Mélanges/Tome I/103

imprimerie de la Vérité (Ip. 348-350).

« M. PARKMAN ET SES CRITIQUES »


29 novembre 1878.


Sous ce titre, le Witness, de Montréal — feuille qu’on ne peut lire dans ce diocèse sans une permission spéciale — a publié, mardi dernier, un article où perce à chaque ligne, la haine sourde et aveugle que ce journal nourrit contre l’Église.

Le Witness prétend que les livres de M. Parkman, au sujet des jésuites et des relations de l’Église avec l’État sous la domination française, ont « désagréablement surpris une partie considérable de la population de cette province. » Les Canadiens, continue-t-il, « étaient accoutumés à voir, dans les ouvrages des abbés Ferland, Faillon, Laverdière et autres, les missionnaires jésuites de la Nouvelle-France représentés comme des saints, et les évêques et les prêtres comme des modèles de toutes les vertus. »

Est-il possible de parler sur un ton plus injurieux, des écrivains les plus respectables et les plus véridiques du Canada, et d’insulter d’une manière plus grossière à la mémoire vénérée des missionnaires et des prêtres de la colonie ? Je cite ces paroles pour faire comprendre la guerre perfide que le Witness fait à la religion et à ses ministres. Cette feuille procède par insinuations vagues, par accusations générales ; jamais elle ne donne une preuve à l’appui de ce qu’elle avance, jamais elle ne condescend à rien préciser.


Malheureusement pour les intérêts du cléricalisme, continue le Witness, M. Parkman, habitant de la Nouvelle-Angleterre et protestant, n’était pas soumis à l’autorité de la sainte mère l’Église, et il a, conséquemment, écrit une histoire des hommes tels qu’ils étaient et des événements tels qu’ils sont arrivés. Il démontre que les missionnaires jésuites, tout en faisant des sacrifices étonnants, au point de donner leur vie pour la conversion des sauvages et pour étendre la domination de l’Église, étaient cependant sans scrupule, fourbes, menteurs et indifférents aux souffrances humaines. Il faut voir de plus que les autorités ecclésiastiques, sous le régime français, étaient alors, comme elles le sont aujourd’hui, tourmentés par une soif insatiable de pouvoir temporel, et que, dans les luttes entre les deux puissances, les prêtres étaient presque toujours les agresseurs. Les ultramontains de Québec sont donc grandement indignés de l’apparition des ouvrages de M. Parkman. D’une main impie il a retiré le voile que d’autres, par crainte ou par faveur, avaient complaisamment jeté sur les méfaits de l’Église et de ses missionnaires dans la Nouvelle France… M. Parkman démontre qu’une ignorance crasse et les superstitions les plus dégradantes régnaient parmi les premiers habitants du pays.


Voilà les ouvrages de M. Parkman « considérées dans leur ensemble » comme le veut M. l’abbé Casgrain ; et cet ensemble, on le voit, est très hostile à la religion, très injuste envers les missionnaires. Tout catholique devra admettre que les éloges flétrissants mais trop mérités que le Witness décerne à M. Parkman me justifiant d’avoir parlé « avec indignation » des écrits de cet auteur.

Après avoir reproduit les paroles calomnieuses que M. Parkman adresse à Mgr de Laval et la comparaison infâme qu’il ose établir entre l’Église et une prostituée (harlot), le Witness se permet l’impertinence suivante :


Croira-t-on que l’auteur de ces ouvrages a été publiquement honoré à Québec par une adresse de la Société Historique et par un diplôme de docteur de l’Université Laval ? Les ultramontains sont naturellement étonnés… Pour notre part nous félicitons l’Université Laval.


En affirmant que l’Université-Laval a décerné le titre de docteur à M. Parkman, le Witness fait preuve d’une mauvaise foi insigne. Cette feuille donne une simple rumeur mise en circulation par quelques intrigants, pour un fait accompli, et il profite d’un on dit qui a fait le tour d’une partie de la presse pour offrir ses félicitations outrageantes à l’Université-Laval. Il n’y a que le Witness qui soit capable d’une pareille vilenie.

Quoique cette sortie du Witness soit très regrettable, elle aura cependant un bon résultat : Elle ouvrira les yeux aux tireurs de ficelles qui ont tendu, peut-être sans le savoir, un véritable piège à l’Université-Laval. Voyant à quel danger ils ont exposé cette institution, par leur conduite inconsidérée, ils comprendront, espérons-le, que leurs intrigues doivent cesser.[1]


  1. Cette polémique nous a valu plusieurs lettres de félicitations ; une, entre autres, d’un personnage distingué dans le monde littéraire et social. Cette lettre a été publiée dans le Canadien du 4 décembre 1878. Nous en extrayons le sagesage suivant qui est typique et qui fera probablement deviner l’auteur :

    Mgr Dupanloup, qu’on invoque si souvent à moins bonne fin, envoyait naguère sa résignation à l’Académie parce qu’on y a fait entrer M. Littré qui n’est pas plus mal que M. Parkman.

    D’après la nouvelle doctrine qui consiste à amadouer les auteurs d’ouvrages remplis d’erreurs, d’attaques contre l’Église, ses institutions, ses œuvres, et ses ministres — au lieu de condamner ces auteurs — il y aurait lieu d’abolir l’Index pour y substituer un ordre de chevalerie, — l’ordre de Saint Amadou — chargé de distribuer des bonnets, des cordons et des rubans à ces messieurs. »