Mercure de France (p. 21-22).

III


Il a comblé de biens les affamés.
Luc, c. i, 53.


Passe le pont qui est comme celui de l’image d’Épinal. Signe-toi devant l’église et entre à l’auberge. Un oiseau crie dans la treille du potager, et un souffle essuie la sueur du figuier. Le dernier rayon, par la fenêtre, traverse le vin blanc. Une rose bouge. La servante ne te l’offre point, car son amour ne va pas à ceux dont le bâton et les souliers poudroient. Renonce, voyageur, même à sa compassion. Mais goûte cette triste joie que la rose du moins ne s’éloigne pas de toi, ni le figuier, ni la treille. Quand ton cœur est désert laisse aller à lui l’amitié de la fleur rurale qui orne la croisée ou le talus. C’est pour l’une boitant au bord du fossé que la fraîcheur de la menthe verdoie dans la douce poussière. C’est pour toi que la campanule tremble, quand le vent d’orage s’élève au soir lourd de l’Été. Ton âme, avant que de prétendre à être plongée en Dieu, là elle trouve sa densité, doit avoir toute soif. Le Ciel plus qu’un déluge t’immergera.

Plus que la rose et la campanule, pour toi Dieu existe ; plus que la menthe pour l’âne et que le pampre pour l’oiseau. Le bissac et la gourde ne souffrent d’être emplis que s’ils sont vides — et d’autant plus. L’indigent devient riche à mesure que son besoin augmente et que son donateur se dépossède. Il n’est donc de plus pauvre que Dieu.