Luxembourg et le prince d’Orange/01
Dans la première semaine de juillet 1672, le duc de Luxembourg, — relevé, sur ses vives instances, de sa mission auprès de l’évêque de Munster, — ralliait, sous les murs d’Utrecht, le quartier général du Roi. L’occasion était opportune, et c’était choisir le moment avec un heureux à-propos. Cette heure est, en effet, celle où la guerre prend brusquement une face nouvelle, où l’affaire de Hollande entre dans une phase imprévue. Le premier mois de la campagne, marqué pour les armées françaises par de si foudroyans succès, avait amené des résultats qu’on avait pu croire décisifs. Des difficultés attendues, nulle ne s’était réalisée. La manœuvre hardie de Condé, poussant vivement vers la Bétuwe quand on l’attendait sur l’Yssel, avait emporté d’un seul coup toutes les défenses du Rhin ; des villes, des forteresses réputées imprenables capitulaient sans résistance ; et les Français, dit un contemporain, n’avaient « guère employé plus de temps à se rendre maîtres de toutes les places du plat pays qu’il n’en faut d’ordinaire à un voyageur pour les visiter au passage[1]. » L’impression générale, en France et en Europe, était qu’on allait voir une nouvelle édition des campagnes récentes de Flandre et de Franche-Comté, où le Roi, par sa seule présence, faisait s’ouvrir les portes et tomber les murailles. La Hollande, au surplus, semblait s’abandonner, se résigner à sa mauvaise fortune. « Les États Généraux, écrit le chevalier Temple, étaient troublés et irrésolus sur ce qu’ils devaient faire. Les troupes étaient sans général et, ce qui est pis, sans courage ; la faction, la défiance et la sédition avaient pénétré fort avant dans l’État et dans l’armée… » Enfin, la division maladroite du pouvoir, partagé entre deux rivaux, — le Grand-Pensionnaire Jean de Witt, et le jeune prince Guillaume d’Orange, capitaine général, — paralysait les forces du pays, paraissait devoir entraîner sa ruine inévitable.
Aussi était-ce avec une entière quiétude que le public français suivait les conférences ouvertes, sur la demande des États Généraux, pour le rétablissement de la paix. Les conditions offertes à la France dépassaient, ainsi qu’on l’a dit, « les rêves les plus hardis de Henri IV, de Richelieu et de Mazarin[2]. » Cession de Maastricht, des places du Rhin, de la Flandre hollandaise, avec, pour prochaine conséquence, l’annexion presque inévitable des Pays-Bas espagnols : telles étaient les propositions qui furent, hélas ! jugées insuffisantes, et dont le rejet dédaigneux allait contraindre la Hollande à chercher son salut dans l’excès de son désespoir. Mais les résolutions extrêmes ne semblaient guère à craindre : « J’espère que lundi soir, écrit le 2 juillet Louvois à Le Tellier, nous saurons à quoi nous en tenir sur nos voisins ; et je suis bien trompé, ou ils viendront signer tout ce qu’on leur a demandé. » Le Roi, dans une pareille confiance, attendait les nouvelles dans son camp sous Utrecht. Ce que l’on y apprit bientôt ne fut point ce qu’on supposait ; force fut de prendre au sérieux ce que l’on avait jusque-là regardé comme une vaine menace.
« Quand on jette les yeux sur une carte de la Hollande, lit-on dans un ouvrage de géographie militaire[3], on a peine à comprendre qu’un tel pays puisse exister. On ne saurait dire au premier aspect si c’est la terre ferme ou l’eau qui domine. On voit des côtes basses et humides, découpées sur de larges baies ; des grands fleuves, qui n’ont pas l’apparence de fleuves, mais bien de bras de mer ; et réciproquement, une mer qui paraît changée en rivières et découpe le pays en îles sans nombre : des lacs, des flaques d’eau qui se croisent dans tous les sens… La Hollande est une conquête de l’homme sur la mer ; c’est un pays artificiel, un pays qu’on a fait. Les Hollandais l’ont créé ; il subsiste parce que les Hollandais le gardent ; il disparaîtrait si les Hollandais l’abandonnaient. » Cette dispute perpétuelle d’un peuple contre la nature a pour moyen d’action tout un système de digues, construites à grands frais et grand’peine, qui canalisent les fleuves, resserrent leur cours en des lits invariables, et conduisent leurs eaux à la mer, par une échelle d’écluses savamment calculées.
Il est aisé d’imaginer que cette défense contre les flots peut s’utiliser au besoin contre une invasion d’autre sorte ; et, de fait, l’emploi judicieux des inondations volontaires constitue encore, de nos jours, la meilleure garantie de l’indépendance hollandaise. Qu’on rompe les digues, qu’on ouvre les écluses, sur certains points déterminés : l’eau se répand avec rapidité sur des espaces prévus d’avance, couvrant de quelques pieds les prairies et les champs sillonnés de petits canaux, cachant aux regards de l’ennemi tous les accidens du terrain, rendant l’accès impraticable, à l’exception des routes, qui, « tracées sur les digues, ne sont que de longs défilés. »
Une fois déjà, en l’an 1629, les armées réunies du roi d’Espagne et de l’Empereur avaient dû reculer devant cette barrière aquatique. Une « ligne d’eau » fut établie dans la région d’Utrecht, formée en grande partie par le cours répandu des rivières le Vecht et le Vaart ; et les envahisseurs, menacés par derrière, exposés à mourir de faim dans des régions pauvres et sans ressources, retournèrent sur leurs pas et quittèrent la partie. En l’année 1672, le moyen de salut que tenta la Hollande fut plus complet, plus héroïque encore, plus désastreux dans ses effets. L’eau douce étant insuffisante, on recourut à l’eau de mer, dont le résultat assuré est de stériliser le sol pour de nombreuses années. Les digues du Zuyderzée furent percées en plusieurs endroits ; un torrent furieux, mugissant, se déchaîna sur le territoire d’Amsterdam ; une nappe sombre et liquide couvrit comme un linceul les prairies verdoyantes et les fertiles campagnes. Puis, à l’abri de cette muraille infranchissable, on établit en hâte des ouvrages fortifiés qui protégèrent tous les points accessibles, de la ligne de Muyden jusqu’au lac de Haarlem. Les canaux furent barrés ; sur l’Amstel surgirent de toutes parts des batteries flottantes et des embarcations armées. Et les vainqueurs se virent contraints d’arrêter leur marche en avant, sous peine de voir la terre se dérober tout à coup sous leurs pas. « Les Etats, écrit Louis XIV[4], revenus de leur première frayeur, mirent leur pays entièrement sous l’eau, et me mirent dans la nécessité de borner mes conquêtes, du côté de la province de Hollande, à Naerden, à Utrecht et à Woerden. »
Il faut rendre au Roi cette justice qu’il envisagea d’un œil ferme la brusque chute de ses belles espérances. Sans s’acharner contre les élémens, il prit aussitôt le parti d’ajourner ses projets, de suspendre toute offensive, et de se restreindre uniquement à garder les régions conquises, jusqu’à l’époque où les gelées, transformant en sol dur la surface aujourd’hui mouvante, détruiraient cette suprême barrière et permettraient d’atteindre au cœur la puissance hollandaise.
Il se résolut du même coup à retourner en France, où sa présence était désormais plus utile que sur le théâtre d’une guerre momentanément défensive. Mais, cette armée d’occupation qu’il allait laisser derrière lui, il lui fallait un chef énergique et capable, administrateur autant que général, assez prudent pour gouverner sans heurt les peuples des provinces conquises, assez hardi pour profiter de tout retour de la Fortune et saisir le joint « d’entreprendre. » Ce fut au duc de Luxembourg, à peine débarqué à Utrecht, que fut dévolu cet emploi. « Ce qu’il y a de plus agréable pour moi, écrit en confidence Luxembourg à Colbert[5], c’est que la pensée en est venue à Sa Majesté d’elle-même, sans que personne lui ait représenté que je pourrais la servir aussi bien qu’un autre… » Le 10 juillet, — le jour où Louis XIV quitta le camp d’Utrecht, — le nouveau gouverneur prit possession de son emploi. Le Roi, avant de s’éloigner, lui donna de sa bouche des instructions précises, lui enjoignit de retirer les troupes de certains postes éloignés, de tenir autant que possible le gros de ses forces sous la main, et de veiller avant toute chose que « l’année demeure en état, ou de profiter des jours qui se pourront trouver d’entrer plus avant durant la belle saison, ou d’attendre les gelées[6]. » Ces recommandations faites, le Roi marcha d’abord vers Bois-le-Duc, bientôt après vers la frontière de France ; et, le 1er août au soir, il s’installait à Saint-Germain, laissant ses généraux terminer sans lui la campagne.
C’est dans la ville d’Utrecht que le duc établit son quartier général. Construite sur le Vieux-Rhin, à la pointe d’un triangle dont Amsterdam et La Haye peuvent figurer la base, dans le centre d’une plaine élevée qui protège ses abords contre l’inondation, Utrecht tirait de cette situation spéciale une grande valeur au point de vue militaire. Dès le mois de juin, le comte d’Estrades, notre ambassadeur à Bruxelles, dans une dépêche au Roi, en signalait le prix exceptionnel : « Lorsque le Roi, disait-il[7], sera maître d’Utrecht, il pourra abolir la République et faire en deux mois ce que toutes les puissances du monde n’arriveraient pas à faire ensemble. » Louvois, un peu plus tard, écrit à Luxembourg presque dans les mêmes termes : « Pourvu que le Roi garde Utrecht pendant cet hiver, il est maître de la Hollande. » La grande affaire, aux yeux de Louvois et du Roi, est de calmer l’ardeur de Luxembourg, de modérer son désir ambitieux de prendre l’offensive et de se signaler par quelque coup d’éclat. « Je vous répète encore, lui mande le ministre, sur ce que vous proposez de faire quelque entreprise, que la meilleure et la plus avantageuse de toutes est de bien conserver Utrecht et que, pourvu que cela soit, les Hollandais sont perdus cet hiver… Oubliez toute autre entreprise, et ne songez qu’à bien conserver les troupes qui sont sous votre commandement, pour donner une bataille à la suédoise, entre Noël et la Chandeleur[8]. » Force fut de se résigner à « servir le Roi à sa mode. » Le général du corps d’occupation se renferma donc, au début, dans ses fonctions de gouverneur, d’administrateur général des territoires conquis, auxquelles vint bientôt s’ajouter l’emploi plus difficile de négociateur.
Toute la guerre de Hollande, du début à la fin, offre ce caractère spécial que l’action militaire et la diplomatie y marchent constamment de front. Pendant les sept années qu’elle dure, et presque sans interruption, on négocie en même temps qu’on se bat, tantôt à ciel ouvert comme lors du congrès de Cologne, tantôt dans la coulisse et par des agens clandestins. Dès les premières semaines, sur les conseils de Pierre de Groot, les États Généraux avaient ouvert des conférences, fait des avances à leurs envahisseurs. Le rejet de ces conditions et l’attitude hautaine du Roi n’ont pas découragé les partisans obstinés de la paix ; des pourparlers, officieux cette fois et remplis de mystère, s’établissent bientôt à Utrecht entre les personnages qui représentent les deux pays. On ne s’étonnera pas de voir le duc de Luxembourg diriger en personne ces négociations. Au XVIIe siècle, — même encore au siècle suivant, — la division des rôles n’est pas tranchée connue de nos jours ; certains emplois, distincts en apparence, ne sont très souvent séparés que par des frontières imprécises. On passe sans transition d’un congrès dans un camp, de l’épée à la plume. Tout général d’armée doit être, à l’occasion, doublé d’un diplomate ; de même qu’en un besoin pressant un ambassadeur de carrière n’hésite pas à lever une troupe, pour achever par la force l’œuvre où la persuasion s’est montrée impuissante.
Luxembourg, à peine installé, constate et signale en Hollande deux partis, deux « factions » de tendance opposée : d’une part, « les honnêtes gens, » c’est-à-dire les gens modérés, amis de la conciliation et du repos public ; et, d’autre part, ce qu’il nomme « la canaille, » qui tient pour la lutte à outrance tant qu’un seul étranger foulera le sol natal. Dans le premier parti, on compte les magistrats, les « bons bourgeois, » les commerçans, tous ceux qui ont pignon sur rue et possèdent du bien au soleil. Ceux-là sont, dit-il[9], « fort fâchés que le traité de paix que Grotius négociait n’ait point eu lieu. Ils sont tous d’accord que le véritable intérêt de la Hollande serait d’avoir la paix avec la France, de jouir de l’amitié et protection du Roi, et de continuer leur commerce, qui suffit, comme ils en sont persuadés, pour les rendre riches et heureux. » Ces sentimens sont, à n’en pas douter, ceux de la grande majorité des États Généraux, de ceux-là mêmes qui, quelques mois plus tôt, écrivaient à l’empereur d’Allemagne : « Nous ne pouvons nous dispenser d’engager solennellement notre foi et notre parole que nous n’avons jamais seulement songé à troubler le repos de l’Europe, et de représenter que, la navigation et le commerce faisant tout le bonheur et la prospérité de cet État, nous ne pouvons comprendre comment on nous peut seulement soupçonner de vouloir faire la guerre[10]. »
Mais ces hommes doux et pacifiques ont à compter avec « la populace, » laquelle, au dire de Luxembourg, est « fort méchante et en très grand nombre dans ce pays, » et qui n’a point les mêmes raisons pour vouloir « la paix à toute force. » Le parti militaire, assez peu nombreux, il est vrai, mais actif, énergique, accorde à présent son concours à « la faction démocratique. » Enfin, dans le même camp se rangent, pour la plupart, les « ministres et prédicans, » dont l’intransigeant fanatisme n’admet point de compromission avec les ennemis de leur foi, et qui, « jouissant d’un grand crédit parmi le bas peuple des villes, » le rend « fort mal intentionné » à l’égard des Français.
Chacun des deux partis a son chef attitré ; chacun de ces chefs est un haut personnage, un grand dignitaire de l’Etat ; et leur rivalité mutuelle, sourde d’abord et souterraine, éclatera bientôt au grand jour, dégénérera en lutte sanglante, et provoquera, en fin de compte, une révolution violente dans les destinées du pays.
Par la retraite de Pierre de Groot, la direction des modérés était exclusivement passée aux mains de Jean de Witt, Grand-Pensionnaire depuis l’an 1652, adversaire passionné de l’influence anglaise, et par suite ennemi né de la maison d’Orange et de Nassau, qui pendant tant d’années avait gouverné la Hollande. C’est par sa secrète influence qu’en 1667 avait été voté, dans l’assemblée générale des États, le célèbre Édit perpétuel, qui abolissait à jamais le système du stathoudérat, frappant d’un coup direct les espoirs ambitieux du jeune Guillaume d’Orange. Malgré l’ardente hostilité que, par cette attitude, il souleva contre lui, ses détracteurs eux-mêmes et les plus chauds amis de la maison d’Orange sont obligés de rendre hommage aux vertus solides du « grand Jean, » à sa rare probité, à ses qualités d’homme d’Etat : « Dans ses dix-huit ans de ministère, écrit après sa mort le chevalier Temple[11], il ne s’est jamais occupé ni de ses plaisirs, ni de son bien-être, et presque point de sa fortune… C’était un homme d’une activité infatigable, d’une constance inflexible, d’un esprit net et profond, d’une intégrité sans tache. » La faute capitale de sa vie, — qui lui fut durement reprochée et finalement causa sa perte, — était d’avoir, dans ces dernières années, pour ménager les deniers de l’Etat, négligé systématiquement de fortifier les places-frontières et licencié les vieilles troupes mercenaires entretenues par la République. Mais ce fut une erreur et non une trahison ; l’unique mobile de ses actions fut toujours « sa passion ardente pour ce qu’il jugeait profitable au bien de son pays[12]. » Il apportait cette même bonne foi dans la politique extérieure. Pour lui, le vrai péril reste toujours la concurrence de la marine et du commerce anglais ; et, contre ce danger, aujourd’hui comme jadis, l’alliance française lui apparaît comme le meilleur remède, la seule garantie efficace. Aussi, malgré les querelles passagères, ne désespère-t-il pas de voir renaître et refleurir la belle union d’antan. Conclure, à des conditions acceptables, un arrangement avec le roi de France, dont on évincerait l’Angleterre, tel est le rêve qu’il poursuit sans relâche du jour de l’entrée en campagne. C’est sur ce même terrain que nous le verrons se tenir, pour engager avec le commandant de l’armée de Hollande une négociation secrète.
Quant au chef du parti guerrier, plus d’un lecteur sans doute l’a déjà pressenti ; car le nom de Guillaume d’Orange est comme inséparable du nom de Luxembourg. A tout instant de leur histoire, — et spécialement dans la période qui fait l’objet de cette étude, — la destinée les met aux prises, les oppose l’un à l’autre, donne ce duel en spectacle à l’Europe attentive ; et le rideau tombera sur cette scène vingt fois renouvelée, sans qu’acteurs ni public aient témoigné nulle lassitude. Mais si, à première vue, la partie entre eux semble égale, on ne saurait en dire autant de la chance des deux adversaires. Toujours, malgré sa constance héroïque, la victoire échappe à Guillaume ; c’est tout au plus s’il peut, de loin en loin, vanter comme un succès une affaire indécise. Ses échecs, au contraire, sont aussi nombreux qu’éclatans ; et son ferme sang-froid, l’énergie qu’il déploie à dompter son âme violente, l’orgueil qui le provoque à n’avouer jamais ses défaites, semblent parfois prêts à fléchir devant ce malheur persistant. « Ce duc de Luxembourg, qui est en possession de me vaincre partout, vient encore de le faire à Nerwinde, » mandera-t-il avec amertume à son allié l’empereur d’Allemagne. Et qui ne sait l’exclamation qui lui vaudra de son rival la célèbre réplique : « Ne pourrai-je donc jamais battre ce méchant bossu-là ? — Bossu, comment le sait-il ? Il ne m’a jamais vu par derrière ! »
Le personnage qui va se trouver désormais mêlé d’une façon si étroite à toutes les phases de ce récit, de même que Luxembourg, naquit enfant posthume ; son père, Guillaume II de Nassau, stathouder de Hollande, avait quitté cette terre huit jours avant qu’il y fît son entrée, le 14 octobre 1650. Comme Luxembourg encore, il vint au monde chétif, souffreteux, n’ayant que le souffle, et fut sauvé par une mère admirable, Henriette-Marie Stuart, fille de Charles Ier d’Angleterre. Elle disputa victorieusement son enfance à la mort, anima son âme et sa chair de la merveilleuse énergie qui le fit triompher des pièges tendus par la nature. Guillaume lui dut plus encore, au témoignage de ses contemporains : « La princesse douairière d’Orange, écrit le chevalier Temple[13], était la femme du meilleur esprit et du plus grand sens que j’aie jamais connue ; et je ne doute pas que le prince n’ait tiré de cette mère vertueuse le germe de toutes les hautes qualités qu’il possède. » La mauvaise fortune fit le reste ; l’adversité précoce fut, pour l’enfant sans père, une bienfaisante et rude éducatrice. Pauvre, entouré d’ennemis, suspect, du fait de sa naissance, à ceux qui tenaient le pouvoir, il est, dès sa première jeunesse, placé sous le contrôle sévère de Jean de Witt, rival héréditaire des siens ; et, si l’influence maternelle domine secrètement dans son cœur, il lui faut pourtant à toute heure dissimuler ses sentimens, donner le change sur ses idées, ses désirs et ses ambitions, cacher à des yeux vigilans ses sympathies et, plus encore, ses haines.
Ce qu’il acquiert à cet apprentissage, on se l’imagine aisément. Nul homme ne fut jamais plus impassible et plus maître de soi, plus ferme contre la souffrance, ne contempla d’un œil plus dédaigneux les revers et les trahisons, ne se raidit plus fortement contre les coups du sort, les déceptions de l’existence, ne gouverna d’une main plus assurée sa barque au milieu des écueils. Mais cette rare force d’âme a sa contre-partie. Ce cœur vaillant est dur, inexorable ; cette volonté tendue ne s’embarrasse d’aucun scrupule ; cette bouche, qui ne se plaint jamais, est facile au mensonge, indulgente au parjure ; ces yeux, qui n’ont jamais pleuré, ne sauront exprimer ni pitié ni tendresse.
A sa nature morale correspond son aspect physique. Au-dessus d’un corps maigre et frôle, aux épaules étroites et voûtées avant l’âge, s’incline une tête au front large et puissant, qui plie sous le poids des pensées. Le nez saillant, recourbé en bec d’aigle, donne au profil arqué quelque vague ressemblance avec le grand Condé. Ses yeux, sous de sombres sourcils, brûlent d’un éclat fiévreux ; les joues, pales, émaciées, trouées par la petite vérole, paraissent comme labourées par les soucis et les souffrances ; les lèvres, fortement serrées, coupées au coin d’un pli profond, accentuent l’expression morose de la physionomie. Tout son être respire une gravité sévère ; ceux qui vivent dans son entourage disent ne l’avoir jamais vu rire, sauf parfois au fort d’une bataille. Comment, d’ailleurs, pourrait-il s’égayer ? Sa vie est une torture constante ; des maux de tête cruels lui tenaillent le cerveau sans trêve ; des crises d’asthme l’étouffent et déchirent sa poitrine par une toux continuelle ; dès sa jeunesse, il ne pourra dormir que la tête relevée par plusieurs oreillers. A vingt ans, il en porte trente ; à trente, il paraît un vieillard. Son langage est bref et tranchant ; ses manières brusques et bourrues ; il méprise « la bonne grâce française, » et se fait gloire d’effaroucher les gens. Les lettres, les sciences et les arts ne l’intéressent que faiblement, bien que sa prodigieuse mémoire facilite pour lui toute étude, et qu’il soit, assure-t-on, un remarquable polyglotte. Le hollandais est sa langue naturelle ; mais il comprend et parle encore le français, l’espagnol, l’italien, l’anglais et l’allemand. Il n’y cherche, d’ailleurs, aucun plaisir d’esprit, et n’y voit qu’un moyen de servir ses vues d’homme d’Etat. La politique, les finances et la guerre, seules ces choses le touchent et l’émeuvent ; seules elles lui donnent quelque jouissance ; seules il les juge dignes d’effort.
La guerre surtout ! Voilà l’unique passion qui fasse vibrer cette âme rigide et bouillonner ce cœur glacé. Il l’aime comme on aime une maîtresse, avec d’autant plus de ferveur qu’il n’est guère payé de retour. Des dons et des talens qui font les grands souverains, celui de capitaine est peut-être le seul que lui ait refusé la nature, et c’est celui de tous qu’il met à plus haut prix. Il souffre cruellement de cette lacune de son génie, mais les déceptions qu’il éprouve ne sauraient le décourager. Ses fautes de stratégie, ses erreurs de tactique, cette malchance obstinée qui fait dire à ses détracteurs que « M. le prince d’Orange peut au moins se vanter qu’aucun général à son âge n’ait levé tant de sièges et perdu autant de batailles, » il mot tout sur le compte d’un apprentissage incomplet. Général en chef à vingt ans, il n’a pas pu, dit-il, étudier à fond son métier et recevoir d’un maître les premiers principes de son art : « Je donnerais, s’écrie-t-il un jour, une bonne partie de mes États pour avoir servi quelques campagnes sous M. le prince de Condé ! » Il ne désespère point toutefois qu’une longue pratique supplée aux grandes leçons qui lui ont fait défaut, et garde ce patient espoir jusqu’au dernier jour de sa vie. D’ailleurs, il faut le reconnaître, ce qui lui manque comme science technique, il le regagne, — et au-delà, — par la ténacité et par le caractère. L’énergie de sa volonté tient du prodige et confine au génie. Il n’est jamais plus grand qu’au lendemain d’un désastre. Pas un instant, il ne faiblit ; pas une fois, il ne s’abandonne ; en aucun cas surtout, il ne se reconnaît vaincu. Son sang-froid, sa lucidité redoublent dans l’épreuve. Sans perdre une heure, il se remet à l’œuvre ; et son adversaire triomphant « n’a pas encore chanté le Te Deum[14], » qu’il le trouve devant lui debout, réparé, tout prêt à combattre. Ses campagnes et ses batailles sont d’un médiocre tacticien, mais elles sont aussi d’un grand homme.
Tel est l’adversaire redoutable que les modérés de Hollande voient surgir devant eux, aussitôt les premières défaites, et qui s’oppose résolument à toute ouverture pacifique. Qu’il entre en cette intransigeance quelque hostilité personnelle à l’égard du Grand-Pensionnaire, on ne saurait le contester. Cependant la pensée du petit-fils du Taciturne monte plus haut et porte plus loin qu’un simple désir de vengeance. Celui qu’il vise dès ce moment est plus puissant que Jean de Witt. Le plan qu’il a conçu dans son cerveau précoce rayonne hors des limites de sa propre patrie. Aux regards de Guillaume d’Orange, le véritable ennemi, c’est le roi Louis XIV, et le but qu’il s’est assigné, c’est d’affranchir l’Europe de la domination française. Sa politique, on l’a dit justement, n’est ni anglaise ni hollandaise ; elle est surtout « européenne ; » et son perpétuel objectif est de briser le joug auquel un seul peuple asservit la communauté des puissances. Malgré l’antipathie de race, le contraste des caractères, l’éloignement qu’inspire au puritain sectaire la dévotion fastueuse du souverain catholique, l’objet de la haine de Guillaume n’est pas la personne même de Louis. Peut-être même, au fond du cœur, l’admire-t-il en le jalousant ; il ne permet pas, en tous cas, qu’on le rabaisse en sa présence. Un de ses familiers, après une visite à Versailles, lui disant un jour en raillant, — par allusion à Mme de Maintenon et à M. de Barbezieux, — que ce qu’il avait vu de plus curieux en France était un roi pourvu d’un ministre en bas âge et d’une maîtresse quinquagénaire : « Cela doit vous prouver, lui répondra sèchement Guillaume, qu’il ne se sert ni de l’un ni de l’autre. » Mais c’est à la France qu’il en veut ; c’est son abaissement qu’il poursuit avec une ardeur inlassable ; c’est contre sa vaste ambition qu’il se constituera le champion de l’Europe. Et l’instinct populaire ne s’y trompe pas chez nous. Le seul nom de Guillaume d’Orange excite les fureurs de la foule ; on pourra voir un jour, au faux bruit de sa fin subite, le peuple de Paris célébrer la nouvelle par de si bruyantes réjouissances, qu’un provincial, fraîchement débarqué, croit à la naissance d’un Dauphin, et se trouve tout surpris d’apprendre que le sujet de cette joie délirante est la mort d’un prince étranger.
Au point où nous prenons aujourd’hui son histoire, Guillaume est encore loin de cette éclatante renommée. Il n’est, pour ses compatriotes, que le descendant d’une grande race, peut-être un espoir pour l’avenir, mais, dans le temps actuel, un personnage de second plan, dont la récente autorité est discutée, battue en brèche. Il a, pendant ses vingt premières années, vécu loin des affaires publiques ; puis, subitement, trois mois avant le début de la guerre, en février 1672, les États Généraux assemblés à La Haye se sont par hasard avisés du pâle adolescent dont les ancêtres ont fondé l’indépendance de leur patrie. Un mouvement subit se déclare, dont les efforts de Jean de Witt ne peuvent rompre le cours ; le jeune prince est nommé « capitaine général des armées de terre et de mer, » et prend sur l’heure possession de l’emploi. Les qualités de commandement, l’activité, l’ardeur dont il fait preuve lui valent, quelques semaines plus tard, une élévation supérieure. Une résolution des États abolit l’Edit perpétuel, rétablit le stathoudérat[15] ; et c’est alors que s’engage le conflit, chaque jour plus vif et plus aigu, entre les deux premiers dignitaires de l’État, le Stathouder et le Grand-Pensionnaire, Guillaume d’Orange et Jean de Witt. Dans cette lutte d’influence entre deux factions opposées, l’intérêt de la France ne peut être douteux. Luxembourg, pour sa part, n’hésite pas un moment ; et toute sa politique consiste à soutenir discrètement le bourgeois sage et pacifique contre le prince jeune et aventureux qui veut jusqu’au bout tenir tête aux trahisons de la Fortune.
C’est d’ailleurs le Grand-Pensionnaire qui fait, — ou qui fait faire, — les premières ouvertures. Une lettre de. Luxembourg adressée à Colbert et confiée au comte d’Artagnan, — celui-là même dont un roman célèbre a popularisé le nom, — conte en détail la visite mystérieuse qu’il vient de recevoir[16] : Un « ami intime de M. de Witt » est venu le voir à Utrecht, lui a confié, sous le sceau du secret, les désirs du vieil homme d’État : « Il m’a dit que ses sentimens étaient que la Hollande fît sa paix, en demeurant dans une alliance fort étroite avec la France, et même dans un engagement de n’en pouvoir jamais abandonner les intérêts, sans en avoir aucun qui pût être conjoint avec ceux d’Angleterre : que, si Sa Majesté voulait appuyer la faction de M. de Witt en cela, elle pourrait reprendre le dessus et acheminer les affaires à ce que je viens de vous dire. » A cette invite inattendue le duc répond d’abord en gardant une prudente réserve : « J’ai répondu à cela comme un homme qui ne peut qu’écouter, et qui ne doit se mêler d’autre chose, insinuant pourtant ce que je croyais être de l’intérêt du Roi. » La meilleure attitude est, ajoute-t-il sagement, de « faire faire tous les pas aux autres, et d’attendre les expédiens qu’ils pourraient proposer, sans engager Sa Majesté en nulle manière du monde, leur disant que c’est leur affaire de remettre leur pays en liberté et M. de Witt à la tête des affaires. »
Louvois, mis au courant, approuve fort cette façon d’agir : « Je commence toujours mes lettres par des animadversions, écrit-il[17] ; mais je veux continuer celle-ci par des louanges. On ne peut mieux répondre que vous avez fait à celui qui vous a parlé de la part de M. de Witt. Continuez et, sans lui rien donner par écrit, laissez-lui entendre que le Roi oublierait volontiers la méchante conduite de son ami et ne serait point fâché de le voir remonter sur sa bête. » D’ailleurs, dit plus loin le ministre, « si M. de Witt veut parler ou envoyer quelqu’un avec qui l’on puisse parler plus clairement, il sera très bien reçu, et il peut s’assurer que personne n’aura connaissance de la négociation qu’il aura fait faire avec le Roi. »
Sur cet encouragement, les pourparlers s’engagent ; et la correspondance de Louvois et de Luxembourg indique plus nettement sur quelles bases repose tout ce projet d’entente. L’idée fixe (le Jean de Witt est toujours de briser l’influence anglaise en Hollande, et de libérer sa patrie de la domination de la maison d’Orange. L’instant, croit-il, est favorable ; bien des gens « se repentent déjà d’avoir élu le prince Guillaume pour stathouder, » et « cette faction péricliterait sans doute, » si le roi de France faisait mine d’accorder certaines concessions[18] d’accord avec la France, il ne saurait être question de rompre sans raison avec Sa Majesté britannique et de faire « une paix séparée ; » c’est une chose à quoi, sans nul doute, « le Roi ne consentira jamais, quand même il prévoirait qu’il lui en dût coûter toutes ses conquêtes[19]. » Mais, après cette profession de foi, Louvois se hâte d’ajouter que, « par la suite, Sa Majesté sera bien aise que la Hollande ne gardât aucune dépendance de l’Angleterre ; » que, dans la discussion des conditions de paix, la France prendra en main l’intérêt de M. de Witt, au détriment du prince d’Orange, quelle que soit sur ce point « la sollicitation des ambassadeurs anglais, » et que « l’on entendra volontiers les propositions » du Grand-Pensionnaire pour conclure un traité avantageux aux deux nations.
Pour preuve de sa bonne volonté, Luxembourg se propose de faire partir pour La Haye, en sourdine, un émissaire, auquel, dit-il, « j’offrirai tout ce qui dépendra de l’autorité que le Roi m’a donnée ici pour servir M. de Witt. » Le peuple de Hollande étant « fort susceptible des impressions qu’on lui donne, » ce messager, adroit et bien muni d’argent, emploiera son talent à « faire courre de petits avis, durant que les esprits sont échauffés, » et « cela ne pourra manquer de faire un bon effet. » Enfin, un autre agent secret, « cousin du sieur de Witt, » est expédié vers le Grand-Pensionnaire. Si la réponse qu’il en rapporte « paraît aller à quelque chose, je trouverai bien moyen, mande encore Luxembourg, de l’envoyer jusqu’à Paris, sous le prétexte des États de cette province (d’Utrecht). » Tous ces pourparlers, au surplus, ne se feront que de vive voix, par mesure de prudence : « Je n’ai point voulu permettre que l’on écrivit rien sur ce sujet, et vous pouvez vous assurer que cette négociation ne sera point éventée[20]. »
L’envoyé, cependant, tarde beaucoup à revenir : une semaine s’écoule dans l’attente. Luxembourg s’en inquiète, et commence à concevoir des doutes sur l’heureuse issue de l’affaire : « L’homme qui était allé trouver M. de Witt n’est pas encore de retour. J’ai peur que son ami d’ici se flatte quand il croit qu’il pourrait faire quelque chose ; car, pour moi, je ne le tiens plus en cet état-là. » Louvois, mieux renseigné, est plus sceptique encore : « Nous apprenons tous les jours[21] des nouvelles de la décadence du sieur de Witt, ce qui fait appréhender que la négociation que l’on pourra faire avec lui ne soit une chose fort inutile. J’attendrai néanmoins avec impatience des nouvelles de la réponse qu’il aura faite et, en cas qu’il soit encore en état que l’on puisse faire quelque chose avec lui, rien n’est plus à propos que le prétexte que vous avez trouvé pour faire venir ici son ami. » Les mauvaises nouvelles, de ce jour, se succèdent coup sur coup ; et la révolution qui s’opère à La Haye dissipe enfin toute illusion. Le prince d’Orange, vers la fin de juillet, paraît avoir pris le parti de jouer son va-tout et de brusquer les choses. Une lettre insolente et hautaine qu’il adresse au Grand-Pensionnaire annonce cette attitude et ouvre les hostilités. Jean de Witt, en effet, — fatigué de s’entendre accuser de haute trahison, — avait mis son rival en demeure de le justifier. La réponse qu’il reçut était grosse de menace : « En ce temps misérable et injurieux, je me trouve distrait par tant d’affaires, que je ne puis me soucier de l’enquête des choses passées. La justification que vous désirez de moi par votre lettre ne pourra être tirée que des actions que vous avez faites[22]. » Deux jours plus tard, le coup est plus direct ; les actes succèdent aux discours. Le frère aîné du Pensionnaire », Corneille de Witt[23], grand bailli ou ruart de Putten, tout dévoué à son frère et comme lui fougueux adversaire de la faction d’Orange, est dénoncé par un nommé Tychelaer, — sorte de barbier-chirurgien plus d’une fois condamné pour crimes, — comme l’ayant secrètement chargé d’empoisonner le stathouder. L’imputation est dénuée de toute preuve, l’accusateur digne de tout mépris. Le grand bailli n’en est pas moins arrêté, jeté en prison, et le procès s’instruit, au milieu des clameurs d’une foule exaspérée. Traité comme un criminel, soumis à la torture pendant une heure et demie, Corneille de Witt fit voir une constance admirable, et confondit son dénonciateur. Il n’en fut pas moins condamné au bannissement perpétuel et déclaré déchu de tous ses honneurs et emplois.
Conserver le pouvoir en de telles conditions parut à Jean de Witt incompatible avec sa dignité. Il se rendit, le 4 août, à la séance des États Généraux, et leur offrit sa démission de la magistrature suprême, s’en remettant à leur justice pour la résolution à prendre[24]. La démission fut acceptée ; le sieur Fagel, greffier des États Généraux, zélé serviteur de Guillaume, se vit quinze jours plus tard élu Grand-Pensionnaire : et l’on put croire que le jeune prince, content d’un triomphe si complet, ne pousserait pas plus avant sa vengeance.
La journée n’était pas achevée, qu’il fallut changer d’opinion, et qu’un lâche attentat vint ternir la gloire du vainqueur. Que ce crime détestable ait été son œuvre directe ou qu’il l’ait seulement inspiré, il est au moins certain qu’il ne fit rien pour l’empêcher, rien pour en châtier les auteurs, et que lui seul en eut le bénéfice ; tous les efforts de ses panégyristes ne sauraient faire que le sang répandu n’imprime sur sa mémoire une tache ineffaçable. Ce fut, dans le premier moment, l’impression unanime des spectateurs du drame : « Ceux de la faction de M. de Witt sont dans une consternation épouvantable, mande Luxembourg à Louis XIV[25], et les autres ne laissent pas de trouver bien violentes les premières marques d’autorité que donne M. le prince d’Orange, que les gens du pays disent avoir fait faire sous main cette action. » La nouvelle parvint à Utrecht le surlendemain, 22 août ; Luxembourg, sur l’heure même, envoyait un exprès au Roi, pour lui annoncer l’événement qui allait modifier d’une manière si profonde la situation politique et la physionomie de la guerre. Son récit, celui de Stoppa, et certains documens conservés aux archives des Affaires étrangères, donnent les détails suivans sur la tragédie de La Haye[26].
L’arrêt de bannissement qui condamnait Corneille de Witt lui enjoignait de sortir de La Haye et du territoire de Hollande dans le plus bref délai. C’est pourquoi le Grand-Pensionnaire, le jour même qu’il se vit remplacé dans son poste, se résolut d’aller chercher son frère au fond de sa prison, pour le conduire hors des frontières. Il s’y rendit à pied, accompagné seulement d’un laquais et d’un secrétaire ; mais il commit la faute de se faire suivre par les rues d’un carrosse à quatre chevaux, dont la vue provoqua les rumeurs de la populace. Nombre de gens se mirent à protester « contre le crime d’un des frères, et l’insolence de l’autre, qui prétendait emmener ce criminel en triomphe. » C’est escorté de tels murmures que Jean de Witt atteignit la prison. On l’y laissa pourtant pénétrer sans obstacle ; mais lorsque, peu d’instans après, il envoya son secrétaire chercher dans le carrosse une copie du jugement, la foule retint cet homme, l’empêcha de rentrer, puis s’en prit au carrosse, menaçant le cocher de mort s’il ne se retirait sur l’heure. Le cocher, comme on pense, ne se le fit pas dire deux fois ; et plusieurs centaines d’exaltés commencèrent à monter la garde à la porte de la prison. Un grand nombre de femmes, armées de pierres et de bâtons, s’étant mêlées à cette canaille, se distinguaient par leurs propos furieux. Le Pensionnaire, sur cette nouvelle, descendit dans la rue, dans le dessein de calmer les esprits. Sa présence fut saluée par des clameurs de mort, et quelques hommes armés « se mirent à disposer les mèches de leurs mousquets, » prêts à tirer « s’il voulait passer outre. » Il rentra ; le geôlier referma sur lui le guichet ; et Jean de Witt remonta vers son frère, auquel il annonça, d’un ton plein de sang-froid, qu’ils étaient tous deux prisonniers, menacés tous deux du même sort. Il était onze heures du matin.
Les États Généraux n’avaient point levé leur séance. On les vint avertir en hâte du « tumulte dont la ville était remplie et du désordre qu’on avait sujet d’appréhender. » Ils délibérèrent un moment sur les moyens de « tirer d’embarras les deux frères, » et s’en rapportèrent finalement aux officiers de la cour provinciale, qui à leur tour se déchargèrent sur le fiscal[27], Jean Raisch, et lui confièrent cette épineuse mission. Le fiscal dirigea vers les abords de la prison trois compagnies de cavalerie, les seules qui fussent à La Haye ; puis, prenant avec lui quelques milices bourgeoises, il fut trouver les prisonniers, les dissuada de chercher à sortir tant que durerait l’effervescence du peuple, promettant, à cette condition, qu’ils ne courraient aucun danger. Ils convièrent le fiscal à se mettre à table avec eux ; tous trois dînèrent de fort bon appétit ; après quoi le bailli « se mit sur son lit, dans sa robe de chambre, » pendant que Jean prenait une Bible, dont il lut quelques chapitres. Pas une seule fois, de toute cette matinée, la sérénité des deux frères ne parut un instant troublée.
Quelques heures passèrent de la sorte. Vers les trois heures après midi, le bruit se répandit que les gens des faubourgs et les paysans des villages, surexcités par certains émissaires, se portaient en masse sur La Haye pour faire justice des traîtres et punir les bourgeois de leur criminelle inertie. Une vive panique se déclara ; l’on crut déjà voir la ville envahie, livrée au pillage. Les escadrons de cavalerie furent expédiés du côté des barrières, pour protéger les ponts-levis et barrer les issues ; et la garde de la prison passa aux mains de la milice bourgeoise. Cette milice se répartissait en quelques compagnies, qu’on distinguait selon la couleur du drapeau. La compagnie « du drapeau rouge, » comme pour la plus modérée, fut chargée d’assurer la sécurité des deux frères ; mais d’autres compagnies se rassemblèrent spontanément, notamment celle du « drapeau bleu, » commandée par des officiers de la faction du prince d’Orange. On ne sait quelle main mystérieuse fit, précisément à cette heure, distribuer à cette dernière troupe des rations abondantes de vin, d’eau-de-vie et de liqueurs, « dont elle n’avait cependant pas besoin pour augmenter une fureur déjà trop violente. » Echauffés par ces libations, surexcités par les discours de quelques forcenés, — notamment l’échevin Van Banchem, l’un des grands chefs du parti patriote, — les hommes du drapeau bleu marchèrent sur la prison, sommèrent la compagnie de garde de leur céder la place. Celle-ci tenta d’abord quelque semblant de résistance ; mais, à la fin, intimidée et « craignant les coups de mousquet, » elle lâcha pied, « fit un tour en arrière, » et laissa le champ libre à cette légion d’énergumènes.
Les chefs des assaillans, contens de ce succès, firent au premier moment quelques louables efforts pour modérer le zèle de leurs soldats, et les exhortèrent à conduire, sans coups et sans mauvais traitemens, les deux frères à l’Hôtel de Ville, jusqu’à l’heure où le prince d’Orange aurait décidé de leur sort. Mais que peuvent les discours sur une populace déchaînée ? Une grêle de balles leur répondit, qui troua, sans la renverser, la lourde porte de la geôle. Un maréchal-ferrant, s’emparant d’un marteau, fit sauter la serrure, commença de briser les gonds. Le geôlier, terrifié, acheva d’ouvrir la porte, et la bande, se précipitant, monta tumultueusement à la chambre des prisonniers. Ils les trouvèrent assis, calmes, et regardant en face ; Jean de Witt, en manteau de velours, tenait en main l’Ecriture sainte. Le maréchal-ferrant, son lourd marteau levé, se jeta sur Corneille, cherchant à l’assommer ; mais il heurta le bois de lit, et son poing laissa tomber l’arme. Un autre, avec une demi-pique, frappa le Grand-Pensionnaire à la tempe. La blessure fut légère, bien que le sang jaillît en abondance ; et Jean de Witt, se tournant vers son agresseur : « A quoi sert tout ceci ? lui dit-il en souriant. Nous sommes innocens ; conduisez-nous où vous voudrez, et nous faites examiner. »
Sur ces mots, les deux frères s’embrassèrent tendrement et se dirent le suprême adieu ; puis, au milieu des hurlemens, tous deux suivirent le flot qui les entraînait vers la rue, dans l’intention, leur disait-on, de les mener jusqu’à l’Hôtel de Ville. Comme ils descendaient l’escalier, un soldat prit une planche massive, la lança furieusement dans le dos du Grand-Pensionnaire, qui roula au bas des degrés. Il se releva cependant, nu-tête, ensanglanté, franchit le seuil de la prison, et fit quelques pas dans la rue. À ce moment, un notaire de la ville, du nom de Soanen, l’assaillit pique en main, et lui laboura le visage. Alors seulement il voulut fuir ; mais la foule, en se resserrant, lui ferma le passage. Un coup de crosse asséné sur la nuque le fit choir sur les genoux ; il eut la force encore de lever, les mains vers le ciel et de murmurer une prière ; quand un sieur van Valen le prit par les épaules, le coucha sur le sol, lui posa son pied sur le cou et, criant à pleine voix : « Voilà le scélérat qui a trahi sa patrie ! » l’acheva à bout portant d’une balle de mousquet dans l’oreille. Son frère, qui marchait derrière lui, subit aussitôt le même sort ; quelques arquebusades l’atteignirent dans les reins ; il s’abattit à terre, et des soldats lui défoncèrent le crâne avec la crosse de leurs mousquets. Cinq heures du soir sonnaient quand prit fin cette boucherie.
Lorsque, sur le pavé rougi, ils virent les frères étendus côte à côte, les miliciens du drapeau bleu s’approchèrent rapidement, se disposèrent en demi-cercle, tirent sur les corps gisans « une salve générale, » qui les eût « réduits en poussière, » si, de leurs mousquets mal chargés, « les balles ne fussent pour la plupart tombées avant qu’ils ne tirassent. » Ensuite ils s’en allèrent « fièrement, » abandonnant ces tristes restes « au divertissement de la canaille. » La scène qui s’ensuivit défie toute description. On dépouilla les deux cadavres, on se partagea leurs vétemens ; on les traîna nus, par les pieds, jusqu’au gibet de la prison, où on les hissa tête en bas, liés avec des mèches de mousquets. Un pasteur de la ville, du nom de Simonides, se « réjouissait les yeux » de ce spectacle : « Sont-ils assez haut, monsieur le ministre ? cria l’un des bourreaux. — Non, lui répliqua-t-il, pendez ce grand coquin encore un échelon plus haut ! » Alors seulement, dit-on, Corneille, le grand bailli, rendit le dernier soupir. La rage des scélérats n’en demeura pas là ; on leur ouvrit le ventre, on arracha le cœur et les entrailles, on coupa les pieds et les mains, qu’on vendit à l’encan, parmi les quolibets, depuis dix écus jusqu’à trente. La fille du Pensionnaire, attirée par les cris et par les rires joyeux, se mit à sa fenêtre afin d’en apprendre la cause, et fut frappée d’une telle horreur qu’elle en faillit mourir. La nuit seule mit un terme à ces profanations sauvages ; mais au délire du sang succéda le délire de joie. Le peuple des faubourgs se répandit dans les rues de la ville ; des salves de mousquet, se succédant sans intervalle, célébrèrent les exploits de cette glorieuse journée ; des feux clairs, qui flambaient dans les carrefours et sur les places, entretinrent la gaîté jusqu’à la pointe du jour. « On voit parmi la foule une si grande allégresse que ce n’est pas croyable, et c’est tout de même comme s’il y avait kermesse, » écrit cette nuit même à Pomponne un de ses agens à La Haye[28]. Profitant de l’inattention, les domestiques du Pensionnaire emportèrent les deux corps, qui furent, la nuit suivante, enterrés secrètement dans les caveaux de l’église Neuve.
Tandis que ces choses avaient lieu, le prince d’Orange se trouvait à Alfen, quartier général de l’armée. Il y reçut, le matin même du meurtre, un message des États l’informant qu’une émeute était sur le point d’éclater et réclamant sa présence à La Haye il s’abstint de répondre et resta dans son camp. Il était le soir à souper quand arriva la nouvelle du massacre. Parmi ses familiers, « il y eut de la presse à qui lui en donnerait le premier avis, comme d’une chose qu’on jugeait qui lui serait très agréable[29]. » Il pâlit cependant au récit de l’assassinat, témoigna quelque indignation, et promit de se rendre à La Haye le lendemain, pour y rétablir l’ordre et rechercher les meurtriers. Il y fut en effet ; mais, lorsque les États le prièrent de châtier les principaux coupables, il s’excusa froidement « sur ce que le nombre des complices paraissait trop considérable, » observant, au surplus, « que les humeurs étaient encore trop émues pour pouvoir être apaisées par de faibles remèdes, et que les caustiques n’étaient point de saison[30]. » Il fit mieux, car, un peu plus tard, il distribua des places et des honneurs au délateur du grand bailli et à tous ceux « qui s’étaient distingués dans le massacre des deux frères. » Si l’on veut apprécier quel fut son rôle en cette affaire, on peut s’en rapporter au langage que le prince tint lui-même à Gourville, qui, quelques jours après, l’interrogeait sur ce point délicat : « Il me répondit qu’il pouvait m’assurer qu’il n’avait donné aucun ordre pour les faire tuer, » mais que, ses amis étant venus, au commencement des troubles, demander ce qu’ils devaient faire, il s’était contenté « de les renvoyer à La Haye, » où l’on a vu comment ils interprétèrent son silence. « Au reste, ajouta Guillaume, avant appris cette mort sans y avoir contribué, je ne laissai point de m’en sentir un peu soulagé. »
Cette indulgence toutefois n’alla pas jusqu’à l’inaction. Tout en laissant dormir le glaive de la Justice, le stathouder ne tarda pas à faire sentir la vigueur de son bras. La victoire de l’émeute dans les rues de La Haye avait provoqué au début quelque fermentation dans les grands centres hollandais. « Le peuple, écrit un gazetier de ce temps, s’accoutume aisément au carnage ; il pourrait continuer cette sanglante tragédie sur les premiers qu’il choisira pour victimes de son courroux. » A Rotterdam, à Amsterdam, en d’autres villes encore, on dressait à la hâte des listes de suspects, et les honnêtes gens effrayés « ne faisaient point de façon de dire tout haut que personne, hormis la canaille, ne pouvait plus demeurer en sûreté en Hollande[31]… » Même des gens ajoutaient « qu’il ne fallait plus rien payer » de ce que demanderaient les États Généraux. Luxembourg, en mandant ces nouvelles à Louvois, paraît avoir songé à profiter du trouble des esprits et du désarroi général pour marcher sur la capitale et provoquer un soulèvement contre la faction orangiste : « Si, dans une conjoncture comme celle-ci, écrit-il, on osait quitter Utrecht, je trouverais des endroits par lesquels, malgré les inondations, je pourrais avancer assez près d’Amsterdam ; et peut-être ne m’y verrait-on point sans que cela y fit du remue-ménage. Mais, si nous ne devons rien craindre des principaux bourgeois, la populace, en revanche, est si pleine de mauvaise volonté, que je ne me hasarderais pas à être plus d’une nuit éloigné de cette ville. »
La fermeté du prince d’Orange dissipa promptement tous ces rêves. Quelques jours s’étaient à peine écoulés, qu’il tenait dans sa main la grande majorité des États Généraux. Des décrets rendus coup sur coup lui confiaient la mission de réorganiser les forces hollandaises, rassemblaient sur sa tête les droits essentiels du pouvoir ; et, comme par enchantement, sous cette direction énergique, le calme renaissait dans toute l’étendue du pays. « L’esprit d’union, écrit le chevalier Temple, se remit dans le corps de l’Etat, l’armée reprit cœur, et les princes étrangers commencèrent à prendre confiance. » De concessions, de pourparlers, il n’est plus question désormais dans les sphères officielles. Une résistante farouche à l’invasion, et la mort ou l’exil plutôt qu’une paix humiliante, c’est le mot d’ordre auquel se rallieront tous les bons Hollandais. « Leurs hommes d’Etat, dit Macaulay[32], discutèrent gravement de ces projets qu’inspire un généreux désespoir, et qui sont presque toujours suivis d’une lueur d’espérance. Ils parlèrent d’ouvrir toutes leurs digues, d’équiper leurs vaisseaux, de laisser leur pays s’ensevelir dans les flots de l’Océan, tandis qu’ils iraient porter dans une contrée lointaine leur foi calviniste et leurs vieilles libertés bataves, au milieu d’une végétation étrangère, dans les îles des Epices des mers de l’Orient. Tels étaient les desseins qu’ils avaient le courage de former. Il est rare que les hommes capables de les concevoir soient réduits à la nécessité de les réaliser. » L’âme ardente de Guillaume passa dans lame de tout un peuple. Un enthousiasme universel réveilla la Hollande de sa longue apathie, secoua son flegme héréditaire. Des appels enflammés désignèrent partout le jeune prince comme le sauveur de la Patrie, l’envoyé de la Providence. « C’est lui, dit une proclamation en tous lieux alors répandue, c’est lui qui, comme un autre Bellérophon, ruinera et détruira une autre Chimère, qui purgera le pays de ses monstres, et qui nous fera jouir tranquillement, à l’ombre de nos figuiers et de nos vignes, des agréables fruits des uns et des autres ! »
Les événemens qu’on vient de lire et les conditions mêmes de son accession au pouvoir mettaient Guillaume d’Orange dans la nécessité d’agir. Le mouvement populaire dont il était issu n’était, dans son essence, que l’explosion brutale d’un patriotisme exalté. Du stathouder, la République entière attendait le salut, l’expulsion des envahisseurs, et le triomphe de l’indépendance hollandaise. Toute déception du sentiment public l’exposait au même sort que les récentes victimes des dissensions civiles. L’obscur soupçon de trahison, si prompt à s’éveiller dans les âmes des vaincus, pesait sur lui comme une lourde menace. Un insuccès pouvait le perdre ; l’inaction le tuait à coup sûr. Luxembourg le comprit dès le premier moment, et sentit que son propre rôle, de politique et d’administratif, allait devenir à présent presque exclusivement militaire. Ses lettres à Louvois, à dater de ce jour, ne se lassent pas de dénoncer les « levées de boucliers » qu’il voit faire à ses adversaires, les préparatifs d’offensive qui enfièvrent leurs capitales, de signaler le nombre et la force des régimens qui s’organisent derrière l’infranchissable abri des régions inondées[33].
Une faute grave de Louvois facilitait au prince d’Orange cette dernière partie de sa tâche, lui mettait dans la main des atouts imprévus.- Une ordonnance royale, rendue sur l’avis du ministre, venait de renvoyer, au prix d’une rançon dérisoire, les prisonniers de guerre faits dans toutes les places de Hollande. Vingt-sept mille soldats, dit La Fare, les meilleurs de la République, furent ainsi restitués « pour deux écus la pièce. » Louis XIV lui-même, dans un écrit postérieur de sa main, reconnaît l’imprudence de cette mesure funeste : « Je dus me reprocher, dit-il[34], l’indulgence que j’avais eue pour près de vingt mille prisonniers de guerre en les renvoyant en Hollande, lesquels ont formé les principales forces que cette république a depuis employées contre moi. » Ce contingent inespéré constitue, en effet, pour le jeune stathouder, le noyau essentiel de sa nouvelle armée, celle qu’il prépare contre la garnison d’Utrecht. Toutes les chances favorables semblent se rassembler pour lui. La rigueur précoce de l’automne aide puissamment l’organisation de ses forces, en empêchant son adversaire de le troubler dans sa besogne. De mémoire d’homme, on n’avait souvenir en Hollande d’une saison aussi détestable que le mois de septembre de l’année 1672. « La pluie, dit Luxembourg, duré sans discontinuer. Ce n’est pas qu’il fît beau auparavant ; mais nous avions une heure de pluie, et il était une heure sans pleuvoir. A présent elle tombe comme si on la versait à seaux, et je vous assure qu’il faudrait être de fer pour y résister ! » La plupart des digues sont rompues ; toutes les routes sont impraticables ; l’on ne saurait songer, écrit encore le duc, « à moins de devenir canard, à s’aventurer hors des places, » où les troupes et leur général s’impatientent également de cette réclusion prolongée.
Le grand effort de Luxembourg, au cours de cette période, — effort d’ailleurs sans résultat, — tend à obtenir de Louvois une augmentation d’effectif, surtout en infanterie, pour pouvoir essayer, à la première occasion, « quelque action de vigueur qui détruirait l’espérance des ennemis ; » car, ajoute-t-il, « un petit succès favorable est capable de bouleverser toute la Hollande. » Tout compte fait, il n’a guère qu’une vingtaine de mille hommes, dont les deux tiers sont employés à tenir garnison dans les différentes places. Du moins, cette faible année, Luxembourg le proclame hautement, est-elle brave, bien pourvue de tout, « ne respirant que le combat ; » et, si « c’est peu pour entreprendre, » en revanche il ne craint guère que l’on se risque à l’attaquer : « On m’assure que le prince d’Orange veut faire quelque chose contre moi. Je ne vois pas qu’il pense à quoi que ce soit qui lui soit bien facile ; car, pour Utrecht, j’en réponds, et je voudrais qu’il y marchât. »
Pour commander ces troupes, il a sous lui quelques officiers vigoureux, dont il fait plus d’une fois l’éloge dans sa correspondance. Ses principaux lieutenans sont, avec Stoppa et Chamlay, le comte de la Marck, excellent homme de guerre, plein d’énergie et de ténacité ; le marquis de Genlis, intelligent et brave, par malheur insouciant, paresseux, d’une probité suspecte : « Les troupes, dit l’intendant Robert, sont persuadées qu’il n’est pas ennemi du désordre, afin d’en profiter. » Parmi les colonels, il faut citer Tallart[35], qui, par la suite, fut maréchal de France, « le plus joli garçon que je connaisse, dit de lui Luxembourg, quand il a une fois l’épée à la main, » Tallart que Saint-Simon dépeint d’une plume moins bienveillante : « C’était un homme de médiocre taille, avec des yeux un peu jaloux, mais qui représentait l’ambition, l’envie et l’avarice ; beaucoup d’esprit et de grâce dans l’esprit, mais sans cesse battu du diable par son ambition, ses vues, ses menées, ses détours… Qui que ce soit ne se fiait à lui, et tout le monde se plaisait à sa compagnie. »
Il convient de joindre à ces noms celui d’Ezéchiel de Mélac[36], aventurier d’une audace intrépide, merveilleux pour un coup de main, toujours prêt aux plus dures et aux plus périlleuses besognes, d’ailleurs soudard cynique et débauché, ne croyant « à Dieu ni à diable, » aimant à faire parade de sa brutalité. « Sa fantaisie, assure Villars, était de paraître toujours furieux, et de coucher avec deux grands loups, pour se donner mieux l’air de férocité. » Aussi Mélac, en peu de temps, était-il devenu « l’effroi des peuples de Hollande. » Enfin gardons-nous d’oublier un humble et précieux auxiliaire, le frère Ange, capucin, chargé du service de santé, « un bon homme, écrit Luxembourg, qui est ravi d’assister ici tout le monde, et qui nous guérit toute l’armée. Il est tout seul pour les officiers ce que l’hôpital est pour les soldats. Ses Pères de Paris et les pratiques qu’il y a veulent qu’il y retourne ; mais, pour moi, je n’y consentirai jamais[37]. »
L’état-major de l’armée de Hollande s’enrichit, à la fin d’août, d’une recrue qu’on n’attendait pas, et qui rendit bientôt les plus utiles services. Aux avis, aux indications de ce nouveau venu Luxembourg fut en partie redevable du succès éclatant de ses premières opérations ; et le rôle de ce personnage, — non moins que ses singulières aventures, — doit lui valoir, en bonne justice, mieux qu’une brève mention en passant.
« L’on a dit ici, écrivait le 13 août Louvois à Luxembourg[38], que le sieur de Montbas s’était sauvé, et qu’il avait été plusieurs jours à Utrecht, bien accueilli de tout le monde ; à quoi le Roi a trouvé un peu à redire ; et Sa Majesté m’a ordonné de vous mander qu’en cas que cela soit, vous l’en fassiez promptement sortir, et de toute l’étendue de votre commandement. » À cette réprimande du ministre, le duc réplique en se défendant de son mieux : « Il est vrai que M. de Montbas vint ici, où il n’a couché qu’une nuit. Il me fit demander escorte par son neveu, me faisant dire qu’il allait donner des avis importans ; et d’ailleurs je voyais que c’était un Français condamné pour avoir eu, à ce qu’on disait, intelligence avec nous… Tout cela fit que je ne jugeai pas devoir le faire arrêter, de peur que d’autres Français n’osassent revenir[39]. » Avec ces lignes se croisait une seconde lettre de Louvois : « Je vous ai mandé que le Roi n’avait pas trouvé bon que vous eussiez souffert M. de Montbas à Utrecht. Présentement j’ai eu ordre de Sa Majesté de lui faire écrire qu’Elle lui pardonnera, pourvu qu’il se rende près de vous, et qu’il vous assiste de toutes les lumières qu’il peut avoir, tant pour incommoder les ennemis dans leurs postes que pour semer de la division parmi eux. Vous vivrez donc sur ce pied-là avec lui, sans avoir égard à ce que je vous ai écrit par le dernier ordinaire. »
L’objet de ce débat se nommait Jean Barthon, vicomte de Montbas, bon gentilhomme de la Haute-Marche, dont le père, — ou un parent proche, — s’était jadis distingué à Rocroi. Un duel retentissant, où succomba son adversaire, l’avait dès sa jeunesse obligé de sortir de France. Il se réfugia à La Haye, prit du service dans l’armée hollandaise, épousa peu après la fille du célèbre Grotius, et, grâce à cette alliance non moins qu’à sa bravoure, s’éleva en peu de temps au grade de « commissaire général des armées, » la troisième dignité militaire de la République. C’est en cette qualité qu’il fut, dans le début de la campagne, chargé de la défense du Rhin. Sa conduite en cette occurrence fut, il faut en convenir, passablement suspecte. Fut-il trompé, comme l’écrit Louis XIV, par la feinte habile de Condé ? Obéit-il, comme il l’assure lui-même, aux injonctions du prince d’Orange, alors capitaine général ? Ou doit-on croire qu’il se sentit, à la dernière minute, touché par quelque obscur remords de répandre le sang de ses compatriotes ? Le fait certain est qu’à Tolhuys, Condé ne trouva devant soi que quelques poignées d’hommes pour lui disputer le passage, et que, la veille de l’engagement, — prévoyant, dit-il, le désastre, — Montbas résigna ses fonctions et planta là son commandement, laissant à Wirtz, son successeur, le soin de se tirer d’affaire. Guillaume, qui détestait en lui le partisan du Pensionnaire, ne manqua donc point de prétexte pour l’accuser de trahison. Arrêté peu après, Montbas fut conduit à Utrecht, où les armées du Roi n’avaient pas encore pénétré. « Tout le peuple, écrit-il[40], se rassembla autour de mon logis ; on l’excitait contre moi, et chacun se disputait l’honneur de me donner le premier coup. C’est un miracle que je ne fus pas déchiré en mille pièces ! » Quelques amis l’arrachèrent à la mort : on le cacha « dans un chariot de foin ; » on le ramena au camp du prince d’Orange, où, pendant six semaines, il demeura « captif sans être interrogé. » Enfin, dans les derniers jours de juillet, on lui communiqua les chefs d’accusation, « au nombre ; de cent soixante-dix-sept, » en lui accordant « vingt-quatre heures pour préparer sa défense. » La sentence du conseil de guerre fut rendue le lendemain ; elle condamnait Montbas à la « déchéance de ses charges et au bannissement perpétuel ; » mais le stathouder, mécontent, cassa l’arrêt des juges et, de sa propre autorité, changea la peine en quinze ans de prison.
C’est alors que Montbas, poussé à bout, dit-il, par un tel excès d’injustice, résolut de s’enfuir et de s’en retourner vers son ancienne patrie. Un « quartier-maître, » gagné par lui, aida son entreprise et lui livra le mot de guet[41]. Il traversa le camp la nuit, « un emplâtre sur le visage, » sans que personne le reconnût, franchit, au péril de sa vie, la zone des terrains inondés, se rendit d’abord à Cologne, puis bientôt à Utrecht, où il demanda protection au duc de Luxembourg. Chemin faisant, il envoyait un mémoire au prince de Condé, pour lui raconter son histoire ; cette pièce, transmise à Louvois, amena le revirement que l’on a vu plus haut ; et le transfuge, accueilli de bonne grâce, fixa bientôt sa résidence au quartier général français. Pourtant il hésitait encore à prendre ouvertement les armes. Les violences du prince d’Orange levèrent ses derniers doutes : « M. de Montbas vient de revenir, mande le 23 septembre Luxembourg à Louvois. Son arrivée ici a mis les ennemis dans une telle rage contre lui qu’ils lui ont repris tout son bien et l’ont fait vendre à vil prix, et sont sur le point de le faire afficher dans un petit tableau, comme un malfaiteur… Sa femme est à l’extrémité, et, si elle meurt, il n’a plus un sol. Ils appréhendent que, servant Sa Majesté, il ne leur nuise dans bien des choses, et ils ont raison. » Quand il vit, en effet, sa fortune confisquée, son équipage « pillé, » sa tête mise à prix, ses domestiques emprisonnés, soumis à la question, maltraités de façon barbare ; quand le « cartel » qu’il fit parvenir à ses juges fut renvoyé à Luxembourg avec une suscription « écrite par la main du bourreau[42], » Montbas, exaspéré, ne garda plus de ménagemens. Il offrit de rentrer au service de la France, de faire profiter Luxembourg de sa connaissance du pays, de sa longue expérience des chefs de l’armée hollandaise. L’offre fut acceptée ; Montbas, admis au « conseil de l’armée, » prit rang parmi l’état-major ; et l’événement ne tarda guère à justifier cette confiance audacieuse.
« Les troupes que j’avais laissées en Hollande, dit Louis XIV dans le mémoire que j’ai déjà cité, désiraient ardemment de faire quelque action remarquable. Les généraux qui les commandaient en avaient encore plus d’envie ; mais il fallait que le temps leur fût favorable, et, pendant cette saison, il ne gela que peu de jours… » Aux premiers jours d’octobre, les pluies s’interrompirent un peu, et l’on sentit de part et d’autre que l’heure de l’action était proche. « Il ne s’est encore rien passé depuis hier, écrit le 7 octobre Luxembourg à Louvois, les ennemis n’ayant fait nul mouvement. Cependant mes avis sont que leurs préparatifs ne font que croître et embellir ; et l’évêque d’ici, homme très bien intentionné, m’assure qu’ils ont à Muyden plus de trente mille hommes. Un de nos tambours en revint hier, à qui un paysan donna un billet, qui contenait qu’ils en veulent à Campen et que Naerden était une trop grande entreprise, J’ai pourvu à l’un et à l’autre, comme vous savez, et je soupçonne que ce billet fut donné par les ennemis eux-mêmes. »
Le soir du jour où il traçait ces lignes, le général français eut nouvelle que le prince d’Orange, ayant quitté son camp de Bodegrave, avait marché, au nord d’Utrecht, dans la direction de Vesep, et s’était établi entre ce bourg et la ville de Naerden, dans une position forte, « derrière un grand canal. » Il avait avec lui une quinzaine de mille hommes, l’élite des vieilles troupes hollandaises, et menaçait de là plusieurs villes importantes, Bommel, Naerden, Woerden et le fort de Crèvecœur, sans que l’on pût encore pénétrer son dessein. L’idée première de Luxembourg fut qu’il en voulait à Naerden, la plus grosse de ces places, située au bord du Zuyderzée, à proximité d’Amsterdam, tombée aux mains du Roi dès l’ouverture de la campagne, et dont la garnison française incommodait fort nos ennemis. Déjà, huit jours plutôt, Guillaume avait fait mine d’attaquer la ville de Naerden « par terre et par mer en même temps[43] ; » mais, — le vent ayant fait défaut, et Luxembourg, mis en éveil, ayant expédié dans la ville quelques bataillons de renfort avec du canon et des vivres, — les « troupes de terre » n’osèrent point se risquer à pousser plus loin l’aventure. L’on était donc fondé à croire que l’opiniâtre stathouder, avec des ressources nouvelles, se disposait une seconde fois à tenter la même entreprise.
Au camp français, le parti fut vite pris. Dans la nuit même, à deux heures du matin, avec quatre mille hommes de pied et quelques escadrons, Luxembourg était hors d’Utrecht, et s’avançait avec rapidité dans la direction de l’ennemi. A l’aube du jour, il était à S’Graveland, gros village auquel aboutit une digue étroite et longue, seul chemin qui permît d’accéder à la plaine. En occupant ce défilé, il barrait la route de Naerden et contraignait Guillaume à forcer le passage. Le mouvement fut si brusque et si vivement exécuté, qu’il surprit l’armée hollandaise. Leurs avant-postes reculèrent en désordre ; nos grenadiers dans leur élan, franchirent les premières palissades et tirent un assez grand carnage[44]. Il fallut, pour les arrêter, l’ordre formel de Luxembourg : « Je n’aime point les demi-affaires, écrit-il ; et, quand c’en est une de cette nature, je ne veux point faire tuer pour rien quelques pauvres diables. Aussi leur avais-je bien dit de ne point s’engager. Mais je fus pourtant bien aise de voir la vigueur de nos gens, qui allèrent à merveille. » L’après-midi du 9 et la journée du 10 furent employées à fortifier nos positions, à étudier celles de nos adversaires, besogne mal commode, ainsi que l’explique Luxembourg : « Je vous écris de fort près des ennemis, mande-t-il à l’intendant Robert[45], sans pouvoir vous en dire des nouvelles. C’est une chose assez bizarre que celle-là, mais à laquelle il n’y a pas de notre faute ; car, par la situation du pays, il est impossible que nous puissions prendre des prisonniers : et vous le jugerez aisément quand vous saurez que ce pays dont je vous parle est inondé, que je suis posté dans la plaine, à la tête des digues par où ils peuvent venir à moi, et sur lesquelles ils ont de bonnes palissades, de distance en distance, plantées en sorte que, chassés de l’une, les coquins se retirent à l’autre, sans pouvoir être coupés par la droite ni par la gauche à cause des canaux… »
Dans la soirée du 10, on entendit une forte canonnade, qui paraissait venir de très loin, sur la gauche. Des hommes qu’on fit monter au plus haut clocher du pays virent des fumées s’élever dans la direction de Woerden, et l’on reconnut en même temps le canon de la garnison, tirant à des intervalles réguliers, comme il était convenu pour donner le signal d’alarme. Voyant qu’il avait pris le change, Luxembourg, sur l’heure même, — laissant l’armée dans ses quartiers, — partit seul, « en poste, » pour Utrecht, où l’attendaient de graves nouvelles.
Le prince d’Orange en effet, — soit par une feinte préméditée, soit, comme il est plus vraisemblable, qu’il eût jugé trop hasardeux de continuer son chemin sur Naerden, — s’était dérobé subitement, abandonnant derrière ses palissades quelques compagnies d’infanterie pour masquer sa retraite ; puis, avec le gros de ses forces, — environ 14 000 hommes, — il s’était jeté sur Woerden, qu’il espérait enlever par ce coup de surprise. Cette place, dit un témoin du temps, « était de grande conséquence aux deux partis ; car elle couvrait Utrecht, et donnait une entrée facile au cœur de la Hollande, dès que les glaces rendraient le pays praticable[46]. » Luxembourg en avait promptement reconnu l’importance ; il venait de s’en emparer quelques semaines auparavant par une pointe audacieuse, à la « consternation » des gens de Leyde et de La Haye, qui voyaient autour d’eux se serrer le blocus. La ville prise, il y mit 2 000 hommes, sous un gouverneur énergique, le comte de la Marck, et commanda qu’on la couvrit par quelques ouvrages de défense. Les travaux, par malheur, se commençaient à peine ; il semblait difficile que, vigoureusement attaquée, la garnison, malgré sa vaillance, pût tenir « plus de vingt-quatre heures. » Mais, s’il était urgent de secourir Woerden, l’entreprise était malaisée. Les abords de la ville, entièrement inondés, offraient l’aspect « d’une vaste mer ; » et l’on n’y pouvait accéder que par l’unique moyen des digues, hérissées par l’ennemi de retranchemens, de palissades, qu’il fallait emporter avant d’approcher de la place.
Voilà ce qu’apprit Luxembourg en débarquant, le 11 au matin, à Utrecht. La promptitude de décision et le sang-froid dans le danger, qui furent toujours ses qualités maîtresses, n’éclatèrent jamais plus vivement qu’en cette extrémité. Il mande le marquis de Genlis, le seul officier général qu’il eût à cette heure sous la main, lui donne ordre de rassembler tous les bataillons d’hommes de pied demeurés à Utrecht, et toute la cavalerie, — sauf quelques escadrons nécessaires pour garder la ville, — et, sans perdre un moment, de se porter sur Harmelen, village situé sur la chaussée d’Utrecht à une lieue de Woerden, où il lui fixe rendez-vous. Ces mesures prises, il repart « à toute bride » pour le camp de S’Graveland ; il y ramasse son infanterie, quelques centaines de cavaliers, en tout moins de 4 000 hommes ; puis, à marches forcées, sur un sol détrempé, glissant, marécageux, il se dirige sur Harmelen. Chemin faisant, il fait allumer des fanaux et sonner les cloches des villages, pour avertir La Marck qu’on arrivait à son secours. Sa diligence fut telle qu’il fut au rendez-vous avant la nuit tombée, et qu’il eut le loisir, aux derniers feux du jour, de reconnaître de ses yeux les retranchemens de la digue du Vieux-Rhin, qu’il jugea « difficiles à emporter de front. » Il fit donner quelque repos aux troupes, attendant pour agir la venue du corps de Genlis.
La nuit vint, les heures s’écoulèrent, sans qu’on vît rien paraître et qu’on reçût aucune nouvelle. L’impatience de Luxembourg, son exaspération fiévreuse, croissaient de minute en minute, s’échappaient, écrit un témoin, en « imprécations violentes. » Chaque instant perdu en effet rendait l’aventure plus douteuse, en permettant au stathouder de se fortifier davantage et de retrancher ses avenues, sans compter que le jour, révélant à l’ennemi le petit nombre de nos troupes, augmenterait sa confiance et redoublerait son ardeur. Ces heures d’attente furent employées à s’informer de façon plus précise des positions de l’année assiégeante. On sut par les espions qu’elle était partagée en trois corps inégaux, le premier commandé par Guillaume d’Orange en personne, le second par le comte de Horn, le général de l’artillerie hollandaise ; le troisième, — et le plus nombreux, puisqu’il comprenait 8000 hommes, — avait pour chef le prince Frédéric de Nassau, plus connu sous le nom de M. de Zuylestein, « oncle naturel de Guillaume, » le meilleur, disait-on, des généraux de la République.
Genlis tardant toujours, Luxembourg réunit quelques officiers en conseil. Il leur exposa son dessein de marcher quand même sur Woerden et d’attaquer un des quartiers avec sa faible armée. Quelque nombreux, dit-il, que fussent ses adversaires, ils ne pourraient, sur une étroite chaussée, leur opposer un front plus large que le sien ; la valeur des soldats compenserait à coup sûr l’infériorité numérique ; il y allait d’ailleurs « du salut de la ville et de la gloire du Roi. » Tous applaudirent à ce discours. Le vicomte de Montbas, qu’on avait appelé au conseil, fit valoir l’avantage de commencer l’attaque « par le quartier du sieur de Zuylestein, » le plus proche des trois, le plus fort également et le mieux retranché, mais qui, une fois tombé, entraînerait la chute des deux autres. Zuylestein étant l’un des juges qui venaient récemment de condamner Montbas, d’aucuns, dans cet avis, soupçonnèrent une vengeance. Luxembourg s’y rangea pourtant sans s’arrêter à cette pensée et, sa décision arrêtée, prit ses dispositions en tacticien habile.
Le quartier désigné s’étendait au nord de Woerden. Une chaussée droite et praticable y conduisait du village d’Harmelen, route naturelle pour tout « secours » envoyé des parages d’Utrecht. Zuylestein y avait pourvu « en homme qui entend son métier. » D’épais remparts de terres, des palissades serrées, des épaulemens bien garnis d’artillerie, en rendaient l’accès « formidable. » Une seconde digue, plus basse et plus étroite, partant du village de Camerick, formait angle avec la première et aboutissait au même lieu. Mais à celle-là on n’accédait qu’en traversant, l’espace de plusieurs milles, de vastes prairies inondées qui semblaient opposer un obstacle invincible. Ce fut pourtant par cet endroit que Luxembourg prit le parti de porter son attaque, espérant, dit-il, que l’ennemi « ne serait pas autant fortifié de ce côté-là que du côté d’Utrecht. » Il envoya sonder l’inondation d’Harmelen à Camerick. Mélac, chargé de ce soin, rapporta qu’il trouvait « environ deux pieds d’eau, » dont quelques watergans[47], semés de place en place, doublaient la profondeur. L’infanterie néanmoins, en se mettant dans l’eau jusqu’à mi-corps et en passant les fossés sur des « claies, » pourrait, ajouta-t-il, risquer la tentative ; mais pour la cavalerie, on n’y pouvait songer. Montbas, vieux routier du pays, confirma les dires de Mélac. Le général, sur ces rapports, partagea sa petite armée en deux corps inégaux. La cavalerie, soutenue par quelques hommes de pied, fut expédiée sur la grande chaussée d’Harmelen, « tambours battans, les mèches des mousquets allumées, » pour amuser l’ennemi, le tenir en haleine, distraire son attention de l’attaque véritable effectuée par le flanc. Puis, avec 3 000 fantassins, il se jette dans l’inondation, marchant lui-même à pied, en tête et l’épée haute, dans le grand silence de la nuit, parmi les eaux noires et profondes, courant à travers les obstacles avec une sorte de furie. Minuit avait sonné quand ils furent au bourg de Camerick, où rien jusqu’à cette heure n’avait révélé leur approche.
Une circonstance heureuse maintint jusqu’au dernier moment la sécurité de l’ennemi. Les premiers qui virent Luxembourg le prirent pour le comte de Horn, allant joindre le prince d’Orange. Il profita de la méprise, fit appeler le pasteur du bourg, l’assura qu’il venait « pour aider à prendre Woerden et chasser ensuite les Français de Hollande ; mais que, pour mieux y réussir, il était nécessaire de lui enseigner un chemin sûr pour se rendre sans bruit au quartier de M. de Zuylestein[48]. » La ruse eut plein succès : « Le ministre et son troupeau, poursuit le récit de Saveuse, s’employèrent avec un empressement extrême à nous témoigner leur affection pour M. le prince d’Orange, recommandant sur toutes choses que l’on coupât la tête à tous les Français, et ils insistèrent sur ce qu’il fallait bien prendre ses mesures, car ils étaient des gens très difficiles à battre. » Ils décrivirent avec sollicitude l’exacte position du quartier de M. de Zuylestein, l’emplacement de ses troupes et la nature de ses défenses, ajoutant qu’il avait omis de détruire le pont du village et que, par cet oubli, le canal de Camerick pourrait être franchi sans peine.
Pendant deux heures encore, on attendit vainement le marquis de Genlis. L’aurore était près de pointer quand, ne pouvant différer plus longtemps, le duc donna le signal de l’attaque. Le plus proche obstacle à forcer était une sorte de redoute érigée autour d’un moulin, poste solide, muni de troupes et de canons. Le régiment de Navarre fut désigné pour cette besogne. Luxembourg se mit à sa tête et « sauta le premier dans l’eau ; » mais il fit un faux pas, disparut sous la nappe liquide ; un instant on le crut noyé. Un « cri furieux » s’éleva dans les rangs des soldats, un cri contre Montbas, que tous voyaient avec méfiance et que l’on accusait déjà d’avoir voulu, par trahison, faire périr un chef populaire. Il fallut que le duc, lestement sorti du danger, fit éloigner en hâte l’objet d’un injuste soupçon, l’envoyant en arrière chercher des nouvelles de Genlis. Au reste, l’incident ne fit qu’animer davantage l’ardeur extraordinaire des troupes. Leur élan les porta d’un bond jusqu’au pied même de la redoute qu’ils escaladèrent en courant. Les défenseurs, surpris, se virent débordés de toutes parts, sans avoir eu le temps « d’allumer même les mèches de leurs mousquets. » Leur résistance fut courte ; beaucoup furent massacrés ; bon nombre se noyèrent ; d’autres se rendirent prisonniers.
Le malheur fut que les vainqueurs, sans que leurs officiers eussent pu les retenir, missent le feu au moulin perché au haut de la redoute. La nuit étant encore obscure, ils prétendaient par ce moyen découvrir la fuite de l’ennemi, lui couper la retraite et pousser leur victoire[49]. Cette imprudence leur coûta cher. Tandis que Luxembourg, après le succès de l’assaut, amenait sur le lieu du combat les troupes, de seconde ligne, la lueur de l’incendie, se propageant au loin, avertit Zuylestein, jusqu’alors incertain, du point précis de l’attaque. Il s’y porta vivement, posta son infanterie dans les maisons crénelées, derrière les haies touffues, les retranchemens improvisés ; sept canons, chargés à mitraille, dirigèrent leur feu convergent sur le gros des forces françaises ; une grêle de projectiles s’abattit dans nos rangs, y traça des trouées sanglantes. « Les ennemis, écrit un témoin, à la grande lumière du feu du moulin, réglaient leur tir comme il leur plaisait, sans pouvoir être vus eux-mêmes. » Nos hommes, fatigués par leur course, trempés d’eau et de bouc, beaucoup ayant « leurs poudres et leurs mèches mouillées, et leurs mousquets par suite hors d’état de servir, » s’arrêtèrent hésitans, prêts à se replier ; et déjà paraissaient des signes de désordre. Il y eut là quelques momens terriblement critiques ; et « si le duc de Luxembourg, lit-on dans une des relations, ne fût alors survenu, il y avait grande apparence que toutes choses allaient mal tourner pour nous. » La vigilance du général en chef, son activité prodigieuse et sa fougue entraînante sauvèrent la partie compromise. Informé de ce qui se passe, il accourt ; et, dès qu’on le voit, « les plus rebutés reprennent cœur ; » il rallie ses soldats « dans l’eau, » prend la tête du mouvement, les jette, sous une mousquetade incessante, vers un hameau, « dont les maisons étaient percées et remplies de soldats, avec un fossé par devant et du monde rangé en haie d’un côté et de l’autre. » Ce fut, écrit Feuquières, présent à cette action, le plus rude combat d’infanterie que j’aie jamais vu. » — « La vigueur de cette attaque, témoigne un autre spectateur[50], passe l’imagination ; et, de bonne foi, l’on ne peut rien faire de plus beau à la guerre ! » La charge emporta tout ; l’ennemi, chassé de poste en poste, se replia derrière sa troisième ligne de défense, abandonnant ses sept pièces de canon, que Luxembourg lit aussitôt pointer contre leurs anciens possesseurs. Ce fait d’armes glorieux fut payé d’un haut prix. Les vainqueurs y laissèrent plus d’un quart de leur effectif, dont le comte de Meilly, le colonel du régiment de Normandie. Blessé dangereusement à la cuisse, et gisant à terre dans son sang, il défendait qu’on l’emportât, excitait encore ses soldats de la voix et du geste. « Il faut dire le vrai que c’est un homme très ferme, écrira quelques jours plus tard Luxembourg à Louvois, et qui, quand il faut agir, répare bien ce qu’on trouve d’ennuyeux quand il parle[51]. »
Les assiégés, de leur côté, ne demeuraient pas inactifs ; et le comte de la Marck, gouverneur de Woerden, secondait puissamment ceux qui marchaient à son secours. Dès que la fusillade se rapprocha des murs, il fit sortir « 400 hommes avec six capitaines » et les lança vigoureusement sur le quartier du comte de Horn. Etant un contre dix, ils ne purent forcer le « logement, » et, après un rude engagement — où des six officiers cinq furent tués sur la place — ils durent rentrer dans l’enceinte de la ville. Cette diversion servit toutefois à détourner le comte de Horn d’assister son collègue, et le retint dans son quartier. Dans le même temps, les quelques bataillons laissés à Harmelen assaillaient par le front les retranchemens de Zuylestein, que Luxembourg attaquait par le flanc. Et l’ennemi, pressé de tous les côtés à la fois, commençait à perdre la tête.
Au débouché des digues qui aboutissaient à Woerden, et non loin des remparts, s’élevaient deux forts de terre d’assez belle apparence, disposés de façon « à se soutenir l’un l’autre. » C’est là que Zuylestein, voyant ses retranchemens forcés, massa le reste de ses hommes, pour opposer une suprême résistance. Il les fit « fermer de toutes parts, » de manière que ses gens, privés d’issue pour fuir, fussent « contraints de les bien défendre. » Il parut, du côté français, quelque embarras sur l’opportunité de tenter un nouvel assaut. Les officiers des divers régimens, mêlés et confondus ensemble, dans le désordre inévitable qui suit un long combat de nuit, se consultaient entre eux et n’osaient ordonner l’attaque. Harassés de leurs longs efforts, les soldats montraient leurs mousquets dont la plupart étaient hors de service, et demandaient un moment de répit. Cette fois encore, pour les ramener au feu, il fallut l’ascendant et l’exemple de Luxembourg, la promesse qu’il leur fît d’une prompte et décisive victoire. Il divisa ses troupes en deux, fit assaillir l’un et l’autre ouvrage en même temps, sans canon, sans mousquets, « sans autre arme que les épées. » Cette audace réussit. En quelques minutes de combat, les forts furent emportés, leurs défenseurs mis en déroute ; 400 y furent tués ; d’autres noyés dans le canal ; 500 faits prisonniers, parmi lesquels deux colonels et beaucoup d’officiers. M. de Zuylestein fut au nombre des morts. Après une défense opiniâtre, il se rendait à M. de Saveuse, quand « un soldat, qui avait moins de clémence, s’avisa de le tuer entre ses mains[52]. »
La bravoure de nos gens, dans cette dernière action, tint vraiment « du miracle ; » Luxembourg leur rend cet hommage, appuyant ce jugement par de nombreux traits d’héroïsme. C’est « le nommé Desalles, capitaine de Navarre, » qui, le corps traversé de deux halles de mousquet, refuse de s’aller faire panser et « est tué tout roide d’une troisième. » C’est Deslandes, lieutenant de dragons, qui, blessé grièvement, « se jette à genoux dans l’eau, » suppliant Luxembourg de lui permettre, avec trente hommes, de poursuivre l’ennemi jusque dans les faubourgs de la ville. C’est un capitaine suisse qui se tient fort longtemps tout seul « à la bouche d’un canon ennemi, » en « chamaillant contre les canonniers » pour les empêcher d’approcher ; mais le feu est mis à la pièce, et le brave homme est foudroyé. Bref, conclut le rapport, après mille récits de ce genre, « il n’en est pas un seul qui n’ait fait son devoir le mieux du monde. »
Il était sept heures du matin quand tomba le dernier obstacle. Depuis la veille au soir, les troupes avaient marché sans repos ni relâche, le plus souvent dans l’eau. Elles se battaient depuis deux heures de nuit. Luxembourg, néanmoins, dit la relation de Saveuse, « poussa encore les ennemis jusque dans le faubourg de Woerden, où ils avaient des chevaux de frise qui empêchèrent de jeter du monde dans la place ; et, les ayant voulu forcer, il trouva les soldats absolument rebutés, mouillés depuis les pieds jusqu’à la tête, et les officiers tellement occupés soit à faire des prisonniers, soit à garder les postes que l’on venait de prendre, — tous les autres étant tués ou blessés, — qu’en ayant demandé vingt pour le suivre aux ennemis, il n’en put jamais assembler que cinq ou six, ce qui le fit résoudre d’attendre que M. de Genlis arrivât avec ses troupes fraîches. » Luxembourg fut encore trois heures dans cette expectative, ressentant « une mortelle angoisse de ce retardement. » Après quoi, impatient de débloquer la ville, il lit mettre le feu aux maisons du faubourg, pointa contre les lignes hollandaises les canons qu’on venait de prendre, et reprit la marche en avant, tandis que le comte de la Marck opérait une sortie avec la garnison. Ils n’éprouvèrent, cette fois, aucune espèce de résistance. Dès qu’il se vit placé « entre le feu de la ville et le nôtre, » — et craignant, au surplus, de voir survenir tout à coup le corps demeuré en arrière, — le prince d’Orange, à dix heures du matin, prit le parti de lever ses quartiers, et se retira rapidement avec le comte de Horn dans la direction de Bodegrave, laissant comme gage de sa défaite neuf canons, trente drapeaux, cinq cents hommes prisonniers, plus de deux mille morts ou blessés. La lassitude des troupes françaises, — « harassées et recrues, dit M. de Saveuse, et hors d’état de combattre davantage, » — ne permit pas de le poursuivre et de changer son échec en déroute. Luxembourg, dans une lettre intime adressée à Condé, laisse percer le chagrin qu’il eut de cet arrêt dans la victoire : « Si M. de Genlis avait suivi mes ordres par écrit, je battais sûrement le comte de Horn, et je ne sais ce qui serait arrivé de M. le prince d’Orange, qui faisait des contenances à se faire battre, n’ayant pas l’esprit de prendre aucun parti, se retirant pourtant et rompant les ponts derrière lui, et puis faisant mine de s’en retourner vers nous, et laissant ses troupes les unes sur les autres… Je n’aime pas à faire de manifestes contre personne, et j’ai promis à Genlis de ne me point plaindre de lui ; mais je ne lui suis pas garant de la voix publique, ni de ce que dit toute l’armée[53]. »
Vers midi, Luxembourg fit son entrée dans la ville de Woerden, reçu « avec des applaudissemens incroyables de toute la garnison. » Le siège avait duré quarante-huit heures à peine ; une journée de retard, et la place « battait la chamade. » Dans le cours de l’après-midi, on vit venir un gros détachement d’infanterie. C’était le renfort de Genlis qui arrivait six heures après la fin de la bataille, ayant mis vingt-quatre heures à parcourir le même trajet que Luxembourg et ses soldats avaient fait en une seule soirée. En vain Genlis allégua-t-il le mauvais état des chemins, l’inondation, les fossés pleins de boue ; l’opinion refusa de se payer de ces raisons, et l’armée tout entière accusa sa mollesse d’avoir fait avorter les meilleurs fruits d’une si glorieuse victoire. Luxembourg cependant, fidèle à sa parole, s’abstint de le charger dans son rapport au Roi ; mais Robert et Stoppa ne gardèrent point cette même réserve ; et Genlis, quelque temps après, fut destitué de son emploi et rappelé à Paris, où il resta près d’un an en disgrâce. « Je sais l’exil de Genlis, écrit le comte de Bussy-Rabutin ; et j’y prends la même part que je crois qu’il a prise au mien ; c’est-à-dire que j’en suis bien aise[54] ! »
Luxembourg, le lendemain, envoya vers le Roi, pour lui rendre compte de l’affaire, son aide de camp le marquis de Feuquières. Il revint ensuite à Utrecht, où il trouva les habitans « terrifiés » des récits qui circulaient déjà sur le triomphe des troupes françaises et la défaite du prince d’Orange. Il fallut, en effet, au nouveau stathouder toute sa dextérité et toute son énergie pour atténuer l’effet d’un si fâcheux début, ranimer la confiance ébranlée de son peuple. Son retour à La Haye fut accueilli, dit-on, avec « la plus extrême froideur. » L’entreprise de Wurden avait été conduite, murmurait-on sur son passage, « contre le sentiment des plus expérimentés au fait de la guerre[55] ; » et l’on critiquait amèrement certaines grosses erreurs de tactique, telles que l’oubli de s’emparer du bourg de Harmelen, de détruire le pont de Camerick, l’imprudence de laisser l’une des avenues de ses quartiers sans défense contre l’agression d’un entreprenant adversaire. La persévérance de Guillaume vint à bout rapidement de cette opposition timide, et nous allons le voir, quelques semaines après, à la tête d’une armée refaite et plus nombreuse, fort de l’appui d’alliés dont ses excitations ont secoué la mollesse, sur un terrain plus vaste et mieux choisi, recommencer la lutte avec une ardeur redoublée.
PIERRE DE SEGUR.
- ↑ Mémoires du chevalier Temple.
- ↑ C. Rousset, Histoire de Louvois.
- ↑ Géographie militaire, par le colonel Niox, t. III.
- ↑ Mémoire de Louis XIV sur la campagne de 1672. Archives de la Guerre, I. 1112.
- ↑ 26 juillet 1672. Mss. de la Bibliothèque nationale. Mélanges Colbert, 160.
- ↑ Note du 16 juillet 1672. Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, t. 92.
- ↑ Lettre du 18 juin. Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, t. 92.
- ↑ 31 août 1672.
- ↑ Luxembourg à Louvois, 5 août 1672. — Archives de Dijon. F. Thiard. Registre 22.
- ↑ Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, t. 92.
- ↑ Lettre traduite de l’anglais et envoyée à Pomponne par un agent français. — Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, supplément t. 5.
- ↑ Ibid.
- ↑ Mémoires. Édition Michaud et Poujoulat.
- ↑ Macaulay, Histoire d’Angleterre, t. II.
- ↑ La résolution qui abolit l’Édit perpétuel est du 2 juillet 1672. La proclamation de Guillaume comme stathouder eut lieu le 8 juillet.
- ↑ Luxembourg à Colbert, juillet 1672. Mss, Bibl. nat. Mélanges Colbert, no 160.
- ↑ Luxembourg à Louvois, 27 juillet.
- ↑ . Le Grand-Pensionnaire, à coup sûr, est trop bon patriote pour vouloir la paix à tout prix, et, s’il peut consentir à l’abandon de quelques territoires, ce n’est que pour mieux assurer dans le présent et dans l’avenir l’indépendance de son pays. Luxembourg ni Louvois ne repoussent d’emblée ce programme. Ils font simplement observer que, le gouvernement anglais marchant pour le présent Lettre du 24 juillet 1672. — Une partie de la correspondance qui existe aux Archives de la (luerre pour l’année 1672 a été imprimée à La Haye en 1759, sous le titre de Cammigne de Hollande en 1672, sous les ordres de M. le duc de Luxembourg. Quand je citerai les lettres qui ont fait l’objet de cette publication, je me bornerai à en indiquer la date, sans renvoyer le lecteur, comme je ferai pour les autres, aux tomes du Dépôt de la Guerre où se trouvent les originaux.
- ↑ Louvois à Luxembourg, 24 juillet.
- ↑ Luxembourg à Louvois, 5 août 1672.
- ↑ Lettre du 16 août.
- ↑ Lettre traduite et envoyée à Pomponne par le sieur Bernard, agent français à Utrecht. Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, t. 92.
- ↑ Né à Dordrecht, le 10 juillet 1623.
- ↑ Relation manuscrite de la mort des frères de Witt. Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, supplément t. 5.
- ↑ Lettre du 22 août 1672.
- ↑ Lettres de Stoppa et de Luxembourg du 22 août 1672. — Manuscrit des Affaires étrangères, loc. cit. — Gazette de France de 1672, etc.
- ↑ On nommait ainsi une sorte de juge militaire, qui remplissait des fonctions analogues à celles du commissaire dans les Conseils de guerre.
- ↑ Lettre du 20 août 1672. — Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, t. 92.
- ↑ Relation manuscrite des Affaires étrangères, loc. cit.
- ↑ Ibid.
- ↑ Luxembourg à Louvois, 22 et 23 août 1612.
- ↑ Biographie de William Temple.
- ↑ Lettres des 5, 23 septembre, 4 octobre 1672, etc.
- ↑ Mémoire de Louis XIV sur la campagne de 1672, passim.
- ↑ Camille d’Hostun, duc de Tallart, né en 1652, maréchal de France en 1703, mort en 1728.
- ↑ Lieutenant général en 1693, mort en 1704.
- ↑ Lettre à Louvois, du 13 septembre.
- ↑ Lettre du 13 août 1612. — Archives de la Guerre, t. 273.
- ↑ Lettre du 19 août.
- ↑ Mémoires du comte de Montbas sur les affaires de Hollande.
- ↑ Gazette de 1672.
- ↑ Mémoires de Montbas, loc. cit.
- ↑ Relation de M. de Saveuse du 18 octobre 1672. — Lettre de Luxembourg du 4 octobre. — Arch. de Dijon, F. Thiard.
- ↑ « Toute leur garde d’infanterie fut prise, l’officier qui la commandait tué, et la cavalerie se sauva. » (Relation manuscrite de M. de Saveuse, Archives de la Guerre, t. 279.)
- ↑ Lettre du 10 octobre.
- ↑ Mémoires du marquis de Feuquières.
- ↑ Larges fossés pleins d’eau qui s’ouvraient au milieu des champs.
- ↑ Relation manuscrite de M. de Saveuse, loc. cit.
- ↑ Relations véritables des Pays-Bas. — Bibl. de Bruxelles.
- ↑ Lettre du comte de la Marck à Louvois, du 13 octobre 1672.
- ↑ Lettre du 18 octobre 1672. — Le comte de Meilly mourut quelques semaines plus tard, à Utrecht, des suites de sa blessure.
- ↑ Luxembourg à Louvois, lettre du 18 octobre.
- ↑ Luxembourg à Condé, octobre 1672. — Archives de Chantilly.
- ↑ Lettre à madame de la Roche, du 22 janvier 1673. Correspondance de Bussy-Rabutin.
- ↑ Relations véritables des Pays-Bas.