Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 336-339).
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LETTRE XV.


9 septembre 1765.


Je pense, mon cher ami, que cette lettre pourra vous parvenir, et vous agréer, un ou deux jours avant votre départ de la ville : je le désire par cet esprit du misérable amour-propre qui, comme vous le savez, me gouverne, et me dirige dans toutes mes actions. — Mais de peur que vous ne goûtiez pas cette raison, je vais vous en donner une autre qui sera peut-être plus près de la vérité ; du moins je l’espère.

J’ai grand besoin de savoir si B… a pris des arrangemens avec Foley le banquier, à Paris comme je le lui avois ordonné, relativement à la remise d’argent qu’il devoit faire à madame Sterne. Il faut vous dire que je le soupçonne d’avoir été négligent, non faute de probité, car je le crois aussi honnête créature qu’aucune qui jamais ait porté d’habit, mais peut-être sa caisse n’est-elle pas dans un état propre à répondre à mes intentions : si cela est, je ne demande qu’à savoir la vérité ; mais son silence me fait présumer qu’il craint de me la dire.

J’ai reçu de Toulouse une lettre qui n’est guère propre à me tranquilliser : d’après ce qu’elle contient, j’ai tout lieu de craindre que la source de ma trésorerie ne soit négligée. Je vous prie d’en rechercher la cause, et de la corriger, si vous en trouvez l’occasion ; afin que les petits ruisseaux de mes moyens ne soient point obstrués entre Londres et le Languedoc, c’est-à-dire, entre moi, madame Sterne, et ma pauvre Lydie.

Elles m’écrivent que, conformément à mes désirs, elles ont tiré sur Foley, qui leur a répondu qu’il n’étoit pas nanti pour faire honneur à leur mandat ; mais que, par rapport à moi, si elles avoient besoin d’argent, il leur en fourniroit : c’est un beau procédé ; j’en suis presque fier ; — cela me jette pourtant dans une incertitude vraiment inquiétante. — Je songe à toute la peine que va donner à ces pauvres femmes le fâcheux retard qu’elles souffriront jusqu’à ce que la méprise puisse être rectifiée.

D’ailleurs, — c’est une source de propos, de questions, de soupçons ; et tout cela. — Ma chère Lydie ne mettra que de la douceur dans ses plaintes ; mais sa mère est femme à lâcher un volume de reproches. Dans le vrai, je ne mérite ni les uns, ni les autres. — J’ai calculé les choses du mieux que je l’ai pu pour subvenir à leurs besoins, et pour me mettre moi-même hors d’inquiétude. — Cependant ceci ne laisse pas que de jeter dans mon esprit une ou deux pensées malades ; et dans le moment actuel, je sens diminuer mon goût pour la chevalerie errante.

Je prodigue les paroles, mon cher ami, sur une matière dans laquelle il suffit du moindre avis pour vous mettre en activité. Faites-moi donc l’honneur de m’apprendre, sans aucun délai, que la chose est absolument terminée ; et si B… retarde la dîme, d’un seul instant ; — faites pour moi, mon cher ami, ce que je ferois pour vous en pareille occasion. — Sur ce, que Dieu vous bénisse ! — mon cœur ne me permet pas de vous faire un seul mot d’apologie, parce que je sens qu’elle ne vous seroit point agréable. — Encore une fois, adieu !

Très-cordialement, votre, etc.