Lettres sur les affaires municipales de la Cité de Québec/Chapitre VIII

Imprimerie de « L’Événement » (p. 19-22).

VIII.


Je vois venir une objection. Vous soutenez, me dira-t-on, que notre administration municipale, sans être parfaite, vaut celle de Montréal ; vous ne nierez pas cependant, que tout va bien mieux dans cette dernière ville qu’ici. Les principales rues y sont dans un état qu’envieraient Londres et Paris ; tout le reste est presqu’à l’avenant ; et pourtant, pendant que nous avons un déficit tous les ans, l’année fiscale se solde à Montréal par un excédant. — J’admets tout cela, mais je soutiens que cela ne prouve, ni que notre administration est mauvaise, ni que des commissaires feraient mieux. Cela prouve simplement, qu’à Montréal on peut payer quatre chelins avec cinq, et qu’on n’en peut payer cinq avec quatre à Québec. En effet, nos revenus ne sont que d’environ $300,000, et nos dépenses nécessaires sont de $259,975.94 ; le revenu de Montréal est de $700,000 et ses dépenses nécessaires sont de $499,734.00

J’appelle nécessaires, ces dépenses dont aucune administration ne nous pourrait exempter, qu’elle fût dirigée par des commissaires ou par un conseil électif, parcequ’elles sont exigées par la loi, ou parcequ’elles tiennent à des circonstances hors du contrôle de l’administration. Ainsi, aucune organisation ne nous pourrait dispenser de payer les intérêts de notre dette, d’avoir un fonds d’amortissement, de paver et entretenir nos rues, de maintenir notre police et notre organisation contre les incendies, de contribuer au soutien des écoles et à la garde de la prison, de faire assurer et de chauffer nos édifices publics, de payer à la Corporation de Lévis la moitié du revenu de la traverse, d’acquitter les rentes dont sont chargés les terrains que nous possédons. Voici le détail de ces différents items de dépenses pour Québec et Montréal.


QUÉBEC.
Intérêts sur la dette 
$ 164,871.94
Fonds d’amortissement 
29,200.00
Police 
19,986.50
Organisation contre les incendies 
12,027.00
Fonds des écoles 
11,898.00
Garde de la prison 
1,600.00
Moitié de la traverse à Lévis 
1,202.50
Assurances 
500.00
Chauffage 
1,500.00
Éclairage 
7,000.00
Rentes de terrains 
1,200.00

$250,985.94


MONTRÉAL.
Intérêts 
$ 295,639.00
Amortissement 
72,473.00
Police 
61,672.00
Feu 
22,983.00
Écoles 
21,315.00
Prisons 
2,400.00
Assurances 
1,300.00
Chauffage 
3,000.00
Éclairage 
18,852.00
Rentes de terrains 
100.00

$499,734.00


Non seulement toutes ces dépenses sont inévitables, mais le plus grand nombre d’entre-elles — et ce sont presque toutes les plus fortes — sont de telle nature, que le montant même, n’en pourrait être changé par aucune administration. Je veux parler des items relatifs aux intérêts, à l’amortissement, aux écoles, à la traverse et aux rentes de terrains : le quantum en est fixé par la loi, et tous les commissaires du monde n’y pourraient rien changer. Quant à l’item de la police, on pourrait presque dire aussi que le montant en est fixé par la loi, puisque celle-ci décide qu’elle se composera d’au moins 62 hommes. D’ailleurs, on sait que le conseil n’a aucun contrôle sur cette partie de l’administration. Les items dont le conseil peut diminuer le montant sont, comme on peut le voir, infiniment inférieurs aux items correspondants des dépenses de Montréal, et je ne crois pas qu’il y ait un ennemi assez acharné de nos institutions municipales pour soutenir que $12,000 pour notre organisation contre les incendies est une somme exagérée, et que des commissaires la pourraient réduire.

Voilà donc, sur un revenu d’environ $300,000, une somme de $250,985.94 qu’aucune administration ne peut se dispenser de prendre. Il ne lui reste donc, pour doter tous les autres services municipaux, et faire des améliorations, que $50,000. Or, ces services municipaux comprennent l’entretien, le nettoyage et l’arrosage des rues et places publiques, l’entretien de l’aqueduc et des égouts, le ramonage des cheminées, l’entretien et la surveillance des marchés et édifices publics, les dépenses judiciaires, les frais d’impression et d’annonces, la garde et l’entretien du quai du Palais, les salaires de tous les employés de la Corporation. On comprend donc combien doit être minime, la somme consacrée à chacun de ces services. Ainsi, pour l’entretien des rues, le conseil ne dispose, cette année, que de $12,000 et pour celui de l’aqueduc et des égouts que de $9,482.00. Comment veut-on qu’avec $12,000, on entretienne toutes nos rues en bon ordre, qu’on les balaie, qu’on les arrose, et que, de plus, on les améliore, en les pavant ou les macadamisant ? Comment veut-on qu’avec $9,000, on entretienne l’aqueduc et les égouts, et qu’on fasse des travaux pour les faire pénétrer dans les parties de la ville qui en sont privées ?

À Montréal, au contraire, après avoir déduit toutes les dépenses inévitables, après avoir payé une police deux fois plus nombreuse que la nôtre, il reste au conseil une somme de $200,000 à consacrer aux mêmes services pour lesquels notre conseil n’a que $50,000, bien qu’ils soient naturellement aussi dispendieux ici qu’à Montréal. Qu’y a-t-il de surprenant, à ce que ces services soient mieux faits à Montréal que chez nous, et à ce qu’on puisse faire là, des améliorations qu’on ne fait pas ici ?

Voilà des faits, et toutes les déclamations du monde, sur les abus d’un conseil électif et sur les avantages d’une commission nommée par la Couronne, n’y feront rien. Si nous voulons avoir de belles rues, si nous voulons des améliorations, il faut nous résigner à voir augmenter les taxes dont nous nous plaignons déjà. Si c’est là qu’en veulent venir ceux qui demandent des commissaires, qu’ils le disent, et le public verra ce qu’il devra faire. Il pourra dire s’il aime mieux être saigné aux quatre membres, qu’être privé des améliorations que l’on voit à Montréal. Si ce n’est pas là ce que désirent les adversaires de notre système municipal, s’ils prétendent qu’il suffira de remplacer le conseil par des commissaires, pour nous faire arriver à la position de Montréal, je me permettrai de leur dire le plus poliment possible : ou bien vous ne connaissez pas le premier mot de notre situation et de celle de Montréal, ou bien vous voulez tromper.