imprimerie de la Vérité (Ip. 63-76).

CANADIENS ET ESQUIMAUX


14 janvier 1882


Un correspondant de la Minerve a fait dernièrement, en parlant d’instruction primaire, un rapprochement assez singulier entre les Canadiens et les Esquimaux. L’idée nous paraît aussi bonne qu’originale ; nous allons l’exploiter en écrivant quelques articles sur les Canadiens et les Esquimaux au point de vue social. Nous sommes persuadé que les lecteurs suivront ces articles avec intérêt et profit, car on s’intéresse toujours à ce qui est peu connu, et c’est en se comparant aux autres nations de la terre qu’un peuple apprend à connaître ses défauts. Quant à leurs qualités, les peuples, comme les individus, les connaissent toujours assez.

Nous commencerons, si vous le voulez, par l’instruction : l’instruction chez les Canadiens et les Esquimaux. Vous allez nous dire qu’il n’y a pas de comparaison possible entre ces deux peuples au point de vue de l’instruction. Attendez un peu, c’est ce que nous allons voir. Vous vous prononcerez ensuite.

Mais avant d’aller plus loin, et pour écarter les préjugés, nous devons déclarer que nous ne sommes pas de ceux qui cherchent sans cesse à dénigrer notre système d’éducation, qui se plaisent à représenter les Canadiens comme un peuple excessivement arriéré sous le rapport de l’instruction, qui soupirent après une révolution radicale, dans nos écoles, nos collèges et nos couvents. Nous ne sommes pas de ceux-là, Dieu merci ; au contraire, ce sont ces révolutionnaires en herbe que nous allons combattre.

En comparant les Canadiens aux Esquimaux nous n’entendons donc pas rabaisser nos compatriotes ; nous voulons tout bonnement réhabiliter les Esquimaux, que le correspondant de la Minerve a tenté de ravaler, tout en parlant mal des Canadiens.

Le correspondant de la Minerve est M. Chs. B. Rouleau, magistrat de district, que nous regrettons beaucoup de voir dans cette galère.

De toutes les questions importantes traitées dans les journaux, c’est la question de l’instruction qui est la plus maltraitée. Il y a dans notre pays, bien des idées fausses sur bien des sujets, mais c’est certainement l’éducation qui est enveloppée du brouillard intellectuel le plus épais.

La grande erreur des temps modernes, erreur qui se répand rapidement dans notre pays, hélas ! c’est de croire qu’une des attributions de l’État est l’enseignement, c’est de vouloir faire du gouvernement l’unique et universel maître d’école.

L’article de M. Rouleau sur l’instruction primaire nous a convaincu de la nécessité de combattre vigoureusement, et pendant qu’il en est encore temps, cette tendance à la centralisation et à la laïcisation, en matière d’enseignement, qui se manifeste chez un grand nombre de soi-disant conservateurs, haut placés et influents. Cette tendance, si l’on n’y prend garde, se traduira bientôt, peut-être à la prochaine session, par quelque projet de loi à la Jules Ferry.

Pour que l’on ne puisse pas nous accuser de prêter à M. Rouleau des idées qu’il n’a pas exprimées, nous allons donner un long extrait de son article publié dans la Minerve du 24 décembre dernier. Voici ce qu’il dit :

« D’après la loi actuelle, les commissaires d’école ont le pouvoir de prélever des cotisations pour toutes les fins scolaires, et d’engager tous les instituteurs qu’ils trouvent à propos d’engager pour les besoins de la municipalité. Voilà, à mon sens, le plus grand obstacle au bon fonctionnement de nos écoles primaires. Tant que ces pouvoirs seront conférés par la loi aux commissaires d’école, on aura beau amender, fondre et refondre nos statuts, quant à ce qui regarde notre loi sur l’instruction publique, on n’obtiendra jamais des résultats satisfaisants. Comment peut-il en être autrement ? La loi donne aux contribuables d’une municipalité le droit de choisir cinq commissaires dont la fonction principale sera de prélever un certain montant au moyen de cotisations, pour subvenir aux dépenses occasionnées par les écoles de la municipalité. N’est-il pas notoire que notre population en général a une aversion prononcée pour toute contribution ou réclamation qui porte le nom de « taxe ? » Or, est-il raisonnable de supposer qu’avec une telle aversion pour la taxe et une indifférence coupable pour l’éducation de leurs enfants, les contribuables d’une localité choisissent des hommes pour commissaires d’école dont le dévouement et le zèle sont reconnus pour la promotion de l’éducation dans la paroisse ou la municipalité ? Non, on choisira, presque dans tous les cas, des hommes illettrés et étant d’une grande hostilité à la taxe d’école. Cependant je ne pense pas qu’il y ait de pays civilisé au monde, autre que la province de Québec, où l’on dépense si peu pour l’instruction primaire. Je sais que chez les Esquimaux on ne paie aucune taxe quelconque, pas même la taxe scolaire, mais faut voir aussi comme cette nation est civilisée ! Je dirai plus. Ne semble-t-il pas à tout le monde que c’est une grande anomalie de faire administrer une loi importante, comme celle de l’instruction publique, en ce qui concerne nos écoles primaires, par des hommes qui, pour la plupart, n’en comprennent pas le premier mot et à qui on donne des pouvoirs limités pour tout ce qui a rapport au soutien et au nombre des écoles qui devraient être en opération dans la municipalité et à l’engagement des instituteurs ? Ne vaudrait-il pas mieux laisser au surintendant de l’instruction publique et partant à ses députés, les inspecteurs, tous les pouvoirs nécessaires pour faire exécuter la loi dans le vrai sens du statut, et enlever les mêmes pouvoirs à ceux qui le possèdent actuellement ? C’est ce que je me propose de démontrer plus loin…

« Il faut instruire le peuple même malgré lui, si c’est nécessaire : c’est là la pierre philosophale de l’avenir de notre province. »

Ne parlons pas de la forme littéraire de cette correspondance ; elle est raboteuse au suprême degré, surtout si nous tenons compte du sujet que l’on prétend y traiter. Avouons, toutefois, qu’un écrit en beau français, dans les colonnes de la Minerve, ne serait pas à sa place. Mais ce qui est grave, c’est le fond, ce qui est dangereux, c’est la doctrine de l’auteur. Le manque d’espace nous empêche de répondre à toutes les erreurs dont cette citation est parsemée ; nous y reviendrons. Pour aujourd’hui nous nous contentons de dire que le projet de M. Rouleau, qui veut centraliser et, partant, laïciser l’instruction primaire, est un projet détestable. Le mot est dur mais il faut bien appeler les choses par leur nom. C’est un projet qu’un Esquimau baptisé et quelque peu ferré sur son petit catéchisme repousserait avec indignation.


21 janvier 1882


M. Chs. B. Rouleau, on l’a vu, a une bien mauvaise opinion des Canadiens et de leur système d’écoles primaires. Nous ne prétendons pas dire que ce système soit parfait, et qu’il ne faille faire aucun effort pour l’améliorer ; mais assurément le remède que propose le savant magistrat est cent fois pire que le mal qu’il veut guérir. Si par malheur nous adoptions le système prôné par le correspondant de la Minerve, les Esquimaux, au jour du jugement dernier, se lèveraient en masse pour porter témoignage contre nous. Car le plus infime de ce peuple tant méprisé, pourvu qu’il ait été évangélisé, n’ignore pas que cette parole de Notre-Seigneur : « Allez, enseignez toutes les nations » n’a été adressée qu’aux apôtres et à leurs successeurs, c’est-à-dire à l’Église. Jamais l’État n’a reçu pareille mission, et vouloir la lui donner, c’est travailler à renverser l’ordre établi de Dieu.

En matière d’enseignement, c’est l’Église qui occupe le premier rang ; la famille, le second. Le rôle de l’État se borne à aider l’Église et la famille dans l’accomplissement de leur tâche, rien de plus.

Est-ce que l’État ne sort pas de son rôle, évidemment, lorsqu’il se constitue, comme le veut M. Rouleau, le seul et unique maître d’école ? lorsqu’il crée en sa faveur un monopole qui répugne également à la raison éclairée et à la foi chrétienne ?

M. Rouleau déclare qu’il faut tout remettre entre les mains du surintendant et de ses députés, les inspecteurs d’école, qu’il convient d’enlever aux municipalités, c’est-à-dire à la famille, tout pouvoir sur l’enseignement.

Ce projet de centralisation à quelque chose de tellement monstrueux qu’on a de la peine à croire qu’un catholique ait sérieusement médité de le mettre à exécution. Cela rappelle les plus mauvais jours de l’antique césarisme païen où le pouvoir civil prétendait exercer un droit sans bornes sur l’individu et la famille. Cela rappelle aussi les détestables doctrines des athées modernes, des Paul Bert, des Jules Ferry, qui ne veulent d’autre Dieu que le dieu-État.

M. Rouleau répondra, peut-être, qu’il n’y a pas d’inconvénient à confier un pouvoir absolu au surintendant actuel, qu’il ne s’en servirait que pour le plus grand bien du pays. Quand bien même cela serait — ce que nous n’admettons nullement — ce projet n’en serait pas moins mauvais. Car qui peut nous dire que demain nous n’aurons pas pour surintendant un esprit fort, un libre-penseur déclaré ? Et alors où en serions-nous avec le système de M. Rouleau ?

M. Rouleau trouve que nos bons cultivateurs sont bien ignorants, bien arriérés. Hélas ! trois fois hélas ! ce ne sont pas les habitants de nos campagnes qui sont les véritables arriérés, ce ne sont pas eux dont l’éducation est tout à faire. Quand ils seront convaincus de la nécessité de mieux cultiver, de mieux entretenir leurs chemins et de travailler avec plus d’ardeur à la colonisation — et ils s’en convainquent de plus en plus chaque jour — ils n’auront rien à envier aux autres peuples, au contraire. Mais ce qui est déplorable chez nous, c’est l’ignorance de la classe dite instruite, ce sont les fausses doctrines, les idées malsaines dont elle est pétrie. Voilà notre mal : n’allons pas le chercher ailleurs.


28 janvier 1882


M. Chs. B. Rouleau, magistrat de district, ancien inspecteur d’écoles et correspondant de la Minerve, déclare que l’instruction obligatoire est « la pierre philosophale de l’avenir de notre province. » Ce sont ses propres paroles que nous avons déjà citées dans notre numéro du 14 janvier. Comme phrase, c’est obscur, mais comme intention, c’est mauvais. Grammaticalement parlant, pierre philosophale de l’avenir d’un pays ne signifie rien du tout. Mais nous comprenons l’idée de M. Rouleau et cela nous suffit. Son idée, c’est que l’instruction obligatoire fera le bonheur futur de notre province. Cette idée est aussi chimérique qu’était celle de ces fameux philosophes qui cherchaient la mystérieuse et introuvable pierre qui devait convertir en or tous les objets auxquels elle toucherait.

En comparant l’instruction obligatoire à la pierre philosophale, M. Rouleau a été plus près de la vérité qu’il ne le croyait peut-être. De même que les chercheurs de cette pierre imaginaire étaient condamnés à des désappointements continuels, de même qu’ils étaient finalement contraints d’abandonner leurs fouilles insensées pour ne pas crever de faim, de même aussi M. Rouleau serait contraint d’avouer, si jamais il réussissait à obtenir l’instruction obligatoire, que sa pierre ne vaut pas mieux que celle des anciens.

Pourtant, la comparaison de M. Rouleau manque de justesse, comme toutes les comparaisons, du reste. On le sait, la pierre philosophale n’existait que dans l’imagination de quelques rêveurs. Malheureusement, l’instruction obligatoire existe, mais loin de produire de l’or, elle n’opère que la ruine morale des peuples assez aveugles pour l’adopter.

Nous n’entrerons pas ici dans une longue dissertation pour prouver que l’instruction obligatoire doit être repoussée, Nous avons déjà traité cette question et nous aurons probablement l’occasion de la traiter encore. Nous nous contentons donc d’affirmer de nouveau, on ne saurait l’affirmer assez souvent, que l’État n’a pas mission d’enseigner, qu’il n’a pas de droits véritables sur l’enseignement qui appartient d’abord à l’Église, ensuite à la famille. Si M. Rouleau veut des autorités, il les aura et d’incontestables.

Nous ne croyons pas que les Esquimaux aient jamais cherché la pierre philosophale ni avocassé l’instruction obligatoire. Ils sont donc supérieurs aux philosophes modernes, tel que M. Chs. B. Rouleau.

Ceci nous amène à parler de l’éducation pratique. C’est le thème favori de nos philosophes canadiens. On veut que notre peuple ait une éducation pratique : M. Fabre l’exige.

Disons donc un mot de ce sujet si actuel.

Qu’est-ce qu’une éducation pratique ?

Si nous avons bien compris nos grands penseurs ils font consister une éducation pratique dans l’absence du latin et du grec, d’abord, ensuite dans une connaissance très étendue de la comptabilité, de la tenue des livres, de l’arithmétique, des mathématiques, du génie civil, des autres sciences exactes. Pas de latin, pas de grec, pas de philosophie, et beaucoup de chiffres, voilà, pour ces messieurs, une éducation vraiment pratique.

Nous parlerons de tout cela dans un prochain article, et nous nous faisons fort de prouver que les Esquimaux ont une idée bien plus juste que nos prétendus philosophes canadiens de ce qui constitue une éducation pratique.


4 février 1882


Il s’agit de savoir ce que c’est qu’une éducation pratique.

Nos réformateurs sont constamment à cheval sur cette question ; c’est leur dada, leur marotte, leur lubie ; ils nous en fatiguent les oreilles à chaque instant. Mais savent-ils bien ce qu’ils veulent dire par éducation pratique ? Nous en doutons beaucoup.

À leurs yeux, tout ce qui ne peut pas se traduire en piastres et en sous n’est pas pratique. Voilà leur panacée : le matérialisme.

Pour bien comprendre ce que c’est qu’une éducation pratique il faut d’abord se rendre parfaitement compte de ce qu’est l’homme.

Tous nos philosophes savent, ou devraient savoir, que l’homme n’est pas une simple machine ; ils n’ignorent pas non plus qu’il a une autre destinée que celle des bêtes des champs ; qu’il n’est pas ici-bas uniquement pour manger, boire et se vêtir ; qu’il ne vit pas seulement de pain ; qu’il a une âme immortelle à sauver, un Dieu à servir, un ciel à gagner, un enfer à éviter. Ils savent tout cela, vraisemblablement, puisque les Esquimaux évangélisés le savent ; mais, franchement, nous craignons beaucoup que dans leurs savantes dissertations, sur la nécessité d’une éducation pratique, ils ne perdent de vue cette vérité pourtant fondamentale.

Saint Paul nous l’a dit : Il n’y a qu’une seule chose nécessaire, c’est le salut. Tout le reste n’est qu’accessoire.

L’homme a été placé ici bas pour opérer son salut, et non pour amasser des richesses. Le ciel, c’est sa fin et il n’en a pas d’autre.

Or, l’éducation n’est autre chose que le développement des facultés naturelles de l’homme pour qu’il puisse mieux atteindre la fin pour laquelle il a été créé. Il faut donc, avant tout, pour qu’une éducation soit vraiment pratique, qu’elle rende plus facile et plus sûr le chemin du ciel. Une éducation qui ne ferait pas avancer l’homme dans le chemin du ciel serait absolument inutile ; une éducation qui l’éloignerait de ce chemin, serait nuisible au suprême degré.

Emparons-nous donc bien de cette vérité : La seule éducation vraiment pratique est celle qui nous aide à gagner le ciel. L’éducation religieuse doit être la base, le fondement de tout système d’enseignement. La comptabilité, l’arithmétique, les mathématiques, le génie civil ne constituent pas seuls une éducation pratique, pas plus qu’un labourage soigné, un hersage parfait ne constituent une culture pratique si la semence fait défaut.

Mais on dira, sans doute, que l’homme doit au moins manger pour vivre, s’il ne doit vivre pour manger ; que tout en travaillant à sauver son âme il n’est pas obligé de laisser périr son corps.

Certes, oui. C’est même un devoir pour l’homme de faire fructifier la terre, de la subjuguer, d’exploiter les richesses que la Providence a mises à sa disposition ; à la condition qu’il ne perde pas de vue sa fin dernière et qu’il ne travaille jamais pour le temps mais toujours pour l’éternité.

Mais au point de vue purement matériel, il nous semble que nos réformateurs n’ont pas une idée bien claire de ce qu’il faut entendre par une éducation pratique. Ils voudraient couler tout le monde dans un moule unique, bourrer tous les enfants d’Adam de chiffres, de comptabilité et de génie civil. Et ils appellent cela pratique, mais c’est tout simplement insensé.

Sans doute, il faut des teneurs de livres, des négociants, et des ingénieurs civils ; il faut des écoles spéciales pour les préparer à ces carrières. Qu’on en crée, au lieu d’intriguer pour les empêcher de se fonder, comme cela a eu lieu à Québec, il n’y a pas encore un siècle.

Mais il faut autre chose aussi. Prétend-on sérieusement que ce régime de chiffres et de dessin linéaire convienne à tout le monde ?

Qu’on enseigne bien à chacun son métier ou sa profession, que chacun apprenne ce qu’il doit apprendre et notre éducation sera pratique. Aux cultivateurs, l’agriculture ; aux artisans, la mécanique ; aux marchands, la comptabilité ; aux avocats, le droit ; à tous le catéchisme. Et laissez-nous en paix avec vos chiffres mis à toutes les sauces.

La géométrie est une belle science, mais elle n’est pas pratique pour tout le monde.

Par exemple, elle n’aiderait guère les Esquimaux à prendre le loup-marin.

Nous reviendrons encore sur cette question.


11 février 1882


Nous interrompons le cours de nos articles pour contempler un instant, en passant, la figure d’un brave Canadien qui ne nous paraît pas valoir un bon Esquimau. Il s’agit de M. Pacaud, de l’Électeur. Quand nous disons M. Pacaud, c’est une simple façon de parler ; c’est lui qui porte la responsabilité des élucubrations de ses amis.

Nous avons découvert quelque chose de plus fort que l’esprit de parti, c’est une fausse doctrine.

M. Chs. B. Rouleau, magistrat de district et correspondant de la Minerve, est un bleu enragé, ami intime et grand admirateur de M. Chapleau. Il a émis, en parlant de l’éducation, des idées fort libérales, et aussitôt l’Électeur, oubliant le bleuisme de M. Rouleau, vole à son secours. Voici, entre autres choses, ce que dit l’Électeur. Ne riez pas, s’il vous plaît ; c’est un des articles sérieux de notre confrère :

« Que dirait M. Tardivel, si on lui prouvait que l’Église elle-même est pour l’instruction obligatoire ? Or la chose est facile à faire. Est-ce que l’Église n’oblige pas tout le monde à apprendre le catéchisme ? Est-ce qu’elle ne fait pas un devoir de conscience à tous les fidèles d’apprendre la religion. Or, si ce n’est pas là l’enseignement obligatoire, qu’est-ce donc ?

« L’Église catholique, sans doute, condamne l’enseignement obligatoire donné par l’État. Mais qui vous dit que c’est de cet enseignement que M. Rouleau veut parler ? »

M. Tardivel dirait que les écrivains de l’Électeur ont certainement trouvé le moyen de se soustraire à l’obligation que l’Église impose à ses enfants d’apprendre le catéchisme.

Si le savantasse de l’Électeur eût seulement lu les écrits de M. Rouleau avant d’en parler, il se fût facilement convaincu qu’il ne s’agissait que de l’enseignement obligatoire donné par l’État. En effet, dans ce travail de M. Rouleau, il n’est question que des prétendus droits de l’État et il n’y est pas même fait une simple allusion aux droits réels de l’Église.

Notons une chose importante : Dans l’Électeur du 31 janvier 1882, il est dit, en toutes lettres, que « l’Église catholique, sans doute, condamne l’enseignement obligatoire donné par l’État. » Retenez bien cette parole et cette date ; elles serviront plus tard.

L’Électeur continue :

« Dans le même article, la Vérité commet une autre erreur, et en voulant reprendre M. Rouleau elle dit une énormité. Suivant elle, l’État n’a pas mission d’enseigner, l’Église seule a cette mission. »

Nous avons dit que l’État n’a pas mission d’enseigner, qu’il n’a pas de droit inhérent sur l’enseignement, qu’il ne peut posséder sur cette matière qu’un droit de police et un droit de délégation,[1] et enfin que sur le terrain de l’enseignement il n’y a que l’Église et la famille qui aient de véritables droits.[2] » Et cela, loin d’être une énormité, est la doctrine catholique.

Pour la modique somme de quinze sous, M. Pacaud peut se procurer un opuscule intitulé : « Conférences sur l’instruction obligatoire, par le R. P. Paquin, O. M. I. » Aux pages 60 et 61 de cet ouvrage il lira ce qui suit :

« J’ai prouvé, messieurs, que l’éducation, revêtue de son double caractère naturel et religieux, appartient de droit naturel à l’autorité du père de famille, et, dans un ordre supérieur de choses, tombe de droit divin sous la surveillance directrice et magistrale de l’autorité religieuse. J’ai prouvé, en outre, que tous les droits dévolus à l’État par la loi naturelle, ne peuvent commencer que là où finissent ceux de la famille, et doivent se résoudre en un droit de protection, inhérent à son devoir fondamental de protéger les intérêts des familles et des individus, droit de protection essentiellement exclusif de toute immixtion, de toute ingérence, de toute intervention. J’ai prouvé enfin que l’État ne peut exercer une action directe sur l’éducation qu’en vertu d’un droit de délégation basé exclusivement sur une concession tacite ou explicite, librement faite par le père de famille, librement consentie de la part de l’autorité religieuse, droit de délégation essentiellement revêtu du caractère d’un mandat, c’est-à-dire essentiellement révocable. »

Voilà la doctrine que l’Électeur qualifie d’énormité ! Et qu’on le remarque bien, cet opuscule du R. P. Paquin porte l’imprimatur de Mgr l’Archevêque de Québec !

Si nous voulions employer les procédés de l’Électeur, nous dirions que notre confrère est en révolte ouverte contre son évêque. Mais nous nous contentons de dire qu’il se mêle de discuter des questions graves dont il ne connaît pas le premier mot.

Il y a quelque temps, l’Électeur se réjouissait à la pensée que Mgr Laflèche allait être créé archevêque in partibus infidelium, c’est-à-dire, en langue vulgaire, dans les pays des infidèles. Si jamais le vénérable évêque des Trois-Rivières était revêtu de ce titre, il n’aurait pas besoin d’aller au Labrador pour exercer ses travaux apostoliques.



11 mars 1882


Nous avons encore un mot à dire en réponse à M. Chs. B. Rouleau et à tous les réformateurs de notre système d’éducation. On le sait, ces pessimistes trouvent que notre peuple est excessivement arriéré sous le rapport de l’instruction. Ils rêvent je ne sais quel changement radical dans notre monde scolaire. Ils ne précisent rien encore, mais il est évident que les tendances de tous ces prétendus régénérateurs sont vers la laïcisation de l’enseignement. Ce n’est pas les calomnier que de le dire. Sous prétexte de rendre notre éducation plus pratique on voudrait tout simplement la rendre plus matérielle. Cette tendance est dangereuse et il importe de l’enrayer.

Nous avons déjà dit ce qu’il faut entendre par éducation pratique : Nous le répétons en deux mots. Une éducation qui aide l’homme à atteindre sa fin est pratique ; une éducation qui l’en éloigne ne l’est pas. Donc l’éducation de tout le monde doit avoir pour base la vraie religion.

Maintenant, pour entrer dans les détails, quel enseignement spécial faut-il à chaque classe de la société en particulier ? Car il y a des classes, même dans ce pays démocratique et dans ce siècle égalitaire.

On semble vouloir établir un système d’enseignement unique, qui s’appliquerait à tout le monde. On voudrait faire de tous les Canadiens des demi-savants ou plutôt des demi-quarts de savants. Cela n’est pas dans l’ordre. Vouloir que tout le monde soit également instruit, c’est vouloir l’impossible, et c’est vouloir de plus une chose qui, fût-elle possible, ne serait pas du tout à désirer. Enfin, ce n’est pas un idéal, loin de là. Et chaque pas vers la réalisation de ce projet néfaste nous éloigne du véritable but de l’éducation, qui est d’aider aux hommes de mieux atteindre leur fin dernière et de permettre à chaque individu en particulier d’accomplir, avec plus d’avantage pour lui-même et pour la société, la mission qu’il a reçue de la divine Providence. Car, chacun de nous a un rôle à jouer dans le monde, chacun de nous a une vocation particulière. Or, l’éducation doit nous aider à bien jouer ce rôle, à suivre fidèlement cette vocation. Les uns ont besoin d’une science, les autres, d’une autre ; vouloir un enseignement unique et universel, c’est vouloir le désordre.

Par exemple, en parlant d’enseignement pratique, on appuie beaucoup sur l’importance de la tenue des livres. La tenue des livres est importante pour les teneurs de livres, et que l’on ait des maisons où l’on enseigne cette science, il n’y a rien de mieux. Mais est-ce que la classe agricole a besoin de cette science pour faire du bon beurre, pour élever de beaux animaux ? pas du tout.

Voici ce qu’un homme grave nous écrivait naguère, au sujet de l’émigration, que certaines gens attribuent à trop d’études classiques, ce cauchemar de nos réformateurs :

« Ne serait-ce pas plutôt une trop grande importance donnée à la tenue des livres et au calcul dans les écoles des enfants de la classe agricole, ce qui développe outre mesure les convoitises et dégoûte des travaux des champs, en les faisant mépriser par les fils des cultivateurs qui vont courir augmenter le nombre déjà trop grand de nos oisifs des villes et le nombre des émigrants ? »

Qu’on médite bien ces paroles.

Nous croyions pouvoir terminer nos articles sur ce sujet dans le présent numéro, mais plus nous traitons cette question plus nous trouvons de choses à dire. Nous y reviendrons.


  1. Ce droit de délégation, dont nous admettions alors l’existence en faveur de l’État, n’existe réellement pas, attendu que l’État n’est pas apte à recevoir une telle délégation.
  2. Il est bien compris que par enseignement nous entendons la formation intellectuelle et morale de l’enfance et de la jeunesse.