Littérature contemporaine - Les poètes et le public

Littérature contemporaine - Les poètes et le public
Revue des Deux Mondes, période initialetome 18 (p. 714-726).

LITTERATURE CONTEMPORAINE




LES POETES ET LE PUBLIC.




Galerie des Poètes vivans, par M. Auguste Desplaces.


Allons, décidément on nous trompait… Que nous dit-on tous les jours ? « La poésie est morte en France ; l’industrie l’a tuée ; l’amour de l’idéal a fait place à l’amour du gain, etc. » Pure calomnie ! Voici un critique, poète lui-même, qui s’est chargé de faire le dénombrement de nos poètes ; eh bien ! il n’en compte pas moins de dix-sept ; — dix-sept, auxquels il consacre un portrait, sans compter un fort bel assortiment de poètes naissans ou inférieurs auxquels il accorde un médaillon. C’est déjà fort bien ; mais voici qui est mieux encore : quand M. Desplaces nous a bien promenés devant ces portraits ou médaillons, et qu’arrivés au bout de la galerie nous croyons avoir épuisé nos richesses, il nous surprend bien agréablement en s’écriant, comme don Rur : J’en passe, et des meilleurs ! Voilà qui est tout-à-fait rassurant !

Quelques-uns de ces portraits sont sans doute un peu flattés, mais pas autant qu’on pourrait le croire. M. Desplaces mêle à propos le blâme à l’éloge ; seulement il blâme à regret, et loue avec plaisir ; c’est une excellente disposition. Peut-être y a-t-il beaucoup plus de vérité dans cet optimisme que dans les interminables jérémiades, les De profundis littéraires dont on nous régale tous les jours ; peut-être jamais la poésie n’a-t-elle été plus cultivée qu’aujourd’hui et avec plus de succès. Bien des gens n’en conviendront pas : j’avoue qu’il est infiniment désagréable d’avoir à rendre justice à ses contemporains ; mais enfin, si ceux-ci ne méritaient pas nos dédains, il faudrait bien s’y résigner. Je n’y verrais d’inconvénient que pour ceux dont le goût est le dégoût, et qui, de ce dégoût, se sont fait un métier, un gagne-pain. Ces gens-là auront bien de la peine à démordre de leur opinion. Mme de Sévigné nous raconte que, quand une fois Mme de Grignan avait condamné un malade de ses amis et qu’elle s’était arrangée pour qu’il ne réchappât point, rien ne l’affligeait comme la nouvelle de la guérison. « Elle demandoit alors ce qu’on vouloit qu’elle fît de ses réflexions, et disoit qu’on venoit lui déranger ses pensées. » - Il y a de nos jours pas mal de gens qui ressemblent en ce point à Mme de Grignan. Si l’on pouvait leur prouver que la poésie n’est pas morte en France, que feraient-ils de leurs réflexions ? La perte assurément serait grande ; il est vrai qu’ils ne sont guère exposés à un tel péril. Marquez-leur du doigt tel ou tel passage charmant d’un moderne, ils auront toujours une ressource, c’est de détourner les yeux et de regarder ailleurs. Condamnant toujours et ne lisant jamais, ces messieurs ont vraiment beau jeu contre leurs adversaires. Vous aurez beau faire, vous n’ébranlerez pas leur opinion ; ils se sont retranchés dans leur indifférence et leur, dédain, comme dans un fort inattaquable, et bien naïf serait celui qui se flatterait de les y forcer. Notre siècle n’aura pas leur suffrage ; il faut qu’il s’en passe. Qu’ils soient donc dans la littérature, comme les jésuites dans l’église, sint ut sunt, qu’ils restent ce qu’ils sont, — aut non sint, ce qui serait peut-être encore mieux.

Heureusement aussi il y a des gens qui aiment réellement la poésie et lisent les poètes avant de les juger ; il y a des gens qui, loin de se réjouir s’ils trouvaient notre siècle inférieur à ceux qui l’ont précédé, s’en affligeraient sincèrement. En effet, pourquoi n’aimerait-on pas le siècle où l’on est né comme on aime son pays ? Si la France est notre patrie dans l’espace, le XIXe siècle est notre patrie dans le temps. C’est à ces juges bienveillans de décider si nos poètes sont aussi indignes d’attention que quelques-uns affectent de le dire ; peut-être, après examen, serait-on obligé de convenir que jamais siècle ne vit éclore plus de poésies élevées ou gracieuses, que jamais les poètes n’ont eu un auditoire plus éclairé et plus nombreux.

Des trois formes que la poésie peut revêtir, épique, dramatique, lyrique, une seule avait été épuisée par les deux siècles qui ont précédé le nôtre, et c’était assez pour leur gloire ; Corneille, Racine et Voltaire, Molière, Le Sage et Beaumarchais, avaient retourné le sol en tous sens[1] ; après tant de moissons fécondes, il devait se reposer. — Quant à l’épopée, nous ne savons quel peut être, chez nous son avenir, mais nous ne connaissons que trop son passé. -Restait donc la poésie lyrique. Je ne sais s’il est vrai, comme l’affirmait M. Jouffroy, que la poésie lyrique soit toute la poésie ; mais au moins est-elle l’expression de la pensée poétique la plus vive, la plus franche, la plus dégagée d’entraves. Là le poète ne disparaît plus derrière ses personnages, derrière le récit ou l’action, comme dans l’épopée ou le drame. Soit que, contemplant le monde extérieur, il chante les magnificences de la nature ou la grandeur et les misères des sociétés humaines, soit que, rentrant en lui-même, il exprime dans un langage mélodieux ses joies et ses douleurs, il ne relève que de lui-même ; cela est si vrai, qu’au temps où chaque genre était soumis à des règles, on voulait bien reconnaître que la première règle de l’ode était de n’en point avoir. La poésie lyrique est donc la poésie par excellence, et nul que je sache ne conteste à notre siècle la gloire de l’avoir portée très haut. Les détracteurs des modernes ont été obligés de céder sur ce point dans l’espérance qu’ils pourraient se dédommager sur un autre ; mais que faut-il donc pour illustrer un siècle, si cette gloire qu’on nous accorde ne suffit pas ?

Cette forme poétique a cet avantage, qu’elle met en valeur tous les talens. Jadis le pauvre poète qui arrivait dans la littérature se croyait obligé de payer sa bienvenue avec une tragédie en cinq actes ou un poème en douze chants. La charge était trop lourde, presque toujours il succombait. L’épopée et le drame demandent au poète autre chose que de l’inspiration ; il faut que cette inspiration soit soutenue et ménagée habilement ; il faut une habitude d’observation, une science des passions, souvent des connaissances positives, toujours une espèce d’adresse qui peut manquer au génie le plus riche et le plus fécond. Plusieurs se sont ainsi fourvoyés, Ducis et Joseph Chénier, par exemple. Ces hommes-là valaient mieux que leurs œuvres ; ils y ont dépensé beaucoup de vigueur, d’efforts, d’inspiration énergique ou naïve ; leurs tragédies sont oubliées, et les seules choses qu’on relise encore dans leurs œuvres, ce sont des lambeaux de poésie toute personnelle, quelques vers échappés à leur ame attendrie ou indignée, et sur lesquels ils ne fondaient pas, à coup sûr, l’espoir de leur renommée à venir ; encore ces poésies, peu connues, restent écrasées sous le fardeau de leurs drames. Le théâtre est un monstre qui a dévoré bien des poètes. Au contraire, loin d’étouffer le souffle divin, la poésie lyrique le sert et l’enhardit : elle est facile et accueillante ; toute ame qui a reçu le don sacré, à quelque dose que ce soit, est bienvenue auprès d’elle ; elle accueille le poète gracieux comme le plus fier génie, Anacréon comme Tyrtée, et chacun d’eux arrive à la gloire aussi vite et aussi bien. Cette forme lyrique, si souple et si flexible, ressemble un peu aux fameuses bottes dont parle le conte de Perrault : comme elles étaient fées, s’élargissant ou se rétrécissant, elles allaient également bien aux pieds de tous ceux qui savaient s’en servir, et, une fois chaussées, elles leur faisaient faire à tous, grands ou petits, le même chemin, sept lieues à chaque pas. Encore n’est-il pas nécessaire d’avoir répété souvent ces grandes enjambées, une fois suffit. Que le poète lyrique, si faible qu’il soit d’ordinaire, rencontre une fois une note juste, un accent vrai, et sa voix ne sera pas perdue ; qu’un jour l’inspiration descende sur lui, même pour ne plus revenir, et il laissera à l’avenir une médaille gravée à son nom. La Chute des feuilles, voilà tout ce que nous conservons de Millevoye, et cela suffit pour assurer sa mémoire ; peut-être fallait-il beaucoup plus de génie pour construire laborieusement je ne sais quelle tragédie oubliée aujourd’hui ; qu’importe ? La postérité ne tient pas compte au poète de ses efforts et de sa persévérance, mais de ce qu’il lui a laissé ; il suffit qu’il lui ait fait goûter une fois cette pleine et pure jouissance que donne le sentiment de la perfection, même dans les plus petites proportions, et le nom du poète ne périra pas. Il ne sera pas mis sur la même ligne que les plus grands poètes, mais ces vers, auxquels il doit la gloire, resteront dans tous les cœurs.

C’est pour cela, si je ne me trompe, qu’on peut sans indulgence compter aujourd’hui plus de poètes que par le passé. Jadis les plus forts, les premiers seuls arrivaient ; il n’y avait pas de second rang. Après Corneille, Racine et Voltaire, qui citerez-vous ? Il vous faudra immédiatement descendre de plusieurs degrés, jusqu’à ces poètes que personne ne lit ; mais la nouvelle forme poétique féconde les intelligences, qui jadis se fussent épuisées en de pénibles avortemens. Au-dessous de nos grands poètes, de ceux dont chacun reconnaît le génie, il en est plus d’un qui a eu son jour d’inspiration. Si l’on essayait de compter toutes les poésies gracieuses qui sont éparses çà et là dans les recueils de nos poètes, si quelqu’un s’avisait de les réunir, ne fournissant que le filet à les lier, on composerait une riche et charmante anthologie. Que quelqu’un l’essaie ; qu’il fasse au public la galanterie que M. de Montausier faisait à Julie d’Angennes : les fleurs ne lui manqueraient pas, et la moisson serait certainement plus abondante et plus belle que pour la fameuse Guirlande de Julie.

M. Desplaces, comme on l’a vu, est plein de bienveillance pour les poètes ; c’est pour les lecteurs, pour le public, qu’il réserve toutes ses sévérités. « En fait de public, dit-il, pour tout ce qui relève d’un art soigneux, d’un idéal délicat, d’une pensée fine, il n’y en a véritablement plus. Le goût des lecteurs a été, d’un bout de la France à l’autre, progressivement perverti et par les livres des cabinets de lecture et par les romans des journaux, littérature improvisée et de pacotille qui, chaque matin, infeste Paris, et que, chaque soir, on expédie par ballots en province, etc. » Voilà qui est un peu dur. L’auteur me permettra ici de ne plus être de son avis.

J’avoue que je ne comprends pas trop comment il y aurait encore des poètes, s’il n’y avait personne pour les lire et pour les goûter. La production suppose la consommation, c’est un argument que notre siècle de calcul peut comprendre parfaitement. La meilleure réponse à faire ici serait d’ouvrir le Manuel de la librairie et de compter combien les Méditations, par exemple, ont eu d’éditions en France (sans parler des contrefaçons de l’étranger). Il faudrait ensuite comparer à cet égard le temps passé au temps présent, et je crois que cette comparaison tournerait à l’honneur de nos contemporains ; car je ne suppose pas qu’aujourd’hui plus qu’autrefois on achète les livres pour ne les lire jamais.

Je crois, donc que le nombre des lecteurs sérieux, loin de diminuer, a augmenté, et il serait peut-être difficile de supposer qu’il en puisse être autrement. Le jeu des grandes passions qui décident du sort des empires, c’était là jadis le sujet ordinaire de la poésie élevée. La poésie actuelle, plus personnelle, plus familière, plus intime, doit nous toucher davantage : moins élevée à quelques égards, elle est d’un usage plus journalier. Quand l’ennui nous pèse ou que le chagrin nous pénètre, nous saisissons volontiers un de ces poètes, qui, en chantant leurs douleurs, ont préparé d’avance une consolation à nos chagrins ; les beaux vers poétisent nos propres sentimens, et, tandis qu’ils leur fournissent une harmonieuse expression, nos vulgaires chagrins se transforment, et à l’ennui brutal et grossier succède une tristesse sans amertume, une délicieuse mélancolie. Sans doute la pensée s’élève et se fortifie en lisant le Cid et Athalie ; mais elle se berce et se calme en lisant les Harmonies et les Méditations. Ces chants divins, pénétrant dans l’ame, s’identifient avec elle et deviennent le langage qui lui sert à exprimer ses tristesses et ses ennuis.

D’ailleurs, même chez les poètes inférieurs, cette poésie personnelle offre presque toujours quelque intérêt. Il faut une puissance bien rare, une imagination bien souple, pour être tour à tour Rodrigue et Chimène, Alceste et Célimène, Athalie et Petit-Jean ; mais un poète lyrique, pour être vrai et ému, n’a qu’à se laisser aller à ses impressions la conscience dicte et le poète écrit. Quand on parle de soi et de ses sensations, le sujet n’est jamais stérile ; c’est un thème que l’amour-propre trouve toujours moyen de féconder. Le poète est le héros du poème, et il faudrait qu’il fût bien froid pour ne point se passionner pour son héros. Morellet raconte qu’il trouva un jour Mme Geoffrin en tête à tête depuis une heure avec un personnage ennuyeux : « Vous devez être bien excédée, lui dit-il quand l’importun fut sorti. — Non, je l’ai fait parler de lui, et, en parlant de soi, on parle toujours avec quelque intérêt, même pour les autres. » C’est pour cela sans doute qu’il y a si peu de mémoires ennuyeux, et c’est pour la même raison qu’on est souvent étonné de surprendre dans un poète médiocre des accens vrais et pénétrans.

Il est vrai que cette poésie a bien ses inconvéniens, et les lecteurs, accusés d’indifférence pour les poètes, auraient peut-être droit de se justifier en récriminant. Cette poésie intime a ses artifices la Muse, dit-on, se présente en déshabillé, mais en déshabillé galant ; c’est-à-dire que, de toutes les toilettes, elle a choisi celle qui suppose le plus de coquetterie. Le poète nous dit souvent qu’il ne chante que pour lui, comme le rossignol dans les ténèbres ; mais, à la différence du rossignol, il sait qu’il y a une oreille ouverte pour l’entendre, ce qui altère un peu la naïveté de ses chants. D’ailleurs, les douleurs intimes, quand on en fait confidence à tout le monde, sont déjà un peu consolées, et il arrive parfois que les émotions les plus poignantes touchent médiocrement le lecteur, quand il réfléchit que le poète a eu le courage de les raconter en bons termes, et que le désespoir ne lui a pas ôté la force de surveiller l’impression de son livre et d’en préparer le succès.

 :Chi può dir com’ egli arde, è in picciol fuoco.


Le contre-coup de cette poésie factice se fait sentir dans l’existence du poète. Il faut arranger sa vie pour justifier son œuvre ; on prend un rôle, on adopte un costume, et il y a peut-être tel malheureux, naturellement gai, qui, en publiant un volume de poésies éplorées, est contraint, dans l’intérêt de sa gloire, d’avoir toujours le front triste, le sourire amer ; et, quand il est de belle humeur, de ne l’être jamais qu’incognito. Racine et Corneille avaient sur nos modernes cet avantage, qu’ils pouvaient être heureux sans que cela fît le moindre tort à leur réputation ; un élégiaque ne saurait être joyeux impunément.

Ce rôle, factice d’abord, peut devenir naturel ; à force de sonder ses plaies, on finit par les agrandir ; on trouve une âpre jouissance à les envenimer. Cette sensibilité égoïste, que l’on surprend chez quelques poètes, cette perpétuelle compassion de soi-même les rend injustes et leur fait croire qu’il faut avoir un cœur de fer pour ne pas s’attendrir sur eux-mêmes autant qu’ils le font : ceux-là sont à plaindre. Mais l’amour-propre prend quelquefois des formes plus gaies ; un autre en vient à se préoccuper tellement de sa personnalité, que le moindre événement qui lui arrive prend à ses yeux d’immenses proportions, et qu’il se croit en conscience obligé d’en faire part au public ; Et le public, en effet, y prend plaisir, mais pas tout-à-fait comme le poète l’aurait souhaité.

Tous ces travers n’empêchent point le lecteur d’être attentif aux chants du poète. Souvent le poète y perd un peu, mais le livre y gagne ; il offre un intérêt de plus ; combien de livres nous attachent en même temps par les qualités de l’œuvre et par les défauts de l’ouvrier ! D’ailleurs, le public a toujours été fort indulgent pour ces effusions de l’orgueil lyrique ; il y est fait, et cela ne l’étonne plus : Jean-Baptiste Rousseau lui-même n’eut-il pas, en son temps, le droit de parler de son génie ? On n’a jamais été forcé d’être modeste qu’en prose, ce qui même semble avoir cessé d’être obligatoire.

Je crois donc que les poètes out aujourd’hui un public aussi bienveillant, aussi éclairé, et plus nombreux qu’autrefois. Il faut bien en convenir, les lecteurs qui savent goûter une poésie pure et élevée seront toujours la minorité. Pour sentir les poètes, il faut du recueillement, du loisir, de la rêverie ; il faut une disposition particulière. L’immense majorité de ceux qui savent lire n’a pas le temps de goûter M. de Lamartine, et la plupart n’en sont pas capables. Ce qui nous fait croire que jadis ce public choisi était plus nombreux, c’est qu’il était réuni sur un seul point, à la cour et dans quelques sociétés particulières ; maintenant il est dispersé, il est partout, dans toutes les classes, dans les salons, dans les écoles, dans les fabriques. D’ailleurs, cette société choisie, qu’on regrette tant, avait bien ses erreurs et ses engouemens ridicules ; Voltaire se plaint à tout moment qu’on déserte Racine et Molière pour le théâtre de Ramponneau ; or, les habitués de Ramponneau étaient ces courtisans si délicats, ces gentilshommes si raffinés pour lesquels on a aujourd’hui tant de tendresse. Ce monde-là avait conseillé à Corneille de ne pas faire jouer Polyeucte,« qu’il ne trouvait pas digne de l’auteur du Cid ; il soutenait la Phèdre de Pradon contre celle de Racine et proscrivait Athalie. Il est vrai qu’en revanche l’hôtel de Rambouillet se délectait des romans de Mlle de Scudéry, et que Mme de Sévigné elle-même dévorait la Calprenède et son chien de style avec un intérêt qu’on a peine à s’expliquer aujourd’hui.

C’est là pourtant, contre notre époque, l’éternel, l’invincible argument, le succès de la littérature de pacotille, du roman-feuilleton. D’abord cette littérature a toujours été sur un fort bon pied dans le monde ; Mue de Scudéry et la Calprenède, Arnaud-Baculard et Crébillon fils n’ont pas eu à se plaindre de leurs contemporains. Quand il serait vrai d’ailleurs qu’aujourd’hui les successeurs de ces messieurs auraient beaucoup plus de lecteurs que leurs devanciers, qu’en faudrait-il conclure ? Une seule chose peut-être, c’est qu’il y a plus de gens qui savent lire. Je ne crois pas que le roman-feuilleton ait ôté un seul lecteur aux Feuilles d’automne et aux Méditations. La grande poésie a gardé son public, qui peut bien par curiosité faire quelques excursions dans le pays voisin, mais qui n’y séjourne pas. Ceux qui y séjournent sont les naturels du pays ; ils n’en peuvent guère habiter d’autres. S’ils ne lisaient pas le roman-feuilleton, ils ne liraient rien du tout ; autant vaut qu’ils continuent. Jadis le bourgeois de la rue Saint-Denis vivait renfermé chez lui et ne s’occupait que de ses affaires ; il n’avait jamais entendu parler de quoi que ce soit qui ressemblât à la littérature. Maintenant il est électeur, éligible, mieux que cela encore, il voit le monde ; il reçoit. N’est-il pas naturel que M. Jourdain veuille avoir de l’esprit et savoir raisonner des choses parmi les honnêtes gens ? Il ne lui suffit plus aujourd’hui d’apprendre l’orthographe, il cultive son esprit ; et, comme il lui faut de gros engrais, il les prend où il les trouve, dans son journal, qui s’empresse de les lui offrir. Mme Jourdain, loin de lutter contre les goûts littéraires de son époux, prend sa part de ses lectures, et Nicole elle-même, l’ignorante Nicole, n’y est plus aussi indifférente ; c’est un progrès.

Mais alors recommence, parmi les littérateurs, le débat qui s’éleva jadis entre le maître à danser et le maître de musique de M. Jourdain. Beaucoup de gens d’esprit tiennent aujourd’hui pour l’opinion du maître de musique ; ils pensent que, si M. Jourdain parle à tort et à travers de toutes choses, s’il n’applaudit qu’à contre-sens, son argent redresse les jugemens de son esprit, et qu’il y a du discernement dans sa bourse.

Quoi qu’on en puisse dire, ces goûts littéraires font honneur à M. Jourdain ; on doit lui en tenir compte. Cela prouve que son imagination s’éveille. Le monde réel, tel qu’il l’a arrangé, ne lui suffit pas ; il lui faut des fictions, on lui en donne. Le roman-feuilleton, où se gaspille beaucoup d’imagination, la littérature de pacotille est la poésie de M. Jourdain. Après cela, que ce gentilhomme aime peu la vraie poésie, qu’il goûte médiocrement le Lac, Rolla, les Feuilles d’automne, les Consolations, que voulez-vous y faire ? Il faut en prendre son parti.

Peut-être le matérialisme industriel de notre temps n’est-il pas aussi funeste à la poésie que le pense M. Desplaces. Quand les événemens ont quelque chose d’imposant et de grandiose, quand la vie de la société est animée, que l’histoire est passionnée comme un roman, ce spectacle absorbe les imaginations des hommes et ne laisse guère de place à la poésie ; mais, si la réalité n’a rien que de vulgaire, c’est alors que le culte de l’art devient chez ses adorateurs une passion fervente, car la poésie n’est plus seulement un luxe et un plaisir, c’est une consolation, c’est un besoin : il faut que l’idéal nous dédommage de la réalité.

C’est dans les cachots qu’on chérit la lumière ; c’est au milieu des brouillards de l’hiver qu’on se plaît au souvenir des beaux jours, à l’espérance du printemps. Lorsque la révolution et l’empire étonnaient le monde par de si violens coups de théâtre, tous les regards étaient tournés vers l’horizon ; les événemens suffisaient pour ébranler les imaginations des hommes, et bien peu d’entre eux avaient le temps et la pensée de rentrer dans leur ame pour y chercher la rêverie. Quel poème n’eût langui auprès d’Héliopolis et de Marengo ? Voilà les époques qui tuent la poésie. Pour le temps où nous vivons, ce serait une criante injustice que de lui adresser le même reproche ; il est certain qu’il ne le mérite pas.

M. Desplaces se plaint pourtant que la littérature et les littérateurs soient négligés par le gouvernement ; j’avoue qu’en tout temps il y a un plus grand danger à craindre, c’est qu’ils soient trop protégés. La seule protection désirable est celle du public, parce que c’est la seule qui ne se fasse pas acheter trop cher. Celle-là, quoi qu’on en puisse dire, vient trouver tôt ou tard ceux qui en sont dignes. Même elle est parfois trop facile, et ses plus ordinaires injustices sont aujourd’hui des excès d’indulgence. Qu’il y ait quelque part de vrais poètes, luttant avec courage contre l’obscurité et la misère, nul ne peut le nier ; qu’ils persévèrent, et la gloire viendra. Plusieurs tombent frappés à l’entrée du chemin ; ce sont les iniquités communes du sort ; pourquoi leur a-t-il ravi les destinées qu’il accorde à d’autres ? pourquoi Hoche et Marceau meurent-ils, quand Bonaparte va régner ? Mais pour ceux qui s’arrêtent en chemin, parce que le courage leur manque, la société peut douter, ce me semble, de l’avenir qu’ils se promettaient : le génie a foi en lui-même, c’est là sa force et le signe de sa vocation. Ceux qui, à leur premier pas, chancellent déjà et demandent qu’on les soutienne ; apparemment doutent de leurs forces ; ont-ils droit d’exiger d’autrui une confiance qu’eux-mêmes ne ressentent pas ? Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que la littérature ait jamais été, par une puissance ou par une autre, plus encouragée qu’aujourd’hui ; je suis loin de croire que tout soit bien, mais peut-être en somme tout est-il mieux. M. Desplaces, au contraire, est de ceux qui ont le respect et, en bien des choses, l’amour du passé : il n’est pas dans les habitudes de son estime de placer les époques d’industrie, et d’égoïsme plus haut que les époques d’art et de courtoisie. Voyons donc ce qu’était ce passé si regrettable.

On a fait bien des phrases académiques sur la munificence de Louis XIV envers les lettres et les sciences. Sans doute il faut lui tenir grand compte de ses efforts ; mais n’oublions pas non plus qu’à une époque où les poètes avaient cent fois plus besoin d’appui et de protection que de nos jours, La Fontaine et Corneille mouraient oubliés du grand roi, et Racine dans la disgrace pour avoir osé élever la voix en faveur du pauvre peuple. Quant à Molière, il est vrai que le roi l’admit à sa table un jour que les valets de chambre lui avaient refusé l’honneur de faire avec eux le lit de sa majesté. Cette protection tant vantée se réduisait à bien peu de chose, et coûtait peu à celui qui l’accordait. Parcourez la liste des pensions données par le roi aux gens de lettres en 1663 Molière y est marqué pour mille livres, Chapelain pour trois mille ; il est vrai que, si l’on en croit cette liste, le sieur Chapelain est le plus grand poète français qui ait jamais été et du plus solide jugement[2]. Elle contient trente-deux pensions ; vingt écrivains sont mieux rentés que Molière, quatre aussi bien, sept le sont moins ; parmi ceux-ci se trouve Racine ; il est vrai que Racine était encore peu connu, et il ne semble pas s’être irrité qu’on n’eût point deviné, dans les faibles poésies qu’il avait alors publiées, l’auteur futur de Phèdre et d’Athalie.

Si l’on en croit M. Desplaces, ces injustices étaient compensées par la protection intelligente d’un bon ange, intermédiaire empressé et plein de grace entre le pouvoir oublieux et le poète oublié, la grande dame. Si j’en crois les mémoires du temps et les correspondances, la grande dame était plus disposée à protéger ceux qui lui adressaient des madrigaux, comme Benserade et Voiture, que les grands poètes, comme Corneille et Racine. Au moins voit-on les premiers beaucoup plus fêtés et mieux accueillis que les seconds[3].

Dans le siècle suivant, le spectacle est plus touchant encore ; on sait quelles faveurs le gouvernement daigna accorder aux gens de lettres. Faut-il rappeler que Voltaire, après avoir été deux fois à la Bastille, fut forcé de s’expatrier, que Jean-Jacques Rousseau, décrété de prise de corps, fut obligé de fuir précipitamment pour échapper à la protection intelligente du gouvernement ? Faut-il citer ici les noms de tous les écrivains renfermés à Vincennes, à la Bastille ou au For-l’Évêque, et Diderot, et Marmontel, et Morellet, et Linguet, etc., tout cela sans jugement aucun ? Il est vrai que, si le pouvoir logeait si souvent les gens de lettres aux frais de l’état, c’était un peu leur faute ; et si, dans ses écrits, on ne parlait de personne qui tînt à quelque chose, on pouvait tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. Ceux qui savaient jouir sagement de cette liberté étaient plus heureux sans doute ; on se contentait de les oublier comme Vauvenargues, de les laisser mourir de faim comme Malfilâtre. Ou bien encore, vous étiez-vous chargé de bien des haines en défendant une cause peu populaire ; aviez-vous, comme Gilbert, mérité ainsi l’honneur d’être reçu chez l’archevêque de Paris, votre protecteur se débarrassait de vous pendant votre agonie et vous envoyait mourir à l’Hôtel-Dieu. O siècle trois et quatre fois regrettable ! — Il est juste de dire que quelques poètes de la force de M. de Bernis ou de M. Dorat étaient bien reçus des grandes dames, admis à la toilette de Mme de Pompadour, et que Mme Geoffrin, protectrice bourgeoise de quelques beaux esprits, leur donnait à tous une culotte une fois l’an.

Et pourtant cette littérature était puissante et redoutée. Au XVIIe siècle, les poètes protégés par la cour étaient d’assez médiocres personnages au milieu de la société ; mais quand, au siècle suivant, ils surent se résigner à l’indépendance, ils se virent entourés d’hommages, et plusieurs eurent des souverains pour courtisans. Il faut retourner pour eux le mot de Mahomet : « Si la montagne ne vient pas à moi, j’irai à elle. » Les réformateurs du XVIIIe siècle n’allaient pas vers la montagne, c’était elle qui venait vers eux.

D’ailleurs, il y eut pour la littérature quelque chose de salutaire dans ces dures épreuves qu’il lui fallut subir. À cette époque d’inégalité, sous Louis XIV surtout, pour que l’homme de génie obscur arrivât à se faire une place, il lui fallait un grand courage et des efforts persévérans. Sans doute, Molière et Racine tenaient moins de place à la cour que le chevalier de Vardes ou tout autre gentilhomme fort obscur ; mais cette petite place, c’était à force de génie qu’ils parvenaient à la conquérir : pour obtenir des égards, de la considération, il fallait avoir écrit Phèdre ou le Misanthrope. Les humiliations durent être pour eux de puissans coups d’éperon. — Croit-on que Voltaire, bouleversant le vieux régime, ne se soit jamais souvenu de l’outrage impuni du chevalier de Rohan ? Croit-on que Jean-Jacques, écrivant le Contrat social, ne sentît pas encore sur sa poitrine sa livrée de laquais ? Pour échapper aux dédains du courtisan et du financier, ces ames fières n’avaient qu’un chemin, la gloire : il leur fallait être de grands hommes seulement pour ne pas être écrasés.

Heureusement pour la dignité des lettres, elles ne sont plus exposées à cette sorte d’encouragement. La philosophie et la révolution les ont émancipées ; c’est un bienfait qu’elles ne devraient pas si souvent oublier. Aujourd’hui le poète est libre ; on ne le voit plus tantôt dans un palais, tantôt dans une prison, humilié ou caressé, appelé à la cour ou chassé de son pays : il peut vivre dans une fière indépendance, et son talent y gagne autant que son caractère. Mais si, comme poète, il n’appartient qu’à l’inspiration, s’il ne relève que de sa conscience, comme homme il est exposé aux humaines misères ; le génie n’en dispense pas, c’est le sort commun : qu’il le supporte avec une constance virile, qu’il fasse deux parts de sa vie, qu’il ait, comme Jean-Jacques, son temps pour l’art, son temps pour les nécessités de la vie. Il lui est plus facile qu’à d’autres de subir la loi commune ; il trouve à ses peines un dédommagement enviable, il a les joies de l’inspiration et l’espérance de la gloire. Ainsi, poètes,

Soyez comme l’oiseau posé pour un instant
Sur des rameaux trop frêles,
Qui sent ployer la branche, et qui chante pourtant,
Sachant qu’il a des ailes.


Et quels seraient donc les oiseaux qui voudraient rentrer en cage, parce que la branche une fois a plié sous eux ? Est-ce que les ailes leur manqueraient ?

Ainsi, il y a encore des poètes, quoi qu’en puissent dire certains lecteurs, et des lecteurs sérieux, quoi qu’en puissent dire quelques poètes. Ce qui est devenu plus rare peut-être, c’est un troisième personnage placé entre le poète et le public pour leur servir d’intermédiaire : c’est la critique, — non la critique malveillante, grace à l’envie elle existera toujours, — non la critique servile, la république des lettres ne hait pas assez le vasselage, — mais la critique bienveillante sans flatterie, sévère sans injustice. La critique complaisante a été poussée de nos jours jusqu’à ses dernières limites, et on a inventé pour les poètes des formules d’adulation que l’ancien régime n’avait jamais trouvées pour ses rois. Sans doute le fanatisme pour le génie est plus excusable que la bassesse envers la puissance ; mais il y a tel poète de notre temps qui a été plus flagorné que Louis XIV. Les poètes ne sont pas responsables de ces excès ; il leur est bien difficile pourtant de ne pas consentir à leur apothéose. Le malheur, c’est qu’enivrés de flatteries, ils se négligent et s’abandonnent à une confiance qui ne leur permet pas d’être sévères pour eux-mêmes. Jadis chacun dans ses ouvrages faisait tout ce qu’il pouvait ; chacun atteignait sa perfection relative. Aujourd’hui trop souvent un écrivain semble n’avoir eu pour but que de faire dire : Il pouvait faire mieux. Encore si ces flatteries ne s’adressaient qu’aux vrais poètes ! Combien de pauvres écrivains ont été élevés sur le pavois ? Qu’arrive-t-il ? C’est qu’ils prennent fièrement leur place dans la littérature ; ils s’y réservent un petit coin dont ils se font les maîtres, et où ils se cantonnent avec la fierté d’un principicule d’Allemagne. Ils y ont leur petit peuple, leur petite cour, leur petite armée. Au lieu de les pousser à agrandir leur domaine, la flatterie les y confine à jamais en les empêchant de rien souhaiter de mieux ; et trop souvent, pour justifier ce gaspillage d’éloges, quelle raison pourrait-elle donner, sinon celle de don César excusant ses prodigalités : Dame ! on a des amis ?

Mais, si la flatterie endort les poètes dans les langueurs de la béatitude, la haine aveugle a le même effet : elle fait des amis nombreux à l’auteur attaqué, elle réchauffe les tièdes ; et, quand on lit certains réquisitoires littéraires, on serait tenté de supposer que le critique pourrait bien être un ami caché du poète, une espèce de Grangeneuve qui se fait égorger chaque semaine par les amis du poète et les siens, uniquement pour ranimer l’enthousiasme en faveur de son patron. Cependant un peu de sévérité serait fort nécessaire pour réhabiliter la louange, monnaie inestimable jadis, mais un peu dépréciée de notre temps. Les grammairiens pourraient sans doute établir qu’il y a dans la langue française toute une classe d’adjectifs qui ont perdu de leur valeur et dont le sens est descendu d’un degré : ce sont les épithètes laudatives ; les superlatifs eux-mêmes ont baissé. Si vous avez à parler convenablement d’un de nos grands poètes, quelle expression emploierez-vous qui n’ait été vingt fois prodiguée à un mince écrivain ? M. Desplaces, qui veut et sait être juste, qui s’est efforcé de proportionner l’éloge au mérite ; a dû être plus d’une fois embarrassé, et se plaindre de l’insuffisance de la langue. Le fait est que si vous accordez à un poète médiocre les épithètes reçues, dès que vous arrivez à M. de Lamartine, les expressions manquent, et cette formule même, qui eût été jadis une flatterie énorme, n’est plus aujourd’hui que la simple vérité.

La critique aurait mieux à faire que de peser les poètes et de leur assigner leur valeur, mieux que de discuter leurs vers et regratter un mot douteux au jugement. Elle aurait le droit de leur rappeler les sévères obligations qu’ils se sont imposées et qu’ils oublient trop souvent. Au lieu de s’assimiler à une lyre, à une cloche, à je ne sais quel instrument sonore, mais sans vie et sans ame, quelques-uns devraient se souvenir que dans le poète il y a un homme, que cet homme a des devoirs, et qu’au lieu de se perdre dans la contemplation énervante de son propre cœur, il lui faudrait songer à de nobles causes, auxquelles il doit son cœur et sa pensée. Dans un article bien sévère sur Béranger, l’auteur reproche au poète de laisser trop de place dans ses chansons à des préoccupations politiques de n’être jamais un pur chansonnier, naïf, sans arrière-pensée, etc. — Sans arrière-pensée ? Mais c’est un éloge que cette critique : cette arrière-pensée, c’est ce qui manque à bien des poètes, c’est tout simplement la foi, c’est l’amour de quelque chose qui ne soit pas eux. Je ne sais s’il est juste de condamner avec tant de rigueur l’esprit haineux et à vues étroites du libéralisme de la restauration, et d’affirmer que sa vraie devise était au fond le mot célèbre : chacun chez soi, chacun pour soi. Je ne sais si nous avons le droit d’accuser ainsi la génération précédente et de lui reprocher ses vues étroites ; rien n’est large comme l’horizon de l’indifférence. Mais je me borne ici à un simple rapprochement : il y a vingt ans, quand la Grèce sembla près de périr, tout ce qui tenait une plume souleva pour elle l’opinion publique ; poètes, historiens, philosophes, tous, sans distinction de parti, Béranger, Lamartine, Chateaubriand, Jouffroy, Villemain, C. Delavigne, tous plaidèrent la cause des martyrs et de la liberté. Quand la Pologne a succombé, parmi ces poètes si tendres pour eux-mêmes, combien son cri de mort a-t-il réveillé d’échos ?


EUGÈNE DESPOIS.

  1. La Fontaine même, puisqu’il a fait de la fable un petit drame.
  2. Cette liste avait été dressée par Chapelain lui-même. – La Fontaine n’y est pas.
  3. Tallemand, le chroniqueur de l’hôtel de Rambouillet, désigne ainsi La Fontaine : « Un garçon de belles-lettres et qui fait des vers, M. de La Fontaine. » Voici ce qu’au siècle suivant Saint-Simon écrivait sur Voltaire : « Il étoit fils du notaire de mon père, que j’ai vu bien souvent lui apporter des actes à signer. M. Arouet n’avoit jamais rien pu faire de ce fils libertin… Il fut exilé et envoyé à Tulle pour des vers fort satiriques et fort impudens. Je ne m’amuserois pas à marquer une si petite bagatelle, si ce même Arouet, devenu grand poète et académicien sous le nom de Voltaire, n’étoit devenu, à travers force aventures tragiques, une manière de personnage dans la république des lettres, et même une manière d’important parmi un certain monde. » Quand un homme de l’intelligence de Saint-Simon parle avec ce dédain d’un écrivain qu’il veut bien reconnaître pour un grand poète, on peut se figurer aisément à quels affronts les gens de lettres étaient exposés dans le monde.