Lotus de la bonne loi/Appendice 4

Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 511-517).
◄  III.
V.  ►
Appendice IV
No IV.
SUR LE MOT DHÂTU.
(Ci-dessus, chap. i, f. 7 a, p. 315.)

J’ai dit plus haut, après avoir expliqué le terme de lôkadhâtu, qu’il fallait distinguer ce mot d’un autre composé dhâtulôka, sur lequel j’ai promis de revenir. Je trouve, en effet, ce composé de dhâtulôka dans un passage du Djina alam̃kâra, où il est employé pour désigner l’ensemble de tous les objets que l’on nomme dhâtus. Le mot dhâtulôka signifie donc, « le monde des Dhâtus ou éléments, » dans un sens analogue à celui dans lequel on emploie certaines expressions philosophiques comme « le monde de l’intelligence, le « monde de la sensation. » Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de voir ce que le Djina alam̃kâra entend par « le monde des Dhâtus ; » il y reconnaîtra une théorie qui s’accorde complètement, et en des points fort remarquables, avec une partie importante de la métaphysique des Buddhistes du Nord, sur laquelle je suis entré ailleurs dans quelques éclaircissements[1].

L’énumération que donne le Djina alam̃kâra des parties composant le monde des Dhâtus, commence par celle des dix-huit Dhâtus ou éléments, qui ne sont autres que les six organes des sens, les six qualités sensibles, et les six perceptions ou connaissances qui en résultent. Les voici tels que les énumère le texte pâli : Tchakkhu dhâtu, rûpa dhâtu, tchakkhu viññâṇa dhâtu ; sôta dhâtu, sadda dhâtu, sôta viññâṇa dhâtu ; ghâṇa dhâtu, gandha dhâtu, ghâṇa viññâṇa dhâtu ; djihvâ dhâtu, rasa dhâtu, djihvâ viññâṇa dhâtu ; kâya dhâtu, pôṭṭhabba dhâtu, kâya viññâṇa dhâtu ; manô dhâtu, dhamma dhâtu, manô viññâṇa dhâtu. « L’élément dit de la vue, celui de la forme, celui de la notion acquise par la vue ; l’élément dit de l’ouïe, celui du son, celui de la notion acquise par l’ouïe ; l’élément dit de l’odorat, celui de l’odeur, celui de la notion acquise par l’odorat ; l’élément dit de la langue (ou du goût), celui du goût, celui de la notion acquise par la langue ; l’élément dit du corps (ou de la peau), celui du toucher, celui de la notion acquise par le corps ; l’élément dit du manas (de l’esprit ou du cœur), celui du mérite moral (ou de l’être), celui de la notion acquise par le manas. »

Les Buddhistes du Nord connaissent également cette classification, et le commentaire philosophique intitulé Abhidharma kôça vyâkhyâ nous apprend que, dans de tels composés, le mot dhâtu n’a en aucune manière la signification d’élément matériel, et qu’il ne le faut pas prendre au sens où on l’emploie en disant, prĭthivî dhâtu, « l’élément matériel dit la terre. » Ici, c’est-à-dire dans l’énumération précédente, le sens de dhâtu est à peu près celui de gôtra, « famille, genre. » L’Abhidharma kôça vyâkhyâ ajoute que les dix-huit Dhâtus énumérés sont nommés ainsi, parce qu’ils contiennent des caractères qui leur sont communs à tous. C’est, comme on voit, rapporter encore cette acception du mot dhâtu à l’idée de contenance. Ils sont ainsi nommés, dit la même autorité, parce que constitués par les éléments propres qui distinguent chacun d’eux, ils ont de plus la forme qui leur appartient en commun. J’ai déjà touché à ce sujet dans la partie métaphysique de mon Introduction à l’histoire du Buddhisme indien[2] ; mais plutôt que d’y renvoyer simplement le lecteur, je crois préférable de donner ici la traduction du passage relatif au dix-huit Dhâtus qui relie entre eux les divers fragments que j’ai déjà introduits dans l’ouvrage précité.

« La connaissance ou la notion acquise par la vue se nomme tchakchur vidjñâna dhâtu, ou l’élément de la notion acquise par la vue, et ainsi de suite pour les autres sens, jusques et y compris la notion acquise par le manas ou l’intellect, qui est manô vidjñâna dhâtu, l’élément de la notion acquise par le manas. Or il faut savoir que ces six notions réunies sont le manô dhâtu, ou l’élément dit manas, ou l’intellect ; car le manas n’est pas autre chose que la connaissance qui a été acquise sans intermédiaire par les six organes des sens. Dans le texte, les six organes des sens sont au génitif qu’on emploie avec le sens de compréhension, pour dire qu’il n’y a rien d’autre parmi eux.

« L’expression sans intermédiaire a pour objet d’exclure l’intervention d’une autre notion. « En effet l’objet contigu à une notion, c’est-à-dire qui n’en est pas séparé par une autre notion, est le réceptacle de cette notion ; mais si quelque chose intervient, alors l’objet n’est plus le réceptacle de la notion. Cependant si ce même réceptacle est celui d’une autre notion, il n’y a pas là intervention d’un intermédiaire ; ainsi, par exemple, dans l’état de réflexion, la pensée fortement appliquée à l’acquisition de quelque chose devient le réceptacle de la pensée d’un obstacle ; il n’y a pas là intervention d’une autre notion.

« L’expression acquise (le texte dit proprement atîta, passé), a pour objet d’exclure l’idée du présent. En effet la notion que donne le manas, quand il est à l’état de contact avec son réceptacle, est une notion présente : voilà pourquoi le texte définit comme acquise (passée) la connaissance dont il parle ; aussi dit-il : [Si le mot manas est pris en ce sens,] c’est pour faire connaître le sixième réceptacle.

« L’expression de vidjñâna, ou la connaissance, la notion, a pour objet d’exclure les autres choses acquises sans intermédiaire, comme la sensation, etc. Ici le mot manas, intellect ou cœur, est une désignation de genre, et non un terme distributif ; mais quand on l’explique avec l’intention d’en faire connaître le sens comme nom de chose, on l’emploie distributivement ; ainsi chacune des notions acquises sans intermédiaire est ce qu’on nomme manô dhâtu, l’élément dit du manas.

« Le texte ajoute ce développement : Tout de même que celui qui est fils prend le nom de père d’un autre, et que le fruit d’une plante prend le nom de semence d’une autre plante, de la même manière l’élément dit la notion acquise par la vue et par les autres sens, devenant le réceptacle d’une autre notion, prend le nom de manô dhâtu, c’est-à-dire d’élément dit du manas.

« On demande s’il y a dix-sept éléments, ou bien douze. [Voici la réponse :] Les six éléments dits la connaissance, c’est là l’élément dit manas ; et l’élément dit manas, c’est les six éléments dits la connaissance. Comme ces deux énoncés se contiennent mutuellement, si l’on admet les six éléments de la connaissance, la question n’a pas de sens ; car du texte qui dit par l’absence d’un élément, il résulte qu’il ne peut exister seulement dix-sept éléments. Si l’on admet l’élément du manas, la question n’a pas plus de sens ; car du texte qui dit au moyen des six éléments de la connaissance, il résulte certainement qu’il y a dix-huit éléments.

« Le texte dit : C’est pour faire connaître le sixième réceptacle. Il ne peut être question de faire connaître les réceptacles des cinq éléments dits de la connaissance, parce que la vue et les autres sens ont leur réceptacle connu. Mais comme on a dit qu’il n’y a pas de réceptacle pour l’élément du manas, on établit l’élément du manas, afin de faire connaître son réceptacle. Or une fois qu’on a établi l’existence de six réceptacles, on trouve qu’il y a dix-huit Dhâtus, éléments, ou contenants. Il y a un groupe de six réceptacles, dont le premier terme est la vue, et le dernier le manas. Il y a un second groupe de six réceptacles, dont le premier terme est la connaissance acquise par la vue, et le dernier la connaissance acquise par le manas. Il y a un groupe de six supports (âlambana), dont le premier terme est la forme, et le dernier le dharma (le mérite moral ou l’être), Cependant, selon la doctrine des Yôgâtchâras, il y a un élément du manas (manô dhâtu) qui est distinct des six connaissances. Les Tâmraparṇîyas, de leur côté, se représentent la substance du cœur comme le réceptacle de l’élément dit la connaissance acquise par le manas[3]. Ils s’expriment ainsi : Et cela a lieu même pour l’élément de la forme. Quand ils disent pour l’élément de la forme (ârûpyadhâtâu), ces mots signifient pour eux rûpa, la forme ; dans Ârûpya, la préposition est prise au sens de un peu, presque, comme quand on dit âpig̃gala (brunâtre)[4]. « Le mot que j’ai traduit par élément est dhâtu ; on voit qu’on le traduirait plus exactement encore par contenant ; mais on conviendra aussi qu’on donnerait à cette exposition de la place qu’occupe le manas dans le fait de la connaissance, une marche beaucoup plus dégagée et une expression plus claire, si l’on se débarrassait complétement de ce terme purement collectif.

Je reviens maintenant à la seconde signification que le Djina alam̃kâra assigne au mot dhâtu. Après l’énumération des dix-huit Dhâtus, ou des dix-huit éléments ou contenants de la connaissance au point de vue buddhique, le Djina alam̃kâra expose les six éléments, dont cinq sont matériels, et un est immatériel. Ce sont pathavî dhâtu, âpô dhâtu, têdjô dhâtu, vâyô dhâtu, âkâsa dhâtu, viññâṇa dhâtu, « l’élément dit de la terre, celui des eaux, celui du feu, celui du vent, celui de l’éther, celui de la connaissance ou de l’intelligence. » Cette énumération est exactement celle des Buddhistes du Nord, sur laquelle je suis entré dans quelques détails, à l’occasion d’un curieux fragment mongol, traduit par I. J. Schmidt[5]. Je renvoie le lecteur à ces détails, en les modifiant toutefois sur un point important. J’avais pensé, à une époque où j’ignorais que cette classification fût familière aux Buddhistes du Sud, que l’élément purement intellectuel du Vidjñâna ou de l’intelligence était une conception relativement moderne de la philosophie buddhique ; et sans prétendre qu’elle appartînt exclusivement à l’école du Nord, j’avais élevé quelques doutes sur l’ancienneté de cette notion, parce que je ne l’avais pas encore trouvée dans les anciens Suttas pâlis, ou dans ceux que je crois pouvoir regarder comme tels. Aujourd’hui l’énumération du Djina alam̃kâra ne laisse plus de place au doute. Les Buddhistes de Ceylan admettent en réalité, comme ceux du Népâl, ou pour mieux dire, de l’Inde septentrionale, un sixième élément purement immatériel, nommé Vidjñâna, dont les mots connaissance, conscience et intelligence ne donneraient, si je ne me trompe, une idée complète que s’ils pouvaient se réunir en une expression unique. En effet, considéré comme élément, le Vidjnâna est en quelque façon la base de tout ce qui est intelligible, et de tout ce qui est intelligent ; il se peut même que ce ne soit primitivement pour les Buddhistes rien autre chose que la somme des idées abstraites, comme aussi des idées concrètes que donne la sensation mise en jeu par les éléments grossiers.

Au reste, pour ajouter à l’autorité du Djina alam̃kâra, qui n’est qu’une compilation semi-poétique faite à l’aide de matériaux dont la source n’est presque jamais indiquée, quoiqu’elle soit, selon moi, en général très-authentique, je terminerai ces remarques par un passage emprunté à un Sutta pâli du Dîgha nikâya, où le Vidjñâna est en réalité indiqué comme un élément singulièrement élevé. Un Religieux qui a vainement sollicité Çâkyamuni d’opérer des miracles, après avoir demandé à tous les Dêvas de lui expliquer comment a lieu l’anéantissement et l’absorption des éléments, s’adresse à Çâkya, qui après diverses observations lui répond en ces termes : Nakhô sô bhikkhu pañhô êvam̃ putchtchhitabbô kattha nukhô bhantê imé tchattârô mahâbhâtâ aparisêsâ nirudjdjhanti sêyyathîdam̃ pathavidhâtu âpôdhâtu têdjôdhâtu vâyôdhâtûti évañtcha khô ésô bhikkhu pañhô putchtchhitabhô :

Kattha âpôtcha pathavîtcha têdjô vâyô nigâdhati
Kattha dîghañtcha rassañtcha anum̃ thûlam̃ subhâsubham̃
Kattha nâmañtcha rûpañtcha asêsam̃ uparadjdjhantîti.

Tatra vêyyâkaraṇam bhavati
Viññâṇam̃ atidassanam̃ anantam̃ sabbatô pabham̃
Tattha âpôtcha pathavîtcha têdjôtcha vâyo nigâdhati
Êttha dîghañtcha rassañtcha anum̃ thûlam̃ subhâsubham̃
Ettha nâmañtcha rûpañtcha asêsam̃ uparudjdjhati
Viññânassa nirôdhêna êtthêtham̃ uparudjdjhantîti.

« Il ne faut pas, ô Religieux, poser ainsi cette question : Dans quoi, seigneur, ces quatre grands éléments sont-ils anéantis sans qu’il en reste rien, à savoir, l’élément de la terre, celui de l’eau, celui du feu, celui du vent ? Mais voici comment doit être posée la question : Dans quoi l’eau et la terre, le feu et le vent vont-ils s’anéantir ? Dans quoi le long et le court, le subtil et le solide, le bien et le mal, dans quoi le nom et la forme s’anéantissent-ils sans qu’il en reste rien ? À cette question il est fait la réponse suivante : L’intelligence échappe à la vue, elle est sans bornes ; elle est lumineuse de toutes parts, c’est en elle que vont s’anéantir et les eaux et la terre, et le feu et le vent. C’est là que le long et le court, le subtil et le solide, le bien et le mal, c’est là que le nom et la forme s’anéantissent sans qu’il en reste rien. Par la cessation de l’intelligence tout cela cesse d’exister[6]. »

On remarquera qu’il n’est pas question dans ce passage de l’âkâça ou de l’éther qu’énumère le Djina alam̃kâra, à l’exemple d’autres textes. Cette omission n’est sans doute pas accidentelle, et nous avons probablement ici un état ancien des opinions des Buddhistes sur le nombre et la forme primitive des éléments matériels. Dans leur polémique contre les doctrines des Bâuddhas, les Brâhmanes sectateurs de la Nyâya taxent les Buddhistes de ne pas reconnaître l’existence de l’éther[7] ; ces doctrines ont donc varié sur ce point, puisque voici d’un côté un texte pâli de Ceylan qui n’en parle pas, et qui confirme ainsi le dire des Nyâyistes, tandis que, d’un autre côté, un texte sanscrit du Nord admet la réalité de l’éther, contrairement à ce dire même. C’est, du reste, une question que nous serons mieux en mesure de traiter lorsque nous aurons rassemblé un plus grand nombre de textes. Quant à présent je me contenterai de renvoyer le lecteur à un passage de l’Abhidharma kôça vyâkhyâ, que j’ai traduit dans mon Histoire du Buddhisme[8], d’après lequel l’âkâça ou l’espace est donné comme cinquième élément. Je remarquerai en outre que le passage du Sutta pâli que je viens de reproduire est conforme dans ses points principaux à ce que nous apprennent les livres buddhiques du Nord sur le Vidjñâna. Ainsi cet attribut est de part et d’autre un sixième élément : c’est même, suivant un Sûtra intitulé Garbha avakrânti, « la descente au sein d’un fœtus, » l’élément générateur qu’on semble identifier à la fois avec la connaissance et la conscience, et qui est pour l’homme la cause de la prise d’un nouveau corps[9]. Et quant à cette opinion particulière, que le nom et la forme, ainsi que quelques autres attributs abstraits, se résolvent et s’anéantissent dans le Vidjñâna, « la connaissance, » elle n’est pas exclusivement propre au texte pâli précité ; elle répond en effet exactement à la place qu’occupe le Vidjñâna à l’égard du Nâmarûpa, « le nom et la forme, » dans l’évolution des douze causes de l’existence[10]. Car dire que le nom et la forme ont pour origine la connaissance, c’est dire la réciproque de ceci : le nom et la forme retournent dans la connaissance. Il n’est pas non plus sans intérêt de remarquer la formule par laquelle Çâkyamuni est représenté exposant son opinion sur le Vidjñâna et les quatre éléments : il est clair qu’il entend substituer une théorie nouvelle sur le mode et le terme de l’absorption des éléments matériels à la théorie des Brâhmanes qui les faisaient rentrer successivement dans leur Paramâtman, ou esprit universel.

Après l’énumération des six éléments qui vient de donner lieu aux précédentes remarques, le Djina alam̃kâra en expose une autre, également composée de six termes, lesquels sont tous des qualités morales. Ce sont kâma dhâtu, vyâpâda dhâtu, him̃sâ dhâtu, nêkkamma dhâtu, auyâpâda dhâtu, avihim̃sâ dhâtu, « l’élément dit du désir, celui de la méchanceté, celui de la cruauté, celui de l’inaction, celui de l’absence de méchanceté, celui de l’absence de cruauté. » Les trois derniers termes sont, on le voit, opposés aux trois premiers ; l’inaction est le contraire du désir, lequel est la cause première de l’activité humaine.

La catégorie qui vient ensuite et qui est également composée de six termes, a pour base les deux accidents opposés de la douleur et au plaisir ; ce sont dakkha dhâtu, dômanassa dhâtu, avidjdjâ dhâtu, sukha dhâtu, sômanassa dhâtu, apêkkhâ dhâtu, « l’élément dit de la douleur, celui du désespoir, celui de l’ignorance, celui du plaisir, celui du contentement, celui de l’indifférence. »

À cette catégorie, qui est suffisamment claire par elle-même, succède celle des trois régions dont j’ai parlé ailleurs, kâma dhâtu, rûpa dhâtu, arûpa dhâtu, « la région du désir, la région de la forme, la région de l’absence de forme. » Il est bien certain que s’il faut ici donner un sens au mot dhâtu, c’est celui de région, plutôt que celui d’élément ; mais en même temps le sens général de classe, de genre, réclamé par l’auteur de l’Abhidharma kôça vyâkhyâ, ne convient pas moins bien à cette catégorie qu’aux précédentes.

La dernière de ces listes est composée aussi de trois termes qui touchent aux points les plus élevés de la doctrine buddhique, ce sont : nirôdha dhâtu, samkhâra dhâtu, nibbâna dhâtu, « l’élément dit de la cessation, celui de la conception, celui du Nibbâna ou de l’anéantissement. » J’ai montré ailleurs combien il était difficile de traduire d’une manière uniforme, dans tous les passages où il se présente, le terme de sam̃khâra pour sam̃skâra[11]. Ici ce terme me paraît être opposé à celui de nirôdha, et celui de nirôdha à son tour est donné comme moyen de parvenir au dernier des trois, ou au Nibbâna, en sanscrit Nirvâṇa. En effet le sam̃skâra étant, dans la série des causes de l’existence individuelle, le premier terme après avidyâ ou l’ignorance, de façon que c’est du sam̃skâra que part toute l’évolution de ces causes, du moment qu’il est supprimé, ou frappé de nirôdha, le Nirvâṇa ou l’anéantissement a lieu. Et si l’on demandait pourquoi le terme de nirôdha ou la cessation est placé ici avant ce qui doit cesser, c’est-à-dire le sam̃skâra ou la conception, peut-être en trouverait-on le motif dans cette distribution particulière aux deux avant-dernières séries des termes nommés dhâtu, suivant laquelle les termes négatifs précèdent les tenues positifs. Quoi qu’il en puisse être de cette explication, le caractère général du dénominateur commun dhâtu ne peut être méconnu. On le traduira sans doute de diverses manières suivant la nature des objets auxquels on le trouve joint, tantôt par élément, tantôt par région, tantôt enfin par classe. Mais entre tous ces sens le plus général sera le meilleur ; ce sera celui qui ajoutera le moins au sens particulier des termes modifiés par dhâtu, puisqu’on pourrait énumérer ces termes en passant dhâtu sous silence, sans pour cela en altérer en rien le sens. C’est bien ce qu’entend l’auteur de l’Abhidharma kôça vyâkkyâ, quand il veut qu’on prenne dhâtu pour un synonyme de classe.

  1. Introd. à l’hist. du Budd. ind. t. I, p. 634.
  2. Voy. t. I, p. 449.
  3. Cette phrase relative à l’opinion des Tâmraparṇîyas ou Buddhistes de Ceylan, est traduite ici plus exactement que dans l’Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, p. 569, où j’ai eu occasion de l’insérer.
  4. Abhidharma kôça vyâkhyâ, fol. 28 a et suiv. de mon man.
  5. Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, t. I, p. 636.
  6. Kêvaddha sutta, dans Dîgh. nik. fol. 58 a et b.
  7. Wilson, Analyses of the Kah-gyur, dans Journ. as. Soc. of Bengal, t. I, p. 377, note ✝.
  8. Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 496 et 497.
  9. Ibid. t. I, p. 497.
  10. Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 502.
  11. Ibid. p. 503 et suiv.