Louÿs — Littérature, Livres anciens, Inscriptions et belles lettres/Inscriptions et belles lettres

Slatkine reprints (p. 189-218).

INSCRIPTIONS

ET BELLES LETTRES


À MONSIEUR JEAN DE TINAN


CHÂTEAU DE BAYLAC

Ce siècle avait cent ans. Adam tirait les cartes.
Déjà Daudet Léon piochait son Descartes.
Un ange désolant, flanqué d’un Séraphin
Encensait le sommeil du sieur Viélé-Griffin.
La jeunesse embrassait Mirbeau. Le vert Catulle
Ornait son jeune teint de cravates de tulle.
Ubu-Roi mesurait la surface de Dieu.
Tout était bienheureux, excepté Paul Hervieu,
Frère aîné de Barrès tomba non sans charme,
Et Zola sur Dreyfus y allait de sa larme.

Ce siècle avait cent ans. Non : quatre-vingt-dix-sept.
Rochefort combattait contre les fils de Seth.
Le Jour victorieux tuait la jeune Aurore
L’Éclair illuminait ceux que le Temps dévore
Ô soleil d’Austerlitz ! Ô neiges de Granson !
La Presse interviewait l’illustre Natanson,
La Presse, où Tinan pond ses « chroniques hardies »
Et Robert de Souza parlait de prosodies.


Robert, fils de Bonnière et petit-fils du même
Qui se dit syllogisme et n’est que stratagème,
Vêtu de son habit de chambre à pois carmin
Et le livre du grand Anatole à la main,
Debout sous la lueur de sa lampe électrique,
Branle un terrible doigt qu’on dirait une trique,
Et discourt. Sont présents Peau-de-Balle et Nemo,
Fort qui prit pour devise : Et amare amo,
Oscar Wilde, captif des antiques citernes,
Bourget, qui prend les utérus pour des lanternes,
Albert, comte de Mun et Jean, sieur de Tinan,
Montesquiou, plus sot qu’il n’est impertinent,
Tous regardent entrer un homme à l’âme vile,
Gide, sieur de la Roque et de Cucuverville,
Dont les cheveux sont longs : comme un jour sans putain
Et qui tient dans ses doigts l’étoile du matin.


[La suite à demain. Je me couche]

BALLADE DES VIERGES FORTES


POUR CÉLÉBRER MARCEL PRÉVOST

On vit, aux époques lointaines
D’erreur et de trouble mental,
Les vierges pencher leurs antennes
Aux vents du monde horizontal…
— Mais où vont ces jeunes cohortes ?
À Vaucouleurs ? À Roncevaux ?
Chantons, chantons les vierges fortes
Sur qui, démon, tu ne prévaux !

Autrefois, blondes et châtaines,
Du Finistère et du Cantal,
Dans les eaux métropolitaines
Souillaient leurs âmes de cristal.
À leurs générations mortes
L’Oubli noir jette ses pavots.
Chantons, chantons les vierges fortes
Sur qui, démon, tu ne prévaux !


On en vit, pour la pretentaine,
Descendre du blanc piédestal
Boire la faute à la fontaine
Et le baiser, philtre fatal.
Ciel ! les voyez-vous par centaines
Portant le lys sentimental
Quitter les gants pour les mitaines
Et le satin pour le métal ?

Ce sont les parthènes d’Athènes
Qui vont, sans capital natal,
Cueillir aux plaines puritaines
La fleur d’or du total dotal.
On les mariera, les bistortes,
Avec de braves petits veaux.

                   Envoi

Princesse, que le diable emporte
Ce crétin de Marcel Prévost.
Chantons, chantons les vierges fortes
Sur qui, Ballot, tu ne prévaux !


FAMILLE


Le vingt-sixième bataillon,
Qui du sabre et du goupillon
Porte les armes dans Vincennes,
Me demande quelques bouquins.
Mais que lui faut-il ? Des Berquins ?
Ou d’illustres auteurs obscènes ?

Ce vieux vingt-sixième chasseurs
Qui prend nos filles et nos sœurs
Comme de modernes Sabines
Dis-moi quel roman, par Hermès,
Il voudrait lire à son cher mess
En se pourléchant les babines ?

Si pour lui plaire on expurgeait
Quelque récit de Paul Bourget
Ou de Madame Henri Gréville,
Le verrait-on bénir la main
De ton humble cousin germain
Sur tous les trottoirs de la ville ?


Gyp, est-ce toi qui l’éblouis ?
Ou plutôt ce Pierre Louÿs
Qui s’édite avec des images ?
Ou le puissant gorgonzola
Que fabrique Monsieur Zola
Pour les amateurs de fromages ?

Veut-il un roman bien décent
Où l’on voie un adolescent
Suivre au bois quelque pucelle
Solitaire aux yeux de velours
Qui résiste vingt et un jours
Avant de l’inviter chez elle ?

Tout au contraire lui faut-il
Du péché bizarre et subtil,
Des monstres et des ingénues,
Du crime à flots, des yeux pervers,
Des dames de profils divers
Mais invariablement nues ?

...............

En attendant ne sachant pas
Ce qu’il lit entre ses repas
Si c’est honnête ou prohibible
J’envoie un livre sans danger
À moi donné par Bérenger
Sous le titre de « Holy Bible ».


                    Un jour le Gaston Danville
                    Invita Gaston Deschamps
                    D’une façon fort civile
                    Aux reliefs de leurs talents.


                                                            Etc.


Pan, touchant de ses doigts la flûte des cinq sens,
louait un air d’Orphée orchestré par Saint-Saëns
          En manière de préambule
Gourmont, ailé d’azur, dans un lys s’abluait
Rosalinde était rose et Melissa bluet ;
          Vesper naissait du pré en bulle.

Le trait que Cypris baise et l’arc d’or qu’Eros tend
Cherchaient au ciel nocturne où plane Edmond Rostand
          Willy volant vers la Polaire ;
Catulle, plus gonflé qu’un poussin frais éclos,
Allait prier dans ces manoirs à volets clos
          Que la morale en pleurs tolère.


En faisant sa partie avec Zeus, Moréas
Empoignait Orion pour faire un, quatre et as,
          À la place d’un double sisse.
Decourcelle écrivait avec ses grands ciseaux,
Gide mirait son nez dans le cristal des eaux,
          Et le prenait pour un narcisse.

Un monocle lorgnait Montesquiou sur le pal.
Bonnefon digérait, dans son ventre papal,
          La Congrégation des Rites.
Hamlet s’épouvantait d’être Sarah Bernhardt.
« Me faudrait-il choisir ? » disait Faust goguenard
          En retrouvant deux Marguerittes.


CHANT TRIOMPHAL


À LA LOUANGE D’UN CRITIQUE CONSIDÉRABLE
(Henry BAUER)

À Ferdinand HEROLD.

I

Honneur au roi monumental
Que l’œuvre a hissé sur le trône !
Il a le ventre du Cantal
Et le teint des Bouches-du-Rhône.
Nous, à ses pieds, petits enfants,
Ne pissons point quand il digère :
On ne doit faire aux euleuphants
Nulle peine, même légère.


II

Auprès de notre strapontin
Il emplit toute une baignoire ;
Les dieux font surgir le destin
Des signes de son encre noire ;

Par lui, ratés ou triomphants,
Ne disons point qu’il exagère :
Il ne faut faire aux euleuphants
Nulle peine, même légère.


III

Il va de l’avant. Que lui chaut
L’homme Antoine, que Paul chamaille !
« À nous », dit-il, l’art simple et chaud.
Débouchons les cottes de Maille !
Exterminons les olifants
Et tous ces casques d’étagère.
On ne doit faire aux euleuphants
Nulle peine, même légère.


Envoi

Ô vous de maintes Milos,
Vénus, montâtes sur nos planches,
Chatouillez ce Trois Cents Kilos
Si vous voulez des boules blanches ;
Mais que vos poils plats ou bouffants
Se coiffant à la Zaessinger :
On ne doit faire aux euleuphants
Nulle peine, même légère.


LETTRE À HÉLÈNE DE H.


Ores que Don Paul Déroulède,
Suivi de Lemaître Panza,
Brandit sa lance de colza
Vers Zola qui grogne et qui plaide ;

Lors qu’entre le pouce et l’index
M. Quesnay de Beaurepaire
(Et allez donc ! c’est pas mon père)
Fait claquer le Manau-Vindex ;

Quand Drumont, barbu comme un fleuve
Mais enchanteur comme un Merlin,
Fait cinq mille livres sterling
Pour un faussaire et pour sa veuve ;

Lorsqu’entre l’huître et le homard
Un vent farouche d’épopée
Pousse le vieux François Coppée
Sur l’homme de Montélimar ;


Quand les pierrots et les fantoches
S’exterminent dans le futur,
Quand Noailles transperce Arthur
Sous les yeux de Mme Toche ;

Quand protestant, juif et demi,
Gide, écoute de deux nuits l’une
Si l’on n’entend point sous la lune
Sonner la Saint-Barthélemy.

Lorsque Pressensé le podagre
Ne parle que d’assassiner
Rochefort, qui prie à dîner
Le traducteur de Méléagre ;

Quand Max Régis jusqu’aux genoux
Passa à gué le sang noir du youtre
Et le boit dans un crâne (en outre !)
Hélène, que ne dites vous :

« Ô Seigneur Don Paul Déroulède
Ô Seigneur Lemaître Panza,
Sus contre l’hydre influenza
Qui nous dévore et nous rend laides.

Nous lirons le journal du vieux
Dont le beau Max aime la femme,
Nous ne parlerons plus aux dames
Chez qui fréquente Paul Hervieu.


Nous tuerons Anatole France,
Nous le tuerons, monsieur Drumont !
Loulouse oubliera les Frémonts
Et vous fera des révérences.

Sur Prévost qui soutint Leblois,
Sur Ricquart qui n’est point Rodrigue
Nous attirerons par l’intrigue
Le feu des lois, des justes lois.

Mais délivrez-nous de la peste,
Saint Paul Déroulède ! Arrivez
Sur votre canasson crevé
Du fond des casernes célestes.

Renvoyez chez les Genevois
Le frisson, la toux et la fièvre,
Rendez de la pourpre à nos lèvres
Et de l’or à nos jeunes voix ;

Et d’une lance éblouissante
(Vive l’armée ! À bas Zola !)
Percez le dragon qui tient là
Deux Andromèdes bien pensantes.


1899

SATIRA…


À vous qui ressentez la colère d’un muscle
Jadis le jeune Pline ou le vieillard de Tuscle
          (Que cette rime est chic !)
Auraient fait pour le moins hommage d’une épître
Mais chez moi, chaque vers entr’ouvre un œil de pître
          Et voilà bien le hic !

Si j’étais ce Guérin chanta Francis Jammes…
(Vous souvient-il du jour, Virgile, où nous mangeâmes
          Cette omelette au lard ?)
Si j’étais Signoret, si ma plume encor tiède
Sortait de l’encrier qu’illustra La Tailhède…
          Ah ! si j’étais Quillard !

Comme je vous dirais : Hermogène, respire :
Mars était noir, Algol fatal, Antarès pire,
          Que dis-je ?… Et cætera !
Dans un marc de café secoué sur Crôbyle
Je vous ai vu heurté par une automobile
          Place de l’Opéra.


Sept tramways en bataille avec sept passerelles
Plus tard à vos dépens inondaient leurs querelles
          D’un torrent de vapeurs
Et la foule entendait venir à son de trompe
Les lanciers de Brugère et ceux du bateau-pompe
          Qu’on nomme encor sapeurs.

L’oracle en a menti. L’accident qui vous cloue
Dans le home qu’enfin même un Captain Cook loue
          Doit vous paraître exquis,
Car il est moindre… Ici, la feuille étant trop large
Je me divertirais à glisser dans la marge
          Quelques petits croquis.

Et puis ayant rempli de ma belle écriture
Deux pages de vers bons à corner des fritures
          J’irais prendre un peu l’air
Non sans avoir écrit sur la ligne du titre :
Consolation XII en manière d’épître
          Au comte H*** de R***.


1900



ÉPITRE AU PRINCE BORIS CURNONSKY


Curnonsky, la saison ressemble à ton visage.
Un radieux été repeint son paysage
Sur ta mine éclatante au chef couronné d’or.
Iris dit : Floréal. Tu réponds : Thermidor !
Et la bière écumante au gouffre de ta gorge
Résurgit de ton front en chevelure d’orge.
Quel que soit l’instant vague où sur le boulevard
Ton sourire altéré comme un papier buvard
S’amuse à voir bleuir une vitreuse absinthe,
Ô Curnonsky, ta joue est une vierge enceinte
Ton geste est plantureux, tes flancs sont fortunés,
Et l’équestre lorgnon chevauche ton nez
À l’air de se hausser pour mieux voir la Campagne
Ainsi qu’un moissonneur monté sur sa compagne.


SUR UNE COMÉDIENNE


L’actrice qu’on voulut choisir
Pour le doux rôle d’Andromède
Passait pour prendre son plaisir
Par où l’on prend plutôt remède.
Et l’on chuchota que, rêvant
De parcourir double carrière
Cette Andromède par devant
Fut Persée aussi par derrière.


SAGES PAROLES À TIGRE


Pierre Marie Joseph Henri de Régnier
          Afin que nul ne te dénigre
Écoute poliment ce que vient t’enseigner
          Ton premier ami, jeune Tigre !

Tes pères ont chanté par des mots éclatants
          L’un, le Jour, l’autre, les Ténèbres.
C’est pourquoi tu seras dans quelque dix-sept ans
          Ce qu’on appelle un fils célèbre.

N’en abuse pas trop ; ne porte pas au club
          Tous les droits d’auteur des Trophées.
Ne sache pas si tôt comment prennent leur tub
          Les personnes trop bien coiffées.

Sois heureux, la joie existe doublement
          Par le Réel et par le Livre.
Fais des vers, Si tu peux ; fais aussi des romans,
          Ceux que tu n’aurais pas su vivre.

Apprends le grec, l’anglais, la lyre et le maintien.
          C’est l’essentiel. Pour le reste…
Recherche le bonheur des autres et le tien
          Sois charitable, et fais la sieste.


(Septembre 1898.)

APOSTROPHE À M. SIDOINE APOLLINAIRE
SUR LA FORCE DES RIMES RICHES


Allez donc apprendre au plus tôt
Votre métier chez un cuistot
Monsieur Sidoine Apollinaire.
On vous plaint d’avoir tant vécu
Et d’écrire un style aussi « cu »,
Sans que vous ajoutiez « linaire ».


MERCI, MON DIEU

Le grand conteur décadent
Philippe Auguste Mathias
De Villiers de l’Isle-Adam
N’écrit plus. Deo gratias.


.....

Ci-gît Ferdinand Brunetière
Avec son œuvre tout entière.


TRISTESSE D’OLOVIO


Sunt lacrymæ rerum.

Les œufs n’étaient point frais, la chair n’agit pas bonne
Non. Le plat noir bavait sur la main de la bonne
            Un triste ruisselet.
Olovio, souffrant, défaillait sur sa chaise.
Une odeur d’hôpital et de Père-Lachaise
            S’élevait du poulet.

Le veau, le bar, les choux frits dans la même poêle,
Dans le même torchon, sentaient la vieille toile
            Et le poisson pourri.
En disséquant (de loin) le petit sot-l’y-laisse,
On trouvait un ver blanc, nu comme une diablesse
            Mais vif, et bien nourri.

À peine sur la table un filet de bourrique
Exhala deux soupirs d’acide sulfurique,
            Et deux larmes d’azur.
On vit même au dessert un spectre de fromage
Franchissant la faïence et la nappe à ramage
            Chercher un air plus pur.


D’innommables humeurs coulaient des côtelettes
Les champignons brillaient au flanc des poires blettes,
          Moisissaient le sirop.
Et, cachant la pâleur de sa bouche entr’ouverte
Olovio criait devant la viande verte :
          « Vous nous gâtez ! C’est trop ! »


10 juillet 1911.

ENVOI DE CIGARETTES


Iris, l’heure vous arrête
Par la plume ou l’aile du voile
Va s’enfuir d’une cigarette
Où l’on vous allume une étoile.

Si vous l’aimez suivre des yeux
Le long des brumes parfumées,
N’oubliez pas d’offrir aux dieux
L’holocauste de la fumée.

Décembre 1894.

ÉCRIT ENTRE L’ETNA ET LE…


(Vous chercherez ça sur un atlas), c’est en Calabre.

Piroscafo Singapore, 14 février 1901.

Ainsi, vers la mer de Sapho
Nous voguions dedans un vapore
Mieux dénommé « piroscafo »
Et mieux encore « Singapore ».

Les écumes dans leur lit bleu
Berçaient la noire nef qui tangue,
Lui disaient bonjour, puis adieu,
En passant, du bout de la langue.

On entendait bien, sur l’Etna
La litanie un peu trop dite :
Tanit, Astarté, Rabbetna…
Derceto, Vénus, Aphrodite…

Mais autour de notre radeau
Sous ce volcan qui n’est pas l’Hèkle,
Plusieurs tritones ivres d’eau
Se montraient plus vingtième siècle.


Ici la mode est, cet hiver,
Chez les sirènes de Calabre
De se peindre les seins en vert,
Ma chère, et la queue en cinabre.

On les voit dresser vers le ciel
(Ô mon œil, combien tu t’allumes !)
Un chapal artificiel
Du grand magasin « Fleurs et Plumes ».

Chantant des choses, et nageant
Avec un petit air loufoque
Elles mendient un peu d’argent,
Dans une bourse en cuir de phoque.

« C’est, » me disent-elles tout bas,
Avec des algues aux babines,
« C’est pour livrer les bons combats
À la licence des cabines. »

« Depuis le beau jour où passa
Ta nef en route vers la jungle,
Mon vieux nous n’avons pas fait ça ! »
Et leur dent sonne sous leur ongle.

Jadis, les celles d’Artémis
Nous laissaient à ce que nous sommes.
Aujourd’hui suffit d’une miss.
Pour débaucher quatre-vingts hommes.




LA VIE BIENHEUREUSE


En vérité, je vous le dis
Le Silencieux pour les dames
Nous découvre un tel paradis
Qu’il n’a pas besoin de réclames.

Ce masque de fer sans douleur
Et de velours à la dragée
Boucle toute une bouche en fleur
Dès que la fleur est enragée.


.....

Elle était blonde, et pourtant brune,
Courte, avec de grands pieds mi-clos.
Son cœur était comme la lune
Et ses charmes comme les flots.


.....

Iris, ne sauriez sans voiles
Nous parler la langue des dieux,
Pourquoi signez-vous Trois Étoiles
Puisque vous n’avez que deux yeux ?


1895.

Ni vers blancs ni muse pédestre
Ni sons que Wagner orchestra
Ne sauraient peindre Clytemnestre
(Je veux dire Klutaimnestra.)

Seul l’octosyllabe robuste
Peut dessiner sur le vélin
Son portrait en pied comme un buste
Avec ou sans peplos de lin.

Donc, en l’an mil deux cent septante,
Funèbre et marchant à grands pas
Clytemnestre était dans sa tente
Agamemnon n’y était pas.

Prêt à plonger un fer qui brille
Entre les perles des colliers
Le roi voulait tuer sa fille
Pour des motifs particuliers.


Mais tout à coup, la basilisse
— Ou bien la reine, c’est kif-kif —
Vit entrer le seigneur Ulysse
Frais débarqué de son esquif.

« Ma fille est morte ! — Non, madame,
Fit-il, dans le style des cours,
C’est pour calmer votre état d’âme
Qu’en ces lieux je vole et j’accours.

Grâce à l’appui d’une immortelle
La pauvre enfant… Mais la voici.
— C’est toi ! — C’est moi ! — C’est nous ! — C’est elle !
— Mon enfant. — Ma mère ! — Elle ici !

— Qui donc est-ce qu’on assassine ?
— Chut ! dit la Princesse aux grands yeux,
Euripides et Jean Racine
Ont volé leur victime aux dieux.

Mais on supplicie à ma place
Sur l’autel du grand Manitou
Les pauvres lycéens en classe
Et les lycéennes itou.


IMPROMPTU


« Les uns veulent la noire et les autres la blanche
          « Fais comme tu voudras ».
Seriez-vous poètesse, Iris, depuis dimanche ?
          Hip ! Hip ! Hip ! trois hourrahs !

C’est en vain qu’après vous, Madame, je pastiche
          Le langage divin
De cet alexandrin suivi d’un hémistiche
          Signé : « Malherbe vint. »

Déjà nous avions mis au rang des belles choses
          Ce distique latin :
« Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
          L’espace d’un matin. »

Mais Iris, pour celui que vous nous faites lire,
          Prenez ces lauriers verts.
Depuis quand laissez-vous la plume pour la lyre,
          La prose pour le vers ?


VOISINE DE TABLE


La dame est vraiment fantastique.
Parlez-lui des lacs, des étangs,
Elle rêve à son domestique
Aux amours de son jeune temps.

Comment s’appelait-il, madame,
Ce beau canotier, ce valet
Qui vous donne du vague à l’âme
Vous l’adoriez ? Il vous valait ?

Valet de pied ? de corps ? de bouche ?
Maître d’hôtel ? Garçon de bain ?
On dit « barque » et vous pensez « couche »
On dit « lac », vous rêvez larbin.

Comment s’appelait-il ? Nénesse ?
Si vous gardez cet incident
Pour vos souvenirs de jeunesse
Dépêchez-vous, c’est plus prudent.


CONTRE UN MÉDECIN


Dans la crypte encor cénotaphe
D’un triste et vierge et saint martyr
L’homme aux Parques frémit et piaffe
On croit qu’il entre. Il va partir.

Il vibrionne un leucocythe
Qui, Metchnikoff étant défunt,
Va seul s’engloutir au Cocythe
Où la Parque se fit parfum.

L’aptitude aux phagocytoses
Manque à mes forces pour longtemps,
Mais je trie un fagot. Si t’oses
Me faire un tel coup… Je m’entends.