imprimerie de la Vérité (Ip. 326-328).

LE DROIT DE DÉSAVEU


22 avril 1882


Le parlement fédéral discute, en ce moment, le droit de désavouer les actes des législatures locales, conféré au gouverneur-général par la constitution de 1867. C’est un membre de l’opposition, M. Cameron, de Huron, qui a saisi la chambre de cette question. On le sait, le gouverneur-général, agissant, bien entendu, d’après l’avis de ses ministres, a désavoué un projet de loi voté par la législature d’Ontario, concernant les rivières et cours d’eau.

M. Cameron a dit de fort belles choses. Nous n’avons qu’une crainte, c’est que les grits, au pouvoir, ne soient à peu près aussi centralisateurs que le parti tory. Il nous semble que sous le règne de M. McKenzie on a vu des lois provinciales désavouées assez arbitrairement. Mais cela ne prouve rien en faveur du gouvernement actuel, car deux noirs ne font pas un blanc ; si nous en parlons, c’est pour montrer que les grits et les torys du Haut-Canada ont des idées à peu près identiques au fond.

Ce pouvoir de désavouer les actes des législatures locales, accordé au gouvernement fédéral, en 1867, est peut-être une nécessité, vu le régime sous lequel nous vivons. Nous ne discutons pas ce point. Mais nous prétendons, avec M. Cameron, qu’il faut exercer ce pouvoir avec la plus grande discrétion. Il devrait être bien entendu que le gouvernement fédéral ne peut désavouer une loi provinciale que lorsque cette loi est évidemment ultra vires, inconstitutionnelle, c’est-à-dire lorsqu’une législature locale a légiféré sur un sujet qui est soustrait à sa juridiction par la constitution de 1867. Le désaveu ne devrait jamais reposer sur d’autres motifs.

Nous craignons beaucoup qu’il n’y ait, chez certains hommes d’État fédéraux, une forte tendance à la centralisation. Dans cette affaire de désaveu des lois provinciales, on semble vouloir interpréter la constitution dans un sens qui nous paraît tout à fait hostile à l’esprit de la Confédération. Non content d’examiner la constitutionnalité des lois provinciales, le pouvoir central parait vouloir en discuter la convenance, l’à propos, et les désavouer parce qu’il les trouve mauvaises.

On conçoit tous les dangers auxquels serait exposée notre autonomie provinciale, si ce faux principe venait à prévaloir à Ottawa. On pourrait, en abusant ainsi du droit de désaveu, réduire les provinces à l’état de simples succursales du gouvernement central, et rendre parfaitement illusoires les garanties que nous offrent nos législatures locales.

Le gouvernement fédéral ne devrait pas avoir le droit de scruter le mérite intrinsèque d’une loi provinciale ; son action devrait se borner, tout simplement, à voir si, oui ou non, cette loi se rattache à un sujet de la compétence des législatures locales. Le pouvoir de désaveu ne lui a été donné que pour cela, et, du moment qu’une législature reste dans ses attributions, le cabinet d’Ottawa ne doit pas intervenir et désavouer des actes provinciaux sous prétexte qu’ils ne sont pas à propos.