Du vert au violet/Lilith

Du Vert au VioletAlphonse Lemerre, éditeur (p. 3-5).

LILITH

LÉGENDE HÉBRAÏQUE


« Au fond des choses, croyez-moi, la femme n’a jamais aimé que le serpent. »
Villiers de l’Isle-adam.


Lilith fut créée avant Ève.

Elle était plus belle que la Mère de la race humaine.

Elle ne fut point tirée de la chair de l’homme, mais elle naquit d’un souffle de l’aurore.

Ses cheveux de pourpre incendiaient le crépuscule, et ses yeux reflétaient la beauté de l’univers.

Dieu, lorsqu’il créa Lilith, la destina au sourire de l’homme. Mais elle considéra l’homme, et le trouva d’essence grossière et inférieure à elle-même.

Et elle détourna ses yeux d’Adam.

Un soir, tandis qu’elle errait dans les jardins triomphaux de l’Éden, elle vit le regard ineffablement douloureux de Satan posé sur elle.

Il avait revêtu la forme onduleuse et souple du Serpent, et ses yeux étincelaient comme de pâles émeraudes.

Il dit à la Femme : « Tu ignores le mystère de l’Amour.

« C’est à tort que tu méprises ton disgracieux compagnon, car tu peux lui apprendre et apprendre de lui des joies inconnues. »

Lilith contempla les yeux étranges, pareils à deux pâles émeraudes.

Et elle lui répondit : « Tu mens, et tu me tentes par l’appât vulgaire des plaisirs sans beauté.

« Toi seul sais le secret des voluptés subtiles qui ressemblent à l’Infini.

« Toi qui me tentes avec des paroles d’amour, sois mon Amant mystique.

« Je ne concevrai pas et je n’enfanterai pas sous l’ardeur de ton étreinte.

« Mais nos rêves peupleront la terre, et nos chimères s’incarneront dans l’Avenir. »

Il y eut entre eux un silence frémissant.

Et, de l’enlacement de Lilith et du Serpent, naquirent les songes pervers, les parfums malfaisants, les poisons de révolte et de luxure qui hantent l’esprit des hommes et rendent leur âme semblable à l’âme dangereuse et triste des Anges du Mal.