Lyncée
ACTE I
Scène I
Non, Madame, ma mort ou celle de Lyncée,
Je dois ou l’une ou l’autre à ma gloire offensée,
A mon espoir éteint, à mon amour trahi,
J’ai trop cru vos conseils et trop bien obéi.
Mon fils à votre amour je ne mets plus d’obstacles,
Le Ciel même pour vous fait parler ses oracles,
Hypermestre bientôt aura moins de rigueur,
Aimez. Lyncée en vain se répond de son coeur.
Eh Madame est ce ainsi que Danaüs s’explique ?
Ses neveux appelez des rivages d’Afrique,
Par son ordre à vos yeux au mépris de mes droits
Deviennent aujourd’hui ses gendres et nos Rois.
Il vient de les placer sur les trônes de Grèce,
Chacun d’eux dans sa ville auprès de sa Princesse,
D’un espoir assuré nourrissant son amour,
Pour être époux et roi n’attend plus que ce jour.
Nauplis est le séjour qu’on destine à Lyncée,
Nous y voici Madame et la faveur passée,
Mes services, mes soins, les promesses du Roi,
Rien ne peut conserver Hypermestre à ma foi ;
Et dans ce même temps suspendant ma colère,
Vous me dites encore que j’aime, que j’espère.
Oui ; de Lyncée Iphis ne soyez point jaloux,
D’Hypermestre jamais il ne sera l’époux.
Dites, dites aussi, pour endormir ma haine,
Qu’Hypermestre consent à soulager ma peine.
Que pour elle Lyncée est un objet d’horreur,
Que ces grands appareils se font en ma faveur;
Que ce n’est que pour moi que le Temple s’apprête,
Et tantôt quand l’hymen pour couronner la fête,
Livrera ma Princesse aux bras de mon rival…
Non ! Je n’attendrai point un moment si fatal !
En vain de ce malheur ma flamme est menacée !
Vous dites vrai, jamais je ne verrai Lyncée,
Maître ou tyran d’un coeur qu’il ne mérite pas.
J’espère, et mon espoir est ce fer et ce bras.
Adieu Madame.
ACTE I
Scène I
Non, Madame, ma mort ou celle de Lyncée,
Je dois ou l’une ou l’autre à ma gloire offensée,
A mon espoir éteint, à mon amour trahi,
J’ai trop cru vos conseils et trop bien obéi.
Mon fils à votre amour je ne mets plus d’obstacles,
Le Ciel même pour vous fait parler ses oracles,
Hypermestre bientôt aura moins de rigueur,
Aimez. Lyncée en vain se répond de son coeur.
Eh Madame est ce ainsi que Danaüs s’explique ?
Ses neveux appelez des rivages d’Afrique,
Par son ordre à vos yeux au mépris de mes droits
Deviennent aujourd’hui ses gendres et nos Rois.
Il vient de les placer sur les trônes de Grèce,
Chacun d’eux dans sa ville auprès de sa Princesse,
D’un espoir assuré nourrissant son amour,
Pour être époux et roi n’attend plus que ce jour.
Nauplis est le séjour qu’on destine à Lyncée,
Nous y voici Madame et la faveur passée,
Mes services, mes soins, les promesses du Roi,
Rien ne peut conserver Hypermestre à ma foi ;
Et dans ce même temps suspendant ma colère,
Vous me dites encore que j’aime, que j’espère.
Oui ; de Lyncée Iphis ne soyez point jaloux,
D’Hypermestre jamais il ne sera l’époux.
Iphis c’est moi qui vous l’ordonne,
Arrêtez et craignez le courroux d’Érigone.
Je veux fermer les yeux à votre emportement,
Pour attendrir le fils en supportant l’amant,
Mais si vous ne quittez ce dessein téméraire…
Eh regardez l’amant avec des yeux de mère,
Et voyez à quel point vous portez son ennui,
Prêtant à son Rival tous vos soins contre lui ;
Le Roi le veut, pour être à ses désirs contraire,
L’amour vous a rendu sa volonté trop chère,
S’il parvient à partager la Grèce à ses neveux,
Il vous réserve Argos et vous offre ses voeux,
Mais de quelques rayons que brille une couronne,
Vous devriez songer quelle main vous la donne,
La voir fumante encor du sang de vos parents,
Et soeur de Stenelus moins aimer ses tyrans.
D’un frère massacré je perdrais la mémoire !
Je pourrais épouser son barbare assassin !
Ah je feins de l’aimer pour lui percer le sein.
Je l’ai vu ce cruel venu des bords d’Afrique,
Fuyant de ses parents le pouvoir tyrannique,
Ses filles avec lui ses tristes compagnons,
Mendier un asile à leurs Dieux vagabonds.
Il trouva Stenelus sensible à sa disgrâce ;
Ce cher frère en mourut. L’ingrat règne en sa place.
Après avoir pour prix de l’hospitalité,
Livré son bienfaiteur au peuple révolté,
À peine sur le trône a-t-il osé paraître,
Que des peuples voisins son bonheur l’a fait maître.
Mais pour le mieux livrer à mon ressentiment,
Son malheur aussitôt m’en a fait un amant,
Vois comme à la faveur de sa nouvelle flamme,
Pour le perdre j’ai lu jusqu’au fond de son âme ;
Il n’a pu me cacher l’invincible chagrin,
Où le plonge la peur d’un secret assassin,
Un oracle a parlé, si l’oracle est sincère,
Cet assassin doit être un des fils de son frère.
Quel abîme de maux s’ouvre devant mes yeux !
Ces Princes par la paix attirés en ces lieux,
Chargés de tant d’honneurs…
Sont autant de victimes,
Sur qui de Danaüs je vais punir les crimes !
C’est trop peu de borner ma vengeance à sa mort,
Je me propose Iphis un plus illustre effort.
Et mon juste courroux veut avoir pour matière,
Tout le sang, tout l’honneur de sa famille entière !
L’Oracle vague, obscur, mes craintes, mes raisons,
Ont sur tous ses neveux étendu ses soupçons.
J’ai placé dans son cœur cette fausse tendresse,
Qui donne à chacun d’eux un trône dans la Grèce.
Je fais que sous l’appas des plaisirs les plus doux,
Par la crainte d’un seul on les immole tous.
Cette nuit est enfin celle de leur supplice,
Et le lit nuptial l’autel du sacrifice.
Madame…
Tu frémis, il n’est pas encor temps,
Il faut, il faut des coups encor plus éclatants.
Pour un si grand dessein pour tant de morts cruelles,
Où crois tu que l’on trouve assez de bras fidèles ?
Danaüs dans la peur d’être mal obéï,
N’osant même en chercher se croit partout trahi,
Moi-même seul flambeau fatal aux deux familles,
Je lui fais emprunter le secours de ses filles :
Ses filles dans l’ardeur de défendre ses jours,
Ont promis de leurs mains l’infaillible secours.
Parle, reproche moi ma lâche complaisance,
Et cherche une plus noble et plus sûre vengeance,
Madame pardonnez à mon étonnement,
Hypermestre perfide ingrate à son amant,
Démentant aujourd’hui tant de vertus charmantes,
Au milieu de ses sœurs du meurtre encor sanglantes,
Me viendra…
Lâche amant et plus lâche vengeur,
Tu veux perdre un rival et son sang te fait peur !
Feins tu de le poursuivre afin qu’on te retienne,
Et l’aveu de ma haine a-t-il éteint la tienne ?
J’aime, je hais, je veux me venger ou mourir.
Je sais par quels chemins vous m’allez secourir,
Je vois par vos conseils deux familles éteintes,
Au meurtre des époux les épouses contraintes,
Lui, ses filles en bute à l’horreur des mortels,
Tant de braves soldats épars dans nos provinces,
En état de venger le trépas de leurs Princes ;
Je n’ai pour terrasser le tyran plein d’effroi,
Qu’à marcher à leur tête, et la Grèce est à moi.
Ma main sur Danaüs accomplira l’oracle,
Mais pourrez vous souffrir ce barbare spectacle :
Hypermestre m’offrant la tête d’un époux,
Moi du sang de son père arrosant ses genoux ?
Ah serons nous après cette action cruelle,
Elle digne de moi, moi même digne d’elle ?
Non mon fils, je veux bien épargner sa vertu,
D’une si vaine peur ne sois pas combattu.
Mais ne t’empresse point d’en savoir davantage ;
J’en dis trop. Laisse moi poursuivre mon ouvrage
Et sois sûr de goûter avant la fin du jour,
Le fruit de la victoire et celui de l’amour.
Je me tais, et je crois vos promesses sincères,
Je n’examine point quels en sont les mystères ;
Mais souffrez que demain si je n’en vois l’effet,
Je me fasse raison du tort qu’on m’aura fait.
Scène II
Venez Dircé.
Qu’Iphis est devenu traitable,
Madame, et qu’à vos soins Lyncée est redevable !
Pouvez vous témoigner un soin plus apparent,
Pour un Prince qui doit vous être indifférent ?
Hélas que ne l’est il !
Ne l’est il pas Madame ?
Reconnais dans mes yeux le trouble de mon âme :
Lyncée à mon devoir m’empêche d’obéir,
Et J’ai mille raisons qui me le font haïr.
Quoi vous voyez d’Iphis la flamme traversée.
Et quand vous le souffrez vous haïssez Lyncée !
Je le hais. Pour monter au rang de mes aïeux,
Des rivages d’Afrique il accourt en ces lieux,
Il porte sur son front nos dépouilles sanglantes.
Je le hais. Ses vertus paraissent trop brillantes,
Par tout de leur éclat les yeux sont éblouis.
Je le hais. Il dérobe Hypermestre à mon fils ;
Il croit en ce moment sa victoire certaine.
Je le hais. Mais enfin ce qui comble ma haine,
C’est que rival d’un fils, barbare, usurpateur,
Le cruel a surpris tout l’amour de mon coeur.
Ce coeur dont Danaüs croit posséder l’Empire.
Il le croit, ce plaisir, Dircé, lui doit suffire,
Et si j’obtiens du Ciel la faveur que j’attends,
Il n’aura pas celui de s’en flatter longtemps.
Et Lyncée ?
Ose encor en douter pour ma gloire,
Depuis un mois je l’aime et je n’ose le croire,
Et je ne reconnais l’excès de mes ardeurs,
Qu’à l’horreur que pour lui m’inspirent ses froideurs.
Quoy Madame peut il vous faire cet outrage ?
Est-il si peu sensible ?
Hypermestre l’engage,
Dircé. Peut il en moi rien voir que d’ennuyeux,
Et l’amour aux amants laisse-t-il de bons yeux ?
Il est vrai jusqu’ici j’ai caché ma pensée,
Ma constance au besoin ne m’a point délaissée,
Il ne m’est échappé que des soupirs perdus,
Que Lyncée a causés et n’a pas entendus.
Il est temps de parler ; Dircé, je sais ton zèle,
Aujourd’hui j’en demande une preuve nouvelle.
Admire où me conduit le caprice du sort :
De tous mes ennemis j’ai conspiré la mort,
Ses neveux sont venus chercher ici ma haine,
Je les ai de l’Afrique attirés sous mes coups,
J’allais laisser sur eux répandre mon courroux ;
Déjà dans chaque Prince envisageant ma proie,
De leur trépas futur je prévenais la joie,
Et je considérais d’un regard curieux,
Par quel endroit chacun m’était plus odieux.
À peine hélas ! Mes yeux virent ceux de Lyncée,
Que d’un trait imprévu je me sentis blessée ;
L’ardeur de le revoir croissait de jour en jour,
J’y cherchais de la haine et j’y pris de l’amour.
Ah qu’il m’a fait sentir des coups bien plus sévères,
Que tous ceux qu’en secret je prépare à ses frères !
Ma vengeance dès lors fut pour moi sans plaisir,
Des qu’il me regardait j’en perdais le désir,
J’aurais tout pardonné. Mais son indifférence
Vient soutenir ma haine et hâter ma vengeance,
Ils périront. Lui seul plus coupable qu’eux tous,
Puis je le dérober moi-même à mon courroux ?
Oui, c’est par là qu’il faut que mon amour éclate,
Que le poids du bienfait accable une âme ingrate,
Qu’au milieu de l’horreur du plus affreux trépas,
Au centre du péril je conduise ses pas,
Et que là ma pitié lui permettant de vivre,
Pour prix d’un tel effort son coeur au mien se livre ;
Ou que, s’il m’y contraint, pour prix de ses dédains,
Moi-même je le livre à ses cruels destins.
C’est là Dircé qu’il faut signaler ta prudence,
L’aller trouver…
Je vois Danaüs qui s’avance,
Il est triste, ses yeux accablés de langueur…
Laisse moi pénétrer le trouble de son coeur,
Dircé retire toi.
Scène III
Quel funeste nuage,
Seigneur, à contre-temps vous couvre le visage ?
L’approche d’une nuit de qui l’heureux secours,
Va si bien assurer le repos de vos jours,
Ne devrait elle pas bannir cette tristesse ?
Que ne puis-je à vos yeux déguiser ma faiblesse !
Si près de ce moment si longtemps souhaité,
Des chagrins les plus noirs je me sens agité :
Mille spectres affreux, mille craintes funèbres,
Ces serments violés, ces cruelles ténèbres,
Tant de sang répandu Dieux et par quelles mains,
Tout trouble, tout confond mes esprits incertains.
Hypermestre surtout est ma plus rude peine,
Sa vertu me fait peur et son amour me gêne,
Et puisqu’il n’est plus temps de rien dissimuler,
Je n’ai pu me résoudre encore à lui parler.
Que dites vous Seigneur, l’ennui qui vous dévore,
L’oracle, l’entreprise, Hypermestre l’ignore ?
Tant de bras loin d’ici s’arment pour vous venger,
Et le seul près de vous vous reste à ménager ?
Que voulez vous ? Cent fois rallumant ma colère,
Affectant devant elle un air sombre et sévère,
Je me suis vu tout prêt d’exiger de sa foi,
Un effort où ses soeurs se hasardent pour moi ;
Mais quoi je la voyais au seul nom de Lyncée,
Rappeler sur son front sa tendresse passée,
Et la subite ardeur de ses yeux languissants,
Rabattait aussitôt mes regards menaçants.
J’aime. Aux maux des amants l’amour m’a fait sensible,
Quoi ? disais je, troubler un amour si paisible ?
Ses soeurs d’un tel amour n’ont point senti les coups,
Et leurs époux enfin ne sont que leurs époux.
Mais que la raison veuille ou que l’amour consente,
Qu’au meurtre de l’amant je contraigne l’amante,
Mon coeur à ses fureurs peut il s’abandonner,
Et l’amour se résoudre à me le pardonner ?
Et croyez vous Seigneur que l’amour vous pardonne,
Les douloureux assauts que votre coeur me donne,
Quand je le vois, saisi d’un frivole chagrin,
S’armer pour l’intérêt de son propre assassin ?
Mais Seigneur après tout quelle est votre pensée ?
Qu’allez vous devenir si vous sauvez Lyncée ?
Du sang de tous les siens quel fruit tirerez vous ?
Vous les devez tous perdre ou les épargnez tous.
Par la même raison leur mort est arrêtée,
Ou nul d’eux n’en est digne, ou tous, l’ont méritée,
Votre trépas est sûr s’il en échappe aucun,
Et pour vous perdre enfin l’oracle n’en veut qu’un.
L’oracle n’en veut qu’un Madame je l’avoue,
Mais des périls d’un homme un Dieu souvent se joue,
Et ne lui donne avis qu’il peut y succomber,
Qu’afin que l’oeil ouvert il s’y laisse tomber.
Combien dans l’univers ont fait naître des troubles
Ces oracles tissus de mots confus et doubles,
Qui de vastes horreurs et de périls affreux,
N’envelopaient souvent que d’inutiles jeux,
Qui me dit qu’aujourd’hui touchés de mes misères,
Ces Dieux en ma faveur sont devenus sincères ?
Tu crois, me disent-ils, n’avoir plus d’ennemis,
Pour avoir fui ton frère et quitté ta patrie,
Évite si tu peux le fer d’un de ses fils,
Qui te doit arracher la vie.
Et par ces mots cruels et peut être ambigus,
Neveux infortunés, vous êtes tous perdus.
Eh bien Seigneur quittez une lâche entreprise,
Un généreux dépit jamais ne se déguise.
Lyncée est en ces lieux, méprisez mes douleurs,
Allez le fer en main chargé d’ans et d’honneurs,
Pour laver votre nom d’une honte importune,
De ce jeune guerrier défier la fortune.
Moi cependant tremblante et sans appui que vous,
De ce triste combat ressentant tous les coups,
J’irai baigner partout les autels de mes larmes,
Implorer tous les Dieux en faveur de vos armes…
Mais après tous ces Dieux vainement implorés,
À qui me laissez vous Seigneur si vous mourez ?
Ah Madame voyez où vous m’allez réduire !
Je sens qu’à vos soupirs je me laisse séduire,
L’horreur de mon péril ne m’a point abattu,
Mais l’image du vôtre emporte ma vertu.
N’en doutez plus, je veux qu’Hypermestre obéisse,
Qu’elle offre à mon destin Lyncée en sacrifice,
Qu’elle reçoive Iphis aujourd’hui pour époux,
Et que vous connaissiez que je n’aime que vous.
Il sort.
Va, cours de tous les tiens achever le supplice !
Enfin je tiens Lyncée au bord du précipice :
Ma haine et mon amour ont de quoi le braver
Et je puis à mon choix le perdre ou le sauver.
Ombres autour de moi sans cesse gémissantes,
Tristes parents prenez ces victimes sanglantes,
Mais si l’amour encore est connu parmi vous,
Souffrez qu’il en dérobe une seule à mes coups.
ACTE II
Scène I
Madame est il donc vrai qu’après tant de misères,
Le Ciel ait arrêté les fureurs de nos pères,
Que de tant de périls notre amour soit sauvé,
Et que notre heureux jour enfin soit arrivé ?
Je vous vois ma Princesse et vous vois sans contrainte,
Mes respects ne sont plus retenus par la crainte,
Et mon coeur à vous plaire attachant tous ses soins,
Pour s’expliquer à vous ne fuit plus les témoins.
Parlez, quels Dieux Madame, ont rompu tant d’obstacles ?
Ceux par qui votre bras produit tant de miracles,
Ceux de qui vous tenez cette illustre valeur
Qui jusques dans ces lieux a porté la terreur,
A forcé Danaüs à craindre votre gloire.
Eh laissons loin de nous cette faible victoire !
Celle de mon amour m’occupe tout entier,
Et l’amour près de vous me fait tout oublier.
Je ne vous dirai point après trois ans d’absence,
Quels peuples j’ai soumis à mon obéissance…
Dans mes plus grands succès soupirant en secret,
Aimer sans espérance est tout ce que j’ai fait.
C’est beaucoup mais Seigneur j’ai bien fait davantage,
Et l’aveu que j’en fais ne me fait point d’outrage.
Puis qu’un père aujourd’hui m’attache à votre sort
Et qu’enfin le devoir et l’amour sont d’accord,
Sachez ce qu’à jamais la vertu m’eut fait taire,
Si le Roi n’eut cessé d’être à mes voeux contraire,
Quels tourments j’ai soufferts, quels combats j’ai rendus,
Pour vous garder un coeur que vous n’espériez plus.
Des victoires d’un père à ses yeux satisfaite,
J’en ressentais dans l’âme une douleur secrète :
La guerre dans ces lieux assurant son pouvoir,
Semblait me dérober les moyens de vous voir,
Et j’en eusse gardé quelque faible espérance,
Si son bonheur en Grèce eut eu moins de constance.
Sentiments criminels que le devoir calmait,
Mais qu’un tendre retour aussitôt ranimait !
Lorsque des mille amants me voyant accablée,
Surtout des yeux d’Iphis incessamment troublée,
Craignant en sa faveur un ordre exprès du Roi,
Je me disais tout bas, non ma timide foi
À s’engager ailleurs peut bien être forcée,
Mais ce coeur malheureux n’est fait que pour Lyncée.
Ah Princesse ! Au moment qu’il fallut nous quitter,
D’un espoir si charmant vous deviez me flatter :
Un mot eut prévenu le sujet de mes plaintes,
Malgré tous mes rivaux calmé mes justes craintes,
Pourquoi me laissiez vous privé de ce secours ?
Hélas croyais je alors vous quitter pour toujours ?
Vous me laissiez paisible au sein de ma patrie,
………………………….
J’ignorais que mon père eut dessein d’en sortir,
Et pensais au retour en vous voyant partir.
Vous souvient-il Seigneur de l’affreuse journée,
Où sans prévoir encor ma triste destinée,
Faisant pour vos succès mille voeux incertains,
Moi-même je voulus vous armer de mes mains ?
Combien en couvrant de ces fatales armes,
Fis-je de vains efforts pour retenir mes larmes !
Et quand mes tristes pleurs intimidaient mes voeux,
Votre amour en tirait des présages heureux.
Madame, et mon attente a-t-elle été trompée ?
Quoi vos pleurs n’ont ils pas consacré cette épée ?
Et partout où depuis j’en ai porté les coups,
N’ai-je pas tout vaincu pour m’approcher de vous ?
En effet, si la paix n’eut fini nos querelles,
Vous m’auriez vu suivi de mes troupes fidèles,
Les armes à la main sur mes vaisseaux vainqueurs,
Vous disputer en Grèce à vos adorateurs…
Mais quoi ce souvenir rappelle vos alarmes ?
Ah Prince si ces pleurs dont j’arrosai vos armes,
D’augures fortunés flattaient votre valeur,
Qu’ils devinrent hélas funestes à mon coeur !
Mon père dès longtemps persécuté du vôtre,
Las d’un sort si cruel voulant s’en faire un autre,
Fit armer promptement quelques vaisseaux légers :
Fuyons, me vint il dire, en des bords étrangers,
Il fuit, mes soeurs et moi nous marchons à sa suite,
Son adresse et la nuit dérobent notre fuite,
Le jour qui n’atteignit que bien loin nos vaisseaux
N’offrit plus à mes yeux que le Ciel et les eaux ;
Plus de Lyncée. Alors dans ma douleur extrême,
Ah je sentis mon coeur s’arracher de moi-même,
Et maudissant les vents de mon bonheur jaloux,
Faire de vains efforts pour se rejoindre à vous.
Madame sentez vous que cette affreuse image,
Nous fait du sort présent mieux goûter l’avantage,
Et que les justes Dieux par de si grands malheurs,
À de plus doux plaisirs ont disposé nos coeurs ?
Après trois ans entiers de chagrins et d’absence,
Nous voyons couronner votre persévérance,
Et le Ciel adouci va rendre dès ce jour,
Nos plaisirs éternels ainsi que notre amour.
Prince, voici le Roi.
Scène II
Je trouble votre joie,
Mais il faut qu’à vos yeux la mienne se déploie,
Il faut que je la mêle à vos communs plaisirs,
Prince n’opposez point d’obstacle à mes désirs.
Moi Seigneur, à l’auteur du repos de ma vie,
J’irais…
D’aucun rival ne craignez plus l’envie,
Iphis qui se voulait absenter de la cour,
Qui seul par ses chagrins troublait un si beau jour,
S’est enfin laissé vaincre aux avis de sa mère,
Et prêts à vous jurer une amitié sincère,
Tous deux vont de ce pas chez vous pour vous l’offrir.
Seigneur au devant d’eux vous me voyez courir,
Pour mériter Madame une amitié si rare,
Souffrez pour un moment qu’un rival nous sépare.
Allez Prince, l’amour ne sera point jaloux,
Des droits que l’amitié peut exiger de vous.
Scène III
Ma fille je connais l’ardeur de votre flamme,
Mais enfin il est temps de vous ouvrir mon âme.
L’amour que vous inspire un époux prétendu,
Ne fait il point de tort à celui qui m’est dû ?
Ne l’a-t-il point éteint ?
Seigneur quel avantage,
Prétendez vous tirer d’un doute qui m’outrage ?
La nature et l’amour ont leurs droits séparés.
Je le sais mais les miens sont ils bien assurés ?
Quand je songe combien depuis votre naissance,
Entre vos soeurs et vous j’ai mis de différence,
Que pour vous faire un sort digne de votre choix,
De l’aînesse pour vous je violai les droits,
Que dispersant vos soeurs dans le fond de la Grèce,
De mes plus chers États je vous fais la maîtresse,
Et que par le plaisir d’être plus près de vous,
Je quitte pour Argos les plaisirs les plus doux,
Lorsque je me souviens que fuyant de Libye,
Ma plus sensible crainte était pour votre vie,
De pareils sentiments suivis de tant d’honneurs,
Ma fille, attendent plus de vous que de vos soeurs.
Oui, Seigneur, oui de moi vous devez tout attendre,
Et mon amour pour vous ne peut être assez tendre.
Mais vous joignez mon sort à celui d’un époux,
Qui saura par ses soins m’acquitter envers vous,
Vous savez à quel point cet époux vous révère,
Qu’il voudrait de son sang…
Ah ma fille !
Mon père !
Que vois je ? Juste Ciel ! Qu’un chagrin si profond,
Dans un jour si serein me trouble et me confond.
Quoi quand vous invitez tout le monde à la joie,
Que sans crainte à vos yeux la mienne se déploie,
Votre coeur malgré vous se trahit devant moi,
Et des soupirs contraints…
Aussi n’est ce qu’à toi,
Qu’un Roi persécuté, qu’un père misérable,
Ose ouvrir le secret du tourment qui l’accable :
On en veut à mes jours.
Ô Dieux !
Un assassin,
Peut-être avant la nuit tranchera mon destin,
Peut-être…
Et vous parlez d’hyménée et de fête,
Au moment que le Ciel menace votre tête !
Songeons à vos périls, prévenons l’attentat,
Prenons du criminel vengeance avec éclat ;
Seigneur quelque pouvoir qui le rende terrible,
Vous avez pour le vaincre un secours infaillible :
La flotte de Lyncée, un million de bras,
Armés pour vous défendre et vous et vos états,
Ses braves chefs épars au palais, dans la ville,
Rendent de l’assassin l’entreprise inutile ;
Lyncée à tous moments lui-même auprès de vous…
Oui pour porter sur moi plus sûrement ses coups.
Lui sur vous, justes Dieux ! L’effroyable pensée,
Pouvez-vous sans horreur en accuser Lyncée ?
Lui, ses frères, ses chefs, ses amis, ses soldats,
Sa flotte, tous, ma fille ont juré mon trépas.
Que dites vous Lyncée aurait l’âme assez noire,
Pour former un dessein… Non je ne le puis croire.
Je prévois l’artifice et j’en connais l’auteur,
Iphis est seul ici jaloux de son bonheur.
Ah cher Prince, est-ce là l’amitié qu’on te jure ?
Tandis que loin de moi… vous verrez l’imposture
Allons Seigneur, voyons Érigone et son fils,
Qu’ils parlent c’est assez.
N’accusez point Iphis.
Accusez s’il le faut un oracle céleste,
Qui m’explique en ces mots leur pratique funeste,
En vain tu crois n’avoir plus d’ennemis,
Pour avoir fui ton frère et quitté ta patrie,
Évite si tu peux le fer d’un de ses fils,
Qui te doit arracher la vie.
Consultez là-dessus la nature et l’amour,
Pour sauver votre amant trouvez y quelque jour.
Ce n’est point un effet des complots d’Érigone,
Argos ne m’avait point encor vu sur son trône,
Mon nom était encore inconnu dans ces lieux,
Quand je fus averti par l’oracle des Dieux.
Trois ans pour mon repos refusant de le croire,
J’ai tâché vainement d’en perdre la mémoire,
J’ai fait pour me tromper mille efforts impuissants,
J’ai cherché des détours pour en troubler le sens,
Mais le Ciel m’a donné des réponses trop claires :
S’il ne marque pas Lyncée il marque un de ses frères,
Et s’il faut dans leur sort ne point l’envelopper,
Montrez moi l’assassin sur qui je dois frapper.
Ah le Ciel vous rendra sensible à ma prière.
Mais puisqu’il vous parlait avec tant de lumière,
Dites moi fallait il rappeler près de vous,
Un de vos assassins pour être mon époux ?
À quelle extrémité votre courroux me livre,
Seigneur quand mon devoir me force de vous suivre ?
Je l’aimais et dès lors sans examiner rien,
Mon coeur pour obéir se sépara du sien ;
Ni dans notre départ ni durant notre fuite,
Vous n’avez pas eu lieu de blâmer ma conduite,
J’ai vu durant trois ans mon espoir abattu,
Sans que mon feu secret ait trahi ma vertu.
Vous n’aviez qu’à parler ne pouvant plus l’éteindre,
Au moins jusqu’au tombeau j’aurais su le contraindre,
Et pour ne pas troubler vos tranquilles plaisirs,
Seigneur j’aurais toujours étouffé mes soupirs.
Ah vous avez cherché jusqu’au fond de mon âme,
Les restes malheureux d’une secrète flamme,
Et pour faire éclater ces fatales ardeurs,
Vous avez inspiré même amour à mes soeurs !
Eh bien vous vouliez voir si par obéissance,
Votre amour sur le mien aurait la préférence,
Oui Seigneur vous l’aurez, tout mon coeur est à vous,
Je bannis cet amour dont le vôtre est jaloux,
Que l’hymen soit rompu : faites partir Lyncée,
J’en veux perdre à jamais jusques à la pensée.
Il ne recevra point mes adieux en partant,
Qu’il parte ; votre amour mon père est il content ?
Non vous l’épouserez. La pompe est déjà prête,
Et votre seul hymen peut garantir ma tête ;
Mais alors consultant l’amour et le devoir,
Songez que mes destins sont en votre pouvoir.
Eh bien Seigneur ?
Alors prévenant le barbare,
Vous tournerez sur lui le coup qu’il me prépare.
Moi sur lui Justes Dieux ! Seigneur qu’ordonnez vous ?
Que je trempe ma main dans le sang d’un époux ?
Cette perfide main qui jointe avec la sienne,
Va recevoir sa foi, lui va donner la mienne ?
Ô coup ! Ô trahison ! Mais vous même Seigneur,
Pouvez vous en souffrir l’image sans horreur ?
Pouvez vous m’ordonner…
Non remplissez l’oracle,
Voyez avec plaisir le barbare spectacle,
D’un père massacré par la main d’un époux,
Dont votre cruauté veut seconder les coups.
Laissez, laissez, perfide, à des mains plus fidèles,
Le soin de m’affranchir de mes craintes mortelles.
Joignez vos coups à ceux d’un époux assassin,
Pour me percer le coeur prêtez lui votre main,
Vos soeurs seront sans vous…
Ô mes soeurs ! Ô mon père !
Si votre amour pour nous fut toujours si sincère,
Hélas n’avez vous pu choisir d’autre secours,
Que nos tremblantes mains pour assurer vos jours ?
Pourquoi sur votre tête assembler tant de crimes,
À votre sûreté faut il tant de victimes ?
Si mes soeurs ont promis le secours de leurs bras,
Tant de sang répandu ne vous suffit il pas ?
Voulez vous ajouter pour comble de misères,
Le fidelle Lyncée à ses malheureux frères ?
Mais ne craignez vous point ses chefs et ses soldats,
Qui sont ici touts prêts pour venger son trépas ?
Je les crains ; et je veux prévenir la tempête,
Trancher à ce grand corps sa principale tête,
Tous périront ; je veux qu’une juste fureur,
M’ôte avec l’assassin la crainte du vengeur,
L’oracle les a tous livrés à ma vengeance,
Quand il n’a sur aucun fixé ma défiance.
Si nous faisons un crime en prévenant leur coup,
Le Ciel qui m’avertit en est chargé pour nous.
Pourquoi donc quand les Dieux me livrent ma victime,
Le soin de l’immoler vous semble-t-il un crime ?
Parmi tant d’ennemis envieux de mon rang,
Est-il de sûres mains pour verser tant de sang ?
Si même parmi vous qui me devez la vie,
Infortuné je trouve une fille ennemie,
Qui fuit pour me sauver l’exemple de ses soeurs,
Que ne devais je pas appréhender ailleurs ?
Hypermestre est-ce assez de me donner des larmes ?
Hélas ces faibles pleurs sont mes uniques armes,
Elles ne peuvent rien contre votre courroux,
Mais elles pourront tout sur le coeur d’un époux.
Laissez moi m’en servir, sûres de leur victoire,
Elles conserveront votre vie et ma gloire,
Et si je ne le rends plus traitable que vous,
Je n’ai qu’un coeur à mettre au devant de ses coups ;
Mais si jamais ma main à la sienne est unie,
Non je n’ai plus de main pour attaquer sa vie.
Eh bien votre pitié n’ose me secourir,
Cruelle, poursuivez, et me laissez mourir.
Scène IV
Mourir, dit il, et moi dénaturée, impie,
Au bruit de son trépas je demeure assoupie !
Et même à ce trépas si plein de cruauté,
Je prête le secours de ma timidité,
J’aime peut-être hélas l’assassin de mon père,
Mais dois je exécuter un ordre si sévère ?
Non dussai-je vous voir à mes pieds abattu.
J’aime votre repos moins que votre vertu,
Et je dois souhaiter que le sort vous opprime,
S’il faut pour vous sauver qu’il m’en coûte un seul crime.
La nature sur moi vous a cédé ses droits,
Mais l’honneur, la vertu ne sont point sous vos lois.
Que dis je malheureuse et quelle est ma pensée ?
En désobéissant crois-je sauver Lyncée ?
Mon père a t-il pour lui désarmé sa fureur ?
N’a t-il point d’autre main pour lui percer le coeur ?
Ah faudra-t-il toujours redouter la colère,
Du père pour l’époux, de l’époux pour le père ?
Juste Ciel qui semblez encourager mes voeux,
Montrez moi les moyens de les sauver tous deux.
ACTE III
Scène I
J’avais calmé les flots de son âme incertaine,
Il m’avait tout promis et tout peut-être en vain…
Je ne le trouve plus. Le jour tend à sa fin.
Hypermestre sans doute a fléchi sa colère,
S’il est ainsi, Dircé, que faut il que j’espère ?
Par où mon triste amour pourra-t-il éclater ?
Eh Madame pourquoi vous tant inquiéter ?
Vous en savez, au point que l’affaire est conduite,
Assez pour obliger son amant à la fuite.
Laissez moi lui parler, pour troubler leurs amours,
Je lui dirai quels soins vous prenez de ses jours,
Quels pièges on lui tend quelles mains on emploie.
Qu’il fuie, ou que du moins il recule sa joie,
Qu’il diffère l’hymen ; demain ses frères morts,
Justifieront vos soins, changeront ses transports,
Hypermestre à ses yeux paraîtra criminelle,
Vous parlerez…
Dircé je dois trop à ton zèle,
Va de ce triste hymen troubler les vains apprêts,
Mais ne découvre point mes sentiments secrets.
Dis lui de quels périls sa tête est menacée ;
Le reste languirait sur ta langue glacée :
Pour peindre des amants les douloureux combats,
Il faut un coeur bien tendre et le tien ne l’est pas.
Eh quoi ! Toujours Iphis !
Scène II
Mon coeur s’ouvre à la joie,
Madame et je vois bien que mon sort se deploie,
Je ne puis en comprendre encor tous les secrets,
Mais déjà de vos soins je prévois les effets.
Du bonheur que j’attends tout flatte mon Idée :
De ce fatal hymen la pompe est retardée,
Les prêtres dans le temple attendant les époux,
Lisent sur les autels le céleste courroux,
Et le peuple qui court les attendre au passage,
Tire de la nuit même un funeste présage.
Que vous dirai je enfin cette heureuse lenteur,
Fait la crainte publique et l’espoir de mon coeur.
Tantôt d’un noir chagrin Hypermestre occupée,
Sortait de chez le Roi de pleurs encor trempée ;
Confus de ses dédains, les yeux humiliés,
J’ai voulu la voyant me jeter à ses pieds,
Elle m’a retenu. Mon coeur toujours fidèle,
S’est en mille soupirs répandu devant elle,
Je n’ai pu dire un mot. Mais d’un air douloureux :
Hélas ! M’a t-elle dit, que vous êtes heureux.
Puis sans vouloir m’entendre et de mes cris émue,
Elle s’est à l’instant dérobée à ma vue.
Ah puisque ma fortune est toute entre vos mains,
Madame au nom de Dieux avancez mes destins,
Arrêtez en rompant cet ennuyeux silence,
Le combat de ma crainte et de mon espérance.
Dites moi le secret.
Je ne le puis Iphis.
Mais que votre récit m’épargne de soucis ;
Vous êtes trop heureux c’est assez vous en dire,
Et jusques à demain ce mot vous doit suffire.
Scène III
Qu’on nous laisse. Madame admirez mon bonheur,
De l’amour d’Hypermestre enfin je suis vainqueur.
De la grandeur du coup d’abord épouvantée,
Contre un ordre si dur elle s’est révoltée,
Je sortais en fureur, elle a suivi mes pas,
Et s’est rendue après quelques légers combats.
La grâce que j’accorde à sa vertu timide,
Pour lui sauver le nom d’épouse parricide,
C’est qu’avant qu’à Lyncée elle ait donné la main,
Elle exécutera cet important dessein ;
Ainsi sans outrager les Dieux de l’Hymenée,
Elle doit à l’instant fixer ma destinée.
Mais quoi ce changement alarme votre esprit ?
C’est prévenir le temps que vous aviez prescrit,
Et pour peu que ses soeurs à vous servir trop lentes,
Diffèrent le moment de leurs noces sanglantes,
Du trépas de Lyncée on sèmera le bruit.
Eh j’en recule exprès la pompe dans la nuit.
Contre la peur du bruit qui pourrait se répandre,
La distance des lieux suffit pour nous défendre,
Ses frères écartés sans secours, sans support
Pourraient ils profiter de l’avis de sa mort ?
Leurs amis sont loin d’eux épars dans cette ville,
S’ils osent résister leur défaite est facile,
Et la flotte sans chef aisée à repousser,
Est toute en proie aux feux que j’y ferai lancer ;
Par honneur à présent mes soldats sous les armes,
Se trouveront tous prêts aux premières alarmes,
La tête de Lyncée en sera le signal,
Tout dépend d’opprimer cet ennemi fatal.
Vous aux soins de ma fille unissez votre zèle,
On les attend au Temple et son amant fidèle,
La viendra bientôt prendre en cet appartement ;
Opposez quelque obstacle à son empressement,
Madame, en attendant qu’Hypermestre affermie,
Y vienne aider les Dieux à conserver ma vie.
C’est pour vous obéir que je prends tous ces soins,
Et sans vous mes périls m’épouvanteraient moins.
Adieu ; je vais donner le peu de temps qui reste,
Aux derniers appareils de cet hymen funeste.
Scène IV
Trop cruelle Hypermestre à quoi te résous tu ?
Qu’avec peu de raison je craignais ta vertu,
Quoi le sang d’un amant ne coûte à ta constance,
Que quelques vains efforts de feinte résistance ?
Un mérite si grand devait bien te toucher,
Perfide ton courroux te l’a-t-il pu cacher ?
Ah quand ta lâche main s’arme pour son supplice,
L’amour pour le sauver veut que je te trahisse !
Tu l’attends comme époux mais tes barbares yeux,
Ne le reverront plus qu’en vainqueur furieux,
Te reprochant l’horreur de ces sanglants mystères,
Et se faisant raison du meurtre de ses frères.
C’est alors qu’unissant mes sentiments aux siens,
Je me ferai raison du sang de tous les miens,
Nous verra… Viens Dircé, viens me tirer de ma peine,
Qu’a-t-il dit ?
Scène V
Ah Madame il marche sur mes pas,
Je l’ai vu, j’ai parlé : l’ingrat ne me croit pas.
Il vous soupçonne, il croit qu’un fils vous a séduite,
Et qu’en faveur d’Iphis on lui parle de fuite.
Qu’entends-je ?
À peine a-t-il écouté mes discours,
Enivré du succès de ses tendres amours,
Affectant à mes yeux une folle assurance,
Il a voulu sortir sans armes, sans défense,
Il a laissé sa suite en son appartement.
Il vient seul.
Quel succès de tant d’empressement,
Ah si j’avais parlé, sans doute il m’aurait crue.
Tu n’étais du péril que faiblement émue.
Je te l’avais bien dit. L’espoir que je conçois,
Eut donné plus de grâce et de force à ma voix.
Le voici.
Scène VI
C’est donc vous à qui le Ciel m’adresse,
Madame, et de vos mains j’obtiendrai ma Princesse,
Vous voyez que l’amour a bien conduit mes pas,
Je vis encor, je viens, entrons, ne tardons pas.
Lyncée, où courez vous ?
Eh quoi la nuit s’avance,
Et vous vous étonnez de mon impatience !
Mes frères dans la Grèce en ce moment heureux,
Sont déjà parvenus au comble de leurs voeux.
Voulez-vous retarder le bonheur où j’aspire ?
Non, mais au nom des Dieux Prince… Que dois je dire ?
J’ai trahi des secrets confiez à ma foi,
Je mets la Grèce entière et l’univers en flamme,
Mais pour y consentir le crime est trop infâme,
Il faut mieux du tyran mériter le courroux ;
Je veux vous sauver, Prince, ou me perdre avec vous,
Sortez de ce Palais : votre mort est conclue,
Danaüs, Hypermestre enfin l’a résolue.
Hypermestre.
À ce nom vous demeurez confus,
Elle même ; en un mot vos frères ne sont plus,
Ils ont en cet instant reçu le coup funeste.
Fuyez et profitez du peu de temps qui reste,
Vous seul êtes encor maître de votre sort,
Mais si vous ne fuyez, Prince, vous êtes mort.
Moi contre Danaüs qu’aurais-je pu commettre ?
Quel fruit de notre mort se pourrait-il promettre ?
Se repend il des biens qu’il vient de nous donner ?
Et nous a-t-il fait Rois pour nous assassiner ?
Non de pareils soupçons n’entrent point dans mon âme ?
Je ne le saurais croire, on vous trompe Madame.
Je reconnais assez à ce subit effroi,
Jusqu’où vont les bontés que vous avez pour moi.
Un autre vous dirait qu’une jalouse envie,
Fait prendre à quelques gens trop de soin de ma vie,
Qu’on veut en m’inspirant une vaine terreur,
Me faire renoncer moi-même à mon bonheur,
M’engager à quitter la beauté que j’adore,
M’irriter contre un Roi qui m’aime, que j’honore,
Des différents passés aigrir le souvenir,
Et séparer deux coeurs qui sont prêts de s’unir.
L’artifice est trop bas, cessez donc de me plaindre.
En l’état où je suis l’amour ne sait rien craindre,
Et j’ai contre le coup que l’on m’a préparé,
Dans les bras d’Hypermestre un asile assuré.
Non vous n’y trouverez qu’une mort assurée,
À la face des Dieux Danaüs l’a jurée.
Averti par la voix d’un oracle inhumain,
Que d’un fils d’Oegiptus il doit craindre la main,
Il vous fait tous périr et ses filles cruelles,
Sont de ses attentats les ministres fidèles.
Hypermestre…
Ah ! c’est là que j’ouvre enfin les yeux,
Que je vois les ressorts d’un complot furieux.
Je crois, malgré le sang qui joint nos deux familles,
L’artifice du Roi, la haine de ses filles ;
Je crois mes frères morts et si vous le voulez,
Ils méritaient les coups qui les ont accablés ;
Je les mérite même il faut que je périsse,
Le cruel Danaüs ordonne mon supplice ;
Je dois m’y préparer, après tant d’attentats,
Sa criminelle main ne m’épargnera pas.
Mais qu’Hypermestre ait part au malheur qui m’accable,
Non c’est ce qui me rend tout le reste incroyable,
On vous trompe Madame.
Oui, Seigneur je le vois,
C’est donc moi qui me trompe et vous trompe après moi.
Je sais tout, du secret seule dépositaire,
Pour vous persuader je n’aurais qu’à me taire ;
Je parle, je vous dis quels sont vos assassins,
À votre fuite enfin j’ouvre tous les chemins.
Je fais plus. Suivez moi rejoignons votre armée,
Sauvez moi des frayeurs dont je suis alarmée :
Je vois déjà le sang couler de toutes parts,
Je ne puis sur personne arrêter mes regards,
Sur des sujets sans foi, sur un tyran qui m’aime,
Sauvons nous, par pitié pour vous ou pour moi même,
Montons sur vos vaisseaux : allons loin de ces bords,
Élever des autels à tant d’Illustres morts,
D’un père abandonné charmer l’inquiétude,
Et de sa triste cour remplir la solitude :
Vous lui direz Seigneur me présentant à lui,
Que j’ai de ses vieux jours sauvé l’unique appui,
Qu’on l’aurait vu sans moi survivre à sa famille,
Que je lui tiendrai lieu d’Hypermestre et de fille,
Et qu’après tant d’efforts un coeur comme le mien,
Mérite assez… Ingrat vous ne me dites rien !
Madame, qu’à ma mort Hypermestre consente,
Je ne la fuirai point elle sera contente ;
J’aurai du moins l’honneur de répandre à ses yeux,
Un sang infortuné qui leur est odieux.
Loin de parer ses coups, d’éviter sa présence,
Je n’y paraîtrai point en état de défense,
Et le fer qu’autre fois je reçus de ses mains,
Ne mettra nul obstacle à ses justes desseins.
Je l’ai quitté je vais déplorable victime,
Subir à ses genoux la peine de mon crime.
Vous Madame gardez à ce barbare Roi,
Un coeur dont son amour a mérité la foi ;
Pour moi puisqu’à la mort ma Princesse me livre,
Je suis trop criminel pour mériter de vivre,
Et quoi que d’un beau feu tendrement animé,
Je suis d’elle et de vous indigne d’être aimé.
Faites donc à l’amour succéder la vengeance,
Punissez un ingrat de son indifférence,
Et rebutant un coeur qu’Hypermestre me rend,
Livrez un malheureux à la mort qui l’attend.
C’en est trop; et je sens ma pitié dissipée,
Qu’ai je dit, ma vertu m’aurait-elle trompée ?
À travers la pitié, l’amour s’est il fait voir ?
Lâche, t’aurais-je aimé sans m’en apercevoir ?
Puisque par mon bienfait tu refuses de vivre,
Meurs, et vois dans ta mort que c’est moi qui te livre.
Je règne enfin, ce jour va venger mes parents,
Dans tes frères dans toi je poursuis les tyrans,
Je veux que Danaüs pour victoire dernière,
Se baigne dans le sang de sa famille entière,
Qu’il s’y noie, hier encor il voulait t’épargner,
Mais de ce sentiment j’ai bien su l’éloigner,
J’ai choisi pour te perdre Hypermestre elle-même,
Tu mourras, c’est ainsi, Barbare, que je t’aime.
Mais de quelque fureur que mon coeur soit armé,
Il n’a tenu qu’à toi d’être autrement aimé.
Elle sort.
Scène VII
Eh quoi vous me fuyez Lyncée ?
Ah ma Princesse,
Me soupçonneriez vous d’une telle faiblesse ?
Je ne fuis point la mort puisqu’elle vient de vous,
Et mon coeur désarmé vient s’offrir à vos coups.
Ah que me dites vous ! C’est moi qui suis coupable,
Puisque d’un tel forfait vous me croyez capable,
Et que plus empressée à vous sauver le jour,
Une autre a prévenu les soins de mon amour.
Eh Madame cessez de différer ma peine,
Sauvez moi par ma mort de l’amour de la Reine,
Elle m’aime : j’ai pu l’écouter un moment,
Est-il pour un tel crime un trop rude tourment ?
Que ne la croyiez vous ? Dans cette nuit funeste,
Vos frères ont péri, vous savez tout le reste,
Mon père à votre mort attache mon bonheur,
Je feins pour vous sauver de servir sa fureur,
Mais d’un autre assassin évitez la poursuite.
Venez, l’amour m’a fait pourvoir à votre fuite,
À l’ancre près d’ici vos vaisseaux sont tous prêts.
De ce côté la mer bat les murs du Palais ;
N’abusons point du temps la nuit sombre et tranquille,
À votre éloignement offre un moyen facile.
Je ne puis plus ici vous parler sans effroi,
Venez Seigneur l’amour vous parlera pour moi,
Mais sans plus différer contentez mon envie.
Non puisque votre amour me rend ainsi la vie,
Je saurai la défendre et je cours de ce pas,
Par un chemin sanglant rejoindre mes soldats.
Eh de quel sang Seigneur, de celui de mon père,
Est-ce là le dessein que l’amour vous suggère ?
Ô Ciel que dites vous, mon père, moi, mes soeurs,
Voila les seuls objets de vos justes fureurs,
C’est notre mort qui doit réparer votre offense.
Tandis que nous vivrons vous serez sans vengeance,
Cher Prince seriez vous ce cruel assassin,
Ce ministre fatal d’un injuste destin,
Et moi dans le dessein de m’épargner un crime,
N’aurai-je à vos bourreaux arraché leur victime,
Pour conserver vos jours abandonné des miens,
Que pour ôter la vie à ceux dont je la tiens ?
Non vous ne serez point funeste à votre père.
Dissipez vos frayeurs ma promesse est sincère :
Je ne vois plus en lui l’ennemi qui me perd,
Votre seule vertu met son crime à couvert ;
Et lorsque la raison semble exiger sa peine,
Mon amour dans mon coeur est plus fort que ma haine :
J’oublierai que ma vie attira son courroux,
Quand je me souviendrai que je la tiens de vous.
Si ma présence alarme ici votre tendresse,
Madame je consens à sortir de la Grèce :
Allons passer en paix nos jours hors de ces lieux,
Dont les tristes horreurs doivent blesser vos yeux.
Dérobons la vertu de deux coeurs déplorables,
Au sort qui malgré nous, nous veut rendre coupables.
Marchons ; et s’il faut perdre un empire à ce prix,
Au moins sauvons l’amour de ces cruels débris.
Eh quoi ! Tant d’yeux jaloux ouverts sur ma conduite,
Me verraient d’un amant accompagner la fuite,
Et les siècles futurs m’accuseraient un jour,
D’avoir trahi ma gloire en servant mon amour,
Non, d’offenser mon Roi je n’eus jamais envie,
Et puisqu’à ses fureurs j’arrache votre vie,
Je veux pour l’empêcher de redouter vos coups,
Demeurer dans ses mains en otage pour vous.
Et moi timide amant sans craindre votre père,
Tandis que vous serez en proie à sa colère,
Me cherchant un asile aux climats étrangers,
J’irai goûter en paix le fruit de vos dangers ?
Lyncée à cet effort il faut bien vous résoudre,
Jamais le Ciel sur vous ne suspendra sa foudre,
De vos frères trahis les mânes négligés,
Jamais ne se tairont si vous ne les vengez ;
Jamais à quelques maux que l’absence me livre,
Je ne voudrai quitter mon père pour vous suivre ;
Jamais mon père enfin n’éteindra son courroux,
Et jamais… et jamais je n’aimerai que vous.
Aimez moi. Mais au moins pour finir votre peine,
Tarissez dans mon sang la source de sa haine,
Répandez le Madame il me sera plus doux,
De mourir à vos yeux que de vivre sans vous.
Ainsi libre à jamais des chagrins de l’absence,
Jusqu’au dernier soupir vous verrez ma constance,
Et sans vous consumer en regrets superflus,
Vous m’aimerez toujours et ne me craindrez plus.
Et moi je vous demande un plus grand sacrifice,
La mort pour notre sort est un trop doux supplice,
Vivez, partez, fuyez, et sans tant de discours,
Ne nous voyons jamais et nous aimons toujours.
Eh quoi ! Dans le moment que la paix nous rassemble,
Que l’hymen se prépare à nous unir ensemble,
Que mon coeur fatigué de tant de vains désirs,
Semble déjà toucher l’ombre de ses plaisirs,
Vous même de douleur et d’amour éperdue,
Vous venez m’ordonner d’éviter votre vue ?
Que dis je ? Dans mon coeur étouffant tout espoir,
Vous osez m’ordonner de ne vous plus revoir ?
Ah que vous savez bien prendre votre avantage !
Cruel, au lieu d’armer mon timide courage,
Votre douleur m’accable et ne fait qu’irriter,
Le mortel désespoir que j’ai de vous quitter ;
J’oublie en ce moment le péril où vous êtes,
Par pitié pour vous seul voyez ce que vous faites :
Vous vous perdez Lyncée et me perdez aussi,
Mon père portera sa fureur jusqu’ici,
De mon retardement se défiant sans doute…
Je crains qu’on ne nous voie et qu’on ne nous écoute;
Je tremble qu’à mes yeux Seigneur, entre mes bras,
Mille soldats en foule… Allons suivez mes pas,
Ne tardez point, hélas qui vous retient encore ?
L’horreur de m’éloigner de tout ce que j’adore.
Je n’y puis consentir.
Je l’ai trop dit, partez !
Iphis me vengera si vous y résistez,
Je ne vous dis plus rien.
J’obéis ma Princesse,
Je ne résiste plus à l’ordre qui me presse,
Vous le voulez, je pars ; votre absence et l’amour,
Sont des maux assez grands pour me priver du jour.
De tous mes déplaisirs cet espoir me console :
De peu de jours au Roi vous manquez de parole,
Vous promettiez ma mort à ses soupçons jaloux.
Adieu. Bientôt le bruit en viendra jusqu’à vous.
ACTE IV
Scène I
Faites venir ma fille ; entrons : c’est trop attendre.
Le coup est fait Iphis, je te reçois pour gendre.
J’attendais ce moment pour te le déclarer :
Hypermestre est à toi.
L’oserai je espérer ?
Quoi Lyncée…
À son sort ne porte plus d’envie,
Cet Insolent rival vient de perdre la vie.
Lui Seigneur, se peut il ?
Calme ce vain effroi,
Et songe à mériter ce que je fais pour toi.
Lyncée est mort ; avant que le bruit en éclate,
Cours t’assurer des chefs de cette race ingrate,
Tous entrés après lui l’attendent ici près,
J’ai fait fermer sur eux les portes du Palais ;
Ces traîtres mis aux fers je suis ici le maître.
Pour faire tout plier nous n’avons qu’à paraître,
Et qu’à montrer aux yeux des soldats étonnés,
La tête de leur Prince et leurs chefs enchaînez.
Cours, et viens recevoir ici ta récompense.
Attendez tout Seigneur de ma reconnaissance.
Voyons ma fille et loin d’un objet plein d’effroi,
Détournons ses regards… Mais elle vient à moi.
Scène II
Ma fille c’en est fait je vois sur ton visage,
Briller encor le feu de ce mâle courage,
Qui t’a fait immoler un amant couronné,
Et rendre à Danaüs le jour qu’il t’a donné.
Sur le bord du tombeau je commence à revivre,
J’y vois cet assassin dont ta main me délivre,
Et libre des chagrins qui m’allaient consumer,
Je n’ai plus aucun soin que celui de t’aimer.
Je suis par amour trop bien récompensée,
Des pleurs que m’a coûté la perte de Lyncée.
Seigneur ni vous ni moi nous ne le verrons plus,
Vivez, régnez en paix.
Trop heureux Danaüs !
Allez gardes qu’au peuple on en montre la tête.
Ah Seigneur, songez vous… Gardes, que l’on arrête !
Mon Père…
Je pardonne à ce tendre retour,
Quelque pitié peut bien survivre à tant d’amour.
Allez.
Pour cet amour ayez quelque indulgence,
À l’effort que j’ai fait bornez votre vengeance,
Voulez vous insulter aux restes tous fumants,
D’un époux que j’immole à vos ressentiments ?
Le sacrifice est fait, respectez la victime,
Et ne me pensez pas forcer à plus d’un crime.
Cruelle à ses beaux jours je ne le serai pas,
Jusqu’à porter l’outrage au-delà du trépas.
Je tremble, je frémis, c’est trop de résistance ;
Non ma fille je veux jouir de ma vengeance,
Voir si malgré l’amour vous m’avez obéi.
Vous vous troublez perfide, ah vous m’avez trahi,
Que l’on cherche, qu’on coure, et que la ville entière…
Parlez ! Qu’avez vous fait de l’assassin d’un père ?
D’un assassin ! Lui, moi, mes secrets, mes destins,
D’un trône, j’ai tout mis en vos perfides mains,
Rendez, rendez-moi tout.
C’est trop longtemps me taire,
Et d’une douleur feinte emprunter le mystère.
Je vous rends plus Seigneur que vous ne prétendiez,
L’honneur et la vertu, sans moi vous les perdiez :
En sauvant mon amant j’ai sauvé l’un et l’autre,
Et périsse à ce prix ma grandeur et la vôtre,
Mon amour, mon repos.
Périssent à ce prix,
Père, soeurs et parents, objets de ses mépris,
Pourvu que l’assassin se dérobe à sa peine,
Qu’il survive à ma mort, qu’importe à l’inhumaine ?
Montre le moi que j’aille m’offrant à ses coups,
Avancer un moment qui doit t’être si doux.
De quel endroit caché me viendra-t-il surprendre ?
Ingrate où l’as tu mis ?
Seigneur daignez m’entendre.
Ni vos yeux ni les miens jamais ne le verront :
Bientôt loin de ces bords les vents le porteront,
À tous les attentats de sa fureur guerrière,
Le vaste sein des mers servira de barrière,
C’est pour toujours ; mais plus que les mers et les vents,
Croyez en sa vertu, croyez en ses serments.
Ses serments ! Vains appuis d’une mourante vie,
Qu’à finir par sa main les Dieux ont asservie,
Dis que pour garantir la foi de ton amant,
Les Dieux de m’épargner t’ont fait aussi serment ;
Dis que de mon repos rompant tous les obstacles,
Ils ont en ma faveur démenti leurs Oracles ;
Que mes jours par un frère autrefois traversés,
Du fer de ses enfants ne sont point menacés ;
Et pour mieux éluder la céleste menace,
Viens toi-même à l’instant m’immoler en leur place,
Dérobe à ton amant l’honneur de mon trépas,
Et cours digne de lui te jeter dans ses bras.
Je suis entre vos mains ; disposez de ma vie,
Ou selon mon mérite, ou selon votre envie.
Oui ma tête à vos pieds est prête de tomber,
Mais mon coeur aux forfaits ne saurait succomber.
Si vous en attendiez de mon obéissance,
Il fallait autrement élever mon enfance,
Dérober à mes yeux tant d’illustres exploits.
Les peuples bénissant la douceur de vos lois,
La Grèce par vos soins de ses tyrans purgée,
Les vices confondus, l’innocence vengée ;
Quand vous me demandiez ce criminel secours,
Vos exemples Seigneur démentaient vos discours,
Je n’ai point cru qu’un Roi qui depuis tant d’années
............................................
Conduit par tant d’honneurs au comble de ses jours,
Voulut au prix d’un crime en prolonger le cours,
Et de quelques moments honteux à sa mémoire,
Reculer son trépas pour survivre à sa gloire.
Oui, selon tes désirs j’ai trop longtemps vécu.
Cruelle, il faut mourir j’en suis bien convaincu.
Oracles trop obscurs il n’est plus temps de feindre,
Enfin j’ouvre les yeux je vois qui je dois craindre :
Tant de bras à mes lois ailleurs obéissant,
Ne m’ont donc immolé que des coeurs innocents ?
Le seul qui se dérobe était le seul coupable,
Sa fureur n’en devient que plus inévitable,
Et tant de sang versé ne sert qu’à lui fournir,
De plus justes raisons pour oser m’en punir.
Parricide est ce là l’effet de tes promesses,
Le fruit de tes amours, le prix de mes tendresses ?
Ah tu prétends un jour fidèle à ton serment,
Venir sur mon tombeau couronner ton amant !
Mais je saurai briser vos noeuds illégitimes,
Tu m’as trahi, c’est là le dernier de tes crimes.
Scène III
Tout est calme Seigneur, les chefs sont arrêtez
Vos soldats par la ville épars de tous côtés…
Qu’avons nous fait ? Il fuit, il m’échappe, il me brave,
Qui Seigneur ?
Le rival dont tu deviens l’esclave,
L’assassin que les Dieux sont maître de mon sort.
Vous m’aviez dit Seigneur, que Lyncée était mort !
Et pouvais-je penser qu’une fille ennemie,
En faveur d’un amant dût hasarder ma vie,
Le soustraire à mes coups pour me livrer aux siens ?
Iphis, n’y pense plus, romps ces honteux liens,
Arrache pour jamais l’ingrate de ton âme,
Indigne de la vie elle l’est de ta flamme.
Attends un autre prix de ta fidélité.
Et toi, lâche, celui de ton impiété.
Et quoi ! Dans ce moment je me crois votre gendre !
Vous même vous venez Seigneur de me l’apprendre,
Charmé de voir enfin tous mes voeux couronnés,
Je cours exécuter ce que vous m’ordonnez ;
Je reviens à vos pieds, à ceux de ma Princesse,
J’attends le prompt effet d’une juste promesse,
Et vous me condamnez à la perdre, à mourir,
Ah Seigneur est ce ainsi qu’on voulait nous unir ?
Iphis vous ne sauriez prodiguer qu’avec honte,
Des jours dont mon amour ne vous tiendrait pas compte.
Vivez vous n’avez point de part à mon forfait,
Et vous n’en aurez point à l’amour qui l’a fait.
Non Seigneur, puisqu’il faut justifier ma haine,
Je n’aimerai jamais le fils d’une inhumaine,
Dont le perfide amour votre unique assassin,
S’apprête à vous porter un poignard dans le sein.
Que me dit elle, Iphis ?
Que la fière Érigone
Par des meurtres sans fin veut remonter au trône,
Qu’immolant vos neveux par les mains de mes soeurs,
Elle veut avant vous, détruire vos vengeurs,
Qu’hier même en voyant flotter votre pensée,
Elle vous fit résoudre à la mort de Lyncée.
Perfide c’est trop loin pousser la cruauté.
Encore un mot Seigneur pour votre sûreté.
On vous trompe : Lyncée est aimé d’Érigone.
Au mépris de la foi que l’ingrate vous donne,
Des sceptres que l’amour vous fait mettre à ses pieds,
Aux dépens des secrets que vous lui confiez,
Lui dépeignant l’horreur de nos noces cruelles,
S’offrant à le tirer de mes mains criminelles,
Contre moi, contre vous excitant sa fureur,
Elle s’est hasardée à mendier son coeur.
Et quel coeur à ce prix n’eut pas été volage ?
Ce héros insensible à ses pleurs, à sa rage,
Toujours constant, fidèle à moi bien moins qu’à vous,
Est venu sans trembler se livrer à mes coups ;
Je l’ai sauvé. Voila ce que m’a dit Lyncée,
Ce qu’à vous découvrir mon devoir m’a forcée.
Ce n’est que par ma mort que je puis le prouver,
Punissez moi, Seigneur, mais daignez vous sauver.
Elle sort.
Ô Dieux !
Eh quoi ! Seigneur, ma vertu dépend elle,
De l’aveugle fureur d’une amante cruelle ?
Votre bonté pour nous peut elle chanceler ?
Doutez vous quel dessein la fait ainsi parler ?
Croyez vous…
Je ne crois ni n’accuse personne.
Iphis laissez moi seul… Je veux voir Érigone :
Vous savez, si mon coeur vous fut jamais connu,
Qu’il n’est en sa faveur que trop bien prévenu.
Scène IV
Ô vous, par mes hauts faits si longtemps soutenues,
Grandeur, gloire, vertu, qu’êtes vous devenues ?
Barbare Danaüs, où me vois je réduit ?
Vois je le jour après cette sanglante nuit ?
Tyran couvert du sang des plus nobles familles,
Bourreau de mes neveux, séducteur de mes filles,
Criminel tant de fois haï dans tous les coeurs,
Et ce qui de mes jours va combler les horreurs,
Après tant d’attentats, de coups illégitimes,
Malheureux, et privé du fruit de tous mes crimes,
Qu’ai je fait, et quel prix me suis je proposé ?
Un seul coeur qu’à aimer je croyais disposé ;
L’ardeur de cet amour m’a fait aimer la vie,
C’est à cet amour seul que je vous sacrifie :
Filles, neveux, sujets, grandeur, gloire, vertu.
Amour, cruel amour, m’abandonnerais-tu ?
Érigone oubliant sa conduite passée,
Aurait elle tourné ses regards vers Lyncée ?
Et par quelle autre voie aurait-il donc appris,
Que c’est par ses conseils que j’ai tout entrepris,
Qu’hier même à l’aspect de cette nuit sanglante,
Elle enhardit au coup mon âme chancelante ?
La perfide a tout dit, son crime est trop certain,
Roi, père, amant, je hais et j’aime donc en vain
Je hais ; mon ennemi prêt à subir sa peine.
Par une fille impie, est soustrait à ma haine ;
J’aime ; et l’objet fatal dont je me crois vainqueur
Offre à mon ennemi l’empire de son coeur.
Qui de vous, fille ingrate et maîtresse infidèle,
Ou me fut la plus chère ou m’est la plus cruelle.
Vains oracles à qui je me suis trop soumis,
Pourquoi me cachiez vous mes plus grands ennemis ?
Je fuis des assassins dont la mer me sépare,
Et tiens à mes côtes une fille barbare,
Une amante perfide et je vois en un jour,
S’élever contre moi la nature et l’amour.
Et bien bravons aussi l’amour et la nature,
Étouffons pour jamais leur insolent murmure,
Je ne veux plus chez moi de tyrans absolus,
J’étais amant et père et je ne le suis plus.
Scène V
Venez, venez pleurer nos communes disgrâces,
Venez de votre amant reconnaître les traces,
Voir ces lieux imprimés de ses pas fugitifs,
Ces marbres attendris par vos soupirs craintifs,
Fidèles à cacher la honte de ma vie,
Et témoins éternels de votre perfidie.
C’est ici que tantôt vos feux ont éclaté
Vous avez d’un héros éprouvé la fierté,
L’ingrat a disparu par le secours d’une autre,
Sans vous laisser son coeur il emporte le vôtre ;
Sur un coeur prodigue je ne prétends plus rien,
Laissez le lui, perfide, et me rendez le mien.
Seigneur je ressens bien la douleur qui vous presse,
Et mon dessein n’est pas d’excuser la Princesse,
Vous trouverez le temps de lui parler ainsi ;
Mais Seigneur songez-vous qu’elle n’est pas ici
À trop de grands éclats votre âme s’abandonne :
Apaisez vous, voyez, connaissez Érigone,
L’excès de la douleur a-t-il fermé vos yeux ?
Ah juste Ciel ! Jamais je ne la connus mieux,
Je sens à votre aspect mes premières alarmes,
Je vois, j’admire en vous la force de vos charmes,
Ces discours si puissants à calmer mes douleurs,
Et ces yeux si savants à répandre des pleurs ;
Mais ce que vous cachiez à mon amour timide,
Sous tant d’appas si doux je vois un coeur perfide,
Oui, vous m’avez trahi vous aimez en secret,
Un Prince que pour vous j’immolai à regret ;
Vous m’avez arraché l’aveu de son supplice,
Pour acheter son coeur par ce lâche artifice,
Pour le sauver après me l’avoir fait trahir.
Si vous l’aimiez pourquoi me le faire haïr ?
Vous n’aviez près de moi qu’à prendre sa défense,
Qu’à blâmer à propos ma juste défiance,
Il eut eu le loisir de mesurer ses coups,
Et j’aurais expiré sans me plaindre de vous ;
Vous vouliez de ces coups vous réserver la joie,
Eh bien vous en aviez une plus sûre voie,
Sans qu’il vous fut besoin d’employer le forfait :
Ce qui vous coûte un crime un dédain l’aurait fait,
Un mépris, je mourais et vous étiez vengée.
Qu’ai je donc fait depuis et qui vous a changée ?
Parlez, ou sûre encore du pouvoir de vos yeux,
Faites parler vos pleurs, ils me séduiront mieux.
Non Danaüs c’est trop témoigner ma faiblesse,
Vos reproches cruels ont éteint ma tendresse,
N’attendez plus de moi que ce que je vous dois,
Vous avez vu mes pleurs pour la dernière fois ;
Après ce grand éclat de votre jalousie,
Vous ne méritez pas que je me justifie,
Et si l’amour n’a pu dissiper vos soupçons,
Pour vous en délivrer je n’ai point de raisons
Allez soyez en proie à votre juste crainte,
Croyez qu’à vous trahir la haine m’a contrainte,
Croyez votre ennemi maître de mon coeur,
Croyez tout sur la foi d’une fille en fureur.
Allez enfin cédant à votre destinée,
Resserrer les liens de son triste hyménée,
Rappelez en ces lieux son époux assassin,
Et courez à ses coups présenter votre sein.
Érigone un moment, le coup que je redoute,
N’est pas…
Depuis deux ans, ingrat, je vous écoute,
Vous payez mes bontéz d’un caprice jaloux.
Laissez moi, je n’ai plus aucun moment pour vous.
Elle fuit, qu’ai je dit ! Avecque quelle imprudence,
Ai-je si fièrement attaqué sa confiance,
Mes soupçons étaient-ils assez bien assurés ?
Suivons ses pas, allons…
Scène VI
Ah Seigneur accourez,
Du dernier des malheurs la ville est menacée.
Que dis tu ?
Tout est plein des vaisseaux de Lyncée,
Ils semblaient s’éloigner lorsqu’un nouvel effort,
Les a soudainement ramenés dans le port ;
Ils abordent. Leurs cris de tous côtés s’entendent
Hypermestre, Hypermestre est tout ce qu’ils demandent,
Ils sont prêts, disent ils, s’ils peuvent l’obtenir,
D’abandonner nos bords pour n’y plus revenir.
Vain prétexte ! Et mes gens ont quitté le Rivage,
Ils ont cédé. Destins, achevez vos ouvrages,
Et puisque vainement je m’oppose à vos coups,
Frappez de tous côtés je m’abandonne à vous.
ACTE V
Scène I
Non, si de mon tyran la tête est menacée,
Il ne doit point périr par la main de Lyncée.
De ce fer, seul laissé dans son appartement,
J’attends de Danaüs le juste châtiment.
Enfin de son destin j’ai percé le mystère :
En vain, lui dit l’oracle, en vain tu fuis ton frère,
Évite si tu peux le fer de ses fils,
Et c’est ce même fer qu’en tes mains j’ai remis.
Aux soupçons du tyran tu me vois asservie,
Je perds et son amour et peut-être la vie,
Préviens le, du succès j’ai les Dieux pour garant,
Venge ta mère enfin ton amour, tes parents.
Oui je vois à quel coup vous devez vous attendre,
Danaüs vous accuse : il peut tout entreprendre,
Il est inexorable, et ses soupçons jaloux,
Sont pour lui des raisons et des crimes pour vous.
Je sens bien qu’Hypermestre a mérité ma haine,
Que loin de mon espoir votre dessein m’entraîne,
Mais de quelque dépit dont je sois animé,
Pour haïr à ce point j’ai trop longtemps aimé,
Je ne punirai point, quoi qu’elle m’ait pu faire,
La fierté de son coeur sur le coeur de son père,
Punis son père au moins de ses propres forfaits,
Et n’abandonne pas le fruit de tes souhaits ;
Souviens-toi du moment que je t’ai fait attendre,
Le voici. C’est par là que tu peux tout prétendre,
Hypermestre est à toi si tu me sers.
Eh quoi,
Perdre son père ô Dieux ! Et prétendre à sa foi.
Le perdre, et par l’aspect de la fatale épée,
Rendre l’amant suspect à l’amante trompée,
Sur Lyncée en un mot en détourner l’horreur,
De la fière Hypermestre amuser la douleur,
La flatter d’un espoir de vengeance frivole…
Ah Madame est ce ainsi que l’on me tient parole ?
L’assassinat, la fourbe, et l’infidélite,
Sont ce là les secours dont vous m’aviez flatté ?
Non, j’ai d’autres moyens de sauver votre vie,
De ravir Hypermestre à qui me l’a ravie,
De vous justifier auprès d’un Roi jaloux ;
C’est sur Lyncée enfin qu’il faut tourner mes coups.
Maître dans un instant du port et de la ville,
Il croit de ce palais l’accès aussi facile
Il accourt, c’est à moi d’arrêter ses efforts.
Et de m’abandonner aux barbares transports,
D’un Roi dont tu soutiens l’injurieux caprice,
Tandis que sa fureur mérite mon supplice !
Je ne te retiens plus, va, cours le secourir,
Renonce à la vengeance et me laisse mourir ;
Ou plutôt puni moi prévenant son envie.
Du crime que j’ai fait d’attenter sur sa vie,
Qu’est ce qui te retient ?
Madame…
Que veux tu ?
Esclave scrupuleux d’une fausse vertu,
Indigne protecteur d’un tyran qui m’opprime,
Et d’un honteux amour malheureuse victime,
Rends moi Rends moi ce fer inutile en tes mains ;
J’irai sans ton secours poursuivre mes desseins,
Et mon bras plus fidèle à servir ma colère,
À tes yeux fils ingrat joindra la fille au père.
Nous verrons si l’ardeur de défendre leurs jours,
Te fera contre moi courir à leur secours,
Car ne te flattes pas d’une vaine espérance,
C’est par ma mort qu’il faut que ton bonheur commence,
Et je ne veux traîner ma vie et mes douleurs,
Que pour te voir en proie à d’éternels malheurs.
Vous l’avez déjà fait vivez, vivez contente,
L’excès de mes malheurs doit remplir votre attente,
Je ne puis me sauver d’un opprobre éternel,
Ny devenir heureux sans être criminel.
À vous, à ma Princesse également fidèle,
J’ai du respect pour vous, j’eus de l’amour pour elle,
Fils zélé, tendre amant j’esperais en ce jour,
Accorder la vertu, la nature et l’amour,
Vous me le défendez. Vous serez obéie,
Je sacrifierai tout pour sauver votre vie,
Je perdrai Danaüs, j’éteindrai dans mon coeur,
Cet amour dont vous même entreteniez l’ardeur,
Mais après avoir fait ce que j’aurai dû faire
Pour venger mes parents, pour sauver une mère,
Infortuné vengeur, amant désespéré,
Triste vertu c’est vous que je sacrifierai.
Scène II
Il menace je crois. N’importe, qu’il achève,
Et qu’après contre moi sa vertu se soulève ;
Pour sortir de ces lieux j’ai les chemins ouverts,
Et de quoi m’attirer les yeux de l’univers.
Mais je veux voir ici ma vengeance assurée,
Danaüs mort, sa fille entre mes mains livrée,
Aux yeux de ses amants la traîner dans Argos,
Et là par ses périls assurer mon repos.
Hélas ! Il n’est plus temps.
Scène III
Quoi la ville est en flamme,
Le Palais assiégé, tout un peuple…
Oui Madame,
J’entends les tristes cris des peuples pleins d’effroi,
J’entends la voix des Dieux irrités contre moi,
Je vois qu’à l’assassin leur fureur m’abandonne,
Et je viens…
Vous venez vous venger d’Érigone,
A vos lâches soupçons mettre une digne fin.
Et je viens à vos yeux accomplir mon destin,
A de cruels soupçons mon âme s’est livrée,
Plus que jamais encore elle en est déchirée ;
Mais quoi de vos parents j’occupe ici le rang,
La pourpre qui me couvre est teinte de leur sang,
Me perdre et me haïr n’est pas pour vous un crime,
C’est le mien seul qui rend mon soupçon légitime.
Oui vengez vous, joignez ma fille à mes destins,
Et mon coeur et le sien, tout est entre vos mains.
Seigneur, plus de soupirs ; courez, courez aux armes,
Et ne vous laissez point attendrir par les larmes,
Vos périls ont tari leur source dans mon coeur,
Je tremble, et ne suis plus sensible qu’à la peur,
C’est là de mon amour le plus sûr témoignage.
Courez de vos soldats relever le courage,
Vous trouverez mon fils, vous saurez là de lui,
Comment de vos soupçons je me venge aujourd’hui,
Pour vous convaincre enfin combien j’en suis blessée
Allez, apportez-moi la tête de Lyncée.
J’y cours puisque mes jours vous sont si précieux,
Je les disputerai même contre les Dieux.
Seigneur, que je vous suive et que je vous défende.
Demeurez.
Scène IV
Et c’est moi que l’assassin demande,
Livrez moi seule aux coups de ces fiers ennemis.
Laissez ce soin, Princesse, au malheureux Iphis,
Ne lui dérobez point cette dernière joie,
Pour gagner votre amour il n’a que cette voie,
Il y court.
Triste amour source de mon malheur,
C’en est fait, pour jamais je t’ai fermé mon coeur,
Ne parlons plus d’aimer, parlons de mon supplice,
Au Roi que j’ai trahi je dois ce sacrifice,
À votre fils qui voit son espoir abattu,
À vous dont j’ai tâché de noircir la vertu.
Madame, il n’est plus temps que je le dissimule,
Pardonnez aux soupçons d’une amante crédule :
Sur la foi d’un ingrat prodigue de serments,
J’ai cru que votre amour causait tous mes tourments,
Qu’à perdre tous les miens vous mettiez votre gloire,
Et de sa bouche hélas ! Qu’ai je pu ne pas croire ?
Il avait sur mon âme un pouvoir absolu,
Il disait qu’il m’aimait et je l’avais bien cru.
Vous même eussiez vous pu le soupçonner de feinte ?
Mon péril, non le sien, causait toute sa crainte,
Il semblait en baignant ces marbres de ses pleurs,
Oublier à mes pieds le crime de mes soeurs.
Aveugle, j’aimais mieux à mon devoir rebelle,
Croire les Dieux trompeurs que Lyncée infidèle,
Je démentais le Ciel sur la foi d’un amant,
Et l’oracle m’était plus suspect qu’un serment
Qu’ai je fait ? Faux serment oracle trop sincère,
J’ai sauvé mon amant, sans songer à mon père,
Et pour me préserver d’un forfait incertain,
D’un amant vertueux j’ai fait un assassin.
Non, Princesse, le Ciel sera plus favorable,
Au zèle généreux qui vous a fait coupable,
Les Dieux auront égard à vos voeux innocents ;
Leur oracle toujours enferme un double sens
Et si l’effet répond à mes heureux présages,
Vous verrez du milieu de ces sombres nuages,
Qui font dans votre coeur naître tant de combats,
Sortir quelque clarté que vous n’attendez pas.
Laissons combattre Iphis autour de votre père,
Allons attendre ailleurs le succès que j’espère ;
Tout aigrit en ces lieux notre commun souci,
Nous serons dans Argos plus tranquilles qu’ici.
Ah ! Mon père mourrait de ce départ funeste,
Il croit que votre coeur est le seul qui lui reste,
Ne l’abandonnez pas. Son plus ferme secours,
C’est qu’il croit vous défendre en défendant ses jours,
Ne balançons donc point, s’il meurt il faut le suivre.
Après lui, vous et moi ne pensons plus à vivre,
Ajoutons cet exemple à l’horreur de ce jour,
Moi de mon repentir et vous de votre amour.
Scène V
Ah Princesses fuyez ! Il n’est plus d’espérance,
Rien ne résiste !
Eh quoi ! Mon père est sans défense,
Est ce là le secours que j’attendais d’Iphis ?
Iphis n’est plus.
Ô Ciel ! Et mon père ?
Ô mon fils !
Avant qu’il eut paru la porte était forcée,
Nos soldats confondus avec ceux de Lyncée,
La surprise, l’horreur, le désespoir, les cris,
Un aveugle courroux trouble tous les esprits,
On frappe, on perce tout sans distinguer personne,
Et l’on reçoit la mort sans savoir qui la donne.
Danaüs entouré d’ennemis irrités,
Tient ferme. Iphis et moi marchons à ses cotés,
Nous avançons, nos coups écartent la mêlée,
La valeur est enfin par le nombre accablée,
Danaüs renversé voit sur lui mille bras,
Disputer à l’envi l’honneur de son trépas,
Lyncée accourt. Alors sa voix et sa présence,
Du soldat furieux répriment l’insolence,
On s’arrête. Vivez ô mon père, ô mon Roi,
Dit il, reconnaissez mon amour et ma foi,
Ne me refusez point ce que le Ciel ordonne,
Le pardon d’Hypermestre et la mort d’Érigone.
Le Traître!
Iphis se trouble, et Danaüs Jaloux,
Tremble à ce que Lyncée ajoute contre vous,
Il pâlit, il partage entre Iphis et Lyncée,
Ses regards incertains, sa timide pensée,
Et déjà trop charmé des respects du vainqueur,
Il vous croit infidèle et l’oracle trompeur,
Quand Iphis (je frémis au récit de son crime)
Non non, vous n’aurez point ma mère pour victime,
Leur dit il, et les Dieux ne seront point trompeurs.
Juste Ciel !
À ces mots déployant ses fureurs,
Au sein de Danaüs il plonge son épée.
Ah cruelle ! Est-ce ainsi que vous m’avez trompé ?
Et fumante qu’elle est de cet illustre sang,
D’un second coup lui-même il s’en perce le flanc.
Il est mort. Mais sa mort achève mon ouvrage,
De mes parents vaincus j’ai vengé le carnage,
Les oracles des Dieux enfin sont accomplis,
Je ne leur ai prêté que le bras de mon fils,
Lyncée a fait le reste il a sa part au crime,
Et c’est son fer qui vient d’immoler la victime.
Je m’attends à mourir et ne crains point la mort,
Je me suis préparée à ce dernier effort :
Je vais de mon trépas lui dérober la gloire,
Allez, heureux époux, goûter votre victoire,
Et montez sur un trône où je ne prétends rien,
Couvert de votre sang encor plus que du mien.
Dircé, je vois Lyncée, ôtons nous de sa vue.
Suivez ses pas Lycaste.
Scène VI et DERNIERE
Ô Lumière imprévue,
Ô depart, ô retour cause de mes tourments,
Ah Lyncée ! Est-ce là l’effet de vos serments ?
Hélas ! J’ai tout promis dans l’ardeur de vous plaire,
Je vous ai fait serment d’épargner votre père,
De ne vous plus revoir, d’aimer et de souffrir,
Mais ai-je fait serment de vous laisser mourir ?
Je vous laissais ici sans appui, sans défense,
Je viens de vos tyrans calmer la violence,
Pour sauver Danaüs je fais un vain effort,
Quand je lui rends la vie on lui donne la mort.
Si vous vous repentez d’avoir sauvé ma vie,
Rendez moi donc la mort que vous m’avez ravie,
Achevez, prononcez l’arrêt de mon trépas,
Mais en le prononçant ne me haïssez pas.
Vous haïr je ne puis, vous aimer je ne l’ose,
Vous voyez mes soupirs, vous en êtes la cause.
Il suffit. Laissez moi dans ce malheureux jour,
Douter au moins s’ils sont de douleur ou d’amour.