Lupo Liverani (RDDM)

LUPO LIVERANI

En lisant, on est parfois frappé d’une idée qu’on voudrait traduire autrement, et on se laisse emporter par une sorte de plagiat candide qui est absous dès qu’il est avoué.

C’est en lisant el Condenado por desconfiado, de Tirso de Molina, que je me suis mis très involontairement à écrire Lupo Liverani sur la même donnée, en m’appropriant tout ce qui était à ma convenance ; ce n’est là ni piller ni traduire, c’est prendre un thème tombé dans le domaine public et l’adapter à ses propres moyens, comme on a fait de tout temps pour maint sujet classique ou romantique, philosophique ou religieux, dramatique ou burlesque.

De ce que le sujet du Damné de Tirso de Molina n’a pas encore beaucoup servi, il ne résulte pas que quelqu’un n’ait pas le droit de commencer à s’en servir. Ce sujet est assez étrange pour ne pas tenter tout le monde.

Voici ce que dit du Damné pour manque de foi ou du Damné pour doute, — le titre même du drame est intraduisible, — M. Alphonse Royer dans la préface de son excellente traduction, la première qui ait été faite, il n’y a pas plus de cinq à six ans.

« C’est un véritable auto, c’est-à-dire un drame religieux selon les croyances du temps où il a été écrit. C’est une parabole évangélique pour rendre intelligible au peuple le dogme catholique de la grâce efficace… Le drame est très célèbre en Espagne, où il est regardé comme une des plus hardies créations de son auteur… Michel Cervantes, dans son drame religieux intitulé el Rufian dichoso, a aussi mis en œuvre ce dogme de la grâce efficace. »

La grâce efficace ! voilà certes un singulier point de départ pour une composition dramatique. Pourtant, à travers ces subtilités sur la grâce prévenante, le pouvoir prochain, la grâce suffisante et la grâce efficace, Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/520 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/521 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/522 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/523 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/524 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/525 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/526 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/527 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/528 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/529 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/530 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/531 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/532 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/533 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/534 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/535 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/536 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/537 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/538 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/539 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/540 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/541 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/542 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/543 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/544 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/545 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/546 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/547 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/548 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/549 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/550 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/551 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/552 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/553 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/554 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/555 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/556 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/557 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/558 Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/559 larmes du cœur lavent les plus grands crimes. Ne désespère pas, mon fils ; tu peux te racheter par la douleur, fléchir Dieu par l’amour, le glorifier par la confiance…

LUPO.

Mon père ! mon père bien-aimé ! j’ai mérité les éternels supplices, ils ne sont rien pour moi au prix de ce que je souffre en vous voyant mourir de ma main. Dieu bon. Dieu juste, que je n’ai jamais su prier, fais qu’au séjour des justes mon père oublie que je suis né ! fais qu’il soit heureux, et je ne te reprocherai pas mon châtiment. Et toi, Satan, que j’ai servi sans m’en rendre compte, fais de moi ce que tu voudras. Je te défie de me faire autant de mal que ne m’en fait ce cœur d’airain en se brisant dans ma poitrine.

SATAN.

Viens, ton père n’est plus, et il est sauvé. Tu as encore du temps à vivre. Je te verserai, dans les combats et les plaisirs, le breuvage de l’oubli.

LUPO.

Mon père !… (nie baise au front.) plutôt quc de t’oublier un jour, une heure, je m’élance dans l’abîme où il n’y aura plus pour moi qu’expiation et désespoir. (Il veut se percer de sa dague.)

LE PETIT BERGER, paraissant et l’arrêtant.

Jette cette épée, prends ton père et suis-moi sous le chaume avec lui.

LUPO.

Lui rendrais-je la vie et le bonheur ?

LE BERGER.

Rien n’est impossible à l’amour. (Lupo et Roland emportent Liverani. — Ils sortent.)



Scène XII.

ANGELO, SATAN.
ANGELO.

Je reconnais cet enfant, un rayon divin resplendit sur son front… C’est un ange ou le Sauveur en personne !… Et toi, maudit, tu ne saurais lutter contre lui ! arrière ! je ne te crains plus. Je me repentirai, je retournerai au désert, et je m’imposerai de telles pénitences, je m’infligerai de tels supplices que je ferai mon enfer moi-même en ce monde pour me racheter dans l’autre, (u s’enfuit.)

SATAN, riant.

Retourne à l’ermitage ; tu y trouveras le spectre sanglant de la courtisane, et tes remords auront tous la figure de la peur. J’irai encore te rendre visite. C’est au désert que je règne sur celui qui n’aime que lui-même. Va, invente des supplices pour ton corps, et persiste à croire que le sang est plus agréable à Dieu que les larmes. Je t’aiderai à dessécher ton cœur et à développer par de fécondes imaginations le précieux germe de férocité qui fait les savans exorcistes et les inquisiteurs canonisés. Ceci est l’amen du diable, messeigneurs les hommes !

George Sand.