Littératures étrangères - La vraie histoire de Goethe et Bettina

Louis Gillet
Littératures étrangères - La vraie histoire de Goethe et Bettina
Revue des Deux Mondes7e période, tome 11 (p. 443-457).
LITTÉRATURES ÉTRANGÈRES

LA VRAIE HISTOIRE
DE
GŒTHE ET BETTINA[1]

Tout le monde a lu le charmant Lundi de Sainte-Beuve sur la correspondance de Goethe et de Bettina. Ces fameuses Lettres à un enfant, publiées à Berlin en 1835, trois ans après la mort du poète, par la veuve d’Achim von Arnim, eurent aussitôt dans toute l’Europe un retentissement immense, qu’explique leur agrément, non moins que l’intérêt de la figure illustre qui venait de disparaître. C’est la première en date de ces publications qui livrent en pâture à la curiosité les dessous et les secrets de la vie des grands hommes. Le livre, traduit chez nous dès 1843, devint presque aussi populaire en France qu’en Allemagne, et n’a plus cessé de passer pour un des monuments les plus curieux de l’âge romantique.

On savait cependant, dès le temps de Bettine, que son livre était fort sujet à caution, et que beaucoup de choses devaient y être prises sous bénéfice d’inventaire. Hermann Grimm relevait dans les marges de son exemplaire des traces de ce truquage, et le critique anglais de la Quarterly Review traitait tout net ce « document » de mystification. Dès lors, une polémique interminable s’engageait sur le degré de confiance que méritent les Lettres à un enfant, et sur la part de vérité qu’elles peuvent contenir : c’est un des sujets auxquels reviennent sans cesse les critiques de Goethe. Et il en résultait que cet ouvrage, comme tous ceux de Bettine, sa Günderode ou son Ambrosia, n’était guère qu’un « roman par lettres, » où il fallait désespérer de démêler jamais la vérité de l’invention.

Mais tout cela n’a plus aucune espèce d’importance. Nous savons maintenant à quoi nous en tenir : on vient de nous donner les textes originaux. Ils étaient conservés au château de Wipersdorf (Brandebourg), dans la famille Arnim, enveloppés encore dans la même chemise de satin rose où Bettine les avait rangés lorsque, suivant les volontés de Gœthe, ses lettres lui avaient été rendues, en 1832, par le conseiller Müller. C’est ce précieux dépôt, gardé intact par ses enfants, que nous avons entre les mains, dans une édition minutieuse, qui respecte jusqu’à l’orthographe et à la ponctuation à la débandade de Bettine, et qu’éclairent en outre des notes judicieuses, jointes à cent extraits empruntés au Journal de Gœthe et aux lettres contemporaines. A présent, on peut dire que nous n’ignorons plus rien du secret de Bettine et de l’étrange roman d’où sortirent les Lettres à un enfant.

Avouons-le tout d’abord : l’éditeur a beau dire, on ne peut pas laver Bottine du reproche de supercherie. Ainsi, des trente-cinq billets qu’elle attribue à Gœthe, et qu’elle prétend que celui-ci lui aurait adressés, il faut bien reconnaître qu’elle en a supposé environ une vingtaine, et qu’il lui arrive encore de falsifier les autres. Elle n’est pas plus scrupuleuse avec ses propres lettres, qu’elle ne peut se garder de retoucher et d’embellir. Un exemple. Étant aux eaux de Schlangenbad, au mois de juillet 1808, elle écrit à Gœthe, qui faisait sa cure de Carlsbad :


La jeune princesse de Bade (Stéphanie de Beauharnais, nièce de Joséphine) se trouvait avec sa compagnie sur la terrasse inférieure et y prenait le thé. Trois cors du théâtre de Mannheim lui avaient préparé une surprise : ils se mirent à jouer dans les bois. Aussitôt j’oubliai toutes les grandeurs mondaines, je me rapprochai des instruments, je me glissai tout près, tout près, pour recevoir directement dans l’oreille et dans le cœur les éclats de cette force sonore. C’était une volupté.


C’est une impression assez insignifiante. Attendez ! Voici la version de 1833, « revue et augmentée : »


Le bavardage des Français se tut. J’entendis près de moi quelqu’un s’écrier à plusieurs reprises : Délicieux ! Je me tournai vers la voix ; c’était celle d’un bel homme : sa tournure était noble, son visage spirituel ; il n’était plus jeune, et il était décoré de rubans et de plaques. Il se mil à causer avec moi et s’assit à mes côtés. Comme je suis habituée à être prise pour un enfant, je ne m’étonnai pas quand l’inconnu m’appela ainsi. Il prit ma main et demanda qui m’avait donné cette bague. Je répondis que c’était Gœthe. Comment Gœthe ? Je le connais. Alors il me raconta qu’après la bataille d’Iéna il avait passé plusieurs jours chez toi, et que tu avais coupé un bouton de son uniforme pour le conserver dans ta collection de médailles. Je lui dis que toi, en me donnant celle bague, tu m’avais bien priée de ne pas l’oublier. — Et cela vous a remué le cœur ? — Aussi tendrement et aussi passionnément que les sons qui se font entendre là haut. — Et vous n’avez réellement que treize ans ? Tu dois savoir qui c’est : je ne lui ai pas demandé son nom.


Voilà du Bettine tout pur, du Bettine à dormir debout. Il fallait bien que Bettine eût vu Napoléon ! Quant à l’âge, en 1808, elle avait, ne lui en déplaise, vingt-trois ans bien sonnés. Hormis la bague, cette bague qu’elle venait justement de donner à son ami Puckler-Muskau il ne reste rien de ce tissu de fables : tout est pure mythomanie. On comprend que ce soit assez pour faire des Lettres à un enfant un livre des plus suspects et des plus déconsidérés, et que l’auteur ait mérité de passer pour une petite cousine du baron du Munchhausen et de M. de Crac.

Il n’est pas jusqu’à la scène fameuse de la première rencontre avec Gœthe, cette scène à la fois comique et solennelle, d’un goût si allemand, il n’est pas jusqu’à cet épisode célèbre et caractéristique qui, dans la réalité, ne paraisse s’être passé d’une manière toute différente. On se rappelle le tableau : l’apparition du maître, la petite interdite, les premières paroles de Gœthe : « Je vous ai fait peur, mon enfant ? » Puis Bettine sautant tout à coup sur les genoux du poète et y tombant endormie de fatigue et d’extase. Dans sa première lettre à Arnim, la jeune fille raconte les choses plus simplement :


J’ai beaucoup parlé de vous avec Gœthe : il vous aime et comprend très bien que je vous aime. Ce qui m’étonne, c’est de m’être sentie si à l’aise, toute seule avec lui, que je m’appuyai à son épaule et que je m’y suis presque endormie, le monde autour de moi me paraissait si calme ! Il ne s’est pas fâché et n’a pas retiré l’épaule ; le peu de mots qu’il m’a dits est un si grand honneur pour moi ! Il m’a passé une bague au doigt de la main droite : c’est une intaille qui représente une petite figure qui se coiffe.


Mais il ne faudrait pas que les fantaisies de Bettine nous empêchassent de distinguer le prix singulier de son livre ; ou plutôt, puisque nous pouvons comparer les deux textes, il ne faudrait pas que les impostures de la seconde Bettine nous fissent oublier le charme de la première. Ce charme est demeuré assez fort pour enchanter encore, à travers les mensonges des Lettres à un enfant ; il n’a pas cessé de recruter à cette enjôleuse des défenseurs, empressés à trouver des excuses à ses improbités les plus inexcusables, comme il est arrivé à certaines condamnées célèbres, qui ont toujours réussi à persuader les gens par on ne sait quel air touchant d’ingénuité. Et puisque nous avons tous les éléments de la cause, examinons, à la lumière des documents nouveaux, le cas de Bettine von Arnim.


Il y avait à Francfort, vers 1770, dans un triste coin de la Sandgasse, un commerçant italien du nom de Pier’Antonio Brentano. C’était un de ces négociants comme il y en a partout, qui vendait des primeurs et des produits de son pays ; riche, dur, autoritaire, avare et magnifique, ayant terrorisé deux femmes, dont il avait eu toute une marmaille d’enfants. Chacun, dans cette république, avait son grain de folie : c’était même à Francfort une manière de proverbe, que « là où la folie finit chez tout le monde, chez les Brentano elle ne faisait que commencer. » En effet, c’est de cette même boutique de la Tête d’or, que devaient sortir deux des phénomènes les plus extraordinaires de la littérature allemande, la susdite Bettine et son frère Clément, le délicieux lyrique qui allait un beau jour s’enfermer pour quatre ans avec une stigmatisée, et stupéfier l’Europe, en plein XIXe siècle, et cinquante ans après Voltaire, par les visions de Catherine Emmerich.

Il ne faut jamais oublier que cette Allemande est à moitié Italienne (Bettina, c’est la forme italienne d’Elisabeth, mais notre héroïne n’a jamais écrit et signé que Bettine, et nous lui conservons ce joli nom). Elle est donc quelque chose comme un génie hybride, un capricieux lutin, un petit météore, un rayon de soleil du Midi égaré dans les brumes d’un ciel cimmérien. Une brunette, toute petite, l’air d’une bohémienne, avec de beaux yeux noirs, ardents et caressants dans des traits en désordre, sous une tignasse ébouriffée. Des façons de garçon, une espèce de diable au corps, toujours des couleurs vives, des robes rouges, vertes, une mobilité de flamme. Le jour où elle lut Wilhelm Meister, tout de suite elle trouva son type : Mignon ! Ajoutez, chose capitale, une culture catholique. Au couvent de Fritzlar, où elle avait été élevée, c’est elle qui fait le sacristain, prend soin des linges, du ciboire. Elle s’accoutume ainsi au service du sanctuaire. Elle conservera le goût de l’oratoire, toujours se croira née pour le tabernacle et choisie pour l’autel. Pas pieuse du tout, avec cela, une véritable petite païenne, une perpétuelle ivresse de bacchante ou de Ménade, paradoxalement dépaysée dans la poésie germanique, et qui ferait déjà songer à l’auteur du Cœur innombrable et du Visage émerveillé.

Telle était l’étrange petite fille, le bizarre brugnon sauvage, que le ciel mûrissait pour l’auteur des Affinités électives. Mais ce n’est que la moitié de cette prédestination. Je n’ai dit que le côté paternel, excentrique. La mère de Bettine était cette Maximiliane de Laroche qui, jeune fille au temps des vingt-cinq ans du poète, avait été longtemps une de ses adorations, — son « Euphrosyne, » disait-il : il y a un peu d’elle dans la Charlotte de Werther. Ainsi l’image du grand homme était un souvenir de famille : Bettine trouvait ce songe dans l’héritage de sa mère. Toute jeune, précoce orpheline, les premières pages de Goethe qui lui tombèrent sous les yeux, c’étaient ses lettres, toutes remplies de l’inoubliable Maxe. Bientôt, elle lut ses livres, elle dévora Wilhelm Meister. Un beau jour, enfin, elle entra chez la mère du poète : n’était-ce pas se rapprocher de lui ? C’était l’année d’Iéna, au début de l’été de 1806. La vieille dame s’éprit aussitôt de la jeune fille : parler de son fils, c’était trouver le chemin de son cœur. Et tous les jours, pendant plus d’un an, la petite Brentano prenait le chemin de la belle maison de la Fosse-aux-Cerfs où continuait de vivre Madame la Conseillère ; elle prenait sa place à ses pieds, sur le même tabouret où le poète enfant avait coutume de s’asseoir, et elle disait : « Frau Rath, encore une histoire de Wolfgang ! » Elle prit l’habitude d’apporter un gros livre qui lui servait de pupitre et, sans quitter sa place favorite, tandis que la mémoire des choses passées abondait comme une neige sur les lèvres maternelles, la jeune fille écrivait rapidement sur ses genoux. C’était toujours l’histoire des « enfances » du poète, sa beauté, les prodiges de sa naissance et de sa jeunesse, l’éclat qui environnait cette adolescence divine, ses premières amourettes, comme il patinait bien, comme il faisait le feu follet dans la prairie du Mein, et toutes les anecdotes de ces Evangelia juventutis, qui sont la gloire ineffaçable des premiers chapitres de cette vie immortelle. Et rien n’est plus touchant, dans le roman, de Bettine, que le tableau de ces deux femmes, l’une si jeune, l’autre si près de la tombe, unies toutes deux par le même culte, l’aïeule rajeunie par le contact de l’enfant, et l’enfant instruit à l’amour par les récits de l’aïeule.

Enfin, elle parvint à couronner son rêve : au retour d’un voyage à Berlin, où elle accompagna un de ses beaux-frères, travestie en garçon sur le siège de la voiture pour traverser les lignes, une toque de renard sur la tête, une latte au côté, un pistolet à la ceinture, — le joli petit postillon qu’elle devait faire ainsi, animée par l’éclat d’une prodigieuse attente ! — elle vit Goethe, elle fut reçue avec bonté par son idole. C’était à Weimar, le 23 avril 1807. Elle le revit à l’automne, où elle demeura à Weimar pendant une dizaine de jours. Trois ans plus tard, ils se retrouvent ensemble à Teplitz, près de Carlsbad, du 9 au 11 août 1810. L’année suivante, Bettine. nouvellement mariée, reparait à Weimar, en compagnie d’Arnim. On verra ce qui devait résulter de ce voyage.

C’est pendant ces quatre ans, de 1807 à 1811, que tient toute la correspondance de Gœthe et de Bettine. A partir de 1811, le poète n’a plus écrit, et Bettine elle-même n’a pas osé lui attribuer une ligne postérieure à cette date. A prendre cette amitié singulière dans son beau temps, à lire dans leur suite les lettres qui nous en restent, et à les lire, bien entendu, dans le texte authentique qui vient de nous être rendu, que voyons-nous ?

Du côté de Bettine, c’est le plus gracieux élan de jeune fille, une exaltation de pensionnaire, pleine de timidité, de coquetterie, d’abandon, de familiarité, quelque chose d’irisé, d’indécis comme un songe, bref, un charmant marivaudage et le plus joli jeu du monde. Quelle aimable idylle que ces lettres ! Mais quel méchant génie devait pousser la malheureuse à les gâter sans remède, sous prétexte de les corriger ? Elle est humble, elle est douce, modeste, insinuante ; elle lâche à gagner les bonnes grâces de toute la maison : elle fait de petits cadeaux à Christiane (la femme de Gœthe) et à son secrétaire Riemer. Elle, qui n’est pas très forte sur les ouvrages d’aiguille, elle fait pour la Frau Geheimrath une veste de tricot. Autant de façons de penser à lui, autant de prétextes de lui écrire et de l’occuper d’elle-même. Car elle sait bien qu’elle a peu de chose à lui offrir, et qu’une gamine de son espèce est bien osée d’attendre un regard du premier poète de l’Europe. Elle s’excuse gentiment : « La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a... Un chien regarde bien un évêque... » Comme elle n’a pas grand chose à dire, elle s’ingénie à trouver des sujets dignes d’intéresser son grand homme : elle lui envoie des brochures juives, des programmes d’éducation. Surtout, elle se rattrape sur le paysage : quel aubaine qu’un voyage dans le Harz ou aux bords du Rhin, à Salzbourg, à Munich, à Vienne ! A chaque étape, elle voit du monde, elle informe son ami des nouvelles de Tieck, de Mme de Staël, de Jacobi, de Rumohr ; elle lui envoie des gravures, fait copier à son intention le portrait de Dürer ; tantôt c’est la « première » de la Médée de Cherubini, tantôt l’Iphigénie de Glück à l’Opéra de Berlin ; une autre fois, elle a découvert de la musique à quatre voix et fait tenir à Gœthe les Psaumes de Marcello ; à Vienne, elle va voir Beethoven. En un mot, elle se met en quatre pour se rendre nécessaire, se rabattant, quand les sujets manquent, sur une promenade, une rêverie, un coucher de soleil, — la nature est si complaisante ! — et c’est une succession de nocturnes, de sérénades, des élégies en prose d’une beauté souvent merveilleuse, presque égales à ce que le Lied a produit de plus parfait, le tout jeté au galop et à bride abattue, sans un point, sans une virgule, dans une sorte de torrent lyrique, toujours pressé d’en revenir à la même conclusion, et où chaque page s’achève par un hymne d’amour.

Tout cela est charmant. Mais il y a une question qu’on ne peut pas s’empêcher de faire. A l’époque de ces lettres, Bettine avait vingt-deux ans, et Gœthe cinquante-huit. Sans doute, rien n’est plus commun que ces passions de fillettes qui se montent la tête pour un professeur, un comédien, un ténor, un prédicateur. C’est l’aventure la plus banale. Gœthe, d’ailleurs, à soixante ans, était encore magnifique ; bien loin d’évoquer l’idée d’un vieillard, c’est alors, au contraire, qu’il donna la vraie impression de l’olympien et de l’immortel. Et cependant, quand on y songe, on a peine à se définir la nature du sentiment qui jette la jeune folle à la tête de ce sexagénaire. C’est de l’amour, évidemment, et pourtant on hésite à la prendre pour une amoureuse. Notez que, tout le temps de sa passion pour Gœthe, elle se laisse faire la cour par ce beau garçon d’Arnim, dont elle sera bientôt la fiancée officielle : ce second roman se continue parallèlement au premier. C’est le solide. Elle sait d’ailleurs que Gœthe est marié, et qu’il n’y a rien à faire de sérieux de ce côté ; c’est du reste une honnête fille : elle n’a sûrement pas eu un seul instant l’idée d’une liaison, ou même d’un caprice un peu vif et poussé à fond de la part du poète. Tout le monde enfin, son frère, Arnim, est dans le secret de l’affaire, et personne ne paraît s’en être inquiété un moment. Elle-même voit fort bien Gœthe tel qu’il est : « Il a pris du ventre et il a double menton. » Alors, on ne comprend plus. Sait-elle bien elle-même où elle veut en venir ? Où cela mène-t-il ? Qu’est-ce que cette passionnette, dont on ne voit pas le résultat ? Qu’est-ce que cette ébullition, cette vapeur du cerveau, qui n’intéresse ni la chair ni le sang, qu’est-ce que cette ardeur qui ne sort pas des entrailles, et qui pourtant a l’air de parler comme l’amour ?

Elle écrit quelque part à Gœthe : « Dans ses lettres, ta mère met plus d’esprit, et moi plus de cœur, ou plutôt plus de mon foie, » ajoute-t-elle en se ravisant, c’est-à-dire plus d’elle-même et de sa personne intime : une curieuse petite personne, de plus d’imagination que de tempérament. Amour de tête, en un mot, pure exaltation de la cervelle, qui ébranle à son tour la sensibilité : c’est cette excitation qui la met en état de lyrisme, en état de grâce littéraire. Pas le plus petit mot pour la guenille et la sensualité. Et cependant, on pourrait quelquefois s’y tromper, tant l’imitation est exacte, et tant la littérature « joue » la réalité. Enfilades de mots extatiques : « Votre enfant, ton cœur, ta bonne fille, qui aime tant son Gœthe, qui l’aime par-dessus tout, et dont le souvenir la console de tout, » — chapelets d’exclamations adorantes, kyrielles de litanies amoureuses : « Toi, le seul beau, le seul bon, incompréhensiblement aimable, souverainement attrayant et qui pourtant délivres, qui gardes précieusement l’amour et pourtant le possèdes seul dans sa plénitude, à la fois avare et royalement prodigue, dont un seul regard réjouit, console, et répand le bonheur. » Ou encore : « Ton vêtement m’est plus précieux que tout le reste de l’humanité ; je baiserais une à une les marches de ton escalier... » « Je me battrais pour toi comme une lionne, je mordrais, je serais capable de prendre le monde en grippe, et de l’adorer ensuite, si tu me disais de l’aimer. » Elle devient brave pour son ami, elle escalade des tours en ruines en son honneur, elle risque de se rompre le cou, simplement pour attirer un moment son attention. Elle le traite comme un Dieu : « Je crois en toi, je mourrai dans cette foi, et cette foi est la vérité, et cette vérité est mon salut... » Par moments, elle voudrait s’anéantir en lui, et atteint à des expressions d’un quiétisme éperdu. Gœthe lui écrit qu’on a bu chez lui à sa santé : « Ah ! bois, n’en laisse pas une goutte ! Que ne puis-je m’engloutir en toi, et que tu le sentisses avec plaisir ! » Et ailleurs : « Je me blottis dans ton cœur, j’y ai fait mon berceau, et qui m’arrachera de là — soit la mort, soit la vie, — t’arrachera ton enfant. Je voudrais n’avoir qu’un oreiller avec toi (ne le dis pas !) mais un oreiller dur, pour pouvoir y dormir à ton côté (ne le dis pas !) et goûter près de toi le plus profond repos... »

Et Gœthe ? Gœthe reste poli et extrêmement froid. Non pas qu’il fût devenu sage ou crût passé l’âge d’aimer. On se tromperait beaucoup sur la vieillesse de Gœthe, si l’on s’imaginait que son calme apparent recouvrît un cœur éteint. Jusqu’à son dernier jour, cette âme ardente fut sensible à la beauté. L’ancienne flamme se ravivait et jaillissait de la glace des ans, avec la fougue et la folie qui nous étonnent dans la passion de Chateaubriand pour son Occitanienne. Il y a dans ces natures puissantes une vigueur de santé, des ressources et des retours incroyables de jeunesse. Le poète du Divan allait bientôt le faire voir.

La vérité est que tout simplement la petite ne l’émut pas. Le premier jour où il la vit, le soir de ce 23 avril qui devait être pour Bettine la grande date de sa vie, et qui avait de quoi le toucher en lui représentant le souvenir de sa chère Maxe, il note laconiquement dans son carnet : « Mamsell Brentano. » C’est tout. Un mois plus tard, après la première lettre de Bettine, il écrit à Christiane : « Cette lettre lui a fait autant de tort dans mon esprit, que tes réflexions et celles de Riemer. » Elle avait déplu. Cela s’explique : elle avait paru exagérée. Par toute sa nature, par ses relations, par les côtés brillants et faux de son esprit, c’était une romantique, et Goethe, à ce moment, cachait de moins en moins son antipathie pour cette école. Et puis, elle portait des lunettes !

Sans doute, il était trop curieux de toutes choses pour écarter le spectacle de cette jeune ferveur qui s’offrait à lui, si étrange et si séduisante. Il avait le cœur libre : il accepta le divertissement. L’homme se laissa faire et l’artiste y trouva son compte. En effet, la jeune fille lui fournissait des thèmes, une matière poétique qu’il s’amusait à mettre en vers : c’étaient des expressions vives, de ces sentiments immédiats et qui ne s’inventent pas. Le poète les monte en bijoux dans ses rimes. « Envoyez-moi, lui écrit-il, quelque chose à traduire. » De là cinq ou six des beaux sonnets, qui parurent en 1815 dans le deuxième volume de ses Œuvres. Il utilise la jeune fille sans y mettre du sien, comme un peintre fait une étude d’après le modèle vivant. Le cœur n’est pas de la partie.

Certes, il n’a pas la cruauté de repousser Bettine ; il lui demande de petits services, des tracts israélites ; il lui adresse son (ils en l’envoyant à Heidelberg ; et surtout il la prie d’écrire ce qu’elle a retenu des récits de sa mère, pour s’en servir dans ses Mémoires : c’est à quoi nous devons les trente pages sur l’enfance de Gœthe, qui sauveraient le nom de Bettine, et qui seront toujours le complément indispensable des premiers épisodes de Poésie et Vérité. Mais il lui écrit peu ; il reste des six mois sans répondre, et ne répond que de courts billets. Bettine lui dit tu presque dès le début, et lui, qui pourrait être son grand père, conserve plus d’un an le vous de cérémonie. Pas une fois il ne fait mine de répondre à ses baisers. Lui qui trouvait si triste le mariage d’une jeune fille, et qui n’y assistait jamais, il presse tout le temps Bettine de se marier. « Dépêche-toi donc de me rendre parrain ! » Il pensait apparemment que le mariage la calmerait, et en cela, il se trompait.

Il y a entre eux dès l’origine une différence de température. Au fond, avec tout son talent, Bettine n’a pas su voir la seule chose importante : c’est qu’elle n’avait rien de ce que le poète cherchait dans une femme. C’est l’erreur des femmes d’esprit, de se figurer que leur esprit les rendra plus aimables et que cette supériorité leur est comptée pour un avantage. Il faut avouer que les femmes n’ont pas cette injustice ; on en voit, et Bettine nous en est un exemple, pour qui le génie n’est pas un obstacle à l’amour. Pour Gœthe, qu’est-ce qu’une Bettine ? Un gentil monstre, un objet de curiosité. Approchez, filles de Goethe, raisonnable Charlotte, trop tendre Marguerite, et vous, sublime Claire, faible et douce Marianne, vous, sombre Aurélia, toi-même, folle et légère Philine : vous êtes la sagesse, quelquefois l’héroïsme, souvent l’égarement, la faute, mais vous êtes toujours le dévouement et la beauté. Pas une d’entre vous n’est une « intellectuelle. » Vous êtes le sentiment qui baigne l’existence, comme l’atmosphère éclaire et enveloppe le paysage. Si Bettine avait su ! Elle n’avait pas le dos tourné depuis quinze jours, en novembre 1807, que Goethe s’amourachait d’une autre : et ce que n’avait pu tout le mérite de Bettine, celle-là l’obtenait sans peine, et le cœur du poète se mettait à chanter pour les beaux yeux de Minna Herzlieb, dont personne n’a jamais ouï dire qu’elle eût ambitionné un nom dans la littérature, ni qu’elle eût pour elle autre chose que ses dix-huit ans et l’ombre de ses longs cils flottant sur ses joues rondes. C’est ce contraste piquant que le poète développe dans son subtil roman des Affinités électives : ah ! si Bettine avait su lire ! Elle se fût reconnue dans l’insupportable Luciane, tandis que toutes les complaisances de l’auteur vont à la douce figure de la simple Ottilie.

Bettine ne comprit pas. A peine mariée, elle n’eut rien de plus pressé que de s’annoncer à Weimar et d’y reparaître en triomphe. On avait loué une chambre en ville, pris des arrangements pour un mois. Tout alla d’abord le mieux du monde. On dînait tous les jour§ chez Gœthe, on était présenté à la Cour, Mme von Arnim étincelait, elle divertissait tout le monde par sa manière de raconter des histoires impayables, bref, elle avait de quoi s’applaudir de son succès. Et pourtant, ce succès hâtait la catastrophe. On sait ce qu’avait été le mariage de Gœthe, cette vieille liaison qu’il avait mis vingt ans à régulariser, et qui, dans la société très gourmée de Weimar, constituait le scandale de sa conduite privée. Christiane était « peuple ; » elle avait été belle (voyez les Élégies romaines), et elle avait du cœur (c’est la Claire d’Egmont.) Elle était maintenant alourdie, épaissie ; elle suait la vulgarité. Elle souffrait avec une irritation croissante les agaceries de sa rivale, sa gaieté, ses rires, ses singeries ; elle se hérissait en la voyant, roulée aux pieds de Gœthe, se pâmer la tête sur ses genoux. Le vieux général Gneisenau, en l’honneur de qui Bettine crut devoir rééditer cette comédie, en demeura interloqué. Christiane n’avait pas le sang- froid de ce militaire. L’orage menaçait : il éclata pour une cause futile. On s’était rendu un matin à l’exposition ; les dames étaient fort gaies. Une remarque mordante de Bettine sur un tableau du Hofrath Meyer, bien voulu de Mme la Conseillère Intime, amena une réplique assez sèche. La jeune femme riposta ; elle était énervée, enceinte de six mois ; elle perdit toute mesure, au point de traiter la Gœthe de « boudin enragé. » Le boudin enragé sauta au visage de l’insolente et lui arracha ses lunettes. Bettine s’évanouit, et Christiane offensée se retira en consignant sa porte. Gœthe prit le parti de sa femme et demeura inflexible.

Après cet éclat burlesque, il n’y avait plus de relations possibles. Gœthe ne fut sans doute pas fâché d’avoir une raison de liquider un malentendu qui n’avait que trop duré. Toutes les tentatives de raccommodement échouèrent, même après la mort de Christiane, arrivée en 1816. L’éternel amoureux soupirait alors pour Marianne de Willemer ou pour Utrique von Levetzow. Il se souciait bien de Bettine ! Celle-ci se consolait de son côté avec un lieutenant de la Garde, le beau von Wildermuth. Elle n’en conservait pas moins le regret cuisant du Paradis. Rien ne lui coûta pour y rentrer. Elle écrivit : pas de réponse. Elle se présenta et ne fut pas reçue. Enfin, en 1824, une occasion de paix se présenta. La ville de Francfort vota une statue à son illustre enfant. L’excellent sculpteur Christian Rauch fit un projet qui eut le malheur de ne pas plaire à Bettine. Celle-ci, qui avait de grandes prétentions artistiques, en esquissa un autre qu’elle envoya à Gœthe « comme compatriote, » et pour lui montrer de quoi est capable « la pure intuition, sans le secours du métier » (toujours la marotte romantique). Le poète se laissa toucher par cet hommage. Il eut la faiblesse d’approuver ce médiocre dessin et de recevoir Bettine en grâce.

Ils se revirent encore en 1826. Les beaux jours paraissaient revenus. Au mois d’août 1830, elle reparut à Weimar : mais elle avait eu l’imprudence de faire sur la belle-fille de Gœthe on ne sait quel mot désobligeant, qui était revenu aux oreilles du poète. Elle trouva moyen en outre d’abuser de son nom auprès du souverain. C’en était trop. Gœthe écrivit ses excuses au prince. On a le brouillon. Il est très dur. « Cette teigne est un legs de ma mère, qui m’est incommode à moi-même depuis de longues années. Elle joue l’étourdie, rôle qui lui allait du moins dans sa jeunesse ; elle se prend pour un rossignol et ce n’est qu’un serin. » Pourtant, la colère tombée, il revint à un jugement moins sévère. La dernière personne qu’il reçut, quelques jours avant sa mort, fut le fils de Bettine.


Telle est la véritable histoire de cette amitié célèbre, telle que nous la racontent les textes authentiques. On a vu que le poète avait ordonné de rendre ses lettres à l’auteur. Mais pendant ces vingt ans d’exil et de disgrâce, cette histoire avait pris, dans l’imagination de Bettine, un tour inattendu. Les choses n’étaient plus ce qu’elle avaient été. Bettine leur substituait ce qui aurait dû être. Au lieu de la passionnette de petite pensionnaire, tolérée par bonté, et mendiant un regard ou un mot, Bettine devient l’unique amie, la Muse du grand homme ; elle règne sur son cœur, lui dicte ses plus beaux vers, les chants de Suleïka, elle est en un mot la figure de son « Eternel Féminin : » elle est la Grecque qui donnait des leçons d’amour à Socrate et lui enseignait la musique.

Il s’en fallait de beaucoup, et l’on devine sans peine ce qu’une pareille image suppose de « retouches » au tableau. Encore pourrait-on excuser ce mirage. Mais Bettine ne s’est pas arrêtée en si beau chemin. Elle ne se contente pas de broder et de « donner de l’air à son imagination. » Il ne lui suffit pas de forger de véritables faux, et de se faire décerner par Goethe des louanges invraisemblables, dont il est impossible de ne pas sentir la bouffonnerie. Elle fait pis. Dans ces interminables amplifications, qu’elle ajoute à son premier texte, et qui arrivent, en le défigurant, à en tripler le volume, on sent se développer une implacable haine. Pas une de ces additions, en apparence inoffensives, qui ne respire une profonde et sourde malveillance. Il s’était accumulé dans l’âme ulcérée de Bettine vingt ans de jalousie et d’humiliations, de rancunes, de vanité blessée, de souffrance et d’affronts dévorés en silence. La poche de fiel se vide. C’est un chef-d’œuvre de perfidie. Tout ce qu’on peut trouver de plus venimeux sur Gœthe, sur sa sécheresse, son égoïsme, son obséquiosité et sa lâcheté envers les grands, tous les reproches les plus cruels qu’on puisse faire à son caractère, se trouvent entre les lignes des Lettres d’un enfant. C’est là qu’on lit le mot terrible, le courant d’air qui lui venait du côté de sa mère. On se demande ce que viennent faire, dans les lettres datées de Munich, les déclamations sur Andréas Hofer et la révolte du Tyrol, dont il n’y a pas un traître mot dans le texte de 1810 : on ne s’explique pas d’abord le sens de cette « tyrolienne ; » on comprend à la réflexion que ce patriotisme tout neuf est là pour faire honte au cosmopolitisme de Gœthe, et pour punir l’ « Européen » et le mauvais Allemand, comme on réprouve le fils sans cœur.

Il y a enfin dans les Lettres à un enfant un effroyable galimatias sur le génie de la musique et d’apocalyptiques discours de Beethoven, qui paraissent d’ailleurs entièrement apocryphes. Ces dissertations confuses sur l’instinct, sur l’inconscient, sur le caractère électrique et foudroyant de l’intuition, sur la divinité de l’art et l’ivresse du génie, sont un amphigouri qu’on est tenté d’abord de mettre simplement sur le compte du romantisme. Goethe, en 1830, n’était plus un génie assez « démoniaque. » Mais on s’aperçoit bientôt que tout ce pathos n’a d’autre objet que de grandir Beethoven aux dépens de Gœthe, et de montrer en lui le vrai héros Allemand. Le tout mêlé d’effusions, de baisers, de protestations. Ah ! Bettine s’est bien vengée.

Et cela se comprend encore : que l’amour se tourne en haine, c’est tout simple. Ce qui est odieux, c’est l’étalage continuel de supériorité, c’est le souci de jouer un rôle et d’avoir le beau rôle, de vouloir être Velléda, Diotime, Mignon, Psyché, que sais-je encore ? de se mettre en vedette et, quand on est Bettine, de vouloir se jucher sur Goethe comme sur un piédestal. Elle était la petite fille qui avait entendu les récits de la mère du poète : c’était assez. Cette part ne lui a pas suffi : elle a eu la manie d’éblouir et de se faire admirer. Au milieu de ses trilles et de ses vocalises, parmi les arabesques exquises de sa voix, on sent qu’elle dit à Gœthe : « Et voilà ce que tu dédaignes ! » Au fond, elle ne pense qu’à elle-même. Dans toutes ses lettres passionnées, dans ce cliquetis de mots, d’images, de roulades, il n’y a pas un atome de tendresse et pas un sentiment digne du nom d’amour. Elle l’a avoué un jour dans son Ambrossa, qui est, comme on sait, un « arrangement » de ses lettres à son amant le poète Nathusius : « Si j’ai fait sonner aux oreilles de Gœthe tout l’enchantement de mes mélodies amoureuses, c’est qu’il m’inspirait, et non pas que je fasse réellement éprise. »

Et elle le dit à Gœthe lui-même, en lui parlant de son « moi » d’avant lai : « J’étais une mélodie qui cherchait des paroles. » Gœthe, pour elle, c’est un sujet, un thème littéraire !


Un soir, — écrit-elle à Jacobi, après un violent dépit qu’elle avait éprouvé à Weimar dans les premiers temps de son amour, — j’entendis de la musique dans la rue ; je me mis à la fenêtre ; ma douleur parvint à son comble, je luttais en vain contre les larmes. Je me dirigeai vers la glace : un douloureux fantôme, presque immatériel, m’apparut. Je jetai sur le spectre un regard de compassion ; il me rendit mon regard. Ce regard me pénétra : j’appuyai mes lèvres brûlantes sur le miroir glacé, et baisai ardemment mon image. Soudain, les vers du monologue d’Iphigénie : « Bois sublimes, me voici sous vos ombres sacrées... » me revinrent en mémoire. Je me mis à déclamer tout le morceau avec chaleur ; mon enthousiasme se ranima, un torrent de vie m’inonda la poitrine ; je m’agenouillai, en priant Dieu de m’épargner le retour d’une pareille épreuve, et je dormis le reste de la nuit mieux qu’à mon ordinaire.


Cette amoureuse d’elle-même, ce Narcisse femelle, c’est tout Bettine : est-ce là aimer ?

Aussi, parmi les femmes de Gœthe, dans ce cortège féminin qui accompagne la vie du poète, la mieux douée sans doute est Bettine Brentano, et pourtant, elle n’a pas sa place dans leur troupe. On ne rencontre pas son ombre sous les myrtes, où errent tant de doux fantômes, Lotte, Maxe, Lilli, Frédérique, Minna, Marianne, Utrique. La sienne flotte à l’écart, anxieuse entre le dépit et la vengeance, et l’on se répète, en la voyant, le verset du mystique : amer dulcis est et patiens et humilis. Nous devons à cette orgueilleuse le funeste présent de ces livres qui cherchent à se nourrir de la gloire des grands hommes. Combien de ses imitateurs n’ont pas eu son talent, ni ce qui fait l’intérêt étrange du « cas Bettine ! » Et combien, en livrant leurs confidences à la postérité, avaient au moins l’excuse de pouvoir dire comme elle : « C’est peu de chose, mais c’est unique ! »


LOUIS GILLET.

  1. Bettinas Briefwechsel mit Gœthe, auf Grund ihres handschriftlichen Nachlasses, zum ersten Mal hgg. von Reinhold Steig, 1 vol. in-8, avec un portrait en couleurs et cinq fac-similé de dessins et d’autographes, Leipzig, Insel-Verlag, 1922.