Lettres sur les affaires municipales de la Cité de Québec/Chapitre XI

Imprimerie de « L’Événement » (p. 27-29).

XI.


Avoir signalé la cause de l’état de choses dont nous nous plaignons, c’est, semble-t-il, avoir indiqué le remède à y appliquer. En effet, nos taxes sont trop lourdes pour nos moyens, et ne suffisent pas encore, eh bien ! augmentons la valeur de la propriété, pour faire rendre davantage à l’impôt ; augmentons les moyens pécuniaires de ceux qui l’ont à payer, en établissant des industries nouvelles à la place de celle de la construction des navires qui s’en va, en ouvrant des manufactures. Cela donnera du travail à notre population ouvrière ; celle-ci consommera des marchandises et pourra les payer ; le commerce deviendra prospère. Nous verrons se rouvrir les magasins qui sont fermés depuis quelques années, les maisons inhabitées trouveront des locataires, la propriété foncière reprendra la valeur qu’elle a perdue.

Voilà sans doute ce qu’il faudrait faire. Mais pouvons-nous compter qu’on le fera ? Il faudrait pour cela peu connaître nos capitalistes. À Montréal, dès qu’un individu a acquis une certaine fortune dans le commerce, il se hâte de l’employer à soutenir l’industrie locale, à maintenir des manufactures. Il se construit un palais pour ses affaires et un autre pour sa résidence. Ses capitaux sont employés à donner de l’emploi aux ouvriers, à augmenter la prospérité locale, à donner de l’essor au commerce, de la valeur à la propriété foncière. On pourrait presque dire que, sur chaque louis qu’il gagne, le marchand de Montréal met un chelin dans la caisse municipale.

Que font nos capitalistes, au contraire ? À quel usage emploient-ils leurs capitaux ? À spéculer sur les fonds publics, ou à faire le commerce de bois. Or, je vous le demande, quel profit retire Québec de l’argent qu’un de ses capitalistes aura placé, par exemple, en rentes sur l’État ? Exactement le même profit qu’en retirent Montréal et Toronto. Nous devenons ainsi, pour ainsi dire, les bailleurs de fonds de tout le pays ; nous lui donnons à exploiter des capitaux que nous aurions dû garder pour nous. Quelle richesse nous procure le commerce de bois ? Il donne de l’emploi, pendant une partie de l’été, à quelques centaines d’ouvriers venus souvent de la campagne ; il absorbe, en revanche, presque tous les capitaux de nos banques, qu’il ferme ainsi à l’industrie et au commerce local ; il fait passer devant nous de grosses sommes d’argent, mais il ne nous en laisse rien.

Qu’on ne croie pas que j’exagère ; qu’on ne dise pas que le capitaliste qui se livre au Stock-jobbing, et que le marchand de bois, nous donnent au moins les revenus de leurs capitaux en loyers de bureaux ou de maisons, en salaires d’employés. On sait que ces deux espèces de commerce demandent un personnel très-peu nombreux. Tel individu, qui fait des affaires pour une centaine de mille louis, n’aura que quelques commis. D’un autre côté, il n’a le plus souvent pour bureau à la Basse-Ville, qu’une vieille masure pour laquelle il paie un loyer minime. Quant à sa résidence, souvent il n’en aura aucune, et logera dans une pension en été, et ira passer l’hiver dans le Haut-Canada ou en Angleterre, où il dépensera ce qu’il aura gagné au milieu de nous. S’il élit domicile ici, il aura soin de louer une maison aussi modeste que possible ; ou bien, s’il veut vivre avec le luxe que lui permettent ses moyens, il aura une villa magnifique sur le chemin du Cap-Rouge, à la Petite-Rivière, sur la route de Charlesbourg, ou à la Canardière, mais en dehors des limites de la ville. Il en sortira, non pas pour venir payer des taxes à notre caisse municipale, mais pour venir user avec les roues de son carrosse, des rues entretenues avec les taxes que paie le pauvre piéton qu’il éclabousse. Qu’il égratigne le vernis de sa voiture, vous le voyez jeter des cris de paon ; il dénonce à tout l’univers notre esprit rétrograde, et signale la mauvaise administration de nos affaires municipales. Il s’occupe peu de nous compromettre aux yeux de l’étranger, puisqu’il n’est parmi nous le plus souvent qu’à titre d’oiseau de passage.

La seule chose qui l’occupe, c’est de faire de l’argent, de nous exploiter, de réclamer des améliorations publiques, d’en user quand elles sont faites, mais de ne rien donner pour les payer. Aussi, s’il se voit menacé d’être obligé d’y contribuer, vous le verrez se mêler au peuple qu’il dédaigne au temps des élections, et tâcher d’exploiter son mécontentement. Qu’on veuille bien se rappeler ce qui est arrivé, lorsque l’on a proposé la taxe sur le revenu.