Lotus de la bonne loi/Notes/Chapitre 23

Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 425-427).
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Notes du chapitre XXIII

CHAPITRE XXIII.

f. 222 a.Anilam̃bha.] Le nom de cette méditation ne peut signifier « qui ressemble au vent ; » il faudrait Anilâbha pour avoir ce sens ; Anilambha (qu’il vaut mieux écrire avec un m qu’avec un anusvâra), doit signifier « ce dont il n’y a pas de prise, imprenable. » De même encore Sarvapunyasamutchtchaya doit signifier « l’accumulation de toutes les vertus. » Au lieu de Apkrĭtsna, « eau en totalité, » les deux manuscrits de M. Hodgson lisent Asakrĭtsamâdhi, « la méditation répétée, » leçon très-préférable. Les mêmes manuscrits lisent encore Sûryagarbha, « celui dont le soleil est la matrice, » au lieu de Sûryâvarta. Je cite ces variantes non à cause de leur valeur intrinsèque, mais pour montrer quel arbitraire il y a dans les noms de ces exercices fantastiques de la pensée que les Buddhistes décorent du nom de « méditations, » ou selon une autre explication du mot, « d’empire exercé sur soi-même, » et dont ils se plaisent à imaginer qu’il existe des séries sans fin.

f. 223 b.Kim̃çuka.] Le Kim̃çuka est le butea frondosa, arbre de la famille des papilionacées, qui porte de belles fleurs rouges. Il y a ici dans le manuscrit de la Société asiatique une lacune assez considérable, depuis les mots « de la science émanée du Tathâgata, » jusqu’aux mots « opéra en ce moment un prodige, » p. 256. J’avais déjà comblé cette lacune à l’aide du manuscrit de Londres ; les deux manuscrits de M. Hodgson la remplissent exactement de la même manière, sauf quelques mots sans importance.

Que le Tathâgata consente à nous expliquer par quel prodige, etc.] La comparaison des deux manuscrits nouveaux de M. Hodgson permet de traduire plus exactement : « Que le Tathâgata veuille bien accomplir un prodige tel que le Bôdhisattva Mahâsattva excité par ce prodige vienne dans cet univers Sahâ. » La phrase suivante par laquelle Çâkyamuni invite Prabhûtaratna à faire le miracle qui lui a été demandé, prouve que le passage retraduit ici ne peut avoir un autre sens.

À la hauteur de sept empans.] Lisez, « de sept Tâlas. »

f. 224 a.Souhaite à Bhagavat peu de douleurs, etc.] Cette phrase exprime en termes spéciaux la manière dont il était d’usage de saluer Çâkyamuni ; du moins les mots dont elle se compose sont en quelque sorte stéréotypés dans une formule qui se répète toujours la même dans de nombreux textes, et qui est aussi familière aux Buddhistes du Sud qu’à ceux du Nord ; j’ai eu occasion de la signaler déjà au chap. xiv, f. 162 a, p. 412. En voici les termes tels que nous les donne le Lotus, et tels qu’on les retrouve dans les Sûtras simples du Divya avadâna : Alpâvâdhatâm pariprĭtchtchhaty alpâtag̃katâñtcha laghusthânatâñtcha (al. laghûtthânatântcha) yâtrâbalam̃ (al. yâtrâñtcha balañtcha) sukhasparçavihâratâñtcha (al. sukhañtchânavadyatâñtcha sparçavihâratâñtcha). Les termes placés entre parenthèses sont empruntés au Prâtihârya sûtra[1] ; c’est vers la fin seulement qu’ils introduisent quelque changement dans la formule. Je puis proposer maintenant, pour le texte de notre Lotus, une version plus littérale que celle que j’avais adoptée d’après le seul manuscrit de la Société asiatique : « Il souhaite à Bhagavat peu de peines et peu de douleurs, et une position facile ; il lui souhaite la force de la marche et l’habitude des contacts agréables. » Si l’on suit la version du Prâtihârya sûtra, il faudra traduire : « Il souhaite à Bhagavat peu de peines et peu de douleurs, et une exertion facile, et la marche, et la force, et le bonheur, et la considération, et l’habitude des contacts. » On voit sans peine qu’il s’agit ici presque exclusivement d’avantages physiques dont on souhaite que le Buddha soit en possession pour qu’il puisse se livrer plus librement à l’accomplissement de sa mission. C’est ce qu’on reconnaît de suite dans les deux premiers termes âvâdha et âtag̃ka, qui pour les Buddhistes, comme pour les Brâhmanes, signifient « peine et maladie. »

Le terme suivant n’est pas aussi clair, à cause de la double leçon que présentent les manuscrits. Suivant celle du Lotus, laghusthânatâ signifiera « l’avantage d’une situation facile, » soit qu’on désigne ainsi l’avantage de se tenir aisément debout, soit qu’on fasse allusion à ces longues et merveilleuses séances où, selon les Sûtras développés, Çâkyamuni restait un temps infini assis sans bouger dans la même position. La leçon du Prâtihârya sûtra donne ce sens, « l’avantage d’un effort facile, » ce qui est, je crois, la meilleure interprétation. Mais faut-il attacher une si grande valeur à cette différence d’orthographe, sthâna et utthâna ? ne doivent-elles pas rentrer l’une dans l’autre quant au sens ? Et alors s’il n’y a qu’une différence de forme, faudra-t-il attribuer cette différence à une variété de dialecte, comme quand on voit, dans le langage des édits de Piyadasi à Girnar, le mot usthâna, « effort, » conserver, selon la remarque de Lassen[2], la forme radicale plus fidèlement que le sanscrit utthâna ? Ces questions, toutes minutieuses qu’elles paraissent être, reçoivent cependant une certaine importance de leur rapport à une question plus générale, celle de la rédaction des livres primitifs et des livres remaniés, puisqu’il s’agit dans le Lotus de la bonne loi d’un Sûtra développé, et dans le Sûtra des miracles d’un Sûtra simple. Quant aux termes suivants, « la force de la marche » ou « la marche et la force, » la première version me paraît préférable ; ici la formule des Buddhistes du Sud semble donner l’avantage à la seconde version, puisqu’on n’y voit que balam, « la force ; » mais il n’y est pas question de yâtrâ, omission qui diminue la valeur de son témoignage. Je crois du reste que « la marche » ou « la force de la marche » fait allusion à la double nécessité où est Çâkyamuni, ainsi que tous les Religieux, de recueillir sa nourriture en mendiant, et de marcher de long en large sur la promenade des monastères. Je donne encore l’avantage à la leçon du Lotus sur celle du Prâtihârya, en ce qui touche les mots suivants, « et l’habitude des contacts agréables. » Outre que la leçon que je préfère est exactement celle de la formule des Buddhistes méridionaux, la version du Prâtihârya sûtra sépare vraisemblablement à tort l’idée exprimée par anavadyatâm, « la considération, le mérite de ne pas donner prise aux reproches, » de cet autre avantage de ne rencontrer que des contacts agréables ; et de plus, le terme « les contacts » se trouve isolé sans qualificatif qui le détermine. Voici maintenant la formule en pâli, telle qu’on la trouve fréquemment dans les Suttas des Buddhistes de Ceylan : Subhô mânavô nôdêyyaputtô bhagavantam ânandam appâbâdham̃ appâtam̃kam̃ lahuṭṭhânam̃ balam̃ phâsuvihâram̃ putchtchhati. « Le jeune Subha, fils du Nôdêyya, souhaite au bienheureux Ânanda peu de peines, peu de maux, une situation facile, la force et une existence aisée[3]. » Le mot lahuṭṭhâna que je traduis ici par « une situation facile » en le ramenant au sanscrit laghusthâna, peut également signifier « un effort facile, » si l’on en fait l’altération de laghûtthâna. Au reste, les deux formules sont bien certainement conçues dans le même esprit, et presque dans les mêmes termes ; et je crois, sauf erreur, que la plus ancienne des deux n’est pas la plus développée. Ce qui me confirme dans cette opinion, c’est que je trouve une troisième rédaction de cette manière de compliment, très-rapprochée de celle des textes pâlis et plus brève encore, au début même de l’édit en forme de missive, que le roi Piyadasi adresse aux Religieux rassemblés dans le Magadha. On en trouvera l’explication à l’Appendice sous le no X.

f. 224 a.De la haine contre les Brahmanes.] J’ai peut-être traduit trop littéralement le terme abrâhmaṇya, qui doit plutôt signifier ici « l’impiété. »

f. 226 a.À celles qui ont, les unes la forme de Yakchas, etc.] Ces formes de Yakchas, d’Asuras et d’autres êtres surhumains ne sont pas seulement celles des créatures auxquelles Gadgadasvara est supposé enseigner la loi ; ce sont encore ici celles que Gadgadasvara lui-même revêt pour instruire ces diverses classes de créatures réelles ou imaginaires. Il faut donc traduire de la manière suivante la fin de cette phrase, après les mots aux créatures : « tellement qu’il prend pour les unes la forme d’un Yakcha, pour les autres celle d’un Asura, pour d’autres celle de Garuḍa, pour d’autres enfin celle d’un Mahôraga. »

  1. Divya avadâna, f. 78 a et 76 b.
  2. Indische Alterthumsk, t. II, p. 256, note 1.
  3. Subha sutta, dans Dîgha nikaya, f. 49 a ; Lôhitchtcha sutta , ibid. f. 58 b : Mahâparinibbâna sutta, ibid. f. 81 b.