Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie II/Chapitre XV

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PARTIE II.

CHAPITRE XV.

Cy dit comment le mareschal alla en Turquie devant une grosse cité que on nomme Lescandelour.

Quand le grand maistre de Rhodes fut party pour aller en Cypre, comme dict est, le bon mareschal qui estoit demeuré ne voult mie, tandis que le traicté se feroit, perdre temps ; ains pour la grande volonté qu’il avoit de nuire aux mescréans, désira employer sa gent de faire aux dicts Sarrasins aucune envahie. Si se conseilla aux chevaliers du pays et aux Genevois, en quel lieu leur sembloit plus convenable d’aller faire guerre sur les ennemis de la foy. Si luy dirent que s’il alloit en Turquie, devant un bel chastel et ville que on nomme Lescandelour, il pourroit faire celle part belle et honnorable conqueste, et aussi c’estoit son chemin en approchant vers Cypre. Adonc sans plus attendre fit ses galées ordonner. Si monta sus avec sa belle et noble compaignie de très bons gens d’armes, tous de nom et d’eslite, et très désireux de bien besongner et d’accroistre leur renommée. De Rhodes se partit en belle ordonnance. Et comme il alloit par mer, rencontrèrent une grosse nave de Sarrasins, laquelle tantost ils combatirent tant que elle fut prise, et grassement y gaignèrent. Si alla tant par plusieurs journées qu’il arriva devant Lescandelour, droict a un dimanche, à l’heure de nonne. Adonc print à adviser la dicte ville, laquelle sied en partie sus la marine, et y a une grosse tour qui garde le havre, et puis va s’estendant au hault d’une montaigne où sied au chef un fort et hault chastel qui garde la ville, laquelle est partie en deux parties, puis au bas est de l’autre costé la terre plaine venant sur la marine, où il y a moult beau pays et grands manoirs et jardinaiges. Adonc saillirent hors des nefs les bonnes gens d’armes par belle ordonnance, comme le saige mareschal leur avoit ordonné. Et quand ils eurent gaigné terre, et furent tous assemblés sur la plaine, adonc fit le mareschal plusieurs chevaliers nouveaux, dont d’aucuns me souvient des noms et non de tous. C’est à sçavoir le Barrois, le fils du seigneur de la Choletière qui nepveu estoit dudict mareschal, le seigneur de Chasteauneuf en Provence, messire Menaut Chassagnes, messire Louys de Montigian qui y mourut, et grand nombre d’autres. Et y levèrent bannières plusieurs autres vaillans chevaliers et escuyers, tous de grande volonté de bien faire. Si se trouvèrent sur ceste place huit cents chevaliers et escuyers tous duits à la guerre, et gens de grande eslite, vaillans et renommés de nom et d’armes ; et pouvoient estre en tout environ trois mille combatans, tous très ardens et courageux de faire prouesses et vaillantises, pour l’exaucement de la foy chrestienne et pour accroistre leurs renommées. Et entre eulx estoit le très vaillant mareschal comme preux chevetaine qui les mettoit en ordonnance, et par ses bons et chevaleureux enhortemens les admonestoit qu’ils se portassent comme vaillans ; car il avoit espérance en Dieu, en Nostre Dame, et en sainct George, que ils feroient bonne journée. Ha ! qu’il faisoit bel voir ceste belle compaignie, en laquelle estoient assemblées tant de bannières de renommée, c’est à sçavoir la bannière de Nostre Dame, celle du mareschal, celle du seigneur d’Acher, celle du seigneur de Chasteaumorant, celle du seigneur de Chasteaubrun nommé messire Guillaume de Nillac, la bannière du seigneur de Chasteauneuf, celle du seigneur de Puyos, et autres que nommer ne sçay !