Mercure de France (p. 33-34).


IX


Comme l’époux tardait à venir,

elles s’assoupirent.

Matthieu, c. xxi, 5-6


Comme l’oiseau qui trouve à terre les débris du nid qu’il bâtissait crie, s’affole et, ne pouvant croire à la vérité, s’essaye à retrouver ce nid sur la branche nue, semble vouloir contraindre ce qui est à n’avoir pas été et la réalité à se muer en rêve : tu as vu, ami, s’écrouler ton toit de chaume. Et, non plus que l’oiseau sa couvée, tu ne sais où déposer le fardeau de ton amour trahi. Tu fus trompé par celle qui partagea ta couche, parcelle que louent les livres saints et profanes, celle dont il est écrit : Mets la joie dans la femme de ta Jeunesse[1] Et encore ; Elle prit son voile et se couvrit[2]. Et encore : Je suis ta servante[3].

Laisse au tout jeune homme le naïf orgueil de se croire amoindri de ce que l’on lui fut infidèle. Qui donc domine l’autre de celui qui demeure seul, le regard fixé sur le vide — ou de celle qui, l’œil rivé au nouvel amour, le compare tôt ou tard à l’amour délaissé ? Oui, certes, j’ai connu de ces personnes à qui les défaites donnaient une telle gravité qu’elle devenait une grâce.

Ami, qui es seul d’une solitude sans bornes ; amer d’une grande amertume, cette solitude et cette amertume sont belles d’avoir été provoquées par la femme qui, en t’en chargeant, pensa les fuir. A-t-elle réussi ? Je crains qu’elle ne t’envie à présent le mal qu’elle t’a fait.

  1. Proverbes, c. v, 18.
  2. Genèse, c. xxiv, 65.
  3. Ruth, c. iii, 9.