Acta humanistica et scientifica Universitatis Sangio Kyotensis - Social science series (p. 9-11).

[Lettre 8]


A Monsieur H. E. Say

Chez Mess. Delaroche Delessert & Cie

Au Havre

Mai 1822

Voyage au Havre

Paris mardi 28 mai 1822.

Rien de nouveau, mon cher Horace, à te mander en réponse à ta lettre du 25 mai. Nous sommes fachés d’apprendre que le voyage ait fatigué tes yeux. Il faudra te précautionner en revenant, dusse-tu avoir un eventail & faire rire tes compagnons. Ton grand père de qui nous tenons d’assez mauvaises paires d’yeux m’a toujours dit qu’il fallait se defier du grand jour des voyages. Ton oncle Horace, en prenant les précautions convenables, avait réussi à fortifier ses yeux ; tellement qu’en Egypte, où nos compatriotes furent souvent affligés d’Ophtalmies, il ne m’est jamais revenu qu’il ait souffert par là.

Je suis fort aise que ton voyage te promette quelques affaires ; comme c’est ce qui te manque, peut etre qu’un voyage, à St Malo, Lorient, Nantes, La rochelle, Bordeaux et Bayonne, vaudrait la peine & les frais qu’il t’occasionnerait. Je pense que ton imagination travaille sur les moyens d’etendre tes affaires & que tu es bien prévenu qu’il faut faire dix tentatives pour en voir réussir une seule. Ensuite les affaires viennent d’elles-mêmes.

Jamesεest venu diner avec nous samedi ; Dimanche il a été à la Campagne & hier il a dû t’informer de ce qu’il a fait en conséquence des directions que tu lui as données. Alfred ne put pas aller garder le bureau hier matin. Il etait encore à Roissy chez son camarade Buquet à 5 lieues de Paris. Il en est revenu hier soir fort satisfait ; mais son œil est toujours au même etat (plutot mieux que plus mal) Ta Maman alla au bureau à sa place, mais il ne vint personne. J’allai avec Octavieι au sallon où nous vimes les nouveaux tableaux. Corine, Granet, Booz & Ruth de Hersent et une bataille de Bellanger qui n’est pas annoncée sur le livret mais qu’on dit etre la bataille de la Moscowa.

Corine me fit plaisir : pureté & elegance de dessin, sagesse dans les poses, harmonie dans les couleurs ; mais pas assez de lumieres pour des figures en plein air & un fonds lourd sur lequel ne se détachent pas bien les premiers plans. Granet est charmant ; mais il fera bien de songer à d’autres tableaux qui ne soient pas eclairés par le fond. Celui ci ne me parait pas si frappant que ses capucins.

Comme nous sortions le Duc d’Orléans, femme, sœurs, enfans, entrerent au sallon.

Nous remarquames qu’ils sont venus un jour & à une heure tres publique pour faire le pendant de ceux qui y sont allés samedi, en interdisant l’entrée à tout le monde.

Rien en politique qui ne soit dans les journaux.

Nous sommes tous invités (toi inclus) au bal chez les Mechin pour Jeudi. C’est pour la noce de leur protegée qui a epousé hier le fils de Pontécoulant. Nous irons. Mais préalablement j’irai faire visite à St Ouenμ d’où je n’ai point encore reçu de nouvelles. Je ne présume pas que le pere soit faché contre nous ; je croirais plutot qu’il aura renvoyé ta lettre à sa maison ; et qu’il ne m’aura pas répondu pour ne point prendre d’engagement.

Nous avons reçu ce matin une lettre de la Tante Duvoisin qui est toujours au même etat et qui ne semble pas fort attachée à une vie aussi triste ; mais helas !, il y a une partie du sort de chacun de nous qu’il n’est pas en notre pouvoir de changer.

Nos santés sont bonnes et nous t’embrassons tendrement. Nous avons fait tes complimens aurez- de-chaussée, où tout va comme à l’ordinaire. Crois au sincere attachement de ton affectionné pere.

J. B. S.

Mon amie Natalie Roudot m’ayant demandé un autographe de mon père, je me fais un plaisir de lui offrir cette lettre.

Sceaux 8 juin 1839

Horace Say