Lettres galantes et philosophiques de deux nones/03

À Rouen, de l’imprimerie de Christine (p. 12-26).
Réponse




RÉPONSE.


Vous êtes charmante, ma chère sœur Christine. Plus je vous lis, plus mon imagination s’alume. Vous parlez le langage de l’amour, comme un professeur de rhétorique, celui de l’éloquence. Vous dépeignez cet enfant avec des couleurs si vives, si naturelles, qu’il n’est pas possible de s’y méprendre. Ô que j’aime votre ton ! il porte au cœur ; il est ce qu’il doit être, ni trop sublime, ni trop fastidieux.

Initiée, dès votre bas âge, dans les mystères de Vénus, il n’est pas étonnant, quoique religieuse, que vous en soyez une prêtresse, et que vous surpassiez toutes nos Laïs. L’amour, vous le savez, est un besoin de la nature ; il est languissant quand il n’est pas assouvi. Inutilement objectez-vous que vous ne savez actuellement de quel bois faire flêche, que vous glissez, avec légèreté, sur les idées galantes, et que les plus beaux jours de votre triomphe se sont évanouis comme un éclair. Je vous juge par votre propre bouche, et je soutiens que vous n’avez pas fait main basse sur la galanterie, puisque vous substituez journellement le plaisir aux divines lumières de vertu, qui, comme cloîtrée, devraient vous éclairer.

Ne dissimulons pas, ma sœur, vous êtes capable d’une spéculation plus délicate, l’expérience vous a instruite des abus du couvent, et, pénitente endoctrinée, vous ne devez pas donner dans le panneau. Rappelez-vous seulement la scène lubrique où le grouppe fortuné essayait de travailler dans le jardin à une nouvelle secte de multiplians, et vous serez forcée de convenir que vous n’avez pas encore épuisé la volupté jusqu’à la lie ; que vous êtes toujours d’une complexion amoureuse, et que le remède que vous mîtes en usage, pour résoudre les humeurs de votre fournaise ardente, n’était pas si bien imaginé que vous le présumiez. Timide, soupirante, puisque la valeur du gros Guillaume ne vous avait point échappé, que n’imploriez-vous son secours ? Que ne lui demandiez-vous une répétition d’exercice galant ? Le moment était précieux, il fallait le brusquer. À coup sûr, le héros potager n’aurait pas fait difficulté d’entrer en lice ; il aurait élagué volontiers les épines du rosier pour en cueillir les roses, et votre jouissance aurait été bien plus réelle.

Vous vous plaignez de votre vieillesse ! calmez-vous ; vous en avez encore d’assez heureux restes pour vous attirer, de tems à autres, quelques hommages clandestins, quelques visites de contrebande.

Pourquoi, ma sœur Christine, pourquoi fournir des armes contre nous ? Tristes victimes de la politique religieuse, n’est-ce pas assez qu’elle nous tienne courbées sous son couteau, sans nous obliger encore à combattre la nature, et à nous sévrer d’un plaisir trop nécessaire à notre bonheur. Préjugés barbares, jusqu’à quand limiterez-vous notre existence par la privation de nos désirs ? Est-il donc écrit que la volupté décrédite la sagesse, et qu’on ne peut, sans crime, se livrer à son penchant ?

Continuons, ma sœur, continuons de noyer, dans les bras de l’amour, tous les soucis du cloître. La pénitence et l’humilité ne sont que des vertus incommodes ; il est inutile de temporiser avec elles. Pour éviter les brocards et pour en imposer aux sots ; ayons, si vous voulez, tout l’extérieur que notre état comporte ; mais nâgeons dans les délices ; assouvissons, dans l’ombre du mystère ; au sein même de nos murs, ce feu sacré qui nous consume, et dont nos cœurs nos tendres cœurs sont la proie.

Belle morale, allez vous dire ! il fallait au moins dorer la pillule. Patience, vous n’êtes pas encore au bout. Je veux vous prouver, et vous prouver physiquement, que les dames Carmélites connaissent mieux que vous la théorie de l’amour ; que personne n’est plus en état d’en soutenir le systême, et qu’elles ne le cèdent en rien, à tous égards aux dames Ursulines. Ne perdez pas de vue sur-tout, que si vous comptez parmi vous des Élisées, nous comptons aussi parmi nous des Salomons. Les rois valent bien des prophètes.

Mais avant d’ouvrir la carrière de nos déréglemens, avant d’entrer dans le détail de nos aventures galantes, sur-tout d’une anecdote récente qui vient de se passer sous mes yeux, il faut que je vous dise deux mots de M. l’abbé de L…

Vous savez, ma sœur, qu’il a été préposé par notre évêque, pour régir la communauté, et qu’il est vraisemblablement doué de toutes les qualités nécessaires pour bien conduire ses ouailles dans les voies du salut. Hé bien ! nous avons eu l’honneur de recevoir avant-hier sa visite d’obligation. Nous ne manquâmes pas de l’examiner depuis les pieds jusqu’à la tête, et après l’avoir ainsi passé en revue, il nous tira sa révérence, en nous lorgnant modestement.

Mais, ma sœur, quelle impression, cet homme en Dieu ne fit-il pas sur mes sens ! Qu’il me parut beau ! et que j’en suis amoureuse ! Il est d’une politesse, d’une douceur, d’une pénétration angélique.

Pardonnez, ma sœur, pardonnez à ma faiblesse : il faut céder au penchant, quand le tempérament nous tourmente. Je roulai sur lui des yeux, mais des yeux si passionnés, qu’il comprit leur langage. Un soupir qu’il poussa vers moi, me fit concevoir aisément qu’il ne me demandait qu’un tête-à-tête, pour me donner des preuves justificatives d’un directeur énergique. En bonne connaisseuse, je saisis l’à-propos, et je lui fis dire que j’avais besoin de son ministère ; que s’il voulait prendre la peine de se rendre, le lendemain, sur les huit heures, dans le confessionnal, il obligerait sensiblement sa très-humble pénitente : un oui gracieux fut sa réponse.

En attendant que je me prépare à l’attaque et que j’aspire à la gloire d’être sa première conquête, permettez-moi, ma sœur, de faire paroli à la scène galante dont vous avez bien voulu me régaler dans votre seconde lettre. Je vous ai dit un peu plus haut, que les dames carmélites ne le cédaient en rien aux dames ursulines. C’est-ce peut-être un problème, me répondrez-vous ? L’anecdote qui suit suffira pour le résoudre ; et si elle n’est pas aussi réjouissante que l’étaient les ébats amoureux de Guillaume et de Geneviève, elle mérite au moins de tenir une place dans le tragi-comique. J’entre en matière.

Sœur Cécile se plaignait depuis quelques jours d’un grand mal au bas-ventre ; elle n’attribuait, disait-elle, ses douleurs qu’à des coliques affreuses qui la tourmentaient sans cesse, et qui lui préparaient, sans doute, un dénouement funeste.

Vous savez, ma sœur, que dans nos pieuses maisons, on se fait un devoir sacré de secourir promptement les malades, et que pour peu qu’on soit indisposé, on a recours tout de suite aux assassins du genre humain. En conséquence, on envoie chercher un de nos esculape, qui, après avoir fait la vérification des pièces, décida, d’un ton grave, qu’il était hors de doute que sœur Cécile ne fût hydropique ; mais qu’il ne fallait rien hasarder, et qu’il estimait nécessaire d’attendre quelques jours pour en venir à la ponction.

Je ne vous dirai point au juste si le genre de maladie de sœur Cécile avait effectivement mis en défaut la science du médecin, ou si ce descendant du dieu d’Épidaure, pour ne pas donner prise à la malignité, et pour sauver la réputation du couvent, avait intention de conduire tout dans le plus grand secret ; mais une chose de laquelle je puis répondre, c’est qu’il est clair comme le jour, qu’on avait fait prendre à la jeune tourrière des pillules incarnatives, qui malheureusement avaient germé, et qu’au lieu d’un torrent d’eau qui devait sortir de ses flancs, il en sortit, au grand étonnement de nos dévotes, le plus beau Cupidon du monde.

Ce petit amour tout nud, ou pour parler au figuré, ce portrait en mignature, excita la curiosité de toutes nos bénignes. Bientôt tout le dortoir fut en alarmes ; il fallut tenir chapitre, et en venir aux opinions. Mais, ma sœur, que de commentaires de la part de nos mères ! vous auriez trop ri de les entendre. Les unes disaient que ce petit amour était peut-être un enfant de saint Denis, descendu du ciel exprès sur un rayon de plaisir, pour venir purifier les parties impures de sœur Cécile. Les autres plus raisonnables et moins superstitieuses, étaient du sentiment d’Épicure, et soutenaient, avec fondement, que le petit fripon était un enfant du hasard. Enfin, Cécile parla, et dit qu’en allant gagner les indulgences dans l’église des révérends pères minimes, un jeune profès du couvent, ne lui avait fait un jour certaine opération, que pour l’empêcher de grossir la liste des onze mille vierges, qui avaient été expulsées, disait-il, de la céleste Jérusalem, pour n’avoir pas voulu donner ici-bas des preuves viriles de leur fécondité.

N’êtes-vous pas surprise, ma sœur, qu’un pénaillon à l’huile, ait été capable de mettre la dévotion si avant, et de brûler sur l’autel de Cécile un encens aussi spirituel ? Pour moi je soupçonne qu’elle n’a pas accusé vrai, et que tout autre que le moine, a eu non-seulement le bonheur de l’endoctriner, mais de cueillir encore la rose dans son bouton. Si vous me demandez, ma sœur, sur quoi je fais porter mes prétentions, je vous répondrai que le petit lutin qui a été en prison, l’espace de neuf mois, dans les flancs de Cécile, était d’une blancheur trop ravissante, pour avoir été fabriqué avec une sauce à la minime.

Pardonnez-moi à votre tour, cette saillie : si elle n’est pas aussi spirituelle que la vôtre, est-elle au moins aussi plaisante.

Revenons à notre accouchée, et aux délibérations du synode virginal, où avaient assisté les mères, et sur-tout les nonins. Il fut arrêté par le chef de la troupe féminine, qu’après les relevailles sœur Cécile, cette femme impudique, car c’était ainsi que l’avait qualifiée tout l’aréopage, ferait non-seulement amende honorable devant saint Alexis, ce portrait de la chasteté, mais encore qu’elle se donnerait, pendant quinze jours, la discipline, en présence de toute la communauté ; et cela, pour fortifier sa chair, ou pour chasser de son corps toutes les humeurs visqueuses qui pourraient la travailler.

Voulez-vous savoir maintenant quel a été le sort du petit poupon. Hélas ! celui de sa chère maman. Ils sont morts tous les deux le même jour ; l’un de trop d’embonpoint, l’autre d’une perte considérable de sang, qui l’a obligée de déloger d’ici bas, pour se soustraire à la fustigation, et pour aller jouir en haut des récompenses méritées qui lui avaient été promises par le caffard.

Mais oublions les morts, pour nous occuper des vivans, et substituons à cette scène lugubre des scènes plus réjouissantes.

Vous avez vu, ma sœur, de quelle manière on traitait l’amour chez les carmélites. Presque toujours les effets l’emportent sur les apparences, et il n’en est pas, je crois, de même chez vos dames. Il me reste actuellement à vous apprendre de quelle manière nous pratiquons le plaisir. Écoutez et profitez.

À peine la cloche de la retraite a-t-elle averti toutes mes compagnes de se retirer dans leurs cellules, que sœur Dorothée se dérobe souvent de la sienne, pour venir… où ? se précipiter dans mes bras. Je ne suis pas encore couchée, qu’elle frappe en tapinois : j’ouvre, la voilà dans mon réduit. Déjà les influences du désir opèrent sur tous ses sens, et bientôt son feu se communique au mien. La friponne ! à quel point elle m’aime ! et combien je l’idolâtre ! Couchons-nous, me dit-elle, ma chère Agathe, couchons-nous toutes nues. Imitons cette reine de Lydie, qui ne se faisait pas scrupule de dépouiller la pudeur avec les habits. Mais quoi ! tu ne me réponds rien. Qu’as-tu donc ? craindrais-tu quelque chose ? Vas, vas, il n’y a pas du danger à jouer avec moi ; je ne suis point un minime ; et je ne te mettrai pas dans le cas de te faire reprocher, comme à la pauvre Cécile, le fruit de ton incontinence.

Comment trouvez-vous cette réflexion, ma sœur Christine ? n’est-elle pas saillante ? Pour remercier ma petite rusée de son quolibet, je lui décochai un de ces baisers qui sont ordinairement l’écho du plaisir ; et la pressant contre mon sein, je l’entraînai sur mon lit de repos, qui ne l’était pas toujours, puisqu’il était souvent scandaleux. Couchées ensemble, nous n’empêchâmes pas à nos cœurs amoureux de s’épancher l’un dans l’autre, encore moins à nos mains libertines d’exercer leurs licences. Celles de Dorothée voltigèrent sur ma gorge, qui était comme elle devait être chez une religieuse, c’est-à-dire, bien taillée, d’une blancheur de lys, ferme et potelée.

Bientôt les doigts délicats de mon amante chatouillèrent les deux fraises qui sont au milieu de nos deux globes, et qui en font tout l’ornement. Ah ! finis, ma chère enfant, lui dis-je, finis, tu es trop sensuelle. Mais quoi ! tu continues ? Ah ! de grâce !… Je suis… oui… je suis… toute en feu. Mon cœur… Hélas !… Mon cœur pal… pite, et mon… ha… leine ex… pire.

Ce n’était pas assez, ma sœur Christine, de cette première jouissance. On ne pouvait trouver le vrai bonheur, disait ma Dorothée, qu’au centre de la volupté, qu’à la goutière de Vénus. Bras dessus, bras dessous, nous nous entrelassons comme le lierre, et bouche contre bouche, nous nous provoquons au plaisir.

Après quelques secousses mutuelles, et quelques frottemens réciproques, que résulta-t-il de notre manège ? Hélas ! un torrent de délices, un abyme de voluptés. Dieux ! quels sentimens n’éprouvions-nous pas ! qu’ils étaient vifs, ma chère Christine ! qu’ils étaient délicieux ! Encore… Mais quels… mais quels nouveaux ravissemens ?… Ciel !… Ô ciel !… quels momens délicieux ! Ils sont autant d’étincelles de plaisir ravies à la divinité.

Sœur Dorothée et moi, nous étions toutes mouillées. Une liqueur amoureuse coulait le long de nos cuisses, et à mesure qu’elle s’échappait du réservoir, nous tombions en extase. Non, jamais Mirrha ne brûla de tant de passion pour Cynnire. Non, jamais Cynnire ne goûta tant de douceurs sur le sein de Mirrha. Enfin, ma sœur Christine, après avoir plusieurs fois partagé nos âmes, s’il est permis de s’exprimer ainsi, sœur Dorothée se retira dans sa cellule, pour se livrer, ainsi que son amie, à un sommeil doux et paisible. Il faut tout dire ; notre épuisement était à son comble, et nous avions besoin que ce dieu bienfaisant vint verser ses pavots sur nos paupières, pour réparer nos forces.

Je n’ai pas eu besoin, ma sœur, de ramasser toutes les miennes, pour vous faire parvenir ce croquis, que vous pouvez regarder comme une bien faible esquisse de ce que j’ai encore à vous dire. Jugez, par ce langage, si je ne vous mettrai peut-être pas dans le cas de vous repentir de votre audace. Téméraire ! il vous convient bien de commencer les hostilités ! Êtes-vous seulement en état de faire les frais d’une campagne ? Tenez bon, n’allez-pas vous battre en retraite : vous êtes perdue, si vous abandonnez le champ de bataille.

Adieu, ma sœur ; ne manquez pas de recommander à votre Mercure galant, de ne remettre à d’autres qu’à moi-même vos missives.


Agathe.