Lettres et opuscules/01
NOTE
eux qui fouillent le passé, recueillant
les menus faits de notre histoire
littéraire, me sauront gré d’avoir
mis ce volume au jour. Ils n’auraient
pas manqué, en effet, en
parcourant nos vieux journaux,
d’y remarquer les écrits d’Edmond Paré. Je
leur aurai évité le fastidieux travail de
compulser de volumineux in-folios et d’y faire des
recherches fatigantes.
Mais un autre motif m’a poussé à éditer cet ouvrage c’est l’intérêt que je porte aux lettres canadiennes et à tout ce qui peut contribuer à leur avancement.
Je suis persuadé que si Paré ne fût pas mort si jeune, et que s’il eût eu le temps de nous donner la pleine mesure de son talent, nous l’aurions compté au nombre de nos célébrités littéraires. On s’apercevra facilement de la vérité de ce que j’avance en lisant les quelques écrits que j’ai recueillis un peu partout.
Nourri des chefs-d’œuvre des lettres françaises et anglaises qu’il s’était assimilés avec une facilité étonnante, Paré avait su y mettre du sien ; en sorte que ce qu’il a écrit respire une originalité où se fait sentir cependant l’influence de Dickens, de Thackeray, de George Eliot, de Daudet, de Stevenson, de Bret Harte et de Mark Twain, ses auteurs favoris.
C’est un ironiste.
Il n’est pas purement canadien, son style ne sent pas le terroir comme celui de M. Buies, et c’est en cela qu’il est moins original que ce dernier. En revanche, on trouve chez lui un sentiment de délicatesse, un goût cultivé jusqu’au raffinement, un détachement complet de tout ce qui intéresse le vulgaire, symptôme d’un scepticisme qu’il ne cachait pas, et trahissant chez lui un état d’âme tout particulier et peu commun parmi nous. Pour le trouver, peut-être faudrait-il recourir à ces cercles de lettrés dilettantes qui ne se rencontrent qu’à Paris.
Aussi, Paré était-il une nature essentiellement française ou plutôt parisienne. Vivre de la vie de Paris était son rêve continuel. Il en parlait presque tous les jours, et quelques mois avant de mourir, il faisait le projet d’un long séjour en France.
Son érudition littéraire était énorme. Il n’y a pas un bouquin de nos bibliothèques publiques qu’il ne connaissait pas. Il pensait qu’un homme de lettres devait, au besoin, être doublé d’un savant ; aussi, ses lectures étaient-elles des plus variées. Vico, Herbert Spencer, Figuier, Renan, Bacon, Joseph de Maistre, Macaulay, Augustin Thierry, Taine, semblaient être par fois ses auteurs favoris. D’autres fois, pris d’ardeur pour la littérature d’imagination, il dévorait George Eliot, relisait Dickens ou Thackeray, Kipling ou Bret Harte.
On peut dire qu’il a passé sa vie à lire. En moyenne, il lisait un volume par soirée ; je ne voudrais pas prétendre qu’il lisait le livre mot à mot, mais il lui suffisait de le parcourir pour s’en assimiler la substance, et pour pouvoir en causer couramment, librement, le lendemain.
Lisez ses lettres de Paris, vous y surprendrez un talent d’observation que peu de nos écrivains canadiens ont montré. Vous remarquerez dans ses chroniques une fantaisie amusante traduite dans un style très alerte ; elles se lisent facilement, sans fatigue, et vous arrivez à la fin sans vous en apercevoir.
Je ne crains donc pas de répéter qu’Edmond Paré était doué d’un talent tout à fait remarquable. Il aurait pu nous donner plus et figurer au premier rang ; son instinct le poussait à produire et il ne se faisait pas illusion sur sa propre valeur, mais une secrète horreur de tout effort matériel l’empêcha toujours de prendre la place à laquelle il avait droit. On le classera parmi ceux appelés à de hautes destinées dans la renommée littéraire qui n’ont pu cependant atteindre les sommets.
Pour moi, en publiant ce volume, j’aurai eu la double satisfaction d’avoir accompli un devoir de reconnaissance envers l’ami de ma jeunesse qui me fit naître à la vie littéraire et d’avoir rendu en même temps un service appréciable aux lettres canadiennes françaises.