imprimerie de la Vérité (Ip. 167-170).

NOS RELATIONS AVEC LA FRANCE


10 novembre 1881


M. Chapleau a prononcé un discours-programme à Sainte-Thérèse. Ce programme n’est ni long, ni difficile à comprendre, ni bien nouveau : Diminution des dépenses ; encouragement de l’agriculture et de la colonisation ; développement de nos relations d’affaires avec la France. Voilà à peu près tout…

Nos relations d’affaires avec la France nous aideront sans doute à développer nos ressources. Mais nous ne devons pas nous laisser griser par cette pensée ; nous ne devons pas croire que l’ancienne mère-patrie va nous envoyer, à chacun de nous, une fortune toute faite. Il faudra à l’avenir, comme il a fallu par le passé, que tout le monde travaille beaucoup pour gagner le pain quotidien.

De plus, nous devons être sur nos gardes afin que les idées malsaines qui ont cours en France n’entrent pas dans notre pays avec les capitaux français. Si cela arrivait, le jour viendrait où nous regretterions amèrement notre « politique française. »

Quoi qu’en pensent la Minerve, le Monde, l’Événement et les journaux ejusdem farinæ, ces relations avec la France présentent un danger réel, et c’est le devoir du journaliste qui voit autre chose dans le monde que les affaires de mine et de chemins de fer, de dire à ses compatriotes : « Prenez garde. »



26 novembre 1881


Notre ami le rédacteur du Monde n’est pas tout à fait content de nous, et notre manière de voir au sujet des relations du Canada avec la France ne lui plaît guère. Cela nous chagrine quelque peu, mais ne nous fera pas changer d’avis.

Notre confrère croit frapper un grand coup en rapprochant deux de nos phrases, dans une desquelles nous disons que la France, malgré ses erreurs, est encore le foyer d’où rayonnent sur le monde les grandes idées catholiques ; tandis que, dans l’autre, nous mettons nos compatriotes en garde contre les dangers que présentent nos relations d’affaires avec les Français.

Quoi qu’en dise le Monde, il n’y a pas, entre ces deux phrases, l’ombre d’une contradiction.

S’il n’y avait pas de catholiques en France, nos relations avec l’ancienne mère-patrie présenteraient peut-être plus de dangers, voilà tout ; mais la présence en France de quelques hommes vraiment catholiques ne fait pas disparaître le péril qu’il y a pour nous de fréquenter les hommes de la France officielle. Si nous ne devions avoir des rapports qu’avec les catholiques de France, il n’y aurait certainement aucun danger à appréhender, loin de là ; mais il ne faut pas oublier que, s’il y a encore des hommes en France professant courageusement les idées catholiques, ces hommes y sont mal notés et leurs idées n’y sont pas à la mode. Car, il faut l’admettre, les doctrines de la France officielle et d’une très grande partie de la France d’affaires sont des doctrines détestables.

Il est souverainement puéril de dire qu’il n’y a aucun danger à fréquenter un homme qui professe l’athéisme ou l’indifférentisme, qui regarde le clergé comme l’ennemi du genre humain. Des relations d’affaires entraînent nécessairement des relations plus familières.

À l’encontre des prétentions du Monde, nous affirmons que les Canadiens ne sont pas « réfractaires aux idées nouvelles qui dominent en France. » Le socialisme et le communisme n’auront peut-être pas beaucoup de prise sur nous, parce que les éléments dont on fait les communistes et les socialistes manquent presque entièrement chez nous. Mais ce qui prendrait facilement racine dans notre pays, c’est l’indifférentisme, c’est le matérialisme, c’est l’athéisme, c’est la haine du clergé, c’est le mépris des choses saintes, des cérémonies religieuses, c’est la laïcisation des écoles, c’est le travail du dimanche, ce sont toutes les misères qui ont conduit la Fille aînée de l’Église dans un abîme de malheurs.

Nous ne prétendons pas qu’il faille nous claquemurer et fermer nos portes aux capitalistes français ; pas du tout. Mais nous croyons que c’est une faute très grave de répéter sans cesse, comme font certains journaux, le Monde entre autres, que nos relations d’affaires avec la France sont sans aucun danger pour nous.

Ces relations présentent un danger réel, et vouloir cacher ce danger c’est le rendre cent fois plus grand.


18 décembre 1881


S’il fallait choisir entre « l’isolement » et l’adoption par nos compatriotes des idées dites modernes qui ont cours en France, nous dirions : restons isolés jusqu’à la consommation des siècles.

Pour que le contact du Canada avec la France officielle n’ait pas sur nous un effet désastreux, il faut une surveillance continuelle de la part de tous ceux qui ont pour mission de diriger l’opinion.

Nous l’avons affirmé et nous le répétons : dire sans cesse que nous n’avons rien à craindre, c’est rendre le péril cent fois plus grand.

En réponse au Monde, au sujet de nos relations commerciales avec la France, nous dirons seulement que nous souhaitons beaucoup que l’avenir ne justifie pas nos craintes ; nous désirons même ardemment qu’il donne raison à notre confrère contre nous. Cependant, nous persisterons à dire à nos lecteurs de temps à autre, si le Monde veut bien nous le permettre, que ces relations d’affaires avec les Français nous exposent à des dangers très réels. Et en le faisant, nous croyons faire notre devoir.