imprimerie de la Vérité (Ip. 7-10).

PROGRAMME DE LA « VÉRITÉ »


14 juillet 1881


En présentant notre journal au public, il convient que nous tracions, en quelques lignes, le programme que nous entendons suivre.

Notre journal s’appelle la Vérité, et nous ferons tout en notre pouvoir pour le rendre digne de ce beau titre. Nous nous efforcerons de dire toujours la vérité, rien autre chose que la vérité… Nous allions ajouter : Toute la vérité. Mais on a affirmé, quelque part, que toute vérité n’est pas bonne à dire. Cela est vrai. Seulement, il ne faut pas s’autoriser de cet axiome pour taire la vérité lorsqu’on devrait la proclamer, encore moins pour proférer des mensonges.

Mais si toute vérité n’est pas bonne à dire, une chose certaine, c’est que toute erreur est bonne à combattre. Nous combattrons donc de notre mieux toutes les erreurs, d’où qu’elles viennent et sous quelque forme qu’elles puissent se présenter. Il s’agit ici, bien entendu, des erreurs politiques et sociales.

Nous ne descendrons jamais aux personnalités, et nous éviterons, autant que possible, les noms propres. Ce sont les idées, et non les hommes que nous soutiendrons ou combattrons. Car, dans dix ans, dans un an, il importera peu que ce soit Sir Hector Langevin ou M. Laurier qui aura dit ou n’aura pas dit telle chose ; mais dans cinquante ans, dans cent ans, il importera peut-être beaucoup que telle chose ait été ou n’ait pas été dite.

Quelle position allons-nous prendre vis-à-vis des partis politiques ? Serons-nous bleu ou rouge, ' conciliant ou intransigeant, neutre ou outré ? Nous ne serons rien de tout cela. Nous serons simplement juste envers tous les hommes, suivant le précepte que nous en fait la sainte Église. En nous mettant en dehors des partis, ce n’est pas pour combattre tel ou tel parti, au pouvoir ou non, mais pour être entièrement libre et impartial dans nos appréciations.

Si l’on nous demande ce que nous pensons des partis, nous répondrons : Dans notre province, nous trouvons qu’il y a trop de haine dans les luttes politiques, et nous croyons que, très souvent, on en veut plus aux hommes qu’aux idées ; tandis qu’il faut être inflexible sur les principes et charitable envers les personnes. Combattre sans cesse les fausses doctrines, pardonner toujours à ceux qui les professent, voilà comment doit agir le chrétien.

On a songé quelquefois à fonder un parti catholique. Ces deux mots jurent l’un avec l’autre ; leur union est choquante. Un parti est quelque chose d’essentiellement circonscrit, local, et peut être changeant, passager. Or, l’Église catholique embrasse l’univers entier, elle ouvre ses bras à tous les fils d’Adam, elle s’étend du ciel à la terre, de la terre au purgatoire, elle existe depuis le commencement du monde, elle n’aura point de fin. Comment voulez-vous renfermer l’Église dans un parti, quelque grand, quelque puissant, quelque honnête qu’il soit ? Un parti catholique, surtout dans la province de Québec, n’est donc pas notre idéal.

Ce que nous voudrions, c’est que tout le monde fût catholique et que personne ne fût partisan. C’est là notre idéal à nous.

Allons-nous usurper la place des Évêques et des curés ? Dieu nous en garde.

Il y a eu peut-être trop de journaux, dans notre pays, qui, se constituant, sans mission, les organes du clergé, ont compromis la cause qu’ils prétendaient défendre. Lorsque nous soutiendrons les droits de la religion, nous voulons le faire de telle sorte que tout le monde comprenne que c’est un simple laïque qui parle, c’est-à-dire un homme dont la place, dans l’Église, est au bas de la chaire. Surtout, nous ne voulons pas que l’on puisse jamais nous accuser de nous servir dé la religion comme d’un escabeau. Il est criminel d’identifier des intérêts, des haines particulières, des préjugés, avec la cause sacrée de l’Église universelle.

Nous entendons nous occuper d’une manière toute spéciale des questions qui intéressent la classe agricole. Inspirer à nos compatriotes le goût de l’agriculture ; leur faire comprendre toute la beauté, toute l’indépendance de la vie agricole ; persuader à nos hommes publics, à nos capitalistes, à tous ceux qui dirigent l’opinion en cette province, que l’avenir de notre pays est dans la colonisation et l’amélioration de notre système de culture, voilà quelle sera notre œuvre de prédilection.

Résumons donc notre programme : notre journal sera catholique ; nous conservons une entière liberté d’action vis-à-vis de tous les hommes politiques à qui, nous en prenons ici le solennel engagement devant le public, nous ne demanderons jamais rien pour nous-mêmes ;[1] enfin, nous nous consacrons aux intérêts de la classe agricole qui nous est particulièrement chère.[2]

  1. Dès le premier numéro de la Vérité nous publiions ce qui suit :

    Le département de l’agriculture et des travaux publics, de la province de Québec, a bien voulu nous adresser une annonce. Nos remerciements à qui de droit, mais nous ne pouvons pas publier l’avis qu’on nous transmet. Nous avons pris la ferme résolution, non-seulement de ne rien demander aux gouvernements, mais de ne rien accepter d’eux. Nous ne prétendons pas que tous les journaux qui publient des annonces du gouvernement soient liés ; et nous ne voulons pas dire, non plus, qu’en publiant l’annonce qu’on nous envoie, nous nous fussions engagé, en aucune manière, à approuver le ministère, à tort et à travers ; mais nous ne désirons pas que l’on puisse même nous soupçonner de rechercher les faveurs ministérielles. Nous ne faisons pas ici parade de vertu ; il y va tout simplement de notre intérêt matériel. Si l’on voyait dans nos colonnes des annonces du gouvernement, l’on nous rangerait immédiatement parmi les journaux de parti, et notre « utilité aurait cessé » du coup, car, Dieu le sait, il y a bien assez de journaux de parti déjà.

  2. Nous reçûmes, lors de la fondation de la Vérité, plusieurs lettres de félicitation de la part de personnages marquants. Nous nous contentons de reproduire la suivante que le regretté Mgr Pinsonnault, évêque de Birtha, daigna nous écrire :

     

    Évêché de Montréal, le 12 août 1881
    M. le rédacteur,

    Je désire ardemment voir votre journal prospérer parce qu’il va combler une grande lacune dans le journalisme canadien, et qu’il est appelé à opérer un très-grand bien dans notre petite société assaillie de tous côtés par les mauvais journaux, les mauvais livres, le libéralisme, l’ignorance des devoirs sérieux de la vie, et la fascinatio nugacitatis comme parle l’Écriture. C’est un journal vraiment catholique, et à ce titre il mérite et il recevra, j’espère, l’encouragement de tous ceux qui sont catholiques avant tout. Hélas ! Apparent rari in gurgite vasto. Mais la Vérité en augmentera le nombre avec le temps, Deo volente. Veillez, avec soin, M. le rédacteur, a ce que l’on évite les fautes typographiques et de langage, afin votre journal serve de modèle sous tous les rapports. Visez à devenir notre Civiltà cattolica et notre Univers.

    Ne pourriez-vous pas aussi consacrer un petit coin exclusivement destiné à la correction ou à la critique des autres journaux, brochures, etc., où assez souvent, l’on rencontre des erreurs plus ou moins sérieuses, des expressions impropres, etc. Ce coin aurait pour titra Serpette, ou tout autre indiquant le but que l’on se propose.

    Ci-inclus, vous trouverez deux exemples à l’appui de cette suggestion (à prendra ou à laisser bien entendu.)

    Pardonnez-moi la liberté que je prends dans l’intérêt de la Vérité, et veuillez me croire, M. le rédacteur.

    Votre tout dévoué, in Christo
    A de B.