Louÿs, Journal intime, 1882 – 1885

Slatkine reprints (p. couv2-33).
PIERRE LOUŸS

ŒUVRES
COMPLÈTES


TOME IX

SLATKINE REPRINTS
GENÈVE
1973
Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9p4

JOURNAL
INTIME


1882 — 1891


1882 … 1885


1882



7 janvier 1882, samedi, 5 h. soir.

Il fait ce matin un temps abominable m’empêche d’aller à Eu suivre le cours de chimie de M. Robinet. J’emploie ma matinée à arranger mon aquarium dans lequel j’ai mis hier quelques animaux aquatiques qui y vivent en assez bonne intelligence. L’après-midi, je prends ma leçon chez Mlle Marie. Je la quitte à 2 heures et je cours chez Marraine. Je la trouve en bonne santé. De là, je vais chez ma tante où je lis le Manoir d’Yolan de Mlle de Martignat. En rentrant à la maison je pêche encore quelques animaux qui peuplent mon aquarium.


Dimanche, 8 janvier 1882, 5 h. soir.

Ce matin j’ai été à la grand’messe de dix heures suivie du catéchisme. J’y ai obtenu un 6. Je suis rentré à midi.

Aussitôt après le déjeuner, j’ai pêché des larves d’éphémères qui sont mortes aussitôt et quelques limnées. Puis Élisa m’a refait un filet en grosse toile d’emballage. À deux heures, j’ai été aux vêpres et je suis revenu à la maison avec trois enfants de mon âge qui ont joué quelque temps avec moi. (J’ai oublié de dire hier que j’ai vu le soir à la jumelle Aldébaran et les Pléiades.)


Lundi, 9 janvier 1882, 5 h. 1/2 soir.

Ce matin, j’ai fait une partie de mes devoirs.

L’après-midi, malgré le mauvais temps, j’ai pêché une notonecte et beaucoup de limnées, quelques petits crustacés qui ressemblent à des crevettes, cinq ou six larves d’éphémères (qui cette fois ne sont pas mortes) et deux larves de phryganes. J’ai encore travaillé pendant deux heures et j’ai employé le reste du temps à lire l’histoire d’un dessinateur, et à déchiffrer un petit morceau sur le piano. Le temps couvert m’empêche de faire mes observations.


Mardi, 10 janvier 1882, 6 h. 1/2 soir.

Aussitôt après le déjeuner, j’ai pêché une notonecte, un dytique, quatre cloportes d’eau, beaucoup de limnées, de planorbes et de petits crustacés. Avant de les mettre dans mon aquarium, j’ai changé l’eau et j’ai mis du sable. Alfred a nettoyé la cage et l’a placée dans la véranda en face de mon aquarium. (Hier, pendant la soirée, le temps s’est éclairci et j’ai pu observer facilement les constellations d’Orion, des Gémeaux, du Lièvre et du Petit et du Grand Chien. J’ai cherché vainement la variable rouge R Lièvre, elle était probablement à son minimum, je compte faire ce soir les mêmes observations.) J’ai achevé mes devoirs ce soir.


Mercredi, 11 janvier, 4 h. 35 soir.

Ce matin, je suis allé au cours de M. Robinet. Il n’y était pas. Pendant ce temps-là j’ai fini mes devoirs et fait une composition en orthographe. J’ai été second sur trois. J’ai déjeuné chez ma tante et à une heure j’ai pris ma leçon. Après je suis rentré chez ma tante. Puis j’ai acheté un petit carnet comme celui sur lequel j’écris pour inscrire mes observations astronomiques, et deux cahiers ordinaires. Aussitôt après, je suis parti pour la maison. La route était affreusement sale.


Jeudi, 12 janvier, 5 h. 3/4 soir.

Ce matin j’ai commencé un devoir de style.

Après le déjeuner, j’ai fait une pêche très fructueuse. Vers trois heures, nous avons reçu une lettre de Lucie qui nous dit que sa santé est toujours aussi mauvaise, et de Georges qui a encore sa laryngite. Quelque temps après, je me suis arraché une dent de lait qui ne tenait presque plus ; on voit la deuxième qui poussait par-dessous. J’ai cherché vainement au second les œuvres de Boileau et de Corneille.


Vendredi, 13 janvier, 5 h. 3/4 soir.

Hier matin, M. le Curé m’ayant fait dire de ne pas aller au catéchisme parce qu’il ne serait pas chez lui, j’y suis allé ce matin ; il m’a expliqué, démontré, et discuté l’existence de Dieu. Il viendra dîner demain.

Après-midi, papa est allé à Épernay. Quelque temps après son départ, ma tante et Thérèse sont venues à Dizy et sont reparties aussitôt. J’ai fait tous mes devoirs cet après-midi et j’en avais beaucoup. Je compte apprendre ce soir les Embarras de Paris, de Boileau.

Hier, j’ai fouillé dans l’armoire du second pour trouver des livres allemands et anglais. Je n’en ai pas vu d’allemands ; mais j’en ai trouvé deux anglais que je puis lire : 1° Tales of a grandfather english history ; 2° Reading book, second party. Ce dernier me paraît très intéressant. Il contient beaucoup d’histoires de marins, de découvertes, etc. Et après les avoir bien considérés, j’ai arrêté ce qui suit :


Monsieur Pierre Louis, élève de l’École Alsacienne, en villégiature à Dizy,

Vu sa faiblesse en allemand et en anglais,

Vu l’utilité de savoir ces deux langues :

Arrête :

Article Ier. — Il devra lire tous les jours : 1° un chapitre de l’English history ; 2° une leçon du Reading book ; 3° une leçon du cours d’allemand de septième.

Article 2. — Il devra chercher tous les mots qui lui seront inconnus, dans le dictionnaire.

Article 3. — Lorsqu’il aura terminé ces livres, il devra lire tous les jours un chapitre du Last of the Mohicans, by Fenimore Cooper.

Jusque-là je chercherai si je ne trouve pas d’autres livres allemands.

1885

Journal de onze semaines : 31 janvier — 17 mars.


Étrennes.

  Grand’mère.......... 20 francs.
  Marraine............ 20 
  Tante Louisette........ 20 
  Papa............... Abonnement à la Nature.
  Georges............. 2e vol.  de l’Hist. des Romains.
  Lucie............... Petit encrier en faïence.
  Tante Marie........... 3 vol.  de la Bibl. Instructive.
  Élisabeth............. Année de Collège à Paris.
  Oncle Mougeot......... Tour du monde (1884).

Jeudi, le 1er janvier.

Allé à la messe avec ma tante et Jeanne. Ma tante très enrhumée a refusé de dîner ce soir à la maison. Jeanne la garde aussi. Après le déjeuner, allé avec Georges chez elle, chez grand’mère et chez Élisabeth. Le soir, René et Charles dînent à la maison ainsi que Georges.


Vendredi, 2 janvier.

Levé à 11 heures. Compté mes timbres. J’en ai 427. Allé tirer une loterie chez ma tante avec René. Gagné un plumier. Le soir, dîné chez Glatien avec Laurens et Blech. Joué des charades. Laurens très bien joué. Mot de la charade : domestique.


Samedi, 3 janvier.

Après le déjeuner, allé avec Alfred au musée du Louvre. Vu : sculpture moderne, deux salons carrés, grande galerie, salle La Caze. Le soir, dîné chez Élisabeth avec Charles, René et Mlle Cornefert. Joué au 31, après le dîner.


Dimanche, 4 janvier.

Dormi onze heures cette nuit. Allé à la messe à 10 heures avec Jeanne et René. Ma tante toujours enrhumée. Après le déjeuner, René est venu jouer avec moi à la balle. Je suis allé me promener avec Élisa et Alfred au musée de Cluny.


Lundi, 5 janvier.

Retourné à l’école. Il y a deux nouveaux, Basquin et Carême. Expliqué pour la première fois Virgile. Pris une leçon de violon. L’après-midi une compote en version, que je ne comprends pas mal. Papa se trouve un peu mieux ; le relieur m’a enfin rendu mes livres.


Mardi, 6 janvier.

Ce matin, M. Bémont nous a fait un cours intéressant sur les guerres de Macédoine. Papa va toujours mieux. M. Marty m’a donné un zéro de français. Cela l’ennuie beaucoup, car c’est ma première mauvaise note de la semaine.


Mercredi, 7 janvier.

J’achète, le matin, des champignons pour la classe de botanique. Cette classe est très intéressante. Le soir, Georges dîne à la maison. Mon oncle et Élisabeth viennent nous voir dans la soirée. Grande discussion ! Journée assez bien remplie et intéressante.


Jeudi, 8 janvier.

Grande mystification de Moreau à propos de son carnet. À moitié gelé pendant une demi-heure aux exercices militaires. Après-midi, allé avec Alfred me promener. Vu : Saint-Julien-le-Pauvre, Palais de Justice, Palais-Royal, Bibliothèque Sainte-Geneviève.


Vendredi, 9 janvier.

M. Marty, satisfait de ma préparation, a consenti à m’effacer mon zéro de mardi. J’ai été, de plus, interrogé en mots latins que j’ai bien sus. Georges a dîné ce soir à la maison. En somme, journée monotone et ennuyeuse. Le temps est toujours humide, triste et brumeux.


Samedi, 10 janvier.

Ce matin, M. Bémont, au lieu de faire l’interrogation, comme d’habitude, a continué la leçon qu’il n’avait pas finie mardi. La pluie m’a empêché d’aller jouer au Luxembourg à midi. J’en ai profité pour mieux apprendre ma syntaxe. Journée peu récréative.


Dimanche, 11 janvier.

René est venu déjeuner avec nous ainsi que Georges. Après le déjeuner, nous avons joué ensemble à la balle dans l’intérieur de la maison. Élisa nous avait fait des crêpes que nous avons mangées avec grand plaisir. Élisabeth est venue dans la journée.


Lundi, 12 janvier.
M. Marty, ayant oublié de lire l’agenda, est furieux de ce qu’on n’ait rien fait. Malgré cela, je trouve moyen de dénicher un 7 de grec. Mais je ne suis pas interrogé en allemand, ce qui me remplit d’amertume. Je savais si bien ma leçon ! Après-midi, bonne compote en thème latin. Rozat renvoyé de l’école !

Mardi, 13 janvier.

Ce matin, en me réveillant, je vois tous les toits couverts de neige. C’est la première fois de l’hiver. Avant d’entrer en classe, on organise une bataille à boules de neige bientôt interdite par M. Marty. Papa me gronde en rentrant à cause d’un 1 de latin que j’ai mérité ce matin.


Mercredi, 14 janvier.

Les boules de neige étant défendues, on se rejette sur les glissades. Les récréations sont fort ennuyeuses pour moi, car je ne sais pas glisser et suis obligé de rester les bras croisés sans rien faire. Une place de 9e en version latine ne contribue pas à me distraire !


Jeudi, 15 janvier.

Ce matin, on a profité de ce que M. Marty n’était pas là, pour organiser une colossale partie de boules de neige. On s’est divisé en deux camps : les 5e contre les 3e et les 4e. Épatant. — Après-midi, Élisa, Alfred et moi, nous sommes allés aux Beaux-Arts, rue Bonaparte. Cela nous a beaucoup intéressés.


Vendredi, 16 janvier.

Rien de nouveau à signaler pour aujourd’hui, si ce n’est une partie de boules de neige comme celle d’hier. Une des miennes a poché un œil à Dieterlen ! Houtsant s’étant aventuré dans notre camp, s’en échappe bien vite après avoir reçu plus de 50 boules de neige !


Samedi, 17 janvier.

Ce matin, examen d’histoire. Papa y assiste. Je suis interrogé sur la retraite de la plèbe sur le mont sacré. J’ai un 18 ! ! ! Quelle veine ! Après le déjeuner, je m’en vais au Luxembourg pour lancer des boules de neige. Malheur, la neige fond !


Dimanche, 18 janvier.

Le matin, je vais à la messe avec ma tante et Jeanne. Georges déjeune avec nous. L’après-midi, Élisa, Alfred et moi, nous allons au Louvre, voir les sculptures antiques. Cela nous intéresse beaucoup. L’oignon de papa est beaucoup enflé depuis hier.


Lundi, 19 janvier.

Georges m’avait expliqué hier soir les vingt premiers vers de l’Énéide et j’ai été justement interrogé là-dessus. Je suis aussi interrogé en allemand sur le Waldvöglein que je savais très bien. En somme, je n’ai eu que des bonnes notes aujourd’hui, mais je ne me suis guère amusé.


Mardi, 20 janvier.

Leçon très intéressante de M. Bémont sur Mithridate. L’après-midi, il nous conduit (pas Mithridate, M. Bémont) au Louvre pour voir et étudier l’histoire du costume civil des Romains. Je tenais la tête de la promenade avec Bouet. Alfred m’a acheté La Grammaire de Labiche pour la répétition chez Glatien.


Mercredi, 21 janvier.

J’ai reçu après-midi ma place de composition en thème latin. Je suis 5e. L’oignon de papa enfle de plus en plus. Georges a appelé M. Landouzy par télégramme. Il est venu aussitôt et a donné à papa une ordonnance. Papa souffre beaucoup ce soir.

Jeudi, 22 janvier.

Ce matin, rien de nouveau à l’école. Après-midi, je vais me promener avec Alfred à la Bibliothèque Nationale. De là, nous allons chez mon horloger pour porter ma montre. En revenant, je m’achète un carton à dessin et une gomme. J’ai été aussi chez grand’mère.


Vendredi, 23 janvier.

Aujourd’hui, je n’ai rien eu de nouveau à l’école. Il a fait très mauvais temps. J’ai réussi à avoir un 8 de géographie, c’est le seul événement de la journée ! Rien de nouveau non plus à l’anglais.


Samedi, 24 janvier.

J’ai eu de bonnes notes ce matin : deux 8 de grec pour le verbe τιμαω, mais l’après-midi, j’ai eu un 1 de latin et je m’y abonne maintenant. C’est bien ennuyeux. Je suis allé à 2 heures chez ma tante et j’ai vu Charles couché avec un mal de gorge et un abcès à la main.


Dimanche, 25 janvier.

Ce matin, je suis allé à la messe comme d’habitude. Charles y était avec nous. Après le déjeuner, je suis allé avec Alfred au Jardin des Plantes. Nous y avons vu entre autres une otarie et de petits ours de cocotiers qui sont bien…


Lundi, 26 janvier.

Nous avons aujourd’hui pour la première fois à préparer du Lucien. C’est assez difficile : il faut chercher presque tous les mots. Après-midi j’ai eu une composition en allemand dont je ne suis guère content. Je n’espère pas avoir une bonne note et cela m’ennuie.


Mardi, 27 janvier.

Pour la première fois aujourd’hui, nous avons à apprendre du Lutrin. C’est très drôle et facile à retenir. Classe d’histoire intéressante sur les Romains en Espagne, Viriathe et Sertorius. Journée assez belle aujourd’hui, quoique froide.


Mercredi, 28 janvier.

J’avais fait hier une carte politique de la Turquie m’a valu un 8. Après-midi, je prends à la bibliothèque : Hors de France, par Mézières. Cela paraît très intéressant, j’en ai déjà lu un peu, ce soir. J’ai été au Luxembourg de midi à 2 heures.


Jeudi, 29 janvier.

Après-midi, première répétition de La Grammaire chez Glatien. Laurins joue admirablement bien. N’ayant pu apprendre que la moitié de mon rôle, j’ai été obligé de tenir mon livre à la main pendant une partie de la répétition.


Vendredi, 30 janvier.

M. Marty m’a fait beaucoup de compliments sur mon écriture ce matin, mais peu sur ma parole. — Je ne répare pas un zéro de syntaxe. Que ferais-je pour éviter l’avertissement ? — Classe intéressante d’anglais. On abandonne : Rip Van Winkle pour The Spectre Bridegroom.


Samedi, 31 janvier.

Déveine sur toute la ligne aujourd’hui. 1° 145 seulement d’examen de géographie ; 2° médiocre de conduite ; 30 avertissement pour mon zéro d’hier. C’est complet. Je reste à la maison de midi à 2 heures pour apprendre ma syntaxe.


Dimanche, 1er février.

Journée très amusante qui rachète un peu celle d’hier. Aussitôt après la messe, je suis allé chez Élisabeth où j’ai déjeuné. Elle m’a conduit à Lamoureux où j’ai entendu la Symphonie pastorale de Beethoven admirablement jouée et quelques airs de Haydn chantés par Mme Brunet-Lafleur.


Lundi, 2 février.

Désappointé ce matin par Virgile. Potassé compote en math, de midi à 2 heures. Rien d’autre à noter pour aujourd’hui.


Mardi, 3 février.

Leçon très intéressante de M. Bémont sur les Romains en Gaule avant César. Présenté à M. Rieder pétition signée de tous mes camarades d’anglais pour changement d’heures de classe, approuvé. Allé en promenade au Louvre. Tenu la tête avec Auburbin. Vu David, Gros, Delaroche.


Mercredi, 4 février.

De midi à 2 heures je suis allé au Luxembourg pour jouer aux billes. Après-midi, perdu 76 billes avec Naville !!! En revenant du Lux, j’ai vu Edmond ici. Il m’a dit que Marie n’allait toujours pas bien. C’est bien triste !


Jeudi, 5 février.

Après le déjeuner, je suis allé avec Alfred au Luxembourg et j’y ai joué avec Moreau et son père. Après cela, je suis allé chez Glatien pour assister à la seconde répétition et j’ai passé chez un coiffeur pour me faire couper les cheveux.


Vendredi, 6 février.

Comme nos carnets de correspondance n’étaient pas encore faits, M. Marty nous en a donné de la section élémentaire. Après le déjeuner, j’ai assisté à une leçon intéressante de M. Baret. Rien d’autre à noter pour aujourd’hui, triste anniversaire hélas !


Samedi, 7 février.

À la leçon d’histoire, M. Bémont m’a fait les plus grands éloges à propos d’une rédaction de promenade. Il paraît que c’était moi qui avais fait la meilleure. Puis après-midi, M. Marty a autorisé les traductions de César. Je suis allé en acheter une ce soir.


Dimanche, 8 février.

Je suis allé, après la messe, chez Élisabeth pour prendre de ses nouvelles. Puis après le déjeuner, Alfred et moi nous sommes entrés à l’exposition des animaux gras. C’est très curieux. J’y ai rencontré M. Pinécal avec les pensionnaires de M. Mèdes.


Lundi, 9 février.

Je suis resté à la maison de midi à deux heures pour repasser ma compote en grec. J’espérais avoir une bonne note, mais, lorsqu’après l’avoir remise, M. Marty me fit remarquer les nombreuses fautes qu’elle contenait, j’ai été fortement désillusionné. J’espère cependant avoir une bonne place. J’ai su plus tard que j’étais 2e !!!


Mardi, 10 février.

Leçon très intéressante de M. Bémont sur la guerre des Gaules de César, voilà tout ce que j’ai à noter pour aujourd’hui. Sauf cela, c’est une journée aussi vide que possible.


Mercredi, 11 février.

Matinée assez intéressante. Leçon de M. Crétoux sur l’Asie Mineure et de M. Reterer sur les cryptogames. Celui-ci a dit 76 fois le mot pore, 52 fois taisez-vous donc et 22 fois : vous voyez bien que ce n’est pas difficile. C’est Carême qui a compté cela et me l’a dit.


Jeudi, 12 février.

Je suis allé après-midi avec Alfred à la Bibliothèque Sainte-Geneviève pour prendre des notes sur l’histoire de la Gaule. Après cela, nous sommes allés chez l’horloger rue Auber, pour reprendre ma montre qui avait le ressort cassé. On l’a remis gratis !


Vendredi, 13 février.

Ce matin, j’étais fortement enrhumé et je ne suis pas allé à l’école. J’en ai profité pour repasser mon examen de mathématique. Le soir, mon oncle Mougeot, Élisabeth et Jeanne sont venus à la maison. Nous avons fait une partie de dominos à quatre. Enchanté !


Samedi, 14 février.

Je n’ai absolument rien fait aujourd’hui, si ce n’est que j’ai assommé Élisa et Alfred, selon mon excellente habitude. Sauf cela, je n’ai rien d’intéressant. Je suis, à partir de ce soir, en vacances des jours gras. Élisabeth vient de venir pour m’inviter à une matinée pour mardi !!!


Dimanche, 15 février.

Je suis allé aujourd’hui me promener avec Alfred. Nous avons été visiter l’aquarium et le musée ethnographique du Trocadéro. De là, nous sommes allés par une pluie battante vers les serres de la Muette qui sont bien curieuses et bien riches, j’ai remarqué surtout de magnifiques camélias et palmes.


Lundi, 16 février.

À cause du mardi gras, nous sommes en vacances aujourd’hui. J’en profite pour aller avec Élisa au Trocadéro et au Musée Grévin. Nous avons aussi visité l’hôtel Drouot et le tombeau de l’empereur aux Invalides.


Mardi, 17 février.

Ce matin, Élisabeth est venue me prendre avec Henri et le petit Thyebault. Nous avons déjeuné chez elle et nous sommes allés au Cirque d’Hiver. C’était la première fois que j’y allais à Paris (M. et Mme Chiarini, Fatma, Olga, Tony-Nava). Le soir, nous avons dîné chez elle avec toute la famille Maldan. Perdu 15 centimes.


Mercredi, 18 février.

Ce matin, papa m’a donné de bien mauvaises nouvelles de Marie. En allant à la messe, j’ai passé chez Georges pour les lui donner. Il a déjeuné avec nous. Je suis rentré à l’école après-midi. En revenant, je suis allé sous l’Odéon pour m’acheter un cahier de textes.


Jeudi, 19 février.

Après le déjeuner, je suis allé avec Alfred à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, où j’ai lu de l’histoire romaine. Puis j’ai assisté à une répétition de La Grammaire chez Glatien. J’en suis avec Laurens, comme d’habitude. Comme il n’était pas venu ce matin à la réunion, j’ai craint qu’il ne soit malade et je suis allé le voir à 2 heures.


Vendredi, 20 février.

Ce matin, j’ai été puni injustement par M. Marty. Il m’avait donné un devoir supplémentaire pour aujourd’hui. J’ai cru que c’était pour la classe du soir et je ne l’avais pas fait. Cela l’a mis en fureur, et il m’a mis une note sur mon carnet, note fort injuste.


Samedi, 21 février.

J’ai eu ce matin un 15 à mon examen de géographie. Après le déjeuner, j’étais allé jouer au Luxembourg, au foot-ball ; Chapanière m’a poussé violemment contre un arbre, et je me suis évanoui. On m’a immédiatement conduit à une fontaine et on m’a lavé mes blessures.

Chapanière m’a alors offert de me reconduire chez moi, mais j’ai refusé. En arrivant, Élisa a eu très peur en me voyant le visage si pâle et couvert de sang ; je l’ai rassurée de mon mieux et me suis étendu sur mon lit ; j’ai alors été pris d’un violent mal de tête et j’ai eu beaucoup de peine à m’assoupir. Lorsque je me suis réveillé, je me suis mouché, et une grosse bosse que j’avais au front a glissé tout à coup et est venue me remplir la paupière. Je ne puis pas voir de cet œil-là, et c’est très gênant. La secousse a été extrêmement forte et voici le résultat de mes blessures : les deux lèvres enflées et coupées à l’intérieur, toutes les dents ébranlées et très sensibles, un œil fermé. Il n’y a pas un endroit de ma tête qui ne soit sensible. À 5 heures, j’ai fait chercher mes livres à l’école et Givierge me les a apportés. Au moment où il était là, j’ai été pris d’un fort vomissement et j’ai évacué tout mon déjeuner. Le soir, mon oncle Mougeot, Élisabeth, ma tante Marie, Jeanne, Charles, René et Georges dînaient à la maison.


Dimanche, 22 février.

Après-midi, tout le monde est venu me voir pour demander de mes nouvelles. Papa a invité Élisabeth, mon oncle Mougeot, ma tante et Thérèse à dîner à la maison.


Lundi, 23 février.

Je suis rentré à l’école après-midi pour faire ma composition de botanique. J’y suis allé avec Glatien qui était venu me voir peu de temps avant d’aller à l’école.


Mardi, 24 février.

J’ai eu encore mal à la tête ce matin, des suites de ma chute. Aussi je n’y suis pas retourné après-midi. J’ai été avec Élisa et Alfred au Bon Marché. Pendant qu’ils faisaient leurs acquisitions, je suis resté au cabinet de lecture. Je suis revenu très fatigué.


Mercredi, 25 février.
Jeanne et René sont venus ce soir à la maison pour jouer avec moi. Ma tante Louise et Thérèse sont venues ensuite. Jeanne avait organisé une loterie, j’ai eu une chance incroyable. J’ai gagné le lot, un ludion, mais je l’ai donné à René pour le dédommager.

Jeudi, 26 février.

Papa est parti ce matin pour Tours, où Lucie l’a appelé à cause de Marie qui va très mal.


Vendredi, 27 février.

Aujourd’hui commencent les déménagements. Ratapoil est venu ce matin pour enlever une partie de ses meubles. La salle à manger est toute dégarnie. Comme papa n’était pas là, Georges a déjeuné et dîné à la maison pour me tenir compagnie.


Samedi, 28 février.

Suite des déménagements, Ratapoil vient chercher ce qu’il n’avait pas encore emporté. J’ai aidé les déménageurs à déménager ma chambre. J’ai déjeuné seul à la maison, mais Georges est venu me chercher le soir pour dîner rue Vavin. On a apporté le tapis de sa chambre.


Dimanche, 1er mars.
Suite et fin des déménagements. Georges déménage aujourd’hui de la rue Vavin dans la rue Notre-Dame-des-Champs. Il m’a donné aujourd’hui à Jeanne pour toute la journée. J’ai cependant été à Arcueil avec Élisabeth. J’ai dîné le soir chez elle (Élisabeth) avec Jeanne, Charles et René.

Lundi, 2 mars.

Aujourd’hui, M. Beck était malade. Mes camarades ont été à la place à la gymnastique. Comme je n’y vais pas, je suis revenu à la maison, et j’en ai profité pour ranger mes livres. Après-midi : compote en histoire.


Mardi, 3 mars.

Leçon intéressante de M. Bémont sur l’organisation des provinces. Je suis allé en promenade après-midi avec M. Marty. Je tenais la tête avec Givierge. Nous y avons vu les tableaux de Prud’hon, Géricault, Ingres, Delacroix, Delaroche, etc.


Mercredi, 4 mars.

J’ai su aujourd’hui ma place de botanique. Je suis 11e. Ce n’est pas fameux. Mais j’ai cependant une excuse, car je n’avais pu repasser cette composition, ayant eu mal à la tête, des suites de ma chute.


Jeudi, 5 mars.
René avait congé par hasard aujourd’hui, aussi, je suis allé avec Jeanne et lui au Jardin des Plantes. Nous y avons corrompu nombre de gardiens, et admiré nombre de bêtes curieuses. Jeanne était très oppressée. Nous sommes revenus en bateau-mouche jusqu’au quai de Saint-Augustin, où j’avais une répétition chez Glatien.

Vendredi, 6 mars.

J’avais à traduire pour aujourd’hui une fable de La Fontaine en latin. Ce n’était pas facile. Aussi n’ai-je pu attraper qu’un 5. Mes autres notes ont été excellentes. Par exemple, un 9 de M. Rieder enchanté des réponses, judicieuses, paraît-il, que je lui avais faites.


Samedi, 7 mars.

Je suis 1er ! en histoire avec 17 !!! M. Bémont a beaucoup hésité entre Givierge et moi. Mais il a trouvé que mes réflexions étaient plus justes et mon plan plus net. C’est cela qui l’a décidé. C’est la sixième fois que je suis 1er depuis que je suis à l’école.


Dimanche, 8 mars.

J’ai été aujourd’hui chez Jeanne pour jouer avec René. Nous avons joué aux dames. Jeanne avait donné des lots ; j’ai gagné un plumier rond en cuir, et de plus, un lot à choisir dans ce que je désire. Georges est venu me rechercher, ma tante est revenue de Metz.


Lundi, 9 mars.
Je n’ai rien eu de bien remarquable aujourd’hui. Deux 6 ! ce n’est pas brillant. Après-midi, compote en version latine. Sujet : Périclès. Je ne la comprends pas mal. J’oublie encore, après la composition, d’aller à l’anglais. Suis-je étourdi !!

Mardi, 10 mars.

Une bonne journée, aujourd’hui. Trois 8 et un 7. M. Marty a lu plusieurs devoirs de promenade, et a dit que le mien était de beaucoup le meilleur. Nous avions à lire pour aujourd’hui le dernier livre de Télémaque. Ce matin, très intéressante leçon sur l’hellénisme à Rome.


Mercredi, 11 mars.

Après-midi, je me sentais mal à mon aise, j’avais mal à la tête, à la gorge, et j’ai demandé à Georges de rester à la maison. Il a bien voulu. Je me suis occupé comme j’ai pu le reste de la journée. Mais j’ai été forcé de manquer l’avant-dernière répétition chez Glatien.


Jeudi, 12 mars.

Je reste encore à la maison aujourd’hui. Charles est venu déjeuner avec nous. Il a amené un marchand de meubles et Georges a commandé une suspension pour la salle à manger. Je manque aujourd’hui la répétition générale de Glatien.


Vendredi, 13 mars.
Je ne puis rentrer à l’école qu’après-midi. En arrivant, Glatien m’a dit que sa mère avait craint que je ne puisse pas venir demain à la représentation, et sans me le dire, elle m’a choisi un remplaçant, Alfred Blech. C’est agréable, en vérité !

Samedi, 14 mars.

Je suis allé ce soir chez Glatien, et j’ai assisté à la représentation, non plus en acteur mais comme spectateur. Laurens a été admirable. Après la pièce, il y a eu un petit souper de gâteaux et de thé. Alfred est venu me rechercher.


Dimanche, 15 mars.

Je suis allé aujourd’hui avec ma tante Marie et Jeanne à l’exposition des œuvres de Gustave Doré. Nous avons pu nous procurer un Dante et une Atala, illustrés par lui. J’en ai été enthousiasmé. Mon Dieu, quel talent il avait, ce Gustave Doré !


Lundi, 16 mars.

Aujourd’hui, Georges m’a permis de lire Hernani. Dieu que c’est beau ! surtout les deux dernières scènes et le monologue de Don Carlos. Cette pièce m’a passionné. Après-midi, composition en thème latin. Je suis très content de la mienne. Je n’oublie pas d’aller à l’anglais.


Mardi, 17 mars.
Ce matin, classe de M. Bémont sur les Gracques. Après-midi, nous allons avec lui au Louvre étudier le costume militaire des Romains. Je tenais la tête avec Chapon. Nous avons causé de Victor Hugo ensemble, il est aussi passionné que moi sur ce poète. C’est un très bon garçon que Chapon.

Dimanche, 19 avril.

Aujourd’hui, Georges et moi, nous sommes allés à Bourg-la-Reine en chemin de fer. Nous avons été de là à pied jusqu’à la Bièvre, en traversant un petit ruisseau et nous sommes revenus en passant par chez grand’mère.