Lucien Leuwen (ed. Martineau)/Chapitre 63

Texte établi par Henri MartineauLe Divan (Volume IIIp. 318-334).


CHAPITRE LXIII


[Madame Grandet n’avait rien de romanesque dans le caractère ni dans les habitudes, ce qui formait, pour qui avait des yeux et n’était pas ébloui par un port de reine et une fraîcheur digne d’une jeune fille anglaise, un étrange contraste avec sa façon de parler toute sentimentale et toute d’émotion, comme une nouvelle de M. Nodier. Elle ne disait pas : Paris, mais : cette ville immense. Madame Grandet, avec cet esprit si romanesque en apparence, portait dans toutes ses affaires une raison parfaite, l’ordre et l’attention d’un petit marchand de fil et de mercerie en détail.[1]]

Quand elle se fut accoutumée au bonheur d’être la femme d’un ministre, elle songea que M. Leuwen pouvait être égaré par la douleur de voir son fils devenir la victime d’un amour sans espoir, ou du moins se donner un ridicule, car elle ne mit jamais en question l’amour de Lucien[2]. Elle ne connaissait de l’amour que les mauvaises copies chargées que l’on voit ordinairement dans le monde, elle n’avait pas les yeux qu’il faut pour le voir là où il est et se cache. La grande question à laquelle madame Grandet revenait sans cesse était celle-ci :

« M. Leuwen a-t-il le pouvoir de faire un ministre ? C’est sans doute un orateur fort à la mode ; malgré sa voix presque imperceptible, c’est le seul homme que la Chambre écoute, on ne peut le nier. On dit que le roi le reçoit en secret. Il est au mieux avec le maréchal N…, ministre de la Guerre. La réunion de toutes ces circonstances constitue sans doute une position brillante, mais de là à porter le roi, cet homme si fin et si habile à tromper, à confier un ministère à M. Grandet, la distance est incommensurable ! » Et madame Grandet soupirait profondément.

Tourmentée par cette incertitude qui peu à peu [en deux jours de temps] minait tout son bonheur, madame Grandet prit son parti avec fermeté et demanda hardiment un rendez-vous à M. Leuwen : [« Il ne faut pas le traiter en homme, »] et elle eut l’audace d’indiquer ce rendez-vous chez elle…[3]

……………………

— Cette affaire est si importante pour nous que je pense que vous ne trouverez pas singulier que je vous supplie de me donner quelques détails sur les espérances que vous m’avez permis de concevoir.

« Ainsi, se dit M. Leuwen en souriant intérieurement, on ne discute pas le prix, mais seulement la sûreté de la livraison de la chose vendue. »

M. Leuwen, du ton le plus intime et le plus sincère :

— Je suis trop heureux, madame, de voir se resserrer de plus en plus les liens de notre ancienne et bonne amitié. Ils doivent être intimes dorénavant, et pour les amener bientôt à ce degré de douce franchise et de parfaite ouverture de cœur, je vous prie de me permettre un langage exempt de tout vain déguisement… comme si déjà vous faisiez partie de la famille. »

Ici, M. Leuwen retint à grand’peine un coup d’œil malin.

— Ai-je besoin de vous demander une discrétion absolue ? Je ne vous cache pas un fait, que d’ailleurs votre esprit profond autant que juste aura deviné de reste : M. le comte de Vaize est aux écoutes. Une seule donnée, un seul fait que ce ministre pourrait recueillir par un de ses cent espions, par exemple par M. le marquis de G… ou M. R…, que bien vous connaissez, pourrait déranger toutes nos petites affaires. M. de Vaize voit le ministère lui échapper, et l’on ne peut lui refuser beaucoup d’activité : tous les jours il fait dix visites avant huit heures du matin. Cette heure insolite pour Paris flatte les députés, auxquels elle rappelle l’activité qu’ils avaient autrefois, quand ils étaient clercs de procureur.

M. Grandet est, ainsi que moi, à la tête de la banque, et depuis Juillet la banque est à la tête de l’État. La bourgeoisie a remplacé le faubourg Saint-Germain, et la banque est la noblesse de la classe bourgeoise. M. Laffitte, en se figurant que tous les hommes étaient des anges, a fait perdre le ministère à sa classe. Les circonstances appellent la haute banque à ressaisir l’empire et à reprendre le ministère, par elle-même ou par ses amis… On accusait les banquiers d’être bêtes, l’indulgence de la Chambre a bien voulu me mettre à même de prouver qu’au besoin nous savons affubler nos adversaires politiques de mots assez difficiles à faire oublier. Je sais mieux que personne que ces mots ne sont pas des raisons ; mais la Chambre n’aime pas les raisons, et le roi n’aime que l’argent ; il a besoin de beaucoup de soldats pour contenir les ouvriers et les républicains. Le gouvernement a le plus grand intérêt à ménager la Bourse. Un ministère ne peut pas défaire la Bourse, et la Bourse peut défaire un ministère. Le ministère actuel ne peut aller loin.

— C’est ce que dit M. Grandet.

— Il a des vues assez justes ; mais, puisque vous me permettez le langage de l’amitié la plus intime, je vous avouerai que sans vous, madame, je n’eusse jamais songé à M. Grandet. Je vous le dirai brutalement : vous croyez-vous assez de crédit sur lui pour le diriger dans toutes les actions capitales de son ministère ? Il lui faut toute votre habileté pour ménager le maréchal (le ministre de la Guerre). Le roi veut l’armée, le maréchal peut seul l’administrer et la contenir. Or, il aime l’argent, il veut beaucoup d’argent, c’est au ministre des Finances à fournir cet argent. M. Grandet devra tenir la balance entre le maréchal et le ministre de l’argent, autrement il y a rupture. Par exemple, aujourd’hui les différends du maréchal avec le ministre des Finances ont amené vingt brouilles suivies de vingt raccommodements. L’aigreur des deux partis est arrivée au point de ne plus permettre de mettre en délibération les sujets les plus simples.

[L’argent est le nerf non seulement de la guerre, mais encore de l’espèce de paix armée dont nous jouissons depuis Juillet. Outre l’armée, indispensable contre les ouvriers, il faut donner des places à tout l’état-major de la bourgeoisie. Il y a là six mille bavards qui feront de l’éloquence contre vous, si vous ne leur fermez pas la bouche avec une place de six mille francs.]

Le maréchal, voulant toujours de l’argent, a donc dû jeter les yeux sur un banquier pour ministre de l’Intérieur ; il veut, entre nous soit dit, un homme à opposer, s’il le faut, au ministre des Finances, un homme qui comprenne les diverses valeurs de l’argent aux différentes heures de la journée. Ce banquier ministre de l’Intérieur, cet homme, qui peut comprendre la Bourse et dominer jusqu’à un certain point les mouvements de M. Rot[hschild] et du ministre des Finances, s’appellera-t-il Leuwen ou Grandet ? Je suis bien paresseux, bien vieux, tranchons le mot. Je ne puis pas encore faire mon fils ministre, il n’est pas député, je ne sais pas s’il saura parler, par exemple depuis six mois vous l’avez rendu muet… Mais je puis faire ministre l’homme présentable choisi par la personne qui sauvera la vie à mon fils.

— Je ne doute pas de la sincérité de votre bonne intention pour nous.

— J’entends, madame ; vous doutez un peu, et c’est une nouvelle raison pour moi d’admirer votre sagesse, vous doutez de mon pouvoir. Dans la discussion des grands intérêts de la Cour et de la politique, le doute est le premier des devoirs et ne se trouve une injure pour aucune des parties contractantes. On peut se faire illusion à soi-même et précipiter non seulement l’intérêt d’un ami, mais son intérêt propre. Je vous ai dit que je pourrais jeter les yeux sur M. Grandet, vous doutez un peu de mon pouvoir. Je ne puis vous donner le portefeuille de l’Intérieur ou des Finances comme je vous donnerais ce bouquet de violettes. Le roi lui-même, dans nos habitudes actuelles, ne peut vous faire un tel don. Un ministre, au fond, doit être élu par cinq ou six personnes, dont chacune a plutôt le veto sur le choix des autres que le droit absolu de faire triompher son candidat ; car enfin n’oubliez pas, madame, qu’il s’agit de plaire tout à fait au roi, plaire à peu près à la Chambre des députés, et enfin ne pas trop choquer cette pauvre Chambre des pairs. C’est à vous, ma toute belle, à voir si vous voulez croire que je veux faire tout ce qui est en moi pour vous placer dans l’hôtel de la rue de Grenelle. Avant d’estimer mon degré de dévouement à vos intérêts, cherchez à vous faire une idée nette de cette portion d’influence que pour deux ou trois fois vingt-quatre heures le hasard a mis dans mes mains.

— Je crois en vous, et beaucoup, et admettre avec vous une discussion sur un pareil sujet n’en est pas une faible preuve. Mais de la confiance en votre génie et en votre fortune à faire les sacrifices que vous semblez exiger, il y a loin.

— Je serais au désespoir de blesser le moins du monde cette charmante délicatesse de votre sexe, qui sait ajouter tant de charmes à l’éclat de la jeunesse et de la beauté la plus achevée. Mais madame de Chevreuse, la duchesse de Longueville, toutes les femmes qui ont laissé un nom dans l’histoire et, ce qui est plus réel, qui ont établi la fortune de leur maison, ont eu quelquefois des entretiens avec leur médecin. Eh bien ! moi je suis le médecin de l’âme, le donneur d’avis à la noble ambition que cette admirable position a dû placer dans votre cœur. Dans un siècle, au milieu d’une société où tout est sable mouvant, où rien n’a de la consistance, où tout s’est écroulé, votre esprit supérieur, votre grande fortune, la bravoure de M. Grandet et vos avantages personnels vous ont créé une position réelle, résistante, indépendante des caprices du pouvoir. Vous n’avez qu’un ennemi à craindre, c’est la mode ; vous êtes sa favorite dans ce moment, mais, quel que soit le mérite personnel, la mode se lasse. Si d’ici à un an ou dix-huit mois vous ne présentez rien de neuf à admirer à ce public qui vous rend justice en ce moment et vous place dans une situation si élevée, vous serez en péril ; la moindre vétille, une voiture de mauvais goût, une maladie, un rien, malgré votre âge si jeune vous placeront au rang des mérites historiques.

— Il y a longtemps que je connais cette grande vérité, dit madame Grandet avec l’accent d’humeur d’une reine à laquelle on rappelle mal à propos une défaite de ses armées, il y a longtemps que je connais cette grande vérité : la vogue est un feu qui s’éteint s’il ne s’augmente.

— Il y a une vérité secondaire non moins frappante, d’une application non moins fréquente, c’est qu’un malade qui se fâche contre son médecin, un plaideur qui se fâche contre son avocat, au lieu de réserver son énergie à combattre ses adversaires, n’est pas à la veille de changer sa position en bien.

M. Leuwen se leva.

— Ma chère belle, les moments sont précieux. Voulez-vous me traiter comme un de vos adorateurs et chercher à me faire perdre la tête ? Je vous dirai que je n’ai plus de tête à perdre, et je vais chercher fortune ailleurs.

— Vous êtes un cruel homme. Eh bien ! parlez.

Madame Grandet fit bien de ne pas continuer à faire des phrases ; M. Leuwen, qui était bien plus un homme de plaisir et d’humeur qu’un homme d’affaires et surtout qu’un ambitieux, trouvait déjà ridicule de faire dépendre ses plans des caprices d’une femmelette, et cherchait dans sa tête quelque autre arrangement pour mettre Lucien en évidence.

« Je ne suis pas fait pour le ministère, je suis trop paresseux, trop accoutumé à m’amuser, se disait-il pendant les phrases de madame Grandet, comptant trop peu sur le lendemain. Si au lieu d’avoir à déraisonner et battre la campagne devant moi, une petite femme de Paris, j’avais le roi, mon impatience serait la même, et elle ne me serait jamais pardonnée. Donc, je dois réunir tous mes efforts sur mon fils.

— Madame, dit-il comme revenant de bien loin, voulez-vous me parler comme à un vieillard de soixante-cinq ans pour le moment ambitieux et politique, ou voulez-vous continuer à me faire l’honneur de me traiter comme un beau jeune homme ébloui de vos charmes, comme ils le sont tous ?

— Parlez, monsieur, parlez ! » dit madame Grandet avec vivacité, car elle était habile à lire dans les yeux la résolution des gens avec qui elle parlait, et elle commençait à avoir peur. M. Leuwen lui paraissait ce qu’il était, c’est-à-dire sérieusement impatienté.

— Il faut que l’un de nous deux ait confiance en la fidélité de l’autre.

— Eh bien ! je vous répondrai avec toute la franchise qu’à l’instant même vous présentiez comme un devoir : pourquoi mon lot doit-il être d’avoir confiance !

— C’est la force des choses qui le veut ainsi. Ce que je vous demande, ce qui fait votre enjeu, si vous daignez me permettre cette façon de parler si vulgaire, mais pourtant si claire (et le ton de M. Leuwen perdit beaucoup de sa parfaite urbanité pour se rapprocher de celui d’un homme qui marchande une terre et qui [vient] de nommer son dernier prix)[4] , ce qui fait votre enjeu, madame, dans cette grande intrigue de haute ambition, dépend entièrement et uniquement de vous, tandis que la place assez enviée dont je vous offre l’achat dépend du roi, et de l’opinion de quatre ou cinq personnes, qui daignent m’accorder beaucoup de confiance, mais qui enfin ont leur volonté propre, et qui d’ailleurs, après un jour ou deux, après un échec de tribune, par exemple, peuvent ne plus vouloir de moi. Dans cette haute combinaison d’État et de haute ambition, celui de nous deux qui peut disposer du prix d’achat, de ce que vous m’avez permis d’appeler son enjeu, doit le délivrer, sous peine de voir l’autre partie contractante avoir plus d’admiration pour sa prudence que pour sa sincérité. Celui de nous deux qui n’a pas son enjeu en son pouvoir, et c’est moi qui suis cet homme, doit faire tout ce que l’autre peut humainement demander pour lui donner des gages[5]. »

Madame Grandet était rêveuse et visiblement embarrassée, mais plus des mots à employer pour faire la réponse que de la réponse même. M. Leuwen, qui ne doutait pas du résultat, eut un instant l’idée malicieuse de renvoyer au lendemain. La nuit eût porté conseil. Mais la paresse de revenir lui donna le désir de finir sur-le-champ. Il ajouta d’un ton tout à fait familier et en abaissant le son de sa voix d’un demi-ton, avec la voix basse de M. de Talleyrand :

— Ces occasions, ma chère amie, qui font ou défont la fortune d’une maison, se présentent une fois dans la vie, et elles se présentent d’une façon plus ou moins commode. La montée au temple de la Fortune qui se présente à vous est une des moins épineuses que j’aie vues. Mais aurez-vous du caractère ? Car enfin, la question se réduit de votre part à ce dilemme : Aurai-je confiance en M. Leuwen, que je connais depuis quinze ans ? Pour répondre avec sang-froid et sagesse, dites-vous : Quelle idée avais-je de M. Leuwen et de la confiance qu’il mérite il y a quinze jours, avant qu’il fût question de ministère et de transaction politique entre lui et moi ?

— Confiance entière ! dit madame Grandet avec soulagement, comme heureuse de devoir rendre à M. Leuwen une justice qui tendait à la faire sortir d’un doute bien pénible, confiance entière !

M. Leuwen dit, de l’air qu’on a en convenant d’une nécessité :

— Il faut que sous deux jours au plus tard je présente M. Grandet au maréchal.

— M. Grandet a dîné chez le maréchal il n’y a pas un mois, dit madame Grandet d’un ton net et piqué.

« J’ai fait fausse route avec cette vanité de femme ; je la croyais moins bête. »

— Certainement, je ne puis pas avoir la prétention d’apprendre au maréchal à connaître la personne de M. Grandet. Tout ce qui s’occupe à Paris de grandes affaires connaît M. Grandet, ses talents financiers, son luxe, son hôtel ; avant tout, il est connu par la personne la plus distinguée de Paris, à laquelle il a l’honneur de donner son nom. Le roi lui-même a beaucoup de considération pour lui, son courage est connu, etc., etc. Tout ce que j’ai à dire au maréchal, c’est ce traître mot : « Voilà M. Grandet, excellent financier, qui comprend l’argent et ses mouvements, dont vous pourriez faire un ministre de l’Intérieur capable de tenir tête au ministre des Finances. Je soutiendrais M. Grandet de toutes les forces de ma petite voix. » Voilà ce que j’appelle présenter, ajouta M. Leuwen, toujours d’un ton assez vif. Si sous trois jours je ne dis pas cela, je devrai dire, sous peine de me manquer à moi-même : « Toute réflexion faite, je me ferai aider par mon fils, si vous voulez lui donner le titre de sous-secrétaire d’État, et j’accepte le ministère. » Croyez-vous qu’après avoir présenté M. Grandet au maréchal je suis homme à lui dire en secret : « N’ayez aucune foi à ce que je viens de vous dire devant Grandet, c’est moi qui veux être ministre ? »

— Ce n’est pas de votre bonne foi qu’il peut être question, et vous appliquez un emplâtre à côté du trou.

« Ce que vous me demandez est étrange. Vous êtes un libertin, dit madame Grandet pour adoucir le ton du discours. Votre opinion bien connue sur ce qui fait toute la dignité de notre sexe ne vous permet pas de bien apprécier toute l’étendue du sacrifice. Que dira madame Leuwen ? Comment lui cacher ce secret ?

— De mille façons, par un anachronisme, par exemple[6].

— Je vous avouerai que je suis hors d’état de continuer la discussion. Daignez renvoyer la conclusion de notre entretien à demain.

— À la bonne heure ! Mais demain serai-je encore le favori de la fortune ? Si vous ne voulez pas de mon idée, il faut que je m’arrange autrement et que, par exemple, je cherche à distraire mon fils, qui fait tout mon intérêt en ceci, par un grand mariage. Songez que je n’ai pas de temps à perdre. L’absence de réponse demain est un non sur lequel je ne puis plus revenir.

Madame Grandet venait d’avoir l’idée de consulter son mari.

  1. En note Stendhal indique que ce portrait devra être reporté dans la première partie : Nancy, à la scène du bal où le lecteur doit voir Mme Grandet pour la première fois. On sait que cette présentation n’a pas eu lieu. N. D. L. E.
  2. Pour le comique, examiner si Mme  Grandet doit croire si fermement que Lucien l’aime.
  3. [Scène à faire. — Position des deux interlocuteurs : M. Leuwen promet un ministère et veut que Mme Grandet se donne à Lucien avant que l’Ordonnance ne soit dans le Moniteur. Mme Grandet, avec tout l’honnêteté de paroles possible (là est la source du comique), dit : « Je me donnerai bien, la difficulté n’est pas là ; mais me donnerez-vous un ministère ? Mais ferez-vous mon mari ministre ? Une fois que je me serai attachée à M. votre fils, le ministère peut tarder. »
        La forme est tout, et je ne veux pas me donner la peine de faire le dialogue avant d’être sûr que j’emploierai cette scène.
        Le fond raisonnable est que M. Leuwen lui dit : « Prenez des informations. Demandez si je puis, oui ou non, disposer probablement d’un ministère. J’avoue qu’il n’y a de sûr que ce qui est dans le Moniteur ; or, cette certitude, je ne puis pas vous l’offrir. D’ailleurs, la difficulté serait la même une fois le nom de M. Grandet dans le Moniteur, seulement elle changerait de côté, vos paroles d’à présent, ce serait alors à moi à les prononcer. Vous pourriez peut-être oublier votre pitié pour les souffrances de mon fils. »
        On s’ajourne. Mme Grandet prend des informations ; il en résulte que dans le cas de dislocation du ministère actuel M. Leuwen a les plus grandes chances d’être ministre de l’Intérieur ou de faire nommer qui il voudra à cette place, car sans lui dans les premiers moments le ministère n’aurait pas la majorité à la Chambre. Il est possible, qu’après deux mois le roi se moque de M. Leuwen et le force, par des dégoûts, à demander sa démission.
        Elle s’assure que M. Leuwen est de bonne foi avec elle. (Mais comment ? )
        Enfin, elle consent à prendre Lucien comme amant.
        Scènes de Mme Grandet avec Lucien pendant les cinq jours que dure la négociation que nous venons d’indiquer. Comique.]
  4. M. Leuwen doit-il prendre la petite rouerie de détail d’employer exprès des mots choquants pour la délicatesse de Mme Grandet ? Je penche pour oui.
  5. Ennoblir tout ceci ou le parterre siffle : c’est le joint de la cuirasse. Civita-Vecchia, 31 janvier [1835]. — Ne pas trop ennoblir ; c’est assez bien ainsi. 11 février.
  6. [« Mme  Grandet est l’amie de mon fils depuis deux mois avant que le ministère ne menaçât ruine. »]