Anonyme
Mélanges 2e trim. 1830
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EXPOSITION DE L’INDUSTRIE ESPAGNOLE.

La politique, qui malheureusement envahit tout, qui influe sur nos sentimens et fausse si souvent notre raison, a fait porter un jugement, qu’on a cru sans appel, sur l’Espagne et sur son industrie. Quelques journaux ont tant répété que ce malheureux pays était abandonné à la paresse et voué à l’ignorance, que beaucoup de personnes l’ont cru sans plus mûr examen. Nous recevons à l’instant de Madrid un document précieux que nous devons à M. le comte de B…. Il prouvera d’une manière irrécusable que le gouvernement de la Péninsule s’occupe à son tour de répandre les lumières utiles et de recréer l’industrie espagnole. Les principes sages et éclairés qui règnent dans l’écrit que nous signalons[1], le stimulant puissant que présente aux Espagnols la junte nommée par le roi, et les grâces répandues sur ceux qui s’occupent du bien public, dénotent un gouvernement qui marche avec ardeur et persévérance dans la voie des améliorations[2].

Nous traduisons ici la table de l’intéressant rapport de la junte ; elle suffira, nous l’espérons, pour convaincre l’incrédulité.

TABLE DU COMPTE RENDU AU ROI D’ESPAGNE PAR LA JUNTE DE CLASSIFICATION DES PRODUITS DE L’INDUSTRIE ESPAGNOLE.

Décret royal qui ordonne la deuxième exposition de l’industrie pour 1828.

Pag.
Instruction approuvée par S. M., se référant au précédent décret 
IV
Noms des membres de la junte 
X
Liste de MM. les exposans 
Idem
Approbation royale du mémoire de la junte 
XV
Récompenses et grâces accordées par le Roi 
XVI
Prix proposé par la junte et approbation de S. M. 
XVII
Mémoire de la junte 
1
1re section. Cotons et fruits naturalisés des colonies 
6
Chapitre 1er. Marchandises de coton[3] 
7
Chapitre 2. Cotons (sucre et cochenille) 
9
2me section. Laine, poils pour chapeaux 
10
Chapitre 1er. Laine en pile 
10
Chapitre 2. Tissu de laine 
14
Chapitre 3. Chapeaux 
22
3me section. Soie 
26
Chapitre 1er. Soie écrue et teinte 
26
Chapitre 2. Variétés de soie 
37
4me section. Lin et chanvre 
43
5me section. (faïence), cristal, verre, etc. — Produits chimiques 
49
Chapitre 1er. Faïences 
49
Chapitre 2. Cristal, verre et autres 
50
Chapitre 3. Produits chimiques (idem
51
6me section. Ouvrages de métal, horlogerie, instrumens de musique 
55

Chapitre 1er. Ouvrages de métal 
55
Chapitre 2. Horlogerie 
63
Chapitre 3. Instrumens de musique 
64
7me section. Papiers peints pour orner les salons, toiles cirées, etc. 
66
Chapitre Ier. Papier peint 
Ib.
Chapitre 2. Toiles cirées 
Ib.
8me section. Cuirs corroyés, etc. 
67
9me section. Machines et instrumens pour les arts 
76
10me section. Fabrications diverses 
86
Chapitre Ier. Papiers et cartons 
Ib.
Chapitre 2. Caractères d’imprimerie 
87
Chapitre 3. Globes 
Ib.
Chapitre 4. Corderie 
Ib.
Chapitre 5. Peignes 
Ib.
Chapitre 6. Ouvrages de tourneur et d’ébénisterie 
88
Chapitre 7. Objets dorés en bois 
Ib.
Chapitre 8. Tabatières en bois 
Ib.
Chapitre 9. Boulons 
89
Chapitre 10. Perruques 
Ib.
Chapitre 11. Chandelles de suif 
Ib.
Chapitre 12. Colle-forte 
Ib.
Chapitre 13. Objets variés 
90
Chapitre 14. Manteaux de blonde, façon de Flandre 
Ib.
Chapitre 15. Merluche 
91
Chapitre 16. Vermicelle et pâtes 
92
Chapitre 17. Tablettes de bouillon 
Ib.
Chapitre 18. Dents artificielles 
94
Chapitre 19. Pierres lithographiques 
Ib.
11me section. Curiosités 
95


LE TOMBEAU DE RACHEL, EN PALESTINE.

. . . . . La vallée, ou plutôt la plaine aride de Rephidim, se déploie pendant plusieurs milles sans offrir aux regards du voyageur brûlé par le soleil d’autre lieu de repos qu’un simple et modeste cabaret turc, où les Arabes du désert se donnent quelquefois rendez-vous, mais que le pélerin évite avec soin. Un peu plus loin sont les ruines du village de Rama, dont quelques pans de murailles et des monceaux de pierres seulement indiquent la place. Dans la même plaine, et tout près du village détruit, on voit le tombeau de Rachel. C’est un des lieux de la terre où la vérité des traditions semble sortir des objets inanimés pour se révéler avec le plus de force. Tout est solitaire aux environs. On n’y voit ni palmiers ni cyprès ; aucun arbre ne couvre de son ombre le simple mausolée où reposent les cendres de la mère d’Israël, et cependant ce lieu éveille plus de souvenirs, excite plus d’intérêt que des monumens décorés de tout le luxe des arts. Le voyageur passe avec indifférence devant les tombeaux de Zacharie et d’Absalon, dans la vallée de Josaphat ; il jette à peine un regard sur ceux des rois, dans la plaine de Jérémie ; mais, en voyant celui de Rachel, son imagination le reporte au berceau des peuples de l’Orient, lui rappelle le pouvoir de la beauté qui sut adoucir un long exil, et il bénit la mémoire de cette compagne tendre et fidèle dont les soins charmèrent tant de peines et d’ennuis.

Les Turcs ont en général entouré de beaucoup de pompe la sépulture de la plupart des personnages dont les noms figurent dans l’ancien Testament. Une mosquée est construite sur les tombeaux de David et de Salomon. Un autre temple du même genre, vaste et ancien, couvre aussi la grotte de Machpelah à Hébron, et le terrain des environs est inviolable et sacré. La grotte, dont, on n’aperçoit que l’entrée sombre et profonde, est placée au milieu de l’intérieur de l’édifice, où ne sont admis que les fidèles musulmans. Depuis plus d’un siècle, on connaît à peine deux Européens qui aient pu y pénétrer en gagnant quelques gardiens, et non sans courir les plus grands dangers. Le dernier fut un comte italien : il y a trois ans, il obtint, à force d’argent, d’entrer dans la mosquée et de visiter la mystérieuse grotte. La vallée où l’antique Hébron est située est souvent parcourue par les pélerins et les voyageurs ; mais la peine de mort, portée contre tout chrétien qui oserait s’introduire dans la mosquée, suffit pour réprimer la curiosité qu’inspire ce lieu célèbre. La grotte, à ce que nous disent les Turcs, est spacieuse et taillée dans le roc ; les sépultures des anciens patriarches s’y retrouvent encore…

Cependant le tribut de vénération accordé par les sectateurs de Mahomet à la tombe de Rachel produit une impression bien plus profonde que la vue de colonnes de marbre et de riches lambris. Le désir qu’ils éprouvent d’être ensevelis auprès de ses restes est surtout très-remarquable. Les environs de ce modeste mausolée sont couverts de tombeaux de Musulmans. Ce n’est pas seulement la grandeur, la sagesse, la sainteté, que les Turcs honorent en Rachel ; ce sont surtout ses vertus domestiques. Elle fut épouse dévouée, tendre mère ; une nation belliqueuse lui doit le jour ; tels sont ses titres au respect des Musulmans.

Lorsqu’un convoi funèbre traverse lentement la plaine de Rephidim et se dirige vers le sépulcre, cherchant à placer auprès de son enceinte les restes d’un être chéri, si un Juif apparaissait, il serait maudit et maltraité par ce peuple qui s’agenouille sur les cendres d’un de ses ancêtres, tant est déchue cette malheureuse nation, qui ne peut même approcher des lieux pleins de son ancienne grandeur. En effet, pour empêcher que les Israélites ne pénètrent dans le monument, les colonnes qui en soutiennent le dôme sont réunies par un mur en maçonnerie. Aux environs, on ne voit pas ces élégans piliers en bois ou en marbre, ces inscriptions en lettres d’or, ces riches et somptueux mausolées dont les Turcs aiment ailleurs à couvrir leurs cimetières. Ici le lieu seul semble répondre à tous les désirs, satisfaire à toutes les ambitions ; une simple pierre, où l’on vient quelquefois verser des larmes, marque seule la place de repos d’un parent ou d’un ami. On ne peut, sans éprouver un sentiment profond de mélancolie, au milieu de cette solitude dont jamais n’approcheront les pompes de la vanité humaine, voir tous les signes de la douleur donnés par ces Musulmans revêtus du même costume que portaient jadis les patriarches habitans des mêmes lieux…

L…

L’ÎLE DE TINO DANS L’ARCHIPEL.
… Avril 1830.

Cette île, qui fut soumise et cédée aux Turcs en 1718, en même temps que la Morée, a long-temps fait partie des fiefs d’une illustre famille de la magistrature ottomane, à l’extinction de laquelle l’hôtel des monnaies de Constantinople en fit l’achat ; elle était donc, avant la révolution de 1821, un agalyk sous la dépendance immédiate de cet hôtel.

L’île de Tino a 60 milles de tour ; l’industrie de ses habitans a su tirer parti du moindre morceau de terrain ; aussi calcule-t-on que les deux tiers de l’île sont cultivés ; ce qui reste n’est que la pierre à nu. Le surnom d’Hydroussa, que lui avaient donné les anciens, atteste qu’elle était arrosée d’une grande quantité de sources, qu’on y trouve encore aujourd’hui. On en tire beaucoup de marbre blanc et noir, et quelque peu de vert d’une qualité remarquable. Autrefois, prétend-on, on y exploitait des mines de vif-argent, et plusieurs personnes assurent, qu’aujourd’hui même, en fouillant, on trouve les filtres à une légère profondeur.

Cette île est, après Naxos, la plus agréable et la plus fertile de l’Archipel. On y compte 52 villages ; mais il faut dire qu’on y donne souvent ce nom à cinq ou six maisons réunies…

. . . . . Tino est aujourd’hui, de toutes les îles de l’Archipel, celle qui compte le plus de catholiques ; aussi a-t-elle considérablement souffert pendant les premières années de l’insurrection grecque. La population totale peut être évaluée de 28 à 29,000 ames ; mais sur ce nombre, 9 à 10,000 personnes environ forment une espèce de colonie voyageuse, dont les membres se succèdent alternativement dans le séjour qu’ils font à Smyrne et à Constantinople. La population sédentaire ne doit donc être comptée, d’après les relevés les plus exacts, que pour 18,616 ames, dont on pourrait établir la division comme ci-après. Remarquons que, dans les premières années des réactions de Constantinople et de Smyrne, 5 à 6,000 individus s’étaient réfugiés à Tino ; mais ils sont depuis plus de deux ans retournés aux lieux qu’ils avaient quittés, et le nombre des étrangers n’est plus aujourd’hui que d’environ 3,000.

Ainsi on compte dans l’île 4,204 maisons, qui contiennent 4,406 hommes, 4,592 femmes, 4,969 enfans mâles, 4,649 filles, total, 18,616 ames, qui se divisent comme il suit :

Grecs : 2,769 maisons, contenant 2,613 hommes, 2,701 femmes, 2,971 garçons, 2,715 filles.

Latins : 1,435 maisons, contenant 1,793 hommes, 1,891 femmes, 1,998 garçons et 1,934 filles.

Les étrangers figurent dans cette évaluation totale pour 3,000 ames, dont 728 hommes, 724 femmes, 763 garçons et 785 filles.

Les deux cinquièmes de la population travaillent à la terre ; le reste est occupé à la fabrication du vin ou exerce quelque métier : quant à la portion qui est constamment en émigration à Smyrne et à Constantinople, elle fournit à ces deux villes les maçons, les cordonniers, les menuisiers, les domestiques et généralement aussi les hommes de peine. Tous ces individus, éloignés momentanément de l’île bienheureuse, ne voient d’autre récompense de leurs travaux que d’y retourner un jour pour jouir du fruit de leurs économies. Partout où ils se trouvent, ils conservent entre eux avec soin les relations de compatriotes, ne se mélangent pas avec la population des autres lieux, et exercent les uns sur les autres une surveillance qui a pour base les usages et les traditions du pays natal.

Les principaux produits de l’île sont l’orge, dont on récolte 60,000 kil. de 22 ocques ; les figues, dont 4,000 quintaux, produit annuel, se vendent, terme moyen, à 20 piastres turques le quintal ; la soie, dont la récolte est calculée à 4,000 ocques, et la valeur à 45 piastres l’ocque ; le vin rouge, dont on remplit annuellement 40,000 barils ; le vin blanc de Malvoisie, dont on exporte annuellement environ 1,500 barils, et dont la qualité liquoreuse jouit dans tout le Levant d’une réputation méritée ; l’eau-de-vie (raki), dont la fabrication annuelle s’élève à 400 barils.

L’île produit peu d’olives, et quant aux grains, haricots, fèves et autres légumes, on est obligé, chaque année, de recourir à l’Anatolie pour se procurer le supplément nécessaire à la consommation locale.

Le bétail est nombreux à Tino, et on le calcule dans la proportion suivante : 7,000 chèvres ou moutons, 7,000 bœufs, 2,800 mulets, 1,145 ânes.

L’industrie principale des femmes est la fabrication des bas et des gants de soie, dont il se fait dans tout le Levant, et principalement dans l’Archipel, une très-grande consommation. Ces objets sont comme une partie indispensable du costume habillé de tous les élégans des îles. Le bas uni ou chiné de Tino, porté le dimanche dans un soulier bien découvert et bien court, est le cachet du bon goût d’un fashionable de l’Archipel. En général, toute cette population est laborieuse, et la misère ne l’atteint pas.

Rien n’égale la haine qui anime les Latins et les Grecs les uns contre les autres. Ce sentiment fanatique a pris une nouvelle force pendant les fluctuations de la révolution grecque. Soupçonnés de connivence avec les Turcs auxquels seuls ils pouvaient avoir recours pour obtenir justice, les Latins ont éprouvé plus d’une fois de sanglantes avanies ; et dans ce moment encore, où ils s’étaient flattés de l’impartialité du président, ils continuent à être l’objet de l’animosité et des vexations continuelles de l’administration. L’annonce d’un nouveau chef pour la Grèce est venue ranimer leurs espérances ; toutefois, comme ces imaginations ardentes sont peu capables de se renfermer dans des limites raisonnables, peut-être est-il vrai de dire que c’est moins par l’espoir de cesser d’être opprimés que par celui d’être oppresseurs à leur tour, que ces insulaires appellent de tous leurs vœux le nouveau prince qui leur est promis. Ce sera à lui à borner avec sagesse la justice qui leur est due.

Il y a à Tino un archevêque grec et un évêque latin : la puissance spirituelle du premier s’étend jusqu’à Andros ; le second est à la fois chef apostolique de Tino et de Myconi. Leurs revenus fixes sont en général fort médiocres ; mais ils exploitent l’un et l’autre le casuel avec une activité qui n’est pas sans résultat.

Le nouveau monastère grec, Evangelistra (l’Annonciation), mérite d’être remarqué. Il est construit sur une hauteur qui domine la ville de San-Nicolo. Cet édifice, de construction bizarre, n’est pas encore terminé ; on se propose de bâtir dans quelques années l’aile gauche qui manque. Les offrandes que lui vaut chaque jour la grande réputation dont il jouit dans l’Archipel permettront aisément de faire bientôt cette dépense. On prétend qu’en 1823, un Tiniote aperçut en songe la Vierge, qui lui ordonna d’aller fouiller à l’endroit où se trouve aujourd’hui le monastère. Plein de cette inspiration céleste, l’insulaire réunit quelques amis et se mit en devoir de remplir la divine mission dont il était chargé. À quinze pieds de profondeur environ, on trouva une petite chapelle et un petit tableau de cuivre parfaitement conservé, représentant la Vierge à laquelle on vient annoncer qu’elle doit mettre au jour le Sauveur du monde. L’archevêque se rendit en grande procession pour bénir ce lieu sacré, où l’on décida qu’un monastère serait élevé. Les miracles nombreux qui, assure-t-on, s’y sont opérés, l’ont mis en grande renommée, et on y vient de tous les points de la Grèce.

L’église est assez bien bâtie. On remarque, dans la partie de la nef le plus en vue, des plaques de marbre vert antique de la plus grande beauté, et quelques autres de marbre noir et rouge également belles, mais toutes assemblées sans goût. J’entrai au moment où on allait faire le baptême d’un enfant d’Andros, apporté exprès pour recevoir l’eau sainte dans ce temple vénéré. Le parrain, M. M… aujourd’hui membre du sénat, voulut bien m’inviter à assister à la cérémonie. Je pris donc place parmi les nombreux assistans. Après les premières prières récitées à la porte de l’église, l’enfant fut introduit et apporté près d’un grand bassin de cuivre où l’on jeta d’abord de l’eau chaude, de l’eau froide, puis l’huile sainte. Après que le papas l’eût soufflée et bénie par trois fois, c’est-à-dire au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, on lui présenta l’enfant nu, déjà oint lui-même de l’huile sacrée, afin que son corps ne donnât presque pas de prise à l’eau. Le papas saisit donc le jeune néophyte par-dessous le bras, et demanda aux parens de quel nom ils se proposaient de l’appeler. Cette question, à laquelle on peut s’étonner qu’ils ne fussent pas préparés, demeura sans réponse ; et sur une seconde sommation qui augmenta leur embarras, un des curieux non invités, qui assistait par hasard à la cérémonie, s’avisa de prononcer le nom de Thémistocle. Ce fut un trait de lumière pour la famille qui l’adopta incontinent. Le papas plongea donc par trois fois l’enfant dans le bassin en prononçant ces paroles en grec, à la première immersion : Thémistocle, serviteur de Dieu, est baptisé au nom du Père, maintenant, pour toujours et dans les siècles des siècles ; à la seconde, au nom du Fils, et à la troisième, au nom du Saint Esprit. Le parrain répondait chaque fois amen.

Le baptême terminé, le papas récita quelques prières et donna la confirmation « Voici le sceau du don du Saint-Esprit, lui dit-il en lui appliquant sur tout le corps le saint chrême. » Les cris du pauvre enfant avaient cessé, et il croyait peut-être en être quitte, lorsqu’il fallut encore lui donner la communion. On lui mit en conséquence dans la bouche du pain et du vin consacrés qu’il rejeta presqu’en entier. Il fut alors rendu à sa mère qui calma ses longues douleurs en le mettant au sein.

M. M… me pria à d’assister à la fin de la cérémonie. Je le suivis donc dans un appartement voisin de l’église, où se réunirent tous les parents, et où le père de l’enfant, en échange de nos vœux qui se produisaient en longs complimens selon l’usage du pays, nous fit manger du backlava, espèce de gâteau aux amandes, et boire des sorbets et du café.

L’aile droite du monastère se compose d’une quantité de petits appartemens destinés au logement des desservans et aux étrangers que la foi appelle, et qui paient en nombreux cadeaux l’hospitalité qui leur est accordée.

En arrivant à Tino, au port de San-Nicolo, l’aspect de la ville, qui se déploie en amphithéâtre, est d’un effet assez pittoresque. On voit encore les murailles antiques que le temps a épargnées. San-Nicolo est bâtie sur l’ancienne ville de Tenos. Au bord de la mer, une colonne est encore debout, débris unique du fameux temple que les Téniens avaient consacré à Neptune, et où les habitans et même les étrangers étaient traités gratuitement dans des appartemens magnifiques. Ce temple était un asile dont l’empereur Tibère avait réglé les droits. Il y a quelques années, un Tiniote découvrit dans sa maison une colonne entièrement couverte d’une inscription qui n’était autre que l’édit de l’empereur. Ce monument curieux fut bientôt signalé ; mais de peur que, pour le posséder, on ne détruisît la maison dont cette colonne était le soutien, ce propriétaire, plus jaloux de son bien que de découvertes archéologiques, eut le courage de détruire l’inscription et de la rendre indéchiffrable.

L’insurrection grecque n’a pas été aussi profitable aux insulaires qu’on semblait l’espérer. Les taxes auxquelles ils sont assujettis sont beaucoup plus considérables que sous l’administration turque. Un vaïvode, qu’on leur envoyait de Constantinople, était chargé de recevoir le karatch. Ce magistrat, et deux de ses écrivains, étaient les seuls musulmans qui parussent dans l’île, et l’influence des habitans était telle que ce vaïvode était souvent battu et chassé par eux, sans que cette violence eût d’autre résultat que le changement de l’agent de la Porte.

L’île ne payait aux Turcs que 36,000 piastres, et moyennant ce tribut, elle n’avait aucune autre espèce de droit à acquitter. Aujourd’hui l’impôt fixe est de 60,000 piastres, non compris la dîme et les autres droits. La douane seule a rendu dernièrement, en deux mois, 28,000 piastres.

En résumé, l’île de Tino me paraît être la plus agréable de toutes celles de l’Archipel. Un ciel superbe, un sang très-beau, et plus que tout cela l’accueil bienveillant et hospitalier qu’on y reçoit, font que le voyageur quitte à regret une île que, pour ma part, j’ai visitée avec un extrême plaisir.

***…
LA FÊTE-DIEU À SANTA-FÉ DE BOGOTA.

. . . . . On annonce la veille cette grande solennité par des feux d’artifice ; on construit quatre autels richement ornés à chaque coin de la grande place, où la procession doit passer, pendant que, par un singulier mélange du sacré et du profane, on dispose de tous côtés des mâts de cocagne, des marionnettes et une infinité de cages remplies d’animaux rares et curieux. Les réjouissances et les jeux cessent quand la cloche, signal de la procession, se fait entendre. Tout le monde se découvre et s’agenouille dans les rues.

En tête de la procession, des hommes traînent des cabriolets ; dans l’un est le roi David, la tête de Goliath à la main ; dans l’autre, Esther ; dans un troisième, Mardoché. Joseph paraît ensuite sur un cheval richement caparaçonné : un nombre infini de gardes le suivent ; ceux-ci n’ont que des chevaux de carton. Tous ces personnages sont les enfans des plus nobles familles de la ville. On brigue fort l’honneur d’obtenir un rôle dans cette auguste cérémonie, et ceux qui ont le bonheur de faire désigner leurs enfans pour y représenter ne négligent aucune espèce de dépense, rivalisent de luxe, emploient les perles, les diamans, les émeraudes, les rubis, et ne savent qu’imaginer pour rendre le costume des acteurs plus éclatant.

Le clergé s’avance lentement au milieu de la foule de fidèles qui remplissent la place. Les plus jolies filles de la ville marchent entre deux rangs de prêtres ; les unes portent l’arche, les autres les pains de proposition ; celles-ci l’encens, celles-là des corbeilles de fleurs ; ensuite viennent de jeunes Indiens qui, au son d’une flûte et d’un tambour, exécutent des danses fort bizarres : le cortége est fermé par un détachement de troupes portant les armes et le drapeau renversés.

Cette fête est certainement la plus belle qu’on puisse voir en Amérique.

B…

ÉPREUVE PAR LE POISON, EN AFRIQUE.

Nous avons lu ce qui suit dans un fragment communiqué par Lander, le fidèle domestique de Klapperton.

« J’étais un matin à déjeuner avec de l’huile de palmier et du maïs rôti, lorsqu’un envoyé du roi nègre entra brusquement et me donna l’ordre de me trouver à midi dans la cabane du fétiche pour être interrogé par les prêtres sur une accusation portée contre moi. Je connaissais parfaitement la manière dont ces sortes d’affaires se conduisent dans le pays ; aussi ma première, ma seule réflexion, fut celle-ci : faut-il mourir aussi jeune et après avoir surmonté tant de périls ? Faut-il que mon corps devienne la proie des bêtes féroces ? Cependant j’employai le peu de temps qui me restait à me préparer à la mort, et quand le moment fut venu, je me rendis avec beaucoup de calme à la cabane du fétiche. La nouvelle du jugement d’un blanc s’était répandue aux environs, et tous les habitans, armés de pieux, de lances, d’arcs et de flèches, me servaient de cortége. Je trouvai dans la hutte une troupe de prêtres assis et formant un cercle au milieu duquel on me fit placer. Un d’eux se leva et me dit avec beaucoup d’emphase et de gravité, en me présentant une coupe qui contenait une liqueur transparente et limpide comme l’eau : « Tu es accusé de former des projets contre le roi et son gouvernement, et en conséquence tu vas avaler le breuvage contenu dans ce vase. Si tu es coupable, il te donnera la mort ; dans le cas contraire, il ne te fera aucun mal ; car nos dieux ne commettent pas d’injustice. » D’une main tremblante, je saisis la coupe, en jetant un coup d’œil sur mes juges. Ils étaient impassibles et sérieux ; un silence de mort m’environnait. Dans l’impossibilité de tromper ces nombreux regards fixés sur moi, j’élevai une courte prière au Dieu des chrétiens, j’avalai le terrible breuvage, et je laissai tomber la coupe vide à mes pieds. Un murmure sourd et prolongé se fit entendre parmi la foule qui s’attendait à me voir expirer à l’instant, et qui s’ouvrit pour me laisser sortir en s’apercevant que je n’éprouvais aucun symptôme de mort prochaine. Rentré chez moi, je me hâtai de prendre un puissant vomitif, et j’eus le bonheur d’expectorer le poison en totalité. Mes esclaves me racontèrent qu’on le composait avec l’écorce d’un arbre très-abondant dans le pays, et que j’étais le premier individu qu’on se souvînt d’avoir vu échapper à ses funestes effets. Il avait une saveur amère, mais je n’éprouvai du reste que quelques vertiges qui se dissipèrent complétement deux ou trois heures après l’épreuve. »

Lander.
  1. Memoria de la junta de calificacion de los productos de la industria espagnola, etc., etc., etc. Madrid, 1830. Imprenta de D  José.
  2. Nous signalons à la reconnaissance de la Péninsule les noms des membres de cette junte.

    Don Juan Lopez de Penalver, D. Justo, José, Blanqueri, D. Rafael de Rodos, D. Julian Aquilino Perez, D. Juan Antonio Melon, D. Antonio Guturrez, D. José Luis Casaseca, D. Bartolomé Sureda, D. Francisco Xavier de Burgos, D. Mariano Gonzalez de Sepulveda, D. Manuel Cortez, D. Juan Lopez de Penalver de La Torre secrétaire. Le rapport de la junte a été présenté au roi par S. Exc. le ministre Don Luis Lopez Ballesteros.

    Nous signalons encore à la reconnaissance publique S. E. le chevalier Vallejo, ancien ambassadeur d’Espagne près la cour de Naples. Ce seigneur distingué a toujours montré le zèle le plus actif et le plus désintéressé pour tout ce qui peut contribuer à la prospérité de l’Espagne. On parle aussi beaucoup, dans ce moment, du plan d’une grande ferme-modèle dans les environs de Madrid, à l’imitation de celles d’Hofwill, de Roville, etc. Nous pourrons, plus tard, si nous y sommes autorisés, donner des détails extrêmement curieux sur cet établissement que l’on devra à la haute munificence du roi.

  3. On nous écrit encore de Madrid : M. Henri Dollfus, petit-fils d’un des fondateurs de l’industrie cotonnière en France, avait obtenu, au mois d’octobre dernier, l’autorisation d’introduire en Espagne 30,000 pièces de toiles de coton, à la condition de former et de mettre en activité dans ce pays, dans le délai d’une année, une fabrique de toiles peintes.

    M. Henri Dollfus a devancé le terme qui lui a été fixé. Sa fabrique, située à San Fernando, près Madrid, réunit aux ateliers d’impression ceux de filature et de tissage. Malgré les nombreuses difficultés qu’il a dû rencontrer dans ses travaux, M. Dollfus a déjà pu présenter à S. M. C. les premières pièces sorties de ses ateliers.