Lotus de la bonne loi/Chapitre 3

Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 38-62).
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CHAPITRE III.

LA PARABOLE.

Alors le respectable Çâriputtra, satisfait en ce moment, ravi, l’âme transportée, plein de joie, rempli de contentement et de plaisir, ayant dirigé ses mains jointes en signe de respect du côté où était assis Bhagavat, tenant ses yeux fixés sur lui, lui adressa ces paroles : J’éprouve de l’étonnement, de la surprise, ô Bhagavat ; j’éprouve de la satisfaction en entendant ce discours de la bouche de Bhagavat. Pourquoi cela ? C’est que n’ayant pas entendu jusqu’à présent cette loi en présence de Bhagavat, voyant d’autres Bôdhisattvas et entendant parler de Bôdhisattvas qui auront le nom de Buddhas dans l’avenir, j’éprouve un chagrin extrême, une vive douleur, en songeant que je suis déchu de cet objet qui est la science des Tathâgatas, qui est la vue de la science. f. 36 aEt quand, ô Bhagavat, je recherche sans relâche, pour m’y arrêter pendant le jour, les montagnes, les cavernes des montagnes, les forêts immenses, les ermitages, les fleuves et les troncs des arbres solitaires, alors même, ô Bhagavat, je me retrouve toujours avec cette même pensée : « En nous introduisant dans le domaine des lois semblables [à nous], Bhagavat nous a fait sortir à l’aide d’un véhicule misérable. » Aussi, ô Bhagavat, cette pensée se présente-t-elle alors à moi : c’est sans doute notre faute, la faute n’en est pas à Bhagavat. Pourquoi cela ? C’est que si Bhagavat était l’objet de notre attention, quand il expose l’enseignement le plus élevé de la loi, c’est-à-dire quand il commence à parler de l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, nous serions introduits dans les lois mêmes [qu’il enseigne]. Mais, ô Bhagavat, parce que, sans comprendre le langage énigmatique de Bhagavat, nous avons, pleins d’empressement, et quand les Bôdhisattvas n’étaient pas rassemblés [autour de Bhagavat], entendu la première exposition de la loi du Tathâgata qui ait été faite ; parce que nous l’avons recueillie, comprise, conçue, méditée, examinée, fixée dans notre esprit, je ne cesse, à cause de cela, de passer les jours et les nuits à m’en adresser des reproches. [Mais] aujourd’hui, ô Bhagavat, j’ai acquis le Nirvâṇa ; aujourd’hui, ô Bhagavat, je suis devenu calme ; aujourd’hui, ô Bhagavat, je suis en possession du Nirvâṇa complet ; aujourd’hui, ô Bhagavat, j’ai acquis l’état d’Arhat ; aujourd’hui, je suis le fils aîné de Bhagavat, son fils chéri, f. 36 b.né de sa bouche, né de la loi, transformé par la loi, héritier de la loi, perfectionné par la loi. Je suis débarrassé de tout chagrin, maintenant que j’ai entendu de la bouche de Bhagavat le son de cette loi merveilleuse que je n’avais pas entendue auparavant.

Ensuite le respectable Çâriputtra adressa dans cette circonstance les stances suivantes à Bhagavat :

1. Je suis frappé d’étonnement, ô grand Chef, je suis rempli de satisfaction, depuis que j’ai entendu ce discours ; il ne reste plus en moi aucune espèce d’incertitude : je suis mûri en ce monde pour le suprême véhicule.

2. La voix des Sugatas est merveilleuse ; elle dissipe l’incertitude et le chagrin des créatures ; et pour moi, qui suis exempt de toute faute, ma peine tout entière a disparu depuis que j’ai entendu cette voix.

3. Quand je reste, en effet, assis pendant le jour, ou que je parcours les forêts immenses, les ermitages et les troncs des arbres, recherchant même les cavernes des montagnes, je suis exclusivement occupé des réflexions suivantes.

4. Hélas ! je suis égaré par les pensées pécheresses, au milieu des lois semblables [à moi], exemptes d’imperfections, puisque certainement je n’exposerai pas au temps à venir la loi excellente, dans la réunion des trois mondes.

5. Les trente-deux signes [de beauté] n’existent pas pour moi, non plus que les perfections telles que celle d’avoir la couleur et l’éclat de l’or. Les énergies et les affranchissements ont aussi entièrement disparu pour moi. Hélas ! je suis égaré dans les lois semblables [à moi].

6. Et les signes secondaires [de beauté] qui distinguent les grands solitaires, signes qui sont au nombre de quatre-vingts, qui sont supérieurs, distingués, et les lois homogènes, au nombre de dix-huit, tout cela a disparu pour moi. Hélas ! je suis trompé !

7. Et après t’avoir vu, ô toi qui es bon et compatissant pour le monde, assis alors pendant le jour et retiré à l’écart, « Hélas ! pensé-je, je suis abusé par la science absolue et qui échappe au raisonnement ! »

8. Je passe, Seigneur, le jour et la nuit constamment occupé de ces seules pensées ; aussi ne te demandé-je, ô Bhagavat, que cette seule chose : Suis-je déchu, ou ne le suis-je pas ?

9. C’est ainsi, ô Chef des Djinas, que les nuits et les jours s’écoulent constamment pour moi au milieu de ces réflexions ; et après avoir vu beaucoup d’autres Bôdhisattvas qui ont été loués par le Guide du monde,

10. Après avoir entendu cette loi des Buddhas, « Oui, [me dis-je,] ce langage est énigmatique ; le Djina, dans la pure essence de l’état de Bôdhi, enseigne une science supérieure au raisonnement, subtile et parfaite. »

11. Autrefois j’étais attaché aux doctrines hétérodoxes, j’étais estimé des mendiants et des Tîrthakas ; alors le Chef, connaissant mes dispositions, [me] parla du Nirvâna pour m’affranchir des fausses doctrines.

12. Après m’être complètement dégagé des opinions des fausses doctrines, et avoir touché aux lois du vide, je reconnais que je suis arrivé au Nirvâna ; et cependant cela ne s’appelle pas le Nirvâna !

13. Mais quand [un homme] devient Buddha, qu’il devient le premier des êtres, qu’il est honoré par les hommes, les Maruts, les Yakchas et les Râkchasas, que son corps porte l’empreinte des trente-deux signes [de beauté], c’est alors qu’il est complètement arrivé au Nirvâna.

14. Après avoir renoncé à toutes ces pensées orgueilleuses, et avoir entendu tes paroles, j’ai atteint aujourd’hui le Nirvâna, alors qu’en présence du monde réuni aux Dêvas, tu m’as eu prédit que je parviendrais à l’état suprême de Bôdhi.

15. Une grande terreur s’est emparée de moi, au moment où j’ai entendu pour la première fois la parole du Chef : « Ne serait-ce pas, [me disais-je,] Mâra le méchant, qui aurait pris sur la terre le déguisement d’un Buddha ? »

16. Mais lorsque, démontré par des raisons, par des motifs et par des myriades de kôtis d’exemples, cet excellent état de Bôdhi a été bien établi, mon incertitude a cessé, après que j’ai eu entendu la loi.

17. Mais puisque des milliers de kôtis de Buddhas victorieux et parvenus au Nirvâna complet, m’ont instruit, et que la loi a été enseignée par eux, grâce à leur habileté dans l’emploi des moyens [dont ils disposent] ;

18. Et puisque beaucoup de Buddhas qui paraîtront dans le monde, et d’autres qui, pénétrant la vérité suprême, existent aujourd’hui, puisque ces Buddhas, dis-je, enseigneront et enseignent la loi par mille moyens dont ils connaissent l’habile emploi ;

19. Et puisque tu as clairement expliqué ta conduite religieuse telle qu’elle est, depuis le moment où tu es sorti [de la maison], puisque tu as connu ce que c’est que la roue de la loi, et que l’enseignement de la loi a été établi par toi, conformément à la vérité ;

20. Je reconnais alors [ce qui suit] : "Non, celui-là n’est pas Mâra ; c’est le "Chef du monde qui a enseigné la véritable conduite religieuse ; en effet, ce n’est pas ici la voie des Mâras." Voilà le doute qui s’était emparé de mon esprit.

21. Mais à peine ai-je été rempli de joie par la voix douce, profonde et agréable du Buddha, qu’aussitôt ont disparu tous mes doutes et que mon incertitude a été détruite ; je suis [maintenant] dans la science.

22. Sans aucun doute, je serai un Tathâgata vénéré dans le monde réuni aux Dêvas ; j’exposerai aux créatures cet état de Buddha, en y convertissant beaucoup de Bôdhisattvas.

Cela dit, Bhagavat parla ainsi à Çâriputtra : Je vais te témoigner mon affection, ô Çâriputtra, je vais t’instruire, en présence de ce monde comprenant la réunion des Dêvas, des Mâras et des Brahmâs, en présence des créatures formées de l’ensemble des Çramanas et des Brahmanes. Oui, Çâriputtra, tu as été mûri par moi pour l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, sous les yeux de vingt fois cent mille myriades de kôtis de Buddhas ; et tu as, Çâriputtra, reçu longtemps l’instruction sous mes ordres. Par l’effet des conseils du Bôdhisattva, par l’effet du secret du Bôdhisattva, tu es né dans ce monde afin d’assister à mon enseignement. Ne te rappelant, ô Çâriputtra, ni l’ancienne prière que, grâce à la bénédiction du Bôdhisattva, tu as adressée pour suivre la loi, ni les conseils du Bôdhisattva, ni son secret, tu te dis : Je suis parvenu au Nirvâna complet. Pour moi, Çâriputtra, désireux de réveiller en toi le souvenir et la connaissance de l’ancienne prière que tu as adressée pour suivre la loi, j’exposerai aux Çrâvakas le Sûtra nommé le Lotus de la bonne loi, ce Sûtra où est expliquée la loi, qui contient de grands développements, [etc., comme ci-dessus, f. 13 b.]

Mais de plus, ô Çâriputtra, tu renaîtras de nouveau dans l’avenir, au bout d’un nombre immense de Kalpas inconcevables, incommensurables ; après avoir possédé la bonne loi de plusieurs fois cent mille myriades de kôtis de Tathâgatas, après leur avoir rendu des hommages nombreux et divers, après avoir rempli les devoirs qu’impose la conduite d’un Bôdhisattva ; tu seras dans le monde le Tathâgata nommé Padmaprabha, vénérable, etc., doué de science et de conduite, heureusement parti, connaissant le monde, sans supérieur, domptant l’homme comme un cocher [dompte ses chevaux], précepteur des Dêvas et des hommes, bienheureux, Buddha.

Dans ce temps, ô Çâriputtra, la terre de Buddha de ce bienheureux Tathâgata Padmaprabha se nommera Viradja ; elle sera unie, agréable, bonne, belle à voir, parfaitement pure, florissante, étendue, salubre, fertile, couverte de nombreuses troupes d’hommes et de femmes, pleine de Maruts, reposant sur un fonds de lapis-lazuli. On y verra des enceintes tracées en forme de damiers, avec des cordes d’or ; et dans ces enceintes tracées en forme de damiers, il y aura des arbres de diamant. Cette terre sera perpétuellement couverte de fleurs et de fruits, formés des sept substances précieuses.

Le Tathâgata Padmaprabha, ô Çâriputtra, vénérable, etc., commençant par les trois véhicules, enseignera la loi. Bien plus, ô Çâriputtra, ce Tathâgata ne naîtra pas au temps où le Kalpa dégénère ; mais il enseignera la loi par la force de son ancienne prière. Le Kalpa [où il paraîtra], ô Çâriputtra, se nommera Mahâratfiapratimandita, [c’est-à-dire Embelli par de grands joyaux.] Comment comprends-tu cela, ô Çâriputtra, et pourquoi ce Kalpa se nomme-t-il Embelli par de grands joyaux ? Dans une terre de Buddha, ô Çâriputtra, les Bôdhisattvas se nomment Ratna (joyaux). Or dans ce temps, dans cet univers nommé Viradja, les Bôdhisattvas seront en grand nombre ; ils seront incommensurables, innombrables, inconcevables, dépassant toute comparaison, toute mesure et tout nombre, à l’exception toutefois du nombre des Tathâgatas. C’est pour cette raison que ce Kalpa se nommera Embelli par de grands joyaux.

Or dans ce temps, ô Çâriputtra, les Bôdhisattvas de cette terre de Buddha se lèveront, pour marcher, de dessus des lotus de diamant. Ces Bôdhisattvas ne seront pas de ceux qui se livrent pour la première fois aux œuvres ; ils seront riches en principes de vertus accomplies pendant longtemps, instruits dans les devoirs de la conduite religieuse sous plusieurs centaines de mille de Buddhas, loués par les Tathâgatas, appliqués à acquérir la science des Buddhas, créés par la pratique habile des grandes connaissances surnaturelles, accomplis dans la direction de toutes les lois, bons, doués de mémoire. Cette terre de Buddha, ô Çâriputtra sera ordinairement remplie de Bôdhisattvas de cette espèce.

La vie du Tathâgata Padmaprabha, ô Çâriputtra, sera de douze moyens Kalpas, en laissant de côte le temps pendant lequel il aura été Kumâra. La vie des créatures [qui existeront de son temps] sera de huit moyens Kalpas. Le Tathâgata Padmaprabha, ô Çâriputtra, à la fin de ces douze moyens Kalpas, après avoir prédit au Bôdhisattva Mahâsattva nommé Dhrîtiparipûrna qu’il parviendrait à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, entrera dans le Nirvâna complet. Ce Bôdhisattva Mahâsattva nommé Dhrîtiparipûrna, ô Religieux, [dira le Tathâgata,] parviendra immédiatement après moi à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. Il sera, dans le monde, le Tathâgata nommé Padmavrîchabhavikrâmin, vénérable, etc., doué de science et de conduite, etc. La terre de Buddha du Tathâgata Padmavrîchabhavikrâmin sera, ô Çâriputtra, de la même espèce [que celle de Padmaprabha]. La bonne loi du Tathâgata Padmaprabha parvenu au Nirvâna complet, subsistera, ô Çâriputtra, pendant trente-deux moyens Kalpas. Ensuite, quand cette loi du Tathâgata sera épuisée, l’image de cette bonne loi durera encore trente-deux moyens Kalpas.

Ensuite Bhagavat prononça dans cette circonstance les stances suivantes :

23. Et toi aussi, ô Çâriputtra, tu seras, dans une vie à venir, un Tathâgata, un Djina nommé Padmaprabha, doué d’une vue parfaite ; tu disciplineras des milliers de kôtis d’êtres vivants.

24. Après avoir rendu un culte à plusieurs kôtis de Buddhas et avoir acquis, sous leur direction, l’énergie de la conduite religieuse ; après avoir produit les dix forces, tu toucheras à l’excellent et suprême état de Bôdhi.

25. Dans un temps inconcevable, incommensurable, aura lieu un Kalpa où domineront les joyaux ; alors existera un monde nommé Viradja ; ce sera la pure terre du Meilleur des hommes.

26. Cette terre reposera sur le lapis-lazuli ; elle sera ornée de cordes d’or, et produira des centaines d’arbres de diamant, beaux et couverts de fleurs et de fruits.

27. Là, beaucoup de Bôdhisattvas, doués de mémoire et parfaitement habiles dans l’exposition de la conduite religieuse, parce qu’ils y auront été instruits sous des centaines de Buddhas, viendront au monde dans cette terre.

28. Et le Djina, à l’époque de sa dernière existence, après avoir franchi le degré de Kumâra, après avoir vaincu la concupiscence et être sorti [de la maison], touchera à l’excellent et suprême état de Bôdhi.

29. La durée de la vie du Djina sera de douze moyens Kalpas, et la vie des hommes sera, de son temps, de huit moyens Kalpas. Lorsque le Djina sera entré dans le Nirvâna complet, sa bonne loi durera en ce temps pendant trente-deux moyens Kalpas entiers, pour l’utilité du monde réuni aux Dêvas.

31. Lorsque sa bonne loi sera épuisée, l’image en durera encore pendant trente-deux moyens Kalpas. Les lieux où seront distribuées les reliques du Protecteur seront constamment honorés par les hommes et par les Maruts.

32. C’est ainsi qu’il sera un Bienheureux. Sois rempli de joie, ô Çârisuta ! car c’est toi-même qui deviendras le Meilleur des hommes, qui est sans supérieur.

Ensuite les quatre assemblées des Religieux et des fidèles de l’un et de l’autre sexe, les cent milliers de Dêvas, de Nâgas, de Yakchas, de Gandharvas, d’Asuras, de Garudas, de Kinnaras, de Mahôragas, d’hommes et d’êtres n’appartenant pas à l’espèce humaine, ayant entendu de la bouche de Bhagavat la prédiction que le respectable Çâriputtra parviendrait un jour à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, satisfaits alors, ravis, l’âme transportée, pleins de joie, remplis de contentement et de plaisir, couvrirent chacun Bhagavat des vêtements qu’ils portaient. Et Çakra, l’Indra des Dêvas, et Brahmâ, le chef de l’univers Saha, et plusieurs fois dix millions de centaines de mille d’autres fils des Dêvas couvrirent Bhagavat de vêtements divins. Et ils firent tomber sur lui une pluie de fleurs divines de Mandâras et de Mahâmandâravas ; et ils agitèrent dans le ciel, au-dessus de sa tête, des étoffes divines ; et ils firent résonner du haut du ciel des centaines de mille d’instruments divins et de timbales. Et après avoir fait tomber une grande pluie de fleurs, ils prononcèrent ces paroles : C’est pour la première fois à Bénarès, au lieu nommé Rîchipatana, dans le Bois de l’antilope, que Bhagavat a fait tourner la roue de la loi. Aujourd’hui, pour la seconde fois, Bhagavat fait tourner cette excellente roue.

Ensuite les fils des Dêvas prononcèrent dans cette circonstance les stances suivantes :

33. Le grand héros qui n’a pas son égal dans le monde, a fait tourner à Bénarès la roue de la loi, qui anéantit la naissance de l’agrégation [des éléments de la vie].

34. C’est là que le Guide [du monde] l’a fait tourner pour la première fois ; et il la fait tourner ici pour la seconde fois ; car il enseignes aujourd’hui, ô Chef, une loi à laquelle d’autres auront bien de la peine à croire.

35. Beaucoup de lois ont été entendues par nous de la bouche du Chef du monde ; mais jamais nous n’avions entendu auparavant une loi semblable à celle-ci.

36. Nous nous réjouissons, ô grand homme, en entendant le langage énigmatique du grand Richi ; [nous croyons] à la prédiction qui vient d’être faite pour l’intrépide Çâriputtra.

37. Et nous aussi, puissions-nous devenir dans le monde des Buddhas n’ayant pas de supérieurs, [et] capables d’enseigner, à l’aide d’un langage énigmatique, l’état de Bôdhi qui est sans supérieur !

38. Grâce à ce que nous avons fait de bien dans ce monde et dans l’autre, et parce que nous avons réjoui le Buddha parfait, nous sollicitons l’état de Bôdhi !

Ensuite le respectable Çâriputtra parla ainsi à Bhagavat : Je n’ai plus aucun doute, ô Bhagavat ; mes incertitudes sont dissipées, maintenant que j’ai entendu de la bouche de Bhagavat cette prédiction, que je dois parvenir à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. Mais ces douze cents [auditeurs] parvenus à la puissance, ô Bhagavat, qui, anciennement placés par toi sur le terrain des Maîtres, ont été l’objet de ce discours et de cet enseignement : "La discipline de ma loi, ô Religieux, aboutit à l’affranchissement de la naissance, de la vieillesse, de la mort et de la douleur, c’est-à-dire qu’elle se résout dans le Nirvâna ; " et ces deux mille Religieux, ô Bhagavat, Çrâvakas de Bhagavat, tant les Maîtres que ceux qui ne le sont pas, tous débarrassés des fausses doctrines relatives à l’esprit, à l’existence, à l’anéantissement, débarrassés, en un mot, de toutes les fausses doctrines, qui se disent en eux-mêmes : "Nous sommes établis sur le terrain du Nirvâna," ces Religieux, dis-je, après avoir entendu, de la bouche de Bhagavat, cette loi qu’ils n’avaient pas entendue précédemment, sont tombés dans l’incertitude. C’est pourquoi, ô Bhagavat, il est bon que tu parles, pour dissiper l’anxiété de ces Religieux, de manière que les quatre assemblées se trouvent délivrées de leurs incertitudes et de leurs, doutes.

Cela dit, Bhagavat répondit ainsi au respectable Çâriputtra : Ne t’ai-je pas dit précédemment, ô Çâriputtra, que le Tathâgata, vénérable, etc., ayant reconnu les dispositions des créatures qui ont des inclinations diverses, dont les éléments comme les idées sont divers, enseigne la loi à l’aide de l’habile emploi des moyens, tels que les démonstrations et les instructions variées, les raisons, les motifs, les comparaisons, les arguments faits pour convaincre, les interprétations de divers genres ? Commençant par l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, il fait entrer [les êtres] dans le véhicule même des Bôdhisattvas au moyen des diverses expositions de la loi. Cependant, ô Çâriputtra, je te proposerai encore une parabole, dans le but d’exposer ce sujet plus amplement. Pourquoi cela ? Parce que c’est par la parabole que les hommes pénétrants de ce monde comprennent le sens de ce qu’on leur dit.

C’est, ô Çâriputtra, comme s’il y avait ici, dans un certain village, dans une ville, dans un bourg, dans un district, dans une province, dans un royaume, dans une résidence royale, un chef de maison âgé, vieux, cassé, arrivé à un âge très avancé, riche, ayant une grande fortune, de grands moyens de jouissances et possesseur d’une maison grande, élevée, étendue, bâtie depuis longtemps, dégradée ; que cette maison soit la demeure de deux, de trois, de quatre ou de cinq cents êtres vivants, et qu’elle n’ait qu’une porte ; qu’elle soit couverte de chaume ; que ses galeries s’écroulent ; que les fondements de ses piliers soient pourris et détruits ; que l’enduit qui recouvrait les murs et les portes soit dégradé par le temps. Que cette maison tout entière soit subitement embrasée de tous côtés par un grand incendie. Que cet homme ait beaucoup d’enfants, cinq, dix ou vingt, et qu’il soit sorti de sa maison.

Maintenant, ô Çâriputtra, que cet homme, voyant sa maison tout entière complètement embrasée par un grand incendie, soit effrayé, épouvanté, hors de lui, et qu’il fasse cette réflexion : Je suis assez fort pour sortir rapidement, pour m’enfuir en sûreté par la porte de cette maison embrasée, sans être touché, sans être brûlé par l’incendie ; mais mes enfants, si petits, si jeunes, dans cette maison en feu, jouent, s’amusent, se divertissent à différents jeux. Ils ne connaissent pas, ils ne s’aperçoivent pas, ils ne savent pas, ils ne pensent pas que cette maison est en feu. et ils n’en éprouvent pas de crainte. Quoique brûlés par ce grand incendie, et quoique frappés tous ensemble par une grande douleur, ils ne songent pas à la douleur et ne conçoivent pas l’idée de sortir.

Que cet homme, ô Çâriputtra, soit fort et qu’il ait de grands bras, et qu’il fasse cette réflexion : Je suis fort et j’ai de grands bras ; ne pourrais-je pas, rassemblant mes enfants et les serrant tous à la fois sur ma poitrine, les faire sortir de cette maison. Puis, qu’il fasse cette autre réflexion : Cette maison n’a qu’une entrée ; la porte en est étroite. Et ces enfants légers, toujours en mouvement, ignorants de leur nature, il est à craindre qu’ils ne se mettent à tourner de côté et d’autre ; ils vont périr misérablement dans ce grand incendie ; pourquoi ne m’empresserais-je pas de les avertir ? S’étant donc arrêté à ce parti, il appelle ses enfants qui étaient sans réflexion : Venez, mes enfants, sortez ; la maison est embrasée par un grand incendie ; puissiez-vous n’y pas rester tous consumés par ce grand incendie ! Regardez : le danger s’approche ; vous allez y périr. Mais ces enfants ne font pas attention au discours de cet homme, qui parle dans leur intérêt ; ils ne s’effrayent pas, ils ne tremblent pas, ils n’éprouvent pas d’effroi, ils n’y pensent pas, ils ne fuient pas ; ils ne savent pas même, ils ne comprennent pas ce que c’est que ce qu’on appelle embrasé ; bien au contraire, ils courent, ils se dispersent çà et là et regardent leur père à plusieurs reprises. Pourquoi cela ? C’est que ce sont des enfants ignorants.

Qu’ensuite cet homme fasse encore cette réflexion : Cette maison est embrasée par un grand incendie, elle est consumée ; puissé-je, moi et mes enfants, ne pas trouver ici misérablement la mort dans ce grand incendie ! Ne pourrais-je pas, par l’habile emploi de quelque moyen, faire sortir mes enfants de cette maison ? Que cet homme connaisse les dispositions de ses enfants ; qu’il comprenne leurs inclinations. Qu’il y ait plusieurs jouets de diverses espèces qui soient recherchés, aimés, désirés, estimés de ces enfants ; qu’ils soient difficiles à obtenir. Qu’alors cet homme, connaissant les inclinations de ses enfants, s’adresse à eux en ces termes : Ces jouets, ô mes enfants, qui vous sont agréables, qui excitent votre étonnement et votre admiration, que vous êtes désolés de ne pas posséder, ces jouets de diverses couleurs et de diverses espèces, comme, par exemple, des chariots attelés de boeufs, de chèvres, d’antilopes, qui sont recherchés, aimés, désirés, estimés par vous, je les ai tous mis dehors, à la porte de la maison, pour servir à vos jeux. Accourez, sortez de cette maison ; je donnerai à chacun de vous chacune des choses dont il aura besoin, dont il aura envie. Venez vite ; accourez pour voir ces jouets. Qu’alors ces enfants, après avoir entendu les noms de ces jouets, conformes à leurs désirs et à leurs inclinations, recherchés, aimés, désirés, estimés d’eux, se précipitent aussitôt, pour obtenir ces jouets agréables, hors de la maison en feu, avec une force nouvelle, avec une rapidité extrême, sans s’attendre les uns les autres, se poussant mutuellement, en disant : Qui arrivera le premier, qui arrivera avant l’autre ?

Qu’alors cet homme, voyant ses enfants sortis heureusement, sains et saufs, les sachant à l’abri du danger, s’assoie sur la place au milieu du village, plein de joie et de contentement, libre de préoccupation et d’inquiétude et rempli de sécurité. Qu’ensuite ces enfants, s’étant rendus à l’endroit où est leur père, s’expriment ainsi : Donne-nous, cher père, ces divers jouets charmants, comme des chariots attelés de bœufs, de chèvres, d’antilopes. Que cet homme, ô Çâriputtra, donne à ses enfants, accourus vers lui aussi vite que le vent, des chars attelés de bœufs, faits des sept substances précieuses, munis de balustrades ; auxquels est suspendu un réseau de clochettes, s’élevant à une grande hauteur, ornés de joyaux merveilleux et admirables, rehaussés par des guirlandes de pierreries, embellis de chapelets de fleurs, garnis de coussins faits de coton et recouverts de toile et de soie, ayant des deux côtés des oreillers rouges, attelés de beaux bœufs parfaitement blancs et rapides à la course, dirigés par un grand nombre d’hommes. Qu’il distribue ainsi, pour chacun de ses enfants, des chars traînés par des bœufs, munis d’étendards, doués de la rapidité et de la force du vent, de la même couleur et de la même espèce. Pourquoi cela ? Parce que cet homme, ô Çâriputtra, serait opulent, maître de grandes richesses, possesseur de maisons, de greniers et de trésors nombreux, et qu’il penserait ainsi : A quoi bon donnerais-je d’autres chars à ces enfants ? Pourquoi cela ? C’est que tous ces enfants sont mes propres fils ; ils me sont tous chers et ils ont mon affection. Ces grands chars que voilà m’appartiennent, et je dois songer à tous ces enfants d’une manière égale et sans distinction. Possesseur, comme je le suis, de beaucoup de maisons, de greniers et de trésors, je pourrais donner à tout le monde ces grands chars que voilà ; que sera-ce donc, maintenant qu’il s’agit de mes propres enfants ? Qu’en ce moment, étant montés sur ces grands chars, ces enfants soient frappés de surprise et d’étonnement. Comment comprends-tu cela, ô Çâriputtra ? N’est-ce pas un mensonge de la part de cet homme, d’avoir ainsi désigné dans le principe à ses enfants trois chars [différents], et de leur avoir ensuite donné à tous de grands chars, de nobles chars [de la même espèce] ?

Çâriputtra répondit : Non Bhagavat, non Sugata. Cet homme, ô Bhagavat, n’est pas à cause de cela un menteur ; car c’est par le moyen adroit qu’a employé cet homme que ses enfants ont été engagés à sortir de cette maison embrasée, et qu’ils ont reçu le présent de la vie. Pourquoi cela ? Parce que c’est pour avoir recouvré leur propre corps, ô Bhagavat, qu’ils ont obtenu tous ces jouets. Quand bien même, ô Bhagavat, cet homme n’eût pas donné un seul char à ses enfants, il n’eût pas été pour cela un menteur. Pourquoi cela ? C’est que, ô Bhagavat, cet homme a commencé par réfléchir ainsi : Je sauverai, par l’emploi d’un moyen convenable, ces enfants de cette grande masse de douleurs. De cette manière même, ô Bhagavat, il n’y aurait pas mensonge de la part de cet homme. Mais quelle difficulté peut-il exister, quand après avoir réfléchi qu’il est propriétaire de maisons, de greniers et de trésors nombreux, cet homme songeant combien ses enfants lui sont chers, et voulant leur bien, leur donne [à chacun] des chars de la même couleur et de la même espèce, c’est-à-dire de grands chars ? Il n’y a pas, ô Bhagavat, mensonge de la part de cet homme.

Cela dit, Bhagavat parla ainsi au respectable Çâriputtra : Bien, bien, Çâriputtra ; c’est comme cela, Çâriputtra ; c’est comme tu dis. De la même manière, ô Çâriputtra, le Tathâgata aussi, vénérable, etc., est exempt de toute terreur, délivré entièrement, complètement, tout à fait, de toute injure, de tout désastre, du désespoir, de la douleur, du chagrin, de l’aveuglement profond où plongent les ténèbres épaisses et l’obscurité de l’ignorance. Le Tathâgata, qui est complètement en possession de la science, de la force, de l’intrépidité, et de la loi d’homogénéité d’un Buddha, qui est doué d’une extrême vigueur par la force de sa puissance surnaturelle, est le père du monde ; il est parvenu à la perfection suprême de la grande science de l’habile emploi des moyens ; il est doué d’une immense compassion ; son cœur ne connaît pas la peine ; il désire le bien, il est miséricordieux. Il naît dans cette réunion des trois mondes qui est semblable à une maison dont la couverture et la charpente tombent en ruine, et qui est embrasée par la masse énorme des douleurs et des chagrins, pour affranchir de l’affection, de la haine et de l’erreur les êtres tombés sous l’empire de la naissance, de la vieillesse, de la maladie, de la mort, des peines, des lamentations, de la douleur, du chagrin, du désespoir, de l’aveuglement profond où plongent les ténèbres épaisses et l’obscurité de l’ignorance, pour leur faire concevoir l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. Une fois né, il voit, sans en être atteint, les êtres brûlés, consumés, dévorés, détruits par la naissance, la vieillesse, la maladie, la mort, les peines, les lamentations, la douleur, le chagrin, le désespoir. Sous l’influence du désir qui les pousse à rechercher les objets de jouissance, ils éprouvent des maux de diverses espèces. Par suite de ces deux conditions du monde, le besoin d’acquérir et celui d’amasser, ils se préparent pour l’avenir des maux de divers genres dans l’Enfer, dans des matrices d’animaux, dans le monde de Yama ; ils éprouvent des maux tels que la condition de Dêva, les misères de l’humanité, la présence des choses qu’ils ne désirent pas, et l’absence de celles qu’ils désirent. Et là même, au milieu de cette masse de douleurs à travers lesquelles ils transmigrent, ils jouent, ils s’amusent, ils se divertissent ; ils ne craignent pas, ils ne tremblent pas, ils n’éprouvent pas d’effroi, ils ne comprennent pas, ils ne perçoivent pas, ils ne se troublent pas, ils ne cherchent pas à en sortir. Là même, dans cette réunion des trois mondes qui est semblable à une maison embrasée, ils s’amusent, ils courent de côté et d’autre. Quoique pressés par cette grande masse de douleurs, ils n’ont pas conscience de l’idée de douleur.

Alors, ô Çâriputtra, le Tathâgata réfléchit ainsi : Je suis certainement le père de ces êtres ; c’est pourquoi ces êtres doivent être aujourd’hui délivrés par moi de cette grande masse de maux, et il faut que je donne à ces êtres le bonheur incomparable, inconcevable de la science du Buddha, avec laquelle ces êtres joueront, s’amuseront, se divertiront, dont ils feront des jouets. Alors, ô Çâriputtra, le Tathâgata réfléchit ainsi : Si, en disant "j’ai la force de la science, j’ai la force de la puissance surnaturelle," j’allais parler à ces êtres, sans employer les moyens convenables, de la force et de l’intrépidité du Tathâgata, ces êtres ne sortiraient pas [du monde] à l’aide de ces lois. Pourquoi cela. C’est que ces êtres ont une passion extrême pour les cinq qualités du désir ; ils ont, dans cette réunion des trois mondes, une passion extrême pour les plaisirs des sens ; ils ne sont pas affranchis de la naissance, de la vieillesse, des maladies, de la mort, des peines, des lamentations, de la douleur, du chagrin, du désespoir ; ils en sont brûlés, consumés, dévorés, détruits. Si on ne les fait pas fuir hors de cette réunion des trois mondes, qui est semblable à une maison dont la couverture et la charpente sont embrasées, comment pourront-ils jouir de la science du Buddha ?

Alors, ô Çâriputtra, le Tathâgata, de même que cet homme qui ayant de grands bras, et qui laissant de côté la force de ses bras, après avoir attiré ses enfants hors de la maison embrasée, par l’emploi d’un moyen adroit, leur donnerait ensuite de beaux, de nobles chars, le Tathâgata, dis-je, vénérable, etc., revêtu complètement de la science, de la force et de l’intrépidité des Tathâgatas, et renonçant à s’en servir, montre, par la connaissance qu’il a de l’habile emploi des moyens, trois véhicules pour faire sortir les êtres de la réunion des trois mondes, qui est semblable à une maison dont la couverture et la charpente sont vieilles et embrasées ; ce sont le véhicule des Çrâvakas, celui des Pratyêkabuddhas, celui des Bôdhisattvas. A l’aide de ces trois véhicules, il attire les êtres et leur parle ainsi : Ne vous amusez pas dans cette réunion des trois mondes, qui est semblable à une maison embrasée, au milieu de ces formes, de ces sons, de ces odeurs, de ces goûts, de ces contacts misérables ; car attachés ici à ces trois mondes, vous êtes brûlés, consumés par la soif qui accompagne les cinq qualités du désir. Sortez de cette réunion des trois mondes" ; trois moyens de transport vous sont offerts, savoir : le véhicule des Çrâvakas, celui des Pratyêkabuddhas, celui des Bôdhisattvas. C’est moi qui dans cette occasion suis votre garant, je vous donnerai ces trois chars ; faites effort pour sortir de cette réunion des trois mondes. Et je les attire de cette manière : Ces chars, ô êtres, sont excellents ; ils sont loués par les Aryas, munis de choses grandement agréables ; vous jouerez, vous vous amuserez, vous vous divertirez dans la compassion pour les malheureux. Vous éprouverez la grande volupté [de la perfection] des sens, de la force, des éléments constitutifs de l’état de Bôdhi, des contemplations, des affranchissements, de la méditation, de l’acquisition de l’indifférence. Vous serez en possession d’un grand bonheur et d’un grand calme d’esprit.

Alors, ô Çâriputtra, les êtres qui sont devenus des Sages, ont foi au Tathâgata comme au père du monde, et après cet acte de foi, ils s’appliquent à l’enseignement du Tathâgata ; ils y consacrent leurs efforts. D’autres êtres désirant suivre les directions qu’on entend de la bouche d’un autre, afin d’arriver au Nirvâna complet pour eux-mêmes, s’appliquent à l’enseignement du Tathâgata, afin de connaître les quatre vérités des Aryas ; ces êtres sont appelés ceux qui désirent le véhicule des Çrâvakas : ils sortent de la réunion des trois mondes, de même que quelques-uns des enfants de cet homme sont engagés à sortir de la maison embrasée, par le désir qu’ils ont d’avoir un chariot attelé d’antilopes. D’autres êtres, désirant la science qui s’acquiert sans maître, la quiétude et l’empire sur eux-mêmes, afin d’arriver au Nirvâna complet pour eux-mêmes, s’appliquent à l’enseignement du Tathâgata, afin de comprendre les causes et les effets. Ces êtres sont appelés ceux qui désirent le véhicule des Pratyêkabuddhas ; ils sortent de cette réunion des trois mondes, de même que quelques-uns des enfants sortent de la maison embrasée, désirant un chariot attelé de chèvres. D’autres êtres enfin, désirant la science de celui qui sait tout, la science du Buddha, la science de l’Être existant par lui-même, la science que ne donne pas un maître, pour l’avantage et le bonheur d’un grand nombre d’êtres, par compassion pour le monde, pour le profit, l’avantage et le bonheur de la grande réunion des êtres, Dêvas et hommes, pour faire parvenir au Nirvâna complet tous les êtres vivants, s’appliquent à l’enseignement du Tathâgata, afin d’obtenir la science la force et l’intrépidité du Tathâgata. Ces êtres sont appelés ceux qui désirent le Grand véhicule ; ils sortent de la réunion des trois mondes : pour cette raison, ils sont appelés Bôdhisattvas Mahâsattvas. C’est comme quand quelques-uns des enfants sont engagés à sortir de la maison embrasée par le désir qu’ils ont d’avoir un chariot attelé de bœufs. De même, ô Çâriputtra, que cet homme voyant ses enfants sortis de la maison embrasée, les voyant en sûreté, délivrés heureusement, les sachant hors de danger et se sachant lui-même possesseur de grandes richesses, donne à tous ses enfants un seul beau char, ainsi, ô Çâriputtra, le Tathâgata lui-même, vénérable, etc., quand il voit un grand nombre de kôtis d’êtres délivrés de la réunion des trois mondes, affranchis de la douleur, de la crainte, de la terreur, de tout désastre, attirés dehors par le moyen de l’enseignement du Tathâgata, délivrés de toutes les misères de la crainte, et des désastres, arrivés au bonheur du Nirvâna, le Tathâgata, dis-je, vénérable, etc. se disant en ce moment : "Je possède le trésor abondant de la science, de la force et de l’intrépidité, et ces êtres sont tous mes enfants," conduit au Nirvâna complet tous ces êtres à l’aide du véhicule des Buddhas. Et je ne dis pas qu’il y ait, pour chacun des êtres, un Nirvâna individuel ; [au contraire] il conduit au Nirvâna complet tous ces êtres au moyen du Nirvâna du Tathâgata, du grand Nirvâna complet. Et les êtres, ô Çâriputtra, qui sont délivrés de la réunion des trois mondes, le Tathâgata leur donne pour jouets agréables les plaisirs suprêmes, les plaisirs des Âyras, qui sont les contemplations, les affranchissements, la méditation, l’acquisition de l’indifférence, jouets qui sont tous de la même espèce. De même, ô Çâriputtra, qu’il n’y aurait pas mensonge de la part de cet homme à désigner d’abord trois [espèces de] chariots et à ne leur donner ensuite à eux tous que le même char, un char fait des sept substances précieuses, embelli de tous les ornements, d’une seule espèce, un noble char, en effet, le char le plus précieux de tous, ainsi, ô Çâriputtra, le Tathâgata lui-même, vénérable, etc., ne dit pas un mensonge, quand, après avoir dans le principe, par l’habile emploi des moyens [dont il dispose], désigné trois véhicules, il conduit ensuite les êtres au Nirvâna complet, à l’aide du Grand véhicule. Pourquoi cela ? C’est, ô Çâriputtra, parce que le Tathâgata, en tant que possesseur des maisons, des greniers et des trésors abondants de la science, de la force et de l’intrépidité, est capable d’enseigner à tous les êtres la loi accompagnée de la science de celui qui sait tout. Voilà de quelle manière, ô Çâriputtra, il faut savoir que c’est par le développement de sa science et de son habileté dans l’emploi des moyens, que le Tathâgata enseigne un seul véhicule, qui est le Grand véhicule.

Ensuite Bhagavat prononça dans cette circonstance les stances suivantes :

33. C’est comme si un homme possédait une maison grande, ruinée et peu solide ; que les galeries de cette maison fussent dégradées, et que les colonnes en fussent pourries dans leurs fondements.

34. Que les fenêtres et les terrasses en fussent en partie détruites ; que l’enduit qui recouvre les murs et les portes y fût dégradé ; que les balcons y tombassent de vétusté ; que cette maison fût couverte de chaume et qu’elle s’écroulât de toutes parts ;

35. Qu’elle fût la demeure de cinq cents créatures vivantes au moins ; qu’elle renfermât un grand nombre de chambres et de passages étroits, dégoûtants et tout remplis d’ordures ;

36. Que l’escalier et les poutres en fussent entièrement dégradés ; que les murs et les séparations en fussent détruits ; que des vautours y habitassent par milliers, ainsi que des pigeons et des chouettes, et d’autres oiseaux.

Qu’on y trouvât à chaque pas des serpents terribles, venimeux, redoutables ; des scorpions et des rats de diverses espèces, que cette maison fut la demeure de mauvaises créatures de ce genre.

38. Qu’on y rencontrât çà et là des êtres n’appartenant pas à l’espèce humaine ; qu’elle fût infectée d’excréments et d’urine, remplie de vers, de mouches lumineuses et d’insectes ; qu’elle retentît des hurlements des chiens et des chacals.

39. Qu’on y trouvât des loups féroces, qui se repaissent de cadavres humains, et qui recherchent les matières qui en découlent ; qu’elle fût pleine de troupes de chiens et de chacals.

40. Faibles et exténués par la faim, ces animaux s’en vont mangeant dans tous les coins ; ils se querellent et aboient. Voilà quelle est cette maison redoutable.

41. Elle est habitée par des Yakchas aux pensées cruelles, qui se nourrissent de cadavres humains ; on y rencontre à chaque pas des centipèdes, de grands serpents et des reptiles marqués de taches.

42. Ces reptiles y déposent leurs petits dans tous les coins et s’y font des retraites ; les Yakchas dévorent le plus souvent ces animaux dispersés çà et là.

43. Et quand ces Yakchas aux pensées cruelles se sont rassasiés des corps des animaux dont ils se repaissent, tout gonflés de la chair qu’ils ont dévorée, ils se livrent de cruels combats.

44. Dans les chambres dégradées habitent de terribles Kumbhândakas aux pensées cruelles, les uns de la hauteur d’un empan, les autres de la hauteur d’une coudée, d’autres ayant deux coudées de hauteur ; ils vont rôdant de tous côtés.

45. Saisissant des chiens par les pieds, ils les renversent à terre sur le dos, et leur serrant le gosier en grondant, ils se plaisent à les suffoquer.

46. Il y habite des Prêtas nus, noirs, faibles, hauts et grands, qui dévorés par la faim, cherchent de la nourriture et font entendre, çà et là des cris lamentables.

47. Quelques-uns ont la bouche comme le trou d’une aiguille, d’autres ont une tête de bœuf ; semblables pour la taille à des chiens plutôt qu’à des hommes, ils vont les cheveux en désordre, poussant des cris et dévorés par la faim.

48. On voit, aux fenêtres et aux ouvertures, des Yakchas, des Prêtas et des Piçâtchas, affamés et cherchant de la nourritures, qui ont constamment les regards dirigés vers les quatre points de l’horizon.

49. [Supposons donc] que cette maison soit la demeure redoutable de tous ces êtres ; qu’elle soit haute, grande, peu solide, crevassée de toutes parts, tombante en ruines, effrayante, et qu’elle soit la propriété d’un seul homme.

50. Que cet homme soit en dehors de sa maison et que le feu y prenne, et qu’elle soit tout d’un coup et de quatre côtés la proie des flammes.

51. Ses poteaux, ses solives, ses colonnes et ses murs consumés par le feu, éclatent avec un bruit terrible, les Yakchas et les Prêtas y poussent des cris.

52. Des centaines de vautours pleins de rage, et des Kumbândhas, la pâleur sur la face, errent de tous côtés ; brûlés par le feu, des centaines de serpents sifflent et sont en fureur de toutes parts.

53. De coupables Piçâtchas y tournent de tous côtés en grand nombre, atteints par l’incendie ; se déchirant à coups de dents les uns les autres, ils font couler leur sang pendant qu’ils brûlent.

54. Les loups y périssent : ces êtres se dévorent les uns les autres. Les ordures sont consumées, et une odeur infecte se répand dans les quatre points de l’espace.

55. Les centipèdes s’enfuient de tous côtés, et les Kumbhândas les dévorent. Les Prêtas, la chevelure enflammée, sont consumés à la fois par la faim et par l’incendie.

56. C’est ainsi que cette redoutable maison est la proie des flammes qui s’en échappent de tous côtés ; et cependant l’homme propriétaire de cette maison est debout à la porte, qui regarde.

57. Et il entend ses propres enfants, dont l’esprit est entièrement absorbé par le jeu ; ils se livrent avec enivrement à leurs plaisirs, comme des ignorants qui ne connaissent rien.

58. Les ayant donc entendus, cet homme entre bien vite afin de délivrer ses enfants. Ah ! [se dit-il,] puissent mes enfants dans leur ignorance ne pas périr bientôt consumés par le feu !

59. Il leur dit les vices de cette habitation : Il existe ici, [leur dit-il,] ô fils de famille, un danger terrible ; ces êtres de diverses espèces et ce grand incendie qui est devant vous, [tout cela] forme un enchaînement de maux [inévitables].

60. Ici habitent des serpents, des Yakchas aux pensées cruelles, des Kumbhândas et des Prêtas en grand nombre, des loups, des troupes de chiens et de chacals, et des vautours qui cherchent de la nourriture.

61. Tels sont les êtres qui résident dans cette maison, laquelle, même indépendamment de l’incendie, est extrêmement redoutable. Ce ne sont partout que misères de cette espèce, et le feu y brûle de tous côtés.

62. Mais, quoique avertis, ces enfants, dont l’intelligence est ignorante, enivrés de leurs jeux, ne pensent pas à leur père qui parle, et ne le comprennent même pas.

63. Que cet homme alors réfléchisse ainsi, en pensant à ses enfants : Certes, je suis bien malheureux ! A quoi me servent mes enfants, puisque j’en suis réellement privé ? Ah ! puissent-ils n’être pas consumés ici par le feu !

64. Mais en ce moment il s’est présenté un expédient à son esprit : Ces enfants sont avides de jouets, [se dit-il,] et ils n’en ont ici aucun qui soit à leur disposition. Ah ! enfants insensés, quelle est votre folie !

65. Il leur dit alors : Ecoutez, mes enfants, je possède des chars de différentes espèces ; des chars attelés d’antilopes, de chèvres et de beaux bœufs, élevés, grands, et parfaitement ornés.

66. Ils sont en dehors de cette maison. Sauvez-vous au moyen de ces chars ; disposez-en comme vous voudrez ; c’est pour vous que je les ai fait construire. Sortez tous ensemble, pleins de joie, par ce moyen.

67. Les enfants, ayant entendu parler de chars de cette espèce, se hâtant de toutes leurs forces, se mettent tous à sortir en un moment, et sont aussitôt dehors à l’abri des dangers qui les menaçaient.

68. Mais à la vue de ses enfants sortis [de la maison], le père s’étant rendu à la place au milieu du village, leur dit du haut d’un trône sur lequel il s’est assis : Ah ! chers enfants, aujourd’hui je suis sauvé !

69. Ces enfants misérables que j’ai eu tant de peine à recouvrer, ces jeunes enfants chéris, bien-aimés, au nombre de vingt, étaient réunis dans une maison terrible, redoutable, effrayante et pleine de beaucoup d’êtres vivants,

70. Dans une maison en feu et remplie de flammes, et ils y étaient uniquement occupés de leurs jeux ; et les voilà aujourd’hui tous délivrés par moi ! C’est pourquoi je suis maintenant arrivé au comble du bonheur,

71. Les enfants voyant que leur père était heureux, l’abordèrent et lui parièrent ainsi : Donne-nous, cher père, ce qui est l’objet de nos désirs, ces chars agréables de trois espèces ;

72. Et exécute, cher père, tout ce que tu nous as promis dans la maison, [quand tu as dit : ] Je vous donnerai des chars de trois espèces. Voici venu maintenant le temps [de tenir ta promesse].

73. Or cet homme était riche d’un trésor formé de monnaies d’or et d’argent, de pierres précieuses et de perles ; il avait de l’or et des esclaves nombreux, des domestiques et des chars de plusieurs espèces ;

74. Des chars attelés de bœufs, faits de pierres précieuses, excellents, surmontés de balustrades, recouverts de réseaux de clochettes, ornés de parasols et de drapeaux, et revêtus de filets faits de guirlandes de perles.

75. Ces chars sont enveloppés de tous côtés de guirlandes faites d’or et d’argent travaillé, et de nobles étoffes qui y sont suspendues de place en place ; ils sont parsemés de belles fleurs blanches.

76. On voit aussi d’excellents oreillers, pleins de coton et recouverts d’une soie moelleuse, dont sont ornés ces chars, on y trouve étendus d’excellents tapis portant des images de grues et de cygnes, et valant des milliers de kôtis.

77. On y voit des bœufs blancs, parés de fleurs, vigoureux, d’une grande taille, de belle apparence, qui sont attelés à ces chars faits de substances précieuses, et qui sont dirigés par un grand nombre de domestiques.

78. Tels sont les beaux, les excellents chars que cet homme donne à tous ses enfants ; et ceux-ci contents et le cœur ravi de joie, parcourent, en se jouant avec ces chars, tous les points de l’horizon et de l’espace.

79. De la même manière, ô Çârisuta, moi qui suis le grand Richi, je suis le protecteur et le père des créatures ; et ce sont mes enfants que tous ces êtres, qui, dans l’enceinte des trois mondes, sont ignorants et enchaînés par la concupiscence.

80. Et l’enceinte des trois mondes est, comme cette maison, extrêmement redoutable, troublée de cent maux divers, complètement embrasée de tous côtés par des centaines de misères, comme la naissance, la vieillesse et la maladie.

81. Et moi, qui suis délivré des trois mondes, je me tiens ici dans un lieu solitaire, et je réside dans la forêt ; et la réunion des trois mondes est cette demeure qui m’appartient, dans laquelle sont consumés les êtres qui sont mes enfants.

82. Et moi, je leur montre la détresse où ils se trouvent dans le monde, car je connais le moyen de les sauver ; mais eux, ils ne m’écoutent pas, parce qu’ils sont tous ignorants, et que leur intelligence est enchaînée par les désirs.

83. Alors je mets en usage mon habileté dans l’emploi des moyens, et je leur parle de trois véhicules. Et connaissant les nombreuses misères des trois mondes, je leur indique un moyen propre à les en faire sortir.

84. Et à ceux de ces enfants qui se sont réfugiés auprès de moi, qui possèdent les six connaissances surnaturelles et le grand pouvoir de la triple science, qui sont, en ce monde, des Pratyêkabuddhas ou qui sont des Bôdhisattvas, incapables de se détourner de leur but,

85. A ces sages qui sont pour moi comme mes enfants, j’expose en ce moment, au moyen d’une excellente parabole, le suprême, l’unique véhicule du Buddha : Acceptez-le, [leur dis-je,] vous deviendrez tous des Djinas.

86. [Je leur expose] aussi la science des Buddhas, des Meilleurs des hommes, cette science excellente, extrêmement agréable, que rien ne surpasse ici dans le monde entier, dont la forme est noble et qui est digne de respect ;

87. Ainsi que les forces, les contemplations et les affranchissements, les nombreuses centaines de kôtis de méditations ; c’est là le char excellent avec lequel se divertissent sans cesse les fils de Buddha.

88. Ils passent les nuits, les jours, les quinzaines, les mois, les saisons et les années, ils passent des moyens Kalpas et des milliers de kôtis de Kalpas à se divertir avec ce char.

89. C’est là l’excellent char, le char précieux, avec lequel les Bôdhisattvas qui se jouent en ce monde, et les Çrâvakas qui écoutent le Sugata, parviennent ici-bas à la pure essence de l’état de Bôdhi.

90. Sache-le donc maintenant, ô bienheureux, il n’y a pas en ce monde un second char, dusses-tu chercher dans les dix points de l’espace, excepté [ces chars que produit] l’emploi des moyens mis en œuvre par les Meilleurs des hommes.

91. Vous êtes mes enfants et je suis votre père, et vous avez été sauvés par moi de la douleur, alors que vous étiez, depuis des milliers de kôtis de Kalpas, consumés par les terreurs el par les maux redoutables des trois mondes.

92. C’est ainsi que je parle ici du Nirvâna [en disant] : Quoique vous ne soyez pas encore parvenus au Nirvâna complet, vous êtes délivrés maintenant de la misère de la transmigration : le char du Buddha est ce qu’il faut rechercher.

93. Et les Bôdhisattvas, quels qu’ils soient, qui se trouvent ici, écoutent tous les règles de la conduite du Buddha, qui sont les miennes. Telle est l’habileté dans l’emploi des moyens dont le Djina dispose, habileté à l’aide de laquelle il discipline un grand nombre de Bôdhisattvas.

94. Lorsque les êtres sont attachés ici-bas à de misérables et vils désirs, le Guide du monde qui ne dit pas de mensonges, leur explique alors ce que c’est que la douleur, c’est là la [première] vérité des Aryas.

95. Et à ceux qui, ne connaissant pas la douleur, n’en voient pas la cause par suite de l’ignorance de leur esprit, je leur montre la voie : L’origine de la douleur des passions, [leur dis-je,] c’est la production [de ces passions mêmes].

96. Anéantissez constamment la passion, vous qui ne trouvez nulle part de refuge ; c’est là ma troisième vérité, celle de l’anéantissement ; c’est par elle et non autrement que l’homme est sauvé ; en effet, quand il s’est représenté cette voie, il est complètement affranchi.

97. Et par quoi les êtres sont-ils complètement affranchis, ô Çâriputtra ? Ils le sont, parce qu’ils comprennent [la vérité de] l’anéantissement ; et cependant ils ne sont pas encore complètement affranchis : le Guide [du monde] déclare qu’ils ne sont pas arrivés au Nirvâna.

98. Pourquoi n’annoncé-je pas sa délivrance à un homme de cette espèce ? C’est qu’il n’a pas atteint à l’excellent et suprême état de Bôdhi. Voici quel est mon désir : je suis né en ce monde, moi qui suis le roi de la loi, pour y rendre [les êtres] heureux. 99. C’est là, ô Çâriputtra, le sceau de ma loi, de cette loi que j’expose aujourd’hui, sur la fin de mon existence, pour le bien de l’univers réuni aux Dêvas, Enseigne-la donc dans les dix points de l’espace et dans toutes les régions intermédiaires.

100. Et si, pendant que tu enseigneras, un être quelconque venait à te dire ces paroles : "J’éprouve de la joie de ce discours ; " s’il recevait ce Sûtra avec un signe de tête [respectueux], considère cet être comme incapable de se détourner de son but.

101. Il a vu les anciens Tathâgatas, et il leur a rendu un culte ; et il a entendu une loi semblable à celle que j’enseigne, celui qui a foi dans ce Sûtra.

102. Il nous a vus, moi, toi et tous ces Religieux qui forment mon assemblée ; il a vu tous ces Bôdhisattvas, celui qui a foi en mes paroles éminentes.

103. Ce Sûtra est fait pour troubler les ignorants, et c’est pour l’avoir compris avec mon intelligence pénétrante que je l’expose ainsi ; en effet, ce n’est pas là le domaine des Çrâvakas ; ce n’est pas là non plus la voie des Pratyêkabuddhas.

104. Tu es plein de confiance, ô Çâriputtra, et n’en dois-je pas dire autant de mes autres Çrâvakas ? Eux aussi, ils marchent pleins de confiance en moi ; et cependant chacun d’eux n’a pas la science individuelle.

105. Mais n’expose pas cette doctrine à des obstinés, ni à des orgueilleux, ni à des Yôgins qui ne sont pas maîtres d’eux-mêmes ; car ces insensés, toujours enivrés de désirs, mépriseraient, dans leur ignorance, la loi qu’on leur dirait.

106. Quand on a méprisé mon habileté dans l’emploi des moyens, qui est la règle des Buddhas, perpétuellement subsistante dans le monde ; quand, d’un regard dédaigneux, on a méprisé le véhicule [des Buddhas], apprenez le terrible résultat qu’on en recueille en ce monde.

107. Quand on méprise un Sûtra comme celui-ci, pendant que je suis dans ce monde ou quand je suis entré dans le Nirvâṇa complet, au quand on veut du mal aux Religieux, apprenez de moi le résultat qu’on recueille de ces fautes.

108. Dès que de tels hommes sont sortis de ce monde, l’Avîtchi est le lieu où ils résident pendant des Kalpas complets ; puis au bout de nombreux moyens Kalpas, ces ignorants meurent encore dans cet Enfer.

109. En effet, après qu’ils sont morts dans les Enfers, ils en sortent pour renaître dans des matrices d’animaux ; faibles et réduits à la condition de chien ou de chacal, ils deviennent pour les autres des objets d’amusement.

110. Alors ils revêtent une couleur ou noire ou tachetée ; ils sont couverts d’éruptions cutanées et de blessures ; ils sont faibles et dépouillés de poils, et ils ont de l’aversion pour l’état suprême de Bôdhi, qui est le mien. 111. Ils sont constamment pour tous les êtres des objets de mépris ; ils crient, frappés à coups de pierres ou d’épée ; on les effraye en tous lieux de coups de bâton ; leurs membres desséchés sont consumés par la faim et par la soif.

112. Ils renaissent chameaux ou ânes, portant des fardeaux et frappés de cent bâtons ; ils sont sans cesse occupés à penser à leur nourriture, ces êtres dont l’intelligence ignorante a méprisé la règle des Buddhas.

113. Ils deviennent ensuite dans ce monde des chacals, repoussants, faibles et estropiés ; tourmentés par les enfants des villages, ces êtres ignorants sont frappés à coups de pierres et d’épée.

114. Après avoir quitté cette existence, ces êtres ignorants renaissent avec des corps longs comme cinq cents Yôdjanas ; ils sont paresseux, stupides et reviennent sans cesse sur leurs pas.

115. Ils renaissent sans pieds, condamnés à ramper sur le ventre, dévorés par de nombreux kôṭis d’êtres vivants ; voilà les cruelles douleurs qu’ils éprouvent, ceux qui ont méprisé un Sûtra comme celui que j’enseigne.

116. Et lorsqu’ils reprennent un corps humain, ils renaissent estropiés, boiteux, bossus, borgnes, idiots et misérables, ces êtres qui n’ont pas foi dans ce Sûtra que j’expose.

117. Ils sont, dans le monde, un objet d’aversion ; leur bouche exhale une odeur fétide ; ils sont possédés par un Yakcha qui habite leur corps, ceux qui n’ont pas foi dans l’état de Buddha.

118. Pauvres, condamnés aux devoirs de la domesticité, faibles et toujours attachés au service d’un autre, ils souffrent beaucoup de misères et vivent dans le monde sans protecteurs.

119. Et celui qu’ils y servent n’aime pas à leur donner ; et même ce qui leur est donné périt bien vite, car c’est là en effet le fruit de leur péché.

120. Et les médicaments parfaitement préparés qu’ils prennent ici-bas des mains des hommes habiles qui les leur donnent, ne font qu’augmenter encore leur mal, et leur maladie n’a jamais de fin.

121. Ils éprouvent des vols, des attaques, des surprises, des violences, des rapts et des actes de cruauté, et ces maux tombent sur eux à cause de leur péché.

122. Non, jamais ce coupable ne voit le Chef du monde, le roi des Indras des hommes, enseignant ici ; en effet, il habite ici dans des temps où le Chef n’y paraît pas, celui qui a méprisé les règles des Buddhas, qui sont les miennes.

123. Cet ignorant n’entend pas non plus la loi ; il est sourd et privé d’intelligence ; pour avoir méprisé cette science du Buddha, il ne trouve plus jamais de repos. 124. Pendant plusieurs milliers de myriades de kôṭis de Kalpas en nombre égal à celui des sables du Gange, il est imbécile et estropié ; voilà le fruit qui résulte de son mépris pour ce Sûtra.

125. Son jardin est l’Enfer ; sa demeure est une place dans une des existences où l’homme est puni ; il y reste sans cesse sous les formes de l’âne, du pourceau, du chacal et du chien.

126. Et même lorsqu’il a repris la condition humaine, la cécité, la surdité et la stupidité sont pour lui ; esclave des autres, il est toujours misérable.

127. Alors les ornements et les vêtements qu’il porte sont ses maladies ; il a sur le corps des myriades de kôṭis de blessures ; il a des ulcères, la gale et des éruptions cutanées,

128. La lèpre blanche, la lèpre qui forme des taches, et il exhale une odeur de cadavre ; si son corps est sain, c’est l’organe de la vue qui, chez lui, devient opaque. La violence de sa colère éclate au dehors ; la concupiscence est extrême en lui ; enfin il réside sans cesse dans des matrices d’animaux.

129. Oui, Çârisuta, quand même je passerais ici un Kalpa complet à énumérer les vices de celui qui méprise mon Sûtra, je ne pourrais en atteindre le terme.

130. Aussi est-ce parce que je connais ce sujet, que je t’avertis, ô Çâriputtra, de ne pas exposer ce Sûtra en présence des gens ignorants.

131. Mais les hommes qui sont, en ce monde, éclairés, instruits, doués de mémoire, habiles, savants ; ceux qui sont arrivés à l’excellent et suprême état de Bôdhi, c’est à ceux-là que tu peux faire entendre cette vérité suprême.

132. Ceux par qui ont été vus de nombreux kôṭis de Buddhas, ceux qui ont fait croître en eux-mêmes d’innombrables mérites et qui sont inébranlables dans la méditation, c’est à ceux-là que tu peux faire entendre cette vérité suprême.

133. Ceux qui, pleins d’énergie, toujours occupés de pensées de bienveillance, ne songent sans cesse qu’à la charité ; ceux qui font l’abandon de leur corps et de leur vie, tu peux réciter ce Sûtra en leur présence.

134. Ceux qui ont des égards pour les opinions les uns des autres, qui n’entretiennent pas de rapports avec les ignorants, et qui vivent satisfaits dans les cavernes des montagnes, tu peux leur faire entendre ce Sûtra fortuné.

135. Ceux qui recherchent des amis vertueux et qui évitent des amis pécheurs, les fils de Buddha, [en un mot,] en qui tu reconnais ces qualités, méritent que tu leur expliques ce Sûtra.

136. Ces fils de Buddha, semblables à des joyaux précieux, que tu vois pratiquant sans interruption les devoirs de la morale, qui s’appliquent à comprendre les Sûtras aux grands développements, tu peux réciter en leur présence ce Sûtra. 137. Ceux qui sont exempts de colère et toujours droits, qui sont pleins de compassion pour toutes les créatures, qui sont respectueux devant le Sugata, tu peux réciter ce Sûtra en leur présence.

138. Celui qui exposerait la loi au milieu de l’assemblée, qui, affranchi de tout attachement, parlerait dans un recueillement complet, en se servant de plusieurs myriades de kôṭis d’exemples, tu peux lui enseigner ce Sûtra.

139. Et celui qui porterait à sa tête les mains réunies en signe de respect, désirant obtenir l’état de celui qui sait tout ; f. 56 b.celui qui parcourrait les dix points de l’espace, cherchant un religieux qui parle bien ;

140. Celui qui comprendrait les Sûtras aux grands développements, qui ne trouverait pas de plaisir à d’autres livres, qui même n’entendrait pas une seule stance d’autre chose, celui-là peut entendre cet excellent Sûtra.

141. Il est semblable à celui qui porte les reliques du Tathâgata, et à l’homme quel qu’il soit, qui les recherche, celui qui désirerait ce Sûtra, et qui l’ayant obtenu le porterait à son front.

142. Il ne faut jamais penser à d’autres Sûtras, ni d’autres livres d’une science vulgaire, car ce sont là des objets bons pour les ignorants ; évite de tels livres et explique ce Sûtra.

143. Mais il me faudrait, ô Çâriputtra, un Kalpa complet pour dire les milliers d’espèces de ceux qui sont parvenus à l’état suprême et excellent de Bôdhi ; c’est en leur présence que tu dois exposer ce Sûtra.