Lotus de la bonne loi/Chapitre 24

Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 261-268).
◄  XXIII
XXV  ►


CHAPITRE XXIV.

LE RÉCIT PARFAITEMENT HEUREUX.

Ensuite le Bôdhisattva Mahâsattva Akchayamati s’étant levé de son siége, après avoir rejeté sur son épaule son vêtement supérieur, et posé à terre le genou droit, dirigeant ses mains réunies en signe de respect du côté où se trouvait Bhagavat, lui adressa ces paroles : Pourquoi, ô Bhagavat, le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara(228 a) porte-t-il ce nom ? Cela dit, Bhagavat parla ainsi au Bôdhisattva Akchayamati : Ô fils de famille, tout ce qui existe en ce monde de centaines de mille de myriades de créatures qui souffrent des douleurs, toutes ces créatures n’ont qu’à entendre le nom du Bôdhisattva Avalôkitêçvara pour être délivrées de cette masse de douleurs. Ceux qui se rappellent le nom def. 228 b. ce Bôdhisattva Mahâsattva, s’ils viennent tomber dans une grande masse de feu, tous par la splendeur du Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara, seront délivrés de cette grande masse de feu. Si ces êtres, ô fils de famille, emportés par le courant des rivières, venaient à invoquer le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara, toutes ces rivières offriraient aussitôt un gué sûr à ces êtres. Si des centaines de mille de myriades de kôṭis de créatures, montées sur un vaisseau au milieu de l’océan, voyaient l’or, les Suvarnas, les diamants, les perles, le lapis-lazuli, les conques, le cristal, le corail, le diamant, les émeraudes, les perles rouges et les autres marchandises dont leur navire est chargé, précipitées à la mer, et leur vaisseau jeté par une noire tempête sur l’île des Râkchasîs(228 b), et que dans ce vaisseau il y ait un être, ne fût-ce qu’un seul, qui vienne à invoquer le Bôdhisattva Avalôkitêçvara, tous seront délivrés de cette île des Râkchasîs. C’est pour cela, ô fils de famille, que le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara est appelé de ce nom.

Si quelqu’un, ô fils de famille, échappant aux attaques des assassins, invoquait le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara, aussitôt s’emparant du glaive des meurtriers(228 b 2), l’homme attaqué les disperserait et les détruirait.f. 229 a. Si cet univers formé d’un grand millier de trois mille mondes, était, ô fils de famille, rempli tout entier de Yakchas et de Râkchasas, le seul acte de prononcer le nom du Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara enlèverait la faculté de voir à tous ces êtres pleins de mauvaises pensées. Si un homme était lié par des chaînes et par des anneaux de fer ou de bois, qu’il fût coupable ou innocent, il n’aurait qu’à prononcer le nom du Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara pour que ces chaînes et ces anneaux s’ouvrissent immédiatement devant lui. Car telle est, ô fils de famille, la puissance du Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara. Si cet univers formé d’un grand millier de trois mille mondes, ô fils de famille, était plein de méchants, d’ennemis et de voleurs armés de glaives, et qu’un chef de marchands partît, ayant avec lui une grande caravane, riche en joyaux, chargée de biens précieux, et qu’au milieu de son voyage il vît ces voleurs, ces méchants armés de glaives, et que les ayant vus, effrayé, épouvanté, il se reconnût sans ressource ; et que le marchand parlât ainsi à la caravane : Ne craignez rien, ô fils de famille, ne craignez rien ; invoquez tous d’une seule voix le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara, qui donne la sécurité ; par là vous serez délivrés du danger dontf. 229 b. vous menacent les voleurs et les ennemis. Qu’alors tous les marchands invoquent d’une seule voix Avalôkitêçvara : Adoration ! adoration au Bôdhisattva Avalôkitêçvara qui donne la sécurité ! Eh bien, par le seul acte de prononcer ce nom, la caravane serait délivrée de tous les dangers. Car telle est, ô fils de famille, la puissance du Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara. Les êtres, ô fils de famille, qui agissent sous l’empire de la passion, après avoir adoré le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara, sont affranchis du joug de la passion ; et il en est de même de ceux qui agissent sous l’empire de la haine et de l’erreur. Car telle est, ô fils de famille, la grande puissance surnaturelle du Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara. La femme désirant un fils, qui adore le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara, obtient un fils, beau, aimable, agréable à voir, doué des signes caractéristiques de la virilité, aimé de beaucoup de gens, enlevant les cœurs, ayant fait croître les racines de vertu qui étaient en lui. Celle qui désire une fille, obtient une fille, belle, aimable, agréable à voir, douée de la perfection suprême d’une belle forme et des signes caractéristiques du sexe féminin, aimée de beaucoup de gens,f. 230 a. enlevant les cœurs, ayant fait croître les racines de vertu qui étaient en elle. Car telle est, ô fils de famille, la puissance du Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara.

Ceux qui adoreront, ô fils de famille, le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara et qui retiendront son nom, en retireront un avantage certain. Supposons, ô fils de famille, un homme qui adorerait le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara et qui retiendrait son nom, et un autre homme qui adorerait des Buddhas bienheureux en nombre égal à celui des sables de soixante-deux Ganges, qui retiendrait leurs noms, qui honorerait tous ces Buddhas bienheureux, pendant leur vie, pendant leur existence, pendant qu’ils seraient dans le monde, en leur offrant des vêtements, des vases pour recueillir les aumônes, des lits, des siéges, des médicaments destinés aux malades ; que penses-tu de cela, ô fils de famille ? quelle masse de mérites doit recueillir, de cette dernière action, le fils ou la fille de famille ? Cela dit, le Bôdhisattva Mahâsattva Akchayamati parla ainsi à Bhagavat : Elle est grande, ô Bhagavat, elle est grande, ô Sugata, la masse de mérites que ce fils ou cette fille de famille recueillerait comme conséquence de cette dernière action. Bhagavat reprit : Eh bien ! la masse de mérites que recueillerait le fils de famille qui aurait honoré un aussi grand nombre de Buddhas bienheureux, et la masse de mérites qui est recueillie par celui qui ne ferait qu’adresser, ne fut-ce qu’une seule fois,f. 230 b. adoration au Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara, et qui retiendrait son nom, sont égales entre elles ; l’une n’est pas supérieure à l’autre. Ces deux masses de mérites ne sont pas plus considérables l’une que l’autre, pas plus celle de celui qui honorerait des bienheureux Buddhas en nombre égal à celui des sables de soixante-deux Ganges et qui retiendrait leurs noms, que celle de celui qui adorerait le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara et qui retiendrait son nom. Ces deux masses de mérites ne peuvent pas aisément se dissiper même pendant des centaines de mille de myriades de kôṭis de Kalpas, tant est immense, ô fils de famille, le mérite qui résulte de l’action de retenir le nom du Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara.

Ensuite le Bôdhisattva Mahâsattva Akchayamati parla ainsi à Bhagavat : Comment, ô Bhagavat, le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara se trouve-t-il dans ce monde ? Comment enseigne-t-il la loi aux créatures ? Quel est le but que le Bôdhisattva Mahâsattva donne à son habileté dans l’emploi des moyens qu’il possède ? Cela dit, Bhagavat parla ainsi au Bôdhisattva Akchayamati : Il y a, ô fils de famille, des univers dans lesquels le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara enseigne la loi aux créatures sous la figure d’un Buddha(230 b). Il y a des univers oùf. 231 a. le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara enseigne la loi aux créatures sous la figure d’un Bôdhisattva. À quelques-uns, c’est sous la figure d’un Pratyêkabuddha que le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara enseigne la loi ; à d’autres, c’est sous celle d’un Çrâvaka, ou sous celle de Brahmâ, ou de Çakra, ou d’un Gandharva. Aux êtres faits pour être convertis par un Yakcha, c’est sous la figure d’un Yakcha qu’il enseigne la loi, et c’est ainsi qu’il prend les figures d’Içvara, de Mahêçvara, d’un Râdja Tchakravartin, d’un Piçâtcha, de Vâiçravana, de Sênâpati, d’un Brahmane, de Vadjrapâṇi,f. 231 b. pour enseigner la loi aux créatures faites pour être converties par ces divers personnages. Telles sont, ô fils de famille, les qualités inconcevables à cause desquelles le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara est appelé de ce nom. C’est pourquoi, ô fils de famille, vous devez ici rendre un culte au Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara. Car le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara donne la sécurité aux créatures effrayées. Aussi est-il, dans cet univers Saha, désigné par le nom de Abhayam̃dada (celui qui donne la sécurité).

Ensuite le Bôdhisattva Mahâsattva Akchayamati parla ainsi à Bhagavat : Nous donnerons, ô Bhagavat, au Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara, la parure de la loi, le vêtement de la loi. Bhagavat reprit : Soit, puisque tu en trouves en ce moment l’occasion. Alors le Bôdhisattva Mahâsattva Akchayamati ayant détaché de son cou un collier de perles du prix de cent mille [pièces d’or], l’offrit au Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara comme vêtement de la loi, en lui disant : Reçois de moi, ô homme vertueux, ce vêtement de la loi. Mais Avalôkitêçvara ne le reçut pas. Alors le Bôdhisattva Mahâsattva Akchayamati parla ainsi au Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara : Prends, ô fils de famille, ce collier de perles, pour nous témoigner ta miséricorde. Alors le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvaraf. 232 a. reçut des mains du Bôdhisattva Mahâsattva Akchayamati le collier de perles, par un sentiment de miséricorde pour le Bôdhisattva et pour les quatre assemblées, ainsi que pour les Dêvas, les Nâgas, les Yakchas, les Gandharvas, les Asuras, les Garudas, les Kinnaras, les Mahôragas, les hommes et les créatures n’appartenant pas à l’espèce humaine.

Après l’avoir accepté, il fit deux saluts ; et après les avoir faits, il en adressa un au bienheureux Çâkyamuni ; et comme second salut, il inclina la tête devant le Stûpa de pierreries du bienheureux Tathâgata Prabhûtaratna qui était entré dans le Nirvâṇa complet. C’est, ô fils de famille, en développant de tels jeux de sa puissance que le Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara existe dans l’univers Saha.

Alors Bhagavat prononça dans cette occasion les stances suivantes :

1. Tchitradhvadja désira connaître, de la bouche d’Akchayamati, le sujet suivant : Pour quelle raison, ô fils de Djina, Avalôkitêçvara porte-t-il le nom qu’il a ?

2. Alors Akchayamati, qui est comme un océan de prières, après avoir porté ses regards sur tous les points de l’espace, s’adressa en ces termes à Tchitradhvadja : Écoute quelle est la conduite d’Avalôkitêçvara.

3. Apprends de moi, qui vais te l’exposer complètement, comment, pendant un nombre de centaines de Kalpas que l’intelligence ne peut concevoir, il s’est perfectionné dans la prière qu’il adressait à de nombreux milliers de kôṭis de Buddhas.

4. L’audition et la vue de [l’enseignement] et le souvenir régulier [de ce qu’on a entendu] ont pour résultat certain, ici-bas, d’anéantir toutes les douleurs et les chagrins de l’existence.

5. Si un homme venait à être précipité dans une fosse pleine de feu par un être méchant qui voudrait le détruire, f. 232 b.il n’a qu’à se souvenir d’Avalôkitêçvara, et le feu s’éteindra comme s’il était arrosé d’eau.

6. Si un homme venait à tomber dans l’océan redoutable, qui est la demeure des Nâgas, des monstres marins et des Asuras, qu’il se souvienne d’Avalôkitêçvara qui est le roi des habitants des mers, et il n’enfoncera jamais dans l’eau.

7. Si un homme venait à être précipité du haut du Mêru par un être méchant qui voudrait le détruire, il n’a qu’à se souvenir d’Avalôkitêçvara qui est semblable au soleil, et il se soutiendra, sans tomber, au milieu du ciel.

8. Si des montagnes de diamant venaient à se précipiter sur la tête d’un homme pour le détruire, qu’il se souvienne d’Avalôkitêçvara, et ces montagnes ne pourront lui enlever un poil du corps.

9. Si un homme est entouré par une troupe d’ennemis, armés de leurs épées et ne songeant qu’à le détruire, il n’a qu’à se souvenir d’Avalôkitêçvara, pour qu’en un instant ses ennemis conçoivent en sa faveur des pensées de bienveillance.

10. Si quelqu’un, s’étant approché d’un lieu d’exécution, venait à tomber entre les mains du bourreau, il n’a qu’à se souvenir d’Avalôkitêçvara, pour que le glaive de l’exécuteur se brise en mille pièces.

11. Si un homme est enchaîné par des anneaux de fer ou de bois, il n’a qu’à se souvenir d’Avalôkitêçvara, pour que ses chaînes tombent aussitôt.

12. La force des Mantras, les formules magiques, les herbes médicinales, les Bhûtas, les Vêtâlas, la destruction du corps, tous ces dangers sont renvoyés à leur auteur par celui qui se souvient d’Avalôkitêçvara.

13. Si un homme venait à être entouré de Yakchas, de Nâgas, d’Asuras, de Bhûtas et de Râkchasas qui ravissent aux hommes leur vigueur, qu’il se souvienne d’Avalôkitêçvara, et ces êtres ne pourront lui enlever un poil du corps.

14. Si un homme est environné de bêtes féroces et d’animaux sauvages, terribles, armés de défenses et d’ongles aigus, qu’il se souvienne d’Avalôkitêçvara, et ces animaux se disperseront aussitôt dans les dix points de l’espace.

15. Si un homme se trouve entouré de reptiles d’un aspect terrible, lançant le poison par les yeux, et répandant autour d’eux un éclat semblable à la flamme, il n’aura qu’à se souvenir d’Avalôkitêçvara, f. 233 a.et ces animaux seront dépouillés de leur poison.

16. Si une pluie épaisse vient à tomber du milieu des nuages sillonnés par les éclairs et par la foudre, on n’a qu’à se souvenir d’Avalôkitêçvara, et la tempête se calmera au même instant.

17. Voyant les êtres accablés par de nombreuses centaines de misères et souffrant de maux nombreux, Avalôkitêçvara sauve, par l’énergie de sa science fortunée, les créatures réunies aux Dêvas.

18. Ayant atteint la perfection de l’énergie des facultés surnaturelles, exercé à l’emploi des moyens et à une science immense, il voit d’une manière complète les êtres renfermés dans tous les univers situés vers les dix points de l’espace.

19. Alors les dangers des mauvaises voies de l’existence, les douleurs que souffrent les êtres dans les Enfers, dans des matrices d’animaux, sous l’empire de Yama, celles de la naissance, de la vieillesse, de la maladie disparaissent successivement.

Ensuite Akchayamati, plein de joie, prononça les stances suivantes :

20. Ô toi dont les yeux sont beaux, pleins de bienveillance, distingués par la sagesse et par la science, remplis de compassion, de charité et de pureté, toi dont les beaux yeux et le beau visage sont si aimables ;

21. Ô toi qui es sans tache, toi dont l’éclat est pur de toute souillure, toi qui répands la splendeur d’un soleil de science dégagé de toute obscurité, toi dont la lumière n’est interceptée par aucun nuage, tu brilles plein de majesté au-dessus des mondes.

22. Célébré pour la moralité de ta conduite laquelle naît de ta charité, semblable à un grand nuage de miséricorde et de bonnes qualités, tu éteins le feu du malheur qui consume les êtres, f. 233 b.en faisant tomber sur eux la pluie de l’ambroisie de la loi.

23. L’homme qui tombe au milieu d’une fournaise, d’une dispute, d’un combat, d’un champ de bataille, d’un danger redoutable, n’a qu’à se souvenir d’Avalôkitêçvara, pour voir se calmer aussitôt la fureur de ses ennemis.

24. Il faut se souvenir d’Avalôkitêçvara dont la voix est comme le bruit du nuage ou du tambour, comme le mugissement de l’océan, comme la voix de Brahmâ, dont la voix enfin franchit la limite de l’espace où règne le son.

25. Souvenez-vous, souvenez-vous d’Avalôkitêçvara, de cet être pur ; ne concevez à ce sujet aucune incertitude ; au temps de la mort, au temps où la misère accable l’homme, il est son protecteur, son refuge, son asile.

26. Parvenu à la perfection de toutes les vertus, exprimant par ses regards la charité et la compassion pour tous les êtres, possédant les qualités véritables, Avalôkitêçvara, qui est comme un grand océan de vertus, est digne de tous les hommages.

27. Ce sage, si compatissant pour les créatures, sera dans un temps à venir un Buddha qui anéantira toutes les douleurs et les peines de l’existence ; aussi m’incliné-je devant Avalôkitêçvara.

28. Ce Guide des rois des chefs du monde, cette mine des devoirs du Religieux, ce sage honoré par l’univers, après avoir rempli les devoirs de la conduite religieuse(233 b), s’est mis en possession de l’état suprême et pur de Bôdhi.

29. Debout à la droite ou à la gauche du Guide [des hommes] Amitabha, qu’il rafraîchit de son éventail, s’étant rendu, à l’aide de la méditation qui est semblable à une apparence magique, dans toutes les terres de Buddha, il adore les Djinas.

30. À l’occident, là où se trouve Sukhavatî, cet univers pur qui est une mine de bonheur, est établi le Guide [des hommes] Amitabha, qui dirige les créatures comme un cocher.

f. 234 a.31. Là il ne naît pas de femmes ; là les lois de l’union des sexes sont absolument inconnues ; là les fils du Djina, mis au monde par des transformations surnaturelles, paraissent assis au centre de purs lotus.

32. Et Amitabha, le Guide [des hommes], assis sur un trône formé du centre d’un pur et gracieux lotus, resplendit semblable au roi des Çâlas.

33. Ce Guide du monde dont je viens de célébrer les vertus accumulées, n’a pas son semblable dans les trois régions de l’existence ; et nous aussi, ô le meilleur de tous les hommes, puissions-nous bientôt devenir tels que tu es !(234 a)

Ensuite le Bôdhisattva Mahâsattva Dharaṇim̃dhara, après s’être levé de son siége, après avoir rejeté sur son épaule son vêtement supérieur, et posé à terre le genou droit, dirigeant ses mains réunies en signe de respect du côté où se trouvait Bhagavat, lui parla ainsi : Ils ne posséderont pas peu de racines de vertu, ô Bhagavat, ceux qui entendront cette histoire du Bôdhisattva Mahâsattva Avalôkitêçvara, laquelle expose les jeux du Bôdhisattva et manifeste les prodiges de ses jeux sous le nom de Récit parfaitement heureux.

Or, pendant que ce récit parfaitement heureux était exposé par Bhagavat, quatre-vingt-quatre mille êtres vivants de cette assemblée conçurent l’idée de l’état suprême de Buddha parfaitement accompli, qui est et n’est pas uniforme.(234 a 2)



Notes du chapitre XXIV

CHAPITRE XXIV.

f. 228 a.Avalôkitêçvara.] Ce chapitre qui est consacré à l’énumération des avantages qu’assure le culte du Bôdhisattva Avalôkitêçvara, ne tient en aucune manière au sujet principal de notre Lotus, dont l’objet est de prouver qu’il n’y a au fond qu’un seul moyen de transport pour faire passer les créatures à l’autre rive, comme disent les Buddhistes. On sait que le Bôdhisattva Avalôkitêçvara est le saint le plus vénéré des Buddhistes du Nord, le véritable dieu tutélaire du Tibet ; c’est un point que les savants les plus versés dans la lecture des livres buddhistes tibétains, mongols et chinois, avaient établi avant moi. Je ne vois rien à changer aux considérations que l’existence de ce personnage chez les Buddhistes du Nord, et le fait qu’il est entièrement inconnu à ceux du Sud m’ont fournies ailleurs pour la détermination approximative de l’âge des Sûtras développés, comparés aux Sûtras simples ; j’y renvoie donc le lecteur, ainsi qu’aux ouvrages cités à l’appui de ces considérations[1]. Quant au titre du présent chapitre, il donne lieu à une observation particulière. Lorsque je n’avais à ma disposition que le manuscrit de la Société asiatique, le premier qui soit venu entre mes mains, je lisais ce titre samantasukha ; mais les trois autres manuscrits que j’ai pu consulter plus, tard écrivent uniformément samantamukha, « Celui dont « la face regarde de tous les côtés. » En consultant de nouveau le manuscrit de la Société asiatique, je vois que ce que je prenais pour un s est réellement un m ; mais l’erreur était facile à commettre à cause de la ressemblance de forme que présentent ces deux lettres, surtout dans ce manuscrit. Le titre du chapitre xxiv doit donc être rétabli ainsi : « Celui dont la face regarde de tous les côtés. » Le personnage qu’on désigne ainsi est certainement Avalôkitêçvara.

f. 228 b.L’île des Râkchasîs.] Si les Buddhistes du Nord ont cru parler d’une île véritable, en la désignant sous ce nom fabuleux, « île des Râkchasîs, » c’est selon toute apparence Ceylan qu’ils ont entendu désigner ainsi ; du moins la fable des Râkchasîs qui dévorent les navigateurs abordants à leur île, rappelle les légendes qui servent de préambule aux temps héroïques de l’histoire sînghalaise. Cette analogie paraît plus frappante, quand on lit le Kâraṇḍa vyûha, l’un des livres du Nord où Avalôkitêçvara occupe le plus de place, et où la fable des Râkchasîs, avec la ville de fer qui sert de prison à leurs victimes, est longuement racontée. Mais il faut convenir que les Buddhistes du Nord étaient bien éloignés de Ceylan quand ils compilaient ces légendes, car ils ne consultaient ni la réalité, ni l’histoire. C’est d’ailleurs un point non encore suffisamment éclairci que celui de savoir jusqu’à quel point les livres des Buddhistes du Sud ont été généralement connus des Buddhistes du Tibet ; je dis généralement, car il y a des preuves que les métaphysiciens du Nord ont cité les recueils philosophiques de Ceylan. À tout prendre, il est plus prudent de laisser l’île des Râkchasîs dans le domaine de ces légendes de navigateurs, qui pour n’avoir ni date rigoureuse, ni localité précise, n’en reposent pas moins sur des accidents réels conservés depuis des siècles dans la mémoire des hommes. Les mers de l’Inde et celles des archipels qui s’y rattachent ont été de tout temps célèbres sous ce rapport, et la renommée des désastres dont elles ont été le théâtre s’est étendue à des nations plus éloignées que celles qui habitent les vallées de l’Himâlaya.

Aussitôt s’emparant du glaive des meurtriers.] La comparaison des manuscrits de M. Hodgson me permet de traduire plus exactement ainsi : « aussitôt les armes de ces meurtriers se briseraient dans leurs mains. »

f. 230 b.Avalôkitêçvara enseigne la loi aux créatures sous la figure d’un Buddha.] Cet exposé fabuleux des transformations d’Avalôkitêçvara se retrouve presque mot pour mot dans la légende relative à ce Bôdhisattva que A. Rémusat a extraite des auteurs chinois[2]. L’analogie est si grande, que je ne puis me défendre de croire que les deux morceaux ont été puisés à la même source ; il est très-probable, à mes yeux du moins, qu’en ce qui regarde le Saddharma puṇḍarîka, ce morceau n’y est pas original.

f. 233 b.St. 28. Après avoir rempli les devoirs de la conduite religieuse.] Ajoutez après ces mots, pendant plusieurs centaines de Kalpas. »

f. 234 a.St. 33. La traduction que le Saddharma puṇḍarîka tibétain donne de ce distique se rapporte certainement à un autre texte que celui de nos manuscrits de Paris et de Londres ; voici, si je ne me trompe, le sens de cette version : « Ce guide du monde n’a pas son semblable dans les trois régions de l’existence ; celui qui entend le nom d’Avalôkitêçvara ne voit pas diminuer ses mérites. »

Qui est et n’est pas uniforme.] L’expression du texte asamasama doit se traduire plus exactement ainsi : « qui est égal à ce qui n’a pas d’égal ; » je crois me rappeler que l’interprète tibétain du Lalita vistara l’entend ainsi. C’est une des épithètes propres à un Buddha, et elle est aussi familière aux Buddhistes de Ceylan qu’à ceux du Nord, comme on peut s’en convaincre par l’emploi qu’en fait le Djina alam̃kâra[3].

  1. Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 115.
  2. Foe koue ki, p. 122.
  3. Djina alam̃kâra, f. 8 a et b.