Mélanges/Tome I/108

imprimerie de la Vérité (Ip. 358-360).

À PROPOS D’IDÉAL


20 octobre 1891


Un correspondant quelconque, qui signe algébriquement X dans le Journal de Québec, trouve le moyen de se rendre bien ridicule en très peu de lignes. Il veut savoir « en quel pays se réalise l’idéal du gouvernement parlementaire rêvé par la Vérité. » Le correspondant avoue qu’il n’est pas savant ; il aurait dû ajouter qu’il ignore même la valeur des mots les plus usités de la langue française.

L’idéal ne se réalise jamais, mais c’est en travaillant à le réaliser que l’homme produit des œuvres durables.

Le peintre et le sculpteur ne réussissent jamais à reproduire sur la toile et dans le marbre la beauté idéale qu’ils entrevoient sans cesse ; et cependant sans cet idéal, qui leur échappe toujours, leur pinceau et leur ciseau seraient impuissants.

C’est en cherchant vainement à répéter les harmonies idéales, que les grands musiciens nous ont donné leurs chefs d’œuvre.

Partout il faut à l’homme un idéal qui l’inspire, bien qu’il ne puisse jamais réaliser ce qu’il rêve. Celui qui travaille sans avoir le regard fixé sur un idéal, ne s’élèvera jamais au-dessus du terre-à-terre de la vie purement matérielle.

La politique ne fait pas exception à la règle générale.

Aux hommes d’État, aux journalistes, à tous ceux qui ont pour mission de conduire le pays ou d’éclairer les masses, il faut un idéal qui les guide dans leurs travaux, qui les incite sans cesse à de nouveaux efforts, qui les soutienne et les empêche de se laisser choir dans l’épouvantable bourbier du matérialisme. C’est parce que si peu d’hommes publics ont une idée, que nous voyons grouiller, dans ce bas fond qu’on appelle la politique, tant d’êtres ignobles et repoussants, ne vivant que d’expédients, ne cherchant que leurs propres intérêts ou un peu de popularité éphémère, n’accomplissant rien de bon, de grand et de durable.

Notre idéal à nous, dans la vie sociale, c’est de voir tous nos compatriotes unis comme un seul homme, ne se haïssant plus, ne se jalousant plus, ne s’entredéchirant plus, sachant différer d’opinion sur les détails et s’accorder sur les grands principes catholiques qui sont la base de l’ordre civil. Nous ne verrons jamais la réalisation de cet idéal, malheureusement. Mais en travaillant à nous en approcher, en engageant les autres, dans la mesure de nos forces, à porter leurs regards vers cette perfection, nous croyons, n’en déplaise au correspondant du Journal, faire une œuvre patriotique.

Dans la vie parlementaire, notre idéal c’est de voir disparaître l’aveugle esprit de parti, c’est de voir les gouvernements n’avoir pour but que le bien général, c’est de voir les députés se mettre au-dessus de tout esprit de faction, de toute haine, de tout intérêt personnel, de toute opposition systématique et de tout servilisme. Sans doute, cet autre idéal ne se réalisera jamais, parce que c’est un idéal, mais chaque effort que nous ferons pour y arriver sera un pas en avant, un pas vers la perfection

Ceux qui fréquentent les bureaux du Journal de Québec ne comprennent pas ces choses ; nous n’écrivons pas pour eux. Mais ceux qui ont véritablement à cœur l’avenir du pays, ceux qui n’ont pas d’intérêts particuliers à servir, nous comprendront. Cela nous suffit.