Lettres persanes/Lettre 77

Texte établi par André LefèvreA. Lemerre (p. 169).

LETTRE lxxvii.

Ibben à Usbek.
À Paris.


Mon cher Usbek, il me semble que, pour un vrai musulman, les malheurs sont moins des châtiments que des menaces. Ce sont des jours bien précieux que ceux qui nous portent à expier les offenses. C’est le temps des prospérités qu’il faudroit abréger. Que servent toutes ces impatiences, qu’à faire voir que nous voudrions être heureux, indépendamment de celui qui donne les félicités, parce qu’il est la félicité même ?

Si un être est composé de deux êtres, et que la nécessité de conserver l’union marque plus la soumission aux ordres du Créateur, on en a pu faire une loi religieuse ; si cette nécessité de conserver l’union est un meilleur garant des actions des hommes, on en a pu faire une loi civile.

De Smyrne, le dernier jour de la lune de Saphar, 1715.