que jamais à noircir la population française. Nous avons vu pareille chose en 1811.

Voici un passage du discours de Louis-Joseph Papineau prononcé à l’Institut Canadien de Montréal le 17 décembre 1867 — qu’il importe de lire :

« Le bill de 1774 et les opinions des officiers en loi de la couronne avaient enfin reconnu que, aux termes de la capitulation et du traité de paix de 1763, et même d’après les seuls principes du droit public de l’Europe chrétienne, il n’aurait jamais dû y avoir, pour un nouveau sujet, d’incapacité à l’exercice d’aucun emploi public, à raison de son catholicisme, et qu’en Canada tous les sujets étaient de plein droit sur un pied de parfaite égalité. L’oligarchie coloniale n’en continuait pas moins à demander le système représentatif avec droit d’éligibilité pour les protestants seuls. Les Canadiens le demandaient pour tous sans distinction de culte ni d’origine. Ils étaient dans le vrai. Les hésitations des cabinets anglais duraient depuis plusieurs années, laissant tout ici dans la souffrance et le désordre. Elles eussent duré plus longtemps sans la révolution française qui, en un instant, ébranle et déracine la plus ancienne et la plus forte monarchie du monde, disperse sa vaillante noblesse et soulève de toutes parts le flot populaire autour d’elle. La consternation est dans toutes les cours et l’épouvante chez tous les nobles, chez ceux de l’Angleterre plus qu’ailleurs, parce qu’ils sont plus éclairés et plus réfléchis. L’effroi que répandent les principes de l’Assemblée Nationale a des effets plus salutaires que n’en avaient produits la déclaration d’indépendance (1776). On fait mine de se convertir, si l’on ne se convertit pas sincèrement. Le danger étant devenu plus grand en se rapprochant, on est plus libéral en 1789 qu’en 1776 et l’on accorde enfin le système représentatif, avec le suffrage presque universel et l’éligibilité, la même pour tous les sujets indistinctement.

« Il fallait que ces concessions fussent avantageuses aux majorités pour que les hommes de la minorité, qui avaient toujours gouverné jusqu’alors, se montrassent si fort irrités de se voir, disaient-ils, abaissés à ce niveau.

« L’influence constitutionnelle du corps représentatif va, sans doute, être la même ici que celle qu’il a déjà en Angleterre, et elle y est grande. Bons Canadiens, on vous le dit et vous le croyez. Réveillez-vous ! votre songe doré va s’évanouir. La couronne a toujours le droit de nommer le conseil législatif ; et, pour apaiser les colères de l’oligarchie qui voulait le système pour elle et les siens seulement, on saura bien rendre illusoire la folle espérance, aveuglément conçue, qu’une représentation française influente pût être tolérée dans une dépendance anglaise. On fit donc du conseil l’ennemi organisé en permanence du corps représentatif. On appela dans le nouveau conseil ceux des membres de l’ancien qui s’étaient le plus violemment opposés à l’introduction du système représentatif. On en exclut inflexiblement le petit nombre d’entre eux qui en avaient appuyé la demande, sans distinction d’origine. La droite reprenait ainsi ce que la gauche avait hypocritement offert.

« Ainsi, ces deux chambres inconciliables ne feront rien du tout ; ce sera la balance des pouvoirs, l’équilibre maintenu en sens inverse de ce qu’il est dans la métropole, où toute l’action prépondérante existe en réalité dans la chambre des lords, qui ne laissent élire que leurs fils, leurs dévoués, leurs commensaux et leurs serviteurs, dans ces bourgs si justement nommés « pourris », patrimoines de leurs familles dans le passé et dans l’avenir.

« On préparait donc sciemment, ou plutôt on organisait artistiquement l’animosité entre ces deux corps. Elle ne s’est pas ralentie un instant tant qu’ils ont été en présence. L’histoire de ce que fut ce régime de gouvernement a été tracée à grands traits par lord Durham. Il est loin de rendre justice à la libéralité des représentants, mais il fait justice de l’arrogance et de l’illibéralité des conseils et des pactes de famille dans l’une des provinces, et des conseils et de l’oligarchie dans l’autre. »

Ce résumé des affaires politiques de 1774 à 1837, fait par l’homme qui avait pris part à presque toutes ces luttes, est assez original ; mais il devrait nous dire que les idées répandues alors en Europe étaient de beaucoup plus arriérées que celles des ministres de Londres, whigs ou tories. Papineau n’a jamais cessé d’être un peu comme en 1807 et 1837 : deux crises qui l’ont vivement impressionné. Nous allons dire un mot là-dessus, puisque nous causons sans programme arrêté.

De tout temps, depuis 1807, on a vu des Canadiens pousser le zèle national jusqu’à attaquer les Anglais. Est-ce que les Anglais peuvent changer notre situation ? Et nous, qui sommes le petit nombre, qui avons besoin de tout le monde pour vivre, pourquoi travailler à susciter contre nous des animosités ? Chacun de nous est libre de faire son chemin comme il l’entend. Les Anglais ne nous ont que rarement gênés. Même dans nos luttes politiques, il y avait de notre côté des Anglais de poids qui se sont admirablement comportés. D’où vient cette haine, ce sentiment sauvage qui reparaît si souvent sous la plume de nos écrivains et dans la bouche de nos orateurs ? Je la fais remonter à 1807, car avant cette date néfaste, elle n’existait pas.

Sir James Craig, en débarquant à Québec l’automne de 1807, souleva de suite la colère des Canadiens en déclarant que le parti anglais allait triompher. Or, en créant l’expression du parti anglais, il entendait parler des fonctionnaires publics, tous venus d’Angleterre, tous liés ensemble contre les gens du pays et formant une sorte de pacte de famille que le ministère de Londres appuyait, faute de rien comprendre à nos affaires.[26]

Lorsque ce gouverneur repartit, l’été de 1811, pour aller mourir de chagrin en Angleterre, accablé par la disgrâce et banni des Canadiens, il laissait derrière lui un parti canadien formidable qui ne cessa plus de combattre l’oligarchie en question.

Voilà bien longtemps de cela. Les bureaucrates n’existent plus. Leur école est morte et enterrée. La masse des Anglais n’avait point d’attache avec ces favoris du ministère de Londres, et cependant nous fulminons contre les Anglais, par habitude, et nous nous causons des embarras, mais chacun s’imagine que c’est là du patriotisme ! Ceux des Anglais qui nous dédaignent sont comme les Américains : ils ne nous connaissent point. Ils voient, avec raison, peut-être, que nous sommes un peuple sans défense, peu nombreux, assez errant, pas du tout commerçant, passionné pour la politique, et ils en concluent que c’est une race de second ordre. Ce n’est pas en les injuriant que nous nous relèverons à leurs yeux. Quant à notre patriotisme, ils nient son existence, et ils ne se trompent pas là-dessus, de nos jours, s’ils le recherchent dans la politique. Nos gouvernants, pour se faire « sirer », ne se plaisent-ils pas à faire toutes sortes de courbettes devant les Anglais ? et en combien de cas n’ont-ils pas été comme des « poules-mouillées » lorsqu’ils auraient dû défendre courageusement nos droits ?

Ah ! que les temps sont changés depuis Papineau !

Dans son discours prononcé à l’Institut Canadien de Montréal le 17 décembre 1867, Louis-Joseph Papineau disait que sous le drapeau britannique il avait le droit si précieux d’exprimer librement ses convictions et sa foi politique, ainsi que le droit de réfuter ceux qui pensent autrement que lui, et il ajoutait : « Ce n’est pas un droit théorique, c’est un droit donné par l’autorité suprême qui éclaire tout homme venant en ce monde et lui a soufflé de faire pour les autres ce que l’on voudrait que l’on fasse pour nous. C’est le droit qui ne fut reconnu qu’en partie par les articles de la capitulation qui disent « ils deviennent sujets anglais ». Ce titre a brisé pour eux le scellé qu’il y avait eu sur leurs lèvres, supprimé l’embastillement par lettres de cachet, pour quoi que ce soit qu’ils diront ou écriront ; ce titre confère le droit à la pleine discussion orale et écrite, l’autorité d’appeler en assemblée publique quiconque voudra bien s’y rendre pour les entendre ; ce titre abolit la censure préalable sur les livres et proclame la liberté de la presse. »

La définition de ces deux mots : « sujets britanniques » ne fut pas d’abord comprise par les Canadiens, faute d’en connaître le sens pratique.

Citons un autre écrivain canadien sur ce sujet : « Quoi que l’on puisse penser de la constitution britannique, elle aura au moins le mérite presque exclusif et incontestable d’avoir fait passer un peuple de l’absolutisme du souverain à la participation de son propre gouvernement, et d’avoir ainsi acheminé les sociétés formées à la suite de l’invasion des barbares en Europe à la pratique de la démocratie qui envahit maintenant le globe. » [27]

La révolution américaine causait des agitations dans les cercles politiques de la Grande-Bretagne, et l’opinion publique inclinait du côté des réformes, sans trop savoir encore lesquelles adopter ; mais en principe on convenait que les colonies pouvaient être mieux gouvernées qu’elles ne l’étaient. À mesure que cet esprit nouveau se répandait, les Canadiens agrandissaient leur programme dans l’espoir d’obtenir davantage. Des changements politiques s’annonçaient, petit à petit, après 1783, à la suite des pétitions de la classe anglaise, contre lesquelles les Canadiens ne manquaient pas de combattre au moyen de contre-pétitions.

La presse ne restait pas inactive : on imprimait des brochures. Les journaux des États-Unis, nouvellement émancipés, croisaient le feu avec les feuilles de l’Angleterre à notre sujet : ce que les Canadiens n’osaient point dire tout haut, les Américains le criaient aux quatre vents du ciel. Enfin, en 1789, la révolution française éclata, créant une immense sensation dans tous les cabinets de l’Europe. Les ministres de George III se dirent que l’Acte de Québec de 1774 avait fait son temps.

Pitt proposa d’accorder au Canada une constitution libérale, selon le vœu des habitants de cette colonie. On sait que sa copie ne ressemblait à l’original que de loin ; pourtant rien d’aussi favorable n’avait encore été accordé à aucune colonie, sauf le Massachusetts, un siècle auparavant.

Lorsque la colonie est gouvernée par un cabinet (conseil exécutif) responsable au peuple, elle se trouve absolument libre de ses actions et n’a pas à craindre d’avoir à lutter contre un parti qui représente la mère-patrie comme c’était le cas en 1818.

Expliquant le bill de 1791 pour la division du Canada en deux provinces séparées, Pitt déclara que son intention était d’assimiler les Canadiens à la langue, aux mœurs, aux habitudes et, par-dessus tout, aux lois et à la constitution de la Grande-Bretagne.

M. Lymburner, de Québec, se trouvait alors à Londres. Il était contre la division en deux provinces.[28] Il fit observer au premier ministre que l’assimilation des deux races serait empêchée par l’établissement d’une province anglaise et d’une autre province déjà toute française ; on ne l’écouta pas. John Neilson disait en 1828, devant la chambre des Communes, que l’intention des deux partis politiques, whig ou tory, avait toujours été de laisser le Bas-Canada aux Canadiens-français.

Durant le débat sur la constitution de 1791, Pitt insista pour que le titre de conseiller législatif de la colonie fût héréditaire ; mais Fox répondit que l’institution d’un pouvoir aristocratique comme celui de la chambre des lords, devrait être l’œuvre du temps, et que d’ailleurs il n’y avait pas de familles riches en Canada, donc pas de classe aristocratique habituée aux affaires publiques.

Joseph Bouchette décrit soigneusement l’organisation politique de la colonie en 1815 ; mais il ne s’aperçoit pas qu’elle est bien différente de celle de la Grande-Bretagne. Avec Pitt, il veut que nous regardions l’Acte de 1791 comme une copie de la constitution anglaise.

Certains livres publiés de nos jours qui traitent des malheureux abus d’un pouvoir entêté et injuste, n’ont que des sarcasmes pour le Canadien et ses rédacteurs.[29] De quoi s’agissait-il donc ? De principes sacrés et de la liberté politique chère à tous les hommes de cœur. On ridiculise ceux qui combattaient dans l’assemblée législative et dans la presse l’oligarchie qui écrasait la colonie. Les défenseurs des droits populaires avaient non seulement des idées élevées et généreuses, mais aussi le courage de les mettre au jour à leurs risques et périls. C’étaient les rebelles, dit-on. Parce qu’ils ont devancé les Anglais en demandant la jouissance des libertés anglaises ? Songe-t-on que leurs idées sont devenues celles des loyaux sujets anglais de ce pays ? Il n’y a pas ici de simples nuances ou manières de comprendre, il y a couleur tranchée et une seule méthode, rien d’ambigu. Ce qui est bon pour les autres races était également bon pour les Canadiens. Est-ce donc à dire que lorsque les Anglais épousent des opinions rebelles, celles-ci deviennent des vertus ? C’est comme 1837 : on persiste à dire que les Canadiens ont mal agi à cette époque ; néanmoins on se montre très fier des conquêtes accomplies par le sacrifice du sang et de la fortune des prétendus rebelles.

Dans son enquête, en 1828, John Neilson dit : « De 1792 à 1806, les mesures du gouvernement étaient communément soutenues par la majorité de la chambre d’assemblée. Le changement qui a eu lieu en 1807 est attribuable à sir James Craig, qui se conduisit d’une manière très violente envers la chambre d’assemblée et envers le peuple en général. Ce fut la fin de l’influence de l’administration, parce que cette conduite impliquait non seulement le gouverneur, mais tous les individus qui étaient dans les emplois du gouvernement. »

L’assemblée législative a fréquemment déclaré qu’elle croyait avoir le droit d’affecter les deniers de la province aux différentes branches du service public, en vertu de l’Acte de Québec de 1774. L’acte déclaratoire de 1778 dit que les deniers prélevés dans les colonies seront utilisés par les législatures des colonies, et il ajoute que ce sera là un principe pour le gouvernement futur de ces colonies. Certaines lois du Royaume-Uni adoptées avant 1778, affectaient des sommes d’argent d’une manière permanente pour diverses branches du service de la province ; mais la chambre d’assemblée a toujours prétendu que ces lois étaient abrogées par l’acte déclaratoire de 1778. John Neilson affirme que, de 1792 à 1822, l’exécutif n’invoquait pas ces anciennes lois ; mais en 1822 ce corps les a remises en vigueur, s’est appuyé dessus, et la division qui s’en est suivie durait encore en 1828. L’exécutif se fait appuyer par le conseil législatif et dit qu’il ne veut pas appliquer l’argent de ces prétendus octrois permanents à d’autres objets qu’aux dépenses du gouvernement civil ; mais l’assemblée législative soutient qu’il ne doit pas être employé par l’exécutif de manière à ce qu’elle n’ait aucun contrôle sur cet argent.

Au commencement du dix-neuvième siècle, il paraîtrait que les Communes du Royaume-Uni ne surveillaient pas de très près cette partie de la liste civile qui comprend les salaires des fonctionnaires publics ; mais c’était parce qu’elles ne voulaient pas s’en occuper, car leur droit sur ce point était incontestable. Au Canada, il fallait déterminer par items l’emploi et la distribution de l’argent ; c’était le seul moyen d’exercer quelque contrôle sur le pouvoir exécutif nommé par la couronne, et de s’assurer de la diligence et de l’intégrité des employés publics à tous les rangs et à tous les degrés.

D’après la dépêche de lord Bathurst[30] en date du 8 septembre 1817, « le droit de voter les subsides, qui, par l’esprit et l’essence de la constitution, appartient aux seuls représentants du peuple, serait partagé avec le conseil législatif, nommé par la couronne et conséquemment sa créature. »[31]

L’un des points de la question se rapportait aux dépenses contingentes, extraordinaires, imprévues. En pareils cas, le gouverneur soldait en puisant dans la caisse militaire, ne se trouvant pas justifiable d’utiliser l’argent de la province non encore affecté par la législature à aucun but défini. Si, par exemple, une somme de £100 avait été votée pour la construction d’un quai qui se trouvait à coûter nécessairement £120, on empruntait aux fonds de l’armée les £20 manquants, — mais le trésor impérial devait-il perdre cette somme ? Si l’on demandait à l’assemblée législative de la reconnaître par un vote, celle-ci pouvait répondre qu’elle n’approuvait pas les dépenses encourues en dehors de son contrôle — et il n’y avait pas de ministre responsable au peuple.

À l’enquête de 1828, John Neilson s’exprimait comme suit : « Tous les revenus de la couronne étaient dans les mains du receveur-général et ils y étaient tenus avec beaucoup de confusion. Je crois que la caisse militaire payait quelques-unes des dépenses ; il y avait de continuels versements réciproques entre la caisse civile et la caisse militaire ; quelquefois elles se vidaient l’une dans l’autre, et d’autres fois les coffres devenaient absolument vides… On disait que la Grande-Bretagne payait une partie de la dépense ; mais chaque fois que la chambre d’assemblée demandait le contrôle des deniers publics, la réponse était : « Qu’avez-vous à vous mêler de cela puisque c’est la Grande-Bretagne qui paye… » Dans d’autres colonies, on a établi la règle de faire les actes de revenu annuellement, mais dans le Bas-Canada, nous avons commis la folie de rendre ces actes permanents. Ces actes produisent plus d’argent qu’il n’en faut pour le soutien du gouvernement ; toutefois les dépenses en général se sont accrues en même temps que le revenu et rien n’a jamais été contrôlé par les représentants du peuple de la colonie. »

Le même témoin continue : « Le total du revenu du Bas-Canada a été dernièrement d’environ £90.000. Il s’est élevé en gros jusqu’à £150.000 par an, dont douze ou quinze pour cent passent pour la perception (collection), ce qui nous paraît énorme. Un quart du revenu net est remis au Haut-Canada, excepté la part du revenu territorial. L’exécutif prend £40.000, de sorte qu’il reste une forte balance à la disposition de la législature pour les améliorations locales, dons charitables, etc. Ce que l’on appelle communément revenu de la couronne est perçu d’après des actes antérieurs à 1774, par exemple ceux de Charles II, George I et les autres ; nous n’avons pas de comptes réguliers de leurs produits. Une autre partie des revenus de la couronne est mentionnée dans l’acte de 1774 (14e George III) à part le revenu territorial, aussi appartenant à la couronne. Tous ces revenus peuvent former de £30.000 à £40.000 par année.

« La première proposition faite par l’exécutif et soutenue par le conseil législatif était que tout l’argent qu’on voterait fût accordé d’une manière permanente à la liste civile pour le soutien du gouvernement. Ensuite, on se borna à demander le vote pour la durée de la vie du roi. La chambre d’assemblée refusa toujours ces conditions. Enfin l’exécutif prétendit qu’il était déjà pourvu au salaire de certains employés du gouvernement civil à même les deniers que les actes impériaux affectent au soutien du gouvernement civil et de l’administration de la justice. Il n’a été fait aucune proposition directe à la chambre d’assemblée de pourvoir au salaire de tels ou tels employés, mais on lui a demandé d’accorder d’une manière permanente tout ce qu’elle voudrait donner.

« Dans la Nouvelle-Écosse, où les choses vont très bien, on a fait dépendre tout le revenu du vote annuel de la législature, de sorte que non seulement la formation du budget, mais la perception même des deniers dépend du vote annuel de la législature ; là, le gouvernement et l’assemblée agissent très bien de concert. Dans les anciennes colonies de l’empire on persiste à voter annuellement le revenu en bloc, ce qui n’est pas extraordinaire lorsque l’on connaît les circonstances particulières de ces colonies.

« Le gouvernement ne voulant consentir à aucune loi pour régler la charge et devoir d’un auditeur des comptes publics, la chambre d’assemblée a objecté à la nomination d’un tel fonctionnaire. L’exécutif voulait que l’on accordât £1.800 par année à la personne qui occuperait ce poste, tandis qu’il n’y a pas d’audition du tout, parce que l’on se borne à noter les noms de ceux qui reçoivent l’argent. »

John Neilson vivait à Québec depuis trente-sept ans lorsqu’il fit ces déclarations et l’on sait que personne ne les a jamais contredites. Il représentait le comté de Québec depuis dix ans. Il fut envoyé en Angleterre avec D.-B. Viger et M. Cuvillier, porteurs des pétitions.

John Neilson était un philosophe qui fut comparé à Franklin par ceux qui le virent en Angleterre. Il avait, comme journaliste, un genre qui lui était propre, un style laconique, d’une ironie froide et calme, une habileté toute particulière à faire ressortir, par des citations et des rapprochements, les exagérations ou les contradictions de ses adversaires. Protestant, il était cependant l’ami intime de Mgr Plessis et des membres les plus éminents du clergé catholique. Par ses connaissances, sa sagesse et sa modération, il fut longtemps une sorte d’oracle politique dans le district de Québec.[32]

La proclamation de 1763 déclarait que tous les sujets de Sa Majesté qui iraient au Canada auraient droit aux avantages des lois de ses domaines en Angleterre. Le statut de 1774 donnait les lois françaises aux seigneuries, mais exceptait de l’opération de ces lois le reste de la province accordé ou à accorder en soccage, tenure des townships.

On a agi, de 1763 à 1774, d’après les lois anglaises. D’après l’Acte de Québec de 1774, les townships étaient sous les lois anglaises et les seigneuries retournent aux lois françaises. Après l’acte constitutionnel de 1791, le gouvernement invita par proclamation les loyalistes américains à venir s’établir dans les townships du Bas-Canada, leur offrant des terres, et, en conséquence, nombre de ces personnes se présentèrent et d’autres firent des demandes de terres, de sorte que leurs descendants ou les gens auxquels ils ont revendu habitent à présent les townships.

De 1815 à 1817, $280,000 ont été dépensés pour faire des chemins par tout le pays ; mais l’argent a été gaspillé. De 1818 à 1828, $120,000 furent dépensés de la même manière, sans régularité, sans bons résultats. John Neilson dit que « la chose a été tout à fait mal conduite. Il y a eu beaucoup de désordres dans cette affaire. Des deniers au montant de $600,000 ont été affectés à divers travaux et rien de tout cela n’a été réglé. »

L’acte de 1822 donne au district de Saint-François une juridiction limitée ; il renferme des expressions d’où l’on pourrait conclure qu’on regardait les lois françaises comme étant en opération dans les townships. Le tribunal de ce district pouvait juger sans appel des causes de $40. Il pouvait juger aussi des procès allant jusqu’à $80 ; mais dans ce cas les parties avaient le droit d’en référer à une plus haute autorité pour faire casser le jugement.

La pétition de 1823, présentée par les cantons de l’Est, se plaint de la situation dans laquelle se trouve cette partie du pays. Les seigneuries établies du temps des Français comprennent une bande étroite de terre des deux côtés du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Richelieu, dont la profondeur varie de dix milles à quarante, à moitié peuplée, principalement habitée par des Canadiens, à part 40,000 âmes d’origine britannique, et régie par les lois françaises. Les cantons de l’Est comprennent le reste de la province (sud-est), sont d’une plus grande étendue et susceptibles de contenir une population plus forte que les seigneuries ; ils sont entièrement peuplés d’habitants, formant en tout 40,000 âmes, parlant uniquement l’anglais,[33] ayant un clergé protestant, pour le soutien duquel une partie de ces terres est mise en réserve, et cependant sont soumis aux lois françaises, quoique les terres aient été concédées sous la tenure anglaise du franc et commun soccage. Il n’y a pas de cour de justice dans les limites des cantons de l’Est, et les colons sont obligés de se rendre à Québec, Trois-Rivières et Montréal, souvent à une distance de cent ou cent cinquante milles, à travers un pays où il est difficile et même dangereux de voyager, par suite du mauvais état des routes auxquelles la législature ne semble prêter aucune attention. De plus, ces cantons sont « de facto » sans représentation quelconque dans la chambre d’assemblée. Pour ces motifs, ils se prononcent en faveur du projet de l’union législative des deux provinces.

Les milliers d’émigrés arrivés de la Grande-Bretagne pendant ces dernières années en ont laissé à peine mille dans les cantons de l’Est, le reste a passé aux États-Unis, en voyant ce déplorable état de choses. On estime que cent mille émigrants nous ont ainsi échappé. Les cantons sont persuadés que les Canadiens se regardent comme la nation par excellence et veulent absorber les autres éléments ou leur refuser justice s’ils ne s’assimilent pas. Les Canadiens, sans devoir aucune partie de leur accroissement à l’émigration, ont plus que deux fois doublé depuis la conquête, et ils ont encore un caractère pareil à celui du temps de la conquête : ils le garderont toujours si la législation actuelle est maintenue. Si l’on adoptait l’union législative, on ferait finalement disparaître les préjugés et les inimitiés nationales, et on consoliderait la population des deux provinces en une masse homogène. Ces derniers mots ont rapport à l’ancien projet d’unir les deux provinces en une seule.

En 1828, l’enquête du parlement de Londres constata que la loi des chemins du Bas-Canada fonctionnait assez bien dans les seigneuries, à cause de la forme des terres d’habitants et du niveau égal du sol généralement, mais dans les townships, elle n’était guère applicable, vu la forme de ces terres, la situation des réserves et l’inégalité fréquente du sol.

Les gens des townships se plaignaient qu’on les négligeait systématiquement, et ils en accusaient la chambre d’assemblée. La faute en était au conseil exécutif. De fait, ils avaient des chemins d’été qui menaient aux États-Unis et n’en avaient pas pour conduire aux seigneuries du Bas-Canada. La partie des townships située près des seigneuries était la moins habitée.

Nous avons dit que le premier ministre William Pitt proposant le bill de 1791 pour donner au Canada une chambre élective, déclara que c’était mettre la colonie sous le régime de la constitution des Trois-Royaumes ; par conséquent, il accordait plus qu’on ne lui avait demandé, et il ajouta que son intention était d’assimiler les Canadiens à l’élément britannique afin de transformer l’ancienne Nouvelle-France en pays anglais.

Cette déclaration paraît étrange lorsque l’on étudie l’histoire des années qui suivirent 1791, puisque d’une part on voit clairement que les autorités impériales voulaient laisser le Bas-Canada aux Canadiens et former une province anglaise dans le Haut-Canada. Du moment que l’on voulait amener les Canadiens aux usages anglais, il fallait mettre les deux provinces en un seul gouvernement et tâcher de retenir dans le Bas-Canada la masse des colons de langue anglaise. En 1822, lorsque l’on proposa l’union des provinces, M. Lymburner s’y opposa, disant qu’il était trop tard, puisque les peuples que l’on avait séparés en 1791 se regardaient comme des ennemis. Ses paroles n’empêchaient pas qu’en ce moment on signait partout des pétitions dans les deux Canadas, les unes en faveur du bill, les autres contre et d’autres demandant que les détails du projet fussent connus du public des provinces intéressées avant que d’être soumis au parlement britannique. De fait, il était visible pour tous que c’était un coup monté par un petit nombre d’hommes qui agissaient comme des idéologues ou par simples calculs privés.

Les arrangements conclus, le 1 mai 1817, entre le Haut et le Bas-Canada au sujet de la proportion du revenu des douanes afférente à chacune de ces provinces avaient été ratifiés durant la session de 1818, mais ils étaient expirés depuis le 1 juillet 1819. Ensuite, une commission avait siégé pour reprendre la question ab ovo mais sans pouvoir arriver à une entente parce que les exigences du Haut-Canada paraissaient excessives.

La législature du Haut-Canada avait référé l’affaire à la considération du gouvernement impérial et en avait averti les autorités du Bas-Canada. Cette démarche fit sortir en pleine lumière le projet de l’union législative des deux provinces jusque-là débattu dans l’ombre par le parti du conseil exécutif, du conseil législatif, le bureau du gouverneur, les fonctionnaires anglais et certains marchands. En peu de temps un bill dans ce sens était soumis à la chambre des Communes de Londres, embrassant toutefois la question du commerce, des douanes et autres choses comme pour régler par cette loi les principales difficultés des deux provinces. Les articles concernant l’union furent attaqués vivement, et le ministère décida de suspendre la discussion jusqu’au moment où l’on aurait pu s’assurer de l’opinion des habitants de chaque province à cet égard.

Le bill, ainsi déchargé, prit le nom de Canada Trade Act et devint loi. Il accordait au Haut-Canada, sous une forme permanente, les conditions de l’arrangement du 1 mai 1817 au sujet des douanes ; de plus, les deux bills de subsides mentionnés plus haut et qu’on avait laissé expirer intentionnellement à la chambre de Québec, furent remis en vigueur avec le caractère de la permanence, mais susceptibles d’être modifiés par la législature du Bas-Canada pourvu que la législature du Haut-Canada y consente ; en outre il n’était plus permis à la législature du Bas-Canada d’imposer de nouveaux droits sur les marchandises importées par voie de mer, à moins du consentement du Haut-Canada.

Cette aventure politique, qui ressemble à un coup de théâtre, enrayait la marche adoptée par la chambre de Québec, et lui enlevait en même temps les pouvoirs qu’elle avait exercés relativement aux douanes.

Le bill donnait au Bas-Canada une représentation beaucoup plus faible qu’au Haut-Canada. Il conférait à des conseillers non élus par le peuple le droit de prendre part aux débats de l’assemblée législative. Il abolissait l’usage officiel de la langue française et limitait la liberté religieuse et les droits de l’Église catholique. Il restreignait aussi les droits des représentants touchant la disposition des impôts. Cette loi paraissait dictée par l’esprit le plus rétrograde et le plus hostile.

Il était évident que tout avait été tramé dans le Bas-Canada car on ne pouvait supposer que le parlement ou le ministère britannique eussent trempé dans une pareille combinaison sans y avoir été conduits par leur confiance dans le gouvernement de la colonie. La plupart des Anglais du Bas-Canada se disaient assez favorables à l’union mais tous rejetaient le bill comme mal conçu et renfermant de criantes injustices.

Dans le Haut-Canada, on pétitionna vigoureusement contre le bill. Dans l’assemblée législative il n’y eut que trois voix pour l’union ; au conseil il y en eut six. L’opinion publique pesait évidemment sur les deux chambres.

La Compagnie du Nord-Ouest, qui jouissait de beaucoup d’influence à Londres, voulait l’union. Ses directeurs en Canada étaient MM. Richardson[34] et McGill, deux chefs exagérés du parti anglais. Ellice avait été commis dans leur maison, puis étant passé aux Antilles il y avait épousé une fille du comte Grey qui se trouva plus tard l’homme le plus puissant du parti whig. Ellice, propriétaire de la seigneurie de Beauharnois, conservait des attaches en Canada[35] et cherchait à détruire l’œuvre de Pitt ; il décida le ministère à présenter le bill d’union.

Samuel Gale, né à Saint-Augustin, en Floride, était propriétaire dans les seigneuries et les townships et de plus président salarié de la cour des Sessions de quartier pour la ville et le district de Montréal. C’est lui qui se chargea de faire parvenir à Londres les requêtes favorables à l’union.[36] James Stuart se détacha du parti canadien, se fit le champion des unionistes et devint par cette voie procureur-général en 1825.

Parker, qui avait fait fortune en Canada, vivait retiré en Angleterre. Il eut connaissance du bill d’union et se rendit aux bureaux de Downing Street où il accusa Ellice de plusieurs méfaits et de fourberie dans toute cette affaire, mais on ne l’écouta pas. Il fut plus heureux auprès de sir James Mackintosh, de sir Francis Burdett et quelques autres députés. Une opposition se forma et arrêta le bill à la seconde lecture.

John Neilson et Papineau furent délégués à Londres où ils virent, en 1823, M. Lymburner. Les pétitions qu’ils portaient étaient couvertes de 60,000 signatures. La grande assemblée de Montréal à ce sujet avait eu lieu le 7 octobre et à Québec le 14 octobre 1822. Le conseil législatif fut intimidé par les démonstrations publiques et se déclara contre l’union. Comme la chambre basse il envoya son adresse à Neilson et Papineau pour la faire parvenir au roi, aux lords et aux Communes. Dans ce conseil, Richardson, Ryland, Grant, Irvine, Roderick Mackenzie et Felton avaient lutté contre l’adresse. Neilson et Papineau arrivèrent à Londres pour apprendre que le ministère ne poussait pas le bill.

Papineau dit qu’il se trouva en présence « d’un ministère tory, conservateur et absolutiste qui lui fit un accueil bienveillant et lui témoigna une honnête déférence. » Il ajoute que lord Bathurst lui demanda vingt-cinq ans de patience pour amener la transformation politique que Papineau désirait.

Lord Bathurst s’appuyait sur la croyance assez générale alors que la démocratie amènerait vers 1840 des déchirements aux États-Unis et que les régions voisines du Canada reprendraient le drapeau anglais, ce qui ouvrirait une nouvelle ère coloniale propre à l’accomplissement des désirs de Papineau. Par exemple, on accorderait au Canada un gouvernement à lui, et en donnant, comme contrepoids à l’élément populaire, une chambre héréditaire. Sur ce point le ministre expliqua que si la création d’une aristocratie n’avait pas encore été tentée en Canada, c’était à cause de la pauvreté des gens — argument que Fox amenait contre le même projet de Pitt en 1791. Mais, à entendre lord Bathurst, on pourrait former de grands propriétaires fonciers, qui deviendraient bientôt riches avec l’aide d’une immigration intelligemment dirigée. Papineau était accessible à de semblables vues et l’on pensait peut-être qu’il y aurait eu moyen de le tourner en faisant miroiter devant lui la perspective d’une élévation que toute sa nature était préparée à recevoir. On se trompait.

Il résulte de ce qui précède et de bien d’autres sources de renseignements, que le plus complet malentendu régna dans les conseils de George III, George IV et Guillaume IV au sujet de l’administration du Bas-Canada, aussi bien que pour le Haut-Canada, c’est-à-dire de 1791 à 1837. Avec la reine Victoria,[37] on commence à voir que les ministres sont accessibles à certaines explications et, par la suite, ils deviennent de plus en plus ouverts et comprennent enfin ce que leurs prédécesseurs s’obstinaient à méconnaître.

Le croirait-on ! l’un des hommes qui conserva le plus longtemps les vieux préjugés à cet égard fut Gladstone. En 1868, il expliquait au parlement que par nécessité, le pouvoir impérial avait dû, depuis 1791 jusqu’à ce dernier moment, concéder par bribes et fragments le « self-government » à plusieurs colonies, et que, par conséquent, la séparation était devenue complète, qu’il ne fallait pas songer à retenir l’amitié de ces États devenus indépendants car, disait-il, « leur premier instinct est de se dérober à notre contrôle »… et il concluait, comme vous le savez, en demandant que l’on retirât les troupes anglaises de la confédération canadienne. Il était loin de prévoir ce qu’il a vu avant que de mourir : les principales colonies de la Grande-Bretagne devenues indépendantes, mais se rapprochant plus que jamais de leur ancienne métropole.

Tout de même, Pitt avait une singulière conception en pensant que plus il nous isolerait, plus il nous laisserait à nous-mêmes et plus nous deviendrions Anglais ! Les Canadiens étaient tous cultivateurs : la plupart des Anglais étaient commerçants. Afin d’échapper à l’influence que ces derniers exerçaient à Londres, l’assemblée législative proposa la nomination d’un agent résidant près le ministère britannique pour représenter les intérêts de la province.

Avant 1774, les colonies de la Nouvelle-Angleterre avaient chacune un agent à Londres ; ces fonctionnaires étaient nommés par les législatures intéressées. La Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick ont eu à leur tour de semblables agents.

Pierre Bédard fut le premier qui demanda la permission pour le Bas-Canada d’avoir un agent en Angleterre. C’était en 1809. Le gouverneur fit dire à Bédard de se taire. La chambre, passant par dessus cette rebuffade, vota une adresse au prince régent, déclarant que ladite adresse lui serait portée par Bédard. On vota une autre adresse au gouverneur, le priant d’avancer à Bédard la somme de trois mille louis courant, à prendre sur l’argent non encore affecté à aucun service, puis, dès le lendemain, la chambre changea d’avis et demanda au gouverneur de nommer un messager pour porter l’adresse au régent. Le gouverneur répondit qu’il choisirait un messager lorsque les frais de son voyage auraient été votés. Le désaccord entre les deux chambres empêchait la réalisation de ce projet, et la chose en resta là. Cette question n’était pas encore réglée en 1837. Elle était au nombre des griefs qui amenèrent le soulèvement.[38] Les troubles de 1837 ne sont que la fin de quarante années de conflits politiques les plus remarquables, à plusieurs points de vue, de tous ceux des colonies anglaises, françaises, espagnoles et autres.

Cet aperçu de la situation jusqu’en 1822 n’est pas complet. Il l’est cependant assez pour faire comprendre le rôle important que Papineau s’est chargé de remplir. La lutte va se continuer sur le même terrain pendant des années, car, semblables aux héros des poèmes épiques qui combattent depuis l’aurore jusqu’au coucher du soleil durant plusieurs jours sans jamais épuiser leurs forces, nos champions parlementaires déploient une merveilleuse énergie et semblent avoir en eux quelque chose de cette vigueur antique chantée par Homère et les bardes anciens.

III


Nous avons dit que l’année 1807 fut le point de départ de beaucoup de malentendus, à cause des deux hommes qui accentuèrent les difficultés comme à plaisir : le gouverneur sir James Craig et son secrétaire Ryland. Celui-ci exerçait les fonctions de secrétaire des gouverneurs depuis 1792. Il était homme de talent, de bonne société. Sa conception des colonies était que tous les pouvoirs sont localisés dans la personne du roi et que le gouverneur délégué par le souverain détient pareillement ces pouvoirs et privilèges. C’est du Louis XIV pur. Il voulait abolir la chambre d’assemblée et le conseil législatif, ne gardant autour du gouverneur qu’une douzaine de personnes, sans lien avec la population canadienne, pour mener les affaires, avec des employés anglais uniquement. En somme, c’est le régime français tel que nous l’avions subi durant six quarts de siècle.[39]

Le juge en chef Jonathan Sewell partageait les mêmes vues. Le groupe des fonctionnaires pensait de la même façon. Aucun gouvernement n’avait adopté cette politique, de sorte qu’elle dormait dans la tête de ses auteurs.

L’automne de 1807, le gouverneur sir James Craig arriva pour prendre la direction de la province. Dès le lendemain, on savait qu’il allait écraser tout le monde, « afin, disait-il, d’avoir la paix dans le pays ». Ryland avait rencontré son « alter ego ». Tous deux s’unirent pour envenimer les sujets d’irritation qui préoccupaient déjà l’esprit public. Il se forma autour d’eux une clique qui continua de se donner le nom de parti anglais, exprimant par là son désir de refouler les Canadiens et de les chasser de partout.

Sir James Craig avait été choisi comme gouverneur du Canada parce que la guerre menaçait d’éclater entre les États-Unis et l’Angleterre. Dans ces conditions, il devait s’assurer de deux choses essentielles : les ressources du pays et la bonne volonté de la population. Il ne fit ni l’un ni l’autre. Toute sa pensée se concentra dans l’assujettissement des Canadiens. Il activa le feu déjà allumé et fit naître de nouveaux embarras. Il n’est pas possible d’errer plus complètement. Ses vexations servirent à prouver que les Canadiens n’étaient pas des rebelles, puisque, aussitôt qu’il eût décampé, la population se leva comme un seul homme pour repousser les Américains.

Si Craig eût été gouverneur en 1812, les Canadiens se seraient déclarés neutres entre les belligérants, tant cet officier avait paralysé le bon vouloir du peuple. Il a failli perdre le Canada, et son secrétaire Ryland doit porter une large part du blâme de l’histoire.

La chambre offrait alors de payer toutes les dépenses civiles. Cette mesure effrayait les conseillers du gouverneur qui, plus que personne, en ressentaient les conséquences ; car c’était leur enlever le maniement des deniers publics et par là le patronage. Ryland, l’âme de toutes les combinaisons imaginées contre l’influence des Canadiens, crut pouvoir parer le coup en partant pour Londres, porteur des dépêches officielles de sir James Craig et muni d’instructions particulières pour plaider la cause anglaise auprès des ministres. On verra qu’il ne gagna rien.

Le 14 juin 1808, Jean-Antoine Panet, président de la chambre d’assemblée, fut révoqué comme lieutenant-colonel de milice. Cet acte arbitraire tendit tout à fait la situation. Alors commencèrent de la part du gouverneur une suite de tracasseries et de mesures violentes, qu’il porta jusqu’à réprimander l’assemblée législative et à la dissoudre coup sur coup trois fois en deux ans, espérant que les élections lui amèneraient des députés plus soumis, mais il ne gagna qu’à se faire détester.

Sir James Craig était lettré, orateur et écrivain. Il savait tourner un sujet et lui donner des formes diverses. Bref, il mettait toute son habileté à soutenir le conseil législatif contre l’assemblée législative, afin d’empêcher cette dernière de contrôler les dépenses publiques et par là faire les nominations aux emplois, exercer le patronage, etc., tel que cela se passe de nos jours.

Les marchands de fourrures avaient une influence énorme dans le pays ; mais, comme on s’aperçut qu’ils faisaient corps avec sir James Craig, les élections de 1808 les reléguèrent en arrière. Ce fut un mouvement de toute importance, puisqu’il fit avorter le projet d’union des deux Canadas préparé dans ce milieu.[40]

Durant la session de 1810, Pierre Bédard, reprenant les idées de Ducalvet, demanda la création d’un ministère responsable. Il fut regardé comme un révolutionnaire.

Pierre Ducalvet, dans son Appel à la Justice, publié en 1784, invoquait l’établissement d’un gouvernement constitutionnel dont il posait ainsi les bases : 1o Conservation des lois françaises ; 2o loi de l’Habeas Corpus, 3o jugement par jury ; 4o inamovibilité des conseillers législatifs, des juges et même des simples gens de loi, sauf forfaiture ; 5o gouverneur justiciable des lois de la province ; 6o chambre d’assemblée élective ; 7o nomination de six députés pour représenter le Canada dans le parlement anglais ; 8o liberté de conscience ; personne ne devant être privé de ses droits politiques pour cause de religion ; 9o réforme de la judicature par le rétablissement du conseil supérieur ou conseil souverain du temps des Français ; 10o établissement militaire ; création d’un régiment à deux bataillons ; 11o liberté de la presse ; 12o collèges pour l’instruction de la jeunesse ; emploi des biens des Jésuites pour cet objet, conformément à leur destination primitive ; écoles publiques dans les paroisses ; 13o naturalisation des Canadiens dans l’étendue de l’empire britannique.

Une telle constitution serait plus complète que celle qui nous fut donnée en 1791. À l’article du gouverneur, Ducalvet allait au-delà des partisans du ministère responsable, car ce fonctionnaire relève des autorités impériales ; en le rendant sujet à nos lois, il voulait ôter à la métropole un pouvoir qu’il regardait comme dangereux. Ce livre de Ducalvet était continuellement commenté et invoqué par les Canadiens ainsi que l’ouvrage de Jean-Louis Delolme intitulé Constitution de l’Angleterre, publié à Amsterdam en 1771.[41]

Sir James Craig méditait un projet qu’il croyait de nature à affirmer son ascendant sur l’esprit de la population : c’était la suppression du seul journal publié en langue française à Québec. Le 17 mars 1810, une escouade de soldats saisit la presse du Canadien et MM. Bédard, Taschereau, Blanchet, Borgia, tous membres de la chambre, et autres rédacteurs, furent arrêtés comme propriétaires rédacteurs de ce journal. Joseph Papineau eut avec sir James Craig une longue conférence au sujet de leur emprisonnement et ne put rien gagner sur l’esprit arriéré du général, qui le quitta en disant : « le peuple apprendra que ce n’est pas à la chambre de gouverner le pays ». On sait que non seulement les prisonniers furent libérés sans procès, lorsque le gouverneur se vit blâmer par le ministre des colonies, mais encore ils reprirent leur carrière politique avec plus de vaillance que jamais.

Sir James Craig s’était fait rendre compte des griefs dont la chambre élective demandait le redressement, et il était décidé à agir de rigueur sur chacun de ces points. Ainsi, il prétendit que les juges et autres fonctionnaires pouvaient être élus par le peuple et former partie des deux assemblées aussi bien que du conseil exécutif. Sur la question des finances, il fut intraitable. Enfin, il voulait donner une leçon à la chambre populaire, et il en proclama la dissolution dès qu’elle se réunit après les élections de 1808. Son idée était de terroriser les électeurs parce qu’il les croyait susceptibles de se laisser conduire dans le sens indiqué par le gouvernement. La nouvelle chambre aurait dû lui ouvrir les yeux ; il n’y vit que des idées mal conçues et de nouveau fit un appel au peuple. Cette fois il ne pouvait s’y tromper : la masse des électeurs repoussait sa politique. Il renvoya la chambre aux électeurs et reçut encore un démenti éclatant. Tout cela à la veille des hostilités avec nos voisins.

Les deux Papineau entrèrent dans l’arène politique durant cette crise. Par bonheur, ils avaient assez de patriotisme pour combattre ce gouverneur étrange et ne pas perdre de vue les dangers de l’invasion américaine.[42]

La chambre ayant été cassée pour la troisième fois, Craig commença à se douter que les « morceaux en étaient encore bons », d’après le mot énergique d’un député, et il envoya Ryland en Angleterre, en mai 1810, pour se faire accorder la suppression de ladite chambre et autres changements, comme, par exemple, de prendre la direction du clergé catholique en faisant de l’évêque un employé du gouvernement.

Sir Robert Peel paraît n’avoir fait à Ryland qu’une seule réponse, verbale et sans gêne : « Les Canadiens forment l’immense majorité de la population ». L’émissaire de Craig ne comprit pas. Il retourna au bureau colonial un mois plus tard et entama le même sujet. Peel, une seconde fois, lui répondit : « Les Canadiens forment l’immense majorité de la population ». Trois mois après, dans un dîner, les deux hommes se rencontrèrent et Ryland amena la conversation sur son sujet favori. Peel riposta : « Les Canadiens forment… » — Mais Ryland venait enfin de comprendre, et il se disposa à repartir pour Québec. Le ministre le chargea d’une lettre ouverte ordonnant à sir James Craig de retourner en Angleterre.

Le général sir George Prévost arriva en 1811 pour remplacer Craig, et sa première démarche fut de nommer Ryland greffier du conseil pour l’empêcher de rester dans le bureau du gouverneur.

Dépité de son insuccès auprès des ministres, Ryland se lança plus que jamais contre les Canadiens. Jusqu’à la fin de sa vie on le voit imbu de l’idée qui dominait quelques hommes de 1774 : l’effacement des sujets d’origine française, leur asservissement à l’ordre de choses établi par les fonctionnaires impériaux. L’automne de 1811, il apprenait, à Québec, que le nouveau gouverneur sir George Prévost s’écartait absolument de sa politique. Sir James Craig rentrait à Londres pour comprendre à son tour qu’il avait trompé les espérances du gouvernement, tout en faisant du zèle et se croyant dans la bonne voie.

N’est-il pas étrange que, après avoir mis tout en œuvre pour séparer les Canadiens des Anglais en favorisant toujours et uniquement ces derniers, Ryland s’alarme, en 1812, en découvrant tout-à-coup le danger d’une guerre contre les États-Unis ? Sa conviction était que les Canadiens ne feraient point corps avec les Anglais dans une telle crise. Comme il se trompait !

Durant l’administration de sir George Prévost (1812-15) l’assemblée législative a unanimement soutenu toutes les mesures de ce gouverneur parce qu’il s’agissait de défendre le pays.[43] Louis-Joseph Papineau, bien qu’il s’opposa à la guerre qu’il qualifiait d’anglaise, servit comme capitaine de milice. Un jour qu’il commandait une compagnie qui conduisait des prisonniers américains, il fit taire la musique militaire qui jouait Yankee Doodle, considérant que cet air était un sarcasme à l’adresse des vaincus.[44]

Sir John Sherbrooke succéda à sir George Prévost comme gouverneur. Sous son administration (1816-17), le peuple fut généralement de son côté et soutint le conseil. En 1815, Papineau fut appelé à la présidence de la chambre d’assemblée en remplacement de Jean-Antoine Panet. Jusqu’en 1820, il ne remplira qu’un rôle modeste, alors que la législature siégeant au mois d’avril se trouve aux prises avec plusieurs questions, tant anciennes que nouvelles et au nombre de celles-ci est la singulière affaire de l’élection de Gaspé que le gouverneur avait retardée sans en avoir le droit. La chambre d’assemblée ne voulait pas procéder, disant qu’elle était incomplète. C’était un dead lock en règle. Sous lord Dalhousie, l’attitude des deux partis politiques ne se modifia point, c’est-à-dire que Papineau ne gagna rien, sinon peu de choses vers la fin de cette époque, ce qui eut pour effet de l’aigrir davantage contre l’Angleterre, son ennemie irréconciliable.

Les élections de 1824 eurent lieu en juillet-août et doublèrent le nombre des partisans de Papineau qui fut élu orateur, le 8 janvier 1825, par trente-deux voix contre douze en faveur de Vallières de Saint-Réal. L’âge de Vallières était le même que celui de Papineau, mais il n’était entré dans la politique qu’en 1815 et n’avait pas trouvé sa place toute préparée comme son rival en éloquence, il en résultait que la masse populaire était moins familiarisée avec son nom ; il passait d’ailleurs pour être un homme de plaisir, par conséquent moins sérieux qu’il ne fallait pour un chef de parti.

Le parlement, prorogé le 29 mars 1826, se réunit de nouveau le 23 janvier 1827. Les subsides furent votés dans la même forme que par les années précédentes et furent refusés. Le discours de prorogation fut une semonce en règle et fut suivi d’une dissolution. On retournait aux jours de Craig. Papineau et plusieurs députés signèrent un manifeste énergique, un véritable appel au peuple. Le gouverneur y répondit en destituant les officiers de milice,[45] en faisant arrêter et poursuivre M. Waller, rédacteur du Canadian Spectator.

La situation politique du Bas-Canada de 1760 à 1830 est maintenant connue du lecteur ; elle sera la même jusqu’à 1837 et se compliquera encore sur quelques points. Ce long débat est résumé dans l’imagination du peuple par l’expression « les temps de Papineau, » et certes ! on ne saurait mieux analyser cette suite de combats oratoires durant laquelle un homme, constamment sur la brèche, résistait au Colonial Office qui, lui non plus, ne voulait rien céder. De tous les événements de la guerre de l’indépendance américaine le populaire n’a retenu qu’un nom, celui de Washington. Au Canada, pour rappeler nos luttes mémorables, on dit Papineau.

À la cession de 1834, le tableau des griefs fut communiqué aux membres qui suivaient Papineau.[46] On s’était réuni à diverses reprises chez Elzéar Bédard afin de discuter et d’y faire certains changements. C’est alors que Papineau se sépara de John Neilson,[47] Cuvillier, Quesnel et autres, ou plutôt ceux-ci refusèrent de le suivre ne voulant pas se lancer dans une lutte ouverte contre l’Angleterre, tout en étant des hommes d’opinions libérales.

Au commencement de 1835, lord Aylmer écrivait au ministre qu’il avait donné quatre-vingts places aux Canadiens qui formaient les trois-quarts de la population, mais que la partialité avait été si grande avant lui et l’abus encore si enraciné, qu’il avait dû accorder soixante-deux places aux Anglais qui ne faisaient qu’un quart ; quant aux salaires et émoluments attachés à ces soixante-deux offices, ils excédaient de beaucoup ceux des quatre-vingts autres. Les fonctionnaires anglais recevaient £58,000, les Canadiens £13,500, Ceux-ci étaient exclus des départements de l’exécutif, du bureau des terres, des douanes, des postes. L’administration de la justice était partagée entre Anglais £28,000 et Canadiens £8,000.

Au printemps de 1835, le nouveau ministère de sir Robert Peel nomma lord Gosford, sir Charles Grey et sir George Gipps, commissaires, pour aller au Canada s’enquérir de la situation politique de cette colonie ; la commission arriva à Québec vers la fin d’août. En septembre, des membres libéraux du conseil et de la chambre d’assemblée se réunirent aux Trois-Rivières, chez René Kimber, pour s’entendre sur l’attitude à prendre devant la commission royale. Le district de Québec refusa de se joindre à cette assemblée, de sorte qu’on n’y vit que les représentants des districts de Montréal et des Trois-Rivières.[48]

À la session de 1836, Papineau prit la responsabilité des Quatre-vingt-douze Résolutions.[49] L’année suivante le parlement britannique passa des résolutions qui l’autorisa à voter le budget du Bas-Canada. C’était violer le principe fondamental de la liberté. Lord Gosford avait invoqué cette mesure et dut la répudier. Le sentiment public tournait vers la révolte et Papineau, dans une grande tournée, loin de calmer les esprits, les enflammait outre mesure. En juillet, il perdit du terrain, mais dans l’automne il le reprit. Alors on l’accusa de vouloir la séparation de la province d’avec l’Angleterre.[50] Lord Gosford recommanda la suspension immédiate de la constitution, ordonne l’arrestation de Papineau et offre $4,000 pour sa capture. Papineau passe aux États-Unis et de là s’expatrie en France où il restera jusqu’après l’amnistie, en 1845.[51]

Louis-Joseph Papineau avait une belle grande taille, souple et droite, un port noble, des mouvements gracieux. Tout en lui respirait la bonté. Sa figure au repos était une vraie médaille ; lorsque les traits s’animaient ils parlaient aux yeux, tant la pensée s’y trouvait dépeinte. La voix, sonore, bien timbrée, portait au loin, mais de près, dans une conversation, elle était moyenne et toujours d’un son agréable.

J’ai lu cent lettres écrites de sa main, remplies de passages, longs et minutieux, sur les membres de sa famille et leurs amis. Elles débordent d’affection, de complaisance, de soin pour ceux qui lui appartiennent. Le ton est chaud, la parole est gentille, la forme est gaie. C’est lui tel que je l’ai connu longtemps après, lorsque j’allais dîner, le dimanche, à son manoir de Montebello, car les lettres en question datent de 1810 à 1837.

Ses lectures étaient variées. Sa mémoire excellente lui permettait de puiser dans les livres qu’il n’avait pas ouverts depuis longtemps. En conversation, il se mettait juste au niveau de son interlocuteur. Chacun s’imaginait que Papineau était comme lui-même. La différence d’âge n’existait pas : il était vieillard avec les vieux et jeune avec la jeunesse. Langage approprié et manières ajustées au rôle qu’il prenait ; politesse exquise et pas du tout fatigante, tel était l’idole des Canadiens, et certes, personne ne s’est jamais moqué de cette gloire populaire qui resta sans tache, car la vie privé du tribun fut un modèle de la plus pure sagesse.

Dans ses lettres comme dans ses discours, il avait la manière du XVIIIe siècle : la longue période. Presque toutes ses phrases se divisaient en quatre ou cinq membres séparés par le point-virgule. On accorde de nos jours trois membres, et encore plusieurs disent que c’est trop long. Pas plus que ses contemporains il n’échappa à l’emphase qui régna si fort en France de 1750 à 1850 et marque cet espace d’un siècle d’une façon toute particulière dans l’histoire de notre langue. Son vocabulaire était celui des orateurs, car il y a des expressions qui sonnent bien dans la bouche et doivent leur valeur à la prononciation, tandis qu’il en est d’autres, très expressives sur le papier, qui ont moins bonne mine sur nos lèvres.

Il avait par nature la faculté de la parole et la cultivait avec un soin constant ; c’est dire qu’il possédait l’art de construire la phrase et surtout de penser avant que de parler. Nous avons peu d’hommes qui se donnent la peine de travailler pour maîtriser la langue écrite ; nous en avons encore moins qui apprennent à parler selon l’art, soit devant un auditoire, soit dans un salon. Papineau excellait en ces deux derniers genres ; mais quand il prenait la plume, on ne le retrouvait pas à la même hauteur ; pourtant il écrivait fort bien en tant qu’il s’agit de faire comprendre les idées que l’on émet. Le style de l’écrivain lui manquait. Il était maître du style de l’orateur qui utilise la voix, le geste, la circonstance du lieu, à part le fond de la pensée, tandis que l’écrivain n’a à sa disposition que des mots tracés en noir sur un fond blanc pour exprimer tout ce qu’il veut faire entendre ; c’est plus difficile.

Ses moyens d’existence n’ont jamais été abondants.[52] La vie de chef politique coûte du temps et de l’argent. J’ai vu tant de papiers des deux Papineau que je puis affirmer que ceux-ci ont vécu dans le médiocre, assez près de la pauvreté. Leur seigneurie de la Petite-Nation n’a procuré de l’aisance qu’à Louis-Joseph Papineau, et encore, c’était vers 1850, alors qu’il était âgé de près de soixante-dix ans. Son père et lui avaient travaillé avec ardeur, depuis 1804, à défricher et mettre en valeur ces terres perdues au bout du monde, sur la rivière Ottawa restée sauvage comme il y a deux siècles. Ils ont gagné courageusement le peu d’aisance qu’ils ont goûtée sur la fin de leur vie.[53]

Avocat pratiquant, Papineau eut amassé une fortune princière. Il a préféré servir la cause nationale.[54] Durant plusieurs années, il a refusé de recevoir aucune rémunération en qualité de président de la chambre d’assemblée. Vers 1818, la somme de quatre mille piastres annuellement avait été votée pour le titulaire de cette charge. Toujours il a refusé d’acheter des actions de banques, par crainte d’engager sa liberté individuelle et de gêner par là l’expression de ses idées ; ses adversaires en ont pris sujet pour dire qu’il était l’ennemi du commerce. En toute occasion il tonnait contre le monopole et dénonçait les mesures susceptibles de placer dans la main d’un petit nombre d’individus des moyens dangereux. L’égoïsme des financiers le révoltait. En fait de courage on ne saurait aller trop loin sur la voie de l’éloge, sa longue carrière politique atteste qu’il était doué d’une fermeté hors ligne, et les lettres menaçantes qu’il reçut à tout propos eussent ébranlé un caractère moins bien trempé que ne l’était celui de cet intrépide champion des droits du peuple. Il continuait sa marche avec calme en méprisant les intimidateurs. Au commencement de 1836, lord Gosford l’envoya chercher avec mystère et lui déclara qu’une conspiration était tramée contre leur existence à tous deux.[55] Il ajoutait : « Ne sortez jamais seul ou sans être armé… toute cette agitation disparaîtrait pourtant si la chambre votait les subsides… » On voit le fond de la pensée du gouverneur. Papineau sourit et se retira.

Il allait à Ottawa, chaque été, et visitait la bourgade devenue ville, passée ensuite au rang de capitale, lui qui en avait vu construire les premières maisonnettes. Sa haute stature frappait les passants. Du reste, il n’avait pas l’air d’un homme « quelconque ». Son aspect impressionnait au premier regard. Un jour, j’entendis quelques personnes demander qui il était. On répondit : « Papineau », et l’un des témoins de cette petite scène s’écria naïvement : « Tu m’aurais dit que c’était Joseph Montferrand, je l’aurais cru ! »

Le 17 décembre 1867, alors qu’il avait quatre-vingt-un ans, il prononça à l’Institut Canadien de Montréal un long discours résumant ses idées sur la politique du Canada. Je n’y vois pas le sens pratique dont sa longue expérience pouvait profiter. Il est trop 1837, ne tenant pas compte de ce qui avait eu lieu depuis trente ans.

Nul plus que lui ne savait que notre élément est en quelque sorte un îlot au milieu d’une mer d’influences étrangères, et par conséquent qu’il nous est impossible d’agir en maîtres. La conquête de 1760 pèse toujours sur les Canadiens-français ; c’est même une espèce de miracle que nous subsistions encore. Dans ces conditions, il n’y a qu’une politique : voir venir les événements, les ajuster à nos besoins ; être les plus habiles, ne pouvant déployer de grandes forces.

Papineau ne voyait pas les choses de cette façon et se croyait au temps de 1810, où notre groupe, dans une province isolée, avait chance de se débattre ; mais, depuis soixante, quatre-vingts ans, nous sommes entourés, englobés, forcés de faire corps avec des masses qui s’agitent, et notre existence est bien autrement difficile qu’au début du siècle dernier. Qu’importe, l’esprit de combat de Papineau a mis dans notre peuple un sentiment de vaillance qui est inappréciable et qui promet de ne jamais s’éteindre. S’il n’a fait que cela, c’est assez pour sa gloire, c’est un bonheur pour nous.

Papineau mourut à Montebello le 25 septembre 1871, âgé de quatre-vingt-cinq ans. Son épouse, née Julie Bruneau, l’avait précédé dans la tombe en 1862, ayant toute sa santé et ne fut malade que quelques heures. Elle avait à peu près soixante-six ans. De leur union étaient nés trois garçons et deux filles : Lactance, qui étudia la médecine à Paris, et Gustave qui, à dix-sept ans, rédigeait l’Avenir, à Montréal, moururent jeunes ; et Amédée qui leur survécut ; Ézilda et Azélie. Cette dernière épousa Napoléon Bourassa, père d’Henri.

Au lendemain de sa mort, le Journal de l’Instruction publique, de Québec, publiait l’extrait suivant : « Réélu en 1848, M. Papineau rentra en 1854 dans la vie privée pour n’en sortir que bien rarement. Il a partagé presque constamment son existence entre Montréal et son manoir splendide de Montebello, où il possédait une bibliothèque considérable. Malgré son âge, même dans les derniers temps, il étudiait et lisait beaucoup. L’été, sa villa se peuplait comme par enchantement. Toute sa famille, et un grand nombre d’étrangers accouraient jouir de sa franche et cordiale hospitalité. Plus d’une célébrité étrangère est allée jusque-là saluer le grand homme dans son manoir patriarcal. Dans ses relations sociales, il apportait un charme, une politesse, en un mot un bon ton que l’on rencontre peu souvent de nos jours. »

L’amabilité des deux Papineau, leur courtoisie n’attira jamais que des compliments sur leur compte, et ils eurent des rapports suivis de bonne société avec la plupart de leurs adversaires les plus déclarés. On lit dans les lettres de H.-W. Ryland que Joseph Papineau ne figurait pas dans une certaine assemblée qui venait d’avoir lieu, « mais, ajoute-t-il, il y a une ou deux phrases dans la résolution adoptée en cette occasion, qui ne peuvent venir que de son esprit subtil, toujours adroit à éviter le danger en disant cependant tout ce qu’il veut dire. »

Sir James Craig causait longuement avec Joseph Papineau chaque fois qu’il en trouvait l’occasion. Et qui a plus combattu Craig que Joseph Papineau ?

En 1820, alors que Louis-Joseph Papineau menait une campagne formidable contre l’administration des finances,[56] il raconte dans une lettre à son frère que le receveur-général Caldwell, revenant d’Angleterre, lui donna de copieux renseignements sur le projet des ministres à l’égard du Bas-Canada ; et pourtant Papineau demandait alors que l’on examinât les livres et la caisse du susdit Caldwell pour savoir ce qui se faisait dans son bureau. Il est à croire que ni Ryland, ni Craig, ni Caldwell, ni Dalhousie, ni Gosford, n’attribuaient au chef du parti canadien des motifs d’animosité personnelle ou d’intérêt privé, et, en dehors de la lutte politique, ils le traitaient amicalement.

Lord Gosford écrivait en 1846 à M. Bréhaut, de Montréal : « J’ai appris que M. Papineau a visité l’Irlande en même temps que j’y étais, l’an dernier. Si j’eusse su qu’il était là, je me serais empressé d’aller le voir. J’apprends qu’il est retourné au Canada en bonne santé, et cette double nouvelle me réjouit après son exil. Dites-lui que je le salue cordialement. Personnellement, j’ai toujours partagé son opinion, mais comme gouverneur général du Canada, j’agissais d’après mes instructions et je lui refusais malgré moi nombre de choses importantes pour la colonie. La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était l’automne de 1837 et, au cours d’une longue conversation, j’insistai pour qu’il n’allât pas à Montréal où il y avait de l’effervescence. Je le priai de rester à Québec. Il partit, cependant, disant que sa présence calmerait les esprits, mais je lui affirmai que le soulèvement se produirait dès qu’il serait au milieu de ses partisans enfiévrés. Je n’avais que trop raison ».

Ses manières affables, son geste engageant, sa conversation polie et admirablement soutenue, presque toujours enjouée, faisaient de Papineau l’idole de son entourage. Lorsqu’il parla en chambre pour la première fois, il étonna l’assemblée, fut comblé de témoignages d’admiration et lui, le nouveau membre, se trouva aussitôt au rang des vieux lutteurs. Comédien à la façon de tous les orateurs, il s’animait en parlant et jouait les sentiments que sa langue exprimait. Il réglait l’enthousiasme des foules comme un morceau de musique. Son tempérament était sanguin et bilieux. Chez lui, le cœur était le premier organe qui agissait sous le coup d’une pensée ou d’une surprise, et le sang bouillonnait visiblement. Cela rendait sa parole chaude, sympathique, humaine ; il était tout en dehors et captivait les gens à sentiment. Se voyant écouté, il allait avec l’entrain du coursier généreux qui aperçoit devant lui une longue carrière. L’agencement des faits qu’il exposait à l’auditoire prenait des formes poétiques ; il en appelait à l’histoire, au dire des grands hommes, citait des vers, mesurait ses phrases avec une justesse de rhétoricien et charmait par la continuité d’une diction lyrique très propre à étonner le peuple, comme dans l’éloquence de l’antiquité. Sa verve, toute française, ne tarissait point ; il pouvait reprendre les divers éléments de son discours et leur donner une couleur nouvelle à chaque fois. Très respectueux de la langue, il ne s’oubliait jamais jusqu’à lui donner une tournure vulgaire. Ceci impressionnait énormément les esprits, même les plus obtus, car ils sentaient qu’ils étaient en présence d’un maître ou d’un être supérieur. Le feu de l’enthousiasme, une fois allumé, embrasait tout, allait d’un bout à l’autre du discours, restait dans l’imagination des auditeurs. Si, par contre, l’organisation bilieuse était touchée, ce qui arrivait dans l’énumération de certains griefs qui étaient comme une plaie ouverte au flanc de cet homme étonnant, l’ironie, le sarcasme, l’invective débordaient à pleine phrase, l’accent emphatique prenait le dessus, d’après la mode de son temps, il mordait et poignardait, retournait la situation, ramenait son auditoire palpitant d’une irritation à une autre et l’abandonnait soulevé, éperdu, épeuré.

Le système nerveux ne comptait en apparence pour rien dans sa personne. Il le dominait totalement. On sait que les gens nerveux ne produisent pas sur le public autant d’effet que les tempéraments sanguins, et cela se conçoit puisque les manifestations des nerfs sont un indice de faiblesse. Moins lymphatique encore que nerveux, Papineau était toute application, persistance et vigueur. On aurait pu attendre de lui qu’il fût rieur, gai, pétillant, mais il ne l’était pas. Son expression était plutôt solennelle ; néanmoins son amabilité en conversation le portait à la causerie légère, et il y déployait des ressources variées.

Le tempérament d’un homme est subordonné à son caractère dans une organisation bien servie par ses organes. Le caractère de Papineau était celui d’un calculateur, non pas de ceux qui s’occupent de chiffres, mais de ce calcul qui consiste à mesurer la conséquence d’un fait, d’une parole, d’une proposition. S’étant donné pour mission de faire l’éducation politique du peuple, il savait prévoir, à longue ou à courte échéance, le résultat d’une démarche publique. Il ne mettait point de hâte dans ce qui devait nécessairement prendre un temps assez long pour s’accomplir, de même qu’il savait brusquer ce qui lui paraissait exiger une action immédiate. Sans la faculté de calcul qu’il possédait, il n’aurait pas pu tenir durant vingt ans une suite de campagnes électorales et de débats parlementaires comme il y en a peu dans l’histoire des colonies ou même de l’empire britannique. Vers 1837, il commit la faute de ne pas s’apercevoir qu’il avait déchaîné le lion populaire et que celui-ci était d’un tempérament à la fois nerveux et bilieux, ce qui implique la férocité.

Tel était l’homme qui, de 1817 à 1837, se maintint au premier rang d’une agitation qui a produit le réveil des idées coloniales actuelles. S’il n’eût pas existé, il est probable que nous en serions encore à vivre sous l’ancien régime, mitigé de quelque façon, mais certainement bien éloigné du « self-government ».

Appendice


Avant que de clore cette étude, qu’on nous permette d’ajouter qu’on ne se figure pas, généralement, combien le gouvernement britannique d’autrefois différait de celui de nos jours.

Delolme, il y a cent cinquante ans, faisait admirer à la Suisse, sa patrie, et à la France, le mode administratif des Trois-Royaumes ; il était loin de se douter des imperfections qu’il préconisait, mais son fond de raisonnement consistait à comparer avec les autres États de l’Europe et, en cela, le bon sens était de son côté.

Mirabeau plus tard, le duc d’Orléans et nombre d’écrivains ou orateurs invoquaient la constitution britannique ; ils n’en voyaient point les défauts, mais ils sentaient bien que c’était préférable à l’autocratie de leurs souverains. Washington prit tellement à cœur la forme anglaise qu’il l’imposa aux États-Unis dans plus d’un rouage essentiel. Encore aujourd’hui on voit le président américain choisir ses ministres qui ne sont responsables qu’à lui-même.

L’idée de mettre la direction d’un peuple entre les mains d’un monarque et des ministres qu’il se choisit à son gré a donné la forme à tous les gouvernements qui ont existé depuis au moins quatre mille ans, mais cela ne la rend ni plus juste ni plus honnête ni plus respectable. Aucun individu ne peut remplir les devoirs qui incombent à une fonction aussi énorme : il penche du côté où son caractère rencontre un point faible. De là, ce fait, constant et dégradant, d’une autorité abusive et de peuple traité en esclaves. L’hérédité de la couronne a toujours fait naître l’oligarchie, c’est-à-dire un petit nombre de familles fournissant des ministres au souverain, et le résultat n’a fait que rendre plus complet l’esclavage général.

L’œuvre du temps est la première chose à comprendre lorsque l’on étudie le passé. C’est commettre une erreur profonde que de reporter en arrière les idées et les pratiques de nos jours. Autrefois est si complètement autrefois que la ressemblance avec nos us et coutumes ne se retrouve presque pas. Avant la réforme de 1832 il y avait en Angleterre plus de quatre-vingts différents droits de vote pour l’élection des membres du parlement qui représentaient les bourgs et villages dans les différentes régions du royaume.

Les bourgs et villages des Cornouailles, par exemple, envoyaient quarante-deux délégués à la chambre des Communes, tandis que la ville de Londres n’en avait pas plus de quatre.

Le parc de Gratton, réservé à la chasse, comptait quelques habitants qui envoyaient à la législature autant de membres que les villes prospères de Westminster ou Bristol.

Des localités de rien, comme East Looe et West Looe élisaient autant de députés que les grands comtés de Yorkshire et de Devonshire.

Dans les comtés régnait un système moins mêlé, plus uniforme, mais là comme ailleurs, tout dépendait de l’influence de quelques familles. On cite Wharton qui à lui seul faisait élire cinquante membres au temps de Guillaume III. Les votations duraient des jours et des semaines, parfois quarante jours.

La chambre des Communes ne se gênait pas, ou plutôt le parti au pouvoir cassait l’élection d’un adversaire et nommait tout simplement le candidat battu pour prendre sa place. Un membre du parlement pouvait être fonctionnaire public ou recevoir une sinécure, le tout grassement payé. Par ce moyen George III eut une majorité solide aux Communes durant une vingtaine d’années, juste les années qu’il employa à perdre les colonies américaines. La corruption avait beau jeu. Sous les Stuart elle formait partie de la politique, mais de 1687 à 1800 ce mécanisme changea de forme et d’importance ; sous Guillaume III ce ne fut presque rien ; sous Anne on acheta bon nombre de députés ; sous George I Walpole se créa une renommée en ce genre de politique, mais son successeur Pultney, sous George II, le dépassa de cent coudées. Ensuite vint George III qui fit de la corruption la base de son gouvernement. La guerre contre la France, de 1793 à 1815, mit fin aux excès, mais aux excès seulement.

Drôles de cabinets, toujours composés de gens de deux, trois, quatre ou cinq partis, nommés par le roi, responsables à lui seul, et se tiraillant à qui mieux mieux tout le temps de leur durée dans les bonnes grâces du souverain. Tous étaient nobles. La chambre des Communes ne voyait que certains chapitres des comptes publics, mais elle avait le pouvoir, vers 1778, de les examiner de plus près. Il était défendu de publier ce qui se disait ou ce qui se passait au parlement. Le service civil était entre les mains d’une classe particulière.

À travers tout cela, les whigs ou libéraux et les tories ou conservateurs se combattaient. Les whigs, mieux organisés, gardaient le pouvoir plus longtemps et c’étaient les prêcheurs de réforme. Sous Guillaume III et les deux premiers George ils avaient les rênes de l’administration. George III les tint longtemps dans l’opposition mais finit par les accepter bien malgré lui. Plus tard le programme des whigs triompha et devint loi.

Le régime politique actuel est ancien par sa base mais nouveau dans son opération. Ainsi, quand l’Angleterre, il y a cent ans, refusait à la chambre d’assemblée du Canada la nomination des juges, greffiers, etc., c’est que sa chambre des Communes ne possédait pas ce droit. Quand on ne nous montrait que telle ou telle partie des comptes publics c’était que la même chose avait lieu aux Communes. Ensuite, les réformes se produisant là-bas, on nous les passa les unes après les autres, quelquefois à contre cœur, et voilà comment, depuis 1848, bien des changements avantageux sont survenus chez nous. L’honneur d’avoir conçu ces réformes revient au Canada autant qu’au parti whig anglais.

On lit dans un livre récent : « Avec la reine Victoria s’ouvre l’ère des libertés politiques. » Entendons-nous mieux que cela. L’agitation en faveur des réformes datait de cinquante ans dans la chambre des Communes. Tout d’abord, la nation s’y montra indifférente. Avec le temps la propagande gagna du terrain et en 1829 eut lieu l’émancipation des catholiques, puis en 1832 le remaniement des sièges électoraux. La porte était ouverte. La reine Victoria, en 1837, ne prévoyait ni ne désirait d’autres réformes. Elle a été toute sa vie revêche à l’action des démocrates. Néanmoins, c’est durant ce long règne que morceau par morceau, miette à miette, à venir jusqu’à 1890, qu’on lui a retiré ses « privilèges » et elle a eu assez de bon sens pour y renoncer, les uns après les autres, avec l’idée très juste qu’elle empêchait la révolution de tout emporter.

Édouard VII n’a pas vécu comme les princes de Galles ses prédécesseurs, uniquement entouré de courtisans et de gens de la très haute classe. Il s’est mêlé de bonne heure et avec bonheur à tous les éléments de la nation et a parcouru l’Europe en tous sens, acquérant une expérience extraordinaire pour un personnage royal. Je me souviens du temps où on lui faisait une pauvre réputation, parce qu’il se « fourrait partout ». Cet homme sortit de là diplomate accompli et souverain éclairé, comprenant la transformation des idées, les besoins de notre époque et ayant sous les yeux les réformes que la démocratie forçait sa mère à sanctionner. Il a agi comme roi selon ce qu’il avait su comprendre étant prince de Galles.

Index Général


Page
Acte de Québec, 1774
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41, 42, 43, 49, 51
Adhémar, Toussaint-Antoine,
...........................................................................................................................................................
Aylmer, lord,
...........................................................................................................................................................
Bathurst, lord,
...........................................................................................................................................................
52, 64
Beaudry, Josette,
...........................................................................................................................................................
Beauharnois, seigneurie,
...........................................................................................................................................................
Bédard, Elzéar,
...........................................................................................................................................................
Bédard, Pierre,
...........................................................................................................................................................
16, 20, 25, 28, 30, 66, 70, 72
Blanchet, François, médecin,
...........................................................................................................................................................
28, 72
Borgia, Joseph-Louis,
...........................................................................................................................................................
20, 28, 72
Bouchette, Joseph,
...........................................................................................................................................................
Bourassa, Napoléon et Henri,
...........................................................................................................................................................
Bourdages, Louis,
...........................................................................................................................................................
Bourgeois du Nord-Ouest,
...........................................................................................................................................................
62, 70
Bruneau, Julie,
...........................................................................................................................................................
13, 84
Burdett, sir Francis,
...........................................................................................................................................................
Caldwell, Henry
...........................................................................................................................................................
26, 27, 53, 85
Canada Trade Act, The,
...........................................................................................................................................................
61, 62
Canadiens, 1763, monnaie de carte,
...........................................................................................................................................................
Cantons de l’Est,
...........................................................................................................................................................
56, 59
Carleton, sir Guy,
...........................................................................................................................................................
13, 14, 23, 36, 41
Catalogne, Gédéon de,
...........................................................................................................................................................
Chartier de Lotbinière,
...........................................................................................................................................................
16, 20
Cherrier, Rosalie,
...........................................................................................................................................................
Christie, Robert,
...........................................................................................................................................................
Commerce, 1760, devient libre,
...........................................................................................................................................................
Coulonges, fort,
...........................................................................................................................................................
Craig, sir James,
...........................................................................................................................................................
17, 46, 51, 68-76, 85
Cramahé, Hector-Théophile,
...........................................................................................................................................................
Crémazie, Octave,
...........................................................................................................................................................
Cuvillier, Austin,
...........................................................................................................................................................
56, 77
Dalhousie, lord,
...........................................................................................................................................................
75, 76, 85
Dames, jeu de,
...........................................................................................................................................................
Daniel, Jacques,
...........................................................................................................................................................
Debartzch, Pierre-Dominique,
...........................................................................................................................................................
20, 29
Delisle, Jean-Guillaume,
...........................................................................................................................................................
13, 15, 22, 23
Delolme, Jean-Louis et son livre,
...........................................................................................................................................................
71, 72, 89
Desmarets, Marie-Louise,
...........................................................................................................................................................
Ducalvet, Pierre,
...........................................................................................................................................................
15, 23, 70, 71
Drummond, Colin,
...........................................................................................................................................................
Dunn, Thomas,
...........................................................................................................................................................
Durham, lord,
...........................................................................................................................................................
Échecs, jeu des,
...........................................................................................................................................................
Édouard VII,
...........................................................................................................................................................
Ellice, Edward,
...........................................................................................................................................................
62, 63
Felton, W. B.,
...........................................................................................................................................................
Finlay, Hugh,
...........................................................................................................................................................
Folleville, voir Testard de Folleville.
...........................................................................................................................................................
Fortin, capitaine Luc et Georges-E,
...........................................................................................................................................................
Fox, Charles James,
...........................................................................................................................................................
50, 64
Franklin, Benjamin,
...........................................................................................................................................................
Gale, Samuel,
...........................................................................................................................................................
Gipps, George,
...........................................................................................................................................................
Gladstone, William Ewart,
...........................................................................................................................................................
Glenelg, lord,
...........................................................................................................................................................
Goldfrap, James,
...........................................................................................................................................................
Gosford, lord,
...........................................................................................................................................................
78, 82, 85
Gouvernement responsable,
...........................................................................................................................................................
23, 28, 35, 40, 65
Grant, Charles William,
...........................................................................................................................................................
Grey, sir Charles,
...........................................................................................................................................................
62, 63, 78
Guerre, 1812,
...........................................................................................................................................................
69, 74, 75
Henryville,
...........................................................................................................................................................
Hey, William,
...........................................................................................................................................................
Holland, Samuel,
...........................................................................................................................................................
Howe, Hon. Joseph,
...........................................................................................................................................................
Hubert, Marie,
...........................................................................................................................................................
Hunault, Jeanne,
...........................................................................................................................................................
Immigration nulle de 1763 à 1817,
...........................................................................................................................................................
49, 58
Invasion de 1775,
...........................................................................................................................................................
14, 15
Irvine, James,
...........................................................................................................................................................
Jury,
...........................................................................................................................................................
Juges en 1784,
...........................................................................................................................................................
40, 71, 72
Kent, comté,
...........................................................................................................................................................
Kimber, René,
...........................................................................................................................................................
Lacombe dit Saint-Amand, Guillaume,
...........................................................................................................................................................
La Fontaine, sir Louis-Hippolyte,
...........................................................................................................................................................
Lamothe, capitaine Joseph-Marie,
...........................................................................................................................................................
14, 15
Langues française et anglaise,
...........................................................................................................................................................
49, 59, 62, 71
Laval, Mgr de,
...........................................................................................................................................................
Lymburner, Adam,
...........................................................................................................................................................
49, 60, 63
Mackenzie, Roderick,
...........................................................................................................................................................
Mackintosh, sir James,
...........................................................................................................................................................
Marcoux, capitaine,
...........................................................................................................................................................
McGill, Peter,
...........................................................................................................................................................
McKenzie, Roderick, voir Mackenzie.
...........................................................................................................................................................
Mills, Thomas,
...........................................................................................................................................................
Monnaie de carte,
...........................................................................................................................................................
Montebello, village et manoir,
...........................................................................................................................................................
18, 79, 84
Montferrand, Joseph, athlète,
...........................................................................................................................................................
Moore, Thomas, poète,
...........................................................................................................................................................
Morin, Hon. A.-N.,
...........................................................................................................................................................
Mounier, Francis,
...........................................................................................................................................................
Murray, James,
...........................................................................................................................................................
23, 36
Murray, Walter,
...........................................................................................................................................................
Neilson, John,
...........................................................................................................................................................
20, 50-57, 63, 64, 77
Noblesse,
...........................................................................................................................................................
North, lord,
...........................................................................................................................................................
Nouveau-Brunswick,
...........................................................................................................................................................
34, 66
Nouvelle-Écosse,
...........................................................................................................................................................
34, 55, 66
Officiers de milice,
...........................................................................................................................................................
28, 70, 76
Panet, Jean-Antoine,
...........................................................................................................................................................
28, 70, 75
Papineau, Amédée, Gustave et Lactance,
...........................................................................................................................................................
Papineau, Azélie et Ézilda,
...........................................................................................................................................................
Papineau, Jean,
...........................................................................................................................................................
Papineau, Joseph et Louis-Joseph. Voir tout le livre.
...........................................................................................................................................................
Papineau, Pierre-Joseph-François,
...........................................................................................................................................................
Papineau, Samuel et sa famille,
...........................................................................................................................................................
11, 12
Parker, William,
...........................................................................................................................................................
Peel, sir Robert,
...........................................................................................................................................................
73, 74, 78
Petite-Nation, seigneurie,
...........................................................................................................................................................
17, 18, 81
Pitt, William, ministre,
...........................................................................................................................................................
24, 25, 49, 50, 59, 63, 64, 66
Plessis, Mgr
...........................................................................................................................................................
Powell, William Dummer,
...........................................................................................................................................................
Prévost, sir George,
...........................................................................................................................................................
74, 75
Price, Benjamin,
...........................................................................................................................................................
Quatre-vingt-douze Résolutions,
...........................................................................................................................................................
29, 30, 31, 77, 78, 79
Quesnel, F.-A.,
...........................................................................................................................................................
Quevillon, Adrienne et Catherine,
...........................................................................................................................................................
11, 12
Révolution américaine, 1775
...........................................................................................................................................................
14, 15, 36, 41, 48
Révolution française
...........................................................................................................................................................
43, 49
Richardson, Hon. John,
...........................................................................................................................................................
62, 64
Rieutord, Jean-Baptiste,
...........................................................................................................................................................
Rivière-du-Loup (Louiseville),
...........................................................................................................................................................
Ryland, Herman W.,
...........................................................................................................................................................
64, 68, 69, 73, 74, 84, 85
Saint-François-du-Lac,
...........................................................................................................................................................
Seigneuries,
...........................................................................................................................................................
17, 56-59
Sewell, Jonathan, juge en chef,
...........................................................................................................................................................
Sherbrooke, sir John,
...........................................................................................................................................................
Stanstead, village,
...........................................................................................................................................................
Stuart, James,
...........................................................................................................................................................
Taschereau, J.-T.,
...........................................................................................................................................................
28, 29, 72
Tenure seigneuriale,
...........................................................................................................................................................
56-59, 81
Test, serment du,
...........................................................................................................................................................
Testard de Folleville, J.-B.
...........................................................................................................................................................
Troubles de 1837-38,
...........................................................................................................................................................
67, 79, 88
Ursulines des Trois-Rivières,
...........................................................................................................................................................
Vallières de Saint-Réal, avocat,
...........................................................................................................................................................
Vérac, Jean-Baptiste de,
...........................................................................................................................................................
Victoria, reine,
...........................................................................................................................................................
65, 92, 93
Viger, Denis-Benjamin,
...........................................................................................................................................................
16, 29, 56, 82
Waller, rédacteur,
...........................................................................................................................................................
Washington, George,
...........................................................................................................................................................
77, 89

TABLE DES MATIÈRES

(ne fait pas partie de l’ouvrage original)

I 
 11
II 
 34
III 
 68
 89

  1. History of Quebec, I, 386.
  2. Ce que dit Robert Christie, History of Lower Canada, II, 330, sur ce sujet vaut qu’on s’y arrête.
  3. C’est la première rencontre du nom de Papineau dans les archives du Canada. Sur la carte cadastrale de Gédéon de Catalogne, ingénieur du roi, dressé vers 1709, on voit à la Rivière-du-Loup (Louiseville) un colon du nom de Papineau, qu’on a cru erronément être Samuel Papineau. Ce n’est pas, non plus, Jean Papineau, dont la fille, Madeleine, serait née en 1715 et qui fut inhumée au Cap-de-la-Madeleine le 7 mai 1791, ni Pierre-Joseph-François Papineau, marié à Marie-Louise Desmarets, qui fit baptiser sa fille Louise à Saint-Michel d’Yamaska le 14 novembre 1752, et, au même endroit, Geneviève, le 1 septembre 1754, et Joseph, le 14 octobre 1756, comme des auteurs l’ont écrit ; c’est Jean-Baptiste Testard de Folleville qui portait le surnom de Papineau. Mgr Tanguay, Dictionnaire généalogique, VI, 206, 207 ; Mélanges historiques, vol. 10, p. 35, 37.
  4. Mgr Tangay, Dictionnaire généalogique, I, 312, 505 ; III, 53 ; VI, 206, 207.
  5. Garneau et L.-O. David disent qu’il étudia au séminaire de Québec.
  6. Il y entra en 1771.
  7. L.-O. David, les Deux Papineau, p. 13, 14.
  8. Voir Mélanges historiques, vol. I, p. 114, 115.
  9. C’est alors qu’il commença l’exploitation de sa seigneurie de la Petite-Nation, tout en habitant à Montréal une maison sise rue Saint-Paul, dont l’arrière touchait à la maison paternelle des Papineau, sur la rue Bonsecours, occupée par son fils Louis-Joseph, L.-O. David, les Deux Papineau, p. 34.
  10. Il la paya en partie en honoraires et en services professionnels. Le titre de la seigneurie de la Petite-Nation accordé en 1674 n’est pas dans le recueil des titres seigneuriaux publié par le gouvernement canadien en 1852, mais il a été fourni par M. Higginson, registrateur du comté de Prescott. Alexis de Barbezieux, Histoire de la province ecclésiastique d’Ottawa, I, 70.
  11. C’est plutôt 1814. Quoi qu’il en soit, il eut toujours un domicile à Montréal où il passait la rude saison.
  12. En 1808, 1810 et 1810, Kent (maintenant Chambly) ; 1814, 1816, 1820, 1824, 1827, 1830, Montréal-Ouest ; 1834, Montréal-Est.
  13. De vingt-deux écoliers entrés en rhétorique en 1802, il était le seul survivant en 1855.
  14. Voir Mélanges historiques, vol, 5, p. 81-97, sur les sentiments des Canadiens de 1760 à 1763. Le conseil, de 1763 à 1773, ne renferma aucun catholique. En 1773 les nobles pétitionnèrent demandant qu’on augmente le conseil en leur y donnant une juste part et que l’on rappelle cette partie de la proclamation de 1763 qui établit les lois anglaises seules.
  15. Les conseillers de Carleton approuvés par le roi en 1768 étaient : William Hey, juge en chef non susceptible de remplacer le gouverneur par intérim ; Hector-Théophile Cramahé, James Goldfrap, Hugh Finlay, Thomas Mills, Thomas Dunn, Walter Murray, Samuel Holland, Francis Mounier, Benjamin Price, Colin Drummond.
  16. Voir Mélanges historiques, vol. 7, p. 90-93 sur l’agitation de Ducalvet.
  17. La faillite du receveur-général Caldwell éclata en 1823, mais elle était connue depuis longtemps par l’insolvabilité de ce fonctionnaire. On constata un déficit de £96,000, mais seulement sur ce que l’on put connaître. Il n’y avait aucune décharge du trésor postérieure à 1814, quoique l’on parvint à établir quelques balances jusqu’à 1819.
  18. En 1834, en présentant les Quatre-vingt-douze Résolutions, on oublia ce bon principe : tout fut rejeté en bloc.
  19. Les chefs du parti canadien étaient en effet tous des hommes de bonne compagnie et d’étude, aussi les gouverneurs les considéraient personnellement et les traitaient avec une grande courtoisie.
  20. Les Quatre-vingt-douze Résolutions ont été publiées avec commentaires incomplets par le Dr N.-E. Dionne dans sa Galerie historique, vol. 2. M. Sulte eut le dessein dans sa quatre-vingtième année d’interpréter ces résolutions, mais il n’a pas pu exécuter ce projet. La mort l’a frappé au moment où il allait y mettre la plume.
  21. En 1837, Papineau passa sa dernière nuit sur le sol canadien dans la maison du capitaine Luc Fortin, de Saint-Georges d’Henryville, comté d’Iberville, d’après une lettre reçue de Georges-E. Fortin, Minneapolis, É.-U., son petit-fils. On dit que la tête de Fortin fut mise à prix pour sa conduite en cette circonstance. Voir Saint-Georges d’Henryville, par Fr. J.-D. Brosseau, o.p., p. 130, 131.
  22. En 1758, à la Nouvelle-Écosse, on élit vingt-deux conseillers. L’autre chambre, la haute, était un conseil de douze hommes. Ce gouvernement dura jusqu’à 1836, alors que parut Joseph Howe ; c’est le point tournant. Canada : an Encyclopedia, V, 416, 417. En 1785 on ajouta, dans le Nouveau-Brunswick, une chambre élective au conseil des douze qui existait déjà. Cela dura jusqu’en 1832.
  23. Voir Mélanges historiques, vol. 5, p. 86-92, sur les erreurs historiques de Crémazie.
  24. Les juges élus membres de l’Assemblée législative doivent choisir entre leur commission du roi et leur mandat populaire.
  25. Après les capitulations de Québec et Montréal jusqu’à l’automne de 1764, le serment des fonctionnaires publics était conçu comme ceci : « Je, X…, promets et jure sincèrement que je serai fidèle et garderai une véritable ligence envers Sa Majesté le roi George. Ainsi, Dieu me soit en aide. »

    En 1764, on introduisit les deux formules suivantes qui remontaient à cent ans et plus : « Je, X…, déclare que je crois qu’il n’y a pas dans le sacrement de la sainte scène de Notre-Seigneur Jésus-Christ, aucune transubstantiation des éléments de pain et de vin, ni dans le moment de leur consécration ni après leur consécration, par quelque personne que ce soit ; et que l’invocation ou l’adoration de la Vierge Marie, et de tout autre saint, et le sacrifice de la messe, comme elles sont aujourd’hui pratiquées dans l’église de Rome, sont superstitieuses et idôlatreuses. Et je jure que j’abhore du fond de mon cœur et que je déteste et abjure, comme étant impie et pleine d’hérésie, cette doctrine et maxime affreuse que les princes qui sont excommuniés, ou privés de leurs royaumes ou territoires, par le pape, ou par aucune autorité du siège de Rome, peuvent être détrônés ou mis à mort par leurs sujets ou par d’autres personnes quelconques. Et je déclare que nul prince, personne, prélat, état ou potentat étranger a, ou devrait avoir, aucune juridiction, pouvoir, supériorité, prééminence ou autorité ecclésiastique ou spirituelle dans ce royaume. Ainsi, Dieu me soit en aide. » Voir Thomas Chapais, le Serment du Roi.

  26. Cette oligarchie administrative, dans laquelle entraient les hommes du commerce, menait en réalité toutes les affaires et jouissait du patronage sur toute la ligue. On l’appelait le parti anglais. Jusqu’à 1805, toutefois, ce terme ne signifiait pas grand’chose. Lorsque le Canadien parut, en 1806, on prit l’habitude de mentionner le parti canadien par opposition au parti anglais. Il y avait parmi les Canadiens des Anglais qui n’épousaient pas les vues du family compact.
  27. Joseph Doutre, discours prononcé devant l’Institut Canadien de Montréal, 17 décembre 1867.
  28. Il comprenait l’illogisme du système de Pitt. Mais en 1822, M. Lymburner sera contre l’union des deux provinces, et dira que la séparation a fortifié des habitudes et des intérêts distincts et donné naissance à deux législations différentes. Ce qu’il voulait, en 1791, ajoute-t-il, « c’était d’amalgamer les deux nationalités ; on les a séparées — ce fut une erreur — maintenant il faut laisser les choses comme elles sont. »

    Le parti anglais exclusif avait toujours demandé l’union, depuis au moins 1799, pour noyer la population française. L’Angleterre n’envoyait que peu de colons et les isolait des Canadiens. Voir Mélanges historiques, vol. 2, p. 124-40.

  29. Nous avons ici l’esprit du temps : la chambre d’assemblée composée d’une forte majorité de Canadiens ne veut pas que l’on parle contre sa politique. De son côté le Canadien, organe de Bédard, blâme sans trop s’enflammer les actes du gouvernement et on le regarde comme un rebelle.
  30. Il fut ministre des colonies de 1809 à 1827.
  31. Garneau, Histoire du Canada, III, 216.
  32. John Neilson était né le 17 juillet 1776 ; il mourut en 1848. Il était imprimeur de métier. Il avait épousé le 6 janvier 1797, dans l’église protestante des Trois-Rivières, Marie Hubert, de cette ville, petite-fille de Jean-Baptiste Rieutord. Après son mariage, Neilson envoya régulièrement la Gazette de Québec aux Ursulines, chez qui sa femme avait été instruite. Bibaud, le Panthéon canadien, p. 196 ; Henry J. Morgan, Celebrated Canadians, p. 297.
  33. Stanstead est le plus gros village. Il n’y a pas de marché public dans les townships.
  34. L’honorable John Richardson, membre du conseil législatif, déclarait en plein conseil en 1820 que les députés canadiens-français voulaient tenter un coup d’état et mettre l’un des leurs à la place du gouverneur !
  35. Son père avait fait un commerce considérable dans le pays.
  36. Il avait agi comme commissaire pour déterminer les lignes frontières entre le Haut et le Bas-Canada. Il témoigne devant le comité de l’enquête de 1828.
  37. Le 24 mai 1900, le reine Victoria entrait dans sa quatre-vingt-deuxième année. Elle était la doyenne des souverains d’Europe. Le Journal des Débats, de Paris, disait en 1838 : « On ne considère pas comme très solide la santé de la jeune souveraine et l’on craint en général que son règne ne soit pas de longue durée. » On a dit qu’avec la reine Victoria s’ouvre l’ère des libertés politiques, mais l’agitation en faveur des réformes datait de cinquante ans dans la chambre des Communes.
  38. La révolution de France de 1830 a eu son effet sur nous en 1831-32.
  39. Ryland déblatère contre les Canadiens de la même façon que le faisait le parti anglais du Canada en 1774.
  40. Ce projet était au nombre des questions débattues dès 1805 et que nous verrons reparaître durant plus d’un quart de siècle.
  41. Voir « A book of revelations », article de Benjamin Sulte dans l’American Book-Lore, Milwaukee, 1899
  42. Mais vingt-cinq ans plus tard, Louis-Joseph Papineau deviendra annexionniste.
  43. L’élection de 1814 sous sir George Prévost donne la clef de l’opinion publique et c’est cette clef qui a ouvert la porte des événements de 1817-37. Sur 50 députés élus pour 1817, il y en avait 33 de 1814. Sur ces 33 il y en avait 11 de 1810. Le parlement de 1814 comptait 39 nouveaux membres ; celui de 1817 n’en avait que 17.
  44. C’est à l’entrée des prisonniers américains à Montréal (les hommes du général Hull), qu’au son de Yankee Doodle Papineau sortit des rangs.
  45. Louis-Joseph Papineau perdit sa commission de milice en 1837. Lord Dalhousie l’avait promu au grade de major, mais Papineau avait refusé.
  46. Papineau prépara sous forme de liste les griefs des Canadiens. M. Morin fut chargé de les mettre sous la forme de Résolutions.
  47. Aux élections d’octobre-novembre 1834, Neilson et ses amis sont battus.
  48. C’est alors que Papineau se déclara républicain pour tout le continent.
  49. F.-X. Garneau, Histoire du Canada, III, 328, 329.
  50. Lord Gosford écrivit : « Mettez-le à bas, ou il nous abattra. » Le fait est que Gosford se crut perdu.
  51. Le soulèvement était comprimé et le gibet avait fait son œuvre quand lord Glenelg, secrétaire d’État pour les colonies, déclara que les plaintes des Canadiens étaient formulées d’après le sens constitutionnel, c’est-à-dire qu’elles n’avaient rien de la révolte. Les troubles de 1837 furent provoqués par les Anglais eux-mêmes.
  52. Le 16 juin 1828, Louis-Joseph Papineau écrivait à son frère Denis-Benjamin : « J’aimerais bien à aller à la Petite-Nation si j’avais de l’argent à y dépenser, mais sans cela le voyage me coûterait et je ne vois pas grand chance d’en trouver… »
  53. Après 1845, Louis-Joseph Papineau a été surtout un habitant. De retour d’Angleterre en 1824, il abandonna le barreau et se jeta dans la politique, et en aucun temps il ne parut plus avoir vécu de sa profession d’avocat.
  54. Il n’est pas vrai, quoique je me le suis laissé dire parfois, que Louis-Joseph Papineau ait soigné ses intérêts personnels jusque dans les choses politiques. Mais sa conduite dans l’affaire de la tenure seigneuriale, en 1850, fut celle d’un seigneur et non d’un homme désintéressé. Joseph Tassé, Discours de sir Georges-Étienne Cartier, p. 23, 25.
  55. Six semaines auparavant, lord Gosford avait invité Louis-Joseph Papineau et Denis-Benjamin Viger à dîner ; il visita les classes du Séminaire de Québec et, le soir, il donna un grand bal, jour de la Sainte-Catherine qui est une occasion de fête annuelle dans la province ; il laissa tout le monde enchanté de sa politesse.
  56. La question des finances et du contrôle du revenu était comme le point central autour duquel tournaient toutes les autres.