imprimerie de la Vérité (Ip. 162-166).

LE « JOURNAL DE QUÉBEC » ET LE « COURRIER DES ÉTATS-UNIS »


8 juillet 1882.


Nous avons promis de reproduire intégralement la « réponse » du Journal de Québec à notre dernier article sur le Courrier des États-Unis. Nous remplissons notre promesse, tout en demandant pardon à nos lecteurs de leur infliger un pareil morceau ; mais il est bon que le public sache comment on s’y prend aux bureaux du Journal pour défendre une mauvaise cause. Voici cette prose, c’est intitulé : la Vérité :


Ce journal trouve que nous jouons, en politique, un « rôle ignoble », et que nous en jouons un autre encore bien pire, celui d’encourager une littérature si obscène, si immonde, si pourrie, si puante, qu’il ne peut reproduire, pour le flétrir, ce que nous avons eu l’infamie de favoriser et d’encourager par un de nos articles.

Heureusement que le rédacteur de la Vérité s’enferre lui-même en citant intégralement notre article, qui est le plus inoffensif du monde et notre meilleure justification.

Il s’agit de notre récent article, sur le Courrier des États-Unis, et dans lequel nous faisons certaines « réserves » sur le choix des matières renfermées dans cette feuille.

Ces « réserves, » nous dit la Vérité, valent pour le Courrier plus qu’une réclame, où il n’y aurait que des éloges, parce qu’elles donnent à notre article « un air d’impartialité qui séduit. »

Si nos « réserves » peuvent produire cet effet, le rédacteur de la Vérité ne comprend-il pas que son propre article du 24 juin est encore bien plus dans le même cas ?

En nous annonçant que les feuilletons du Courrier des États-Unis sont obscènes, immondes, pourris, puants, notre confrère, en effet, court risque de provoquer la curiosité de ses lecteurs, et ceux-ci seront très probablement portés à imiter leur organe, à lire ces mêmes feuilletons pour juger par eux-mêmes comme le fait le rédacteur de la Vérité.

Pour ce qui nous regarde, nous ne savons pas si le Courrier des États-Unis se permet de publier des feuilletons obscènes et immondes, n’en lisant jamais et préférant la lecture sérieuse et utile, mais si ce journal en publie, n’est-il pas amusant d’apprendre que c’est dans cette espèce de littérature que le rédacteur de la Vérité passe une partie de son temps ?

La Vérité ne saurait s’abriter sous le prétexte que c’est pour jeter le cri d’alarme contre le danger des lectures immorales et en éloigner les lecteurs honnêtes.

L’écrivain de la Vérité n’a pas qualité pour cette fonction.

Il n’a pas encore reçu ces titres d’inquisiteur de la foi ou de la morale ; il n’est pas au milieu de nous, le délégué de la congrégation de l’Index, chargé d’examiner les productions littéraires, d’en prohiber ou d’en permettre la lecture et la vente.

Non, il n’est rien de tout cela ; il est tout simplement un profane comme nous, à qui il est défendu de lire tout mauvais livre, toute littérature obscène et immonde.

Si vous ne voulez pas que vos propres lecteurs lisent cette littérature pernicieuse, commencez donc par leur donner l’exemple et ne pas en lire vous-même !

Mais c’est avoir pris trop au sérieux la Vérité : nous demandons pardon à nos lecteurs.


Nous pourrions, à la rigueur, nous dispenser de tout commentaire, car cette prétendue « réponse » est un de ces écrits incroyablement faibles qu’il suffit de mettre sous les yeux des gens intelligents et honnêtes pour en faire la réfutation la plus complète ; aussi, si nous n’avions affaire qu’à nos abonnés, nous nous contenterions de la simple reproduction ; mais nous avons affaire aux rédacteurs du Journal de Québec, et il convient de leur dire quelques petites vérités.

Notre confrère prétend que nous nous sommes enferré en reproduisant intégralement son premier article sur le Courrier. Le rédacteur du Journal est bien plus rusé que nous ; il se garde bien, lui, de « s’enferrer » en reproduisant même quelques lignes de notre écrit. Mais nous aimons mieux nous « enferrer » aux yeux des gens du Journal que d’avoir recours à ces petites habiletés qui constituent l’unique force de ceux qui ont une mauvaise cause à défendre.

Le Journal a l’audace de dire que nos flétrissures sont plus propres à faire mousser le Courrier des États-Unis que son propre article élogieux, dans lequel il entre, comme nous l’avons déjà dit, juste assez de timides réserves pour donner à la réclame un air d’impartialité ! En vérité, il faut être poussé au pied du mur pour écrire de pareilles balivernes.

Si nous avons excité la curiosité de quelques esprits déjà empoisonnés par de mauvaises lectures, tant pis pour ces esprits malsains ; nous n’écrivions pas pour eux, mais pour les pères de famille, pour les mères de famille, qui ne veulent pas que l’imagination de leurs enfants soient souillée par les abominations du Courrier des États-Unis. L’article du Journal de Québec était de nature à endormir la vigilance de ces pères et mères de famille, voilà pourquoi nous l’avons flétri en même temps que les feuilletons immondes du Courrier.

Si la thèse du Journal était soutenable, il ne faudrait jamais dénoncer le mal, de crainte d’exciter la curiosité ; et le blâme qu’il veut nous infliger retomberait sur nos évêques et nos prêtres qui ne se lassent pas de signaler les dangers des mauvaises lectures, car plus l’avertissement vient de haut, plus il doit « exciter la curiosité, » selon la doctrine du Journal.

Nous invitons notre confrère à soumettre sa thèse à n’importe quel théologien.

Si le Courrier des États-Unis était absolument inconnu dans notre pays, peut-être le faux raisonnement du Journal serait-il un peu moins faux ; bien que, même dans ce cas, notre article eût été pleinement justifié par les réclames de certains journaux canadiens en faveur de l’immonde feuille new-yorkaise. Mais comme question de fait, le Courrier des États-Unis est répandu par centaines — le Monde dit par milliers — d’exemplaires au Canada. En supposant donc que notre article ait pu excité la curiosité chez certains gens à l’esprit malade — ce qui est fort problématique, attendu que notre journal n’est guère lu par ces gens là — nous avons la certitude que nos remarques ont mis plus d’un père de famille sur ses gardes.

Voilà la seule objection, nous ne dirons pas sérieuse, mais spécieuse, que le Journal ait pu opposer à notre écrit. Le reste de son article est tout simplement d’une faiblesse pitoyable. Dire que nous ne sommes pas le délégué de la Congrégation de l’Index et que, par conséquent, nous n’avons pas le droit de jeter un cri d’alarme lorsque nous voyons les mauvais feuilletons inonder notre pays, c’est se moquer des gens ; prétendre que nous donnons un mauvais exemple en flétrissant les immondices du Courrier, c’est faire rire de soi ; trouver plaisant que nous nous imposions la tâche écœurante de lire deux ou trois colonnes de pourriture pour pouvoir en parler avec connaissance de cause, c’est s’amuser à peu de frais.

La vérité dans toute cette affaire, c’est que le Journal de Québec a été convaincu d’avoir favorisé la propagation de la peste chez nous ; et au lieu d’avouer franchement sa faute et de chercher à la réparer de son mieux, il s’engage de plus en plus dans le mauvais chemin où il est entré.[1]


  1. Par une ordonnance en date du 18 juillet 1882, Mgr Taschereau, archevêque de Québec, condamna le Courrier des États-Unis et en défendait la lecture à tous les fidèles de son diocèse.