Mélanges historiques/06/03

III

LA FAMILLE POULIN. — LA RIVIÈRE SAINT-MAURICE — MINES DE FER DU CAP
1676-1689

Par une ordonnance du 25 mai 1676 on enjoignit aux concessionnaires de seigneuries de faire valider leurs titres sans retard, faute de quoi ceux-ci ne seraient plus d’aucune valeur. La veuve de Maurice Poulin se mit en devoir de satisfaire à cet ordre en demandant une patente définitive de la concession située sur la rivière en haut de la bourgade des Trois-Rivières[1].

Le 14 août 1676, l’intendant Duchesneau, étant aux Trois-Rivières, prend connaissance de la promesse écrite par Talon en 1668 et considérant que Maurice Poulin avait fait beaucoup de déserts et de bâtiments sur la terre en question ; que sa veuve avait continué ces travaux ; que même ils avaient concédé une partie de cette propriété, et voulant que la famille Poulin ne soit pas inquiétée dans la possession de ce bien, il accorde à la veuve, Jeanne Jallaut, l’étendue d’une lieue de front sur la rivière des Trois-Rivières, du côté sud-ouest, avec deux lieues de profondeur dans les terres, à prendre partie au-dessus et partie au-dessous du lieu où sont les dits travaux, iceux compris, avec droit de pêche sur la dite rivière vis-à-vis la dite lieue de front, à titre de fief, justice et seigneurie. L’acte ajoute que l’on a égard aux travaux de défrichement sus-nommés et aux services rendus par le défunt Maurice Poulin dans la charge de procureur du roi sans aucun salaire pendant plusieurs années.

La profondeur de deux lieues empiétait sur la concession de la banlieue en date de 1649, mais comme celle-ci avait été négligée totalement par les Leneuf et les Godefroy à qui appartenait le titre de ce fief, il fut décidé par la suite que les deux lieues promises à Jeanne Jallaut lui resteraient.

Jean-Baptiste de Lagny des Brigandières obtint, en 1677, le privilège d’exploiter pendant vingt ans les mines du Canada. Il n’est pas fait mention par la suite s’il a poussé plus loin cette entreprise. Quant aux mines du Cap et de Champlain après les travaux faibles et mal dirigés dont j’ai parlé, on les abandonna complètement.

Le 14 janvier 1680, au baptême d’Étienne Turcot, la marraine se nomme « Marie-Madeleine, fille de Jacques Le Marchand demeurant à Saint-Eloy près de Champlain ». J’ai d’abord pensé, en voyant cet acte, que Saint-Éloi étant le patron des forgerons, on pouvait supposer qu’il y avait dans ce village des gens employés aux mines de fer, mais il n’en est rien. Dès 1603, Champlain écrivait qu’il s’était arrêté à « une île nommée Saint-Éloi ». C’est en face de l’église de Batiscan. Le nom s’est étendu au hameau commencé vers 1670 sur la terre ferme. Voilà tout.

Michel Poulin, fils de feu Maurice, ayant contrevenu aux ordonnances en « allant chercher à faire la traite avec les Sauvages vers la mer du Nord, » fut arrêté le 12 janvier 1680 et condamné à deux mille francs d’amende dont moitié pour le roi et moitié payable aux pauvres de l’Hôtel-Dieu de Québec[2]. La mer du Nord c’est la baie James.

Voici ce que l’on trouve au recensement des Trois-Rivières en 1681 : « Jeanne Jalaut, 60 ans, 3 fusils, 7 bêtes-à-cornes, 40 arpents de terre en valeur. Enfants : Michel, 26 ans, Jean 25, Marguerite 20. Domestiques : Jeanne Faucher 12, Louise Faucher 11.

Michel se maria en 1683 avec Marie Jutras, née aux Trois-Rivières en 1660. Ce Michel se qualifiait de « sieur de Saint-Maurice » et il signait « Poulain ». Jean ou Jean-Baptiste épousa en 1696 Louise Cressé. Marguerite se maria en 1683 avec François Lemaître. Une autre fille, Catherine, née en 1658, avait épousé en 1675 Joseph Godefroy de Vieux-Pont. Nous avons ici tous les enfants de Maurice Poulin.

Par un acte devant Séverin Ameau, le 19 janvier 1683, Jeanne Jallaut cède le fief Saint-Maurice à son fils Michel et à ses trois autres enfants. Il s’en suit des arrangements entre ces derniers, et le 30 avril Jean-Baptiste donne à Michel quittance générale. Le 28 novembre 1690, François Lemaître donne également quittance[3].

Jean-Baptiste, né le 15 janvier 1657, prend le surnom de Courval dans un acte du 27 novembre 1685, et dans un autre du 9 novembre 1689. En 1692, il est mentionné comme « monsieur de Courval, marchand aux Trois-Rivières ». Après son mariage avec Louise Cressé il signa « Poulain Courval-Cressé ».

En 1687, fut inhumé aux Trois-Rivières « Isaac Cadelé, âgé de soixante ans, qui avait demeuré neuf ans chez monsieur Poulain. »

Le marquis de Denonville qui venait d’arriver comme gouverneur général écrivait au ministre des colonies, le 13 novembre 1685, disant : « Je suis persuadé qu’il y a auprès des Trois-Rivières une mine à faire des forges admirables. Je voudrais bien, Monseigneur, avoir ici un homme assez entendu et capable de faire les projets d’un tel établissement, qui serait au roi une chose très utile et à tout le pays. Monsieur Talon peut rendre compte comment Monseigneur de Colbert l’a fait éprouver et qu’elle s’est trouvée parfaitement bonne. J’en envoye quelque peu à Monsieur Arnould pour qu’il la voie et vous en rende compte. Il y a un assez gros ruisseau dans le voisinage. » Il s’agit du Cap et de Champlain, non pas de la seigneurie de Poulin.

Le 10 novembre 1686, Denonville s’adresse de nouveau au ministre : « J’ai envoyé visiter, encore une fois, cette année, la mine de fer qui est auprès des Trois-Rivières. Je suis bien sûr qu’il y en a bien au delà de ce qu’il en faut pour que l’on en manque jamais. L’affaire principale là-dessus est le ruisseau nécessaire pour qu’il puisse servir en hiver, et c’est en cela que l’on aura besoin d’un habile homme pour voir ce qui se pourrait faire pour cet établissement. L’an passé j’ai envoyé un échantillon en France, mais les maîtres de forges, qui l’ont trouvée très belle et abondante, en voudraient avoir quinze ou vingt barriques pour en faire une épreuve, pour connaître la qualité du fer. Il faudra faire en sorte, l’an prochain, de les satisfaire. Si notre compagnie du Nord réussissait, je ne serais pas en peine de leur faire faire cette entreprise ». La compagnie formée à Québec pour ramasser des pelleteries au nord (baie d’Hudson) ne réussit guère et ne s’occupa nullement des mines de fer. Le 11 mai 1687 il est expliqué que le ministre des colonies donnera toute facilité au directeur des forges de Bretagne qui passe au Canada pour examiner les moyens de mettre en valeur les mines qui y ont été découvertes. Celui-ci se nomme Hameau.

L’intendant Bochart de Champigny prend la plume à son tour le 11 novembre 1687 : « Le sieur Hameau est venu visiter nos mines de fer des environs des Trois-Rivières mais il a été trop peu de temps pour y avoir pu visiter les avantages que l’on pourrait tirer des dites mines. Nous joignons à cette lettre un mémoire de ce qu’il a trouvé et de ses pensées. Il ne se peut pas faire qu’une forge ne fut un très grand avantage pour le pays, cela sauverait bien des maisons du feu par les poêles que nous aurions à grand marché, et donnerait à travailler à bien des paysans qui ne font rien pendant tout l’hiver. » En 1689 il est fait mention d’une compagnie que Hameau a formée pour l’exploitation des mines. C’est tout. En 1707, le fondeur Hameau était à Nantes en Bretagne[4].

Le 8 mars 1688 le roi fait réponse que Hameau a travaillé trop hâtivement. Le 6 novembre suivant Champigny annonce au ministre que Hameau passe en France pour faire rapport sur le fer, disant que le charroi sera la principale dépense à encourir. Silence de trois ans ; puis, le 10 mai 1691, Champigny attire l’attention du comte Louis de Pontchartrain, successeur de Seignelay, sur cette partie des affaires du Canada : « Il se trouve des mines de fer au milieu de la colonie, qui ont été examinées il y a trois ans par le sieur Hameau, maître de forges, envoyé exprès par Monseigneur le marquis de Seignelay en 1687. Il a fait connaître qu’on en pouvait espérer toutes sortes d’avantages. Si on voulait établir des forges pour y travailler ce serait un grand bien pour le pays, considérant le besoin que l’on a d’avoir des poêles pour chauffer toutes les maisons, et la grande quantité de fer qui se consomme en toutes sortes d’ouvrages. Mais la dépense pour le commencement de tous ces établissements ne se peut faire sans le secours du roi. »

L’âtre des cheminées chauffait les maisons. En 1676, un marchand du nom de Charles Bazire avait vendu à Pierre Niel, de Québec, un poêle de cent trente francs, qui fut monté par Nicolas Gauvreau moyennant la somme de seize francs[5], ce qui représente $150. de notre monnaie. Un poêle ordinaire ne devait pas coûter si cher. C’était peut-être un four de boulanger ou de pâtissier. Néanmoins, on verra, en 1800, qu’un poêle à deux ponts se vendait au moins $20., ce qui valait $50. sinon $60. de notre cours actuel[6].


  1. Titres seigneuriaux, p. 154.
  2. Conseil Souverain, vol. II, p. 359.
  3. Conseil Supérieur, vol. III, p. 882. Masères, Commissions, p. 214. Nous ne voyons pas ce que Joseph Godefroy fit dans cet arrangement qui avait pour résultat de donner la seigneurie à Michel.
  4. Archives canadiennes, 1899, p. 207, 209.
  5. Conseil Souverain, vol. II, p. 27.
  6. Aux archives judiciaires de Montréal, nous avons lu un document de 1760 parlant d’un poêle « avec trépied et tuyau vendu cent quarante livres ».