LOUIS XIV
ET SES HISTORIENS

III.
L’ÉCOLE ADMINISTRATIVE DE LOUIS XIV
d’après les papiers d’état.

Après avoir étudié[1] les actes principaux du gouvernement de Louis XIV, je me suis efforcé d’apprécier les mœurs formées par ce long règne ; toutefois il reste encore une question qu’il faut aborder, et à laquelle il conviendrait peut-être d’assigner le premier rang, si l’importance des entreprises se mesurait toujours dans l’histoire à l’importance des résultats. Qu’on soit en effet plus ou moins sévère pour la politique générale de ce prince, qu’on restreigne ou qu’on étende sa part personnelle d’influence dans le mouvement d’esprit qui fut l’honneur de son temps, on ne se trouve pas moins, durant le cours de cette mémorable époque, en présence d’un gouvernement créateur, assez fécond en ressources pour lasser la mauvaise fortune et pour réparer, à force de persévérance, la plupart de ses fautes. Il faut moins admirer Louis XIV pour les desseins qu’il a poursuivis que pour les forces qu’il a su mettre au service de ses projets. Parmi ses conceptions politiques, plusieurs n’ont eu d’autre effet que d’empoisonner ses derniers jours et de compromettre sa mémoire ; mais entre toutes ses combinaisons administratives il n’en est guère dont nous ayons répudié la tradition, et dont nous ne ressentions encore l’influence. Les ministres de Louis XIV peuvent revendiquer une part presque aussi large que les constituants et les auteurs des actes de l’an viii dans les institutions civiles qui nous régissent. Or cette association des habitudes du pouvoir absolu avec des idées toutes différentes est demeurée pour nous le plus curieux des problèmes comme la plus insoluble des difficultés.

On n’est véritablement homme d’état qu’en sachant élever ses ressources à la hauteur de ses projets. Le cardinal de Richelieu, auquel ce titre appartient plus légitimement qu’à personne, ne prit pas moins de peine pour organiser les forces et pour développer les richesses de la nation que pour enlacer l’Europe dans le réseau de ses combinaisons diplomatiques. Bien qu’il n’embrassât pas de moins vastes horizons que son prédécesseur, Mazarin fut un administrateur au-dessous du médiocre, et c’est pour cela qu’il est demeuré si loin de Richelieu. Le ministre d’Anne d’Autriche ne s’occupa guère plus de l’armée que des finances, de la marine que du commerce, et mourut au sein d’une paix glorieuse, laissant le trésor vide, les arsenaux et les ports sans travailleurs, l’armée sans discipline et sans solde. Au rebours de l’étranger dont il était l’élève, Louis XIV se révéla dès son avènement au pouvoir comme le roi le plus laborieux et le plus sérieusement administrateur qu’eût jusqu’alors possédé la France. Il porta sur les détails les plus arides de ses finances, et plus spécialement encore sur l’organisation de ses armées, toute l’ardeur de sa jeunesse et toutes les passions de son âme ; il se complaît à se rendre ce témoignage dans les souvenirs recueillis pour son fils[2]. Secondé par des ministres comme Colbert et Louvois, par des magistrats comme Le Tellier, Lamoignon et Pontchartrain, par des jurisconsultes et des administrateurs tels que Pussort, Bâville, Pellot, Foucauld et La Reynie, il imprima à la société civile une empreinte ineffaçable, de telle sorte que le texte de ses grandes ordonnances apparaît encore sous nos codes comme sur les feuillets d’un palimpseste. Rechercher ce que fut Louis XIV comme administrateur, c’est donc mettre en relief son titre le plus solide, et j’y serais amené par le seul devoir de l’équité historique envers cette grande mémoire. Je ne sais point d’ailleurs d’occasion plus favorable pour rappeler aux hommes de la révolution qu’ils n’ont pas inventé tout ce qu’ils admirent, et aux hommes de l’ancien régime que leurs anathèmes devraient retomber aussi souvent sur ce qu’ils vénèrent que sur ce qu’ils maudissent.

Si le côté principal de ce règne a été laissé dans l’ombre par la plupart des historiens du siècle dernier, il est éclairé désormais de lumières abondantes. Où trouver une érudition plus solide et des aperçus plus judicieux que dans les études administratives de M. Chéruel[3] ? Quel tableau atteindra jamais à la vivante vérité de ces Mémoires de Fléchier sur les grands jours, où l’ancienne administration est prise sur le fait, dans une occasion solennelle, et mise en scène avec une verve si piquante et un dégagement si imprévu[4] ? Qu’ajouterait la publication intégrale des huit cents volumes in-folio sortis du cabinet de Colbert à l’histoire de son ministère telle que M. Pierre Clément nous l’a donnée[5], et à la grande compilation de M. Depping[6] ? Enfin que reste-t-il à apprendre, en matière d’administration militaire et de stratégie, après la publication dont M. le général Pelet a fait le complément de cette histoire diplomatique de la succession d’Espagne, l’un des monumens les plus curieux et les plus originaux des lettres françaises dans notre temps ? en essayant une telle esquisse, on a certainement bien plus à redouter aujourd’hui l’abondance que la rareté des matériaux.


I

Dans l’histoire de notre administration, on peut suivre de siècle en siècle la lutte des deux forces dont le balancement a constitué la France. C’est d’une part le sol que ses conquérans conservent la prétention de régir et de défendre par les armes, un tel droit étant dans leur pensée le corollaire du droit même de possession ; c’est de l’autre la royauté représentant une unité morale à laquelle elle préexiste, et qui, en vertu d’un titre supérieur, revendique avec le droit de haute justice celui du haut commandement militaire, double prérogative dont elle ne tarde pas à déduire, comme une sorte de conséquence, le droit d’asseoir à son gré les impôts et d’en régler arbitrairement la perception. Les rois ne consacrèrent pas moins d’efforts à séparer la souveraineté politique de la possession territoriale que les barons n’en mirent à confondre ces deux idées. Saint Louis se crut le premier assez fort et assez protégé par le prestige de ses vertus pour en proclamer résolument la distinction et pour faire aboutir au trône toutes les juridictions locales par la voie des cas royaux et la suppression des guerres privées. Sans aspirer à détruire ni la constitution seigneuriale qui régissait les campagnes, ni les pouvoirs municipaux achetés ou usurpés par les villes, il se posa en dispensateur suprême de la force et de la justice par tout son royaume. Ses petits-fils marchèrent sur ses traces, appuyés sur l’influence chaque jour croissante d’une bourgeoisie qui aspirait à se défendre par le concours de la royauté contre l’oppression baroniale.

À l’ouverture du XIVe siècle, le principe de prépondérance, pour lequel nos rois avaient livré de si rudes combats, n’était plus contesté, même par ceux qui, durant trois siècles, allaient encore lutter pour échapper à ses conséquences. Philippe le Bel divisa en trois branches la cour du roi, qui avait été le conseil unique des premiers Capétiens comme de la dynastie précédente. L’une fut le conseil étroit ou privé, occupé des affaires majeures, auprès duquel servirent les quatre clercs du secret, qui devaient s’appeler un jour les secrétaires d’état, hauts fonctionnaires dont l’existence laborieuse et modeste était l’expression même de cette bourgeoisie, destinée à vivre si longtemps à l’ombre du trône, importante, mais abaissée. — L’autre branche du grand conseil royal retint, avec le nom de parlement, l’attribution de toutes les contestations judiciaires, et, en acquérant bientôt après la permanence, elle devint, en face des états-généraux et au préjudice de ceux-ci, l’institution la plus importante de la monarchie. — La troisième enfin, appelée cour des comptes, centralisa la comptabilité financière, statuant sur toutes les dépenses mandatées, depuis les comptes des armées jusqu’à ceux des maisons royales, mais demeurant étrangère, comme elle l’est encore aujourd’hui, à l’administration proprement dite.

La royauté enfonçait avec lenteur ses racines au sein de cette terre hérissée de donjons et de fortifications municipales. Tantôt elle reculait devant une réaction féodale, comme il arriva après Philippe le Bel, et plus tard sous Charles VIII, à la suite des violences de Louis XI ; tantôt elle avait à compter, au sein des états-généraux, avec les passions et l’inexpérience de la démocratie, et l’ordonnance cabochienne de 1413 venait, au début du XVe siècle, tracer un programme de gouvernement dont la hardiesse n’a pas été dépassée aux jours de nos plus grandes audaces. Cependant la royauté, appuyée sur les intérêts grandis sous son aile, ne tardait pas à reprendre tout le terrain momentanément abandonné. À partir du XVIe siècle, ses conquêtes se comptent par année, pour ne pas dire par jour. Déjà Louis XII avait fait nettement consigner dans la première ordonnance de Blois le principe que toute justice émanait du trône, et que le prince pouvait toujours l’y ramener comme à sa source. En multipliant les parlemens sur les points principaux du territoire, les princes de la maison de Valois atteignirent le double but de réduire l’influence, de plus en plus sensible, de ces grandes compagnies, et de donner des organes officiels à la pensée royale dans les provinces les plus reculées. Par la fondation d’un premier degré de juridiction et la création des présidiaux, ils préparèrent, cinquante ans plus tard, l’unité de jurisprudence et une division plus rationnelle des circonscriptions judiciaires. Les coutumes furent recueillies et codifiées par des commissaires, savans jurisconsultes, tous dévoués à la pensée royale, et le conseil d’état, modifié dans un sens monarchique, vint dominer les parlemens, en s’attribuant le droit de fixer les juridictions et de retenir certaines affaires à cause de la présence dans son sein du monarque, racine vivante de toute justice.

L’œuvre à laquelle travailla Louis XII avec une sorte de bonhomie populaire fut achevée par François Ier. Ce monarque théâtral porta dans les actes de l’administration, comme dans les résolutions principales de la politique, ces allures chevaleresques qui masquèrent sans les adoucir les inspirations d’un système impitoyable. Saint Louis avait aspiré à faire de la royauté une sorte de providence terrestre, à laquelle les peuples pussent adresser un recours rare, mais assuré. François Ier la transforma en un pouvoir présent toujours et en tout lieu ; quant aux divers pouvoirs existans, il leur fit la guerre, plus préoccupé de les détruire que de les dominer. La royauté nouvelle devint un Argus aux cent yeux et un Briarée aux cent bras. Rien n’exista désormais que par le bon plaisir du roi et dans la plus étroite dépendance de sa personne. Pendant que la noblesse était attirée à la cour par l’appât de la guerre et des plaisirs, le concordat de 1516 lui livrait la pleine dispensation des dignités ecclésiastiques. Le roi put faire asseoir ses créatures sur les sièges épiscopaux en même temps qu’il nommait des gouverneurs pour le représenter directement dans ces provinces lointaines, soumises si longtemps à l’autorité directe des grands vassaux. L’activité de François Ier s’étendit à tous les détails de l’administration ; tout aboutit à son trône, comme au centre unique de la vie nationale. Il entreprit, non sans succès, de placer sous sa main les arts et les lettres, aussi bien que les finances et la justice. Les ordonnances de Crémieux et de Villers-Cotterets, dont l’une réduisit aux plus étroites limites la juridiction ecclésiastique, dont l’autre porta le dernier coup aux justices seigneuriales, furent, du premier au dernier de leurs articles, empreintes de cet esprit nouveau, et vinrent constater, par la faveur générale qu’elles rencontrèrent, l’importante révolution sociale, jusqu’alors inaperçue, qui s’était opérée sans résistance. La France avait en effet passé de la monarchie des états et du gouvernement tempéré, si fort admiré par Machiavel, à un despotisme dont l’auteur principal ne descendit pas dans la tombe sans en avoir audacieusement abusé. Commissions extraordinaires, confiscations odieuses, consécration de la vénalité des offices, trafic insolent de toutes les charges, doublement arbitraire des tailles et des gabelles, création des rentes sur l’hôtel-de-ville, établissement de la loterie, tels furent les principaux actes administratifs de ce règne, auquel il faut remonter pour rencontrer le point précis où commence le gouvernement sans principes et sans garanties, qui a gardé la dénomination d’ancien régime.

Les successeurs de François Ier apportèrent chacun une pierre au vaste édifice qui couvrit bientôt la France. Les divers pouvoirs allaient s’affaiblissant de plus en plus dans leur indépendance à mesure qu’ils se régularisaient dans leur exercice, et si la nation était mieux gouvernée, c’était en abdiquant la possibilité de se gouverner jamais elle-même. Rien ne constate mieux cette tutelle royale et cet état de minorité, contre lequel la France ne devait plus protester, que les célèbres ordonnances d’Orléans et de Moulins, qu’on ne peut séparer du grand nom de L’Hôpital. Par les doctrines qu’elles proclament, ces ordonnances établissent la pleine victoire du pouvoir absolu ; par leurs habiles dispositions, elles deviennent pour celui-ci une force et une sanction au sein des guerres civiles et des découragemens qui les suivent.

Durant la longue anarchie entretenue par les luttes religieuses, le despotisme dut sans doute reculer, à certains jours, tantôt devant l’aristocratie huguenote, tantôt devant la bourgeoisie ligueuse ; mais la royauté fut après chaque crise de plus en plus puissante et de moins en moins attaquée, grâce à une persévérance dans ses desseins qui lui donnait tout l’avantage sur une noblesse sans tradition politique et sur une démocratie toujours mobile et déréglée dans ses passions. Par malheur, chez les grands, déjà dressés depuis trois générations à la vie de cour, la confiance était à la hauteur de l’incapacité, et la nation tout entière était déjà aux pieds du monarque, qu’ils se croyaient en mesure de le faire capituler. Ils n’entretinrent jamais plus complètement cette illusion qu’à la veille de monter sur les échafauds de Richelieu, ou de passer sous les fourches dorées de Mazarin. Ne s’apercevant pas que la vie municipale avait fini avec la ligue, et que l’aristocratie française ne représentait malheureusement depuis le XVIe siècle que ses propres cupidités, les frondeurs, isolés du pays et tout entiers à leurs mesquines poursuites, s’agitaient pleins d’espoir dans une impuissance que le comble de l’humiliation fut de n’avoir pas même soupçonnée. À Paris, à Bordeaux, à Dijon, là où, durant la fronde, se trouvaient, sinon les princes, du moins les principaux chefs de parti, l’on se trompait sur ce qu’il y avait de fatalement irrésistible dans ce débordement de l’autorité monarchique, et l’on se croyait encore en mesure de la faire reculer, parce que Mazarin semblait toujours s’arrêter jusque devant les plus faibles obstacles. Ainsi, lorsque le flot monte sur nos rivages, et qu’une brise de terre le repousse, on dirait parfois qu’une lutte incertaine est engagée entre l’océan et la tempête ; mais la marée gagne alors même qu’elle paraît céder, et le spectateur attardé se voit bientôt entouré par l’immensité de la mer triomphante.

Henri IV était le prince le plus propre à consolider la transformation qui avait fait passer insensiblement la France d’un régime d’abord féodal, puis parlementaire, à celui d’une monarchie tout administrative. Plus soucieux des réalités que des apparences en matière de pouvoir, le Béarnais fatigué s’inquiétait moins de promulguer avec éclat des lois nouvelles que d’empreindre les institutions existantes de l’esprit qu’il lui convenait de leur imprimer. Tel était aussi le goût de Maximilien de Béthune, qui n’aimait point, disait-il, à grossir par des édits les tomes des ordonnances[7]. En créant près de sa personne, en 1602, un conseil général du commerce et en donnant ainsi des organes à tous les intérêts de la production nationale, le roi augmentait dans l’état l’importance de la classe sur laquelle s’était élevée la monarchie absolue ; le duc de Sully poursuivit le même but par les travaux considérables qu’il fit exécuter comme grand-voyer. En même temps que le surintendant profitait des épargnes accumulées par sa bonne gestion financière pour ouvrir des routes, creuser des canaux, et pour opérer avec les fonds et le concours de l’état des œuvres d’une véritable utilité publique, Sully transformait celui-ci en instrument direct de la production agricole et manufacturière. Agissant lui-même au lieu d’encourager, substituant sa propre initiative à celle des particuliers, le gouvernement entreprit des plantations, défricha des terres, et ouvrit à grands frais, sur plusieurs points du royaume, des manufactures protégées contre toute concurrence étrangère et même nationale. Ainsi se préparait dès le commencement du XVIIe siècle cette ingérence du pouvoir dans la sphère des intérêts privés, ingérence qui, en détachant les citoyens du soin de leurs propres affaires, est demeurée l’un des caractères les plus indestructibles de notre gouvernement comme de notre génie national. Ainsi encore, par des encouragemens donnés à bonne intention, se desséchait en son germe l’esprit d’entreprise qui a si constamment manqué à la France, et l’abdication industrielle suivait l’abdication politique. Pendant que la nation remerciait la royauté de faire ses propres affaires en se chargeant de soins qu’il lui répugnait de prendre, les idées se précipitaient dans le même sens que les intérêts, et les jurisconsultes comme les historiens s’efforçaient de faire pénétrer le principe de la prépondérance monarchique dans les lois, dans les lettres, et jusque dans la théologie. L’esprit des Pithou passait des pages de la Ménippée dans les thèses de la Sorbonne, et l’on voyait les Pasquier, les De Thou et les Loysel appeler de leurs vœux et préparer par leurs savans écrits l’unité de la législation civile, ce dernier complément de l’unité politique.

Il était réservé à Richelieu d’imprimer à l’administration de l’ancien régime le caractère définitif qu’elle a conservé sans altération sensible jusqu’en 1789. Après avoir supprimé les dernières dignités d’origine féodale qui impliquaient encore une sorte de pouvoir indépendant, notamment celles de connétable et de grand-amiral, après avoir transformé les gouvernemens de province en lucratives sinécures, le cardinal donna au conseil d’état, en 1630, une nouvelle organisation à laquelle Louis XIV lui-même ne trouva presque plus rien à changer ; puis, par une intuition d’une admirable justesse, il créa les intendans, fonctionnaires ardemment dévoués au pouvoir central, ennemis nés de tous les droits comme de toutes les existences historiques, et qu’on voit grandir à pas de géant dans leur importance sans éclat et leur modeste ubiquité. Ce système, d’abord partiellement appliqué, ne tarda pas à s’étendre à tout le royaume, et la plupart des pays d’états durent s’y soumettre, comme les pays dits d’élection. Dans chaque généralité dont la circonscription correspondait en moyenne à celle de deux de nos départemens, le gouvernement central eut un fonctionnaire, sorti ordinairement du rang des maîtres des requêtes, qui fut représenté lui-même par des subdélégués au sein du plus grand nombre des villes, devenues de nos jours chefs-lieux de sous-préfecture. L’intendant exerçait toutes les attributions dévolues aujourd’hui aux préfets. Comme tuteur des communes, il approuvait ou rejetait les dépenses communales, et la lecture des documens recueillis par M. Depping constate que dans le cours du XVIIe siècle ces fonctionnaires ne se livraient pas, sur les affaires locales, à des investigations moins minutieuses que celles dont nous nous plaignons de nos jours, et que la solution des questions les plus usuelles ne réclamait pas de moins longs délais. Avec le concours des ingénieurs du corps des ponts et chaussées, créé antérieurement aux intendances, ces fonctionnaires arrêtaient les plans et devis de tous les travaux publics ; ils cumulaient avec ces attributions celles de directeurs des contributions, et leur omnipotence ne tarda pas à devenir si complète en matière d’impôts, que lorsqu’un arrêt du conseil avait fixé la part contributive de chaque généralité, les intendans et leurs subdélégués en répartissaient le montant sans contrôle entre les diverses paroisses, ne laissant que des attributions purement nominales aux anciens élus et trésoriers de France, possesseurs de vieux titres achetés à prix d’argent. Les mêmes fonctionnaires faisaient percevoir les taules par des collecteurs, et on admettrait difficilement comme des réalités historiques les procédés de ces agens subalternes sans le témoignage d’un contemporain chez lequel la clairvoyance d’un véritable génie était à la hauteur du plus rare courage[8].

Cette création de Richelieu fut certainement le plus fécond de ses actes en conséquences imprévues. Dépositaires de fonctions non achetées et toujours révocables, qu’ils n’exerçaient d’ordinaire que durant très peu d’années dans la même généralité, les intendans, qui étaient pour la noblesse des oppresseurs de la patrie, vils adulateurs d’un pouvoir tyrannique[9], ne semblaient guère moins odieux à l’antique magistrature, qui avait acquis à deniers comptant le droit de transmettre ses offices et de mourir sur les fleurs de lis. Ne devant leur importance ni à leur naissance, ni à leur fortune, ni à la faveur personnelle du monarque, attendant tout de l’opiniâtreté de leur labeur et du fanatisme calculé de leur dévouement, ces fonctionnaires sans racines et sans traditions furent dans la monarchie de l’ancien régime comme les produits anticipés de la société issue de l’union de la révolution avec l’empire.

Nous vivons dans un pays qui n’a guère moins l’ignorance que le mépris de son passé. Pour persuader à la France du XIXe siècle qu’elle ne date pas d’hier, comme voudraient le lui laisser croire des écrivains qui en cela se tiennent pour ses flatteurs, pour lui faire comprendre que chez elle les difficultés viennent de loin et que les maladies sont chroniques, il a fallu qu’un publiciste éminent lui mît sous les yeux le fidèle tableau de cet ancien régime, si différent du nôtre par les orgueilleuses prétentions de l’esprit, mais qui lui est si analogue par les habitudes invétérées du caractère[10]. M. de Tocqueville s’est acquitté de cette tâche comme on pouvait l’attendre de lui, et s’il était entré dans son plan de suivre le développement du génie national dans l’histoire de la vieille société française au lieu de le montrer seulement au jour qui en précéda la catastrophe, il aurait confirmé ses lumineux enseignemens par des témoignages irréfutables.

Si les partis se trompent souvent sur ce qui peut les servir, ils ont toujours l’instinct vrai de ce qui peut les blesser. La noblesse et la magistrature, atteintes par l’établissement des intendans à la prunelle de l’œil, selon le mot du cardinal de Retz, se bercèrent longtemps de l’espérance de les renverser. Leur suppression fut l’un des premiers articles du programme voté dans la chambre de Saint-Louis aux jours troublés de la minorité de Louis XIV. Mazarin s’y soumit tant qu’il ne se trouva pas assez fort pour résister ; mais, supprimés en 1648, ils reparurent plus puissans et mieux affermis en 1655, lorsque le jeune monarque eut triomphé de l’opposition bigarrée dans laquelle parlementaires et grands seigneurs avaient confondu leurs antipathies et leurs rancunes. Quand Louis XIV prit en main les rênes du pouvoir à la mort de Mazarin, ces agens fonctionnaient dans toutes les provinces avec l’énergie d’un pouvoir confiant et victorieux.


II

Quelques traits suffiront pour esquisser le tableau du gouvernement qui allait faire de si grandes choses dans la guerre et dans la paix. À côté du monarque, et comme perdus dans les splendeurs de la royauté, on trouvait, avec le chancelier et le surintendant des finances, trois secrétaires d’état, l’un pour la guerre, l’autre pour les affaires étrangères, le troisième pour les affaires des religionnaires protestans. Cette division du pouvoir ministériel ne tarda pas d’ailleurs à être modifiée par la substitution d’un contrôle général à la surintendance des finances et par l’établissement d’un ministère particulier pour la marine, le commerce et la maison du roi. Les secrétaires d’état formaient l’unique conseil du monarque pour tous les grands intérêts politiques. Indépendamment de ses attributions spéciales, chacun des ministres avait dans son ressort un certain nombre de généralités de l’administration desquelles il connaissait directement. C’est sans doute parce que les idées simples se produisent presque toujours tardivement que la création d’un ministère spécial de l’intérieur a été chez nous postérieure de deux siècles à l’établissement de la centralisation administrative. Quoi qu’il en soit, la division des généralités entre les secrétaires d’état ne fut point, ainsi qu’on pourrait le croire aujourd’hui, un obstacle à cette unité de direction, caractère éminent du gouvernement de Louis XIV. Chacun d’eux rapportait en effet les affaires concernant les provinces de son ressort dans le conseil des dépêches, tenu devant le roi, où toutes les résolutions étaient prises et libellées. Bientôt d’ailleurs l’infatigable activité de Colbert eut absorbé la presque totalité des affaires administratives, parce que celles-ci se résolvaient à peu près constamment en questions financières, soit pour l’approbation des dépenses, soit pour l’apurement des comptes.

Les conseillers d’état et les maîtres des requêtes, ces hommes qui sont tout dans l’histoire de ce temps, et que l’on y aperçoit à peine, selon l’observation de M. de Tocqueville, composaient en réalité les deux corps au sein desquels venait se concentrer toute l’administration du royaume, Le conseil des finances déterminait souverainement la nature et la quotité de l’impôt depuis que les états-généraux n’étaient plus qu’un souvenir, et que la déclaration royale de 1665 avait fait perdre aux parlemens le droit de remontrance. Ce conseil opérait par généralité le répartement de toutes les charges, sans autres observations que celles des intendans, sauf le droit à peu près stérile de députer en cour, réservé aux pays d’états. Le conseil des parties exerçait, outre les attributions contentieuses données aujourd’hui à notre premier corps administratif, les droits les plus élevés de la souveraineté et de la justice. Il rendait des arrêtés d’évocation, fixait les juridictions par le droit de committimus, et, transformé parfois en une sorte de cour de cassation où le bon plaisir royal tenait, il faut bien le dire, la place de la loi, il annulait les arrêts des parlemens, lorsqu’ils étaient contraires à sa propre jurisprudence. Entre tous ses droits souverains, il n’en est pas dont Louis XIV ait mis plus de prix à constater l’usage, et l’on sent percer les plus amères rancunes de sa jeunesse dans les fières paroles qu’il adresse au dauphin au commencement de ses Mémoires : « L’autorité des parlemens, qu’on regardait comme opposée à la mienne, produisant de très méchans effets,… je leur fis défense de rendre, des arrêts contraires, à ceux de mon conseil, en quelque circonstance que ce pût être. »

On le voit, jamais pouvoir ne fut plus absolu dans ses principes, plus concentré dans son action que celui de ce prince. À ce mécanisme conduit par un seul moteur, se rattachait un réseau de fonctionnaires provinciaux aussi nombreux que de nos jours. Trésoriers de France et secrétaires du roi, élus, jurats, échevins, maires et consuls, collecteurs et gabelous, contrôleurs pour toutes les transactions commerciales, éclos, aux premiers temps de Mazarin, du génie fiscal d’Émery, intendans d’administration, d’armée et de finances, juges et conseillers de toutes les robes, tout cela pullulait sous l’antique monarchie, sur laquelle nous avons du moins acquis cet avantage de solliciter aujourd’hui ce qui s’achetait alors à des prix quelquefois extravagans. Je trouve dans Forbonnais un relevé des seuls offices de justice et de finance pour l’année 1664, qui en porte le chiffre à 45,780, et la valeur vénale à 419,842,000 fr.[11]. Calculée au cours actuel de notre monnaie, cette valeur atteindrait un milliard. L’ardeur des places était une maladie tellement endémique dans l’ancienne société française, que Louis XIV retira aux villes leurs droits d’élection dans l’unique pensée de les leur revendre en détail : étrange spéculation que le règne suivant renouvela par deux fois, sans que la déloyauté d’un tel marché lassât jamais l’empressement des acheteurs !

Cependant cette machine si compliquée était en 1661 rouillée dans ses ressorts et hors d’état de rendre d’utiles services. Victorieuse de l’Europe et des factions, la France avait à sa tête un gouvernement faible et obéré. La paix des Pyrénées n’avait pas été moins nécessaire que glorieuse, car les armées étaient épuisées comme les finances, et l’industrie nationale au berceau ne pouvait fournir la plupart des matières premières indispensables pour faire la guerre. Pendant que les débris de notre marine étaient menacés sur nos côtes par les Barbaresques, les navires hollandais, qui seuls se montraient dans toutes les mers, venaient apporter dans nos ports des marchandises pour lesquelles la France avait rarement à offrir un fret de retour. L’improbité était aussi générale dans l’administration que le péculat dans les armées, désordre qu’entretenait systématiquement le surintendant lui-même, d’abord pour devenir indispensable au jeune roi, puis pour établir sa fortune sur les bases qui avaient servi à élever celle de Mazarin. Ne vivant que d’anticipations, l’état était à la merci des traitans ; ceux-ci, de leur côté, sans nulle défense contre le pouvoir, passaient leur vie dans les dernières extrémités du luxe et de la terreur, logés dans des palais en attendant qu’une chambre de justice les envoyât pourrir dans un cachot. À cette époque, la main du pouvoir s’étendait donc partout, mais partout aussi cette main était impure ou paralysée.

Entre tous les actes de Louis XIV, l’arrestation de Fouquet, méditée dans un secret profond, exécutée avec des précautions minutieuses, fut certainement celui dans lequel le prince associa le plus étroitement l’énergie avec la prudence. On peut blâmer l’ardeur de ses poursuites personnelles dans le"procès, on peut s’étonner à plus juste titre de la mesure par laquelle une détention perpétuelle fut arbitrairement substituée à la peine du bannissement prononcée contre le malheureux surintendant ; mais pour apprécier la pensée politique de Louis XIV dans l’affaire qui ouvrit son règne d’une manière si éclatante, il faut se bien mettre en présence de ce que représentait Nicolas Fouquet pour le jeune et fier monarque dont la tête était toute pleine des images de la guerre civile, et qui embrassait déjà pour la France tant de nouvelles perspectives de puissance et de grandeur. Aux yeux du roi, Fouquet cumulait tous les vices de la génération nouvelle avec ceux de la génération précédente : au présent il avait pris l’improbité brouillonne, au passé il avait emprunté des projets, d’ailleurs extravagans, de résistance éventuelle à la volonté royale derrière les murs crénelés des places de guerre. Le surintendant était donc pour lui un frondeur et un fripon. Enfin, chose plus grave, cet homme, sorti du négoce et de la magistrature bretonne, avait pris les goûts les plus élégans et les plus folles visées de l’aristocratie de cour, mettant en suspicion par son attitude la fidélité modeste de la classe à laquelle Louis XIV entendait remettre le soin des affaires publiques, pour ne pas diminuer, en le partageant avec des hommes considérables, le prestige de sa propre puissance[12].

Ce qui perdit Fouquet fit la fortune de Colbert. L’intendant de Mazarin représentait bien cette bourgeoisie alors dévouée jusqu’au fanatisme à une royauté qui avait fait sa fortune, mais qui, depuis la mort du grand roi, a prouvé, en poursuivant sa mémoire, que les profits de l’ambition ne consolent jamais en France des souffrances de la vanité, et que l’énergie des plaintes croît toujours avec l’importance des conquêtes. Il n’est guère dans l’histoire moderne de figure plus connue que celle de Colbert. Dans un portrait au daguerréotype, un peu forcé, mais d’une vérité à faire peur, un contemporain nous a montré « ce visage renfrogné, ces yeux profonds, ces sourcils épais et cette face austère qui tout d’abord glaçait d’effroi ;… homme d’une application infinie, et d’un désir insatiable d’apprendre qui lui tenait lieu de science ; ignorant, mais citant des passages latins qu’il avait appris par cœur, et que ses docteurs à gages lui avaient expliqués ; sans nulle passion depuis qu’il avait quitté le vin ; esprit solide, mais pesant, qui fit trembler tous les hommes habitués depuis si longtemps dans les affaires à pêcher en eau trouble[13]. » Cet homme fut rude en effet pour les autres, parce qu’il l’était pour lui-même. Travaillant seize heures sur vingt-quatre et vivant sans reproche, il se sentait le droit de faire trembler par sa vigilance impitoyable tous les agens incapables ou infidèles. Très probe, quoique très intéressé, et ne mettant au-dessus du bonheur d’augmenter sa fortune que celui de bien servir, Colbert avait toutes les qualités qui font le grand administrateur sans aspirer à celles qui font le grand homme d’état. Nommé contrôleur-général des finances après la disgrâce du surintendant, il comprit qu’il n’y avait pas place sous un tel prince pour un premier ministre, et circonscrivit son rôle par calcul autant que par instinct. Ayant le courage nécessaire pour avertir le roi sans atteindre jamais à celui de lui résister, il mit toute son activité à faire réussir des desseins qu’il n’avait point conçus, et, pleinement satisfait de la tâche immense que lui abandonnait la confiance du monarque, il ne songea qu’à rendre la France plus riche, afin de rendre ainsi le roi plus puissant. Colbert fut donc durant vingt ans le plus prodigieux pourvoyeur d’argent et d’hommes qu’un souverain ait jamais rencontré. Portant au roi le dévouement aveugle de l’école bourgeoise qui, depuis le XVIe siècle, ne voyait la France que dans le monarque, il devint naturellement et sans aucune bassesse l’instrument infatigable de la doctrine politique si sincèrement professée par Louis XIV.

Cette secrète entente entre le roi et son ministre détermina la confiance de l’un et la sécurité de l’autre, sécurité qui fut entière jusqu’au jour où M. de Louvois, succédant à Le Tellier, son père, dans le département de la guerre, engagea contre le contrôleur-général la lutte secrète qui rendit Colbert malheureux, mais en le laissant d’ailleurs aussi puissant jusqu’au dernier jour de sa carrière. C’était par une foi presque mystique dans l’autorité royale que se lièrent ainsi l’un à l’autre le moins brillant des ministres et le plus élégant des princes. Tous deux voyaient dans la direction imprimée par l’état aux intérêts matériels comme aux idées et aux croyances une conséquence logique de cette unité nationale conquise par six siècles de labeurs. Cet esprit-là se révèle dans tous les actes de Colbert. Pour protéger l’industrie française, il ne recula pas plus devant la guerre au dehors et devant une sorte de terrorisme administratif à l’intérieur que Louis XIV, pour protéger la foi de son royaume, ne fut arrêté par des mesures dont le caractère atroce répugnait certainement à son cœur. Inquiet de toutes les initiatives que la liberté industrielle aurait pu favoriser, convaincu qu’un bon gouvernement était tenu de prévenir le mal dans la sphère commerciale aussi bien que dans celle des consciences, et que mieux valait entraver le progrès que de laisser le champ libre à la fraude, Colbert enlaça les corporations ouvrières dans des règlemens tellement minutieux, il sanctionna ceux-ci par des pénalités tellement effroyables, qu’il faut parfois, pour le croire, trouver ces documens rappelés par M. Pierre Clément ou consignés dans la collection de M. Depping[14]. Sous l’empire des mêmes convictions et par l’emploi des mêmes procédés, il organisa, par arrêts du conseil, de grandes compagnies commerciales demeurées à peu près sans avenir, et couvrit le royaume de manufactures qui donnèrent à la France de belles industries sans y susciter de véritables industriels. Durant le grand règne, l’originalité fut subordonnée à la règle dans le travail comme dans les lettres.

Soumettre toutes les forces à la direction du pouvoir, relever l’obéissance à la monarchie par une admiration exaltée pour la personne du monarque, telle fut la formule de ce vaste système. Colbert dut l’appliquer à la pensée comme il l’avait fait aux intérêts. Complétant l’œuvre de Richelieu, dont il était l’admirateur passionné, il plaça donc sous le patronage royal les savans et les artistes. Pour atteindre ce but, il institua les trois Académies des Sciences, des Inscriptions, des Beaux-Arts, appelées, par les termes mêmes de leur fondation, à étendre et à perpétuer la gloire du roi par les lettres, par le marbre et par l’airain. Sa qualité de ministre de la maison royale fit également au contrôleur-général un devoir d’organiser ce patronage des lettres en France et au dehors, qui, s’il fut l’une des gloires les plus éclatantes de Louis XIV dans la postérité, fut assurément aussi l’une des inspirations les plus calculées de sa diplomatie[15]. Ce protectorat littéraire, dans lequel le roi porta du reste des vues d’économie qui contrastent singulièrement avec ses prodigalités architecturales, ne lui coûta pas en moyenne plus de 75,000 francs par année, c’est-à-dire moitié moins que le somptueux voyage en France du cavalier Bernin, dont le seul résultat effectif fut un buste médiocre du monarque. En parcourant l’état des pensions accordées aux hommes de lettres pour l’année 1663, la seconde du gouvernement personnel de Louis XIV, état qui monte à 100,000 fr., mais qui fut réduit d’un quart à partir de 1672, on peut s’assurer qu’on mesurait moins les encouragemens au talent qu’à la faveur fugitive des salons[16]. Si donc les lettres brillèrent dans ce temps-là d’un éclat incomparable, c’est que les événemens et les siècles avaient amené à maturité le génie de la nation, et que, grâce à l’harmonie qui existait alors entre les idées et les institutions, l’impulsion du pouvoir s’exerçait dans le sens de leurs propres tendances.

Une lutte curieuse à suivre s’ouvrit entre Louis XIV et son ministre pour l’application de cette haute pensée monarchique aux plus minutieux détails du gouvernement et de la police du royaume. Contrôleur-général, secrétaire d’état de la marine et de la maison du roi, surintendant des bâtimens, Colbert suffisait à peine à sa tâche en consacrant aux affaires toute une vie sans distractions. Déployant au contraire dans ses plaisirs, dans ses voyages et jusque dans ses expéditions militaires toutes les pompes de l’Orient, Louis semblait porter légèrement son fardeau, mais ne perdait pour aucun de ses devoirs le temps qu’il donnait à ses jouissances. Sa vie était réglée comme une horloge, et Saint-Simon a pu faire de ce prince cet éloge, qu’à chaque minute du jour on pouvait par toute l’Europe : savoir avec certitude ce que faisait alors le roi de France. Ce fut avec cette persévérance méthodique qu’il entama la grande tâche devant laquelle aurait reculé un souverain moins pénétré de l’étendue de ses droits et de celle de ses obligations. Lorsqu’il prit la direction des affaires, nous avons dit que l’état, vivant presque uniquement de crédit, était le moins sûr des créanciers, parce qu’il en était le plus pauvre[17]. La violence n’était guère moins impunie dans les provinces que le vol au centre du gouvernement, car après la fronde la féodalité avait eu ce malheur commun à la plupart des grandes causes, de finir déshonorée par ses derniers représentans. Il suffirait, comme preuve, de rappeler les horreurs qui épouvantèrent le Berri, l’Auvergne et le Velay avant la sanglante répression des grands jours.

Pour trouver des ressources et relever la confiance, le gouvernement nouveau n’employa que les moyens consacrés par un long usage. À l’exemple de Henri IV, son petit-fils forma une chambre de justice investie d’un pouvoir discrétionnaire, qui dut remonter dans ses opérations à plus de vingt-cinq ans et faire rendre gorge aux financiers, suivant que l’état de leur fortune paraîtrait établir l’existence de profits illicites. Devant ces commissaires, choisis d’ailleurs entre les membres les plus éminens des divers parlemens, fut appelé à comparaître quiconque avait concouru aux fournitures, aux emprunts, ou même à la perception de l’impôt. Tout Français appartenant à l’une des catégories sur lesquelles retombait le poids de cette inexorable justice fut contraint de fournir un état justificatif de tous ses biens, qui en indiquât la nature et l’origine, et pendant que cette immense enquête portait la terreur dans de nombreuses familles, il était enjoint, au nom du roi, à tous les curés d’inviter leurs paroissiens à révéler à ses procureurs-généraux les délits qu’ils auraient pu connaître en matière de finances, à titre de pots-de-vin, gratifications, surimpositions arbitraires ou vexations exercées par les collecteurs sur ses sujets.

Soit par le progrès de nos mœurs, soit par l’effet de leur faiblesse, notre temps répugne à de telles mesures. Il n’en était point ainsi au XVIIe siècle, et le pouvoir ne scandalisait alors personne soit en lançant en chaire des monitoires contre les traitans, soit en promettant une large prime aux délateurs. Tous les témoignages constatent en effet qu’en 1663 la nomination de la chambre de justice fut acceptée par la conscience publique comme le signal d’une ère réparatrice. Quelques financiers et receveurs pendus, d’autres effigies, un plus grand nombre emprisonnés ou en fuite, 110 millions entrés dans les coffres de l’état du prix des propriétés confisquées sur les hommes de finances, une appréhension universelle de ce gouvernement devenu soudainement si riche après s’être montré si résolu, des transports de joie dans le peuple, qui se console toujours de ses misères par le spectacle des chutes éclatantes, tels furent les importans résultats de l’acte par lequel Louis XIV prit solennellement possession de son sceptre et de sa main de justice.

Depuis la mort de Richelieu, l’ordre public n’avait pas été en France moins gravement atteint que la probité. Des crimes dont la qualité des coupables relevait encore le caractère odieux étaient journellement commis dans les provinces en présence de juridictions locales qui restaient désarmées quelquefois faute de bon vouloir, le plus souvent faute de puissance. Assassinats, viols, mises à rançon, voyageurs détroussés aux gorges des montagnes de l’Auvergne et du Velay, comme aux temps où les seigneurs de Montlhéry et du Puiset bravaient les armes de Louis le Gros, condamnés contumaces venant, à l’exemple du trop fameux marquis de Pomenars, confronter publiquement leur visage avec leur, effigie, mille traits d’audace et mille exemples d’impunité remplissent les importans mémoires où le jeune Fléchier a recueilli des souvenirs qui, pour nous, sont presque des révélations. Ces désordres, demeurés à peu près inconnus à l’histoire, quoique tenant une très grande place dans la vie de cette société, bientôt après si calme, sont confirmés d’ailleurs par des témoignages aussi nombreux qu’authentiques. Ils remplissent la plus grande partie des dépêches adressées à Colbert par Pommereuil, intendant à Clermont, Pellot, intendant à Montauban, de Sève, intendant à Bordeaux, et par les présidens Fieubet, d’Oppède et d’Atgouges[18]. Lorsqu’on sait quelle terreur entretenaient dans certaines provinces les mœurs des gentilshommes et la rapacité des agens du fisc, il est facile de comprendre l’ivresse avec laquelle fut accueillie la nomination de la chambre de justice et des commissaires des grands jours. Dans le Berri, en Auvergne, en Guienne, le peuple se releva tout à coup, prêt à se montrer oppresseur à son tour, de telle sorte que le gouvernement, qui venait de dresser à Clermont l’échafaud du vicomte de Beaufort-Canillac et de jeter grand nombre des plus riches seigneurs dans les cachots ou dans l’exil, eut bientôt à réprimer les menaces de Jacques Bonhomme contre toute l’aristocratie territoriale. À la rigueur de ces grands coups, les fils des anciens serfs avaient reconnu le sang des vieux rois justiciers, et c’était avec une tumultueuse reconnaissance qu’ils se montraient la fameuse médaille commémorative des actes judiciaires de 1665, médaille qui représentait un esclave se relevant sous la protection du glaive royal, avec ces mots en exergue : Salus provinciarum ; repressa potentiorum audacia.

Louis XIV allait profiter bientôt de la consolidation de sa puissance en traçant à la procédure criminelle des règles non moins précieuses pour les accusés que pour la société elle-même ; mais il n’y a point à s’étonner si, au début de son règne, il voulut user des armes que ses prédécesseurs lui avaient léguées pour reprendre la haute tutelle des faibles et des opprimés en présence de parlemens irrésolus ou intimidés. En convoquant les grands jours, il usa du seul moyen de répression efficace qu’eussent employé les rois de France depuis le règne de François Ier. La terreur que répandirent M. de Novion et ses quatorze commissaires en robe rouge fit tomber toutes les résistances formées par le concert des habitudes avec les intérêts, et Louis XIV, demeuré dans son royaume l’unique dispensateur de la force et de la justice en fait comme en droit, put bientôt songer aux belles réformes destinées à imprimer tant d’éclat à son règne.

Lorsqu’on pénètre dans l’intimité de cette société, où l’autorité royale était seule debout au milieu des ruines qu’elle avait faites, on ne saurait s’empêcher de reconnaître qu’elle y était alors l’instrument nécessaire de tous les progrès, qu’elle seule possédait, avec une véritable puissance d’initiative, l’esprit d’entreprise et le pressentiment de l’avenir. Les divers pouvoirs locaux, qu’ils existassent comme les parlemens à titre judiciaire, ou comme les états provinciaux et les municipalités à titre administratif, n’avaient guère que la stérile ambition d’empêcher, et songeaient moins à imprimer une impulsion féconde qu’à élever des obstacles. Envahis par une sorte d’inertie jalouse, sans une vue ou un projet qui leur fût propre, les pouvoirs provinciaux ne s’animaient jamais que pour contrarier les conceptions de l’autorité centrale, ou pour défendre des prérogatives dont la première était à leurs yeux l’immobilité. S’agissait-il de simplifier le mécanisme administratif, d’ouvrir des routes, de construire des ports ou des canaux dans un intérêt public, c’était presque toujours sous le coup d’injonctions comminatoires que ces pouvoirs, dont l’œil n’embrassait que les horizons les plus étroits, consentaient à prêter leur concours moral et financier. Ce mal était endémique dans les parlemens, et bien plus encore dans les administrations provinciales. On avait vu les capitouls de Toulouse faire repousser dans les états du Languedoc l’uniformité des poids et mesures ; ils y avaient fait proscrire l’indigo, qu’ils prétendaient inférieur à leur pastel. Ces états, dont l’administration mérite pourtant d’être citée entre toutes les autres, avaient repoussé le projet de la création d’un port à Agde ; ils avaient vivement combattu l’idée d’un canal de Toulouse à Narbonne, et plus tard la même opposition s’y rencontra pour empêcher de joindre Narbonne au canal des deux mers, opposition à laquelle, selon Forbonnais, la postérité ne voudra pas croire. Le projet de dessécher les marais d’Aigues-Mortes fut aussi ajourné par suite de la résistance de la noblesse, inquiète de voir ses terres diminuer de valeur, si ces marais étaient assainis et rendus à l’agriculture. La Bourgogne n’opposa pas une résistance moins vive à Colbert pour l’exécution de ses plans industriels. Les états refusèrent tout concours aux manufactures que ce ministre se proposait de fonder dans la province, « personne ne trouvant ici, écrit le commissaire du roi, qu’il y ait aucun avantage pour le pays dans de pareils établissemens[19]. » Il n’en fut pas autrement en Bretagne, où vivait un esprit national tellement ombrageux, que l’énergie même de ce sentiment en excuse les plus aveugles inspirations. Depuis la fin du XVIIe siècle, les états de cette province eurent le sort de ces assemblées qui se consolent quelquefois par la vivacité de leurs paroles de la nullité de leurs attributions. Si des ports nombreux furent créés dans cette grande péninsule, si de larges routes vinrent féconder ses landes et la relier aux contrées voisines, ce ne fut pas sans que les états opposassent à ces mesures des protestations aussi vaines d’ailleurs que l’étaient alors leurs droits politiques. Entre ces droits, celui de faire porter au roi de respectueuses représentations contre ses édits ou contre les arrêts de son conseil était peut-être le plus chaleureusement défendu par les aspirans toujours nombreux à la députation en cour. Cette faculté d’ailleurs n’était pas sans importance dans le silence universel du temps : elle avait une valeur plus réelle que ce prétendu droit d’octroyer un don gratuit qui, à quelques milliers de francs près, était arrêté d’avance. Ce don n’était d’ailleurs perçu que sur les tailles, le seul impôt dont disposât la province pour les frais de son administration, tous les autres étant directement levés au nom du roi, sans aucune sorte de contrôle ou d’assentiment.

Des prérogatives constitutionnelles illusoires, des habitudes d’administration où dominait une incurable inertie, telle était donc la condition générale des pouvoirs locaux dans la première moitié du XVIIe siècle. Ceci explique et semble justifier d’une part l’activé intervention de la puissance ministérielle dans toutes les affaires locales, de l’autre la parfaite indifférence avec laquelle les provinces virent tomber dans la désuétude et l’oubli des institutions qui ne donnaient lieu qu’à un vain cérémonial et à des charges supplémentaires. Depuis assez longtemps, la plupart des états provinciaux de la monarchie avaient cessé d’être convoqués ; la Normandie perdit les siens en 1655[20], sans que cette disparition fût un événement ni pour elle ni pour le royaume. La Bretagne, la Bourgogne, l’Artois, le Languedoc, la Provence, quelques petites localités du midi conservèrent seules une représentation devenue purement nominale. À partir de 1672 environ, on ne souffle mot ni à Rennes, ni à Toulouse, ni à Dijon, et les états n’ont plus d’autre mission que de voter des gratifications au gouverneur et à l’intendant, aux secrétaires d’état, aux commissaires du roi et à leurs propres officiers. Il régnait alors dans ces assemblées, comme dans la presque totalité des corporations municipales, un esprit si mesquin et si naïvement égoïste, que leur chute ne saurait guère provoquer de regret, puisqu’en compensation des avantages matériels que leur obstination faisait perdre^ elles ne suscitaient dans la nation aucun besoin de véritable indépendance, aucune habitude sérieuse de liberté.

La connaissance d’un état de choses qui fomentait à la fois l’esprit de désordre et de routine, et ne nuisait pas moins aux intérêts propres des provinces qu’à la puissance de la monarchie, confirmait chaque jour davantage Louis XIV dans le sentiment intime de son droit et dans celui de ses devoirs. L’un de ses premiers actes avait été de confier en 1664, à des maîtres des requêtes de son conseil, une mission de haute importance. Chacune des provinces du royaume fut visitée par l’un de ces magistrats, qui dut dresser une statistique minutieuse de ses besoins et de ses ressources. Configuration géographique et même géologique, état des routes, des travaux publics et des mines, agriculture, industrie, commerce, tels furent les principaux points sur lesquels il était prescrit aux maîtres des requêtes délégués de faire porter leurs investigations. M. Chéruel a publié, d’après les manuscrits Conrart, le texte même de l’instruction royale donnée aux commissaires, et notre administration, si passionnée pour les questionnaires, si amoureuse des chiffres, n’a pas certainement de cadre plus complet et plus méthodique à présenter. À la partie patente de cette enquête, la confiance du cabinet en avait joint une autre. Les maîtres des requêtes étaient chargés de prendre les informations les plus précises sur l’esprit, la fortune et les charges des hommes les plus influens de la noblesse et du clergé, et particulièrement sur les dispositions politiques des divers parlemens du royaume. La conduite des gentilshommes durant les troubles de la minorité devait être rappelée. Les ministres voulaient surtout savoir d’une manière certaine quel fonds le roi pouvait faire en toute occasion sur la fidélité de ses cours, « étant aussi fort important de dire si les magistrats sont bien résolus à se servir de l’autorité qui leur est commise pour protéger les faibles contre les puissans, et si dans toutes les occasions de violence, comme meurtres, assassinats, mauvais traitemens commis par les gentilshommes ou principaux des provinces, ils ont soutenu fortement la même autorité et fait justice contre les coupables. »

Ainsi se dessinait plus nettement chaque jour cette autorité absolue, mais tutélaire, qui tenait l’œil ouvert sur tous les besoins comme sur toutes les faiblesses de ses agens. Les renseignemens envoyés sur le personnel judiciaire ont été recueillis dans la Correspondance administrative, et l’ensemble de ces rapports fournirait des tableaux de mœurs des plus piquans. Il n’était pas un conseiller de cour supérieure, pas un maire, un échevin, un capitoul de quelque importance, dont on ne connût à Versailles le caractère, les dispositions et les vœux, aussi bien qu’on les connaît aujourd’hui dans nos bureaux du personnel : preuve nouvelle que nous n’avons pas tout inventé ! Les inconveniens de ce système étaient alors perdus dans l’immensité de ses bienfaits. L’enquête ouverte par Louis XIV avait révélé les souffrances du peuple et celles de l’agriculture. Si ses lois céréales font moins d’honneur à Colbert que ses mesures financières, et si ce n’était pas en interdisant l’exportation des grains qu’il pouvait en encourager la production, on doit à ses conseils une série de dispositions dont l’effet sur la prospérité publique fut aussi heureux que rapide. Il fit remise à la population rurale de tout l’arriéré des tailles, et n’hésita pas à diminuer de moitié cet impôt, plus fatal encore qu’impopulaire, puisqu’il portait sur les instrumens mêmes du travail, et qu’il créait pour le pauvre la plus inique de toutes les glèbes[21].

Pénétré plus qu’aucun autre ministre de son temps du grand principe de l’égalité des charges, auquel il aurait aimé à donner une application plus complète, Colbert restreignit, par des règlemens qui ne lui survécurent pas, il est vrai, le champ malheureusement trop vaste des exemptions par privilège. À cette équitable pensée se lièrent bientôt après la recherche des faux nobles et cette fameuse réformation de 1669, sortie d’une inspiration bien plus fiscale que politique. Ce ministre ne tarda pas à trouver une compensation plus large encore dans l’établissement d’impôts de consommation qui atteignirent tous les sujets du roi, sans distinction de naissance, et dans la proportion de leur fortune véritable. Bientôt un remboursement des rentes de l’Hôtel-de-Ville, aliénées à vil prix par le cardinal Mazarin, remboursement exécuté par des procédés moins louables que les intentions, au sein d’une agitation que le pouvoir était désormais assez fort pour braver, vint alléger la dette publique de huit millions, somme qui représentait alors le dixième environ du budget des recettes. Colbert ne poursuivit pas avec moins d’ardeur la réforme de la comptabilité que la réforme de l’impôt. Un conseil royal des finances avait été créé par Louis XIV, et ses décisions, rédigées en forme d’ordonnances, furent toutes revêtues de la signature du roi, qui, jusqu’à la fin de son règne, ne manqua pas de le présider une fois par semaine. La formation de ce conseil fut le signal d’une ère nouvelle ; l’improbité disparut avec le désordre. L’hérédité et la survivance des offices de finances furent en partie révoquées ; un cautionnement fut exigé des comptables, en même temps qu’une hypothèque était prise sur tous leurs biens ; enfin leurs opérations, soumises à des formes rigoureuses, durent être consignées dans un registre-journal fréquemment inspecté. Pour les traités à passer avec les adjudicataires des fermes, le système des enchères fut substitué à celui des concessions directes[22], et jamais retour à l’honnêteté n’exerça sur la richesse publique une action plus immédiate. Il faudrait descendre jusqu’aux jours du consulat pour se trouver en présence d’une révolution aussi soudaine et aussi salutaire. L’argent afflua au trésor, et cette abondance fut encore moins déterminée par la réduction des rentes et les confiscations juridiquement prononcées que par le sentiment de sécurité qu’inspirait partout ce gouvernement, fortifié et rajeuni de la vigueur et de la jeunesse de son chef. À la tête des finances les plus florissantes du monde, Louis XIV put donc, sans renoncer à aucune de ses prodigalités splendides, entamer contre l’Espagne la lutte brillante qu’allait bientôt terminer cette paix d’Aix-la-Chapelle, plus glorieuse encore que ses victoires.

En trois ans, l’administration nouvelle avait porté les recettes de 84 millions à 100 millions ; elle avait opéré dans les dépenses, et plus spécialement dans les frais de perception, qui s’étaient élevés à près de 50 pour 100, des réductions tellement considérables, que le roi put disposer, pour la suite de ses vues politiques, d’un excédant annuel d’environ 32 millions de francs. De 1662 à 1672, la richesse publique s’éleva par le contre-coup de la richesse de l’état, et réagit à son tour sur celle-ci. La remise des impôts arriérés, l’abaissement de la taille, l’interdiction de saisie sur le bétail et les instrumens aratoires, et l’application, parfois sanglante, du grand principe de l’égalité devant la loi, avaient rendu à la population agricole confiance et sécurité. La population maritime reçut une preuve plus éclatante encore de la sollicitude du pouvoir : le fameux droit de 50 sous par tonneau sur tous les navires étrangers répondit tardivement à l’acte de navigation de l’Angleterre, et fut établi malgré les plaintes et les menaces de la Hollande, maîtresse depuis trente ans d’un monopole sous lequel avaient péri nos dernières ressources maritimes. Si le colbertisme, envisagé dans l’ensemble de ses moyens artificiels d’excitation et de ses mesures protectrices, peut susciter de graves objections, ce vaste système, appliqué à tous les intérêts de la France avec la rudesse naturelle au génie du fondateur, donna du moins pour un temps à l’activité nationale des développemens qu’il est impossible de méconnaître.

Parmi des mesures tellement diverses qu’on éprouve une difficulté véritable pour les énumérer, la plus importante fut le rétablissement de ce conseil du commerce, l’une des plus belles institutions de Henri IV, tombée en désuétude sous Mazarin ; À ce conseil, présidé par le roi avec sa ponctualité habituelle, vinrent aboutir tous les renseignemens des intendans sur les besoins de l’industrie et tous les documens adressés par les agens diplomatiques et consulaires chargés d’enrôler au dehors, au prix des plus grands sacrifices, les artistes et les ouvriers qui pouvaient alors manquer à la France.

Les travaux publics, ceux qui touchaient surtout à la rapidité des communications entre les diverses parties du territoire, reçurent une impulsion dont la vivacité attestait une préoccupation plus morale encore que matérielle. À ce règne remontent la plupart de nos routes actuelles, dont les étrangers n’admiraient pas moins alors la largeur que la solidité. Le fameux canal des deux mers fut entrepris et terminé malgré des obstacles devant lesquels aurait peut-être hésité la savante audace de notre temps ; on décréta le canal d’Orléans, on compléta celui de Briare, et Paris, assaini, pavé, éclairé, embelli par des monumens immortels, trouva dans un système d’approvisionnement bien assuré un éclat et une sécurité que ne connaissait à cette époque aucune des capitales de l’Europe.

Toujours poursuivi par la pensée d’unité qui était l’âme même du pouvoir monarchique dont il était le ministre, Colbert s’efforçait de s’en rapprocher dans toutes ses conceptions, lorsqu’il lui était interdit d’y atteindre. Assuré de rencontrer dans l’esprit de son royal maître l’adhésion la plus complète, il entama contre les antiques divisions territoriales, créées par les accidens de la nature ou de l’histoire, une lutte dont ni l’un ni l’autre n’aurait probablement désapprouvé la conclusion définitive, s’il leur avait été donné de la pressentir à cent ans de distance. Personne n’ignore qu’au XVIIe siècle les provinces, agglomérées successivement dans la vaste monarchie française, avaient conservé entre elles des barrières qu’aucun produit manufacturé ou naturel ne pouvait franchir, même en temps de disette, sans acquitter des droits qui avaient le double effet d’en retarder la circulation et d’en élever la valeur[23]. Moins puissant qu’une, révolution, quoiqu’il le fût beaucoup plus que tous ses prédécesseurs, Louis XIV ne pouvait consommer en un jour l’unité administrative de la France ; mais, contrairement à la marche de ceux qu’il faut bien nommer les héritiers de sa doctrine, il tournait les obstacles qu’il ne pouvait affronter, s’en remettant au temps, parce qu’il croyait sa pensée appelée à se perpétuer dans sa race. Colbert dut donc se contenter de négocier une sorte d’union douanière, comme nous dirions aujourd’hui, entre un certain nombre de provinces limitrophes. Plus tard, pour atténuer quelque peu les inconvéniens de l’isolement où persistaient à se maintenir les provinces dites étrangères et pour favoriser le commerce extérieur, il créa des entrepôts pour les ports maritimes, dans lesquels s’opérait, en cas d’exportation, la restitution intégrale des droits acquittés à l’intérieur du royaume. Ainsi l’intelligence du pouvoir triomphait de la puissance des préjugés, et l’exportation s’étendait malgré des obstacles locaux tellement étranges, que nous avons aujourd’hui quelque peine à en admettre même l’existence. La Savonnerie, Aubusson et Beauvais livraient à l’Europe des tapis plus beaux que ceux de l’Orient ; l’art des Gobelins rivalisait avec celui de l’Italie ; nos glaces faisaient oublier celles de Venise, et nos dentelles soutenaient la concurrence avec les plus beaux points de Flandre et d’Angleterre. De grandes compagnies organisées par l’état avec les souscriptions personnelles du roi, des princes et de toute la cour, avec un large concours financier imposé aux fonctionnaires, embrassaient sur tous les points du globe, depuis les Indes jusqu’au Canada, des opérations auxquelles il ne manqua pour réussir que le stimulant de l’esprit de liberté. Au dedans du royaume, le commerce maritime était déclaré compatible avec la noblesse ; au dehors, il rencontrait un appui toujours présent dans le nombreux corps consulaire dont Colbert venait de déterminer les devoirs et de régler les attributions.


III

C’étaient là certainement des travaux magnifiques et des œuvres fécondes. Ces réformes étaient loin de suffire cependant à un prince aussi ardent pour le travail que pour le plaisir, et chez lequel le goût des détails avait pris le caractère d’une sorte de passion. Louis XIV se sentait mal à l’aise dans son royaume au milieu de tant de lois et de coutumes que les siècles y avaient laissées comme une sorte de protestation contre sa toute-puissance ; il aurait cru manquer à l’une des parties les plus importantes de son œuvre royale, s’il n’avait préparé du moins cette unité de la législation civile, corollaire obligé de l’unité dans la nation comme de l’unité dans le pouvoir.

Trois élémens distincts par leur origine comme par leur esprit composaient alors la magistrature française, — les justices seigneuriales, les parlemens et les présidiaux. Ces derniers seuls inspiraient à la royauté une confiance entière. Récemment créés par elle, ils ne se rattachaient pas, comme les justices seigneuriales, à une organisation dont elle aurait voulu abolir jusqu’au souvenir, et n’avaient des parlemens ni l’importance, ni les prétentions, ni les préjugés. Le prix très élevé des charges parlementaires et l’esprit provincial, qui s’était retiré dans les compagnies souveraines comme dans son dernier asile, avaient imprimé à leurs membres une sorte de caractère politique incompatible avec le système d’une monarchie purement administrative. L’une des pensées poursuivies avec le plus de persévérance par le gouvernement de Louis XIV fut celle qui tendait à réformer les parlemens en réduisant leurs attributions et l’étendue de leurs ressorts, de manière à les transformer en simples cours d’appel. Supprimer d’un seul coup la vénalité des charges dans la magistrature était une œuvre presque impossible, même pour le despotisme, car des sommes immenses étaient engagées dans cette nature de propriétés ; mais Louis XIV espéra se rapprocher du but en attaquant le scandale des épices, au moyen desquelles les magistrats retrouvaient l’intérêt des sommes dépensées pour l’achat de leurs charges. Dans une double préoccupation de politique et d’humanité, il proclama donc le grand principe de la gratuité de la justice, et ce principe devint l’une des bases de ces fameuses ordonnances de réformation qui donnèrent pour la première fois à la France un code civil et un code pénal.

De 1665 à 1667, le roi suivit lui-même, malgré les entraînemens de la guerre et des amours, les travaux épineux des savans commissaires chargés par lui de mettre les diverses législations de son royaume en harmonie avec l’autorité suprême du monarque et avec l’égalité de tous ses sujets devant celui qui était alors la loi vivante. Le journal d’Olivier d’Ormesson nous initie à tous les détails ignorés jusqu’ici de cette grande enquête, si longtemps contrariée par les résistances intéressées des parlemens, si obstinément poursuivie par l’indomptable volonté du prince. Dans ces conférences, nous voyons apparaître le vieux chancelier Séguier, enseigne imposante de tous les cabinets, qui, par une destinée singulière, avait, durant cinquante ans, su conserver un prestige personnel sans obtenir jamais d’importance politique. Derrière lui, nous trouvons le premier président de Lamoignon, ce type de la magistrature du XVIIe siècle, dévoué à la pensée du roi comme à l’idée même de la vérité et de la justice. À côté, l’on entrevoit Colbert caché par son oncle Pussort, « ce fagot d’épines toujours à la tête des plus grandes affaires du royaume. » Puis au second plan se montrent, avec quelques avocats d’élite, des conseillers d’état et des maîtres des requêtes comme Boucherat, Pontchartrain, Chamillart, Voysin, Le Pelletier, La Reynie, Gaumartin, figures désormais familières, depuis que dans l’élévation de leur fortune elles ont eu le dangereux honneur d’être burinées par Saint-Simon.

La commission chargée de préparer l’ordonnance civile à laquelle fut attribué le nom de Code Louis devait, tout en la déplorant, respecter la distinction établie dans le royaume par la pratique séculaire du droit coutumier et du droit romain. Fixer la compétence de manière à ce que nul ne fût désormais distrait de ses juges naturels, simplifier la procédure, réduire les frais, abréger les délais, dicter des règles identiques pour tous les tribunaux, en préparant l’unité du fond par l’unité de la forme, ce n’en fut pas moins à coup sûr un grand pas dans le sens des idées modernes, et la constituante de 1789 n’avait à tirer qu’une dernière conséquence de l’œuvre des commissaires de 1667. L’ordonnance criminelle de 1670 eut le même caractère de prudence et de progrès : elle ne prescrivit aucune innovation qui ne fût en faveur des accusés, et tempéra par des garanties précieuses les rigueurs encore trop nombreuses des temps barbares. Le même témoignage doit être porté du Code noir, qui, en maintenant le droit des maîtres dans ses inexorables nécessités, assura aux nègres des colonies françaises une situation plus douce, moralement supérieure à celle des esclaves des autres nations. Si l’on s’étonne aujourd’hui de la timidité de ces tentatives, il suffit de parcourir la Correspondance administrative pour s’assurer que le gouvernement de Louis XIV n’aurait pu faire un pas de plus sans passer du courage à la témérité. La plupart des parlemens opposèrent à l’exécution des ordonnances nouvelles ou des résistances effectives, ou une force d’inertie peut-être plus dangereuse. Ce fut par des ordres d’exil et des lettres de cachet que cette coalition, qui avait duré trente ans, fut enfin dissoute, grâce à la fermeté persévérante du chancelier de Pontchartrain[24]. Louis XIV avait donc accompli dans toute sa plénitude la tâche d’un roi qui entend diriger une réforme sans déchaîner une révolution.

On aurait en effet fort étonné Louis XIV en lui prédisant qu’une révolution sortirait un jour de son œuvre, parce que la bourgeoisie voudrait bientôt être placée dans la société française sur le même pied où il l’avait mise dans son gouvernement ; mais si, en cachant au grand roi tout le côté sinistre des événemens, on avait pu lui en présenter les seuls résultats administratifs, si on lui avait dit, par exemple, qu’un jour viendrait où le même droit régirait la France, où la vénalité des charges serait abolie et remplacée par des nominations émanées du pouvoir central, où à ces parlemens, objet constant de ses haines et de ses méfiances, seraient substitués des tribunaux établis dans des circonscriptions géographiquement égales ; si on avait ajouté qu’au sommet d’une hiérarchie fondée sur un double degré de juridiction serait assise une cour suprême chargée d’imprimer à toute la jurisprudence du royaume le sceau d’une merveilleuse unité, il n’est pas permis de douter que Louis XIV n’eût acclamé de grand cœur un pareil avenir, et qu’il ne l’eût considéré comme le fruit de ses efforts et le dernier mot de sa pensée.

Je vais plus loin, et je demande si ce prince et tous ses ministres, Colbert en tête, auraient éprouvé une admiration moins vive pour cette division territoriale de la France qui a eu l’effet simultané d’anéantir l’esprit provincial, non moins odieux à Louis XIV que l’esprit parlementaire, et de doubler le nombre de ces intendans que la constitution de l’an VIII a décorés du nom romain de préfets. À ce propos, il me revient en mémoire certains passages d’un livre que Mirabeau et ses collègues de la constituante ont pillé plus d’une fois sans y rien perdre de leur réputation d’originalité. Un homme né sous Louis XIV, quoiqu’il ait écrit sous le règne suivant, s’inquiétant plus qu’il n’était ordinaire en son temps et dans sa condition d’une révolution qu’il tenait pour imminente, s’efforçait de la prévenir en proposant de l’opérer par l’initiative royale, c’est-à-dire par le développement extrême des doctrines que la royauté française avait si longtemps représentées contre le régime féodal. Dans cette utopie démocratico-monarchique, émanée d’un ministre des affaires étrangères, des justices populaires électives remplacent les justices seigneuriales ; les parlemens et les états provinciaux sont supprimés ; les provinces elles-mêmes disparaissent sans miséricorde, et l’on voit se déployer cet échiquier départemental auquel ne manque aucune des dénominations que nous tenons aujourd’hui pour nouvelles. Pour ne faire qu’une seule citation, voici l’un des nombreux articles du projet de constitution élaboré par le marquis d’Argenson plus de cinquante ans avant la révolution : « Le royaume sera divisé en départemens moins étendus que ne le sont aujourd’hui les généralités, et l’on suivra pour cette division les mœurs et les rapports de situation et de commerce. À la tête de chaque département, il y aura un intendant qui sera le premier officier royal… Sa majesté, se proposant de donner au gouvernement de son royaume toutes les perfections dont il est susceptible, jugera s’il n’est pas à propos de diviser les départemens en plus petites parties, non-seulement afin de mettre en sûreté l’autorité royale, mais principalement pour multiplier les soins et les attentions, reconnaissant qu’un moindre territoire est toujours plus soigné qu’un grand… Les intendans résideront chacun dans la ville la plus centrale de leur département. Ils auront de bons et suffisans appointemens pour fournir à la dépense de représentation convenable, etc.[25]. »

Un ancien ministre, fils et frère de secrétaires d’état, a donc trouvé dans ses traditions domestiques et dans l’atmosphère administrative de son temps tout notre système préfectoral, auquel ne manquent pas même les frais de représentation : nouvelle preuve que, sous un certain rapport, la révolution s’est inspirée de notre passé beaucoup plus qu’il n’est d’usage de le dire, et que la centralisation bureaucratique n’est si vivace en France que parce que la pensée-mère en est aussi vieille que la monarchie. L’esprit moderne, j’ai presque dit l’esprit démocratique du système de Louis XIV, ne peut manquer de ressortir de l’ensemble de ces réformes, appliquées à l’administration publique comme à la vie civile de ses sujets. Il m’a donc paru convenable de les exposer avec quelque étendue, au risque d’avoir à rappeler plus brièvement les miracles de cette activité qui fit de la France la première nation maritime et militaire de l’Europe, et lui permit, après avoir épuisé tous les enivremens de la gloire, de résister sans périr à tous les ennemis qu’elle s’était faits.

Louis XIV avait trouvé la marine créée par Richelieu à peu près anéantie. La Hollande couvrait les mers de ses vaisseaux, et les sujets anglais de Charles II exigeaient avec d’autant plus de fierté l’hommage de notre pavillon qu’ils étaient alors plus irrités de l’abaissement de leur roi. Cette infériorité, toujours humiliante, et qui pouvait devenir en certaines occasions si périlleuse, fut l’un des premiers soucis de Louis XIV, et M. de Lyonne, qui, jusqu’en 1669, réunissait le portefeuille de la marine à celui des affaires étrangères, reçut l’ordre de porter tous ses soins sur cette partie importante du service. Ce ministre fit donc réparer tous les vieux vaisseaux que possédait encore la France, et prescrivit d’en acheter un assez grand nombre en Hollande. Nos ateliers de construction furent remontés à l’aide d’ouvriers et de mécaniciens engagés hors du royaume ; le port de Brest fut agrandi, celui de Toulon creusé en attendant la fondation de Rochefort, cette création toute personnelle de Colbert. Lorsque celui-ci eut reçu du roi le portefeuille de la marine, l’activité imprimée par Lyonne à ce département devint bien plus vive encore ; elle fut loin de se ralentir lorsqu’à partir de 1672, Colbert fut autorisé à s’adjoindre, pour la direction de cette branche du service public, le marquis de Seignelay, son fils et son survivancier. Un conseil supérieur da la marine, un conseil des constructions navales, institués sur des bases qui n’ont point changé, vinrent centraliser tous les renseignemens et préparer en les éclairant les résolutions ministérielles. L’unité des poids et mesures fut établie dans tous les arsenaux. L’administration fut séparée dans les ports du commandement militaire, et des instructions multipliées embrassèrent les plus minutieux détails avec une telle précision, que tous les progrès de l’avenir sont venus s’encadrer comme d’eux-mêmes dans le cercle élastique de ces prévisions admirables. La flotte française, qui ne se composait en 1662 que de trente bâtimens de guerre, comptait déjà, lors de la paix de Nimègue, cent vingt bâtimens. Lorsque Colbert mourut en 1683, ce nombre s’élevait à cent soixante-seize ; en y ajoutant les galères et les navires en construction, la force maritime de la France n’était pas inférieure à deux cent soixante-seize bâtimens.

Le soin du matériel ne faisait pas négliger au gouvernement de Louis XIV celui du recrutement naval. Pendant que les compagnies de gardes de la marine mettaient chez les jeunes officiers de vaisseau la science nautique à la hauteur du courage, la précieuse inscription maritime substituait à l’ancienne presse, dont nous avions partagé jusqu’alors avec l’Angleterre l’humiliante nécessité, un mode d’enrôlement régulier qui venait confondre dans une même pensée et une égale sollicitude le double intérêt de l’état et du commerce, de la patrie et de la famille. Enfin l’ordonnance de 1681, où tous les détails de ce grand service sont consignés, où les plus hautes questions du droit maritime sont résolues, appliquait le dernier sceau à tant de créations fécondes, et dotait la France d’institutions que toutes les nations ont imitées sans jamais parvenir à les égaler. « Si des principes l’on arrive aux résultats, dit le judicieux historien de Colbert, on voit la marine marchande se développer tout à coup, grâce au double encouragement du droit de tonnage et des primes, le régime régulier des classes substitué aux violences de la presse, une caisse de secours fondée en faveur des gens de mer invalides, des écoles d’hydrographie et d’artillerie créées, les ports du Havre et de Dunkerque fortifiés ; puis enfin, comme couronnement de cette œuvre, où l’activité et le soin des détails s’élevèrent jusqu’au génie, une ordonnance mémorable, la première de ce genre et le modèle de toutes celles qui l’ont suivie ; une flotte de deux cent soixante-seize bâtimens dans un pays qui en comptait trente à peine vingt ans auparavant, et pour la commander d’Estrées, Tourville, Duquesne, Vivonne, Châteaurenault. Les destinées de la France eussent été trop belles, si ceux qui la gouvernaient à cette époque n’avaient pas abusé d’une si grande puissance ; mais c’est par malheur le propre de la force d’incliner à la violence, et il semble qu’il soit plus difficile encore aux gouvernemens qu’aux individus d’être à la fois puissans et modérés[26]. »

Ce que Colbert fit pour la marine, Louvois le fit pour l’armée. À son ministère remonte, comme à sa date véritable, notre constitution militaire actuelle. Jusqu’au jour où Louis XIV prit possession du gouvernement, les troupes françaises avaient conservé quelque chose de ces allures vagabondes qui avaient fait si longtemps de la vie du soldat une carrière d’aventures. Elles étaient surtout demeurées vis-à-vis de leurs chefs dans des rapports personnels de subordination qui rappelaient la vieille fidélité du vassal, et jusque sous les princes les plus militaires l’action royale ne s’était exercée dans les armées que d’une manière indirecte et médiate. Tout cela fut changé. Les chefs de corps désignés par le roi, jamais pour longtemps par crainte qu’ils ne prissent trop d’autorité[27], perdirent tout prestige et n’exercèrent plus qu’un pouvoir restreint et visiblement délégué. Recrutés directement par l’état au moyen de la milice et des enrôlemens volontaires, les régimens cessèrent d’être la propriété de leurs colonels, les compagnies celle de leurs capitaines. Les soldats durent renoncer aux couleurs de leurs chefs, qu’ils avaient portées jusqu’alors, pour revêtir l’uniforme réglementaire. Depuis le hausse-col jusqu’à la baïonnette, l’équipement fut établi sur un pied peu différent de celui où nous : le voyons encore de nos jours[28]. À partir du maréchal de France jusqu’au sous-lieutenant d’infanterie, chacun reçut sa commission des bureaux de la guerre et vécut dans la plus étroite dépendance du ministre, justement appelé le plus grand et le plus brutal des commis. Des inspecteurs généraux, des commissaires des guerres et des commissaires des vivres furent chargés, sous la direction immédiate de Louvois, de l’inspection proprement dite, périodiquement exercée, et de la direction des divers services spéciaux. Tous les abus signalés furent impitoyablement punis. Les marches et logemens militaires, laissés jusqu’alors à la discrétion des chefs de corps, objet constant d’effroi pour les villes, occasion fréquente de marchés odieux, furent réglés étape par étape et jour par jour. Les exactions cessèrent avec les violences, et la France respira, comme au lendemain des grands jours, sous cette main toujours présente et sous cet œil toujours ouvert.

Louis XIV alla plus loin, et ce fut peut-être par l’organisation de ses armées qu’il porta à la haute aristocratie l’atteinte la plus sensible. Il ne pouvait songer encore à retirer à la noblesse le seul privilège dont la conservation lui fît prendre en patience la perte de tous les autres, celui de verser son sang sous l’épaulette ; mais que d’épreuves et de déboires attendaient, dans ses armées et dans les bureaux de ses ministres parvenus, les fils de ces seigneurs devant lesquels la royauté avait tremblé si longtemps ! Avant de commander, il fallut apprendre à obéir, et aucun nom, si grand qu’il fût, ne dispensa de deux années de service dans ces compagnies de mousquetaires, pépinière des officiers de l’armée. L’avancement fut soumis à des règles que la faveur la plus prononcée parvint rarement à fléchir, et que chacun respectait en les maudissant, parce que réclamer contre elles, c’était s’exposer aux plus vives irritations du monarque. L’ordre du tableau arrêta l’essor des carrières rapides ; « Au moyen de cette règle, dit avec indignation l’un des plus implacables ennemis de Louvois, il fut établi que, quel qu’on pût être, tout ce qui servait demeurait, quant aux grades, dans une égalité entière. De là tous les seigneurs dans la foule d’officiers de toute espèce, de là celle confusion que le roi désirait ; de là, peu à peu, cet oubli de tous, et dans tout, de toute différence personnelle et d’origine, pour ne plus exister que dans cet état de service militaire devenu populaire, tout entier sous la main du roi, beaucoup plus sous celle du ministre et même de ses commis[29]. »

Une telle colère n’est pas moins significative qu’éloquente. Si cette constitution militaire ne fondait pas encore l’égalité dans la nation, elle la fondait du moins dans l’armée, et l’égalité sous le drapeau conduisait à l’autre. Maîtresse de l’administration tout entière, depuis les ministères jusqu’aux intendances et aux tribunaux, la bourgeoisie côtoyait alors de trop près cette noblesse, de jour en jour plus soumise et plus appauvrie, pour ne pas la regarder bientôt du haut de son importance et de sa richesse toujours croissantes. Abaisser les sommets, c’était préparer le nivellement de la plaine, et jamais prince ne travailla avec une si persévérante ardeur à l’œuvre dont il était de sa destinée de passer pour l’ennemi mortel. Durant cinquante-quatre ans, à travers les vicissitudes les plus diverses, Louis XIV déploya une passion véritable pour imposer à toutes les classes de la nation l’habitude de l’égalité civile et pour centraliser la vie de la France dans les cartons ministériels. Il fut l’instrument, sinon le plus clairvoyant, du moins le plus actif de la grande transformation sociale, mêlée de tant de biens et de tant de maux, à laquelle rien n’aide autant à se résigner que l’étude de notre histoire. Celle-ci peut seule en effet placer la révolution française sous son jour véritable. Elle nous la montre sortant de nécessités presque fatales ; elle en fait moins une protestation contre les siècles écoulés que le testament même de ces siècles.

À quelle époque arrêter le travail auquel Louis XIV mit la dernière main, mais dont il reçut la tradition de son aïeul, comme Henri IV l’avait reçue de François Ier, comme François Ier lui-même l’avait empruntée à Louis XI ? Le rival de Charles-Quint fut sans doute parmi nous le véritable fondateur du despotisme proprement dit ; mais comment sous son règne prévenir cette conséquence extrême des prémisses déjà posées ? comment éveiller l’esprit politique de la nation dans une époque toute dominée par les controverses religieuses ? Lorsqu’aux premières années du XVIe siècle les rois de France substituèrent leur bon plaisir au droit suprême de la nation, représentée par les états-généraux, cette grande révolution parut n’alarmer personne, et l’on en suit à peine la trace dans les écrivains contemporains. Si plus tard le sentiment de la liberté s’éveilla à la suite des passions religieuses et par l’effet même des dangereux problèmes que celles-ci avaient suscités, l’habileté de Henri IV, qui sut transformer une transaction en une victoire, ne tarda pas à l’étouffer. La dictature de Richelieu, qui fonda la suprématie de la France en Europe, vit s’élever beaucoup de prétentions individuelles ; mais celles-ci eurent du moins la pudeur de ne s’abriter derrière aucun intérêt public. La minorité qui avait précédé son ministère et celle qui le suivit furent plus hypocritement cyniques : des seigneurs vendus à l’étranger et gorgés de son or se posèrent en redresseurs des griefs populaires et en restaurateurs de la liberté perdue ; ce fut son dernier malheur, et sous un tel coup on put croire qu’elle avait succombé pour jamais. Louis XIV se trouva donc en complète harmonie avec le sentiment public, lorsqu’il concentra tous les pouvoirs dans sa main, et qu’à la veille de reculer les frontières de la France, il fit d’une organisation fortement concentrée la base de son immense puissance militaire. Si Colbert n’avait pas transformé ses finances, si Le Tellier et Louvois n’avaient pas discipliné ses armées, il n’aurait pu profiter des perspectives que lui ouvrirent au début de son règne la paralysie de l’Espagne, la vénalité de Charles II et les dissensions intérieures de l’empire germanique. S’il n’avait eu les plus belles finances et la monarchie la plus compacte de l’Europe, il aurait infailliblement succombé sous la double coalition provoquée par ses fautes. Lorsque ces ministres eurent disparu avec la génération qui avait fait la grandeur du règne, leurs tristes successeurs eurent sous la main, pour suppléer à leur insuffisance, des instrumens de gouvernement qu’aucune nation ne possédait alors. Ce fut en les déployant sans réserve et sans pitié, en fermant l’oreille aux cris de désespoir d’un pays hors d’état désormais de lui marchander aucun sacrifice, que Louis XIV parvint à triompher enfin de la mauvaise fortune, à conserver à la France la plupart de ses conquêtes, et à une dynastie française la couronne des Espagnes. Si de 1704 à 1713 son gouvernement soumit la nation à des tortures qu’elle ne devait plus connaître que durant la période correspondante du siècle suivant, ces extrémités de la soumission et de la souffrance ne lui furent pas du moins inutiles, car à la dernière page de l’histoire de son règne Louis XIV put inscrire la victoire de Denain et le traité d’Utrecht.

En complétant le territoire français par des acquisitions longtemps disputées, en façonnant sans relâche la nation à l’égalité dans toutes les relations civiles, Louis XIV devenait son premier initiateur à cette vie démocratique et militaire du sein de laquelle la révolution et l’empire sortirent un jour comme deux jumeaux. Cependant, si conforme que fût au génie français ce gouvernement centralisé, il existait dans le pays un autre élément dont ce prince, dans les enivremens de sa toute-puissance, avait omis de tenir compte, et qui ne tarda pas à réagir contre son œuvre., au point de finir par la renverser. Si la France aime la force dans l’administration des affaires publiques, elle n’a pas un goût moins vif pour la liberté dans les spéculations de l’esprit et pour toutes les témérités de l’intelligence. Durant la première partie du règne de Louis XIV, le prestige qui s’attachait aux miracles de sa fortune avait momentanément dominé cette disposition native et maintenu l’opinion dans un parfait accord avec les institutions existantes ; mais cette abdication de l’esprit critique n’avait pas été de longue durée. Le jansénisme, devenu l’instrument d’une pensée toute politique sous les seules formes où elle pût alors se produire, avait donné à cette indestructible disposition du génie français une satisfaction d’autant plus vive qu’elle était moins avouée, et sous le règne inauguré au bruit des cantates lyriques, on vit s’élever et croître dans l’ombre l’opposition d’esprits fiers et contenus dont une publicité posthume nous a révélé les haines secrètes, mais profondes. Sans parler des écrivains réfugiés, qui ont fait si chèrement payer à Louis XIV le prix de la plus lourde de ses fautes, Fénelon, Catinat, Vauban, Saint-Simon, Boulainvilliers, Boisguillebert, représentèrent, aux derniers temps du règne, cet indestructible ressort que les pouvoirs les plus forts ne parviennent point à briser, et par lequel la France ne tarde jamais à se relever de ses plus apparentes prostrations. Quelques différences qu’il y ait à signaler entre les points de départ de ces hommes plus éminens encore par le caractère que par l’intelligence, tous exprimèrent la même pensée, et le doux archevêque de Cambrai trouva des paroles plus énergiques peut-être que celles de Saint-Simon pour exhaler l’indignation accumulée dans son cœur par l’arbitraire d’un gouvernement qui avait substitué son bon plaisir à la liberté et à la conscience même de la France[30].

Louis XIV avait à peine fermé les yeux, que la réaction se déploya avec une audace chaque jour croissante. Les plus redoutables problèmes de l’ordre social ne furent pas creusés avec moins de hardiesse que ceux de l’ordre religieux, et la société élégante, disciplinée par le grand roi, sua la licence par tous les pores. Sous le coup d’excitations de plus en plus vives, qui, sans rien modifier dans l’organisation administrative, bouleversaient toutes les idées, et laissaient la nation aussi inhabile à pratiquer la liberté qu’incapable de supporter le pouvoir, on arriva à l’épreuve suprême. Alors s’opéra la mixture la plus étrange entre les traditions très vivantes encore du XVIIe siècle et les aspirations de l’esprit philosophique du XVIIIe. Le peuple tira contre la noblesse les dernières conséquences du système qui, en dépouillant celle-ci de tous ses droits utiles, l’avait affublée des honneurs les plus blessans et les plus universellement odieux. La bourgeoisie acheva contre les parlemens et contre l’antique organisation provinciale la rude guerre que leur avaient faite Colbert et Pontchartrain. Au gouvernement de Louis XIV on emprunta donc toutes ses tendances à l’unité législative, à l’uniformité des méthodes, à l’égalité géométrique des subdivisions administratives et judiciaires. Au XVIIIe siècle on prit un large contingent de théories politiques ; on chercha dans Montesquieu les règles du mécanisme constitutionnel, en empruntant à Rousseau des doctrines presque toujours inconciliables avec celles-ci. L’anarchie emporta bientôt l’œuvre à laquelle manquaient, pour la défendre contre ses propres incohérences, la sagesse et la modération de ses auteurs. Depuis soixante ans, la France se trouve ainsi ballottée entre deux courans d’idées dont il reste dans sa destinée de tenter toujours la conciliation, si vains que tant d’efforts soient demeurés jusqu’ici. La nation veut le gouvernement fort auquel son histoire l’a visiblement prédisposée ; mais elle ne veut pas moins résolument qu’une large place y soit ménagée au contrôle de l’opinion, au mouvement de l’intelligence et de la pensée. Mal préparée à gérer elle-même ses propres affaires, elle l’est encore moins à reposer longtemps en paix sous le despotisme. Si divergentes que puissent sembler ces dispositions, le problème de son avenir n’est soluble que par leur accord, et le XIXe siècle aura sans doute fort avancé son cours avant d’avoir confondu dans un symbole définitif les traditions opposées des deux âges précédens.

Si l’étude de ces temps projette quelque lumière sur notre génie national, que de côtés restent dans l’ombre ! Que de problèmes demeurent posés sans être résolus ! Louis XIV vient de nous apparaître comme le précurseur d’une révolution dont il aurait approuvé la plupart des innovations administratives, et qui, dans ses résultats politiques, fut la conséquence presque nécessaire ; quoique fort imprévue, de son système de gouvernement. Nous venons de le voir déployant une persévérance sans exemple pour donner à la bourgeoisie l’esprit et l’habitude des affaires, en même temps qu’il frappait de stérilité l’intelligence politique de la noblesse. Cependant, par un contraste inexplicable pour l’esprit de contradiction le plus obstiné, il se trouve que les fils de ceux dont il remplissait ses conseils le tiennent pour le représentant d’un état social dont ils abhorrent jusqu’au souvenir, tandis qu’il est devenu le modèle des princes et le type accompli de la royauté pour les gentilshommes, dont il avait abaissé l’importance jusqu’à le servir à sa table et à l’assister à sa toilette. Les hommes dont il a préparé la fortune n’ont pas seulement outragé sa mémoire, ils l’ont poursuivi jusque dans sa race, et l’on a vu les victimes d’une politique que Saint-Simon appelait le comble de l’indignité aller, aux jours d’épreuves, avec une abnégation héroïque, consommer, dans l’exil, auprès des petits-fils du grand roi, une ruine dont ils ne semblaient même soupçonner ni les causes, ni les auteurs. De tels mystères rentrent dans le domaine du moraliste plus que dans celui du publiciste et de l’historien, car pour les expliquer il faudrait descendre jusqu’aux profondeurs les plus insondables de notre cœur.


LOUIS DE CARNE.

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  1. Voyez les livraisons du 1er novembre 1856 et du 15 février 1857.
  2. Mémoires de Louis XIV, années 1662-1665.
  3. Histoire de l’Administration monarchique en France depuis l’avènement de Philippe-Auguste jusqu’à la mort de Louis XIV, par M. Chéruel ; 2 vol. in-8o, Dézobry et Magdeleine.
  4. Mémoires de Fléchier sur les grands fours d’Auvergne en 1665, Paris, Hachette ; 1 vol. in-8o.
  5. Histoire de la Vie et de l’Administration de Colbert, précédée d’une Notice historique sur Nicolas Fouquet, par M. Pierre Clément ; Guillaumin, 1 vol. in-8o.
  6. Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV entre le cabinet du roi, les secrétaires d’état et les intendans et gouverneurs de provinces, etc., recueillie et mise en ordre par F.-B, Depping ; — collection inédite des manuscrits sur l’histoire de France, 4 vol. in-4o.
  7. Économies royales, t. III, p. 169, édit. 1778.
  8. Sur la manière dont la taxe se percevait dans les paroisses du temps de Louis XIV, voyez, dans le Détail de la France sous le règne actuel, par Boisguillebert, les chapitres V, VI, VII, p. 38 à 180 ; Cologne 1707, in-12.
  9. Le comte de Boulainvilliers, Histoire de l’ancien gouvernement de la France, t. Ier, préface.
  10. L’Ancien Régime et la Révolution, 1 vol. in-8o.
  11. Recherches sur les Finances depuis l’année 1595 jusqu’en 1721,1738, t. Ier, p. 329.
  12. « Il n’était pas de mon intérêt de prendre pour ministres des hommes d’une qualité éminente. Il fallait avant toute chose faire connaître au public, par le rang même où je les prenais, que mon dessein n’était point de partager mon autorité avec eux. » (Mémoires de Louis XIV, dans ses Œuvres, t. Ier, p. 36.)
  13. Mémoires de l’abbé de Choisy, édit. de 1727, p. 126.
  14. Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, t. III.
  15. Voyez surtout la lettre de Colbert à Hermann Cönring, Histoire de Colbert, ch. VII, p. 189.
  16. On a déjà souvent cité cet état de pensions ; je n’en rappellerai que certains articles : « Au sieur Conrard, lequel, sans connaissance d’aucune autre langue que sa naturelle, est admirable pour juger toutes les productions de l’esprit, 1,500 fr. ; — au sieur Pierre Corneille, premier poète dramatique du monde, 2.000 fr. ; — au sieur Boyer, excellent poète français, 800 fr. ; — au sieur Desmaretz, l’auteur doué de la plus belle imagination qui ait jamais été, 1,200 fr. ; — au jeune abbé de Pure, qui écrit l’histoire en latin élégant, 1,000 fr. ; — au sieur Molière, excellent poète comique, 1,000 fr. ; — au sieur Benserade, poète français fort agréable, 1,500 fr. ; — au sieur abbé Cottin, poète et orateur français, 1,200 fr. ; — au sieur Dauvrier, savant, 3,000 fr. ; — au sieur Fléchier, poète français et latin, 800 fr ; — au sieur Racine, porte français, 600 (porté depuis à 2,000 fr.). ; — au sieur Chapelain, le plus grand poète français qui ait jamais été et du plus solide jugement, 3,000 fr. »
  17. On peut voir, entre mille autres documens sur les prodigieux désordres introduits dans les finances par Mazarin et Fouquet, l’exposé fait par le premier président de Lamoignon à l’ouverture du procès du surintendant. Ce discours, extrait du manuscrit de la Bibliothèque impériale intitulé Registre de la chambre de justice, a été partiellement publié par M. Chéruel, Histoire de l’Administration monarchique, t. II, p. 87. Il faut lire aussi le préambule de l’édit de 1661 établissant la chambre de justice, Histoire de Colbert, par M. Pierre Clément, p. 98.
  18. Correspondance administrative, t. II, première partie. Pour se pénétrer de la nécessité où fut Louis XIV d’exercer au début de son règne une justice sommaire et rigoureuse, il faut lire le discours de Talon à l’ouverture des grands jours d’Auvergne. — Appendice aux Mémoires de Fléchier.
  19. Correspondance administrative, t. Ier ; — administration des états provinciaux, jusqu’à la page 628.
  20. Histoire du Parlement de Normandie, par M. Floquet, t. V.
  21. Le journalier qui ne possédait aucun bien-fonds dans une paroisse ne pouvait la quitter, même lorsqu’il y manquait de travail, sous peine de payer la taille durant deux années en deux, paroisses différentes, et durant trois, si son nouveau domicile était dans le ressort d’une autre élection. Voyez Forbonnais, Recherches sur les Finances, t. Ier, p. 316.
  22. Forbonnais, Recherches sur les Finances, t. Ier, p. 305 à 383. — M. P. Clément, Histoire de Colbert, p. 125.
  23. Il faut voir dans le beau livre de Boisguillebert les effets, à peine croyables aujourd’hui, qu’avaient au siècle de Louis XIV la multiplicité des droits de douanes en cas de disette locale et l’action de ces droits sur le prix vénal des marchandises. — Détail de la France, 2e partie, ch. VIII, p. 104.
  24. Correspondance administrative, t. III. — Justice et Police.
  25. Plan du gouvernement proposé pour la France, à la suite des Considérations sur le gouvernement, par le marquis d’Argenson, p. 196 à 203 ; édition d’Amsterdam 1765.
  26. Histoire de Colbert, par M. P. Clément, ch. XIX, p. 390.
  27. Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, p. 681.
  28. Histoire administrative, par M. Chéruel, t. II, ch. XI.
  29. Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, p. 58.
  30. Voyez le célèbre projet de mémoire au roi écrit en 1694 et publié par M. Renouard, d’après le fac-similé de Fénelon, dans l’édition complète de ses œuvres.