imprimerie de la Vérité (Ip. 59-60).

L’ÉDUCATION CLASSIQUE


28 septembre 1881


Certains journaux discutent, depuis quelque temps, la question de l’éducation classique qui se donne dans nos collèges. Plusieurs de nos confrères trouvent que l’on y enseigne trop de grec et de latin, et ils demandent une instruction plus « pratique. »

Ce mot « instruction pratique » sonne bien, arrondit passablement une phrase et pose celui qui l’emploie en réformateur zélé. Mais il ne faut pas en abuser, et il ne faut pas s’imaginer qu’il suffise de répéter un mot sonore pour révolutionner l’enseignement.

Le grec, le latin et la philosophie, que l’on en dise ce que l’on voudra, ne sont pas sans utilité. Les élèves les oublient aussitôt qu’ils sont sortis du collège, dit-on. Soit, mais ce qu’ils ne perdent pas, c’est l’habitude de penser, de refléchir, de « se creuser la cervelle » qu’ils ont contractée au collège, en étudiant ces matières qui ne paraissent pas pratiques aux yeux d’un certain nombre de personnes.

L’étude du grec et du latin constitue une véritable gymnastique de l’esprit. Ces langues mortes ne sont pas, sans doute, d’une utilité immédiate, dans ce siècle d’affaires matérielles ; mais en les étudiant, l’intelligence acquiert une souplesse, un développement très pratiques, au fond.

Voilà, pourquoi nous trouvons que l’on a tort de s’élever si fortement contre les collèges classiques. Ces institutions sont nécessaires pour former des hommes réellement supérieurs, des intelligences à la fois brillantes et solides. Les hommes de génie ou de talent hors ligne peuvent se passer d’études classiques, mais ces hommes sont rares.

Nous ne voulons pas dire qu’il faille prétendre que tout homme a besoin, pour réussir, d’un cours d’études classiques. Le cultivateur, le commerçant, l’industriel peuvent certainement faire leur chemin dans le monde sans avoir jamais étudié la grammaire latine ; et nous ne voudrions pas, non plus, voir augmenter le nombre des avocats et des médecins, loin de là. Mais ce que nous prétendons, c’est que l’enseignement qui se donne dans nos collèges est bien ce qu’il faut pour former les intelligences de ceux qui se destinent aux professions libérales.

Qu’on demande des écoles spéciales pour préparer les jeunes gens à l’industrie, au commerce et à l’agriculture ; qu’on fasse voir que dans certains de nos collèges il serait à propos de donner plus d’attention à quelques détails, à l’art épistolaire, par exemple, à la calligraphie, à l’étude du français et de l’anglais, à l’arithmétique ; qu’on préfère les auteurs chrétiens aux païens, tout cela est très bien. Mais qu’on n’aille pas supprimer le grec et le latin, la philosophie surtout, qu’on ne batte pas en brèche nos collèges classiques. Ce n’est pas réformer, c’est démolir, c’est détruire. On peut être réformateur sans avoir constamment la hache à la main. La hache est un excellent instrument, mais il faut savoir l’employer à propos. La hache est ce qu’il faut pour abattre un arbre, pour équarrir un morceau de bois ; mais le sculpteur qui voudrait s’en servir pour faire une statue n’aurait pas beaucoup de succès.

Nos collèges classiques sont dirigés par des hommes trop éclairés, trop dévoués aux véritables intérêts du pays pour que l’on puisse y appliquer un coup de hache avec avantage.

Ceux qui veulent manier la cognée — nous parlons toujours dans le sens figuré — trouveront dans le monde politique des forêts d’abus qui ne demandent qu’à être abattues.