Lettres galantes et philosophiques de deux nones/01

À Rouen, de l’imprimerie de Christine (p. 3-6).
Première lettre



LETTRES GALANTES

ET

PHILOSOPHIQUES

DE DEUX NONES.





PREMIÈRE LETTRE.




Te trouves-tu bien, ma chère sœur en Jésus-Christ, dans les bras de ton nouveau directeur ? S’il faut en croire les apparences, il semble plutôt fait pour chanter les faveurs de l’amour, que pour en peindre les dangers.

Je prends plaisir, Agathe, à tirer l’horoscope de ce héros galant. Tu sais que je me connais en physionomies ; je crois la sienne très-propre à servir ces désirs, et à satisfaire ta passion.

Jeune, bien faite, parée, comme tu es, des graces de la nature, il ne manquera pas (c’est un usage reçu dans les cloîtres) de solliciter tes faveurs. Il suffit alors que tu lises dans ses yeux remplis d’amour, pour y voir ton bonheur ; il suffit aussi qu’il lise dans les tiens chargés de volupté, pour y découvrir sa défaite. Je ne le soupçonne point, ma chère Agathe, pétri de cagotisme, encore moins hérissé de scrupules. Il n’a rien des solitaires de la Thébaïde ; c’est un adonis de la sainte légende, un docteur en Sorbonne, inépuisable en argumens lubriques, et qui peut à merveille t’en faire goûter l’énergie.

Que ne suis-je, ma bonne amie, que ne suis-je encore dans l’âge où il m’était souvent permis d’être heureuse, et de faire des heureux ! Je touche, malheureusement, au couchant de mes jours, et mes dispositions à la galanterie, ne peuvent m’assurer, désormais, que des victoires imparfaites. Douceurs réelles, plaisirs, bonheur, transports, que ne vous dois-je pas ! Vous m’avez rendu mon joug plus supportable dans mon affreuse solitude, et c’est m’acquitter envers vous, que de publier vos bienfaits.

Mais hélas ! pourquoi ne sont-ils plus, ces tems de délices, où mon âme se confondait avec celle du père Anselme ! où nos cœurs éprouvaient des sensations qui ne peuvent être rendues que par le pinceau de la jouissance ! Agathe, ma chère Agathe, que de pertes libidineuses ! que de sacrifices expiés sur l’autel de la volupté ! Si je me pâmai mille fois dans les bras de mon consolateur, mille fois aussi je partageai son existence : te le dirai-je enfin ; il eut les prémices de ma virginité, et content de sa victoire, il ne se montra jamais ingrat à mon égard. Oui, ma chère Agathe, pour compter toutes ses prouesses amoureuses, il te faudrait au moins tous les chapelets de nos mères ; juge de mon bonheur.

Une chose pourtant qui m’étonne, c’est de n’avoir pas été sujette aux influences de l’amour, après une infinité d’attaques de ma part, et d’assauts réitérés de la sienne. Justes dieux ! que serais-je devenue, si j’avais mis au monde un petit Séraphin ! N’aurait-on pas eu raison de penser qu’on n’est pas toujours recueilli dans les cloîtres ; que leurs exercices, tant journaliers que nocturnes, ne sont pas toujours spirituels, et que la haute vertu d’une religieuse, n’est pas plus à l’abri de faire naufrage, que celle d’une nymphe d’opéra ?

Mais quelle fâcheuse contrainte vient m’arracher, ma sœur, à mes agréables réflexions ? C’est la cloche des matines. Vaut-il la peine de quitter la plume, pour aller se morfondre dans un chœur, et psalmodier du latin que ni toi ni moi ne comprenons, et que vraisemblablement nous ne comprendrons jamais.

Adieu, porte-toi bien, aime-moi comme je t’aime, et souviens-toi toujours de ta Christine.